Le chevalier houdanesque, un être en devenir
p. 101-143
Texte intégral
1Ce troisième chapitre est consacré au Meraugis, œuvre qui va se révéler être, par-delà son schéma parodique, un véritable roman d’apprentissage et d’initiation. Tel qu’il est, le jeune chevalier Méraugis accumule les déconvenues. Pour triompher des épreuves qui se présentent à lui, il lui faut évoluer, s’adapter, en un mot « grandir », à l’instar de Perceval un siècle plus tôt. Son cheminement dans l’espace arthurien sera prétexte à l’apprentissage et aux initiations qui feront de lui un « adulte ».
2Formellement défini au xviiie siècle, le récit d’apprentissage1 désigne une œuvre fictive dont l’incipit présente un héros jeune et sans expérience. Ce type de récit est bien représenté au Moyen Âge, notamment par Le Conte du Graal de Chrétien de Troyes : à travers ses différentes rencontres et ses différentes expériences, le jeune Perceval acquiert savoir, maturité, réflexion et autonomie. Le nice qui prenait un chevalier pour Dieu et qui confondait une tente avec une église a progressivement réussi à trouver sa place dans le monde arthurien, devenant un exemple de courage et de courtoisie. À la fin du roman, grâce à ses expériences et avec l’appui de bons conseillers, il a assimilé les connaissances qui font de lui un personnage averti et aguerri. Plus complexe est le roman d’« initiation », qu’on a tendance à assimiler au roman d’apprentissage. L’une des formules utilisées classiquement pour définir l’initiation est fournie par l’historien des religions Mircea Eliade : « On comprend généralement par initiation un ensemble de rites et d’enseignements oraux, qui poursuit la modification radicale du statut religieux et social du sujet à initier.2 » L’initiation présente la spécificité de rendre possible un double passage, comme l’explique Jean Cazeneuve : « Il s’agit, d’une part, de faire passer le néophyte de la vie infantile à la société des hommes, et, d’autre part, de le faire passer de la vie profane à la vie sacrée.3 » Elle représente en effet une nouvelle naissance, un acte qui n’engage pas seulement la vie religieuse de l’individu, dans le sens moderne du terme “religion” –, mais sa vie totale. Toute initiation passe donc par un certain nombre de rites qui la rendent effective.
3Méraugis de Portlesguez est un parfait inconnu dans le monde arthurien. Raoul de Houdenc le présente au moyen d’un vers lapidaire : Uns chevaliers mout alosez (v. 320). Sa renommée précède ses actes : alosez, certes, mais pour quels exploits ? L’auteur-narrateur ne nous le dit pas. Pour lui, Méraugis est une cire vierge qu’il va pouvoir modeler, façonner à sa guise. Son « personnage en devenir » recoupe la définition que donne Philippe Hamon d’un tel type littéraire :
Ainsi, le personnage est une coquille vide, un signe en attente d’être saturé par la suite du récit, construit peu à peu non seulement à travers le texte, mais aussi par le lecteur qui active ces données et les complète dans son imagination. […] Il ne deviendra « plein » qu’à la dernière page du texte, une fois terminées les diverses transformations dont il aura été le support et l’agent4.
Mais avant d’en arriver à cet épanouissement, Méraugis va devoir traverser un grand nombre d’épreuves qui représenteront pour lui les différents âges de la vie : Raoul de Houdenc a imaginé pour lui un parcours initiatique original, tout au long duquel son héros affronte les mêmes pièges et épreuves que ses vaillants prédécesseurs littéraires, mais qu’il va surmonter à sa façon.
4En successeur de Chrétien de Troyes, Raoul de Houdenc hérite d’une matière de Bretagne et de personnages déjà façonnés par le maître champenois, présents, sinon familiers à l’imaginaire des lecteurs et auditeurs de roman de ce début du xiiie siècle. L’auteur poursuit la veine romanesque si puissamment inaugurée par son prédécesseur : les épisodes empruntés à Érec et Énide, à Yvain ou Le Chevalier au Lion, au Conte du Graal, à Cligès, mais aussi au Lancelot en prose forment autant de renvois qui font appel à la mémoire du lecteur-auditeur. Celui-ci se sent en terrain connu et peut ainsi saturer peu à peu le « blanc sémantique » que constitue l’inconnu Méraugis.
Les « enfances Méraugis »
5Les « enfances » au xiiie siècle renvoient à des textes généralement écrits après une œuvre qui a mis en scène un chevalier accompli, comme c’est le cas dans les cycles épiques et dans les sommes romanesques. Par exemple, Le Lancelot propre nous conte les jeunes années du héros éponyme sous la direction de la Dame du Lac ; grâce à ce récit, les lecteurs du Chevalier de la Charrette découvrent les origines royales de Lancelot et la genèse de son amour passionné pour Guenièvre. Ainsi prennent sens les prouesses narrées un siècle plus tôt par Chrétien de Troyes.
6Si Méraugis apparaît dans le roman de façon aussi soudaine que Lancelot dans Le Chevalier de la Charrette, nous n’avons pas pour autant affaire à un chevalier confirmé, malgré le qualificatif de mout alosez dont le gratifie l’auteur lors de son entrée en scène. Par un procédé qui n’est pas sans nous rappeler Le Conte du Graal de Chrétien de Troyes, Raoul de Houdenc a intégré à son roman la période « d’enfance » de son héros, par le truchement de son comportement et de ses réactions infantiles5. Le premier tiers de Meraugis présente en effet le héros éponyme, non comme le chevalier émérite qu’on attend, mais comme un turbulent enfançon.
Une amitié virile idéale
7Lors du tournoi de Landemore, Méraugis est introduit sur la scène du récit en concomittance presque immédiate avec son ami Gorvain : « Vint Meraugis de Portlesguez, / Uns chevaliers mout alosez./ Avoeqes lui estoit venuz/ Uns soens compains, Gorvains Cadrus », (v. 319-322). Comme le fait remarquer Michelle Szkilnik, « au début ni le narrateur, ni l’héroïne ne distinguent Méraugis de son alter ego Gorvain. Cette manière curieuse, voire humoristique, de présenter le héros éponyme annonce la tençon sur laquelle va se fonder le roman. Flanqué de son compagnon, Méraugis n’a encore que peu d’individualité.6 » De fait, depuis sa première mention au vers 319, jusqu’au moment où il remporte le titre officiel d’ami de Lidoine au vers 1083, le destin de Méraugis reste indifférencié de celui de Gorvain. Compagnons, les deux hommes sont des miroirs l’un pour l’autre, comme en témoigne l’abondance de termes évoquant la réciprocité : avoeques lui, ambedui, les .ii. meillors, entr’aus (v. 330). On remarque aussi les verbes employés à la forme pronominale montrant la parfaite symétrie de leurs actions et sentiments :
En gens qui riens ne s’entrefussent
N’ot onques aussi grant amor
Com il ot entr’aus .ii. maint jor.
Qu’il s’entramoient si a certes
Que toz lor gaains e lor pertes
E lor chatex erent tot un. (v. 328-333)
ainsi que la forte insistance sur l’amor que se portent les deux jeunes gens, tout entier résumé dans l’équilibre syntaxique du vers 323 : « qui mout l’amoit et celui lui. » Deux jeunes hommes qui sont tot un, se vouent une affection exemplaire, fréquentent les mêmes tournois où ils se montrent toujours les plus forts, partagent le meilleur et le pire… Raoul de Houdenc semble s’inspirer des amitiés viriles célèbres de l’Antiquité, à l’image d’Achille et Patrocle ou Castor et Pollux. Mais l’insistance hyperbolique avec laquelle le narrateur décrit l’affection des deux compagnons n’empêchera pas leur séparation violente. L’expression tot un est réservée d’ordinaire à l’amour qui unit un homme et une femme7 : cependant, l’heure est venue pour ces deux chevaliers de se confronter à cet Autre par excellence qu’est la femme, une femme qui va venir perturber cette harmonieuse mais stérile relation spéculaire.
La rupture
8L’analyse suivante de Damien de Carné s’adapte fort bien à la situation de Méraugis et Gorvain : « Un des facteurs qui conditionnent [l’évolution du personnage] au fil de l’action, qui organisent son mouvement en lui donnant une direction, est la présence éventuelle, dans le récit, de modèles ou de contre-modèles proposés au personnage et auxquels ce dernier tente, accepte, refuse ou évite à tout prix de se conformer8. » La réciprocité parfaite entre les deux compagnons va être brisée par un élément perturbateur présenté longuement à l’entrée du texte : Lidoine. C’est en la voyant que, pour la première fois, les deux héros se désolidarisent l’un de l’autre. Le sujet passe du pluriel au singulier, et chacun commence à suivre une voie propre :
E quant Gorvains Cadrus la voit,
Si l’ama tant por sa beauté
Que de tote sa loiauté
Dont cuers puet cors amer d’amors.
Aime Lidoine ses cuers touz […]. » (v. 338-342)
Mais cette voie que Gorvain, le premier, a choisie, s’avère n’être pas si personnelle puisque au même instant, Méraugis tombe amoureux lui aussi de Lidoine. Cependant, est-ce bien surprenant de la part de deux hommes si proches et si semblables ? Poursuivant le parallélisme de leur relation, l’auteur fait s’éprendre ses héros de la même femme. La complémentarité entre les deux hommes va maintenant prendre tout son sens et montrer combien ils sont nécessaires l’un à l’autre :
Se [Gorvains] l’ama por sa beauté,
[Meraugis] ama tant d’autre partie
Sa valor e sa cortoisie
E ses cointes diz affetiez […]. » (v. 444-447)
Chacun tombe amoureux, si l’on peut dire, d’une moitié de Lidoine. Accoutumés à tout partager, que ce soit gaains, pertes e chatex, Méraugis et Gorvain éprouvent des sentiments identiques, à nouveau indifférenciés dans la passion qu’ils viennent ensemble de concevoir pour la dame : « Einsi furent anduit destroit/ Por li amer en tel manière./ Durement est amors manière./ De gent souspendre e desvoier », (v. 450-454). Effectivement, Lidoine va desvoier Méraugis et Gorvain, les écarter de la voie commune qu’ils empruntaient de concert jusque là. Non seulement le bloc compact qu’ils formaient auparavant commence à se fendiller, mais l’un des deux est en train de prendre l’avantage sur l’autre : Méraugis, selon l’avis du narrateur, éprouve pour Lidoine un amour plus fort, parce que fondé sur les qualités courtoises de la jeune fille : « […] il fu .c. tanz plus enlaciez/ D’amors, que ses compains n’estoit », (v. 448-449). Le narrateur laisse ici entendre l’imminence d’un conflit : comment les deux compagnons vont-ils gérer cette rivalité inattendue ? Lauteur choisit une solution que ne laissait pas envisager l’amitié pléthorique de Méraugis et de Gorvain : leur rivalité avouée se transforme en une haine aussi totale que leur harmonie perdue. Cependant, cette rupture se produit sur le mode comique : le dialogue suivant, loin de montrer deux nobles chevaliers brûlant d’amour, illustre leur défaillance à être qualifiés de chevaliers « courtois ». Oubliant le statut d’être parfait que devrait nécessairement occuper la dame aimée, ils coupent littéralement Lidoine en deux parts, soutenant chacun être celui qui l’aime le plus, qui a en s’amor droit (v. 608) ; leurs arguments, toujours parfaitement parallèles, les ridiculisent d’autant plus qu’aucun ne parvient à prendre l’avantage sur l’autre. La rupture de leur amitié se voit donc solennellement prononcée par Gorvain, nettement plus sanguin que Méraugis : « […] E si vos lo en droit conseil/ Que ja mes n’i pensez nul jor/ Ou se ce non, ci faut l’amor, / Que ja mes ne vos ameroie », (v. 588-591). En parallèle, la présence nouvelle de Lidoine et l’amour qu’il lui voue créent chez Méraugis une division intérieure : s’il l’aime, il ne veut pas pour autant se quereller avec son ami (v. 592-601) Mais, après quelques ultimes menaces, les deux chevaliers, en viennent aux mains, et le duel se transforme en bagarre de rue, à la limite de la bouffonnerie, les deux adversaires redoublant d’ardeur en voyant approcher l’objet de leur désir, Lidoine, qui veut les empêcher de combattre : « Lors crierent : « Dame, merci !/ […] Car nos metez encore ensamble/ Tant que li uns en ait assez », (v. 731-739). En la suppliant de les laisser poursuivre leur joute contre sa volonté, ils montrent que l’objet de leur préoccupation n’est pas la dame, mais eux-mêmes et leur vanité. Prisonniers d’un narcissisme typiquement enfantin, ils pensent à satisfaire leur désir avant celui de la dame qu’ils croient et disent aimer – et qu’ils aiment, certes, mais moins qu’eux-mêmes. On peut faire une comparaison, à leur désavantage, avec Lancelot, le parfait amant qui, lui, obéit sur le champ lorsque Guenièvre exprime le désir que cesse son duel contre Méléagant9.
9La rupture avec son ami Gorvain marque pour Méraugis la fin d’un âge d’or : celui de « l’enfance » au sens de période insouciante. En s’opposant à cet autre lui-même qu’était Gorvain, Méraugis a pris conscience de l’altérité et d’une volonté qui s’oppose à la sienne, et cette altérité incarnée en la personne de la femme, Lidoine, le rend désormais conscient de l’existence de l’autre en général, et de Gorvain en particulier. Il sait maintenant qu’il n’est pas tout-puissant et que l’harmonie parfaite n’était qu’illusion. Ce divorce fait de l’autre un rival, un ennemi qui tente de lui ravir ce qu’il désire ; il l’oblige à évoluer dans sa personnalité et à commencer à « grandir ». De fait, c’est en s’opposant aux prétentions de Gorvain que Méraugis a trouvé sa voie : celle de la courtoisie, de la culture du remenant. Sa période de formation ne fait que commencer, mais elle se fera désormais sous l’égide d’une figure féminine : Lidoine.
L’irruption d’une figure tutélaire : Lidoine
10Dès la première apparition de Méraugis, l’auteur le place en position d’infériorité par rapport à Lidoine, en le faisant venir desouz le pin (v. 318), pin sur lequel sont juchés le cygne décerné au meilleur combattant, et l’épervier attribué à la plus belle demoiselle. Or, le pin est un symbole royal, et ces deux oiseaux représentent symboliquement Lidoine : l’épervier qui vient de lui être accordé, et le cygne par son ambivalence, doté d’un plumage blanc et d’une chair noire – on sait que Méraugis et Gorvain vont s’ingénier un peu plus loin à opposer la semblance et le remenant de Lidoine. Littéralement, Méraugis se situe en-dessous de ces deux oiseaux emblématiques de Lidoine, formant ainsi, par l’image de l’arbre, un lien vertical avec la dame en position supérieure, lien de vassalité ou de parenté symbolique, qui va venir remplacer le lien horizontal de complémentarité fraternelle et amicale qui l’unissait à Gorvain.
11La parole autoritaire de la jeune fille impose respect et obéissance aux fougueux chevaliers. À la différence de Guenièvre qui observe avec intérêt Lancelot et Méléagant se battant pour elle, Lidoine se rend sur la lice pour mettre bon ordre à la situation : elle sépare les deux indisciplinés, leur ordonne de faire la pes et prend la peine de leur expliquer longuement la raison de sa démarche. En un mot, elle les sermonne, les reprend, et leur inculque les bonnes manières à observer avec elle. À l’image d’un Perceval naïf et mal dégrossi, sortant pour la première fois de son domaine de la Forêt Gaste et persuadé que la force suffit pour conquérir une femme, Méraugis et Gorvain apprennent à leurs dépens que Lidoine ne se laissera pas obtenir si aisément. Les appels à en découdre de ses deux prétendants la laissent de marbre, voire l’irritent. Elle attend plus de retenue et de raffinement de la part d’hommes qui prétendent à son amour, peut-être plus de maturité, elle qui n’en manque pas. Avec sagesse, elle reporte le combat, lui fixant un cadre où la violence pourra se déployer tout en étant contrôlée : la cour du roi Arthur. Dans l’attente du terme fixé, elle renvoie les deux jeunes gens à leurs devoirs de chevaliers. Il leur faut acquérir los et pris avant tout (v. 771-775), ce qu’ils acceptent sans trop résister : ils ont là l’occasion d’éblouir la dame, de gagner sa préférence. Georges Duby propose une analyse de ce comportement ambigu du jeune chevalier envers la femme convoitée :
Le héros célibataire a quitté la maison de son père. Les jeunes entrent normalement en apprentissage dans une autre maison, et c’est souvent celle du frère de leur mère. […] Dans chaque demeure noble le patron nourrit ainsi, des années durant, les fils de ses sœurs qui ne sont pas voués au service de Dieu. Il les éduque, les arme, les marie, véritablement père. […] Ses neveux le servent comme des fils, mais ils désirent son épouse […]. Celle-ci tient dans leur cœur la place de la mère dont l’exil de la maison natale les a très tôt séparés. Tel est le reflet dans l’intrigue courtoise des rapports réels de convivialité10.
