Chapitre V. Une société paysanne consolidée
p. 263-286
Texte intégral
1Dans les années 1860, le trait caractéristique de la société paysanne vauclusienne nous est apparu être la très large diffusion de la propriété foncière, engendrant des rapports sociaux aussi divers que complexes. Et la présence de grands domaines, assurant à leurs détenteurs une forte influence sociale plus encore qu'une réelle puissance économique, n'était nullement un facteur de simplification. Nous avions aussi remarqué que l'évolution économique, lorsqu'elle allait dans le sens de la modernité par l'ouverture du système agricole à des cultures commerciales, introduisait un ferment de différenciation dans la société. Comment cette société, qui se dégageait alors lentement, inégalement en fonction des conditions et contraintes naturelles et économiques, de ses structures et rapports traditionnels, a-t-elle enregistré et, en quelque sorte, digéré la mutation économique que la crise tout d'abord et la reconstruction de l'agriculture par la suite ont réalisée ? Nous venons de montrer que dans ce demi-siècle le rapport des hommes à la terre, envisagé sous l'angle démographique, à sensiblement évolué. Les structures sociales n'ont pas pu, de toute évidence, rester inchangées.
I – DÉCONCENTRATION ET CONCENTRATION DE LA PROPRIÉTÉ
2Je reprends naturellement la problématique précédemment formulée : ce sont les rapports juridiques et économiques des hommes – producteurs – à la terre – force productive – qui éclairent dans ses composantes et sa hiérarchie la société paysanne. C'est donc l'étude de la propriété foncière qui retiendra mon attention en premier lieu, à partir du cadastre dont la "rénovation" réalisée en 1913-1914 permet de connaître avec précision pour cette date la répartition de la propriété entre les différentes classes de propriétés. Je ferai cette étude dans le cadre de l'échantillon de communes déjà utilisé pour l'analyse du premier cadastre. Mais une première approche de l'évolution de la propriété foncière peut être tentée à partir du relevé des cotes foncières, dont nous connaissons le total pour le département sans interruption de 1861 à 1913 et le détail par communes pour les années 1861, 1881, et 19131. La série annuelle du nombre des cotes foncières nous propose un profil d'évolution de la propriété foncière sans doute grossier mais qui permet au moins de dégager ses tendances majeures.
3La croissance du nombre des cotes foncières, en d'autres termes la déconcentration de la propriété, est continue de la réalisation du premier cadastre – c'est-à-dire des années 1820- jusque vers 1880. Ce sommet se prolonge jusqu'en 1890, et il est suivi par une pente inverse et symétrique de la précédente, puisque en 1913 le nombre des cotes foncières est redevenu très proche de ce qu'il était en 1861. Nous ne saisissons là qu'un mouvement très général de la propriété foncière, qu'on est tenté, bien sûr, de confronter au mouvement de la population. Si la diffusion de la propriété est accordée, jusqu'en 1860, à l'accroissement de la population – plus particulièrement de la population rurale – on doit remarquer que de 1860 à 1880, alors que s'amorce la dépopulation des campagnes, le morcellement de la propriété signalé par la progression du nombre des cotes foncières se poursuit. Ce n'est qu’après 1890 que la corrélation entre les deux phénomènes redevient positive. Comment interpréter cette discordance des années 1860-1880 ? Elle nous rappelle que l'évolution de la propriété procède du jeu de facteurs complexes. En particulier, les propriétaires que des circonstances économiques défavorables contraignent à partir ne se détachent pas tout de suite de leur terre. Sans doute n'en possèdent-ils pas beaucoup, pour la majorité d'entre eux, mais l'attachement sentimental au terroir – doublé pour certains de l'espérance d'y revenir – les conduit à conserver leur part de propriété lorsque s'ouvre la succession de leurs parents. Il est prévisible, par conséquent, que la dépopulation des campagnes et plus précisément l'exode rural introduiront une distanciation plus marquée que par le passé entre le fait juridique de la propriété et le fait économique de l'exploitation agricole. Nous y reviendrons.
