Olvidar Barcelona de Carles Batlle (2009) ou l’Ailleurs ici
p. 177-190
Résumés
On doit à Carles Battle (Barcelone, 1963), chercheur et auteur d’une thèse sur Adrià Gual, directeur de 2003 à 2009 del Obrador (Sala Beckett) et professeur à l’Institut del Teatre et à l’Universitat Autonoma de Barcelone, l’une des théorisations les plus abouties de ce que l’on a nommé « le drame relatif » ou le « théâtre de la soustraction » pour caractériser l’esthétique de l’école catalane qui s’est développée autour de la salle Beckett de Barcelone. Si c’est bien dans cette « poétique relative et fragmentaire » que s’inscrivent ses premières pièces, les pièces des années 2000 comme Temptacio et Transits ouvrent une nouvelle voie dramaturgique dont la clé se trouve dans le jeu kaléidoscopique et labyrinthique des multiples perspectives que la perception de la réalité troublée par la mémoire et l’oubli, l’imagination et le phantasme, les utopies et les dystopies, construit et déconstruit.
Le théâtre de Batlle privilégie les thématiques de l’actualité la plus dérangeante et violente : les guerres civiles ethniques, la violence terroriste, et, surtout, le drame de l’émigration, et donc l’une des formes que peut prendre la thématique de « l’Ailleurs », objet de ce colloque. Dans certaines des pièces, dont Olvidar Barcelona, (Primer acto, no 330, 2009), sans faire de cette errance du drame migratoire le thème central, Carles Batlle engage ses personnages, prisonniers de ces mirages de la perception, et au rythme des rencontres parfois les plus improbables, dans un périple marqué par l’errance et le nomadisme.
Olvidar Barcelona entraîne ainsi les personnages dans un voyage au centre d’eux-mêmes, à la recherche de l’Autre qui est en eux, en les confrontant à ces Autres multiples qui parcourent une Barcelone devenue non pas tant catalane que plurielle : Baba Nogazza, le pakistanais, né à Barcelone et plus catalan que nature, est là pour l’afficher avec ironie et malice.
La pièce nous invite à faire du surplace ou nous enferme dans quelques espaces limités de Barcelone : une salle à l’université, un appartement du centre, une épicerie pakistanaise, et, pour les rares espaces extérieurs : El Fossar de les Moreres et la rencontre au pied de la statue de Colomb. Mais en dix-neuf scènes courtes et une trame au cœur de laquelle il place le mystère de la disparition d’une jeune japonaise, Carles Batlle déroule un étrange parcours initiatique que les huit personnages (une suédoise, un pakistanais, une japonaise et cinq catalans) jalonnent de contes d’origines diverses : « Le petit poucet et l’ogre », « La fille de l’aéroport », « 1714, le fossoyeur du Fossar de las Moreres et son fils, le traître », « La chemise de l’homme heureux », » L’enfant de cœur et le Christ sur sa croix ») : « Todos parecen fascinados por un fenómero tan antiguo y tan olvidado como es explicar la realidad a través de los cuentos », précise la didascalie aperturale.
La Barcelone plurielle, où convergent tous ces Ailleurs méconnus, effrayants, rejetés, devient ainsi cet espace qui pousse les personnages à » se déplacer » Ailleurs sans partir, à affronter, depuis cet « Ailleurs ici », cet étranger qui est en eux. Nous essayons de démêler l’écheveau dramaturgique d’une complexe construction où se superposent et se fondent l’un dans l’autre espaces-temps divergents, visages, parcours de vie, réalité et fiction (à travers l’activité de conteur), et de dessiner les contours perceptifs, sensoriels, de cet « Ailleurs ici », thème central de la pièce.
Se debe a Carles Battle (Barcelona, 1963), investigador y autor de una tesis sobre Adrià Gual, director de 2003 à 2009 del Obrador (Sala Beckett) y profesor en el Institut del Teatre y en la Universitat Autónoma de Barcelona, una de las teorizaciones más acabadas de lo que se llamó « el drama relativo » o el « teatro de la sustracción » para caracterizar la estética de la escuela catalana que se desarrolló en torno a la sala Beckett de Barcelona. Si sus primeras obras se inscriben en esta « poética relativa y fragmentaria », las obras de los años2000 como Temptacio et Transits abren una nueva vía dramatúrgica cuya clave se encuentra en el juego kaleidoscópico y laberíntico de las múltiples perspectivas que la percepción de la realidad, alterada por la memoria y el olvido, la imaginación y el fantasma, las utopías y las distopías, construye y desconstruye.
El teatro de Battle privilegia las temáticas de la actualidad más molesta y violenta : las guerras civiles étnicas, la violencia terrorista, y, sobre todo, el drama de la emigración, y por lo tanto una de las formas que puede cobrar la temática del « Ailleurs », objeto de este coloquio. En algunas de sus obras, entre las cuales Olvidar Barcelona, (Primer acto, no 330, 2009), sin hacer de esta errancia del drama migratorio el tema central, Carles Battle introduce a sus personajes, presos de estos espejismos de la percepción, según el ritmo de unos encuentros, entre los más improbables a veces, en un periplo marcado por la errancia y el nomadismo.
Olvidar Barcelona lleva así a los personajes a un viaje hacia el centro de sí mismos, en busca del Otro que está en ellos, enfrentándolos a estos Otros múltiples que recorren una Barcelona que se hizo más que catalana, plural : Baba Nogazza, el pakistaní, nacido en Barcelona y auténtico catalán, está aquí para demostrarlo con ironía y picardía.
La obra nos invita a hacer un « surplace » o nos encierra en algunos espacios limitados de Barcelona : una aula en la Universidad, un piso del centro, una tienda de comestibles pakistaní, y, para los escasos espacios exteriores : El Fossar de les Moreres y el encuentro al pie de la estatua de Colón. Pero en 19 escenas cortas y una trama en cuyo centro sitúa el misterio de la desaparición de una joven japonesa, Carles Battles construye un extraño recorrido iniciático para los ocho personajes (una sueca, un pakistaní, una japonesa y cinco catalanes), recorrido jalonado por cuentos de diversos orígenes : « Pulgarcito y el ogro », « La chica del aeropuerto », « 1714, el sepulturero del Fossar de las Moreres y su hijo, el traidor », « La camisa del hombre dichoso », « El monaguillo y Cristo en la cruz » : « Todos parecen fascinados por un fenómeno tan antiguo y tan olvidado como es explicar la realidad a través de los cuentos », precisa la didascalia que abre la escena.
La Barcelona plural, en la que convergen todos estos « Ailleurs » desconocidos, inquietantes, rechazados, se transforma de este modo en un espacio que incita a los personajes a « desplazarse » a otra parte sin irse, a enfrentarse, desde este « Ailleurs aquí », con este Otro – extraño – que está en ellos. Intentamos desenmarañar el enredo de una compleja construcción en la que se superponen y se confunden unos espacios-tiempos divergentes, unas trayectorias vitales, la realidad y la ficción (a través del cuento), y procurarmos dibujar los contornos perceptivos, sensoriales de este « Ailleurs aquí », tema central de la pieza.
