L’Ailleurs mythique, naturel et politique de Amazonas en las Indias de Tirso de Molina
p. 55-80
Résumés
Le second volet de la Trilogía de los Pizarros, Amazonas en las Indias, offre une représentation du Nouveau Monde comme d’un Ailleurs complexe qui mêle dimensions mythique, naturelle et politique. Comme a pu récemment l’évoquer Mercedes Blanco dans une contribution sur la représentation des Amazones dans cette œuvre, la trame repose sur la conjonction du merveilleux invraisemblable – les noces contrariées de la Reine des Amazones avec don Gonzalo Pizarro – et d’une intrigue historique, non seulement vraisemblable, mais positivement documentée et attestée. Nous tentons, dans cette étude, de nous pencher sur l’écriture singulière de cette représentation double des « Indes » qui repose avant tout sur une transposition américaine du vieux mythe des Amazones, dont les sources antiques avaient été citées et adaptées par des humanistes comme Pedro Mexía dans sa Silva de varia lección. La dimension magique de ces créatures (leur capacité de prédiction, leur rapport à l’espace et au mouvement, leur lucidité sur le destin brisé de Gonzalo Pizarro) jette, de manière inattendue, une lumière sur l’Ailleurs politique que constitue le Nouveau Monde : s’y expriment en effet la tentation d’une souveraineté indépendante et l’aspiration à la création d’un modèle politique distinct de celui de la monarchie espagnole – toutes deux suscitées par l’expérience américaine.
El segundo elemento de la Trilogía de los Pizarros, Amazonas en las Indias, propone la representación de un nuevo mundo como un « Ailleurs » complejo en el que se mezclan la dimensión natural con la política y la mítica. Ta como lo demostró Mercedes Blanco en una reciente contribución sobre la representación de las Amazonas en esta obra, la trama estriba en la conjunción d eun maravilloso inverosímil y de una intriga histórica, no sólo verosímil sino documentada y atestiguada por los documentos. El presente estudio nos permite analizar la escritura de esta doble representación de las Indias, fundada esencialmente en una transposición americana del viejo mito de las Amazonas, cuyas fuentes antiguas fueron adapatads por humanistas como Pedro Mexía en su Silva de varia lección. La dimensión mágica de estas creaturas (su capacidad de predicción, su lucidez respeto al destino roto de Gonzalo Pizarro) enfoca de otra manera este « Ailleurs » político que fue el Nuevo Mundo : ahí se expresa la tentación de una soberanía independiente y el afán de crear un modelo político distinto del de la monarquía española – ambas suscitadas por la experiencia americana.
Texte intégral
Les réflexions que peut mener un critique actuel sur l’Ailleurs à l’âge classique sont marquées du sceau d’un paradoxe pour le moins étrange. La représentation de l’Ailleurs, dans l’Espagne que l’on nomme du Siècle d’or, repose sur un postulat qui est que nous connaissons le propre, la singularité et l’identité de la période sur laquelle nous nous penchons et que, par conséquent, nous ne devrions pas éprouver de difficulté à identifier l’altérité et la différence – qu’elles fussent chronologiques, géographiques, culturelles ou anthropologiques. Un tel manque de discernement pourrait prêter à sourire lorsqu’il s’agit de se réapproprier, par une démarche critique, une société vieille de quatre siècles et qui, par bien des aspects, nous est devenue étrangère. Aussi ne peut-il être question que d’une reconstitution duale – celle du propre et de l’autre, de l’Ici et de l’Ailleurs – qui ne doit pas être aveuglée par ses propres catégories. L’orthodoxie religieuse, sociale et culturelle ne s’est-elle pas fondée en partie, au cours de l’histoire moderne européenne, sur des savoirs et pratiques qui auraient dû lui être contraires ? L’on rappellera, à titre d’exemple, l’entreprise scientifique très convaincante menée par des chercheurs italiens sur la diversité culturelle alle radici dell’Europa et qui offre des contributions précieuses pour l’étude de la constitution de la culture européenne1.
1Il nous faudra toutefois supposer que nous pouvons nous appuyer sur une vision globale du substrat culturel espagnol classique afin de penser un Ailleurs parmi d’autres : celui ébauché par un discours fictif – une trilogie théâtrale rédigée dans les années 1620 – et qui prétend rendre compte de la nouveauté inouïe qu’a pu constituer la découverte du Nouveau Monde. Il ne saurait question ici de rappeler à quel point les premières chroniques expriment le caractère pratiquement impensable de l’expérience vécue par les conquérants ; elle semble ébranler l’ensemble du dispositif de représentations classiques et ne peut se soumettre à certains schémas interprétatifs, qu’ils soient millénaristes, bibliques ou mythologiques. Nos seuls atouts et aides pour comprendre ce caractère impensable sont précisément les textes eux-mêmes qui tentent de surmonter ces obstacles pour nous donner à lire cet Ailleurs qu’ils mettent en scène. L’on gardera bien présent à l’esprit ces remarques clairvoyantes et lumineuses de Montaigne au début de son essai sur les cannibales :
J’ay eu long temps avec moy un homme qui avoit demeuré dix ou douze ans en cet autre monde qui a este découvert en nostre siecle, en l’endroit où Vilegaignon print terre, qu’il surnomma la France Antartique. Cette découverte d’un païs infini semble estre de considération. Je ne sçay si je me puis respondre que il ne s’en face à l’advenir quelqu’autre, tant de personnages plus grands que nous ayans esté trompez en cette-cy. J’ay peur que nous avons les yeux plus grands que le ventre, et plus de curiosité que nous n’avons de capacité. Nous embrassons tout, mais nous n’étreignons que du vent2.
Comment mesurer cette « capacité » à aborder, conquérir, peupler un nouveau territoire ? Est-elle dissociable de l’aptitude à le décrire ? Montaigne soulignait qu’il avait dû se fier à un témoin unique dont la parole lui paraissait fiable et il semble en effet, comme le remarque Pierre Villey, qu’il n’ait pas recouru à l’abondante littérature cosmographique qui circulait à l’époque3. Aussi son interrogation porte-t-elle, de manière indissociable, sur l’altérité de ces « sauvages » ou « barbares » et sur les valeurs morales et culturelles qui constituent notre propre civilisation, comme si toute démarche de description de l’Ailleurs ne pouvait faire l’économie de ce regard porté sur ce que nous sommes4.
2Cette tension entre civilisation européenne et caractère primitif des cultures découvertes lors de la Conquête est également présente – nous y faisions allusion à l’instant – dans les différentes chroniques américaines qui nous sont parvenues. Elles fondent à leur manière une sorte d’anthropologie qui s’attache à retracer précisément les habitus, mœurs et règles qui gouvernent la vie des tribus rencontrées car – comme l’écrit Bernadino de Sahagún – « estas gentes todas son nuestros hermanos, procedientes del tronco de Adam como nosotros, son nuestros próximos a quien somos obligados a amar como a nosotros mismos5. » Afin de porter témoignage de ces singularités qui échappent à l’esprit européen, de captiver le lecteur en lui représentant le caractère inouï des choses vues, les chroniques s’appliqueront à édifier un Ailleurs qui repose aussi bien sur une expérience directe – le concept humaniste d’experiencia est, à cet égard, omniprésent et se fonde sur un usage exacerbé des sens et des facultés de l’âme – que sur une remémoration de traditions textuelles, notamment grecques et latines. On n’insistera jamais assez sur la similarité d’intention et de démarche qui existe dans la description du Nouveau Monde et dans la redécouverte de la source grecque et latine. À cet égard, comme a pu le souligner Claude Lévi-Strauss,
Quand les hommes de la fin du Moyen-Age et de la Renaissance ont découvert l’antiquité gréco-romaine, et quand les Jésuites ont fait du grec et du latin la base de la formation intellectuelle, n’était-ce pas une première forme d’ethnologie ? On reconnaissait qu’aucune civilisation ne peut se penser elle-même, si elle ne dispose pas de quelques autres pour servir de termes de comparaison. La Renaissance a retrouvé, dans la littérature ancienne, des notions et des méthodes oubliées ; mais plus encore, le moyen de mettre sa propre culture en perspective, en confrontant les conceptions contemporaines à celles d’autres temps et d’autres lieux6.
Ces deux sources d’écriture, fondées sur le modèle antique et l’expérience, vont guider constamment la rédaction de l’œuvre et, par leur entrelacement, donner naissance à des figurations de l’Ailleurs hybrides.