4Mais l'analyse de l'évolution de la propriété à partir des relevés des cotes foncières se heurte à une difficulté qui introduit un risque d'erreur. Les cotes foncières enregistrées sur les matrices cadastrales où elles sont précisées par le triple indicatif de leur nature de culture, de leur superficie et de leur revenu cadastral, représentent toutes les propriétés recensées dans le cadre de la commune : les propriétés indivises et surtout les propriétés foraines introduisent une déviation en hausse entre le nombre des cotes foncières et celui des propriétaires. Le décalage, que l'administration des Contributions Directes a pu calculer à diverses reprises, est non seulement important, mais encore il n'est pas constant : en 1851, il y avait dans le Vaucluse 750 propriétaires pour 1 000 cotes, il n'y en avait plus que 537 en 1879 et 523 en 1913. La progression des cotes multiples est en elle-même un témoignage de la mobilité croissante de la population et de ce fait même des mutations économiques qui s'opèrent. Mais si l'on corrige les statistiques des cotes foncières à l'aide des coefficients calculés par les services des Contributions Directes, on obtient des effectifs de propriétaires de l'ordre de 72 000 pour 18612, 66 000 pour 1881 et 58 000 pour 1913 : le mouvement de la propriété prend alors une orientation toute différente de celle que nous avions repérée à partir des cotes foncières. Malheureusement, les corrections ainsi effectuées au plan départemental ne sauraient l'être sans danger pour chaque commune, où l'évolution du nombre des cotes foncières peut obéir à des facteurs particuliers et locaux. Cependant nous ne pouvons ignorer le décalage entre cotes foncières et propriétaires, et nous avons un moyen de l'atténuer et donc de serrer de plus près la réalité sociale. En effet, par le jeu des successions, ce sont les cotes foncières de faible superficie qui enregistrent la plus forte proportion de cotes multiples : la méthode déjà utilisée pour l'analyse du premier cadastre, consistant à isoler les très petites propriétés et à n'en pas tenir compte dans l'étude des autres catégories de propriétés, trouve ainsi une nouvelle justification.
5Il est possible, pour chacune des 24 communes de l'échantillon, de suivre l'évolution du nombre des cotes foncières depuis l'année de confection du premier cadastre. La diversité des évolutions apparaît très clairement à partir de ces données, mais l'interprétation ne peut en être que prudente. Pour deux communes seulement, Lagnes et Saint-Saturnin-lès-Avignon, la progression du nombre des cotes foncières est continue jusqu'en 1913. Plus nombreuses sont celles où la déconcentration de la propriété – telle du moins qu'on peut l'approcher à partir des cotes foncières – s'est poursuivie activement jusqu'en 1881, pour faire place ensuite à une concentration modérée : c'est le cas de Bédarrides, Cheval-Blanc, Sainte-Cécile, Violès, Villelaure, Uchaux, Roaix. A l'opposé, un autre lot de communes : Beaumont-d'Orange, Aurel, Bonnieux, Cucuron, La Tour-d'Aigues, Vénasque, Vitrolles, Lauris, Loriol se remarquent par une progression, voire une stagnation de leurs cotes foncières de 1861 à 1881 et ensuite par un recul sensible, tel qu'en 1913 le nombre en est sensiblement inférieur à ce qu'il était en 1861. Restent les situations intermédiaires, proches de l'évolution moyenne précédemment décrite. Sauf cas particuliers sur lesquels je reviendrai, ces regroupements en types d'évolution à dessein accusés et contrastés opposent les villages de plaine où la crise agricole est résolue par de nouvelles orientations du système agricole, aux villages des plateaux où la crise agricole amorce un processus de dépérissement et de désertification. Pour les premiers, le morcellement de la propriété se poursuit jusqu'à la crise et la propriété ainsi émiettée ne se regroupe ensuite que très lentement; pour les autres, l'abandon de la propriété accompagne plus rapidement les départs du village. Je schématise à coup sûr, d'autant plus que des cas particuliers se présentent : Uchaux d'un côté, qui résiste au regroupement de la propriété, Loriol de l'autre, où la propriété se concentre sur un terroir voué aux cultures maraîchères. Mais à Uchaux une structure de très grande propriété a longtemps freiné le mouvement de déconcentration de la propriété, qui est en quelque sorte décalé par rapport à ce qu'on observe le plus souvent. Quant à Loriol et à son mouvement de concentration – tout relatif et qui ne surprend que parce qu'on l'observe plus nettement que dans d'autres villages comparables par leur système de cultures – il convient de noter que la construction et la mise en service du canal de Carpentras, qui a dans les années 1865-1880 complètement changé le terroir de Loriol, a pu justifier alors un morcellement exacerbé, excessif, de la propriété, que l'évolution ultérieure a corrigé, atténué. Il paraît établi que si l'exode rural crée, avec une certaine inélasticité, les conditions d'un regroupement de la propriété foncière, l'influence du système de cultures est encore plus importante : la spécialisation maraîchère et aussi viticole protège la petite propriété, qui leur est bien adaptée tant sur le plan technique que pour les revenus qu'on peut en tirer.