Texte intégral
1On doit à Carles Batlle (Barcelona, 1963), chercheur et auteur d’une thèse sur Adrià Gual, professeur à l’Institut del Teatre et à l’Universitat Autonoma de Barcelone, l’une des théorisations les plus abouties de ce que l’on a nommé « le drame relatif » ou « le théâtre de la soustraction » pour caractériser l’esthétique de l’école catalane qui s’est développée autour de Sanchis Sinisterra et de l’Obrador de la salle Beckett de Barcelone. Directeur de 2003 à 2009 de cette salle et directeur de la revue théâtrale (Pausa), il est surtout l’auteur de nombreuses pièces déjà traduites dans plusieurs langues : Sara i Eleonora (1995), Combat. Paisatge per a desprès d’una batalla (1998-1999), Les veu de Iambu (1998-1999), Suite (1999-2000), Oasi (2001), Nits a Basora (2003), Temptació (2004), Trànsits (2007), auxquelles il faut ajouter les textes brefs Miss Puta Espiritual (2000), Bizerta 1939 (2002), La pilota i la Formiga (2003) et sa dernière pièce, Prix Born de théâtre 2008 : Olvidar Barcelona.
2Si c’est bien dans cette « poétique relative et fragmentaire » que s’inscrivent ses premières pièces, ses textes des années 2000, comme Temptació et Trànsits, ouvrent une nouvelle voie dramaturgique dont la clé se trouve dans le jeu labyrinthique des multiples perspectives que la perception de la réalité, troublée par la mémoire et l’oubli, l’imagination et le phantasme, les utopies et les dystopies, construit et déconstruit. Le théâtre de Carles Batlle est ancré dans l’actualité et les grands thèmes sociétaux qui font actuellement débat. Il interroge la mondialisation et la crispation identitaire, la violence terroriste et les violences ethniques et racistes, il décortique les nouvelles voies et les impasses de l’hypermodernité. Il s’est particulièrement intéressé au drame de l’émigration, l’une des formes que peut prendre la thématique de « l’Ailleurs ». Citons Trànsits, Temptació, Oasi, et Olvidar Barcelona, objet de notre étude1.
3Sans faire du drame migratoire le thème central de cette pièce, Carles Batlle engage ses personnages, prisonniers des mirages de la perception, au rythme des rencontres parfois les plus improbables, dans un périple marqué par l’errance et le nomadisme psychiques à travers des fragments de paysages barcelonais. Olvidar Barcelona entraîne les personnages dans un voyage au centre d’eux-mêmes, à la recherche de l’Autre qui est en eux, en les confrontant à ces Autres multiples qui parcourent une Barcelone devenue non pas tant catalane que plurielle. La Barcelone plurielle où convergent tous ces « Ailleurs » – quartiers « colonisés », commerces exotiques, langues, écritures, visages étrangers – devient ainsi cet espace qui pousse les personnages à « se déplacer mentalement2 » Ailleurs sans partir, à affronter, depuis cet « Ailleurs ici », cet étranger qui est en eux. Nous essaierons de démêler l’écheveau dramaturgique d’une complexe construction où se superposent et se fondent les uns dans les autres ou bien s’assemblent des espaces-temps divergents, des visages de toutes les origines, des parcours de vie disparates, des points de vue multiples sur un même événement ou sur un même paysage urbain, la réalité et la fiction (à travers l’activité de conteur), et de dessiner les contours perceptifs et sensoriels de cet « Ailleurs ici », thème central de la pièce.
De « l’Ailleurs ici » de l’immigration à « l’Ailleurs ici » comme laboratoire dramaturgique de l’identité
4Commencé sur le mode de l’indétermination propre au « drame relatif », le théâtre de Carles Batlle, au cours de la première décennie du xxie siècle, nous transporte au contraire dans des espaces particulièrement déterminés linguistiquement, géographiquement, sociologiquement et culturellement. Ces espaces, qui deviennent ou sont lieux de transit – c’est d’ailleurs le titre de l’une de ses pièces –, de frontières, de melting-pot, il les place désormais au sein même de la Catalogne ou plutôt de Barcelone et de ses rues et ses quartiers les plus emblématiques, suivant en cela un mouvement assez général de la dramaturgie catalane la plus actuelle3.
5Dans ces pièces de Carles Batlle, le plus souvent tout se joue dans un espace fermé, confiné, un espace intérieur (appartement, chambre, arrière-salle, salle de cours, wagon de train) qui enserre l’individu et lui fait perdre les repères de sa cartographie personnelle : les certitudes sur soi s’y effritent et l’identité se dilue pour se reconstruire par une déconstruction identitaire de soi qui passe par la déconstruction du discours, des mythes, des croyances. Dans ce face à face avec soi, au sein d’un autre face à face avec ces autres si autres, venus d’un Ailleurs si radicalement autre, qui font soudain (ef) fraction, les perspectives s’inversent ou se multiplient kaléidoscopiquement dans ce que nous pourrions définir comme un véritable laboratoire dramaturgique de l’identité.
6Ces espaces clos contrastent violemment avec les vastes espaces en mouvement dans lesquels ils s’insèrent : un continent, l’Europe, ou une métropole en mutation. Carles Batlle semble organiser l’articulation entre intérieur et extérieur, ici et autour, ici et dehors, ici et ailleurs, sur le mode ferroviaire que décrit Trànsits4. Dans cette pièce, l’auteur situe ses personnages dans l’espace du « vieux monde », de la vieille Europe, secoué par de nouveaux arrivants. Ils prennent place métaphoriquement sur la plate-forme qui raccorde – ou sépare – deux wagons d’un train en marche. Est-ce le train qui bouge, est-ce le paysage qui défile tel un film ? Quelle visibilité sur cet extérieur en mouvement depuis l’œil borgne d’une plate-forme par ailleurs doublement espace de transition, comme partie d’un train en transit et comme espace de transit entre deux wagons ? Beaucoup des personnages de Olvidar Barcelona semblent installés sur une telle plate-forme : transitionnelle, au sens pyschanalytique, pour certains (Fidel), de transition pour la plupart (Jordi par exemple), en ce sens que nous avons affaire à une sorte de périple d’initiation et d’apprentissage de la vie pour les plus jeunes, ou encore de transit pour d’autres (certains des étrangers). C’est bien là « l’espace de l’étranger » que décrit Julia Kristeva dans Étrangers à nous-mêmes : « L’espace de l’étranger est un train en marche, un avion en vol, la transition même qui exclut l’arrêt5 ». Voilà l’espace qui vient affecter l’univers des cinq personnages, catalans de père en fils, de la pièce et introduire le mouvement, le mouvant, le transitoire, le doute.