Pour un jeune homme très tôt privé de sa mère, la dame jouerait donc, inconsciemment, le rôle d’une figure maternelle de substitution qu’on peut à la fois chérir, désirer et craindre. On entre ici dans le cas du complexe d’Œdipe. Enfant sans mère littéraire, Méraugis trouve tout naturellement en Lidoine une image toute-puissante qui peut compenser ce manque. Et cette passion qu’il lui voue se trouve amplifiée par la carence du roman en personnages masculins forts.
L’absence de référent paternel
12Pour construire sa personnalité et aller vers l’âge d’homme, le jeune garçon a besoin de l’image du père, ou plus exactement d’un « référent paternel » auquel il puisse s’identifier. Or, dans Meraugis, les hommes au fort caractère sont absents. Méraugis est un chevalier sans famille. Nulle mention de son ascendance, de ses origines, d’un passé auquel il pourrait s’accrocher pour grandir et faire souche. Il est un homme sans lignage, sans communauté, ce qui pose problème à une époque où l’homme ne se conçoit pas comme individu indépendant mais comme faisant partie d’une collectivité. Et de fait, s’il possède un nom complet, nous ignorons qui le lui a légué et pourquoi ce prénom, Méraugis, lui a été attribué. Le choix d’un nom au Moyen Âge, où le signifiant révèle le signifié, est en effet d’une capitale importance, et c’est le père qui le transmet :
[Le père] transmet également un patrimoine symbolique dont l’étude permet de mieux cerner les contours de la paternité médiévale : la dation d’un nom puis d’un prénom et l’impression des ressemblances. […] Lorsque, à la fin du Moyen Âge, dans les milieux aristocratiques ou patriciens, le patronyme est bien établi, le père se montre toujours aussi vigilant quant à l’attribution d’un prénom à ses enfants11.
Comme Dieu a créé l’homme à son image, et Adam engendré à son tour un fils « à sa ressemblance », le fils se doit d’être à la semblance de son père, une semblance qui permet d’affirmer sa paternité : la transmission par le sang des qualités paternelles constitue un puissant révélateur d’identité. C’est parce qu’il est le fils du meilleur chevalier terrestre que Galaad peut devenir un chevalier céleste ; de même, en Perceval le preux rejaillira la vaillance de son défunt père12. Pour Méraugis, cette racine est tranchée : il est « de Portlesguez », arrivé à un port, venu de nulle part. Par ailleurs, le Moyen Âge conçoit la paternité spirituelle comme supérieure à la paternité terrestre. Être chrétien, c’est avant tout être un fils de Dieu. Mais Dieu est absent dans Meraugis ; à l’inverse de Galaad qui n’a nul besoin de son père terrestre imparfait, Lancelot, pour se réaliser et qui reconnaît en Dieu son père spirituel et mentor, le jeune Méraugis ne peut se tourner vers cette paternité céleste idéale, ni vers un de ses avatars, abbé, moine, ou saint ermite car aucun ne croisera son chemin pour le conseiller ou le guider.
13En renvoyant la querelle de Méraugis et Gorvain à la cour royale, Lidoine souhaite mettre cette affaire sous la présidence du référent paternel arthurien par excellence : le roi Arthur. Gardien du royaume et de sa pérennité, père symbolique de tous les chevaliers de la Table Ronde, il est a priori la personne toute désignée pour trancher une querelle. C’est à lui que Lidoine s’adresse dès son arrivée à la cour. Mais le roi réagit par une singulière inertie : il s’esmervelle (v. 831) et renvoie le cas à ses barons. Sa parole n’a pas l’autorité attendue. Il en est d’ailleurs rapidement dessaisi par la reine qui s’attribue la compétence de l’affaire sans que le roi puisse s’y opposer ; Arthur, symbole paternel des romans arthuriens, se voit supplanté, devant Méraugis et Gorvain, par son épouse Guenièvre, incarnant quant à elle la figure maternelle. C’est donc la « Mère » qui règne sur la cour, le « Père » étant un être faible et sans autorité13. Avatar de Lidoine, Guenièvre confirme la prise de pouvoir du parti féminin. Méraugis et Gorvain, furieux d’être une seconde fois privés de leur duel, se jettent l’un sur l’autre comme ils l’avaient fait à Landemore, sans souci de bienséance ni de règles chevaleresques : c’est une seconde empoignade digne de vilains qui s’annonce, et à laquelle le roi se montre bien incapable de s’opposer. Père désavoué par la Mère, il ne peut constituer une barrière face à l’agressivité des deux jeunes gens plus que jamais décidés à en découdre, et c’est à nouveau le geste et la parole autoritaires de Guenièvre qui doivent s’élever pour empêcher la bagarre. Pour les jeunes chevaliers, particulièrement Méraugis, cette situation est des plus troublantes : elle montre que l’autorité se trouve du côté des femmes, et il saura s’en souvenir.
14L’autre référent paternel absent est Merlin, figure tutélaire de l’enfance d’Arthur. Il est mentionné au vers 1303, avec l’esplumeoir Merlin. Après bien des aléas, Méraugis parvient à l’Esplumoir, mais Merlin n’apparaît pas. En ses lieu et place, douze demoiselles écrasent le jeune chevalier de leur ironie. Méraugis croise nombre de protagonistes masculins au cours de ses aventures, mais aucun qui puisse tenir pour lui le rôle d’un Baudemagu ou d’un Gornemant de Goort14. Les hommes qu’il rencontre durant sa quête sont soit faibles et diminués, soit pervertis. L’Outredouté est un serviteur du mal, le nain symbole d’une enfance éternelle. Le roi Amangon, par son offre d’initier Méraugis à la sexualité en lui donnant une jeune fille alors qu’il n’est pas encore prêt, le fait fuir. Belchis le Louche est trop laid pour qu’un jeune homme puisse s’identifier à lui. Quant à Gauvain, chevalier accompli, littérairement âgé, et qui aurait légitimement pu tenir le rôle de mentor auprès du nice qu’est Méraugis, il apparaît si diminué que c’est son jeune compagnon qui va devoir agir pour les tirer tous deux d’affaire. Seul Mélian de Lys, homme mûr, vaillant et sage, remplit les qualités attendues d’une figure paternelle ; mais il n’apparaît qu’à la fin du roman, alors que Méraugis a achevé son initiation et n’a plus besoin de mentor. De même, le retour final d’Arthur, décidé cette fois à trancher la querelle originelle entre Méraugis et Gorvain sans plus laisser la préséance à quiconque, n’a plus qu’une utilité de forme : le roi arrive après la bataille, Méraugis n’est plus à la recherche d’une autorité paternelle désormais inutile.
15Cette absence de figure paternelle, jointe à l’hypertrophie de la présence féminine, a pour conséquence de maintenir Méraugis dans un état de dépendance, incapable d’apprendre et d’évoluer. Alors que la femme aimée, désirée, devrait lui permettre de se libérer de ce que nous nommons ici l’enfance, elle va l’étouffer par une présence maternelle omniprésente et castratrice.
Un nice ignorant et emporté
16En choisissant de suivre Méraugis dans son errrance initiatrice, Lidoine semble vouloir reproduire le célèbre précédent du couple d’Érec et Énide allant au hasard à l’aventure. Le jeune chevalier houdanesque a une réputation à bâtir et une dame à éblouir ; retrouver Gauvain disparu tombe à point nommé pour accomplir ses projets. Érec, quant à lui, avait une réputation à rebâtir, et une dame à éblouir de nouveau ; la présence d’Énide à ses côtés lui était indispensable, puisque c’était elle avant tout qu’il devait convaincre de sa vaillance.
17Nous avons vu que les deux schémas divergent par le fait qu’Énide accompagne Érec contrainte et forcée ; elle pleure en montant à cheval, ignorant quel sort son époux furieux lui destine. À l’inverse, Lidoine, préoccupée du désir de ne pas laisser partir seul son nouvel amoureux, montre gaieté et empressement à l’idée de courir les chemins en sa compagnie. Raoul de Houdenc pratique un subtil et malicieux décalage avec une situation bien connue des lecteurs : aux larmes d’Énide s’oppose la joie de Lidoine.
18Méraugis et Lidoine ont quitté la cour d’Arthur, et les ennuis ne se font pas attendre, ennuis qui sont traditionnellement censés illustrer la vaillance du chevalier et sa capacité à défendre les valeurs arthuriennes. Mais Méraugis n’a pas encore vécu les véritables épreuves qui trempent l’âme d’un chevalier arthurien et le rendent capable d’affronter avec intelligence toute sorte de situation. Aussi va-t-il comiquement accumuler les maladresses. L’épreuve de l’écu, au commencement de la quête pour retrouver Gauvain, est un exemple parlant : tout chevalier expérimenté, ou du moins doté de prudence, se serait renseigné sur les conséquences de la chute dudit bouclier. Mais Méraugis, pressé de bien faire, ne s’embarrasse pas de questions : « Lors s’eslesse e point d’escoeillie, / L’escu abat e ou repaire […] », (v. 1495-1496). Or, en abattant l’écu, Méraugis provoque les pleurs des deux demoiselles se trouvant à proximité, chargées de veiller sur l’objet. Comprenant d’instinct qu’un grand malheur menace, Lidoine pleure avec elles, alors que le sens de la situation échappe entièrement au chevalier. Sa réaction est alors bien naïve : il pense corriger son erreur en remettant tout bonnement le bouclier en place : « […] c’est legier a amender »/ Lors prent l’escu, sel vet porter/ Arriere la ou il pendoit » (v. 1544-1546). Méraugis est alors Cil qui nul mal n’i pensa, selon les termes du narrateur ; de fait, il est incapable de voir le mal, et tel un enfant, se laisse manipuler et berner. Ses actions suivantes sont à l’avenant : n’obtenant pas des demoiselles en pleurs les réponses qu’il réclame, il jette une seconde fois le bouclier à terre (v. 1596-1602) avant de s’asseoir au sol dans une posture d’enfant boudeur (v. 1623-1624). Ces réactions puériles peuvent nous rappeler les aventures de Perceval, le premier nice créé par Chrétien de Troyes ; mais Perceval avait été élevé loin du monde des chevaliers, et si ses réactions étaient inappropriées, elles étaient compréhensibles et excusables. Méraugis, en revanche, chevalier mout alosez, ne se montre pas à la hauteur de sa réputation, et nous comprenons à présent que ce qualificatif mélioratif lui est attribué par ironie : imprudent, emporté, il accumule les maladresses sans discernement ni réflexion, donnant à ses aventures cette tonalité inattendue et comique que nous avons analysée dans la première partie15. Comique aussi est la réplique toute maternelle de Lidoine, qui intervient pour calmer ce trublion : « – Avoi, fait Lidoine, biau sire, / Tenez nos pais. – Si faz ge, dame », (v. 1621-1622).
19La présence de Lidoine n’est pas étrangère au déroulement des faits. Revenons un peu en arrière, lorsque la vieille demande à Méraugis de renverser l’écu. On a vu que celui-ci obtempérait sans attendre, en prononçant ces mots : « […] Par ma dame que j’aim/ De ce ne nos faudrai ge mie », (v. 1493-1494). Lidoine attend ses réactions, prête à juger, à récompenser ou à blâmer. Mais là où Érec restait parfaitement maître de lui, Méraugis, accompagné de son amie, semble incapable de raisonner : il veut et doit l’éblouir par des actions d’éclat, selon les termes du « contrat » qu’ils ont conclu. Aussi choisit-il la solution la plus rapide et la plus conforme, selon lui, à ce qu’attend sa dame : agir avec impulsivité, sans crainte de l’adversaire. Aussi longtemps qu’il voyagera en compagnie de Lidoine, Méraugis ne fera montre d’aucun recul, aux deux sens du terme : il ne recule devant aucun adversaire, mais ne prend jamais le temps d’analyser la situation pour en tirer une leçon. Il agit sans réflexion, dans la précipitation : pour cet être immature, seul compte l’instant présent.
De la difficulté à manier le verbe
20Dans la première partie du roman, la parole appartient exclusivement aux personnages féminins, et la gent masculine se voit condamnée au silence. À la cour d’Arthur, Lidoine parle longuement, Méraugis se tait. À présent qu’ils sont seuls tous les deux sur les routes, c’est Méraugis qui va prendre l’initiative du discours. Malheureusement pour lui, le maniement du langage, comme celui des armes, demande un apprentissage dont le jeune chevalier n’a visiblement pas bénéficié. Jusqu’à son arrivée à la Cité sans Nom, Méraugis, à l’image de Perceval au début du Conte du Graal, pose d’innombrables questions, mais sans jamais prendre le temps d’analyser les réponses.
21Pourquoi les demoiselles de la tente pleurent-elles ? Pourquoi l’Outredouté est-il si dangereux ? Pourquoi faut-il marier les demoiselles du royaume d’Amangon ? Dans la première partie de son périple, Méraugis ne cesse de poser des questions, le plus souvent avec l’adverbe interrogatif « pourquoi » trait typiquement enfantin. Ne comprenant pas comment fonctionne le monde, il interroge tous ceux qu’il rencontre, sans toujours obtenir de réponse. Parallèlement, lui-même brille par son ignorance : pris au dépourvu et incapable de trouver ses mots, « Ne sai » est la réponse qu’il donne le plus souvent à ses interlocuteurs16. Dans ces échanges, il est toujours celui qui ne sait rien ; en révélant innocemment son ignorance, il se met donc à la merci de celui ou celle qui, face à lui, détient le savoir. À maintes reprises, ses interlocuteurs ne se privent pas de souligner et de s’étonner de son manque de savoir. En mettant en avant son ingénuité, Méraugis se retrouve ainsi méprisé ou manipulé à plusieurs reprises : par les demoiselles de la tente, qui le considèrent comme un grave fauteur de troubles et n’ont cure de ses offres de réparation ; par le nain, qui le fait combattre pour lui avant même que le chevalier n’ait compris ce qui se passe ; par les dames de l’Esplumoir, supérieures à lui sur tous les plans, qui le traitent comme un enfant encombrant et bruyant. Certes, Perceval aussi était bien ignorant. Mais il ne laissait pas cela le paralyser ; ne s’en remettant à personne pour l’informer, le nice de Chrétien de Troyes formulait les questions et les réponses. S’il obtenait de l’aide, c’était de personnes la lui offrant de leur plein gré, sans jamais se mettre lui-même en position de demandeur – ce que Méraugis ne cesse de faire. Il est difficile de prendre au sérieux un chevalier qui ne sait que s’interroger et interroger autrui, se montrant ainsi non seulement ignorant, mais incapable de se fier à son instinct et de se suffire à lui-même. Et cela, d’autant que Méraugis a aussi une fâcheuse tendance à poser les questions après avoir causé quelque catastrophe.
22Il arrive à Méraugis d’exiger, d’employer l’injonction. Les résultats ne se révèlent guère satisfaisants. Le premier à qui il essaie d’imposer sa volonté est Gorvain : bien qu’ils soient tous deux épris de Lidoine, il ne souhaite pas perdre l’amitié de son compagnon d’aventures. Mais face à un Gorvain virulent, sa volonté paraît bien timide et peu convaincante : « […] Ce m’est vis, / Par la reson que ge devis, / Que ja tencier ne deüsson. » (v. 599-601). Méraugis n’ose pas encore employer le « Je » et il fond sa volonté dans celle de Gorvain avec l’emploi de deüsson. De fait, la bataille a lieu, avec des conséquences désastreuses : l’amitié des deux chevaliers est rompue (v. 624-701). Il se montre plus impérieux avec la vieille qui vient de voler son cheval au nain, avec l’emploi d’un verbe à l’impératif et une formulation claire de sa volonté : elle doit restituer sur-le-champ ce qu’elle a dérobé : « […] rendez le cheval au nain », (v. 1476). Mais la situation s’inverse très vite. La vieille rusée reprend le dessus sur le chevalier, et c’est elle qui va lui donner des ordres (v. 1478-1490). C’est face à Laquis qu’il se montre le plus ferme et réussit enfin à imposer sa décision. On a vu plus haut que Laquis, vaincu aux armes, avait réussi à prendre le dessus au moyen de la source d’informations que constitue sa parole. Mais Méraugis ne se satisfait pas de ses seuls renseignements : à l’exemple de ses prédécesseurs, il souhaite envoyer son adversaire en émissaire auprès des dames en pleurs du tref. Laquis oppose à cet ordre un refus immédiat. Un échange s’ensuit alors, comique par sa brièveté, mais surtout révélateur de l’immaturité de la parole de Méraugis : face à une volonté contraire à la sienne, il n’a aucun argument raisonné à opposer :
– N’en fet mie a parler.