6Où conduisent, en 1914, ces lignes d'évolution de la propriété foncière ? Le tableau des résultats d'ensemble de la répartition de la propriété pour toutes les communes de l'échantillon permet une première mesure du chemin parcouru depuis la réalisation du premier cadastre.
7L'accroissement de l'effectif des propriétaires est très sensible, ce qui confirme les observations faites à partir des statistiques des cotes foncières, mais surtout nous avons la confirmation que ce sont les très petites propriétés qui ont profité du morcellement de la propriété puisque celles de moins de 1 hectare prennent à leur compte la quasi-totalité – 2 940 sur 3 540 – de l'accroissement de l'effectif des propriétaires. La superficie qu'elles rassemblent accuse une augmentation proportionnellement moins forte, que souligne la diminution de la superficie moyenne d'une propriété, qui passe de 0,45 ha à 0,37 ha. Quant à leur revenu cadastral, il enregistre une baisse sensible3. Ces observations permettent d'affirmer que l'accroissement des très petites propriétés est plus apparent que réel. Il est le produit de deux facteurs, dans le contexte du droit successoral français. D'une part, le souci d'égalité entre les héritiers d'un même patrimoine – où entre assez souvent une certaine âpreté – conduit à constituer des lots de telle manière que les parcelles, au moins les plus importantes, sont fractionnées pour respecter entre tous les ayant droit une répartition équilibrée des expositions, des qualités de sol... Ce scrupule d'équité aboutit à aggraver la parcellisation, mais aussi à multiplier les minuscules propriétés foraines, dans les communes limitrophes. D'autre part, ceux qui quittent la terre ne rompent pas pour autant, le plus souvent, leurs liens avec le village où ils ont vécu leur enfance et leur adolescence, où ils ont de la famille. Cet attachement sentimental, s'il se double parfois d'intérêts matériels appréciables, se concrétise presque toujours par la possession d'au moins un lopin de terre. On le voit, le gonflement numérique des très petites proriétés informe davantage sur les mentalités qu'il n'est démonstratif sur le plan économique. Au contraire, c'est le moment où elles nous apparaissent à leur plus haut degré de prolifération que ces micro-propriétés sont aussi les plus marginales dans le système agraire, car on peut les qualifier de complémentaires et peu significatives dans la première hypothèse évoquée et de résiduelles et sentimentales dans la seconde.
8Il convient d'être attentif à l'amoindrissement des grandes propriétés, de plus de 30 hectares, il est plus fort pour les superficies que pour l'effectif des propriétaires, et la baisse de leur superficie moyenne traduit une érosion des grandes propriétés. Les partages successoraux y sont, bien sûr, pour quelque chose, mais comment ne pas y voir, aussi, la marque d'une vulnérabilité révélée par la crise de l'agriculture traditionnelle et le signe d'une certaine incapacité d'adaptation aux mutations qui l'ont résolue ? En tout cas le décalage entre la part que détiennent les grandes propriétés dans la superficie totale et celle qu'elles occupent dans le revenu cadastral reste grand : envisagé globalement, le recul de la grande propriété ne l'a pas fortifiée économiquement.