3Dans cette perspective, un texte s’est d’une certaine façon imposé à nous dans la profondeur et complexité de sa représentation du Nouveau Monde : il s’agit de la deuxième pièce de la Trilogie des Pizarre de Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, œuvre dont l’action se déroule en intégralité au Nouveau Monde et dont le sens est apologétique. Ce second volet, rédigé – selon l’enquête de Miguel Zugasti7 – très probablement après les deux autres œuvres, exalte en effet les vertus de Gonzalo Pizarro, l’un des célèbres ancêtres du protecteur et ami de Tirso, Juan Fernando Pizarro, qui obtint tardivement une reconnaissance de la couronne pour les prouesses de ses ancêtres et fut nommé « Marqués de la Conquista » le 8 janvier 1631. Cette œuvre offre le récit de l’histoire mouvementée du frère cadet de Francisco Pizarro, Gonzalo, qui est passé à la postérité comme l’une de ces nombreuses figures de conquistadors traîtres et félons, hantées par la quête de l’or et le rêve d’une sécession de la couronne d’Espagne. La trilogie tirsienne a ainsi pu être considérée par certains critiques comme une œuvre de commande tant elle semble motivée par une volonté de réhabilitation de son protagoniste. Or, cette entreprise clairement affichée de restituer sa place à l’une des figures de conquérants les plus controversées repose sur un usage complexe et inattendu de l’Ailleurs péruvien et amazonien qui tient lieu d’espace à l’intrigue. En effet, l’Ailleurs qui s’offre au lecteur comporte différentes dimensions dans la mesure où il se réfère à la fois à une géographie, à une nation guerrière et mythique – les Amazones – et à une certaine évolution des rapports entre les représentants de la monarchie d’Espagne et cette même monarchie.
4 Avant d’étudier les différentes strates de ce discours, il convient d’ajouter que Tirso jouissait effectivement de ces deux grandes sources de figuration – l’expérience et la culture livresque – que nous avons pu mentionner voici peu. Il avait été envoyé à Saint Domingue par l’ordre des Mercédaires et y avait séjourné durant les années 1616-1618. La Historia General de la Orden de Nuestra Señora de las Mercedes, rédigée par Tirso de Molina en 1637, offre des précisions sur les missions que remplit le groupe de moines auquel appartenait F. Gabriel Téllez8. À cette connaissance de première main s’ajoute toute une série de rencontres9 ainsi que des lectures faites par Tirso et que Miguel Zugasti côtoie avec les textes tirsiens dans son étude critique de la Trilogie : la Historia del descubrimiento y conquista del Perú de Agustín de Zárate (1555), los Comentarios reales de l’Inca Garcilaso de la Vega10 (1609), los Varones ilustres de Fernando Pizarro y Orellana (1639) dont Tirso avait eu connaissance du manuscrit11. Ces connaissances, on en conviendra, d’une très grande variété, alliées à des souvenirs de lectures grecques et latines, vont donner à Tirso la matière d’une représentation complexe de l’Ailleurs américain. En ce sens, comment le dramaturge parvient-il à forger une représentation de l’Ailleurs susceptible d’inverser les signes négatifs de la figure de Gonzalo ? De quelle nature est l’Ailleurs ainsi constitué et fièrement représenté par le peuple des Amazones ? Cette représentation d’une altérité culturelle ne doit-elle pas être comprise comme complémentaire d’autres figurations de l’Ailleurs ?
5Aussi, afin de retracer clairement les différents éléments de cette représentation, nous concentrerons-nous tout d’abord sur l’Ailleurs mythique qu’incarnent, de manière évidente, les Amazones avant d’aborder l’Ailleurs historique de la découverte et de la conquête avec l’étude du discours sur les merveilles et curiosités du Nouveau Monde dans Amazonas en las Indias. Nous verrons à quel point ces deux formes de l’Ailleurs sont dépassées par le sens politique de l’œuvre qui sert le projet global de réhabilitation de la figure de Gonzalo Pizarro.
L’Ailleurs myhtique des amazones
6Dès les premiers vers de l’œuvre, le début abrupt de l’œuvre nous plonge dans une scène de combat où apparaissent des figures connues du lecteur et spectateur :
Menalipe
Matadme estas harpías
que con presencia humana
el privilegio a nuestra patria quiebran,
no pierdan nuestros días
la integridad antigua, aunque inhumana,
que ilustran tantos siglos y celebran.
No estas arenas pisen
plantas lascivas de hombres
que, obscureciendo nuestros castos nombres,
cobardes por el mundo nos avisen
que no sabemos abatir coronas.
¡À ellos, invencibles Amazonas!12
Le mythe d’un peuple de guerrières avait en effet connu une continuation insoupçonnée depuis que l’expédition conduite par Orellana, qui descendit l’Amazone (alors nommé Marañón) sur plusieurs milliers de kilomètres jusqu’à l’embouchure du fleuve, avait souffert – selon le récit des témoins et des chroniqueurs – l’attaque de femmes d’une grande habileté dans le maniement des armes. Gaspar de Carvajal évoque ainsi avec détail leur apparence physique et leur courage alors qu’elles dirigent les Indiens lors des combats avec les Espagnols :
Quiero que sepan cuál fue la causa por qué estos indios se defendían de tal manera. Han de saber que ellos son sujetos y tributarios a las amazonas, y sabida nuestra venida, vánles a pedir socorro y vinieron hasta diez o doce, que éstas vimos nosotros, que andaban peleando delante de todos los indios como capitanas, y peleaban ellas tan animosamente que los indios no osaron volver las espaldas, y al que las volvía delante de nosotros le mataban a palos, y ésta es la causa por donde los indios se defendían tanto. Estas mujeres son muy blancas y altas, y tienen muy largo el cabello y entrenzado y revuelto a la cabeza; y son muy membrudas y andan desnudas en cueros, tapadas sus vergüenzas con sus arcos y flechas en las manos, haciendo tanta guerra con diez indios; y en verdad que hubo mujer de éstas que metió un palmo de flecha por uno de los bergantines, y otras que menos, que parecían nuestros bergantines puerco espín13.
Si – comme le souligne Mercedes Blanco – Carvajal ne pousse pas l’analogie jusqu’à son terme et ne fait pas référence explicitement aux Amazones des mythes antiques, Lope de Vega et, bien plus encore, Tirso de Molina vont élaborer une généalogie fondée sur une compilation d’autorités, principalement celles de Diodore de Sicile, d’Arrien et de Quinte-Curce14.
7Les Amazones possédaient en effet une histoire fort ancienne qui, au moment où Tirso entreprend la rédaction de cette œuvre, ne connaissait pas encore de prolongements américains en littérature alors même que, dès les années 1493-1495, certains chroniqueurs dont Christophe Colomb15, avaient avancé un rapprochement entre certaines indiennes et les Amazones antiques16. Ces figures mythologiques et irréelles faisaient en effet partie de la culture commune de tout public lettré de l’époque et il suffit à ce titre de songer aux chapitres x et xi de la Primera parte de la Silva de varia lección de Pedro Mexía qui leur sont intégralement consacrés. Mexía y offre une synthèse de différentes sources antiques afin de bâtir ce que l’on pourrait appeler un véritable modèle de vie qu’incarneraient ses femmes, devenues maîtresses dans l’art de la guerre alors que « de una sola cosa paresce que se pueden preciar los hombres y dicen que les hacen notoria ventaja [a las mujeres], que es en las armas y ejercicio militar17. » Le texte de la Silva ne mentionne à aucun moment d’héritières contemporaines de ces lointaines Amazones et elles semblent par là même être cantonnées dans un éloignement spatial, temporel et ethnique qui leur confère une dimension mythique18. Comment peut-on comprendre ce recours à la figure des Amazones ? S’agit-il d’une difficulté afin de penser le réel – ce Nouveau Monde varié et ondoyant – selon des catégories neuves et appropriées ? Il semblerait que, dès le texte de Carvajal, nous assistions à une forme de synthèse culturelle entre les mythes grecs et la conquête américaine qui donne naissance à une épopée riche de résonances utopiques et uchroniques.
8Ainsi, dans l’œuvre tirsienne, derrière cette réapparition de figures bien connues, s’organise une grande complexité de représentations, un écheveau où se mêle érotisme, caractère merveilleux et mystérieux, mythe et, bien sûr, histoire et représentation communautaire.
Dimension guerrière, érotique et magique : une évocation initiale fascinée
9Le début de Amazonas en las Indias nous offre une représentation des Amazones fondée sur une analogie avec les protagonistes des « fábulas que en Grecia / Alejandro, por ser de Homero, precia19. » Cette force belliqueuse coexiste avec la beauté dans une vision fascinée qui conduit Gonzalo à abaisser son arme et à s’exclamer :
Aquí Naturaleza
el orden ha alterado
que por el orbe todo ha conservado,
pues las hazañas junta a la belleza20.
C’est ainsi que se constituent deux couples – Ménalippe et Gonzalo, Martésie et Caravajal – qui s’affrontent avant de céder à un élan amoureux. Le texte célèbre de manière répétée cette dualité qui domine les figures des Amazones et font d’elles des guerrières érotisées liées à un Ailleurs aux lois mystérieuses :
Gonzalo
Bizarro aliento, airosa valentía;
feliz región que prodigiosa cría
en tan remota parte
a Venus tierna transformada en Marte21.
Le caractère surnaturel de ces créatures s’accompagne d’une connaissance linguistique parfaite du Castillan, trait qui leur confère un caractère magique dont elles seront parées tout au long de l’intrigue
Caravajal
¿En qué anales, archivos o memorias
has aprendido historias
si en tan remoto clima
( ¡oh bárbara arrogante toda enigma!)
no hay quien saber presuma
los útiles desvelos de la pluma?
¿Cómo hablas el idioma
que España por sus minas ferió a Roma?