– Si fet ! – Non fet ! Pas n’i iroie.
– Tu si feras. – Ge non feroie
Por riens. (v. 1965-1968)
Devant l’inefficacité des mots, il recourt donc à la force : « – Si feras par mes iex./ Ou ja morras. S’il te plest miex/ Morir ou fere mon message ? » (v. 1968-1970). Laquis ne brillant pas par son courage, cet ultime « argument » a raison de sa première décision, et il se lest vaintre (v. 1972) – on relève le jeu de mots sur vaintre qui oscille entre le sens de « vaincre » et « convaincre ». Cependant, il ne se prive pas de faire remarquer à Méraugis que son ordre est insensé, et que sa parole n’a d’efficace que parce qu’elle est secondée par une arme (v. 1982-1985). Suite à cette soumission, Méraugis lui donne ses instructions en accumulant les impératifs : Va, ne doute (v. 1989), retorne (v. 1992), conforte (v. 1994), porte (v. 1995), ramaine (v. 2006) ; et les verbes au futur de l’indicatif : ja […] te mesleras (v. 1998), tu diras (v. 1999), tu savras (v. 2012), tu sivras (v. 2011), ja ne torneras (v. 2013). À l’image de Lidoine, il donne des ordres, et réussit enfin à se faire obéir. Mais les ordres de Lidoine, fruits d’une pensée logique et sage, sont sensés et donnent de bons résultats, alors que ceux de Méraugis ont un effet strictement inverse : Laquis est vaincu, humilié et éborgné par l’Outredouté. Cette mutilation le met au ban de la chevalerie et de la société, et l’infamie en retombe sur celui qui l’a envoyé au combat sans tenir compte de ses avertissements : « […] La honte, se l’en la me fet, / En sera vostre e li maus miens », (v. 1987-1988).
23Méraugis n’a pas encore la sagesse et le bon sens nécessaires pour commander. Ayant vaincu un adversaire, il se réjouit de le tenir en son pouvoir et ordonne sans réfléchir aux conséquences, sûr de sa puissance. Dans son aveuglement infantile, il refuse de voir les dangers qu’il fait courir à son messager, et s’imagine que l’Outredouté obéira à distance aux injonctions qu’il lui transmet par l’intermédiaire de Laquis. Pris en faute lorsqu’il retrouve celui-ci éborgné, il ne peut plus que demander pardon et promettre – encore – de réparer dans un avenir indéterminé. À ce stade du récit, il se comporte, malgré son état de chevalier, comme un enfant. Il applique pleinement le sens du terme latin infans, « celui qui ne peut ou ne sait parler », définition que reprennent les doctes du Moyen Âge17. La première partie de son périple illustre cette déficience. À travers ses questions, il découvre le monde ; avec ses ordres, il tente de soumettre ce monde à sa volonté. Il est trompé et se trompe, trop jeune pour prendre le recul nécessaire à la compréhension de lui-même et de ce qui l’entoure. Les mots sont un vecteur encore trop complexe pour lui. Mais il s’avère être tout aussi incapable de déchiffrer les signes, carence grave dans un monde où ceux-ci abondent.
Un monde de signes
24L’espace arthurien est parsemé de signes, messages cachés que le chevalier doit apprendre à repérer et à déchiffrer. Le monde merveilleux breton ne se donne pas : c’est au chevalier d’être capable d’y pénétrer par le truchement d’appels, de manifestations ou de symboles qui l’aideront à accomplir sa mission. Le parcours de Méraugis ne fait pas exception à cette règle ; malheureusement, celui-ci se montre bien incapable de comprendre les signes. Il n’a pas vu le danger que représentait l’écu suspendu à l’arbre. Il ne comprend pas davantage les larmes des demoiselles de la tente, contrairement à Lidoine qui saisit d’instinct le sens de ces larmes : un malheur imminent menace. Méraugis, lui, accumule les mauvaises réactions : stupéfaction face au désespoir des jeunes filles, naïveté de croire qu’il suffit de raccrocher l’écu pour effacer sa faute, puis ire et violence devant le mutisme obstiné des jeunes filles qu’il abandonnera finalement à leur sort, trop pressé de poursuivre sa quête. En être immature et égoïste, il se désintéresse d’une souffrance qu’il a pourtant provoquée.
25Un second signe ne tarde pas à apparaître sur le chemin du chevalier : Laquis, que l’Outredouté a éborgné. La blessure infligée à Laquis est symbolique : en envoyant celui-ci en ambassade auprès d’un monstre de cruauté, Méraugis a fait preuve d’aveuglement. Cependant, le fait de lui laisser un œil peut laisser espérer que le chevalier immature apprendra à se servir convenablement, à l’avenir, de sa « vue ». Pour l’heure, ce n’est pas le cas : c’est Lidoine qui, la première, aperçoit Laquis arrivant et qui doit intervenir pour faire prendre conscience de la présence du « signe » à Méraugis. À la vue du chevalier éborgné, il comprend aussitôt que c’est l’Outredouté qui s’est rendu coupable de cet acte : « Bien sot q’ot fet l’Outredouté », (v. 2545), cependant, à cet instant encore, son immaturité l’empêche de voir que le vrai coupable, c’est lui-même. Feignant l’ignorance – ou l’innocence –, il s’enquiert auprès de Laquis du nom du criminel : « Q’est ce, Laquis ? Qui t’a ce fet ? » (v. 2548), ce à quoi Laquis répond sans ambages que Méraugis est le seul coupable. Il ne prononcera pas le nom de l’Outredouté, l’évoquant seulement au moyen de pronoms personnels. En revanche, le vos accusateur désignant Méraugis sature son discours : « Vos m’envoiastes maugré mien/ Au tref ou ge savoie bien/ Que ja entiers n’en revendroie […]/ Ge haz vos e si haz lui [l’Outredouté] […], (v. 2552-2579).
26L’expérience de l’erreur et de la honte sont des épreuves obligatoires, on pourrait dire rituelles, pour le chevalier arthurien. C’est en fautant qu’il gagne l’occasion de se racheter et de se surpasser, en plus de connaître l’expérience chrétienne du repentir et du rachat du péché. Que ce soient Lancelot, Yvain ou Érec, tous portent le poids d’une faute originelle, et leur vie n’a plus de sens sinon pour réparer cette faute et en ressortir grandis, par l’accomplissement d’exploits édifiants. Mais Chrétien de Troyes ne pousse pas le péché de ses personnages jusqu’à l’irréversible mutilation d’un innocent. Les manques de ses chevaliers, aussi graves soient-ils, sont toujours réparables, et chaque chevalier parvient à surmonter les épreuves pour retrouver une harmonie supérieure à la situation d’avant la faute, car embellie par le péché racheté. Mais, même si Méraugis finit par venger Laquis en tuant l’Outredouté dans la seconde partie du roman, rien ne rendra au chevalier son œil perdu. La faute commise est irréparable ; ainsi le héros de Raoul de Houdenc, même s’il progresse, restera imparfait. Le roman prend ici une coloration sombre, à l’image du serment solennel que prononce alors Méraugis :
« Mes ge te jur, tien en ma foi,
Que ja mes ne retornerai
En mon païs ainçois t’avrai
De l’Outredouté si vengié
Qu’il en avra le poig trenchié », (v. 2591-2595)
Mais une fois de plus, le chevalier ne voit pas plus loin que la semblance du fait. À la douleur, il répond par un serment guerrier, et Lidoine, à nouveau, doit faire preuve de compassion en lieu et place de son insensible ami : « […] Dou grant doel que il fet/ Plore Lidoine tendrement », (v. 2597-2598).
27C’est elle encore qui va le tirer d’affaire lors de l’étape suivante. Les demoiselles de l’Esplumoir ont refusé de renseigner Méraugis et l’ont envoyé demander conseil à la croix d’une chapelle (v. 2656-2659). Méraugis étant, on l’a vu, toujours prêt à s’échauffer, cette réponse énigmatique le rend furieux, et arrivé à la chapelle, c’est une personne qu’il cherche. Il ne lui vient pas à l’idée d’examiner la croix en question. Une nouvelle fois, le signe lui échappe, son esprit n’est pas assez mûr pour saisir une abstraction ; lui a besoin d’une présence matérielle, d’un vivant, d’une creature. Lidoine intervient, montrant encore, par un jeu subtil du narrateur, sa supériorité sur son ami : elle est plus « grande » que lui, au propre comme figuré. Le chevalier se tient devant la croix et dit qu’il la voit mais Lidoine, plus « grande », voit distinctement, elle, ce qui lui échappe18. À l’enfant qui ne remarque que ce qui est proche de lui, l’adulte montre qu’il faut regarder plus loin, et plus haut :
Einsi se vet cil dementant
E s’amie qui fu devant
La croiz, si garde contremont,
En un braz de la croiz amont
A unes letres d’or veües.
Aprés quant el les ot leües
S’effroie e dit a haute voiz :
« Sire, cil braz de cele croiz
A unes letres d’or vermelles,
Mes les letres dient mervelles. » (v. 2704-2713)
Grâce à son intervention, Méraugis peut enfin « voir », ce que le narrateur ne se prive pas de malicieusement souligner :
E cil qui bien lire savoit
Resgarda en la croiz e voit
Les letres qui dient itant […] (v. 2714-2716)
L’emploi du verbe resgarda indique que le personnage observe l’objet avec attention : afin d’en déchiffrer le sens. Cette progression du regard s’illustre par l’usage successif des verbes de vision veoir (vet, v. 2704), garder (garde, v. 2706), resgarder (resgarda, v. 2715) : du simple acte sensoriel de vision à la compréhension de la chose vue.
28L’inscription propose au chevalier qui la lit un gieu (v. 2719), en réalité une épreuve, laquelle consiste à choisir son chemin entre trois voies plus inquiétantes les unes que les autres : la voie sanz merci (v. 2721), où le chevalier ne rencontrera nulle pitié ; la voie contre reson, (v. 2731) où il ne trouvera rien de raisonnable ; et la voie sanz non (v. 2739), dont nul n’est jamais revenu. L’inscription se conclut par ces mots : « […] Or pues choisir e si iras/ La quel voie que tu voudras », (v. 2748-2749). Dans sa perplexité, il se retourne tout naturellement vers celle qui le guide, espérant qu’elle saura faire un choix dont la complexité le dépasse : « […] Dame, dit-il, quel la feron ? (v. 2757) » Mais celle-ci répond par l’ignorance, et c’est au chevalier de prendre une initiative, occasion pour lui de mettre son jugement à l’épreuve. Celui-ci décide alors d’emprunter la voie sanz non :
« Encontre ce me dit reson
Que j’aille plus seürement
Je ne sai ou, que malement
Sui ge dou tot asseürez.
Alons ! » fet cil […] (v. 2769-2773)
On peut discuter la pertinence du raisonnement de Méraugis, qui préfère s’engager sur un chemin dont il ne sait rien, plutôt que sur un autre pour lequel il dispose quand même d’une information, fût-elle peu engageante. Mais au moins a-t-il appris à émettre un avis. Il est cependant intéressant qu’il ait d’emblée rejeté les voies sanz merci et contre reson, deux qualités dont il est justement dépourvu, comme nous l’avons montré plus haut : lui qui n’a su montrer jusqu’ici ni pitié ni reson ne peut espérer les acquérir en empruntant des chemins privés de ces valeurs. Plus significatif encore est le choix de la voie sanz non : Méraugis est justement à la recherche d’un nom, d’un renom qu’il doit acquérir. Cette voie est métaphorique de sa propre identité qu’il doit forger. Alfred Adler souligne la pertinence de ce choix qui le mènera à la Cité sanz Non :
Meraugis n’est pas ignorant de son nom, mais il se déplace dans un monde sans non, allant à la Cité sanz non via la Voie sanz non. […] Le refus mystérieux de lui donner des informations adéquates sur une question essentielle, non en ce qui concerne le nom du héros mais en ce qui concerne sa destination, vient des dames de l’Esplumëor Merlin, habitantes d’une autre terre de femmes. En refusant d’être explicites, elles transmettent l’impression qu’elles contribuent à diriger énigmatiquement le héros vers sa tâche. Comme un Desconëus, il choisirait logiquement d’emprunter la Voie sanz non19.
C’est le passage par la Cité sanz Non et son île qui vont permettre à Méraugis de passer à l’étape supérieure de son apprentissage et de son évolution. En choisissant la Voie sanz non, il a – pour une fois – pris la bonne décision. Comment va-t-il appréhender son arrivée dans cette fameuse cité ? Une fois encore, son inexpérience l’empêchera de voir un danger pourtant clairement exposé devant lui.
29Ayant quitté la chapelle, le chevalier et la dame arrivent en vue d’une splendide cité en bord de mer. Les quatre premiers personnages qu’ils croisent leur tiennent de sibyllins propos : « Vos avez les bornes passees ! » (v. 2801) et « Mar fus ! » (v. 2803 et 2812). À ces paroles, Méraugis s’esmervelle (v. 2814), sans se souvenir que semblables paroles furent lancées à Érec. Mais Lidoine pressent immédiatement le danger et tente d’en avertir son ami :
[…] Lors dit s’amie :
« Cez genz ne m’asseürent mie.
– De qoi ? fet il. – Sire, ne sai
Fors sol itant que paor ai
Si grant c’onqes mes n’oi gregnor. […] (v. 2814-2818)
Mais ses propos ne provoquent que scepticisme et ironie chez Méraugis, qui raille une angoisse que lui n’éprouve nullement : « […] – Et vos de qoi avez paor ?/ De riens ! […] » (v. 2819-20). Sa vantardise prouve que malgré ses récents et nombreux déboires, il n’a toujours pas appris à se fier au bon sens de Lidoine : ce rien20 dont il se moque est le signe à interpréter. Non seulement l’intuition est une qualité qui lui demeure étrangère, mais face aux signes qui s’accumulent devant lui, il va se livrer à de grossiers contresens.
30À l’approche des deux voyageurs, les habitants de la cité sonnent du cor. Bien que cela soit un motif récurrent dans la diégèse arthurienne, Méraugis n’en saisit rien : « […] il oit corner/ Prise e einsi la font aller/ Com s’il eüssent le porc pris », (v. 2834-2836). Toujours aussi ingénu, le chevalier n’a pas compris que la proie qui vient d’être prise est lui-même. Dans quelques instants, il sera sommé d’aller se battre en duel pour le plaisir d’une dame perverse qui honorera le gagnant de ses faveurs, avant qu’un nouveau prétendant ne se présente pour lui disputer la place. On notera la mention du porc, animal apparenté au sanglier ; le sanglier, dans la mythologie celtique, est le symbole de la chasse par excellence, animal totémique incarnant la vivacité guerrière, la ruse et l’intelligence21 – peut-être l’auteur a-t-il choisi cette image par antithèse avec la naïveté de son personnage.
Malgré la menace imminente du son du cor et les appréhensions répétées de Lidoine, Méraugis ne voit nule chose. Ou plutôt, il s’en tient à la semblance des faits : lorsque les habitants de la ville sortent en chantant et forment des rondes autour de lui, il s’en réjouit, toujours sourd aux observations de son amie :
[…] – Beau sire, encor ne savez vos
Que ce sera. – Certes ge non,
Mes en joie n’a se bien non.
E por itant miex me plest ore
Q’orains. Si fera il encore
Que je n’aim riens tant come joie.
– Dex nos en doint joïr que j’oie
Por qoi il sont si esjoï ! »,
Fet cele, qui pas n’en joï
De ce, non voir, ainz en ot ire. (v. 2863-2872)
Nice parfait, Méraugis s’engage dans la Cité sanz Non, sans rien voir ni entendre. Parfaitement inconscient du piège qui se referme autour de lui, il s’y jette tête baissée, sans tenir le moindre compte des avertissements de Lidoine. Bientôt, il sera séparé d’elle. Commencera alors pour lui la deuxième étape de son apprentissage, durant laquelle il sera seul, livré à lui-même, sans la présence protectrice de sa mère de substitution.
L’« adolescence » du personnage-chevalier
31La période métaphorique d’« enfance » de Méraugis est sur le point de s’achever. En parvenant à l’Île sans Nom, il commence celle que nous nommerons, toujours dans un sens figuré, « l’adolescence ». Le terme vient du latin antique adulescentia22 et signifie simplement « en train de grandir ». Les lettrés du Moyen Âge divisent les âges de la vie en quatre périodes : enfance, jouvent, moyen aage, viellesce23. Mais cette tranche de vie où l’on n’est plus un enfant et pas encore un homme n’existe pas dans la pensée médiévale : que ce soit à dix ou à quinze ans, l’être humain médiéval, d’un point de vue juridique, passe directement de l’état d’enfant à celui d’adulte, de la situation où il est dépendant de l’adulte pour vivre – ses parents, ses tuteurs, ses maîtres –, à celle où il gagnera sa vie, et où des enfants – les siens, ses apprentis, ses sujets – dépendront à leur tour de lui. Cependant, cette même « non-période » est paradoxalement celle où l’être reçoit le plus de qualificatifs : il peut être bachelier, vaslet, damoisel, jouvencel, jovent… Autant de termes désignant l’homme jeune en mutation.