9La petite et la moyenne propriété, dont les effectifs croissent très modérément, se partagent à peu près équitablement les dépouilles de la grande propriété. Certes, il s'agit de mouvements limités, mais ils suffisent à modifier le rapport des classes de propriété entre elles : je parlais pour le premier cadastre, d'un "face à face, dans les relations sociales, des petits et des grands propriétaires"; l'image est moins tranchée en 1914 et la petite propriété a conquis des positions qui lui assurent une situation de force. Remarquons toutefois que dans ses couches supérieures, définies par la tranche de 5 à 10 hectares, sa progression est faible et ce peut être un indice du potentiel de réussite et de promotion sociale qu'elle recèle.
10L'administration des Contributions Directes a établi en 1884 une statistique de la répartition des cotes foncières en fonction de leur superficie4. Elaborée dans le cadre départemental, cette statistique nous est précieuse car nous pouvons comparer ses données à celles que nous avons obtenues pour notre échantillon de 24 communes. Nous disposons ainsi de trois séries de données, que nous avons rassemblées dans le tableau ci-dessous : elles nous permettent de préciser encore l'évolution de la propriété foncières.
11Naturellement, les comparaisons doivent être prudentes, pour deux raisons. S'il est représentatif, notre échantillon ne peut prétendre proposer une réduction exacte de la propriété foncière dans l'ensemble du département et de ce fait la statistique de 1884 ne peut être superposée à coup sûr à ses données. Par ailleurs, nous savons que les cotes multiples ne représentent pas une proportion constante dans le total des cotes foncières : elles introduisent donc une donnée variable et par conséquent une incertitude dans les résultats. Ces précautions prises, il ne fait aucune doute que nous pouvons leur accorder valeur de confirmation du mouvement de la propriété, tel qu'il nous était apparu à l'analyse de l'évolution des cotes foncières de 1861 à 1881 puis 1914. Il est très clair que la déconcentration de la propriété s'est poursuivie jusque vers 1880, de façon d'ailleurs plus sensible pour les effectifs des propriétaires que pour les superficies qu'ils détiennent. Mais il est à remarquer que le morcellement de la propriété s'est alors opéré aux dépens de la moyenne propriété. Par un paradoxe apparent, c'est au cours de la phase suivante de concentration de la propriété, que la grande propriété a révélé sa vulnérabilité et qu'a commencé à s'affirmer la valeur économique de la moyenne propriété. C'est donc bien la crise de l'agriculture traditionnelle et, à sa suite, les mutations où s'est engagée la paysannerie vauclusienne qui constituent le facteur premier de l'évolution des structures de propriété et il est logique que l'on passe du mouvement de déconcentration à son contraire dans les années 1880. Nous devons retenir que la comparaison d'un cadastre à l'autre – la seule possible dès lors que nous travaillons dans le cadre communal – ne nous permet pas de le voir directement.