7Si Transits introduit le thème de l’émigration sur un mode général et imprécis, dans ses autres pièces, Carles Batlle privilégie plutôt le thème concret des divers flux d’immigration dans Espagne actuelle. C’est dans l’Espagne, porte d’accès ou de fermeture entre le Sud et le Nord, l’Afrique et l’Europe, qu’Aicha, échappant à un mariage forcé, finit esclave d’un proxénète dans la Barcelone actuelle de Temptació6. Tout se joue dans l’espace intérieur d’un appartement. Le drame de l’immigration des femmes maghrébines se donne à voir dans un jeu de mise en abyme confessionnel : Aicha se raconte à une caméra qui tourne et qui enregistrera le drame final. Dans Oasi, Xavier, revenu dans sa maison natale barcelonaise après une absence de dix ans, se trouve obligé de cohabiter avec des locataires tunisiens clandestins et avec Rachid, son frère adoptif. Entre nostalgie du passé et de l’enfance et regard tourné vers le futur, c’est par Aicha la déracinée que Xavier, tout aussi déraciné dans ce qui est pourtant l’espace de ses origines, trouvera la voie de l’avenir. C’est enfin dans la Barcelone plurielle, multilingue et multiculturelle et, en même temps, tellement catalane avec ses Jordi Serra, Ona Puig, Fidel Roca ou Carles Coma, que nous installe Carles Batlle dans Olvidar Barcelona. Le titre – « Oublier Barcelone » – semble nous inviter à décoller Barcelone d’elle-même, de son localisme, de son discours sur elle-même et son histoire, à la mettre, depuis un Ailleurs, à distance de ses propres mythes, pour mieux la réinventer, se réinventer.
8Dans Oasi7, c’est en se trouvant plongé dans l’Ailleurs installé ici, dans la maison familiale, que Xavier, le déraciné, retrouve paradoxalement ses racines, celles qui plongent au sein de cet Autre qui est en lui. De la même manière, dans Olvidar Barcelona, c’est bien en se trouvant plongé dans l’Ailleurs, les Ailleurs multiples installés ici, dans la Barcelone actuelle, que Jordi Serra, alias Black, vingt ans, fils du professeur Salvador Serra, catalan de père en fils, renaît à lui-même en faisant exploser les contours d’une identité qui l’enserrait et reserrait sa vision du monde, des autres, de lui. Cette réinvention de soi passe par une autre manière de voir Barcelone, la nouvelle Barcelone dont la pluralité bouleverse la monovalence de sa « catalanité » revendiquée.
9L’une des portes d’entrée dans la thématique de « l’Ailleurs » aurait pu être celle du théâtre de l’immigration8 qui s’est amplement développée depuis 1992 et dans lequel nous pouvons en partie inscrire Olvidar Barcelona. Pas un auteur contemporain espagnol qui n’ait écrit sa pièce sur l’immigration9, et Carles Batlle en a fait sa matière par trois fois. Dans Olvidar Barcelona, le thème est bien là, mais en toile de fond : une toile de fond permanente et enveloppante faite des origines variées des personnages venus des quatre coins de la planète, des nombreuses odeurs de cuisine, d’épicerie et de restaurants évoquées (kebab, couscous, pizza), des quartiers métamorphosés par les populations étrangères – ce qu’expriment les plaintes récurrentes de Salvador –, de personnages comme Baba Nogazza, le Pakistanais, gérant d’un supermarché ouvert sept jour sur sept. Cette toile de fond semble bien transporter dans « un autre continent » comme le précise la didascalie de la scène 11 :
(La boucherie du supermarché, Salavador devant le comptoir. Tout lui paraît étrange : les odeurs, les couleurs, les personnes, comme s’il avait changé de continent. Mais il n’a pas eu besoin d’un avion pour arriver là, juste traverser la rue. C’est une sensation excitante, et il n’aime pas cela10.)
Le thème de l’immigration est cependant déplacé en partie par d’autres figures de « l’Ailleurs » : le touriste, l’étudiant et l’artiste étrangers. Le touriste apparaît sous les traits caricaturaux de la horde de touristes japonais qui exaspère Salvador Serra11. L’étudiant étranger est représenté sous les traits de la belle étudiante exotique : une Japonaise et une Suédoise dont tombent amoureux les personnages catalans, au point que leur vie et leur mort dépendent de ces belles étrangères. La Japonaise et la Suédoise sont jouées par une même actrice. Deux visages opposés pour un même Autre qui effraie et attire : l’Autre de la femme.
10Le thème de l’immigration est déplacé aussi par l’image d’un étranger semblable, trop semblable, étrangement semblable, qui brouille les frontières des identités. Au souvenir de 1714 du Fossar de Les Moreres, haut lieu de la catalanité, répond la réalité pleine de vie, d’érotisme et de sensualité du jeune pakistanais, Baba Nogazza, plus catalan que nature. Il se revendique clairement comme catalan. Il est bien là pour afficher avec ironie et malice ce nouveau visage – cet autre visage – de Barcelone : une Barcelone mère-patrie à la fois pour Jordi, Catalan de père en fils, et pour Baba le Pakistanais, né à Barcelone et parlant une langue catalane plus catalane que nature (scène 11). La didascalie aperturale insiste : un même acteur devra interpéter les deux rôles : deux visages contrastés pour deux manières d’être Catalan, mais aussi liés et indisociables que les deux faces d’une même monnaie :
Salvador : […] notre langue. Personne ne vous a dit que vous la parliez très bien ?
Baba : Je suis Catalan.
Salvador : Oui, bien sûr, « tous ceux qui vivent et travaillent en Catalogne sont Catalans ».
Baba : Je suis né ici.
Salvador : Moi aussi12.
La Barcelone qui émerge ainsi est une Barcelone hybride, métisse, mélangée, plurielle, en chantier, en construction, ou plutôt en déconstruction. Elle est surtout une Barcelone en transit, une Barcelone plate-forme, pour reprendre l’image du train de Trànsits : plate-forme « transitionnelle » au sens de cet espace transitionnel qu’a décrit Winnicot, c’est-à-dire cette « aire intermédiaire » ou « troisième aire » qui est entre le dedans et le dehors, entre la réalité extérieure et la réalité intérieure, où le sujet est mis en relation avec « l’inconnu de soi », le « non-advenu-de soi ». À travers l’Autre venu de cet Ailleurs lointain, c’est surtout à cet Autre intérieur, familier, générateur de « l’inquiétante étrangeté » décrite par Freud, que se trouvent confrontés les protagonistes catalans de la pièce. Le matériau premier de Olvidar Barcelona est bien cet Unheimlichkeit qui fait chanceler les certitudes de ces personnages. Nous trouvons d’ailleurs une dizaine d’occurrences du mot « extraño, a » dans la pièce. Au contact de ces autres venus d’ailleurs, se joue le retour du refoulé et le sujet peut se relativiser et échapper ainsi à la monovalence et à l’ethnocentrisme culturel :
Seule des confrontations interculturelles nous permettent de sortir de nos ethnocentrismes culturels, de percevoir la relativité de nos croyances et donc de repérer comme mythes nos propre mythes13.
L’étranger commence lorsque surgit la conscience de ma différence et s’achève lorsque nous nous reconnaissons tous étrangers, rebelles aux liens et aux communautés14.