¿Quién te enseñó el estilo
de la elocuente lengua castellana?22
À cette interrogation, Martésie, la sœur de la Reine qui exerce le gouvernement effectif, répond en se qualifiant de « oráculo », capable de déchiffrer l’ensemble des signes de la nature, des mystères de contrées que les Espagnols ne font que découvrir peu à peu. Le culte du merveilleux et de l’invraisemblable est alors de mise afin de donner à ces figures leur statut mythique et surnaturel :
Martesia
Dudas discreto, pero no te espantes,
que tal divinidad mi pecho encierra
que oráculo soy, pasmo desta tierra.
Los hombres y los brutos
veneran mis preceptos absolutos;
los tigres, los leones,
sierpes y basiliscos,
habitadores desos arduos riscos,
vendrán, si los convoco, en escuadrones;
las islas animadas,
promontorios de escamas y espinas
(ballenas digo), de mi voz forzadas
cubrirán estas olas cristalinas
y desde ellas poblando estas arenas
alistaré caimanes y ballenas.
No están de mis conjuros
los astros, los planetas, tan seguros
que si les doy un grito
no truequen por mis plantas su distrito.
Escalas pongo al cielo,
sobre los vientos vuelo
y a imitación del sol que al indio admira,
mi agilidad, como él, los orbes gira23.
Dans ces propos quelque peu fanfarons de Martésie se dessine donc un monde magique dans lequel se manifestent différentes forces cosmiques, d’animaux qui s’inscrivaient dans le cadre d’un bestiaire américain en pleine constitution24. Aussi assiste-t-on, dans cette scène inaugurale, à une opposition très nette entre le caractère historique et attesté des personnages de Gonzalo Pizarro y Diego Caravajal et la dimension irréelle et merveilleuse des deux sœurs amazones. Ce contraste semble paradoxalement donner lieu à un renversement de l’animosité en inclination amoureuse, comme si cette érotisation fantasmatique de l’ennemie les élevait au rang d’égales des Espagnols dans une épopée américaine. De la sorte, ce commencement qui nous place dans la tension même de l’action permet de tisser la trame d’une intrigue amoureuse qui annonce des noces futures et virtuelles.
La République des Amazones : un Ailleurs imaginaire et livresque
10Le combat initial laisse ainsi place à une longue tirade de la Reine Ménalippe qui retrace l’histoire violente et exclusive de la génération et reproduction de son peuple. Cette reconstitution exhaustive du passé des Amazones, qui repose sur de nombreux emprunts livresques antiques (notamment l’Énéide) et modernes (Pedro Mexía), établit un lien direct entre le peuple grec des Amazones et leurs descendantes américaines. En outre, il convient d’ajouter que Tirso rédige son œuvre à un moment où le mythe des Amazones connaît un regain d’intérêt à travers les œuvres de Lope de Vega (Las mujeres sin hombres, Las justas de Tebas y reina de las Amazonas) y celle de Solis (Las Amazonas). Toutefois, au-delà de l’érudition de première ou de seconde main ici déployée, de l’effet de mode qui – à l’évidence – accompagne Amazonas en las Indias, la continuité mythique s’avère absolument fascinante et retient toute une série de traits et de motifs qui contribuent à créer un ailleurs hybride et déroutant. Il nous semble dominé par une dimension historique, politique (la constitution d’une République soumise à la potestas féminine, ce que Marcelino Menéndez Pelayo nomme à juste titre une « ginecocracia25 »), érotique (avec la description de corps qui, dans la génération, épuisent, éreintent, anéantissent d’autres corps) et, enfin, l’expression d’une puissance prophétique qui va servir, comme nous le verrons, le déroulement de l’action.
11Dans cette tirade, Ménalippe, Reine des Amazones, présente les différents moments et mutations de l’histoire de son peuple, depuis ses lointaines origines « más ha de trecientos siglos26 ». Ces temps et espaces que les femmes guerrières traversèrent attestent de leur vitalité et d’une décision ferme, génération après génération, de maîtriser leur destin en conquérant de nouvelles terres, en fondant de nouvelles cités et en prospérant :
Creció a número infinito
la república matrona,
que la templanza en la Venus
más fértiles frutos logra,
y conquistando provincias
comarcanas, las remotas,
siempre invencibles, debelan
hasta que el solio colocan
de su imperio formidable
en la ciudad que ambiciosa
al orbe leyes impuso
y el cielo escalar blasona27.
Elles finissent par connaître leur première défaite née de la ruse de Thésée et de la puissance d’Hercule, et cet échec, loin de donner lieu – comme dans la Silva de varia lección – à un mouvement de retraite qui amorcerait une forme de déclin, les conduit au contraire à s’exiler et à rechercher de nouvelles terres. Les Amazones vont en effet s’égarer pour aborder un nouvel espace et entreprennent donc, des siècles avant les Conquistadors, une traversée des mers qui leur permet de découvrir le Nouveau Monde après avoir franchi les mers gelées du Septentrion :
Las reliquias derrotadas,
sin que se aproveche la sonda;
sin que el timon obedezca
ni el arte velas recoja,
siguen incógnitos rumbos
y sin saber su derrota
piélagos un mes naufragan
hasta que al fin los emboca
por ese monstruo de rios,
ese hidrópico que agota
pecheras inmensidades
que pródigo al mar otorga28.
Le courage des « argonautas heroicas » fait d’elles des égales des Espagnols et, au fil de l’évocation de la « antigua ascendencia29 » de Ménalippe, se crée une forme de correspondance de rang et de noblesse avec la famille des Pizarro qui justifie et appuie la demande conjugale. Toutefois, cette dimension historique est loin d’épuiser l’Ailleurs que le texte tirsien nous présente tant la description des lois de reproduction des Amazones nous offre une représentation beaucoup plus fantasmatique et étrangère. La société des Amazones se soumet en effet à des règles et pratiques d’une radicale altérité face aux chrétiens parce qu’elles supposent un principe de sélection et d’élimination au sein même de la reproduction :
Menalipe
Sólo en los meses que adorna
de flor Amaltea los campos
y el sol al Géminis dora,
de la nación más cercana
tantos varones convocan
cuantos basten a suplir
las que la muerte nos roba,
sucediéndolas fecundos
individuos que antepongan
el gusto la libertad,
siempre en los nobles preciosa.
Los que mujeres no nacen,
desde el pecho a las congojas,
desde la cuna a las aras,
desde la luz a las sombras,
siendo su madre el ministro,
filos al acero embota
y al simulacro dedica
blanca sangre en leche roja.
Pero la que sale a luz
hembra feliz, alboroza
con regocijos el pueblo
conduciéndola la pompa
festiva al templo y sus aras,
donde la queman o cortan
el pecho izquierdo que el arco
el noble ejercicio estorba30.
La génération est en ce sens inséparable de l’application de critères rigoureux qui vise, d’une part, à ne remplacer que le strict nombre d’individus qui auraient disparu et, d’autre part, à ne laisser vivre et à n’intégrer dans la communauté que les enfants de sexe féminin. Ces dernières sont en effet initiées en grande pompe et amputent leur corps d’un symbole de la féminité afin de le masculiniser et de façonner une anatomie guerrière. Cette description est, en dépit du caractère topique qu’elle a pour un lecteur actuel, beaucoup plus violente et novatrice qu’il n’y semble ; Pedro Mexía offrait dans la Silva de varia lección une version qui ne débouchait pas sur l’anéantissement des hommes, qu’ils fussent géniteurs ou enfants :
Que ciertos tiempos sus maridos se juntasen en lugar señalado, donde estaban en su compañía algunos días, hasta que se sentían o sospechaban estar preñadas, y vueltas a sus tierras y términos, si lo que habían concebido nacía hembra, criábanla imponiéndola en las armas y ejercicios de hombres, en cabalgar a caballo, en cazar y montear; y si era varon, enviábanlo a sus padres, que los criaban31.
Cette sévérité de la loi, fondée sur une puissance absolue des femmes, véritables « mujeres varoniles », a permis de constituer une république unie qui a pu dominer peu à peu l’ensemble des peuplades qui les entourait :
Menalipe
Fundan pueblos, labran campos,
república y reino forman
y prosiguiendo sus leyes,
ínclitas progenitoras
fueron nuestras conquistando
sus decendientes famosas
cuantas naciones vecinas
sus montes y valles moran32.
Cette société repose en outre sur une double puissance qui est celle de la potestas et de la magie, qu’incarnent les deux sœurs Ménalippe et Martésie dont le pouvoir s’étend bien au-delà des territoires américains, ce qui leur confère une dimension encore plus irréelle :
quien a Menalipe nombra,
que es mi fatal apellido,
la rodilla al suelo postra
y como a casi deidad
pone en la arena su boca.
Martesia, sacerdotisa
y mi hermana, prodigiosa
en las armas y las ciencias,
la diadema destas goza
tan sabia que si conjura
esas aguas, esas rocas,
esos brutos, esas plantas,
los fuerza a que le respondan
y avisen de cuanto pasa
desde la adusta Etiopia
hasta la helada Noruega
que el sol seis meses ignora33.