II – VERS DE NOUVEAUX RAPPORTS ENTRE LES CLASSES DE PROPRIÉTÉ
12Il faut procéder maintenant, après cette première analyse générale mais précieuse pour les lignes de force qu'elle dégage et les rythmes d'évolution qu'elle révèle, à une étude des différentes classes de propriété et de leur rapport entre elles. Pour cela, on doit partir des critères de superficie moyenne et de revenu cadastral moyen d'une propriété pour chaque commune. La représentation graphique de leur valeur chiffrée, en hectares et en francs, fait apparaître une grande dispersion de ces indices et met en évidence une gamme très étendue de situations. Il est aisé d'y trouver la marque des chances et malchances des conditions naturelles, inchangées pratiquement depuis le début du xixème siècle : de la gauche à la droite du graphique l'ordre des communes de l'échantillon n'a pas été bouleversé. Les changements que l'on peut repérer, qui ne sont que de médiocre portée, montrent la part des contingences humaines dans l'évolution des structures agraires. C'est le cas à Villelaure et Uchaux où la grande propriété s'est effondrée, à Cheval-Blanc où la mise en valeur de la vallée de la Durance a renforcé de façon décisive la petite propriété... Rien de tout cela n'est certes négligeable, mais n'est aussi en contradiction avec la nature et ses possibilités. Ce que la représentation graphique de la situation de 1914 fait apparaître plus nettement, ce sont des contrastes plus forts qu'un siècle auparavant dans le revenu cadastral entre des communes comparables par l'indice de la superficie moyenne d'une propriété. On ne peut les interpréter qu'en fonction de l'évolution économique, qui accuse ainsi les différences et relativise plus encore le critère de la superficie dans l'étude des classes de propriété. Pour ne prendre qu'un exemple, Roaix dans le Vaisonnais et Loriol au coeur du Comtat avaient dans les années 1830 – et sans aucun doute bien plus tard encore – un profil de propriété moyenne très voisin. En 1914, alors que la superficie moyenne de propriété reste très proche, le revenu cadastral est à Loriol près de deux fois plus élevé qu'à Roaix. D'un côté, les eaux bienfaisantes du canal de Carpentras, de l'autre une polyculture qui cherche encore sa voie... Pour une même superficie, le produit de la terre n'a plus la même signification économique. Même s'il est discutable dans son mode de calcul, le revenu cadastral propose un indice de rentabilité des biens fonciers et, lorsqu'on l'examine sous cet angle, le graphique de sa valeur moyenne suggère un changement de climat économique et aide à comprendre le processus d'abandon que nous avons précédemment constaté dans les régions les plus défavorisées : leur situation s'est aggravée par comparaison à celle des autres.
13Si l'on procède aux mêmes calculs de moyennes communales en éliminant les très petites propriétés, on observe que leur importance décroît à mesure que s'élève la superficie moyenne d'une propriété. Inversement le revenu cadastral des propriétés supérieures à 1 hectare, des propriétés utiles pourrait-on dire, croît d'autant plus que les micro-propriétés sont nombreuses. Nous avions déjà fait ces observations pour le premier cadastre, mais comme le nombre des très petites propriétés a beaucoup augmenté, l'incidence de leur retranchement est naturellement plus forte. Le caractère marginal des micro-propriétés s'en trouve souligné, de même que se confirme le bien-fondé de la méthode qui consiste à ne les étudier que pour elles-mêmes et à les éliminer pour une analyse économiquement correcte des autres classes de propriété.
A – LES MICRO-PROPRIÉTÉS : UNE CROISSANCE TROMPEUSE
14Le graphique qui présente la très petite propriété dans les différentes communes de l'échantillon ne se différencie de celui construit pour le premier cadastre que par un mouvement d'ensemble de ses lignes horizontales, où se lit l'accroissement en nombre et en surface des très petites propriétés. C'est dans la partie médiane du graphique que le processus d'accroissement a été le plus fort, alors qu'aux deux extrémités, correspondant aux développements minimum et maximum des micro-propriétés, les positions n'ont pratiquement pas changé. La corrélation positive entre les terroirs de plaine et l'émiettement de la propriété s'observe toujours, mais dans le détail des changements non négligeables apparaissent. Il n'est d'ailleurs pas possible d'attribuer à tous une signification économique et sociale. C'est le cas pour Saint-Saturnin-lès-Avignon et Saint- Didier, où le nombre des très petits propriétaires et la part des biens qu'ils possèdent accusent une forte progression : le territoire de ces communes est si petit que la répartition de la propriété au bénéfice de leurs habitants en déborde nécessairement les limites, dès que les biens atteignent quelque importance, et cette particularité se traduit par un gonflement des très petites propriétés recensées sur le territoire communal. Mais deux observations contradictoires retiennent l'attention. Dans des villages où la division de la propriété était déjà très poussée dans les années 1830-1840 et où les micro-propriétes avaient valeur économique et sociale, ce qui était le cas de Loriol, Lauris, Lapalud, Caderousse, la situation de 1913 n'a que faiblement changé, ce qui signifie une stagnation sinon un recul, compte tenu de la progression des cotes multiples et de la non-résidence de beaucoup des très petits propriétaires. Alors même qu'elle est très répandue, la micro-propriété est ici en vérité une survivance, un anachronisme que souligne l'indice de son revenu cadastral, souvent inférieur à celui de sa superficie. A l'opposé, Uchaux, Violès, Villelaure, où la grande propriété contenait dans des limites étroites la part des autres classes de propriété, sont caractérisées par une forte croissance de leurs micro-propriétés : c'est un nouveau rapport de forces que l'effacement de la grande propriété a entraîné. Mais les gains de la très petite propriété ne doivent pas faire illusion, ils correspondent à un moment d'une évolution déterminée par des faits juridiques plutôt qu'elle n'exprime une exigence économique. Par conséquent, et nous en resterons là dans notre analyse, quelles que soient les situations envisagées on ne peut conclure, pour les premières années du xxème siècle, à un dynamisme de la très petite propriété, même là où elle est relativement accordée aux conditions naturelles et économiques.