Plutôt qu’une pièce sur l’immigration dans la Barcelone actuelle, Olvidar Barcelona apparaît comme le lieu d’une exploration identitaire sur la catalanité réfléchie dans le miroir de l’« Ailleurs ici » d’une Barcelone matricielle. « L’autochtone » est mis en lieu de place de l’étranger : Baba.- il y a très peu de Catalans qui vivent ici… je ne vous avais jamais vu / Salvador.- C’est la première fois que j’entre [dans ce magasin]15 » (scène 11). L’autochtone devenu étrange (r) par ce renversement spéculaire est invité ainsi à prendre la distance nécessaire « pour se voir et voir ses hôtes16 », c’est à dire les nouveaux habitants de Barcelone :
L’étranger se fortifie de cet intervalle qui le décolle des autres comme de lui-même et lui donne le sentiment hautain non pas d’être dans la vérité, mais de relativiser et de se relativiser là où les autres sont en proie aux ornières de la monovalence17.
C’est bien ce « sentiment hautain » qui affecte progresivement le discours de personnages comme Fidel et Jordi.
L’Ailleurs ici du « il était une fois… »
Batlle invite, à partir des temps immémoriaux du passé absolu du « il était une fois… » du conte, à redessiner la géographie vivante et imaginaire d’une Barcelone à la fois plus catalane et moins catalane que jamais. Le conte est en effet au centre de la pièce. Il en est le fil conducteur et structurel et le message clé, comme le signale Carles Batlle : « Los cuentos nos enseñan que todo es más complejo, y que tenemos que estar abiertos a interpretaciones18. » La pièce se construit sur le mode de l’enchâssement de contes et se présente comme une mise en abyme de l’activité de conteur et de réélaboration d’un matériau folklorique et populaire, patrimoine à la fois culturel et de l’enfance. Les contes, de toutes origines, circulent, s’échangent, sont interprétés, transmis, repris, relus, déformés, déconstruits pour mieux montrer la formation et la déstibilisation identitaires des personnages autochtones de la pièce confrontés aux différentes facettes et aux contradictions d’une Barcelone transformée par « l’Ailleurs ici » de ces nouveaux habitants venus d’ailleurs.
11Olvidar Barcelona s’organise en un prologue, qui débute par le conte du « Petit Poucet » et de l’ogre aux bottes de sept lieues, et dix-neuf scènes courtes regroupées en deux actes et un épilogue : l’Acte I compte neuf scènes, l’Acte II, sept et l’épilogue, trois. La pièce s’achève par le suicide assisté (par la jeune étudiante japonaise Reiko) de Fidel, professeur universitaire dont le rôle est essentiellement transitionnel. Si l’épilogue est là pour montrer la fin tragique de Fidel, il est aussi lieu d’épilogue pour chacun des contes évoqués ou racontés dans la pièce (scène 18). Sauf que la fin de ces contes subit soudain un renversement de perspective qui inverse la morale dont ces contes sont les porteurs19. Le happy end se transforme en tragédie pour les agents du Bien : la femme de l’ogre se retrouve dans la misère la plus noire pour avoir aidé le Petit Poucet et elle hait désormais les enfants ; la fille à l’ipod blanc est agressée par l’homme de l’aéroport qu’elle a pourtant aidé ; l’enfant qui, souffrant de voir le Christ sur sa croix, retire les clous et provoque la chute de la statue qui se brise, en retient la leçon – « n’aide jamais quelqu’un qui ne te l’a pas demandé », lui conseille le Christ brisé20 – et laissera mourir sa petite sœur et son meilleur ami. L’héroïsme et l’intransigeance du vieil homme du Fossar de les Moreres qui ont conduit à la mort de son fils a transformé sa vie en une tragédie. Pourquoi les parents du Petit Poucet sont si contents de le retrouver alors qu’ils ont cherché d’abord à s’en débarrasser ? L’appât du gain maintenant que leur fils s’est enrichi des biens de l’ogre terrassé ? Ces renversements invalident tout esprit de solidarité, d’aide, de dévouement à une cause – y compris celle qui concerne le nationalisme catalan. Ils introduisent un pessimisme radical sur l’être humain et semblent inviter à une indifférence vis-à-vis de l’autre et à un repliement sur soi : quel paradoxe pour une pièce qui se propose d’interroger la figure de l’Autre ! Le paradoxe et la contradiction sont au cœur de la pièce, ils sont le matériau principal de cette fable urbaine hypermoderne que met en scène Batlle. Le paradoxe est le lieu de toutes les démythifications et les démystifications des faux-semblants des discours sur l’amour, la solidarité et la communauté culturelle. Les paradoxes, les doutes et les questions que soulève, pour ces contes, le retournement de perspective, affectent ainsi chacune des actions et des discours des personnages de la pièce d’un fort degré d’ambivalence à l’égard de la nouvelle Barcelone, ce que dit déjà le titre : « oublier Barcelone », comme l’explicite Carles Batlle :
Le titre est ironiquement contradictoire […] Oui, au fond, il s’agit d’un hommage, d’une déclaration d’amour, mais d’amour déçu […] Au fond, le titre est un cri, il est un « ça suffit », un refus du nouveau modèle urbain […] pour moi, le titre exprime à la fois de l’amour et du désamour pour le paysage où a lieu l’action […] La contradiction et la perplexité à l’égard de Barcelone se nourrissent de plusieurs points de vue et de réalités parallèles21.
Le réseau interculturel des contes et la circulation de ces contes semblent aussi dire l’émergence de nouvelles formes d’espace-temps comprimés, accélérés, qui réduisent la distance entre l’ici et l’Ailleurs. « L’Ailleurs ici » est d’abord l’une des caractéristiques de notre monde hypermoderne marqué par la vitesse : vitesse des déplacements et des techniques de communication. La Barcelone évoquée dans Olvidar Barcelona est bien empreinte de cette vitesse décrite par Paul Virilio dans ses réflexions « dromologiques22 ». Nous avons ainsi l’aéroport, où se superposent et fusionnent deux espaces différents : le 11 septembre 2001 à Barcelone (l’agression de la jeune fille à l’ipod blanc) et le 11 septembre 2001 de l’attentat terroriste de New York23. Citons encore la tour gigantesque des télécommunications imaginée par l’architecte japonais pour Barcelone. À cet « Ailleurs ici » comprimé dans le territoire urbain de la Barcelone actuelle, Carles Batlle superpose, un deuxième jeu de compression qui affecte le temps historique : du 11 septembre 1714 au 11 septembre 2001. Il introduit, dans les scènes où est rapporté le conte du vieux patriote du cimetière du Fosser de las Moreres, qui reproduit l’une des nombreuses histoires d’héroïsme générées par cette date symbolique dela catalanité, 1714, la métaphore d’une autre machine à manipuler le temps, la machine à remonter le temps :
Black : Il est clair que nous avons le pouvoir de modifier le passé mentalement. Mais, et si nous pouvions voyager vers le passé, je veux dire physiquement, alors les effets collatéraux seraient difficiles à prévoir. Je m’explique : toute ingérence de notre part dans des époques du passé entraînerait des réactions imprévisibles dans le futur, des réactions en chaîne. Sans le vouloir, nous pourrions changer le destin de l’humanité et le cours de l’histoire24.