32Si la société médiévale ignore ce temps-charnière de l’adolescence, cette période de la vie n’a pas manqué d’inquiéter cette même société, qui constitua des groupements de jeunesse afin de canaliser l’énergie et la violence inhérentes à cet âge24. Dès l’âge de douze ans se pose la question délicate de la sexualité. Contrairement à l’enfance, à laquelle les lettrés attribuent la vertu de pureté, « l’adolescence » – puisqu’il faut bien nommer cette période – est considérée comme l’âge de l’impureté. Garçons et filles sont perpétuellement soupçonnés d’être sur le point de succomber à la tentation du péché de chair ; on redoute que les filles ne tombent dans la prostitution et que les garçons, frustrés par la perspective d’un mariage tardif, ne se laissent aller à pratiquer le viol des honnêtes femmes, l’inceste avec leur mère ou l’homosexualité avec leur pédagogue. Cette période de transition et d’incertitudes effraie, et nombre de sociétés ont recours à des rites de passage complexes pour conjurer cette inquiétude et assurer un lien adéquat entre les deux âges. C’est à ces rites, que le jeune chevalier Méraugis va devoir affronter l’un après l’autre, que nous allons à présent nous intéresser.
L’initiation sexuelle : à la découverte de soi
33L’adolescence, période de tous les frémissements et tous les tourments, est aussi celle de la découverte de la sexualité. Le narrateur de Meraugis ne précisant pas si le héros éponyme a déjà eu l’occasion de connaître l’amour, on peut supposer que la réponse est négative. Vierge aussi bien littérairement que physiquement, le personnage ne peut éviter cette étape essentielle du parcours du chevalier courtois qui est celle du plaisir charnel. Mais elle ne se franchit pas toujours de façon simple et émouvante comme pour Lancelot, lors de sa nuit d’amour tant attendue avec Guenièvre. S’ingéniant à brouiller les pistes, Raoul de Houdenc conduit son personnage, non vers le lit de la dame aimée, mais vers celui d’une amante lubrique. L’amour physique se présente à lui sous le signe de la perversion et de la mort, et la joute amoureuse attendue va se transformer, à travers le prisme de la tentation sexuelle, en lutte pour découvrir son identité.
34Encore innocent, Méraugis est déjà passé par une étape le préparant à son passage vers l’adolescence : celle de l’Esplumoir. Métaphoriquement, ce lieu est celui où l’on « perd ses plumes », un moment de mue où le jeune homme se débarrasse de son duvet d’enfant avant d’entamer une nouvelle phase de son développement. Certes, dans le texte, Méraugis n’est pas comparé à un oiseau, mais on peut noter qu’à deux reprises, depuis le début du récit, il a été comparé à un animal : Les dames de l’Esplumoir lui reprochent de jupe[r] (v. 2687) comme un chien ; en vue de la Cité sans Nom, on lui donne la chasse comme pour un porc (v. 2836).
35La solitude étant nécessaire dans cette nouvelle étape de son apprentissage, il faut aussi que le chevalier se libère de la présence rassurante mais annihilante de Lidoine, sa « mère » de substitution. Comme le note Mircea Eliade, cette séparation est indispensable pour accomplir les rites de passage vers l’âge adulte, et on a pu voir combien Lidoine maintenait son ami dans un statut infantile : « […] l’initiation de puberté débute par un acte de rupture : l’enfant ou l’adolescent est séparé de la mère, et cette séparation se fait parfois d’une manière assez brutale25. » L’arrivée à la Cité sans Nom est le point de départ de leur séparation. Un défi est proposé à Méraugis par Méliadus, le sénéchal de la ville : vaincre le chevalier gardien de l’Île. Sans plus se soucier de son amie, il s’embarque donc. La tradition qui veut que les rites initiatiques aient lieu dans des endroits isolés, interdits au commun des mortels et séparés de leur monde par une barrière symbolique, est respectée26. En franchissant l’étendue d’eau qui sépare la rive de l’île, ce n’est pas seulement la cité que quitte Méraugis : c’est aussi le monde de son enfance, représenté par Lidoine. Une scission irrémédiable, comme on le verra un peu plus loin : Méraugis ne pourra pas – ou ne voudra pas – revenir en arrière. Pour la première fois depuis leur départ de la cour d’Arthur, ils sont séparés ; restée sur la rive, Lidoine pourra veoir, c’est-à-dire observer sans pouvoir intervenir, les actes de son ami. Ils ne se retrouveront pas avant bien longtemps.
36Sur l’île où débarque Méraugis l’attend une suzeraine qui va lui faire découvrir un autre visage de la femme : celui de l’amante diabolique qui l’initie, par une voie détournée et inhabituelle, à la sexualité. Après avoir quitté la « mère », Méraugis découvre un univers dont il ignorait tout et que Jean Markale décrit ainsi :
[C’est] un véritable rite de passage qui débouche sur le monde adulte viril. Guerre et sexualité sont liées : c’est si vrai que, dans de nombreux récits celtiques, ce sont de mystérieuses femmes-guerrières, à vrai dire des magiciennes, qui initient les jeunes gens27 […].
Débarrassée du rassurant aspect maternel, la dame domine par son savoir érotique, et devient une figure diabolique issue tout droit des anciens cultes féminins de l’Antiquité gréco-romaine.
Plus acesmez qu’une popine
37Arrivé sur l’Île sans Nom, Méraugis doit y affronter rituellement le chevalier gardien des lieux. S’il parvient à le vaincre, l’île et le château lui reviendront, ainsi que la belle dame qui en est la maîtresse. Raoul utilise ici le motif du combat masculin ayant pour récompense une femme, figure de souveraineté, et la terre dont elle est l’incarnation, toutes deux devant légitimement revenir à l’homme le plus fort. Mais là où les chevaliers de Chrétien s’affrontaient vaillamment pour conquérir les proies offertes à leur convoitise, les chevaliers de Raoul ont une réaction strictement inverse. En effet, Gauvain, le chevalier gardien de l’île, ne montre que désespoir à sa situation d’amant forcé prisonnier d’une coutume perpétuelle. Et Méraugis, pour la première fois, va réagir intelligemment. Est-ce dû à l’absence de Lidoine, qui jusque là annihilait ses capacités de réflexion en l’étouffant de son amour et de sa sagesse ? Toujours est-il que, ne pouvant cette fois compter sur personne d’autre que lui-même, Méraugis cesse soudain d’être le jeune irréfléchi qu’il avait été jusque là et imagine une solution ingénieuse afin que lui et Gauvain échappent à ce piège. Puisque la dame et ses sujets sur la berge veulent un combat et une mise à mort, Gauvain et lui vont faire semblant de s’affronter ; Méraugis feindra d’être terrassé, et Gauvain ira jusqu’à montrer bien haut son heaume por miex decevoir la gent (v. 3217). Là où traditionnellement la force prime, ici, l’engin s’impose. Méraugis devient enfin acteur de son destin. Sa parole se fait autoritaire et efficace : elle remporte l’adhésion sans réserves de Gauvain et les mène à la victoire. C’est lui, à présent, qui mène l’action, et Gauvain, son aîné en âge, en prouesse et en existence littéraire, se contente de suivre passivement ce nouvel ami.
38Dans cet épisode, Méraugis simule la mort ; cette mort est feinte pour lui, mais non pour les spectateurs du duel, en particulier pour la dame de l’île. L’auteur opère ici une variation sur le thème de la fausse mort, exploité par la littérature chez Chrétien de Troyes comme par les auteurs de Tristan. Nous voyons soudain le faux cadavre, sans transition aucune, se relever et reprendre l’action : « […] si s’en leva, / A la tor vint, e si trova/ La dame e sa mesnie o li », (v. 3268-3270). La réaction apeurée de la dame montre qu’elle croit voir un fantôme :
La dame qui resgarda la
Ot paor, si saut en estant.
Plus de .vii. foiz tot maintenant
Se segne e crie : « Deu merci,
Qui est ce la ? […]. » (v. 3273-3277)
Or c’est bien un fantôme qui lui apparaît : celui de Méraugis enfant, que cette première partie du rituel a tué pour laisser naître l’homme. Du reste, à la question de la dame, Méraugis ne se nomme pas : il emploie une périphrase énigmatique qui pourrait laisser entendre que lui-même ne sait plus qui il est : « […] – Je qui sui ci/ Venuz veoir la contenance […] » (v. 3277-3278). On retrouve ici la définition du fantosme médiéval établie par Francis Dubost : « Le fantôme est donc ce rien dont on peut tout attendre. Vision dépourvue de substance et de matérialité, il s’impose cependant avec toutes les apparences de la réalité28. » On note de plus que Méraugis a véritablement changé : lui qui ne savait que poser des questions est à présent celui qui impose le silence à son entourage : « […] Ja i morrez, c’est sanz doutance, / Se mot dites », (v. 3279-3280) ; et lui qui respectait tant les femmes, même lorsqu’elles le menaçaient, se montre désormais capable de brutalité envers elles, menaçant la dames et ses suivantes de les brûler vives si elles crient à l’aide. Le monde bestourné de son « enfance » est en passe de retrouver l’équilibre traditionnel : l’homme parle, et les femmes se taisent.
39Le stratagème de Méraugis pour quitter l’île s’avère inédit et des plus inattendus pour un chevalier arthurien. Un bateau vient régulièrement approvisionner les insulaires, et n’aborde que si la dame elle-même se montre sur la rive. Le narrateur souligne alors – malicieusement – l’intense réflexion à laquelle se livre son héros pour résoudre le problème : « Meraugis s’apensa a point./ E quant il ot pensé, si fist », (v. 3297-3298). Méraugis va donc poursuivre sa mise en scène et accéder à un stade supérieur de sa transformation : le chevalier se travestit en femme :
[…] – Par foi, il prist
Trestote la robe a la dame,
E lors dou tot come une fame
Se vest et lace e empopine.
Plus acesmez q’une popine,
Descent aval de cest chastel,
S’espee desoz son mantel. […] (v. 3299-3305)
Et le narrateur d’insister complaisamment sur l’aspect seyant de ces vêtements féminins sur le jeune et beau chevalier :
« – […] Que vos diroie ? Au havre vint
Einsi vestuz. Mout li avint
Car il estoit bien fes et genz. » (v. 3306-3308)
L’auteur nous livre à cette occasion la première description physique de son héros. Choisir de décrire son personnage à ce moment précis est significatif : le sous-entendu de ces vers permet d’imaginer la jeunesse du personnage, notamment une apparence androgyne typique de l’adolescence et d’une identité sexuelle encore mal définie, une popine encore asexuée. Nous en voulons pour preuve l’efficacité de cette ruse : abusés par cette gracieuse dame qui leur fait signe depuis la rive, les marins abordent sans méfiance. Soulignons ici une autre remarque savoureuse du narrateur, lorsque Méraugis, toujours déguisé, saute dans le bateau, et que le poids de la prétendue dame manque faire chavirer l’embarcation : « [Il] Saut en la nef de plain eslés./ Si samble que totes les és/ De la nef froissent e estendent », (v. 3316-3320).
40Changer de vêtement signale un épisode constitutif de la nouvelle identité de Méraugis : au Moyen Âge, le vêtement marque le reflet d’une condition sociale, d’un statut, une identité visible et reconnaissable par tous. En se dépouillant de ceux qu’il portait en arrivant sur l’île, pour en revêtir de nouveaux correspondant à son être nouveau, Méraugis se débarrasse de son « ancienne peau ». Mais pourquoi l’auteur choisit-il d’illustrer cette mue du sujet masculin par le revêtement d’habits féminins, par un travestissement qui ne peut guère contribuer à édifier une image noble et virile du chevalier arthurien ? La raison réside sans doute dans le déroulement originel des rites : le travestissement se retrouve dans toutes les cultures liés aux rites de passage, à travers lesquels sont mis en scène les changements qui vont lier un individu à une collectivité, comme le passage de la puberté à l’âge adulte. Était particulièrement célèbre en Grèce antique la fête des Oscofories, ou fête des vendanges, basées sur le retour de Thésée après sa victoire contre le Minotaure29 : le travestissement du jeune garçon au moment du passage à l’étape supérieure de sa vie permet de concrétiser ce moment de transition vers l’âge adulte, âge de la virilité et du mariage d’une part, âge de la guerre d’autre part – jusqu’à présent, Méraugis n’avait fait que tornoiier ; bientôt, il aura une véritable guerre à mener. Les raisons de ce travestissement sont similaires dans l’histoire de Méraugis et le mythe de Thésée : les deux garçons déguisés en filles portent des armes cachées sous leurs robes destinées à leur permettre d’affronter le Minotaure. Le déguisement de Méraugis reprend le même schéma : sous le mantel qui fait de lui une femme se cache l’épée de l’homme :
De souz le mantel a porfil
Tret Meraugis l’espee nue
E dit : « Vostre dame est venue.
– Ou est ? – Vez la ci en ma main. »
Por la moustrer abat son frain
E dit as maroniers : « Par m’ame,
Ceste espee, c’est vostre dame,
Dont vos avrez dampnatïon. […] (v. 3325-3332)
« Vostre dame est venue » : Méraugis se qualifie lui-même de « dame », mais c’est aussi en ces termes qu’il nomme son épée mise à nu. Or, l’épée est le symbole chevaleresque, donc masculin, par excellence, ainsi qu’une des plus célèbres métaphores du phallus en érection, assimilant l’amour à une prouesse guerrière. Par syllogisme, Méraugis attribue donc une appellation féminine à l’organe masculin, celui qui définit son identité. Une identité devenue féminine, le temps d’une action lourde de conséquences. Mais en affirmant que l’épée est désormais souveraine, il rend aussi symboliquement le pouvoir à une caste masculine jusque là dominée par les femmes, ainsi que le note Norris J. Lacy : « […] L’objet le plus emblématique symbolisant l’identité chevaleresque est présenté ici en termes féminins. Les catégories sexuelles sont très floues et irréversiblement transformées30. »
41Le déguisement de Méraugis est remarquable par un changement radical de son caractère : de passif, il devient actif, d’ingénu, il devient habile. Devenu « femme », les qualités d’intelligence s’éveillent en lui, il acquiert ce trait de caractère typiquement féminin qu’est l’engin, la ruse :
[…] Méraugis, soudain homme actif et ingénieux, qui semble être au mieux de ses possibilités quand il est travesti. Le vêtement féminin et l’autorité semblent être liés ici : en assumant l’un, Méraugis acquiert l’autre. […] Cet épisode central, avec son fléchissement des genres, est une étape transitoire complexe dans le transfert textuel du pouvoir d’un sexe à l’autre31.
La ruse et la tromperie sont considérées selon la tradition misogyne comme des armes essentiellement féminines, et Méraugis les a assimilées : non seulement il se montrera désormais rusé, mais il devient accessible aux larmes, sensibilité qui lui faisait jusque là défaut. Prenant conscience, après son évasion, qu’il a perdu Lidoine, il pleure : « […] Regrete s’amie e complaint/ Tant se demente e tant se plaint […] (v. 3424-3425). Et, paradoxalement, le fait de devenir femme lui fait également acquérir l’autorité, comme si cette vertu propre à Lidoine s’était transférée sur son ami. Méraugis est désormais obéi sans discussion : « [Li maronier] dient : « Sire, nos feron/ Vostre bon […] », (v. 3344-3345). Le travestissement marque une occasion pour le héros de s’éprouver pleinement comme un autre soi-même : « Le masque dissimule le personnage social, il le fait taire et libère la personnalité véritable »32, remarque D. James-Raoul. À noter que le travestissement de Méraugis ne prend pas fin lorsqu’il ôte ses habits féminins ; jusqu’à la fin du roman, il va jouer sur sa mort fictive, apprenant à devenir un autre lorsque la situation l’impose. Son initiation sexuelle a donc été accomplie par un simulacre d’acte sexuel, une expérience d’androgynie qui lui fait explorer sa propre sexualité plutôt que découvrir le corps d’autrui.
42Ce premier rituel s’est déroulé sous l’égide de la féminité, incarnée par deux figures féminines féeriques contraires mais complémentaires : Lidoine, figure maternelle, qui guide et protège Méraugis, mais le maintient dans l’enfance, et la dame de l’Île sans Nom, figure de l’amante, qui l’arrache à la mère pour l’introduire dans un monde de femmes où règnent l’amour et la mort. La seconde phase, l’initiation à la féerie, commencera par les bouleversements et la souffrance.