B – UNE CATÉGORIE CONQUÉRANTE : LA PETITE PROPRIÉTÉ
15Nous examinerons la situation de la petite propriété en associant dans une même analyse les deux catégories de propriété qui la représentent, de 1 à 5 et de 5 à 10 hectares. Leur représentation graphique, considérée dans son dessin d'ensemble, reste très proche de ce qu'elle était pour le premier cadastre. On peut noter, cependant, une progression plus régulière des superficies détenues par les propriétaires de 1 à 5 hectares et on peut l'interpréter comme un témoignage d'homogénéité croissante de cette classe de propriété, que l'évolution des structures agraires tout au long du xixème siècle a confirmée et consolidée dans son importance économique et sociale. Nous en prendrons une plus exacte mesure par un examen de détail, car c'est là qu'apparaissent les changements et que se dégage leur signification. Stabilité dans la médiocrité, telle pourrait se résumer l'évolution pour les communes des hauts reliefs, aussi bien pour les propriétés de 5 à 10 hectares que pour celles de 1 à 5 : Aurel, Beaumont-d'Orange, Saint-Christol et Vitrolles présentent des situations concordantes, que les conditions naturelles défavorables expliquent en 1914 comme un siècle auparavant. En deçà de 10 hectares, la propriété ne peut ici définir une unité de production, elle est aussi marginale que le sont les biens de moins de 1 hectare dans les plaines comtadines.
16Justement, comment a évolué la petite propriété dans les villages de plaine ? D'une manière générale, l'indicatif de ses effectifs a peu change. Il ne pouvait guère progresser, étant donné le haut niveau auquel il se situait dès le début du xixème siècle, mais il est remarquable que la petite propriété n'a rien perdu quant à l'importance de sa diffusion; on observe, il est vrai, un recul des propriétés de 1 à 5 hectares à Lauris, Loriol, Villelaure; mais il est compensé par un mouvement de translation vers les couches supérieures de la petite propriété, de 5 à 10 hectares. L'évolution des superficies possédées fait apparaître une grande stabilité dans les communes où les petits propriétaires de 1 à 5 hectares, très nombreux, détenaient aussi une partie importante – de 40 à 50 % – du territoire, ce qui se traduisait par un quotient de propriété élevé, indice de concentration de la propriété au profit de la classe de propriété considérée. Mais il est d'autres villages où la part des biens possédés s'élève sensiblement, de même que grandit leur quotient de propriété : Cheval-Blanc, Lagnes, Lapalud, Loriol, Villelaure. Ce type d'évolution est significatif de la victoire de la petite propriété sur la grande; il confirme son adaptation aux conditions économiques de la modernisation de l'agriculture des plaines, que nous avions déjà pressentie dans l'étude du premier cadastre. Par ailleurs, si on analyse dans les villages de plaine l'évolution des biens possédés par les propriétaires de 5 à 10 hectares on remarque pour le plus grand nombre un accroissement sensible, largement supérieur à l'accroissement calculé pour l'ensemble des communes constitutives de l'échantillon : de 18 à 22 % de la superficie totale pour Cheval-Blanc, de 14 à 19 % pour Lagnes, de 11 à 17 % pour Lapalud, de 16 à 26 % pour Loriol, de 9 à 26 % pour Saint-Didier, de 7 à 20 % pour Villelaure. Ceci témoigne du dynamisme de la petite propriété, de son potentiel de réussite là où elle est le mieux adaptée aux conditions nouvelles de l'agriculture. Bien sûr, la part des biens possédés par ces propriétaires reste toujours inférieure à celle des propriétés de 1 à 5 hectares, mais cette forte croissance dans ses couches supérieures montre que la petite propriété n'est pas sans avenir dans les plaines vauclusiennes.