Invitation est faite à « modifier le passé mentalement », c’est-à-dire à relire autrement ce passé et à relier autrement cet Ailleurs à l’ici maintenant de la nouvelle Barcelone aux visages multiples.
12L’espace du « il était une fois… » du conte, en renvoyant au passé immémoriel permet surtout une plongée dans « l’autre scène » qui se joue en chacun de nous et dont se nourissent les contes. Il est le lieu d’où s’expriment peurs et névroses, mais qui génère aussi peurs et névroses. La réinvention de Barcelone, le regard autre porté sur la ville natale, une ville devenue autre, marquée du sceau de « l’étrang(èr)eté25 » passe de la sorte par le parcours initiatique de la découverte et de la réinvention de soi à travers ce réseau de contes, et surtout par la déconstruction du patrimoine socio-culturel des contes et par une exploration de l’imaginaire collectif et individuel.
13Les contes repris dans la pièce proviennent des cultures les plus éloignées les unes des autres : cultures arabe, extrême orientale, européenne, locale : « Le petit poucet et l’ogre », « Les dix-neuf jarres de l’empereur chinois », « L’enfant de chœur et le Christ sur sa croix », « Le fossoyeur du Fossar de les Moreres et son fils, le traître ». D’autres sont des contes modernes et mettent en leur centre la vitesse et la violence qu’elle engendre, notamment l’accident et l’agression26 : « La jeune fille à l’ipod blanc de l’aéroport », « La chemise de l’homme heureux ». Leurs points communs ? : ce sont des contes de la dévoration et du vampirisme incarnés dans les figures du méchant ogre, du roi cruel et injuste, du viol. Ils nous parlent des peurs infantiles, des interdits, de ces autres effrayants que sont « l’autre de la mort, l’autre de la femme, l’autre de la pulsion27 » : « Tous [les personnages] semblent fascinés par un phénomène ancien et oublié, celui qui consiste à expliquer la réalité à travers les contes », précise la didascalie aperturale28. C’est bien ce que font les personnages : ils réécrivent des contes anciens ou imaginent des contes modernes dont le matériau est le fait divers transmis par la presse et surtout par la télévision, nouvelle forme de réduction de la distance entre l’Ailleurs (l’ailleurs, l’autre, l’étranger, le monstre) et l’ici (l’originaire, le proche, le familier, le connu, la norme). Ils tentent d’expliquer et d’appréhender une double réalité, celle de la nouvelle Barcelone « étrang (èr) e » où se télescopent la catalanité la plus crispée et le multiculturalisme, et, à travers elle, celle intérieure du soi-même. Le prologue offre d’ailleurs une réflexion sur le rôle de la fiction, en un jeu métathéâtral qui renvoie autant aux contes enchassés dans Olvidar Barcelona qu’à la pièce elle même en tant que fiction :
Black : […] La fiction offre des points de vue différents. La fiction nous permet de comprendre un peu mieux la complexité de ce qui nous entoure […] La fiction n’apporte pas de réponse, elle nous aide seulement à comprendre que les choses ne sont pas toujours aussi simples29. […].
La pièce se présente donc, d’un point de vue structurel, comme un enchâssement de contes anciens et modernes à travers lesquels se joue le retour du refoulé dans la confrontation avec l’Autre, avec les étrangers qui sont partout dans Barcelone, mais aussi, au premier chef, avec l’Autre qui est en nous30.
L’Ailleurs ici comme structure en trompe-l’œil ou le lieu des brouillages identitaires
14Les personnages qui se croisent dans Olvidar Barcelona sont d’origines diverses : arabe, japonaise, suédoise, pakistanaise, hindoue, orientale, catalane. Ils sont construits sur le mode d’un puzzle polyédrique31 qui permettrait toutes les combinatoires possibles de superpositions, de surimpressions, d’emboîtement, d’agencement et de brouillages des origines comme autant de facettes et de pièces d’une seule et même structure, d’une même surface : le visage. Visage unique parce que toujours autre, mais toujours aussi « lieu de l’Autre », habité par les visages des autres. Comme nous l’avons déjà souligné, la didascalie aperturale précise que Nina et Reiko, la suédoise et la japonaise, seront jouées par la même actrice. De même, le Pakistanais, Baba, aux traits hindous très marqués, et Jordi, le catalan, seront interprétés par un même acteur. Conjonction de disparités qui constitue assurément un véritable défi pour le metteur en scène. Les dialogues renforcent ces jeux de superpositions identitaires pour mieux dire l’émergence de « l’étrang(èr)eté » au sein du proche et des relations entre les proches. Salvador, le père de Jordi Serra, confond son fils avec Baba, le fils se faisant ainsi étrange (r) pour le père. Nina explique à Jordi sa désorientation identitaire en ces termes :
Je confonds la Japonaise disparue, la fille du conte et la fiancée du Pakistanais. Et, à la fin, je me vois moi. Ensuite, je plaque le visage du Pakistanais sur celui de l’homme de ton conte. Et, à la fin, je te vois toi32.
La pièce déploie en permanence des jeux en trompe-l’œil qui rendent le proche (le père, le fils, la fille, l’amant, le mari, l’épouse) étrange (r) tout en rendant chacun étrange (r) pour ses proches et étrange (r) à lui-même : Nina ne reconnaît plus son visage, Salvador au contraire reconnaît le visage de son fils dans celui d’un autre, manière de mettre en scène, pour reprendre les mots de David Le Breton, cette idée que « le visage est un Autre », que « l’homme n’est pas seul à habiter ses traits, le visage des autres est là aussi, en transparence […]. Le visage est aussi le lieu de l’Autre, et prend naissance au coeur du lien social33 […] ». Le laboratoire identitaire de Olvidar Barcelona, au-delà de la thématique de l’immigration et du multiculturalisme, interroge d’abord ce nous-même – réfléchi dans la « scène du visage34 » – qui se révèle, pour reprendre une métaphore de Julia Kristeva, « un étrange pays de frontières et d’altérités sans cesse construites et reconstruites35. » C’est ce que tente de donner à voir la structure kaléidoscopique de la pièce.
15La pièce fait se croiser, se juxtaposer, se confondre huit personnages – une Suédoise, un Pakistanais et cinq Catalans – en un réseau serré de relations familiales, amoureuses, amicales et professionnelles : des relations dominées par l’ambivalence. Les contes sont la navette qui guide, comme nous l’avons vu, le fil de ce tissage d’origines variées et de relations de tous ordres. Ce tissage complexe est accentué par les jeux de mise en abyme de l’écriture et de la lecture (ou plutôt relecture) de ces contes. Reiko, otage de Fidel, le maître des contes, gagne du temps contre la mort, comme la Scheherazade des Mille et une nuits, en égrenant des contes (scène 9) ; Carles, en position de baby-sitter, déplie des contes pour l’enfant qui les réinterprètera à sa façon dans ses rédactions d’école ; le conte mystérieux – puisque nous n’en connaîtrons pas la teneur – que Fidel a écrit sur une feuille de papier circule de main en main ; nous n’en percevons que quelques échos à travers ses effets en cascade sur les personnages : Salvador se suicide, Nina quitte Salvador, Jordi a appris à ne plus rien attendre de son père, Ona Puig est convoquée par l’institutrice de son fils, intriguée par les étranges et inquiétants récits de ce dernier.