L’initiation féerique : la conscience suspendue
43Méraugis et Gauvain quittent l’île au moyen du bateau réquisitionné : « A sigler pristrent » (v. 3366). Mais ils font voile dans la direction opposée à celle de la Cité sans Nom, où se trouve Lidoine que Méraugis, dans la frénésie de l’action, a tout simplement oubliée. Gauvain, note Norris J. Lacy, a remplacé sa dame à ses côtés, et l’engouement du compagnonnage viril a supplanté l’amour ; Raoul reprend avec humour l’intrigue bien connue d’Yvain, où le héros éponyme, heureux de courir les tournois avec ses compagnons d’armes, laisse passer le délai imposé par son épouse Laudine. Le schéma de Méraugis est similaire : la dame est délaissée au profit du frère d’armes. Plus que délaissée même, car le héros, au sens propre, prend la fuite ! Et comme pour Yvain, il faut à Méraugis un laps de temps conséquent avant de s’apercevoir qu’il a manqué à sa promesse de revenir auprès d’elle. La navigation est en effet bien longue, et un fait significatif se produit lors de l’accostage sur cette terre d’Hadicon : la destruction du bateau (v. 3385-91). À présent, Méraugis ne peut plus revenir en arrière. La psychanalyse interprèterait sans doute cet acte manqué comme un refus du sujet de revenir sous l’autorité de la « mère ». C’est l’avis de Norris J. Lacy : « […] Ce qu’il a fait néanmoins constitue un reniement symbolique puissant de la dame et une affirmation emphatique de son indépendance33. » Il ne reste plus à Méraugis qu’à continuer à avancer sur le chemin de la vie.
44Bien qu’il soit sevré de Lidoine, la période adolescente de Méraugis n’en est pas finie pour autant. Grandir ne se fait pas sans souffrir, et au milieu de la joie qui l’entoure, une souffrance sans nom le saisit soudain :
Lors [li quens Glodoains] les mena en son recet,
Quant Meraugis s’arreste e fet
Un doel. – Por qoi ? – C’est por s’amie :
« Qu’est ce, fet il, ou est ma vie ?
Ou est ? Ha, Dex, je l’ai lessie.
Oïl, por tant l’ai esloignie !
Par tant ai ! L’ai ge donc perdue ?
Oïl ! » Lors se fiert e se tue.
Se s’amie fet doel por lui,
Ce est noienz avers cestui. (v. 3402-3411)
Le jeune chevalier vit son premier chagrin d’amour : il a perdu son amie, et la douleur qu’il ressent le coupe du reste du monde. Plus sensible depuis son travestissement, Méraugis ressent aussi de l’effroi, car il prend subitement conscience qu’il est seul, sans la présence protectrice de sa « mère ». Aussi décide-t-il dès le lendemain de partir à la recherche de Lidoine, qui le croit mort. La quête de l’aimée commence : « Il oirre tant qu’en maint lieu vint / E demandoit. La cité quiert / Qui ert sanz non, e si enquiert / A la Cité sanz Non sa voie » (v. 3511-3514). Mais il n’a aucune chance de retrouver la Cité sans Nom : non seulement il s’agit d’un lieu féerique, mais c’est aussi une étape passée de sa vie à laquelle il ne peut retourner. Son enfance est définitivement morte, disparue avec la cité et l’île où l’enfant qu’il était a été mis à mort.
45Un épisode typique des romans arthuriens survient alors, celui de la folie Méraugis : il est saisi par la forsenerie, cet état délirant dans lequel s’enfoncent certains héros arthuriens sous l’effet d’un choc émotif, souvent amoureux, trop grand et donc insupportable. Yvain, Lancelot, Tristan en furent victimes. Déjà, durant sa nuit de désespoir, le narrateur disait de Méraugis qu’il était fors du sens (v. 3423). Cet état va se confirmer et s’aggraver face à l’échec de ses recherches : « Einsi a Meraugis ouvré/ Toz jors, e noient a trové./ Jure e maudit trestot le mont./ Par mautalent resgarde amont […] », (v. 3522-3546). S’ensuit un monologue d’une remarquable densité stylistique, écho de l’enamoratio de Gorvain pour Lidoine. Dialogue intérieur, succession de questions-réponses, appels à Dieu, sentiments contradictoires construisent cette prise de paroles au style haché qui traduit la confusion du personnage et le trop-plein d’émotions qui le submerge. Toujours dans l’esprit parodique houdanesque, cette douleur bavarde contraste avec la folie d’Yvain, qui se caractérisait au contraire par le silence absolu du chevalier dont la souffrance, trop grande, s’extériorisait par les actes et non par la parole. Mais dans cette attitude, on reconnaît le tempérament excessif de Méraugis : des émotions violentes et contradictoires assaillent cet être en train d’évoluer, il a besoin d’errer sans but pour exprimer sa colère loin d’un monde qui ne le comprend pas. Cette fuite hors de la société, constitutive de la personnalité du héros, est rendue nécessaire à la transition vers son nouveau Moi.
46L’irruption inattendue d’un personnage surgi du passé narratif permet à Raoul de Houdenc de renouer habilement les fils suspendus de la diégèse et de faire le lien entre les aventures d’enfance de Méraugis et celles de son adolescence : l’Outredouté, disparu depuis mille vers de la diégèse, réapparaît brusquement (v. 3581-3591). Méraugis se lance à sa poursuite, et contrairement à ce qui se passait dans sa période d’enfance, le chevalier est désormais capable d’identifier les signes, les traces laissées par l’ennemi dans la neige. C’est aussi un renversement des rôles qui s’opère : bien qu’il n’en sache rien, l’Outredouté est devenu la proie traquée par Méraugis. C’est cependant lui qui, pendant un court laps de temps, construit le parcours de Méraugis et l’amène, sans le vouloir, vers le lieu de sa seconde initiation : la découverte de la magie.
47Comme pour l’initiation sur l’Île sans Nom, ce deuxième rite de passage se tient dans un lieu doublement isolé et clos du reste du monde : la forêt et l’enceinte d’un château, sans oublier la neige qui forme une frontière naturelle supplémentaire. Le rituel se déroulera à l’abri des regards. La carole magique, image de la Terre-Mère, prend Méraugis en son sein pour l’aider à se développer avant de le faire naître une seconde fois. Cette longue « parenthèse » constitue aussi une phase de repos, de régénérescence nécessaire après la période déliquescente que fut celle de la folie. De fait, la sortie de la carole se fait pour Méraugis sous le signe de la reverdie, de la renaissance, avec un rossignol chantant, des fleurs et de l’herbe verte (v. 4311-4314). Mais cette renaissance équivaut pour lui à une perte totale de repères : « […] Diex, dont vieg gié ?/ Sui enchantez ou ai songié ? » (v. 4316-4325). Le personnage est plongé dans une ambiance magique : ce qu’il voit et entend est-il le fruit de son imagination malade, ou un événement surnaturel a-t-il vraiment eu lieu ? Il pense même à une intervention physique du deables d’enfer lui-même (v. 4390-4391). La voix rationnelle s’oppose à l’irrationnelle dans son être désorienté, et c’est alors sa propre identité qui se dilue dans son esprit : « […] Par foi, a poi que ge ne di/ De moi que ce ne sui ge mie […] », (v. 4335-4336). Francis Dubost explique ainsi ce comportement :
Le cercle magique formé par la danse des fées a introduit le héros dans un temps immobile, semblable à l’univers de Dieu. La chute brutale dans la temporalité terrestre, balisée par le cycle des saisons depuis Noël jusqu’à la reverdie, crée une contradiction insurmontable entre le passé de la connaissance et le présent de la perception. […] L’explication par le fantosme reste alors la seule échappatoire possible34.
Mais Méraugis a mûri. Après un moment de peur panique, il réussit à se ressaisir. Un vers fondamental fait suite à ses interrogations sur son identité :
– Si sui. Dont ne quier ge m’amie ?
Ne sui ge Meraugis ? Oïl.
Ce sui ge […]. (v. 4337-4339)
Alors qu’il se transforme en homme, son amie devient part intégrante de lui-même, non plus supérieure, mais complémentaire et consubstantielle. Il est un amant, et un guerrier. Et aussitôt qu’il retrouve l’ennemi originel, l’Outredouté, toute question devient inutile : « […] Si dit : « Je ne quier plus savoir […] » (v. 4413).
48Les dix semaines que Méraugis a passées dans la carole des fées ont poursuivi les transformations commencées en lui sur l’Île sans Nom. Pour la seconde fois, il subit une mort fictive : considéré comme mort dans la société arthurienne qui a appris, de la bouche même de Lidoine, le sort du chevalier sur l’île, il est effectivement mort au monde durant ces dix semaines où le temps cesse d’agir sur lui. Du point de vue du récit, il est absent : l’auteur-narrateur choisit ce moment pour abandonner son héros masculin et conter les aventures de Lidoine. Alfred Adler donne une interprétation au passage de Méraugis dans cette carole et aux bouleversements qui vont se produire dans sa personnalité en faisant le lien entre cette ronde et le mystérieux essart évoqué dans la première partie du roman : « – […] Dedenz l’essart/ Li hardi devienent coart/ Com lievre e li coart hardi/ Plus que lïons […] », (v. 2182-2185). Cette information sibylline du narrateur intervient dans le premier tiers du roman, alors que le nain camus détourne Méraugis de son chemin pour le conduire chez le roi Amangon. Il ne sera plus jamais question de cet essart et de son pouvoir transformant, mais la carole magique semble posséder de semblables vertus. Alfred Adler considérant Méraugis comme un avatar du Beau Couard, il en déduit que le séjour dans la ronde transforme le chevalier physiquement et moralement : « où les hardis deviennent plus couards que des lièvres. […] Tournant dans le cercle en tant que couard, Méraugis serait devenu un Laid Hardi35. » Méraugis, décrit comme fort beau, sera en effet dit très laid lorsqu’il reverra Lidoine (v. 4900-4901). La carole l’aurait-elle alors transformé de Beau Couard en Laid Hardi ? Rien n’est moins sûr. Méraugis n’a jamais manqué de courage, la carole n’a pas eu besoin de rendre hardi qui l’était déjà. Quant à la laideur, A. Adler le reconnaît lui-même, ce n’est qu’un aspect très provisoire : « Sa laideur est temporaire ; le remède est la rationalisation d’une désillusion36. » Pourtant, il est indéniable que la carole va transformer une part de lui-même. Elle est magique, ne serait-ce que par sa forme : le cercle est un élément récurrent de la magie et de l’ésotérisme, tous les rituels doivent commencer par la création de cette courbe parfaite qui délimite la frontière de la zone dans laquelle la « cérémonie » sera pratiquée. Il sert à retenir les énergies mises en œuvre par le pratiquant, et protège celui-ci des influences néfastes extérieures qui pourraient perturber le bon déroulement du rituel. Un fois le cercle tracé, personne ne doit le franchir sous peine de briser cette protection et de s’exposer à divers risques, en plus du probable échec du rituel. À la fois symbole de totalité et de protection, la figure fermée du cercle enclot le lieu des opérations, concentre puis émet les « forces » mises en mouvement par le rituel et la volonté des opérateurs. C’est aussi, selon l’analyse de Christine Ferlampin-Acher, le lieu de manifestation du sacré qui concentre en son sein les énergies spirituelles : « La carole magique, tournant éternellement, combine circularité et rotation : elle correspond à une interprétation de type historique du cercle magique. […] Cette danse est associée à la magie […]. On sait que ce divertissement a été condamné par l’Église qui y voyait une survivance inquiétante de croyances anciennes. Cependant, passée dans les mœurs, elle est devenue familière au lecteur des xiiie et xive siècles : une origine magique est alors prêtée à la carole, et une temporalité merveilleuse, liée à l’oubli, est introduite, développant en fait la caractéristique première du cercle, à savoir son infini.37 » Ainsi, l’Outredouté, modèle de tort et de démesure dans le roman, et qui a passé quelques minutes dans la carole, n’est plus le même homme lorsqu’il affronte enfin Méraugis. Contre toute attente, il reconnaît la valeur de son adversaire comme égale à la sienne : « – […] Tu es/ Li plus hardiz qui onques mes/ M’encontrast […] », (v. 4498-4500). Ces paroles sont celles d’un chevalier courtois, à la fois décidé à vaincre et respectueux de son adversaire. Qu’est devenu le guerrier sanguinaire et déloyal qui éborgna Laquis ? On peut penser que son passage dans le cercle magique a transformé son être. Il attendra Méraugis pendant dix semaines, faisant preuve d’une étonnante patience (v. 3696-3702). Durant le duel tant espéré, il montre courtoisie et respect à l’adversaire pourtant haï. Enfin, lorsque Méraugis dit vouloir le combattre jusqu’à la mort, l’Outredouté tente de le raisonner : « […] – Tu ez fouls, / Car de la main prendras les coups/ Dont tu morras […] », (v. 4540-4542). C’est donc l’Outredouté, ce monstre de déloyauté et de démesure, qui, devenu humble, parle avec reson. Son agressivité a disparu, comme si la carole avait fait de lui l’inverse d’une part de son être ancien : de démesuré, il est devenu mesuré, de tort, il est devenu droiz. Le narrateur souligne l’aspect humain nouveau chez ce personnage, en insistant sur la faim qu’il ressent au sortir de la carole (v. 3690) : il est un hom, lui qui, par son corps droit à l’extérieur et son cœur tort à l’intérieur, était une anomalie de la nature (v. 1858 et sq.) Son court passage dans la carole magique a redressé cet aspect tordu, bestourné, du personnage.
49Il semble qu’une même transformation se soit opérée chez Méraugis. Il l’a dit lui-même : « Mes ne sui pas cil / qui orains vit les noiz », (v. 4339-4340). Grâce au rituel magique, le chevalier immature parle désormais avec une sagesse nouvelle, une courtoisie égale à celle de son adversaire : la carole a aidé l’adolescent à combler ses manques et a mis définitivement fin à sa période précédente de folie. Mûri par les dix semaines ininterrompues de rite féerique, il est à présent celui qui sai[t], et sa réponse loue le renon, pourtant si controversé, de son adversaire :
« Plus n’iert il pas de doel de moi
Qu’il ert de toi, se ge muir non,
Que ge ne sui de nul renon,
Que tu ez li plus renomez. » (v. 4516-4519)
L’initiation de la carole magique met les deux personnages sur un pied d’égalité sans atténuer leur relation de concurrence. Mais Méraugis a bénéficié d’une action magique bien plus longue, et cela jouera en sa faveur. Le combat de sa vie peut commencer, et avec lui la troisième et dernière phase de son initiation : celle du sang.
L’initiation par le sang : un combat identitaire
50Un homme n’a droit à ce titre qu’après avoir fait couler le sang d’un adversaire et pris sa vie et sa force : « Le sang est un symbole universel de force et de fécondité38 ». Ce rituel de mise à mort manque encore dans le parcours de Méraugis, et l’Outredouté, incarnation d’un mal social, ressurgit à point nommé pour parfaire l’accession du chevalier à l’âge adulte : en l’éliminant, l’adolescent délivrera la communauté d’un fléau, et prouvera sa virilité guerrière qui lui donnera le droit de faire partie du monde des hommes.
51Un passif existe entre Méraugis et l’Outredouté : ce dernier a éborgné Laquis, le jeune chevalier que Méraugis avait envoyé auprès de lui en ambassade sans tenir compte des dangers encourus. L’infamie subie par Laquis représente pour Méraugis une tache originelle qui souille son honneur et qu’il doit impérativement laver dans le sang du coupable. L’Outredouté incarne cette faute commise par l’enfant qu’il était et dont il doit effacer le souvenir : en le tuant, c’est son Moi fautif qu’il tue. Mais Méraugis aussi représente un manque pour l’Outredouté, qui avait fait serment de tuer quiconque renverserait son écu : son Moi chevaleresque est également incomplet. L’Outredouté apparaît donc comme une projection, un double noir de Méraugis. Les deux chevaliers tiennent en effet un discours parfaitement similaire :
[…] A l’encontrer li crie :
« Cuvert, assez avez alé !