17La situation est plus complexe et d'une généralisation moins aisée pour les communes de la zone intermédiaire. Pour plusieurs d'entre elles, Cucuron, La Tour-d'Aigues, Vénasque, le nombre des propriétaires stagne et le total de leurs biens est en recul. Pour d'autres, Bonnieux, Joucas, c'est une impression de stabilité qui se dégage. Un troisième type d'évolution, avec Roaix, Sainte-Cécile, 5aint-Romain-en-Viennois et Uchaux, fait apparaître une forte croissance des propriétés de 1 à 5 hectares, dans leur nombre et leur superficie. Pourquoi ces évolutions divergentes ? Les conditions naturelles, inégales le plus souvent à l'intérieur d'un même terroir communal, ne sont pas telles qu'elles puissent justifier la petite propriété comme unité de production, sauf si le terroir se prête à la culture de la vigne, et c'est précisément le cas des villages où la petite propriété nous est apparue conquérante. On rejoint ainsi les explications avancées à propos des villages de plaine : la petite propriété tout au long du xixème siècle, aussi bien dans la crise de l'agriculture traditionnelle que dans la reconstruction d'un système agricole moderne, a fait la preuve de son efficacité et de ses possibilités d'adaptation aux conditions humaines et techniques là où elle propose un cadre à une agriculture intensive et de haute productivité. Mieux encore, et nous y reviendrons, dans ces conditions précises elle semble avoir fait la preuve de sa supériorité sur les autres classes de propriété et être en mesure de proposer une réussite, assurément modeste mais pas pour autant négligeable, à ses possédants. Dans un autre contexte naturel et économique tel que les hauts reliefs des confins et les collines et plateaux intermédiaires, sa médiocre extension et sa stagnation sont le révélateur de son impuissance à faire vivre une paysannerie.
C – UNE PROGRESSION PROMETTEUSE : LA MOYENNE PROPRIÉTÉ
18Cette dernière conclusion est une mise en question indirecte des critères qui définissent la petite propriété, qu'on ne peut, nous le savons, enfermer dans des limites intangibles. D'ailleurs, s'il nous en fallait une preuve, l'analyse de la situation de la moyenne propriété nous la fournirait. Nous savons qu'elle a progressé, mais d'inégale manière. Dans les communes montagneuses, elle a sensiblement amélioré ses positions, mais c'est ici la marque d'une adéquation de ses dimensions apparentes à des conditions naturelles médiocres et c'est la traduction d’un morcellement de la propriété. Un processus voisin, malgré les apparences, se retrouve dans des villages de la zone intermédiaire, tels Cucuron, Joucas, La Tour-d'Aigues : la moyenne propriété y progresse aux dépens des catégories inférieures, et on doit parler ici de concentration; mais c'est un mouvement là aussi défensif, qui vise à créer des unités de production adaptées aux conditions locales. Par contre, toujours dans la zone intermédiaire, les villages concernés par la spécialisation viticole qui avait valorisé la petite propriété connaissent un recul de leurs moyennes propriétés : elles ont cédé du terrain devant des unités de production plus réduites, en harmonie avec les exigences humaines et la productivité de la vigne. Dans les villages de plaine, les moyennes propriétés presque partout gagnent du terrain, mais leurs gains en superficie sont toujours supérieurs à leurs gains en effectifs, par ailleurs très faibles. On constate de ce fait une poussée sensible de leur quotient de propriété, donc un progrès de la concentration de la propriété au profit de cette catégorie. A la différence de ce qu'on a précédemment observé, la progression de la moyenne propriété traduit ici un dynamisme, elle est, pourrait-on dire, en position offensive5 et constitue le support d'un groupe social étroit mais aussi influent, propriétaires bourgeois – rentiers ou exploitants – qui apparaissent comme les grands bénéficiaires de la modernisation de l'agriculture dans les plaines. Réussite paysanne et morcellement calculé, rationnel en l'état des techniques et des rapports sociaux, de la grande propriété donnent ainsi à la moyenne propriété dans le système de cultures intensives et spécialisées des plaines une tonalité originale.