Aussi Gonzalo doit-il entendre qu’il a en face de lui une société parfaitement organisée, dont les richesses immenses lui sont livrées par Ménalippe lors d’une demande d’alliance – « Admíteme por tu esposa ; / derogaránse mis leyes34 » – que Gonzalo va interpréter comme une possibilité de pacifier le Pérou tout en le soumettant à l’autorité de Charles Quint. Cette possibilité d’alliance, dont on a pu constater qu’elle était légitimée par l’équité de condition et de caractère des protagonistes – qu’il s’agisse du traitement a lo serio pour le couple Ménalippe/Gonzalo ou a lo cómico en ce qui concerne Martésie et Caravajal –, resurgit à plusieurs reprises ; aussi peut-on la voir apparaître sous une modalité prophétique et lyrique dans le troisième acte avec une déclaration de Martésie puis de Ménalippe35. Le versant le plus sérieux ou grave de ces épousailles ressortit à l’évidence de l’héritage antique qui nous invite, par l’intermédiaire de Mexía, à privilégier une comparaison entre Gonzalo Pizarro et Alexandre le Grand puisque ce dernier, alors qu’il était en la province d’Hircanie, reçut la visite de la Reine Talistris : les deux Rois conclurent alors un pacte sur l’enfant qui devait naître de leur relation36.
12L’œuvre tirsienne offre donc une représentation d’une grande complexité du mythe des Amazones qui se fonde sur une inscription du mythe et de ses différentes dimensions – historique, généalogique et politique – dans l’espace américain. Les sources livresques antiques, compilées et reformulées par Pedro Mexía, se mêlent aux fantasmes et au travail de l’imagination de Tirso qui s’attache à faire ressortir différents traits mythiques et à en constituer une véritable série. Elle diffère très nettement de la vision des Amazones que Lope expose avec beaucoup d’ingéniosité dans la pièce dédicatoire à María Leonarda de Las mujeres sin hombres :
No es disfavor del valor de las mujeres la Historia de las Amazonas, que, a serlo, no me atreviera a dirigirla a VM; antes bien las honra y favorece, pues se conoce por ella que pudieran vivir solas en concertada república, ejercitar las armas, adquirir reinos, fundar ciudades y dar principio a una de las maravillas del mundo, que fue el templo de Diana en Efeso. Hubo antiguamente muchas, y en diferentes partes; de las africanas hace memoria Beroso; de las scíticas Diodoro, que éstas fueron las que mataron a sus maridos, y que jamás fueron vencidas de Hércules si Antiopía, en Temiscira, no se enamorara de Teseo; claro estaba que el valor de mujeres determinadas sólo con la blancura del amor podia ser vencido. De alguna lo fue Alejandro, visitando en Hircania (como refiere Justino) a Thalestris, su hermosa reina, que llevaba en su compañía trescientas mil mujeres. […] pues en aquella república, ni hacían labor, ni tenían celos, ni las maltrataban sus maridos, y de diez a diez años eran sus partos, que no es la que menos acaba sus vidas y consume sus hermosuras37.
Il ne s’agit donc ici que d’un geste de compilation et de reprise des différents éléments du mythe que le public lettré avait à disposition. Lope achève son développement sur les Amazones en offrant quelques remarques critiques sur le mythe et un très bref prolongement américain : « Arriano y Jenofonte se rien de la fabula ; yo las hallo en Virgilio y en todos los autores, y no sólo en aquellos tiempos, sino tan cerca de nuestra edad que el viaje de Magallanes fueron vistas, si no mienten las relaciones de Sebastián del Cano y de Gonzalo de Oviedo38 […] ».
13Toutefois, aussi bien dans le cas de Lope que dans celui de Tirso, peut-on parler de l’Ailleurs comme d’un ensemble de références qui bouleverserait ou, tout du moins, irait à l’encontre des habitudes culturelles et du monde du lecteur ? Nous avons en effet pu rappeler l’ascendance européenne des Amazones, les liens étroits que leur histoire tisse avec celle de l’Antiquité grecque, l’importance des valeurs aristocratiques et royales qui ne fait qu’offrir une incarnation apparemment extérieure à une obsession castillane. Pour reprendre la terminologie grecque, elles n’atteignent le statut de « barbare » que par certains de leurs rites, certaines de leurs valeurs mais contribuent à forger une histoire commune avec la civilisation grecque comme le précise François Hartog en commentant les Histoires d’Hérodote :
Il y a les Grecs d’un côté et les Barbares de l’autre, qui se définissent en s’opposant: nul besoin, semble-t-il, de s’expliquer davantage, chacun le sait, chacun comprend. Mais, notons-le d’emblée, les uns comme les autres requièrent l’historien de relever les traces de ce qu’ils ont accompli de grand et d’en garder mémoire. Acteurs antagonistes, ils n’en font pas moins ensemble l’histoire des hommes39.
Le caractère profondément irréel et invraisemblable des figures de Ménalippe et Martésie, étudié précisément par Mercedes Blanco40, nous amène à considérer que ces personnages accompagnent l’intrigue sans y prendre part de manière déterminante : à aucun moment, leurs vaticinations et pronostications ne peuvent déjouer le cours de l’histoire. L’Ailleurs hybride qu’elles incarnent, marqué par un éloignement chronologique (la Grèce archaïque d’avant la guerre de Troie, période choisie par Diodore de Sicile), une différence de lois et de codes politiques, et la proximité physique et aristocratique, ne peut prendre toute son ampleur, notamment sur le plan dramatique, que dans l’Ailleurs immédiat, naturel et déroutant de l’espace américain.
L’Ailleurs géographique de la découverte de la conquête : merveilles et curiosités du Nouveau Monde
14L’inscription mythique des Amazones dans l’espace américain s’est accompagnée de la création d’un Ailleurs réaliste et vraisemblable défini par un territoire aux caractéristiques naturelles prodigieuses. Miguel Zugasti, dans son étude liminaire à la Trilogie des Pizarre, a pu montrer l’extrême variété et le maniement précis des sources utilisées par Tirso de Molina et dont nous avons pu citer certaines d’entre elles : los Varones ilustres de Pizarro y Orellana, los Comentarios reales de l’Inca Garcilaso de la Vega, la Historia del descubrimiento y conquista del Perú d’Agustín de Zárate. Ces apports minutieusement choisis participent d’une volonté de légitimer l’entreprise apologétique de la Trilogie en délimitant un espace vraisemblable et qui puisse éclairer le lecteur sur les lois qui y règnent.
15Les épisodes de la conquête relatés par Amazonas en las Indias doivent refléter l’extrême dureté de cet Ailleurs américain et permettre que le lecteur imagine les conditions aliénatrices de la découverte. Ainsi est-il, tout particulièrement, pour la fameuse expédition consacrée à la recherche de l’arbre de la cannelle qui fut, comme le rappelle Bernard Lavallé, un désastre dans lequel semblaient s’être accordées toutes les forces destructrices des éléments naturels :
Ayant laissé Pedro Puelles en qualité de lieutenant dans la ville [de Quito], Gonzalo se dirigea vers la région connue sous le nom de province de Quijos. Tout se ligua contre les Espagnols. Aux épreuves bien connues de ce genre de raid, s’ajouta la résistance des Indiens déterminés à repousser ces envahisseurs, comme ils l’avaient fait jadis avec succès des Incas. Un tremblement de terre particulièrement fort secoua la région, accompagné d’orages impressionnants qui terrorisèrent hommes et bêtes. Avant d’entrer dans la forêt, il fallut affronter la cordillère orientale, son froid et ses neiges. Puis, pendant près de deux mois, la colonne avança sous un déluge qui ne s’arrêtait jamais. Le bétail de bouche, les porteurs indiens et de nombreux Espagnols n’y résistèrent pas. Les provisions, les vêtements pourrissaient, et il était impossible de trouver sur place quoi que ce soit pour les remplacer41.
Cette expédition va faire l’objet d’une très longue et belle tirade de Caravajal qui entend retracer la découverte progressive d’un monde étrange, inhospitalier et inconnu42. Cette longue évocation, nourrie par la lecture de la chronique de Agustín de Zárate43, des Varones ilustres de Pizarro y Orellana ainsi que des Comentarios reales de l’Inca Garcilaso de la Vega, s’efforce de restituer les innombrables épreuves et obstacles liés à l’exploration de ce nouveau territoire et à la quête – qui s’apparente à une sorte de folie – d’un arbre connu par les descriptions mystérieuses qu’en font les Indiens. L’Ailleurs est ici marqué par une expérience de la profusion naturelle et de la démesure dont le récit de Caravajal prétend traduire la teneur affective et physique ; le franchissement des Andes offre ainsi une série de considérations ascendantes et descendantes qui conduisent vers des lieux chaque fois plus reculés.
Carvajal
Encaramados, en fin,
sobre las cándidas cimas
de los peruleros Andes,
pudimos tender la vista
por infinidad de tierras
cuyas poblaciones ricas,
templos, palacios y casas
nos parecieron hormigas ;
y bajando con los ojos
en los pies, catorce días
gastamos en vericuetos,
ya a gatas, ya de cuclillas.
dimos en un valle al cabo
que el Marañón fertiliza
de yucas y de maizales,
cuyas gentes se apellidan
zumacos, donde un volcán
sobre una sierra vomita
cerros enteros de llamas
la vez que se encoleriza44.
C’est dans cette longue description que s’affirme, chez Tirso de Molina, le goût de narrer les faits les plus marquants et extraordinaires de la conquête. Il situe ainsi l’objet de la quête de Gonzalo dans son contexte géographique et naturel :
Caravajal
Son unos árboles estos
que a los laureles imitan
en las siempre verdes hojas,
con ramas tan presumidas
que se burlan de las flechas
sin que se osen a sus cimas.