16Ce réseau dense de relations et de contes que met en place la pièce se joue entre deux positions : celle de la monovalence et de l’ethnocentrisme, et celle de l’éclatement de cet ethnocentrisme. La première est représentée par Salvador qui n’a de cesse de poser cette question : « Dis-moi une pensée originale ». Jordi, le fils, en souligne les faux-semblants : « La question de mon père est purement rhétorique ». La deuxième position est représentée par Fidel, Nina et Jordi, obsédés par la vérité, par la nécessité de multiplier les points de vues, les perspectives différentes, ce qu’ils énoncent en des formules répétitives comme : « Tout est une question de points de vue », « montrer l’autre face de la monnaie », « dynamiter la surface des gros titres36 », en leur opposant précisément le conte. Autrement dit, repérer les trompe-l’œil et les déconstruire.
17La pièce nous invite à faire du surplace dans quelques espaces limités de Barcelone tout en nous plaçant au centre d’un réseau de circulation, de communication et d’entrecroisement des populations les plus diverses : les touristes, les voyageurs de l’aéroport, l’aéroport lui-même, les immigrés, mais aussi, symboliquement, la tour des télécommunications que doit construire l’architecte japonais. Se dessine ainsi un réseau humain de chassés-croisés complexes dont le noyau, comme dans le cas des contes, est en réalité toujours le même et est agi par ces mêmes peurs « originaires » que mettent en mots et en images, en intrigue, les contes. Les contes viennent scander, illustrer ou expliquer certaines des actions des personnages pris dans ces télescopages communicationnels et identitaires : des actions comme la crispation identitaire et xénophobe de Salvador, l’attirance pour l’Autre radicalement différent d’Ona Puig, la pulsion de l’inceste qui se dessine en filigrane au sein de plusieurs des relations père/fille (Berta/Fidel) ou père de substitution/fille de substitution (Nina/Salvador, Reiko/Fidel), la rivalité entre père et fils sur laquelle plane l’ombre dévoratrice de Chronos (Salvador-ogre/Jordi-petit poucet), la confrontation avec l’Autre de la mort (Fidel, Berta, Reiko).
18Ces espaces limités sont des espaces fermés surtout : une salle à l’université, un appartement du centre, l’arrière-salle quelque peu sordide d’une épicerie pakistanaise. Pour les quelques espaces extérieurs, il s’agit plutôt de pans spatiaux, juste ce fragment que pourrait saisir le cadrage photographique. Ce cadrage – photo que pourrait prendre un touriste – met au centre deux des monuments barcelonais les plus emblématiques : un pan du cimetière El Fossar de les Moreres, juste l’espace au pied du monument aux héros de 1714, là où jouent des enfants arabes37, et la statue de Colomb au doigt pointé vers l’horizon, donc ouvert sur le monde à explorer. Sauf que ce doigt n’indique pas la bonne direction comme le signale l’un des personnages. Ces espaces hétérotopiques, que Carles Batlle privilégie particulièrement dans son théâtre, sont là pour mettre en images cet « l’Ailleurs ici » enveloppant38.
19La pièce présente une trame à la fois minimaliste et complexe pour ne pas dire parfois confuse et labyrinthique. Complexe par l’entrecroisement de vies, de thématiques, d’époques : du 11 septembre nord-américain au 11 septembre catalan, de l’agression subie par la jeune fille à l’ipod blanc dans les toilettes d’un aéroport le 11 septembre 2001 aux tours détruites par l’avion suicide. Minimaliste, la pièce l’est par son intrigue que l’on peut réduire au mystère de la disparition de Reiko, l’étudiante japonaise. Cette disparition donne lieu à une série d’hypothèses qui réinventent, sous divers angles, les relations entre les personnages. Mais cette intrigue, au bout du compte, se révèle n’être qu’un trompe-l’œil. L’intrigue est ailleurs, l’événement se joue ailleurs : la disparition concerne Berta, la fille de Fidel, le professeur d’université et écrivain charismatique qui anime l’atelier d’écriture de contes. Disparition réelle ? Fugue ? Mort ? : la réponse reste en suspens. L’épilogue n’en dit rien. Berta reste dans cette zone floue entre le réel, le phantasme et la fiction. Les indices ne font qu’augmenter l’effet de brouillage. De la même façon, les raisons du suicide assisté de Fidel que l’on découvre dans la scène finale de l’épilogue restent floues. La fin reste indécidable, suggérée pour certains de ces événements, le plus souvent ouverte à l’imagination du lecteur-spectateur invité à un exercice de projection qui l’informe d’abord sur lui, sur cet autre qui est en lui, comme chacun des contes relus, réinventés ou inventés informent sur les personnages et informent les personnages sur eux-mêmes. C’est à travers le tamis ou le voile de cet « Ailleurs ici » du conte que Carles Batlle laisse percevoir quelques éclats disparates du miroir dans lequel se contemplent les personnages : le miroir du visage de l’Autre.
20Cette construction en trompe-l’œil, comme le doigt de Colomb pointé dans la mauvaise direction, est là pour permettre d’abord l’émergence d’un réseau complexe et intersecté de rapports père/fils et père/fille : Fidel/Berta, Salvador/Jordi, Fidel, père de substitution/Jordi en quête d’une figure paternelle à admirer, Nina, femme-enfant/Salvador mis en position de père par sa femme. Dans cet univers, nous constatons l’absence presque totale des mères : une seule mère, Ona Puig, mère d’un enfant dont on n’entend que les pleurs, et encore est-elle d’abord, et avant-tout, présentée comme l’amante de l’épicier pakistanais. Or, par les processus d’identifications et de projections que met en place ce dispositif dramaturgique de constructions-déconstructions des contes, c’est bien la question de l’identité, des origines, c’est-à-dire de la mère, de la mère patrie qui est posée. C’est bien la question des origines qui est au centre de la fascination pour les contes : ils permettent, par le « il était une fois », de remonter jusqu’au temps du « paradis matriciel » que l’homme doit quitter pour affronter le temps-pour-la-mort. La mort est au cœur de la pièce : les morts, à trois siècles de distance, des tragédies des deux 11 septembre, la mort violente de plusieurs des personnages des contes, la mort (?) de Berta, et, surtout, le suicide de Fidel, le meneur du jeu, le maître des contes. Batlle multiplie ainsi les jeux en trompe-l’œil qui nous indiquent un sens pour nous dérouter vers un Ailleurs insoupçonnable : l’Autre de la mort mis ici en intrigue par la mort programmée de Fidel dévoilée dans l’épilogue.