– Voire, car ge t’ai en contré,
Ge n’irai plus – c’est sanz merci –
Ainz t’avrai mort. Car ge t’ai ci
Trové, ja plus ne te querrai. » (v. 4417-4422)
À qui faut-il attribuer les deux répliques ci-dessus ? Raoul de Houdenc s’ingénie à brouiller les pistes en laissant dans l’imprécision la première, simplement introduite par « li crie ». Méraugis résume en un vers la conformité de leurs deux personnages : « […] Tu demandes ce que ge voel […] », (v. 4425), et les deux adversaires, avant de s’affronter, expriment enfin une identique joie. Le combat va montrer la symétrie parfaite des deux adversaires. On relèvera ce vers illustrant le parallélisme des actions renforcé par l’homophonie des monosyllabes employés : « […] Ne le sent il, ne cil nel set/ Ne cil ne cil por mal qu’il ait […], (v. 4454-4455), et le vers 4473 montre la relation binaire qui unit les deux adversaires : « Tu m’as feru, je te ferré ! » (v. 4473). Les adverbes exprimant la réciprocité parsèment le récit du duel, ainsi que les verbes formés avec le préfixe de simultanéité entre ; l’emploi constant de termes indéterminés tels il, cil, nuls, li quex brouillent les identités des deux adversaires et empêchent d’attribuer une action particulière à l’un d’eux. Ce procédé est un topos du combat chevaleresque pour donner à voir la furie du duel où les deux adversaires entremêlés semblent ne faire plus qu’un, mais il acquiert ici un sens supplémentaire : si les actions sont ainsi indissociées, c’est bien parce que Méraugis mène un combat contre lui-même, ce double défaillant, reliquat de son enfance qu’il doit sacrifier sur l’autel de son initiation. La fin de leur combat montre que l’Outredouté était bel et bien devenu son « ombre » : « Des bras se sont entrembraciez, / Par les testes iloeques sont/ Entrapuié, […]/ Se ciz n’estoit, ciz cherroit », (v. 4567-73). Par leurs gestes dupliqués, ces deux figures en miroir se fondent l’une dans l’autre jusqu’à ce que la part sombre du héros disparaisse définitivement en lui. Méraugis se couche sur l’Outredouté, son ombre enfin vaincue :
Einsi ont une piece esté
Tant qu’en la fin l’Outredouté
Morut. Si chieent ambedui,
Meraugis sus e cil soz lui,
Qu’il n’ot pooir de fere plus. (v. 4574-4578)
L’Outredouté est mort. Il reste à Méraugis à fournir au monde la preuve de cette mort et de sa propre victoire, par un trophée : il lui tranche la main droite (v. 4581-4594), puis s’effondre. Raoul de Houdenc abandonne ici le ton humoristique auquel il nous avait habitués pour nous offrir une scène de mort glorieuse et solennelle. À cet instant, le chevalier s’élève à la dimension d’un héros. Ce n’est pas seulement l’accomplissement d’une promesse qui se réalise ici, mais la consécration d’un homme nouveau qui a, selon les mots de M. Eliade, accompli sa transformation dans le sang :
Le néophyte doit être fortifié avec du sang masculin, car celui qu’il possédait jusqu’alors était exclusivement celui de sa mère. […] Le novice sort de ces mutilations sanguinaires radicalement régénéré39.
Cette preuve de l’achèvement des rites d’initiation, Méraugis la garde contre son corps, comme faisant désormais partie intégrante de lui-même, avant de sombrer dans l’inconscience nécessaire qui parachève la fin de ce cycle « d’adolescence ».
52Selon le principe vétéro-testamentaire de la vengeance, le chevalier a racheté sa faute tout en se « grandissant » lui-même. Il a fait couler le sang de l’ennemi, et a réussi l’épreuve initiatique de virilité. Les trois étapes de son initiation sont achevées, il est désormais un homme40. À présent que sa période de rites de passage et d’initiation est achevée, il va se révéler véritablement autre et donner à ses aventures une dynamique en accord avec sa nouvelle personnalité. La période « adolescente » de Méraugis, période de mises à l’épreuve et d’initiations, a suivi un chemin complexe, ponctué de moments de folie et de régressions vers l’enfance, régressions qui montrent la difficulté pour l’être à grandir et à agir dans cette période charnière où se forme son identité. Commence maintenant pour Méraugis son âge « adulte » : il a franchi toutes les épreuves placées sur son chemin et s’est montré digne d’évoluer – peut-être devons-nous voir dans cette faculté à se développer positivement l’origine même de son prénom.
53À présent qu’il a fait ses preuves, Méraugis peut se consacrer à la quête qui parachèvera son itinéraire de chevalier courtois : il doit retrouver Lidoine. Or, celle-ci, qui croit son ami mort depuis l’épisode de l’Île sans Nom, est retenue prisonnière par Bergis qui veut la marier de force à son fils Espinogre. Pour la délivrer, Méraugis va mettre en œuvre les talents qu’il a acquis durant la période de formation : travestissement et ruse sont les armes qui le mèneront à la victoire.
L’entrée dans l’âge adulte
Le choix de l’anonymat
54Grièvement blessé après le duel contre l’Outredouté, Méraugis est découvert par hasard par une troupe menée par Mélian de Lis, le propre beau-frère de Bergis. Aucune des personnes présentes à cet instant ne connaît – ou ne reconnaît – Méraugis. Mais grâce au poing coupé, la vertu guerrière irradiant du chevalier inconscient lui sauve la vie : Mélian, sur les conseils de la mire Odeliz, décide d’emmener l’inconnu au château de Bergis où il sera soigné pour devenir un allié. Bergis en a en effet bien besoin, car son château est assiégé par Gorvain, venu au secours de Lidoine.
55Grâce aux soins d’Odeliz, Méraugis se rétablit rapidement. Ses premières paroles, lorsqu’il revient à lui, sont pour s’enquérir de sa situation (v. 4784-4794). Il apprend tout ce qui s’est passé depuis sa séparation d’avec Lidoine, deux mille vers plus tôt. Mais surtout, il sait que son amie se trouve dans les mêmes murs que lui-même. La réaction qu’on attendrait de la part du chevalier amant serait qu’il se précipitât pour la voir, mais Méraugis choisit de faire montre de prudence, preuve de son évolution intellectuelle : Bergis sait qu’il était l’ami de Lidoine, révéler son identité serait se livrer à sa cruauté, aussi le chevalier va-t-il habilement mentir par omission :
« Ja mes ne quier dire mon non
Devant que jë ai jousté
A Gorvain Cadruz, car gel hé », (v. 4801-4803)
En décidant de taire son identité et ses sentiments pour Lidoine, Méraugis applique ici une des règles fondamentales du chevalier courtois et arthurien, celle de se retenir de parler quand c’est nécessaire41. Cette capacité nouvelle à contrôler la parole est une des meilleures preuves de l’évolution positive de Méraugis : du silence imposé de la première partie du roman, il passe ici à un silence voulu, sciemment décidé et tactiquement efficace. Sans identité dans la demeure même de l’ennemi, il a les mains libres là où il devrait être prisonnier. Le chevalier réinvente la notion arthurienne de la captivité, ou « mise à disposition », pour en faire une intégration, une infiltration du camp ennemi. Cependant, s’il choisit de taire ce qui peut le compromettre, il dévoile ce qui favorise cette infiltration : sa rancune contre Gorvain, sans mentionner que Lidoine en est la cause. L’effet s’avère immédiat : la demoiselle à son chevet, abusée par cette parole à double sens, va innocemment la répandre par tout le château. Par quelques mots bien choisis, Méraugis a réussi une véritable entreprise d’« intoxication » de l’adversaire : Bergis, entièrement mis en confiance, ne suspecte nullement qu’il abrite en son foyer un « agent double ». Depuis l’épisode du travestissement, le chevalier pratique avec talent l’art de la dissimulation et du mensonge et, pour voir Lidoine, il fait le même usage de sa parole ambiguë :
« […] Or n’i a plus, ge voel aller
Lasus as chevaliers parler,
Entre ces genz, e si orrai
Tele chose ou ge me tendrai », (v. 4886-4889)
Par l’expression tele chose, la demoiselle qui le soigne croit qu’il veut s’informer du siège mené par Gorvain. Quand Méraugis se retrouve face à Lidoine, la reconnaissance entre les amants est immédiate, et muette : tout se passe à travers leurs regards. Cependant, cet amour trop fort a aussi besoin d’être exprimé par des mots. Méraugis va soulager son désir et dire son bonheur d’avoir retrouvé son amie, mais en jouant habilement sur les deux sens du mot feu, ce qui va lui permettre une nouvelle fois d’abuser ses hôtes sur ses véritables sentiments : « Li feus m’a mort. Dex, que ferai ?/ Ja mes a feu ne chauferai./ – Dame, li feus que desirroie/ M’a mort » […], (v. 4965-4978). Le chevalier trompe ses gardiens qui le croient incommodés par le feu de cheminée près duquel il reposait, alors qu’il évoque le feu amoureux qu’il éprouve pour Lidoine, métaphore ovidienne bien connue et qui sauve la situation. Lidoine, atteinte du même trouble, aura la même habilité à dissimuler que son ami.
56Cette appropriation de la parole par le héros masculin est essentielle : à présent que Méraugis maîtrise ce pouvoir, Lidoine en est progressivement privée : elle parlera de moins de moins. Le bestournement initial construit sur la suprématie féminine s’inverse peu à peu pour laisser place à l’ordre traditionnel patriarcal.
Une tonsure aux complexes senefiances
57L’aspect physique de Méraugis porte lui aussi le signe de son évolution et des épreuves subies. Lorsqu’il se rend dans la salle où se trouvent les chevaliers de Bergis, le narrateur révèle qu’il a été tondu suite aux soins prodigués par Odeliz (v. 4904). Au Moyen Âge, la tonsure peut être une marque d’infamie, de pénitence ou de deuil. Également, se raser le crâne permet de se libérer des « rêvasseries de l’âme » et plus largement des réalités du monde : la tonsure devient alors signe de sagesse42. Du point de vue thérapeutique, la tonsure permet d’appliquer au plus près du cerveau onguents, décoctions et ventouses, mais aussi d’« aérer » la tête, la folie provenant, selon les croyances médiévales, d’une mauvaise aération du cerveau. Après sa période de folie, Yvain est soigné ainsi, par oingnemant du crâne, et ensuite tondu43. Allant de pair avec les soins du corps et le rasage, la tonsure prend part aux rituels purificateurs qui ramènent l’homme sauvage à l’état civilisé. Qu’en est-il pour Méraugis ? Il sort d’une période de folie, de forsenerie, et c’est seulement après sa guérison que nous apprenons qu’il est chauve. Sachant qu’il était grièvement blessé après son combat contre l’Outredouté, on peut penser que cette tonsure lui a été appliquée par la guérisseuse, comme procédé thérapeutique pour la plupart des maladies de la tête. Mais on peut attribuer à cette tonsure une senefiance plus complexe. En effet, immédiatement après la mention de cette tonsure, le narrateur indique que Méraugis ressemble à un fol, et qu’il l’est bel et bien :
Il ne li faut fors la maçue
A sambler fol le plus a droit
Du mont. Fols est il orendroit.
– Por qoi ? – Ge di qui que nus die,
Que cil est fols qui fet folie.
Dont est il fox quant en tel point
Ne veut il pas que Dex li doint
Senz de sa folie haïr
Ainz li plesent si fol desir
De li veoir [Lidoine], qu’il en cuide estre
Gariz. Mes il en a fol mestre. (v. 4905-4915)
Lorsque Lidoine revoit Méraugis, quelques instants plus tard, elle aussi le traite de fol : « – […] Jë ai veü/ Le fol. Gardez que je nel voie/ Ja mes. Se ja mes le veoie, / Le fol chevalier, de mon senz/ Me geteroit […], (v. 4989-4993). Or, Méraugis n’a nullement un comportement délirant, il est seulement très laid, chauve, et marqué de blessures au visage. Mais la tonsure, nous apprend J.-M. Fritz, de pair avec la coiffure échevelée d’Yvain dans la forêt, fait aussi partie au Moyen Âge des attributs du fou :
À côté [d’] indices élémentaires, cris, violence, nudité, on a voulu définir un certain nombre d’attributs du fou médiéval – tonsure, massue, fromage – signes plus complexes, dans la mesure où ils mettent en jeu des notions médicales ou théologiques44 […].
On peut penser à une troisième senefiance possible de cette tonsure : la punition, le signe visible de la pénitence. Au Moyen Âge, les cheveux courts ou tondus étaient considérés comme un signe de subordination, de liberté personnelle restreinte – la tonte, notamment, était une peine infâmante infligée aux détenus ou aux femmes adultères45 – ou de soumission volontaire, comme la tonsure monastique. Chez les rois mérovingiens, la tonsure équivalait à la perte de leur statut de prince. En abandonnant Lidoine, Méraugis a commis un manquement grave aux devoirs du chevalier courtois, et cette tonte qui l’enlaidit et l’assimile à un fol, être marginal et rejeté par la société médiévale, signifie aussi un châtiment. Cependant, comme le souligne Jean-Marie Fritz, « la folie est ascèse, dépouillement, et à ce titre elle n’est pas sans rapport avec la sainteté, comme le suggère le signe complexe de la tonsure46. » Cette tonsure n’est-elle pas aussi pour Méraugis la preuve de l’accomplissement de ses rites d’initiation et de son accession à la sagesse ?
58L’arrivée de Gauvain, qui vient prendre part au siège mené par Gorvain contre Bergis, va permettre à Méraugis de franchir une étape nouvelle dans la dissimulation de son identité. Il aura pour cela l’aide de Gauvain. Alors qu’il était de retour à la cour d’Arthur, la jeune Amice est venue reprocher à ce dernier de ne pas secourir Lidoine prisonnière de Bergis (v. 5106-5111). Gauvain décide alors de ne pas démentir les affirmations d’Amice, qui croit Méraugis mort. En se taisant, il contribue à entretenir la croyance en la mort fictive de son ami et l’efficacité de son anonymat (v. 5119-5126). Gauvain part donc, avec la bénédiction et le soutien d’Arthur, prendre part au siège dirigé par Gorvain. La présence nouvelle de Gauvain, qui ignore que Méraugis se trouve à l’intérieur du château, côté ennemi, réjouit ce dernier. Mais paradoxalement, Méraugis combat vaillamment ceux qui sont venus délivrer Lidoine (v. 5256-5261). Il a un plan, et domine la situation comme le montre la construction des vers 5256-5257 : « […] Meraugis fu / Lasus. » Le rejet de l’adverbe lasus met en valeur la position du chevalier, physiquement et mentalement « au-dessus » des autres. Dès le lendemain, il prend les armes, qu’il choisit blanches (v. 5347-5349). L’anonymat est le premier degré dans l’échelle de ses déguisements. Désormais vêtu de blanc, Méraugis acquiert une nouvelle identité : il devient le blanc chevalier. C’est là, ainsi que le souligne D. James-Raoul, un des motifs favoris des romans arthuriens, hérité du fonds celtique :
Le port d’un écu plain (d’une seule couleur), en particulier, indique qu’un chevalier veut cacher son identité, rester incognito, tel un chevalier nouveau qui aurait faire reconnaître sa vaillance, en dehors de tout préjugé47.
On retrouve ce motif dans Le Chevalier à la Charrette, Le Chevalier au Lion, le Lancelot en prose… Ce passage par un nouveau dénominatif marque une étape supplémentaire dans l’échelle de son évolution vers son identité définitive et le statut de héros – « héros » au sens de « personnage qui accomplit des exploits » comme à celui de « principal personnage du récit ». Le port des armes unies, blanches en particulier, marque chromatiquement la virginité littéraire de Méraugis qui s’élance vers le monde des initiés. Il présente aussi l’avantage d’attirer tous les regards, de focaliser l’attention du public sur ce nouvel arrivant : pour être validée, la victoire doit avoir des témoins. L’arrivée de Méraugis est d’autant plus voyante qu’il sort du château seul, avec une allure solennelle : « […] L’en oevre la porte/ E il s’en ist, lance levee, » (v. 5349-5350).
59Le premier à affronter Méraugis est Calogrenant, qui est vaincu sans difficultés et à qui Méraugis laisse la vie sauve. Cette première réussite assure l’admiration des témoins pour le chevalier, et son identité « blanche » se sature progressivement : de blans, Méraugis devient fiers, puis hardiz, cortois, frans et enfin bon. À présent que le signifiant correspond au signifié, il peut commencer à dévoiler sa véritable identité, et c’est Gauvain qui le premier va être dépositaire de son nom retrouvé.
Nom retrouvé, nom proclamé
60Gauvain a une dette d’honneur envers Méraugis. Grâce à son intervention sur l’Île sans Nom, il a pu retrouver la liberté, mener à bien la quête de l’espeë as estranges renges, augmenter son renom à la cour d’Arthur. Alors qu’ils s’affrontent en duel sous les yeux de tous, Méraugis se dévoile à lui :
« […] – Ge sui/ Meraugis qui a tel anui
Por vos, si que bien le savez […]. » (v. 5426-5428)
Cette révélation marque la première étape du plan conçu par Méraugis, et un moyen de relier les trois phases de sa vie : il était en « enfance » quand il est parti à la recherche de Gauvain disparu, en « adolescence » lorsqu’il l’a retrouvé, en âge « adulte » quand il le combat pour la seconde fois. Comme sur l’île, Méraugis utilise le principe du combat truqué : il demande à Gauvain de faire semblant de se rendre. Pour combler sa dette, Gauvain accepte sur le champ, et par un effet de bascule, consent à perdre son nom pour que Méraugis retrouve le sien : « Quant li baron de la cort virent/ Qu’il fu conquis, si grant doel firent/ En l’ost c’onques gregnor ne fu/ E dient : « Gauvains a perdu/ Son non […], » (v. 5448-5452).