Su corpulencia tan grande
que no es posible la ciñan
tres personas con los brazos;
su flor blanca y amarilla;
su fruto ciertos capullos
que se aprietan y arraciman
formando mazorcas dellos
y en cáscaras quebradizas
conservan menudos granos
que, sembrados, son semilla.
Es su forma de bellotas
y con una virtud misma
raíces, hojas, cortezas,
flor y fruto se asimilan
en el sabor y sustancia
a la canela que cría
el Oriente y por Europa
Portugal nos comunica45.
Cette description s’appuie sur un usage réitéré de l’analogie – « que a los laureles imitan », « Es su forma de bellotas », « se asimilan / en el sabor y sustancia/a la canela que crían » – et de l’hyperbole qui semble précisément dépasser l’analogie posée initialement. Vitalité excessive de cet arbre qui se manifeste à travers ses branches « tan presumidas / que se burlan de las flechas », sa « corpulencia » plus massive et impressionnante que ne le sont les proportions du corps humain, et ses fruits féconds dont les « menudos granos / […] sembrados, son semilla ». Chez Carvajal, le discours du chroniqueur, de l’apprenti naturaliste, témoignait de cette même difficulté expressive à traduire la démesure d’un Ailleurs naturel luxuriant :
Y en esta provincia de Zumaco, y en cincuenta leguas al derredor, hay la canela de que llevan noticia, que son unos grandes árboles con hojas como de laurel, y la fruta son unos racimos de fruta menuda que se crían en otros capullos; y aunque esta fruta y las hojas y corteza y raíces del árbol tienen sabor y olor y sustancia de canela, pero la más perfecta es aquellos capullos que son de hechura (aunque mayores) de los capullos de las bellotas de alcornoque; y aunque en toda la tierra hay muchos deste género de árboles silvestres que nascen y fructifican sin ninguna labor, los indios tienen muchos dellos en sus heredades y los labran, y así nasce dellos más fina canela que de los otros46 […].
Tirso suit donc la trame de l’évocation de Carvajal en y introduisant l’idée d’une circularité du cycle naturel potentiellement infini (le fruit broyé donne naissance à l’arbre) et en choisissant délibérément l’hyperbole qui porte la description à une dimension épique. Cette logique de représentation se manifeste également à travers la constitution d’un bestiaire américain, tendance qui se manifestait déjà dans le discours initial et magique de Martésie, ce que le discours de Caravajal énonce non sans une pointe d’humour :
Caravajal
Pero, ¡voto a Dios!, señor,
que entre plagas infinitas
que nos brumaron las carnes
sus cicatrices lo digan.
Cuando sufriéramos sólo
enjambres de sabandijas,
murciélagos de a dos varas,
arañas, tábanos, niguas…,
mereciéramos coronas
de mártires a adquirirlas
en los siglos dioclecianos
por la fe y no la codicia.
Mosquitos hay tan valientes
que taladran cuando pican
una bota de vaqueta,
porque son alesnas vivas.
Jijenes hay aradores
que imposibles a la vista
dan más dolor si ce ceban
que una azagaya morisca47.
Cette représentation du corps exténué par une nature luxuriante, foisonnante et agressive, était l’un des lieux communs de toutes les chroniques du Nouveau Monde, et Tirso de Molina ne pouvait faire l’économie de ce topos épique afin de placer son lecteur dans un environnement américain tel qu’il pouvait se le figurer. Au terme de cette énumération, se manifeste un goût pour le signifiant exotique, inaccoutumé – « niguas », « jijenes » – qui va connaître l’une de ses formes les plus achevées dans cette énumération de noms de peuples qui a causé quelques difficultés d’interprétation à l’éditeur scientifique du texte :
Caravajal
Pruébelo quien lo dudare,
que nosotros hechos cribas
y en púribus conquistamos
Mainas, Guemas, Urariñas,
Cerbataneros, Cocamas,
Tronchetos, Guainos, Paninas
y otros mil que a la ignorancia
darán, si los nombro, risa48.
Loin de se borner à ne suivre que la trame et les indications des différentes chroniques, le texte tirsien se livre ici à un jeu phonétique d’association des signifiants qui réunit des référents d’une très grande diversité puisqu’ils renvoient aussi bien à des tribus andines qu’originaires de l’actuel Vénézuela ou de la Basse-Californie.
16Aussi avons-nous tenté de retracer ici brièvement quelques traits de l’Ailleurs américain qui reposent sur des considérations qui mêlent géographie et naturalisme ; celles-ci confèrent à l’espace du Nouveau-Monde une dimension épique et aliénatrice et donnent de la découverte une représentation qui oscille entre douleur et émerveillement, souffrance physique et observation minutieuse et attentive de l’inconnu. Peut-on dire pour autant que cet exotisme avant l’heure renferme la part la plus profonde de l’Ailleurs textuel ? Ces considérations d’une radicale différence n’avaient-elles pas déjà toute leur place dans les récits de chroniques et les descriptions cosmographiques qui se multiplièrent à la Renaissance ? Il semblerait en effet que cet Ailleurs soit prévisible et attendu par le lecteur dans sa dimension naturelle et exotique mais non dans ses implications politiques.
Politique(s) de l’Ailleurs : sédition, violences et assainissement
17Il apparaît que l’Ailleurs américain prend toute sa mesure et acquiert un caractère d’une radicale altérité dans les conséquences politiques qu’il entraîne : en effet, comment déterminer un modèle de communauté qui puisse faire une place aux singularités du Nouveau Monde tout en conservant l’attachement indéfectible à l’autorité de Charles Quint ? Comment ne pas céder à cette folie de la « dégénération » qui touche nombre de Conquistadors espagnols et qui fait qu’ils renoncent aux valeurs qui faisaient leur noblesse et rendaient leur cause légitime – conquête des terres et richesses au nom de la Monarchie d’Espagne, évangélisation des Indiens, en somme les objectifs de la Conquête que la controverse des années 1540 avait contribué, sinon à définir, du moins à clarifier49. Dégénération, donc, fantasmée ou réelle, redoutée ou vécue : celle du Vice-Roi, de Carvajal, qui cesse d’être pour Gonzalo Pizarro le compagnon loyal qu’il avait été. Il convient de la sorte de se pencher sur différentes figures négatives de la politique qui nous semblent, d’une part, être la forme la plus radicale et la manifestation la plus inquiétante de l’Ailleurs américain et, d’autre part, être la fin même que poursuit l’œuvre tirsienne tout au long de la Trilogie en s’inspirant notamment des Varones ilustres de Pizarro y Orellana ainsi que des Comentarios reales de l’Inca Garcilaso.
18L’espace américain, par les différences majeures qu’il comporte par rapport au modèle européen, engendre toute une série d’actes de violences – guerres fratricides, comportements séditieux et perte de l’obéissance et du respect dus au Roi. C’est à cette marque violente de l’Ailleurs que nous allons consacrer un dernier ensemble de réflexions.
Tentations séditieuses et guerres fratricides
19En effet, dès le premier acte, la conversation qui oppose don Diego de Almagro el mozo et García de Alvarado nous situent au cœur du problème politique que pose Amazonas en las Indias : comment peut-on expliquer la dérive séditieuse de plusieurs conquistadors et – indissociablement – comment en exempter Gonzalo Pizarro ? On se souvient que Diego de Almagro el mozo vient de faire assassiner Hernando Pizarro pour venger la mort de son père, reconnu coupable peu avant de rébellion50. Dans ses propos, l’application stricte de la loi de vengeance débouche sur une vacance du pouvoir occupé par le « Marqués » Pizarro ; aussi Almagro s’exclame-t-il « Derecho al Pirú tengo ; si provoco / a España y a su rey, España intente / quitarme la corona de la frente51. » Le Conquistador souligne ainsi l’opportunité que constitue l’absence de Gonzalo empêtré dans l’expédition au pays de la cannelle52.
20À cette déclaration de félonie, due conjointement à une vacance des représentants du pouvoir monarchique et à un éloignement du Monarque, García de Alvarado incarne la loyauté à l’égard de Charles Quint :
Alvarado
Ya yo sé que estas verdades
la vida me han de costar,
pero yo he de conservar,
como noble, las lealtades
que me han dejado en herencia
mis padres y he de imitarlos.
No reina aquí sino Carlos;
quien se atreve a su obediencia
mancha su fidelidad.
García soy de Alvarado
que sabré en el campo armado
defender esa verdad53.
Le thème politique de la trahison, posé lors de cette épisode pour la première fois dans l’œuvre, ne fait que s’intensifier au fil de l’intrigue et en constitue la trame fondamentale. Il s’agit en ce sens, pour Tirso de Molina, de révéler quelle est la véritable félonie, la véritable révolte et, partant, de rétablir la vérité de l’histoire par un renversement des valeurs attachées à la figure de Gonzalo Pizarro. Projet qui peut paraître simple mais qui connaît toute une série de transpositions esthétiques et d’incarnations de la dégénération. Ainsi, la figure de Blasco Núñez de Vela représente précisément cette influence néfaste de l’Ailleurs américain dans la mesure où ce personnage développe les versants les plus sombres de sa personnalité et agit à l’encontre de la mission et de l’autorité qui lui avaient été confiées par Charles Quint. Une sorte de folie s’empare en effet du Vice-Roi et le convertit en un meurtrier cruel et injuste, qui multiplie les actes inacceptables qui sont autant d’indices de sa propre déchéance.