La déconstruction des mythes individuels et collectifs, depuis ceux que véhiculent les contes traditionnels, jusqu’à ceux que créent la religion ou encore l’histoire (1714, 2001), se réalise, dans Olvidar Barcelona, par la structure d’emboîtement, de trompe-l’œil et de mise en abyme que nous avons décrite, à partir de la formule du « il était une fois… » du conte qui nous dit, comme le rappelle Claude Clanet que « ce qui s’est passé autrefois et ailleurs […] peut toujours se répéter ici et maintenant39 ». Tout petit garçon est susceptible de devenir le Petit Poucet confronté à l’ogre (Jordi-Black/Salvador Serra), « toute petite fille est susceptible de devenir Peau Âne [Berta/Fidel], certes pas dans la réalité de la vie, mais dans le réel de “l’autre scène” » : le conte est une mise en scène de conflits intrapsychiques40. Ce sont bien de tels conflits que met en scène cette pièce-poupée gigogne de contes autour de la question de la catalanité. De quoi nous parle le conte ? : de « l’intégration du sujet dans l’institution imaginaire d’une socio-culture41 », dans un ordre socio-culturel qui, s’il est bousculé au cours du conte, est toujours rétabli dans le happy end. Déconstruire le conte, le retourner, comme le propose Jordi, c’est aussi questionner cet ordre socio-culturel que le conte donne à voir comme allant de soi. Cet ordre, comme le rappelle Devereux dans Essais d’ethnopsychiatrie générale (1970), permet à certaines productions psychiques d’accéder à la conscience et exigent que d’autres soient refoulées : « C’est pourquoi – indique-t-il – tous les membres d’une même culture possèdent en commun un certain nombre de conflits inconscients42. » Olvidar Barcelona n’introduit des étrangers que pour mieux mettre en évidence ces conflits inconscients liés à la culture que partagent en commun les personnages catalans de la pièce, dominants numériquement, mais dessinés sur une toile de fond où ils apparaissent comme minoritaires et où se projette l’ombre de leur étrangeté. L’Ailleurs dans Olvidar Barcelona n’est pas où on l’attend.
Notes de bas de page
1 Carles Batlle i Jorda, Olvidar Barcelona (Premio Born 2008), Madrid, Primer acto, no 330, IV/2009, p. 23-67. Édition utilisée pour les citations. C’est nous qui traduisons.
2 Pour reprendre une expression utilisée par l’un des personnages de Olvidar Barcelona, Jordi, alias Black, ibid., p. 47.
3 « […] situados aún en la tónica de la escritura dramática de los noventa, era imposible – al menos en Barcelona – situar las obras en un espacio concreto e incluso dar nombre propio a los personajes, se pretendió acercar los asuntos y las historias a una geografía y a una realidad más reconocibles, más próximos, más concretos. De ahí salieron obras como Plou a Barcelona, de Pau Miró, o Barcelona mapa d’ombres, de Lluisa Cunillé que han tenido un éxito sorprendente. Hoy es raro que una obra catalana, por más fragmentada o narrativa que pueda ser, no se relacione con su propio contexto. », Carles Batlle i Jorda, in José Henriquez, entrevue avec Carles Battle, « Fomentar y detectar voces con acento propio », Primer acto, no 327, I/2009, p. 60-63. Rappelons que ce phénomène dans la dramaturgie catalane a pris ce tournant lors du programme lancé par l’atelier de la salle Beckett intitulé « La acción tiene lugar en Barcelona » : « De repente la escritura contemporánea de personajes sin nombres y espacios imprecisos se situó en un escenario urbano concreto. », Carles Batlle i Jorda, répond à Anna Perez Pages in « Entrevista con Carles Batlle », Primer acto, no 330, IV/2009, p. 10-13. Voir aussi sur cette question l’article de Juan Carlos Olivares, « Barcelona i el teatre. Cróniques del desamor », Cultura, revue de la Generalitat de Catalunya, juillet 2009, p. 243-248, (http://cultura2.gencat.cat/revistacultura/_pdf/38948914%20Juan%20Carlos%20Olivares.pdf (consulté le 18/07/2010).
4 Carles Batlle i Jorda, Transits, Traduit du catalan par Isabelle Bres, Montreuil-sous-Bois, Éditions Théâtrales/Maison Antoine Vitez, 2008.
5 Julia Kristeva, Étrangers à nous-mêmes, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 1988, p. 18
6 Carles Batlle i Jorda, et María Isabel Diaz Rodriguez, Temptació ; El Plan B, Barcelona, Edicions Proa, Coll. « Teatro nacional de Catalunya, 43 », 2004. Carles Batlle i Jorda, Tentación, Fundación Autor, SGAE, 2005. Carles Batlle i Jorda, , Tentation, pièce traduite du catalan par Isabelle Bres, Montreuil-sous-Bois, Éditions Théâtrales/Maison Antoine Vitez, 2006.
7 Carles Batlle i Jorda, Oasis (Finaliste Prix Born 2001 et Prix Recull 2002) in Carles Batlle, Suite suivi de Oasis, traduction française du catalan par Isabelle Bres, Martel, Les Éd. du Laquet, 2003.
8 La mirada del hombre oscuro de Ignacio del Moral (1992) marque le point de départ de l’explosion de la dramaturgie de l’immigration africaine dans l’Espagne actuelle.
9 Citons entre autres : José Luis Alonso de Santos, En manos del enemigo (1985), Ignacio del Moral, La mirada del hombre oscuro (1992) et Rey negro (1997), Alfonso Zurro, Quien mal anda (1995), Jerónimo López Mozo, Ahlán (1997), David Planell, Bazar (1997), Borja Ortiz de Gondra, Mane, Thecel, Phares (1998), Alberto Miralles, Mongo, Boso, Rosco, N ‘Goe… Oniyá (1999) et Patera. Requiem (2003), Enric Nolla, Tratado de blancas (2001), Ernesto Caballero, Tierra por medio (2002), Antonia Bueno, Zhara, favorita de Al-Andalus (2002) et Aulidi (Hijo mío) (2009), Sergi Belbel, Forasteros (2003), Angélica Liddell, Y salieron los peces a combatir contra los hombres (2003), Juan Mayorga, Animales nocturnos (2003), Juan Alberto Salvatierra, El rey de Algeciras (2003), Juan Pablo Vallejo, Patera (2003), Fernando Martín Iniesta, La falsa muerte de Jaro el Negro (2004), Josep Pere Peyró, Las puertas del cielo (2004), La valla (2006), Julio Salvatierra Cuenca, Negra (2004), Paco Bezerra, Dentro de la tierra (2009).
10 (La carnicería del super, Salvador, delante del mostrador. Todo le resulta extraño : los olores, los colores, las personas, como si hubiera cambiado de continente. Pero no le ha hecho falta un avión para llegar, sólo cruzar la calle. Es una sensación excitante. Y no le gusta.), Olvidar Barcelona, op. cit., p. 51.
11 « [En Olvidar Barcelona] hay personajes que hablan de la ciudad con nostalgia de lo que fue, y aparecen duras críticas a la ciudad fashion, que expulsa a creadores y artistas, porque cada vez es más cara y es más difícil vivir en ella, una ciudad al servicio de los turistas. », Carles Batlle répond à Anna Pérez Pagès, « Entrevista a Carles Batlle », op. cit., p. 10.