61Dorénavant, sur le champ de bataille, Méraugis est désigné par son nom véritable. En présence de Gauvain, il a retrouvé son identité. En revanche, en présence de Bergis, il reste travesti, désigné par li blanc chevaliers (v. 5472, 5531, 5550), chevalier (v. 5478), bon chevalier (v. 5500), jusqu’à ce qu’il proclame au grand jour son identité véritable. C’est l’apparition de Lidoine qui pousse le chevalier à se dévoiler à la face de tous : « Je sui Meraugis, c’est m’amie », (v. 5683). Prononcer son nom après une longue période d’anonymat prouve qu’il a réussi l’épreuve, qu’il a atteint l’âge adulte. Méraugis est devenu une « personne », un véritable acteur social. Au début de la diégèse, avant d’accomplir toutes ces épreuves, il n’était encore qu’un individu indifférencié : clamer son nom, revendiquer son identité devant l’adversaire vaincu signale la conclusion de son apprentissage. Devenu homme fait, il peut à présent désigner Lidoine comme son amie et l’épouser. « La culture médiévale, dans le champ arthurien, est la culture du Nom perdu, du Nom retenu, du Nom retrouvé48 », écrit D. Régnier-Bohler. Dans la deuxième partie du roman, Méraugis avait accumulé les masques identitaires : tueur de l’Outredouté, fols, blanc chevalier. Ayant finalement atteint sa véritable persona, il peut désormais prétendre à la possession de la femme. Juste retour des choses, puisque c’est Lidoine qui l’avait lancé vers l’aventure, à l’instar de la Dame du Lac pour Lancelot, permettant ainsi toutes deux aux jeunes hommes de « devenir ». En retrouvant son amie, le chevalier est pleinement un ; en surpassant Gorvain dans l’ultime partie du roman, mettant un point final à leur querelle originelle, il boucle le cercle de sa quête identitaire et place à ses côtés l’ami et l’amie (v. 5683). Le roman d’apprentissage et d’initiation se termine sur un triomphe complet du héros, bien que cet achèvement ait été réalisé par des méthodes peu orthodoxes comparativement aux héros précurseurs.
62« Por le sornon conoist en l’ome » : « C’est à son nom qu’on connait un homme », apprenait Perceval de sa mère49. Méraugis, en accord avec l’étymologie que nous proposons de son nom, est désormais en accord avec lui-même. Mais cette possession progressive de son identité n’a pu se faire qu’avec la dépossession, pareillement graduelle, de l’ethos dominant de Lidoine. La construction du héros masculin s’est réalisée parallèlement à la déconstruction de l’héroïne féminine.
La balance des pouvoirs
63Méraugis de Portlesguez est contruit selon une courbe ascendante : le roman permet la progression du principal personnage masculin afin que celui-ci acquière l’autorité et l’éminence qui lui sont refusées au début de ses aventures. Dans le même temps, une courbe descendante se dessine pour les personnages féminins, en particulier l’héroïne féminine, Lidoine. Dominante dans la première moitié du roman, son influence décroît peu à peu jusqu’à la ramener au statut d’objet de désir masculin. Emprisonnée, fiancée de force à un autre, secourue par Gorvain puis reconquise par Méraugis, elle se mue en une figure féminine traditionnelle, observatrice passive des exploits masculins et complément de la gloire du chevalier. La « quête de Lidoine », qui occupe la deuxième partie du roman, est en fait celle de Méraugis cherchant Lidoine, alors que celle-ci est impuissante à agir : la balance des pouvoirs s’est renversée, la capacité d’initiative et d’action est passée du côté masculin. Nous en voulons pour preuve la comparaison que fait Gauvain devant Méraugis alors que lui-même s’apprête à reprendre la quête de l’Espee aus Estranges Renges là où il l’avait laissée : « Ja mes n’irai ainz l’avrai ceinte, / L’espee as renges des mervelles./ La irai, Dex, car me conselles !/ vos irez de l’autre part/ Querre Lidoine […] », (v. 3461-3465). La quête de l’épée pour Gauvain est placée en parallèle de la quête de Lidoine pour Méraugis comme deux éléments d’égale importance, deux signes distinctifs de la chevalerie : la dame prend place parmi les possessions du chevalier. Cette sujétion du personnage féminin, suggérée par Gauvain, est ensuite clamée de manière pléthorique par Méraugis lui-même :
[…] C’est m’amie.
C’est mes deduiz, c’est mes deporz
C’est ma joie, c’est mes conforz,
C’est quanque j’aim, c’est ma puissance,
C’est ma baniere, c’est ma lance,
C’est mes deduiz, c’est ma richece,
C’est mes escuz, c’est ma pröece,
C’est ma hautece, c’est mes pris,
C’est toz li mont, ce m’est avis,
C’est uns chastiax, c’est uns tresors,
C’est un dous cuers, c’est un biaus cors,
C’est ma main destre, c’est ma dame,
C’est moi meïsmes, ce est m’ame,
C’est mes chastiax, c’est quanque j’ai,
C’est la santez dont je garrai.
[…] E ge, qui claim droit
En li, ne verrai pas m’amie ? […] (v. 4835-4854)
Cette énumération à première vue laudative sur la senefiance de Lidoine pour Méraugis l’assimile en fait à une succession d’objets nécessaires au chevalier pour accomplir correctement ses devoirs50. Lidoine ne serait donc qu’un élément parmi d’autres permettant de constituer l’identité du héros masculin, et perdant son identité propre par la même occasion, ce que Kristin L. Burr résume ainsi :
Tandis que la Cour des dames avait essayé de réunir sa beauté et ses qualités courtoises, Méraugis diminue l’importance des deux en liant Lidoine si étroitement à lui. Elle devient une partie de Méraugis, intégrée à son identité, mais décidément subordonnée à lui51.
Après avoir été supplantée par Gauvain à l’Île sans Nom, elle se trouve, au dénouement du roman, évincée par Gorvain : le désir de Méraugis de vaincre cet ultime rival dépasse sa joie d’avoir retrouvé sa dame, sa réputation de chevalier prime sur son amour. L’objet féminin ayant repris la place qui doit être la sienne, derrière le corps masculin, Méraugis peut recentrer l’enjeu du roman sur lui-même. Lidoine se tient à ses côtés lorsqu’il retourne à la cour d ’rthur pour y affronter Gorvain, mais elle est là en tant que figurante muette. Le duel Méraugis-Gorvain duplique le duel de l’Île sans Nom : deux hommes s’affrontent pour posséder une femme qui les observe en silence. Mais à l’inverse de la dame de l’île, Lidoine n’a aucun pouvoir sur le cours des événements.
64Quant à Gorvain, l’enjeu du duel ne se limite plus pour lui à Lidoine. Il se bat contre Méraugis pour conserver Escavalon – Lidoine lui ayant promis sa main s’il la libérait de Bergis : « Gorvains Cadrus m’envoie a toi [Méraugis]. / Oies qu’il te mande par moi : / Qu’il est d’Escavalon sesiz […] », (v. 5798-5806). Nulle part il n’est fait mention de Lidoine ; c’est pourtant elle la seule suzeraine d’Escavalon. Elle n’est pas encore mariée, ni Méraugis ni Gorvain n’ont donc aucun droit sur le royaume, mais ils se comportent comme s’ils en étaient désormais les seigneurs. L’effacement, le silence de la femme permet la montée en puissance de l’homme. Lidoine, bien meuble, fait corps avec sa terre, bien immeuble ; toutes deux font partie des possessions à conserver ou à rendre, comme le montre la défaite de Gorvain :
Cil [Gorvain] qui ne puet par autre voie
Passer, for par sa volenté [de Meraugis],
Li a le royaume quité/ E la pucele […]. (v. 5881-5884)
Biens et suzeraine sont mis sur un plan d’égalité, comme l’étaient la dame et les armes du chevalier, et le pouvoir de suzeraineté féodale est passé dans les mains du partenaire masculin. Et alors qu’on s’attendrait à ce que le roman s’achève sur les noces du couple, il se conclut sur le compagnonnage recréé de Méraugis et Gorvain :
Tot de rechief si com vos di,
Sont compegnon, ami certain
Se Meraugis aime Gorvain
E Gorvains lui, plus qu’il ne sieult. (v. 5887-5891)
C’est donc sur les relations masculines que l’auteur choisit d’achever son roman, sur la restauration d’une amitié virile compromise par l’ingérence d’une femme. Quel renversement de situation, note L. J. Norris, par rapport à l’ouverture du roman où c’étaient les dames qui avaient le pouvoir d’agir, de parler et de commander :
En environ mille vers, nous sommes passés d’un univers littéraire dans lequel les femmes exerçaient le pouvoir absolu à un univers dont elles sont pratiquement absentes. Tandis que les deux chevaliers déclarent leur amour profond l’un pour l’autre et redeviennent les meilleurs compagnons, le personnage féminin restant, Lidoine, est simplement ignoré. Elle est un bien pour lequel les hommes ont négocié, et une fois que les rivaux sont réconciliés et que l’histoire arrive à son terme, elle subit le reniement narratif suprême : le silence52.
Meraugis, que l’on pourrait considérer comme un roman courtois ou un roman d’amour, se révèle être un roman d’aventures, centré sur la construction et l’individuation du personnage chevaleresque masculin.
L’émancipation du héros masculin
65Dans ce cadre narratif atypique qui voit les femmes placées en position de pouvoir dans la première partie du roman, les actes qui permettent d’ordinaire au chevalier de mener à bien sa quête – l’emploi de la force notamment – s’avèrent inefficaces. À ces irrégularités s’ajoute le manque d’expérience de Méraugis, héros plein de bonne volonté mais incapable dans les premiers temps de s’adapter à ces schémas hors-normes, d’où l’accumulation de maladresses qu’il commet. Que doit donc faire un chevalier dans un monde dominé par des femmes qui se conduisent comme des hommes ? Il doit devenir une femme lui-même. N. J. Lacy indique que le point de chute se produit à l’Île sans Nom, espace gestationnel du nouveau Méraugis, lorsque celui-ci se travestit :
Le vêtement féminin et l’autorité semblent être liés ici : en assumant l’un, Méraugis acquiert l’autre. Mais cela ne sera pas vrai partout, et cet épisode central, avec sa distorsion des genres, est une étape transitoire complexe dans le transfert textuel de pouvoir d’un sexe à l’autre53.
À mesure que le protagoniste masculin grandit et s’émancipe, le pouvoir des femmes diminue par un effet de bascule. Après l’épisode central de l’île, la présence et l’influence féminine ne cessent de décroître jusqu’à disparaître entièrement. L’autorité, jusque là incarnée par les femmes, a été transférée à un personnage masculin qui va pouvoir donner sa pleine mesure, et chaque sexe retrouve le rôle qui est le sien dans un roman chevaleresque classique.
66Le climat qui règne dans la deuxième partie du roman est celui des armes, à rebours de la première partie où le narrateur se montrait particulièrement réticent à nous conter en détails batailles et activités typiquement masculines. Dans cette atmosphère mâle et belliqueuse, il n’est plus question de cours d’amour et de débats courtois pour régler les conflits : les guerriers ont repris leurs droits, notamment Méraugis et Gorvain qui vont enfin décider par les armes à qui d’entre eux deux revient le droit de posséder Lidoine.
67James Douglas Bruce interprète comme une « erreur de composition narrative » le fait que Lidoine soit presque complètement oubliée par l’auteur-narrateur au profit des prouesses du héros Méraugis54. On peut plutôt penser que Raoul suit son plan de balance des pouvoirs en transférant progressivement le premier rôle à Méraugis, à présent que celui-ci a accompli les rites d’initiations voulus. La psychanalyse freudienne pourrait voir dans l’effacement de Lidoine au profit de Méraugis le recul exigé de la mère-suzeraine, régente tant que le fils n’est pas en âge de régner, et qui s’efface une fois que celui-ci a les années et la sagesse requises pour tenir sa place dans le monde. À présent que les femmes sont revenues à leur place d’objets passifs, les hommes peuvent se tourner vers les batailles. C’est aussi le moment que choisit le texte pour se centrer sur les relations féodales, leurs implications et ruptures. L’accent est fortement mis sur ces interdépendances verticales de suzerain à vassal que la première partie avait presque entièrement ignorées. Norris J. Lacy voit dans ce rétablissement des relations féodales et patriarcales une critique rétrospective de la souveraineté féminine de la première partie : selon lui, le roman commençait de manière faussée, et le but des actes du héros était justement de redresser ce bestournement initial, en rendant sa prééminence à la triade homme-bataille-pouvoir, contre la triade femme-courtoisie-paix.
68Meraugis se clôt sur une conclusion des plus traditionnelles avec le triomphe de l’autorité et des vertus masculines. Pourtant, une fois encore, les intentions de Raoul de Houdenc s’avèrent bien plus complexes. La dame est reléguée derrière le chevalier, certes ; mais la femme houdanesque se révèle indispensable à la réalisation de l’homme.
L’amor selon Raoul de Houdenc
69Dans le prologue de Meraugis55, Raoul annonce son intention de raconter un conte de courtoisie (v. 28). Le roman courtois repose sur le concept d’« amour courtois », que les auteurs médiévaux nomment verai’ amors, bon’ amors ou encore fin’ amors : il s’agit d’un art d’aimer inaccessible au commun des mortels, basé sur l’embellissement du désir érotique et la discipline de la passion, en une véritable religion de l’amour. Si l’expression n’apparaît pas dans Meraugis – le narrateur préfère les termes la plus droite amor ou naturel amor –, il place ses deux personnages principaux dans la situation des amants courtois : Lidoine met Méraugis au défi d’accomplir les exploits qui le rendront digne d’elle (v. 1102-1119), et tous les efforts du chevalier vont donc se tendre vers ce guerredon, cette récompense accordée par la dame qui peut aller jusqu’à l’offrande suprême, celle de son corps durant une nuit d’amour.
70Au début de Meraugis, Lidoine incarne la Dame telle que la célèbre le grand chant courtois, une créature parfaite et inaccessible cumulant toutes les qualités. Or Méraugis, lui, est un homme, et un homme écrasé par l’éminence de l’amie. Selon la logique courtoise, la distance vertigineuse qui le sépare de sa dame doit le conduire à se surpasser pour parvenir à sa hauteur et être digne d’elle ; c’est ainsi que Lancelot accomplit ses exploits pour mériter l’amour de Guenièvre, qu’Yvain se met au service des faibles pour reconquérir Laudine. Le roman chevaleresque arthurien est l’histoire d’une pénible ascension du héros masculin vers le sommet où trône la Dame. Ces exploits, Méraugis va les accomplir. Il apprend, progresse, conquiert la gloire et se hisse peu à peu au niveau de Lidoine. Mais Raoul de Houdenc fait évoluer la tradition courtoise. Il ne se contente pas d’amener peu à peu son héros masculin à la hauteur de la dame ; parallèlement, alors que son amant progresse, la dame, elle, va déchoir. Le nivellement est simultané, mais dans une dynamique contraire pour chacun des deux protagonistes : chacun avance vers l’autre pour mieux le rejoindre et connaître l’amour idéal qui sacralisera leur couple réuni dans une même perfection. Au lieu de rester de glace, la dame devient femme de chair ; soumise à ses propres épreuves, elle doit elle aussi évoluer pour mériter l’amour de son chevalier. Traversant le miroir, Lidoine se révèle inconstante, menteuse et calculatrice. Elle montre également la profondeur de ses sentiments pour Méraugis en continuant à l’aimer bien qu’il soit sous le coup d’une laideur repoussante. Alors que, selon le schéma traditionnel de l’amour courtois, c’est à l’amant de faire les efforts nécessaires pour rejoindre sa dame – d’où le lent travail de maturation et de souffrance dont Lancelot est devenu l’archétype –, Raoul de Houdenc propose un nivellement à double sens. Si le chevalier doit s’élever, la dame doit s’abaisser, consentir à descendre de son piédestal, prouver qu’elle aussi a réussi à améliorer sa personnalité. Les deux personnages vont ainsi parvenir à se rejoindre pour former le couple parfait pressenti par les dames de la cour arthurienne, qui avaient associé Lidoine à Méraugis de préférence à Gorvain, car le premier l’aimait pour sa courtoisie. Rappelons ici la fin de la tirade de Lorete au blont chief :
« Por ce di ge – si voel prover –
Q’amors doit cortoisie amer.