21Les récits présentant les forfaits du Vice-Roi abondent, qu’il s’agisse de la narration de Caravajal54 – narration qui montre au demeurant les résistances des milieux coloniaux face à la remise en cause du système des encomiendas qui était le résultat des nombreuses interventions de Bartolomé de las Casas – ou de celle, encore plus violente, d’Hinojosa qui rapporte les premiers assassinats commis par un Blasco Núñez aliéné, saisi par la folie américaine55 et, notamment, ce meurtre de ses propres mains du Factor Illán Juárez qui va devenir l’un des symboles de l’oppression exercée par les représentants de la monarchie :
Hinojosa
Sintiólo Blasco Núñez sumamente,
enemistado ya con el Audiencia.
Prendió a Vaca de Castro, présidente,
sin darse cargos ¡bárbara violencia!
Y porque le aborrezca más la gente
al factor Illán Juárez su impaciencia
mató una noche por sus mismas manos;
temeridad horrible aun de tiranos56.
Cette opposition de clans irréconciliables donne lieu à un nouvel épisode de guerre fratricide que relate en grande partie Martésie et qui se solde par la mort de Blasco Núñez57. La disparition du représentant le plus direct du Roi accélère le cours de l’histoire et place Gonzalo Pizarro face à un choix fondamental. En effet, la construction polyphonique du texte, qui permet d’alterner la vérité historique (ou, tout du moins, ce que Tirso considère comme tel) et la prédiction, dessine une représentation de la Conquête fondée sur le maniement de concepts politiques essentiels de l’art de gouverner : les catégories qui sous-tendent l’ensemble du texte ressortissent de la philosophie politique – loyauté/félonie, justice/cruauté, organisation du pouvoir et délégation d’autorité, reconnaissance et respect de l’unité du corps politique du Roi, etc. À ce premier pan du politique répond celui de la communauté, de la respublica entendue comme ensemble de personnes liées par la reconnaissance d’une autorité et de valeurs communes. L’interrogation, la mise en péril de ces différentes notions, sont liées intimement au destin de Gonzalo qui apparaît comme la plus grande victime politique de l’Ailleurs.
Vers l’anéantissement de Gonzalo, victime politique de l’Ailleurs
22Ce destin se manifeste et prend corps à travers la récurrence de commentaires et prophéties, énoncée par les Amazones, qui en soulignent le caractère tragique. L’on se souvient de la définition initiale de Martésie comme oráculo, talent et don qu’elle manifeste à différentes reprises comme dans cette mise en garde adressée à sa sœur :
Martesia
Pero ¿qué logros esperas
de un hombre tan desdichado
que a muerte le han destinado
las superiores esferas?
Un juez ha de degollarle;
los mismos que le acompañan
y aduladores le engañan
le han de vender y dejarle;
a la guerra han de forzarle
y al tiempo de asistirle
la vitoria han de impedirle;
el imperio han de ofrecerle
y han de insistir en perderle
por no querer admitirle58.
Le déploiement de l’action de l’œuvre n’est, en ce sens, que la réalisation d’une prophétie qui célèbre – et déplore – la singularité du destin de Gonzalo. Ayant dompté la reine des Amazones, conquis un territoire peu propice, Gonzalo se voit ainsi transfiguré en un nouvel Alexandre des contrées sauvages du Nouveau Monde comme dans cette vision élogieuse qu’en donne le capitaine Almendras :
Almendras
Vos, primer conquistador,
con cuya sangre y hacienda,
y la de vuestros hermanos
habéis ganado a la Iglesia
más reinos, provincias más
que tiene en Castilla el César,
cuando no villas, ciudades,
reduciéndole mil leguas
las más ricas deste polo,
vos, a quien sólo venera
el Pirú por sucesor
del gran marqués y en quien deja
el gobierno destos orbes,
en virtud de lo que ordena
la cédula real que os llama
a la dignidad suprema
desta casi monarquía
por toda la vida vuestra,
vos, en efecto, a quien toca
el conservar la nobleza
de tantos conquistadores
que os tuvieron en la guerra
por caudillo y en la paz
limitadamente premian
por solamente dos vidas
hazañas de eterna fama,
vos, vitorioso Pizarro,
es razón que a la violencia
del virrey os opongáis59 […].
Cette longue tirade respecte très scrupuleusement le code nobiliaire classique : les nombreuses vertus et prouesses de Gonzalo font de lui le digne héritier et successeur de Fernando à la tête de cette « casi monarquía ». Toutefois, à aucun moment, cette autorité et cette légitimité du Conquistador n’impliquent une remise en cause du pouvoir royal : bien au contraire, la dignité de Gonzalo ne pourrait émaner que de la potestas de Charles Quint et c’est ainsi qu’il pourrait assumer la dignité que le Roi aurait dû lui octroyer. En ce sens, il doit faire partie du corps politique du Roi en assurant la préservation de celui-ci et la conservation des structures de la Monarchie : aussi, dans la stratégie de réhabilitation offerte définie par Tirso, la lutte contre le Vice-Roi apparaît comme relevant de la raison d’État. Le processus politique qu’implique la conquête nous invite en effet à nous pencher sur le sens et la tradition doubles que renferme ce concept et que Domenico Taranto rappelle en ces termes :
Si l’on regarde de plus près la question, en effet, on verra comment la conceptualisation politique de Machiavel est axée sur l’innovation, sur l’agrandissement territorial, sur la fonction centrale de la guerre, tandis qu’un large courant de la raison d’État vise plutôt à la production d’un mécanisme de conservation politique par des moyens non exclusivement militaires60.
Le Nouveau Monde présente en ce sens toute la complexité d’une évolution politique majeure dans laquelle coexistent un accroissement des terres soumises à l’autorité monarchique et une préservation de cette même autorité ; or – comme l’avait développé Giovanni Botero, auteur de Della ragion di Stato61 – « l’accroissement [apparaît] comme livré au hasard et à la force, et la conservation au contraire, comme le résultat d’une sagesse excellente et rare62. » Or, dans l’Ailleurs qu’incarne le monde américain, le droit de conquête ne peut-il pas tendre à une autonomisation des Conquistadors et à une proclamation d’une République indépendante, fondée sur le seul mérite de ceux qui ont permis l’extension territoriale de la Couronne ? Cette invitation à prendre son destin en main est ainsi exprimée par Caravajal mais dans une perspective très différente de celle adoptée par les Amazones et prend une forme quasi comminatoire :
Caravajal
Digo, pues, que es lo mejor
que trueques a toda ley,
intitulándote rey,
riesgos de gobernador.
Constituye monarquía
de eterna felicidad;
llamémoste majestad,
dejemos la señoría63.
Qu’est-ce qui permet de constituer dans ce cas une monarchie ? Il est entendu que c’est bien sûr la valeur de celui que tous désignent comme monarque virtuel, mais ne peut-on pas voir dans cette définition d’une monarchie la délimitation d’un espace indépendant dans lequel les lois castillanes n’ont plus cours à partir du moment même ou, par une décision politique et commune, les sujets « américains » décident qu’elles sont caduques ? Caravajal lui propose ainsi la création d’une véritable société coloniale, fondée sur des bases globalement analogues à celles de la monarchie castillane. Avec cette phrase finale : « Gonzalo, o César, o nada64. »
23Le refus de ce destin vient conclure l’existence de Gonzalo condamné à être exécuté pour ne pas avoir accepté les responsabilités qui devaient lui être confiées ; à l’évidence, une réécriture complète et orientée de l’histoire qui fait de Gonzalo un noble sacrifié à cause de sa loyauté à l’autorité du Roi :
Dentro
Muera quien no supo ser
Rey del Pirú.
Gonzalo
¡Pues morir,
Morir, ingratos! Perderme
y no admitir tal infamia,
no eclipsar la sangre mía,
no echar en ella tal mancha65.
La mort de Gonzalo – bien différente de celle qui, historiquement, fut effectivement la sienne – apparaît comme le considère Mercedes Blanco, comme une transfiguration du conquérant en Christ « dans une torsion typiquement baroque66. » Un tel dénouement devait en effet réhabiliter la figure de Gonzalo Pizarro et lui redonner une place décisive dans la conquête du nouveau monde67.
24Toutefois, ce renoncement à s’emparer du pouvoir et créer un royaume indépendant de la monarchie d’Espagne avait été précédé d’un premier renoncement : celui d’épouser la reine Ménalippe et de gouverner avec elle le royaume du Pérou qui, de la sorte, aurait pu s’inclure dans la monarchie de Charles Quint : cette promesse manquée, ces noces qui ne purent se conclure constituent l’un des échecs de l’œuvre et mettent un terme à la pertinence de l’analogie entre Alexandre et Gonzalo. En effet, qu’en est-il de ce modèle de règne conjoint que lui propose Ménalippe et qui est repris par Carvajal68 ? Peut-on le comprendre comme une forme politique viable ou bien est-il marqué par l’irréalité et la virtualité qui dominent les figures des deux Amazones ? Cette alliance, qui ne fut jamais véritablement souhaitée ni acceptée par Gonzalo Pizarro, ne peut ainsi entrer dans l’Histoire et offrir une résolution pacifique des tensions et conflits liés à la Conquête du Pérou. D’où la déclaration menaçante de Ménalippe :
Menalipe
Sí, mas no espere ninguno
que otra vez pisen sus plantas
las regiones escondidas
que el fértil Marañón baña.