12 « Salvador.- [...] nuestra lengua, ¿nadie le ha dicho que la habla muy bien ? / Baba.- Soy catalán. / Salvador.- Sí, claro, « todo el que vive y trabaja en Cataluña es catalán. »/ Baba.- Nací aquí. / Salvador.- Yo también. », Olvidar Barcelona, op. cit., p. 52.
13 Claude Clanet, « Avant propos. Imaginaire(s) et culture(s) » in Edgard Weber, Les secrets des Mille et une nuits, Toulouse, Eché, p. I-XXXI, IX.
14 Julia Kristeva, op. cit., p. 9.
15 Baba.- No viven muchos catalanes aquí… No le había visto nunca. / Salvador.- Es la primera vez que entro. », p. 52.
16 Julia Kristeva, op. cit., p. 16.
17 Ibidem.
18 Carles Batlle répond à Anna Pérez Pagès, op. cit, p. 11.
19 Black.- ¿Nunca has intentado darles la vuelta ? Quiero decir, ¿has intentado mirarlos desde otra perspectiva, lo típico, qué pasó después del « fueron felices y comieron perdrices » ? [...] Dar la vuelta a los cuentos […]. Dar la vuelta a la vida. […] », Olvidar Barcelona, op. cit., p. 66.
20 « No ayudes a nadie que no te lo pida, hijo mío », ibid., p. 63.
21 « El título es irónicamente contradictorio […] sí, en el fondo, es un homenaje, una declaración de amor, pero de un amor despechado […] En el fondo, el título es un grito, es un “basta ya”, una negación del nuevo modelo de ciudad. […] Para mí el título expresa amor y desamor a la vez hacia el paisaje donde transcurre la acción. […] La contradicción y la perplejidad hacia la nueva Barcelona se nutre de varios puntos de vistas y realidades paralelas. », Carles Batlle, répond à Anna Pérez Pagès, op. cit., p. 10.
22 Paul Virilio, « Dromologie : logique de la course », entrevue de 1991 par Giairo Daghini mise en ligne le 14 juin 2004 : http://multitudes.samizdat.net/Dromologie-logique-de-la-course (consultée le 18 juillet 2010) : « “Dromologie” est un terme que j’ai innové. À côté de la sociologie des transports, à côté de la philosophie du temps, à côté de l’économie, il y avait place pour une autre logique, une autre discipline que j’ai tenu à appeler dromologie. La racine du mot en explique le pourquoi : dromos en grec signifie course et le terme course montre bien comment notre société est représentée par la vitesse, tout comme par la richesse. Le “dromos”, – je le rappelle c’est la “route” chez les Grecs, c’est “l’allée”, “l’avenue”, et en français le mot “rue” a la même racine que “ruée” ; se précipiter. Par conséquent la dromologie est la science, ou mieux, la discipline, la logique de la vitesse. »
23 Voir sur ce point Paul Virilio Ville panique. Ailleurs commence ici, Paris, éditions Galilée, 2004. Le thème du terrorisme apparaît de manière récurrente dans le théâtre de Carles Batlle, notamment, de manière plus centrale, dans Trànsits.
24 Black.- […] Nosotros podemos modificar el pasado mentalmente, esto ya lo tenemos claro. Ahora bien, ¿y si pudiéramos viajar al pasado con nuestro cuerpo físico ? ¿Qué pasaría ?... Si pudiéramos viajar al pasado, los efectos colaterales resultarían difíciles de predecir. Para que me entendáis : cualquier injerencia nuestra en épocas pretéritas comportaría reacciones imprevisibles en el futuro, reacciones en cadena. Sin querer, podríamos cambiar el destino de la humanidad, el curso de la historia… », Olvidar Barcelona, op. cit., p. 47.
25 Terme emprunté à Paul Ricoeur, Soi même comme un autre, Paris, Seuil, coll. Points Essais, 1990, p. 369.
26 Voir les développements de Paul Virilio sur ces aspects.
27 Julia Kristeva, op. cit., p. 283
28 « Y todos parecen fascinados por un fenómeno tan antiguo y tan olvidado como es explicar la realidad a través de los cuentos. », Olvidar Barcelona, op. cit., p. 24.
29 « Black.- […] La ficción proporciona puntos de vista diferentes. La ficción nos permite entender un poco mejor la complejidad de aquello que nos rodea […] La ficción no da respuestas, sólo nos ayuda a ver que las cosas no siempre son sencillas. […] », ibid., p. 26.
30 Ainsi l’analyse Pere Riera dans son article consacré à Olvidar Barcelona : « Los personajes de Olvidar Barcelona […] viajan más allá de sí mismos mientras literaturizan la experiencia. Construyen universos hechos a medida de las preguntas de las propias ansias y temores […] » : « 2200000002 », Primer acto, no 330, IV/2009, p. 14-20, p. 19
31 Voir Pere Riera, Ibid., p. 18 : « La realidad no es una e inmutable, sino poliédrica e inaprensible ».
32 « Nina.- Mezclo la japonesa desaparecida, la chica del cuento y la novia del paquistaní. Y al final me veo yo. Después, le pongo la cara del paquistaní al hombre de tu cuento. Y al final te veo a ti. », Olvidar Barcelona, op. cit., p. 50.
33 David Le Breton, Des visages. Essai d’anthropologie, Paris, Métailié, Sciences Humaines, 2003, p. 11.
34 Ibid., p. 10. David Le Breton met en exergue deux citations de Proust et de Georges Bataille qui nous semblent particulièrement intéressantes du point de vue de ce que tente d’exprimer Carles Batlle dans Olvidar Barcelona, et qui, nous semble-t-il, est même au centre de sa dramaturgie : Marcel Proust, cité p. 7 : « Le visage humain est vraiment comme celui d’un dieu d’une théogonie orientale, toute une grappe de visages juxtaposés, dans des plans différents et qu’on ne voit pas à la fois. » ; Georges Bataille dans Le Coupable, cité p. 15 : « Il est dans le visage humain une complication infinie de détours et d’échappatoires ».
35 Julia Kristeva, op. cit., p. 283.
36 « Todo es cuestión de punto de vista », « Enseñar la otra cara de la moneda », « Dinamitar la superficie de los titulares », Olvidar Barcelona, op. cit.
37 « Black.- No es una plaza, es un cementerio. Reposan los héroes de la patria… Ahora los niños moros juegan a la pelota. », ibid., p. 55.
38 Carles Batlle : « Me gusta trabajar en espacios [...] heterotópicos, espacios en los que el tiempo se acumula y se superpone, como en los museos, los cementerios, las bibliotecas […] En todos mis textos […] nos encontramos con configuraciones espaciotemporales que acaban rompiendo la idea de proceso y acaban dando una cierta noción de circularidad. », cité par Pere Riera, op. cit., p. 17.
39 Claude Clanet, op. cit., p. III.
40 Ibid., p. III et p. XIII.
41 Ibid., p. VII.
42 G. Devereux, Essais d’ethnopsychiatrie générale, Paris, Gallimard, 1977, p. 5, cité par Claude Clanet, ibid., p. XVI.
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