E s’amors aime ce qu’el doit
Dont aime Meraugis a droit
Qu’il l’aime por sa cortoisie. » (v. 985-999)
Pour en arriver à cette perfection, le couple a subi l’épreuve de la séparation, puis de l’emprisonnement – Méraugis dans la carole, Lidoine chez Bergis. L’auteur utilise le procédé de l’entrelacement qui lui permet d’alterner les aventures de ses deux personnages principaux : Méraugis et Lidoine subissent dans le même laps de temps cette période initiatique où ils sont coupés du monde, soumis au pouvoir d’autrui et confrontés à leurs propres faiblesses. Méraugis est libéré le premier afin de pouvoir venir au secours de sa dame en détresse. Leurs retrouvailles au château de Bergis vont leur permettre de découvrir leur complémentarité nouvelle, une complémentarité qu’ils vont mettre à profit pour triompher de leur ennemi. Lidoine va alors se révéler une composante essentielle de l’identité en maturation du chevalier. Lorsque Méraugis échappe à la carole magique, il est privé de tout repère, doute de sa propre identité, jusqu’à prononciation de ces vers fondamentaux : « – Si sui. Dont ne quier ge m’amie ?/ Ne sui ge Meraugis ? – Oïl./ Ce sui ge », (v. 4337-4339). Cette affirmation de son être à travers la quête de l’amie devient constitutive de son Moi social lorsque, après une longue période d’anonymat et de multiplication de fausses identités, il dévoile enfin son nom devant Bergis et les siens. Là encore, il met en parallèle son nom et Lidoine : « – Je sui Meraugis, c’est m’amie », (v. 5683). La relation spéculaire entre les amants est désormais accomplie ; chacun peut se voir dans le regard de l’autre, recréant le mythe de l’androgynat primitif exposé dans La Génèse 1.2756. Ainsi Lidoine pourra-t-elle « disparaître » sans dommages du premier plan de l’intrigue : elle est en fait toujours là, puisqu’elle ne fait plus qu’un avec Méraugis. Concernant la progression de Méraugis, on notera une avancée supplémentaire : lui qui n’aimait d’abord Lidoine que pour sa courtoisie l’aime à présent entière : « C’est un dous cuers, c’est un biaus cors » (v. 4845). L’identité de Lidoine devient complète en même temps que celle de l’ami. Lorsque la réunion du couple a lieu, elle se fait sous le signe de la complémentarité et de la fusion, soulignée par l’abondance des verbes préfixés avec le préfixe de réciprocité entre :
Voirs fu qu’il s’entrevindrent lors.
Aussi tost com il s’entrevirent,
S’entrevienent, que tuit le virent,
Les braz tenduz, si s’entracolent
. C. foiz e .c. Ainz qu’il parolent,
S’entrebesent. Quant el s’escrie :
« Biaux amis » e cil « bele amie »
C’est tot quanqu’il porent respondre. (v. 5667-5674)
La transmission des talents
71À mesure que l’intrigue progresse, Lidoine s’avère capable de mensonge, de calcul, d’hypocrisie. Que la dame utilise avec aisance la ruse n’est pas surprenant, le Moyen Âge lui attribuant traditionnellement cette attitude. Il est plus rare, remarque Georges Duby, qu’un chevalier arthurien préfère utiliser l’engin plutôt que la force physique : « Les vertus majeures de la chevalerie sont de vaillance agressive : le courage et la force. Le corps seul compte, avec le cœur – non pas l’esprit57. » Dans la deuxième partie du roman, les situations problématiques se règlent d’abord par la parole à double sens, puis par les armes : Méraugis n’a pas supprimé l’influence féminine de la première partie, il l’a assimilée. Il est ainsi devenu un chevalier nouveau, à part et, comme le dit K. Burr, une combinaison harmonieuse de talents masculins et féminins :
La progression de genre de Méraugis implique tant son attitude que son apparence. À partir du moment où il décide d’endosser des vêtements de femme pour libérer Gauvain, il combine des attributs masculins et féminins. Sa décision reflète aussi bien l’autorité de la Cour des Dames que la ruse et la manipulation fréquemment associées aux femmes. En outre, son plan lui permet à la fois d’agir dans une façon non-courtoise en mettant un terme à une coutume […] et de soutenir les liens entre chevaliers qui fondent le monde courtois traditionnel. La combinaison de masculin et de féminin se manifeste aussi dans son déguisement. Quand le batelier vient pour prendre « la dame », Méraugis dégaine son épée – ordinairement une image masculine – et la désigne comme la dame du batelier58 […]
La femme demeure le complément indispensable du chevalier. Mais l’homme est aussi, pour la première fois, le complément de la femme : Lidoine n’a pas besoin d’un homme au début de l’histoire, elle se suffit à elle-même, n’est pas en quête d’un défenseur ni d’un guide. Méraugis vient saturer cette place vide : la complémentarité des deux partenaires se révèle bilatérale. Concernant le héros masculin, amour et exploits sont intrinsèquement liés : sans la femme, le chevalier demeure incomplet. Nous conclurons donc sur cette affirmation de K. Burr :
Certainement, à la fin de Meraugis, les femmes n’occupent plus les positions influentes qu’elles avaient au début. Néanmoins, le monde à prééminence masculine qui rétablit son autorité n’existe jamais en pure opposition au monde à prééminence féminine du début du roman. Le résultat de la bataille rend le même verdict que la Cour des Dames. La méthode est différente, cependant la victoire de Méraugis – qui défend sa réclamation sur Lidoine et l’amour de celle-ci – valide le jugement rendu par la Cour des Dames. […] La justesse de la décision rendue par Guenièvre et ses dames rend leur autorité à leurs débats59.
Tout comme Lidoine, Méraugis se montre imparfait, capable de fourberie et de dissimulation. Il est en fait bien éloigné de l’idéal chevaleresque conçu par Raoul de Houdenc par Le Dit et Le Roman des Eles, et plus proche d’un homme « réel » pourvus de qualités et de défauts.
72Pour venir à bout du bestournement généralisé du monde, Raoul de Houdenc soumet ses personnages à divers procédés de construction. Le Roman des Eles et Le Dit façonnent un chevalier idéal, être constitué, littéralement, de vertus et de valeurs spirituelles, héros désincarné par le traitement allégorique ou philosophique, perfection à atteindre, mais qui déjà, dans Le Dit, se montre bien incapable d’agir face aux maux qui rongent la société. Une voie moyenne, satirique, est alors proposée par l’auteur dans Le Songe d’Enfer : prendre le contrepied exact des valeurs désuètes, rire du vice et s’en accommoder, puisqu’il ne peut être vaincu. Cette première évolution dans la construction des personnages trouve son accomplissement dans le Meraugis, où il est indispensable de faire « grandir » le nice maladroit qu’est le héros éponyme. Grâce à une série d’épreuves et d’initiations, il devient un homme, et un héros achevé. Mais le personnage pragmatique qu’est Méraugis à la fin du roman forme un contraste étonnant avec le pur chevalier paré de vertus que nous présentaient Le Dit et Le Roman des Eles. Les personnages manichéens ont disparu, cédant la place à des héros contrastés, riches en paradoxes, à la morale souple et plus en adéquation avec le monde qui les entoure. Le personnage houdanesque, qu’il soit chevalier ou pèlerin, ne trouverait-il pas son essence dans la personne ?
Notes de bas de page
1 Le roman d’« apprentissage », ou roman de formation, est un genre littéraire romanesque né en Allemagne au xviiie siècle. En allemand, le roman de formation est nommé Bildungsroman par le philologue allemand Johann Carl Simon Morgenstern qui y voyait « l’essence du roman par opposition au récit épique ».
2 Mircea Eliade, Initiation, rites, sociétés secrètes. Naissances mystiques. Essai sur quelques types d’initiation (1959), Gallimard, « Folio Essais », Paris, 1992, p. 12. On peut distinguer trois types d’initiations traditionnelles : les initiations tribales – ou de puberté –, qui permettent le passage de l’enfance à l’âge adulte ; les initiations religieuses, « qui ouvrent l’accès à des sociétés secrètes ou à des confréries fermées » ; les initiations magiques, enfin, « qui font abandonner la condition humaine normale pour accéder à la possession de pouvoirs surnaturels ».
3 Jean Cazeneuve, Sociologie du rite. (Tabou, magie, sacré), PUF, « Sup / Le sociologue », Paris, 1971, p. 267-268.
4 Philippe Hamon, « Statut sémiologique du personnage », Poétique du récit, Seuil, Paris, 1977, p. 128.
5 Nous prenons ici le terme « enfance » au sens figuré, puisque Méraugis, comme Perceval, ont tous deux l’âge d’être chevalier : Méraugis l’est déjà et Perceval, au début du Conte du Graal, est déjà un chasseur émérite et peut prétendre être adoubé.
6 M. Szkilnik, introduction de Meraugis, p. 15.
7 C’est ce que recommande saint Paul dans son Épître aux Éphésiens, 5.31 : « L’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair. » Ce désir d’union constitue le premier vers d’Érec et Énide.
8 Damien de Carné, « Construction concurrentielle du personnage romanesque : trois exemples tirés du roman médiéval », Façonner son personnage au Moyen Âge, Senefiance no 53, Aix-en-Provence, PUP, 2007, p. 87.
9 Le Chevalier de la Charrette, v. 3798-3812.
10 Georges Duby, Le chevalier, la femme et le prêtre, Le mariage dans la France féodale, Collection Pluriel, Hachette, 1981, Paris, p. 234-235.
11 Jean Delumeau et Daniel Roche, Histoire des Pères et de la Paternité, Larousse, Paris, 2000, p. 24-25.
12 « […] N’ot chevalier de si haut pris, / Tant redoté ne tant cremu, / Biax filz, com vostre père fu […] », Chrétien de Troyes, Le Conte du Graal, op. cit., v. 414-16.
13 Cette attitude d’Arthur n’est pas certes pas nouvelle dans la matière arthurienne, où le roi est souvent muet, abattu, songeur, mélancolique. Mais dans Meraugis, ce trait de caractère facilite, voire autorise une appropriation du pouvoir par les femmes.
14 Baudemagu est le père de Méléagant et le protecteur de Lancelot dans Le Chevalier à la Charrette ; Gornemant de Goort est le gentilhomme qui initie Perceval aux armes et aux usages mondains dans Le Conte du Graal.
15 Un épisode similaire a lieu dans le Lancelot en prose, éd. A. Micha, t. 4, Genève, Droz, 1979, p. 264- 327 : « Pour satisfaire les exigences d’une vieille qui maltraitait un nain, Yvain abat un écu blanc goté a noir, pendu près des pavillons, à la grande détresse de douze demoiselles. […] Malheureusement, l’expérience d’Yvain n’est d’aucun secours à Méraugis qui se montre encore plus maladroit que son modèle. Yvain, lui, ne jetait pas deux fois l’écu à terre ! », Michelle Szkilnik, introduction de Méraugis, p. 17-18.
16 Voir l’ouvrage de Danièle James-Raoul, La parole empêchée dans la littérature arthurienne, Champion, Paris, 1997.
17 Infans est formé du suffixe privatif in- et du participe présent fans, du verbe fari, « parler ». En latin, le terme a une valeur juridique, l’infans ne peut se défendre dans un procès car il n’a pas la parole.
18 Voir Mireille Seguy, Les romans du Graal ou Le signe imaginé, Champion, Paris, 2001.
19 A. Adler, “The Themes of the ‘Handsome Coward’[…]”, art. cit., p. 221 (notre traduction).
20 Rien en ancien français peut être de sens indéterminé, « n’importe quoi », ou prendre un sens négatif.
21 Voir Michel Pastoureau, Le cochon : histoire d’un cousin mal aimé, Gallimard, DL, Paris, 2009.
22 Du latin ad, « vers », et olesco, « croître ».
23 L’adolescence est un concept moderne, une pensée occidentale. Ce n’est qu’au tournant du xxe siècle qu’elle est apparue comme catégorie d’âge. On se reportera à l’ouvrage de J.-P. Néraudau, Être enfant à Rome, Les Belles Lettres, Paris, 1984, à Philippe de Novare, Les quatre âges de l’homme, traité moral, écrit entre 1195 et 1265, publ. pour la première fois d’après les manuscrits de Paris, de Londres et de Metz par Marcel de Fréville, Firmin-Didot, Paris, 1888, p. 42. Voir également l’étude de Philippe Ménard : « Je sui encore bacheler de jovent », (Aymeri de Narbonne, v. 766) : Les représentations de la jeunesse dans la littérature française aux xiie et xiiie siècles, Colloque national de démographie de Strasbourg, « Les Âges de la vie. Étude des sensibilités et mentalités médiévales », publ. Paris : PUF, 1982.
24 Philippe de Novare écrit dans Les quatre âges de l’homme […] que « Cist contes dit que jovens est li plus perilleux de touz les .iiii. aages d’ome et de fame ; car ausis comme la buche vers, qui est ou feu, fume sanz plus, tant qu’ele soit bien eschaufee et anprinse, ausis est il d’anfance a jovant. »
25 Mircea Eliade, Initiation, rites, sociétés secrètes […], op. cit., p. 27.
26 Voir Simone Vierne, Rite, roman, initiation, Presses universitaires de Grenoble, Grenoble, 2000.
27 Jean Markale, Lancelot et la chevalerie arthurienne, Imago, Paris, 1985, p. 30-31.
28 Francis Dubost, Aspects fantastiques de la littérature narrative médiévale, xiie-xiiie siècles : l’autre, l’ailleurs, l’autrefois, Champion, Paris, 1991, p. 51.
29 Pierre Vidal-Nacquet, Le chasseur noir, Formes de pensée et formes de société dans le monde grec, Éditions La Découverte, Paris, 1991, p. 167-168.
30 Norris J. Lacy, Méraugis de Portlesguez, […], art. cit., p. 823 (notre traduction).
31 Loc. cit. (notre traduction).
32 D. James-Raoul, La parole empêchée […], op. cit., p. 240.
33 N. J. Lacy, Méraugis de Portlesguez […], art. cit., p. 823 (notre traduction).
34 F. Dubost, Aspects fantastiques de la littérature narrative médiévale […], op. cit., p. 50-51.
35 A. Adler, art. cit, p. 220 (notre traduction).
36 Loc. cit., (notre traduction).
37 Christine Ferlampin-Acher, Fées, bestes et luitons : croyances et merveilles dans les romans français en prose, xiiie-xive siècles, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, Paris, 2002, p. 85.
38 Mircea Eliade, Initiation, rites, sociétés secrètes […], p. 70.
39 M. Eliade, Initiation, rites, sociétés secrètes […], p. 70-73.
40 Ibid., p. 276.
41 D. James-Raoul, La parole empêchée […], op. cit., p. 171.
42 Jean-Marie Fritz, Le Discours du fou au Moyen Âge, xiie-xiiie siècles, Paris, PUF, 1992, p. 41. Pour le chapitre entier sur la tonsure, voir p. 39-44.
43 Le Chevalier au Lion, v. 2996-3001 et v. 3130-3133.
44 J.-M. Fritz, Le discours du fou au Moyen Âge […], op. cit., p. 39.
45 Liénor, l’héroïne de Guillaume de Dole, accusée d’adultère, mérite pour cela d’être tondue, car elle est qualifiée de fole (J. Renart, Le Roman de la Rose […], op. cit., v. 3703-3705.)
46 J.-M. Fritz, op. cit., p. 39.
47 D. James-Raoul, La parole empêchée […], op, cit., p 238.
48 Danielle Régnier-Bohler, « La fonction symbolique du féminin : le savoir des mères, le secret des sœurs et le devenir des héros », Masculin / Féminin dans le roman arthurien médiéval, Actes choisis du 17e Congrès International Arthurien, publié par Friedrich Wolfzettel, éd. Rodopi, GA, Amsterdam, Atlanta, 1995, p. 6.
49 Le Conte du Graal, v. 526.
50 Cette énumération est aussi une reprise amplifiée et parodiée de la tirade du père d’Énide vantant les qualités de sa fille (Érec et Énide, v. 543-546).
51 K. L. Burr, Defining the Courtly Lady […], art. cit., p. 390 (notre traduction).
52 L. J. Norris, Narrative method and female presence […], art. cit., p. 825 (notre traduction).
53 N. J. Lacy, Méraugis de Porlesguez […], art. cit., p. 823 (notre traduction).
54 James Douglas Bruce, Meraugis de Portlesguez, The Evolution of Arthurian Romance from the Beginnings down to the Year 1300, Göttingen-Baltimore : Vandenhoeck et Ruprech-The John Hopkins Press, vol. II, 1924, p. 208.
55 Ce prologue n’est présent que dans le manuscrit W.
56 Et creavit Deus hominem ad imaginem suam ; ad imaginem Dei creavit illum ; masculum et feminam creavit eos, Genèse 1.27.
57 Georges Duby, Le temps des cathédrales, Gallimard, Paris, 1978, p 56.
58 K. L. Burr, Defining the Courtly Lady […], art. cit., p. 388 (notre traduction).
59 K. L. Burr, ibid., p. 390-91 (notre traduction).
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