Concediósele esta suerte
al que objeto de desgracias
cede al destino inocente
y la crueldad desbaratada.
No merece poseerla
nación con él tan ingrata
que le aconseja peligros
y en medio dellos le falta69.
L’intrigue se referme donc sur l’évocation d’un territoire qui demeurera sauvage, inexploré, comme si cet Ailleurs qui s’est révélé pour un homme devait disparaître à tout jamais face à l’injustice et à l’ingratitude des Espagnols. Le meurtre de Gonzalo clôt l’Ailleurs géographique, mythique et politique, et tout l’ensemble des virtualités qui l’accompagnaient.
25Amazonas en las Indias dessine une représentation de l’Ailleurs multiple et qui mêle sources historiques, références mythiques, fantasmes et représentations imaginaires afin de promouvoir – à rebours de l’histoire officielle – une nouvelle vision d’un destin qui repose sur une transfiguration du protagoniste en héros loyal combattant les mauvais représentants du Roi. L’Ailleurs ici représenté, du fait de son caractère démesuré, dépasse une simple figuration du Nouveau Monde afin d’introduire une étrangeté au sein des conduites humaines et donner à contempler au lecteur ou au spectateur le caractère impensable de la Conquête. Là où la raison ne peut qu’échouer à décrire positivement les faits, se déploient la métaphore et le mythe qui sont deux formes que l’on pourrait qualifier d’anti-conceptuelles et profondément rétives à toute lecture univoque. Aussi le vraisemblable et l’invraisemblable, l’histoire et le mythe, l’amour et la guerre peuvent-ils coïncider et coexister dans la trame de l’œuvre à la manière d’une tension aporétique que seul le dénouement permet de résoudre.
26Cependant, par delà cette figuration complexe, ne pourrait-on pas considérer que l’hybridité même de cet Ailleurs préfigure certaines recherches de la poésie contemporaine ? L’évocation bâtie par Tirso de met-elle pas en jeu l’Ailleurs comme l’une des catégories fondamentales de l’intériorité, voire de l’immanence de l’auteur, comme s’il s’agissait avant tout d’explorer cet espace du dedans auquel Henri Michaux consacra une grande partie de sa vie. L’on connaît bien sûr le fameux Barbare en Asie – publié en 1933 – et qui relate sa vision faussée, honteuse, des pays asiatiques qu’il découvrit à la fin des années 1920. Mais ce n’est qu’en 1967 qu’il publie un texte purement imaginaire, libéré de la géographie réaliste et créant son propre espace – Ailleurs, qu’il présente en ces termes :
L’auteur a vécu très souvent Ailleurs : deux ans en Carabagne, à peu près autant au pays de la Magie, un peu moins à Poddema.
Ces pays ne lui ont pas toujours plu excessivement. Par endroits, il a failli s’y apprivoiser. Pas vraiment. Les pays, on ne saurait assez s’en méfier.
Il est revenu chez lui après chaque voyage. Il n’a pas une résistance infinie. […] Ces pays, on le constatera, sont en somme parfaitement naturels. On les retrouvera partout bientôt… Naturels comme les plantes, les insectes, naturels comme la faim, l’habitude, l’âge, l’usage, les usages, la présence de l’inconnu tout près du connu. Derrière ce qui est, ce qui a failli être, ce qui tendait à être, menaçait d’être, et qui entre des millions de « possibles » commençait à être mais n’a pu parfaire son installation70…
Aussi Amazonas en las Indias a-t-elle réalisé un certain nombre de figurations « possibles » de l’Ailleurs américain qui, tout en déployant une interprétation militante de l’Histoire, a laissé au lecteur un vaste champ pour la contemplation.
Notes de bas de page
1 Felice Gambin, dir., Alle radici dell’Europa. Mori, giudei e zingari nei paesi del Mediterraneo occidentale, vol. i : secoli xv-xvii, Firenze, SEID Editori, 2008.
2 Michel de Montaigne, Essais, I, xxxi, Œuvres complètes, textes établis par Albert Thibaudet et Maurice Rat, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1995, p. 200.
3 Pierre Villey, dans la notice qui précède le chapitre xxxi, précise en effet : « Les relations imprimées ne faisaient pas défaut à cette époque sur le pays des Cannibales (la côte actuelle du Brésil), où avait abordé en 1557 la fameuse expédition de Villegagnon. Pourtant Montaigne, dans la première rédaction de son essai, semble n’avoir rien emprunté ni aux cosmographes comme Thevet, Belleforest et Munster, ni aux relations des compagnons de Villegagnon (le même Thevet ou Jean de Léry). Conformément à sa déclaration, il paraît parler des cannibales uniquement d’après des témoignages oraux », Michel de Montaigne, Les Essais, Livre I, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 202.
4 Ainsi, la perspective critique sur notre civilisation et ses bienfaits, exprimée avec une force inaccoutumée dans l’essai montaignien, va être à l’origine d’un courant anthropologique qui englobe l’œuvre de Rousseau et s’étend jusqu’à l’ethnologie de Claude Lévi-Strauss.
5 Bernardino de Sahagun, Historia general de las cosas de Nueva España, Tomo I, edición de Juan Carlos Temprano, Madrid, Dastín, 2009, p. 49.
6 Claude Levi-Strauss, « Les trois humanismes », dans Anthropologie structurale deux, Paris, Plon, Agora-Pocket, 1996, p. 319-320.
7 Miguel Zugasti, La « Trilogía de los Pizarros » de Tirso de Molina, I, Estudio crítico, Kassel, Reichenberger, 1993, p. 20-21.
8 Miguel Zugasti, La « Trilogía de los Pizarros », op. cit., p. 5-6.
9 « El fraile mercedario ya tenía referencias directas sobre América que a buen seguro le facilitarían amigos suyos como Luis Fernández de Córdoba (soldado que estuvo en Chile), hermanos de religion como Francisco Ponce de León (convivieron en el convento de Madrid), o escritores como Juan Ruíz de Alarcón, a quien al parecer le unía gran amistad », Miguel Zugasti, La « Trilogía de los Pizarros », op. cit., p. 3-4.
10 Inca Garcilaso de la Vega, Primera parte de los comentarios reales, Lisboa, Pedro Crasbeeck, 1609.
11 Fernando Pizarro y Orellana, Varones ilustres del Nuevo Mundo : descubridores, conquistadores, y pacificadores del opulento, dilatado, y poderoso Imperio de las Indias Occidentales, Madrid, Diego Díaz de la Carrera, 1639.
12 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, dans Trilogía de los Pizarros, Kassel, Reichenberger, vol. iii, v. 1-12, p. 15-16. Nous citerons dorénavant toujours à partir de cette édition.
13 Gaspar de Carvajal, Relación del nuevo descubrimiento del famoso río grande, dans La aventura del Amazonas, Barcelona, Lingkua, 2009, p. 44. Sur ce texte et, de manière plus générale, la relation qu’il entretient avec le mythe antique, voir l’article fondamental de Mercedes Blanco, « L’Amazone et le conquistador ou les noces manquées de deux rebelles : à propos des Amazones aux Indes de Tirso de Molina », dans Guyonne Leduc, dir., Réalités et représentations des Amazones, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 192-193. Pour une étude précise du mythe des Amazones tel qu’il apparaît dans le texte de Carvajal, voir Jean-Pierre Sanchez, Mythes et légendes de la conquête de l’Amérique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1996, Tome ii, chap. xxx, « Les Amazones de l’Amérique du Sud », p. 629-638.
14 Dans ces différentes références, la rencontre avec les Amazones née également de la découverte de nouveaux territoires inexplorés et conquis par Alexandre ; il donne lieu aussi bien à des descriptions des modes de vie et habitus des Amazones qu’à la relation des propositions d’alliance et, parfois, de reproduction que leur Reine, Thalestris, profère. Ainsi apparaît-elle dans Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, xvii, 77 (« [Alexandre] demanda a Thalestris quel motif de sa part lui procurait une réception si magnifique, Thalestris lui répondit sans hésiter que son ambition était d’avoir un enfant avec lui, comme d’un prince qui s’était mis par ses exploits au-dessus des autres hommes et dont elle croyait que la profession des armes qu’elle exerçait elle-même, avec honneur, la rendait digne. Qu’ainsi elle espérait que le fruit de leur union surpasserait en valeur tous les hommes du monde. Le roi aisément gagné par cette proposition donna treize jours à Thalestris, après lesquels il la renvoya chargée de magnifiques présents »), ainsi que dans Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, vi, 5. Arrien, pour sa part, considère que cette rencontre entre Alexandre et les Amazones ne peut relever que du mythe puisque « [leur] race devait être éteinte depuis longtemps avant Alexandre », L’expédition d’Alexandre, vii, 4.
15 Dès les premiers temps de la Découverte, la société féminine va être associée au motif insulaire : « También diz que supo el Almirante que allí, hazía el Leste, avía una isla adonde no avía sino solas mujeres, y esto diz que de muchas personas lo sabía », Cristóbal Colón, Textos y documentos completos, edición de Consuelo Varelá, Madrid, Alianza Universidad, 1995, p. 189-190. Voir également Jean-Pierre Sanchez, Mythes et légendes de la conquête de l’Amérique, op. cit., t. I, chap. x, « Les premières Amazones », p. 131-133.
16 Les Décades de Pietro Martyre seraient, d’après les recherches de Jean-Pierre Sanchez, le premier texte à avoir avancé clairement l’analogie entre les anciennes Amazones et les usages guerriers de certaines Indiennes : cf. Jean-Pierre Sanchez, Mythes et légendes de la conquête de l’Amérique, op. cit., t. i, chap. x, « Les premières Amazones », p. 131-139.
17 Pedro Mexía, Silva de varia lección, edición de Isaías Lerner, Madrid, Castalia, Nueva Biblioteca de Erudición y Crítica, 2003, i, x, p. 90.
18 Il convient de rappeler que, probablement dès 1604, Lope de Vega avait composé une comedia intitulée Las mujeres sin hombres ; sur la réappropriation du mythe antique chez Lope, voir l’étude préliminaire classique de Marcelino Menéndez Pelayo, Obras de Lope de Vega, xiii, Madrid, Atlas, Biblioteca de Autores Españoles, 1965, p. 219-232.
19 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 28-29, p. 16.
20 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 44-47, p. 17.
21 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 78-81, p. 18.
22 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 100-109, p. 19.
23 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 115-137, p. 20-21.
24 Miguel Zugasti renvoie ainsi, pour la description de ces différents animaux inconnus des Européens, à la Descripción universal de las Indias de López de Velasco ainsi qu’à la Historia natural y general de las Indias de Fernández de Oviedo, cf. Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., p. 20, nota. De manière plus générale, sur la dimension magique et l’importance de la description des rites, l’on peut également songer aux Comentarios reales de l’Inca Garcilaso de la Vega.
25 Lope de Vega, Obras complétas xiii, op. cit., p. 219-223.
26 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 309, p. 28.
27 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 421-432, p. 35. Cf. Pedro Mexía, Silva de varia lección, op. cit., i, x, p. 93 : « Yendo, pues, andando el tiempo, cresciendo ellas en número y en poder, dejando buen cobro en su tierra, y la parte dellas que les parescía bastar para la defender en su ausencia, con grandes aparejos, conquistando y señorando tierras, sin poderles ser resistido, caminaron al norte, y pasando a Tanais, entraron en Europa, y conquistaron en ella algunas provincias, bajando hasta Tracia, de donde se volvieron con grande despojo y victorias a Asia. De la cual también sojuzgaron gran parte, tanto que dice Amiano Marcelino que se estendieron hasta el mar Caspio. Poblaron y edificaron muchas y muy nombradas ciudades, y entre ellas aquella memoratísima Efeso, según opinion de muchos, do estaba aquel templo tan acatado de Diana […] ».
28 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 473-484, p. 38-39.
29 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 505, p. 39.
30 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 394-420, p. 33-34.
31 Pedro Mexía, Silva de varia lección, op. cit., i, x, p. 93.
32 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 497-504, p. 39.
33 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 508-524, p. 40-41.
34 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 586-587, p. 44.
35 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 2768-2875, p. 153-157. À cette version élevée et grave correspond, dans le texte tirsien, une vision comique qui procède du personnage de Martesia, volontiers fanfaron et excessif dans ses déclarations. Dans la partie de son long récit de l’acte II consacré à ces noces virtuelles (vers 1481-1529), Caravajal n’hésite pas à dresser un portrait moqueur de cette dernière : « Era, aunque hermosa, hechicera / de suerte la diablininfa / que habló en lengua castellana / mejor que las de Sevilla », Ibid., v. 1511-1514, p. 93.
36 Pedro Mexía, Silva de varia lección, op. cit., i, xi, p. 97-98.
37 Lope de Vega, Obras complétas, xiii, op. cit., p. 377.
38 Id.
39 François Hartog, Mémoires d’Ulysse. Récits sur la frontière en Grèce ancienne, Paris, Gallimard, NRF-Essais, 1996, chap. iii, « Invention du Barbare et inventaire du monde », p. 87.
40 Mercedes Blanco, « L’Amazone et le conquistador ou les noces manquées de deux rebelles : à propos des Amazones aux Indes de Tirso de Molina », art. cit., p. 188-190.
41 Bernard Lavalle, Francisco Pizarro. Conquistador de l’extrême, Paris, Payot, coll. « Biographies », 2004, p. 271-272.
42 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 1110-1637, p. 68-99.
43 Agustín de Zarate, Historia del descubrimiento y conquista de la provincia del Perú, Madrid, Atlas, Biblioteca de Autores Españoles (26), 1947, iv, i-v, p. 493-495.
44 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 1229-1248, p. 76-77. Ce passage suit très précisément Agustín de Zarate, Historia del descubrimiento y conquista de la provincia del Perú, op. cit., iv, ii, p. 493-494 ainsi que l’Inca Garcilaso de la Vega, Comentarios reales, ii, iii.
45 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 1269-1292, p. 78-79. Et Caravajal ajoute, cette fois-ci dans une perspective davantage économique : « Hay selvas y bosques della, /mas la que se beneficia / y con cuidado se labra, / según los indios afirman, / es mucho más excelente / En fin, los que la cultivan/fundan su caudal en ella/porque acuden las vecinas/naciones a su comercio/y les dan por adquirirla / maíz, algodón, venados / y mantas con que se vistan », ibid., v. 1293-1304, p. 79-80.
46 Agustín de Zarate, Historia del descubrimiento y conquista de la provincia del Perú, op. cit., iv, ii, p. 493-494. Cette description va se retrouver à l’identique dans l’ouvrage de Pizarro y Orellana qui offre une relation identique de l’expédition au pays de la cannelle : cf. Fernando Pizarro y Orellana, Varones ilustres del Nuevo Mundo, Madrid, Diego Díaz de la Carrera, 1639, p. 349-351. Il convient de rappeler que, selon les conjectures de Miguel Zugasti, Tirso de Molina aurait pu lire une version manuscrite de cet ouvrage lors de son séjour à Trujillo entre 1627 et 1631.
47 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 1373-1392, p. 84-85.
48 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 1393-1400, p. 85-86.
49 Sur cette controverse au sujet de la guerre juste et du traitement des Indiens, l’on se reportera à deux ouvrages récents ; Bartolomé de Las Casas, Juan Ginès de Sepúlveda, La controversia sugli Indios, a cura e con un’Introduzione di Saverio di Liso, Bari, Edizioni di pagina, 2007 et Bartolomé de Las Casas, La controverse entre Las Casas et Sepúlveda, édition de Néstor Capdevila, Paris, Jean Vrin, Textes et Commentaires, 2007.
50 Tirso a élaboré la trame historique de son récit à partir des sources qui donnent la vision la plus avantageuse et laudative de l’action de la fratrie Pizarro et, tout particulièrement, il recourt à Fernando Pizarro y Orellana, Varones ilustres del Nuevo Mundo, op. cit., p. 175-186 pour le récit des luttes de pouvoir et de l’assassinat du Marquis Fernando Pizarro.
51 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 732-734, p. 49
52 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 761-770, p. 51.
53 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 847-858, p. 55.
54 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 1898-1985, p. 111-115.
55 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 2480-2575, p. 139-144.
56 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 2536-2543, p. 142.
57 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 2584-2963, p. 145-161.
58 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 1690-1703, p. 101.
59 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 2242-2270, p. 129-130 .
60 Domenico Taranto, « Le discours de la raison d’État », dans Alain Caillé, Michel Senellart et Christian Lazerri, dir., Histoire raisonnée de la philosophie morale et politique, Paris, Flammarion, Champs-Flammarion, 2007, t. i, p. 319.
61 Ce livre publié en 1589 à Venise va connaître un succès considérable dans l’ensemble de l’Europe tout au long du xviie siècle, d’autant plus qu’il apparaît comme une réponse à la position machiavélienne considérée comme païenne et anti-chrétienne. Sur les fortunes éditoriales de ce texte et les plagiats qu’il suscita, voir Jean Vilar, « Hurtos encadenados : algo más sobre la recepción de Jean Bodin en España (Añastro, Cellorigo, Agustín de Rojas) », Actas del primer encuentro Franco-Alemán de Hispanistas (1989), Frankfurt am Main, Vervuert Verlag, 1991, p. 252-259.
62 Tirso de Molina, « Le discours de la raison d’État », op. cit., p. 319-320.
63 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 2984-2991, p. 162.
64 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 3079, p. 167.
65 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 3090-3095, p. 168.
66 Mercedes Blanco, art. cité, p. 196.
67 Sur la trame de l’argumentation politique, cf. Mercedes Blanco, art. cité, p. 187.
68 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 566-598, p. 43-44 (pour le discours de Ménalippe) et v. 3044-3061, p. 165-166.
69 Tirso de Molina, Amazonas en las Indias, op. cit., v. 3252-3263, p. 175.
70 Henri Michaux, L’Ailleurs, Paris, Gallimard, coll. « Poésie-Gallimard », 1994, p. 7-8.
Auteur
Université de Paris Ouest Nanterre La Défense
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