D – LA GRANDE PROPRIÉTÉ PARTOUT EN RECUL
19Le grand perdant de l'évolution des structures de propriété depuis le premier cadastre, c'est la grande propriété, telle que nous l'avions délimitée à partir de 30 hectares. Il est remarquable qu'elle recule dans toutes les situations géographiques et économiques, c'est-à-dire dans toutes les significations économiques et sociales qu'elle peut prendre, et il convient par conséquent d'y regarder de près. Le cas le plus simple est celui des communes de la zone montagneuse, où la médiocrité des conditions naturelles impose des unités de production de grande superficie. C'est là que les propriétés de plus de 30 hectares rassemblent les effectifs et les superficies les plus importants, mais il n'y a qu'à Vitrolles, village où le processus d'abandon est très avancé, que la grande propriété progresse, et le rapport entre l'abandon et la concentration de la propriété y est tellement évident que l'on ne peut même pas parler d'une consolidation de la structure de propriété la mieux adaptée aux conditions naturelles : le revenu cadastral à l'hectare est le plus faible, et de loin, de toutes les communes de l'échantillon. A Saint-Christol faiblement et à Aurel très nettement les grandes propriétés reculent, et les plus grands domaines se révèlent peu attractifs car ceux qui ont le mieux résisté au temps se situent entre 30 à 50 hectares. La tendance, dans ces régions où la productivité de l'agriculture est toujours faible, est donc à l'adaptation – qui ne peut être que complexe et lente par le jeu des facteurs humains – des structures de propriété aux conditions de vie d'une unité de production. Ce que j'appelle grande propriété s’identifie de plus en plus aux superficies, naturellement difficiles à enfermer dans des limites rigoureuses, nécessaires à l'exploitation agricole par une famille.
20Plusieurs communes de la zone dite intermédiaire, parce qu'elles présentent des conditions de mise en valeur médiocres et n'offrent que de maigres perspectives de revenu, ont vu également régresser, parfois jusqu'à disparition pure et simple, leurs grandes propriétés. C'est le cas de Joucas, de Saint-Romain-en-Viennois. La situation est plus complexe à Bonnieux : les grandes propriétés ont reculé en nombre, mais surtout en superficie et plus encore pour la part qu'elles rassemblent du revenu cadastral. Alors qu'en 1831 – l'année de la confection du premier cadastre – elles représentaient la structure de propriété la plus forte, avec 49 % de la superficie et 50 % du revenu cadastral, en 1914 elles n'en représentent plus que 29 % et 21 %. Au contraire, les moyennes propriétés de 10 à 30 hectares sont passées de 22 et 23 à 37 et 42 % de la superficie et du revenu cadastral. Il est clair que les meilleures terres, justiciables d'unités de production plus réduites, ont été morcelées alors que ce sont les terres les plus ingrates – et il n'en manque pas sur le versant Nord du Luberon – qui ont été, en raison même de leur médiocrité, protégées du morcellement. Autrement dit, la grande propriété est doublement perdante, sur le plan de sa superficie et de sa rentabilité. Ce n'est plus que dans des cas précis et limités, qu'elle peut constituer la base assurée de la richesse et de l'influence sociale. C'est à un niveau inférieur, mais plus dynamique parce que mieux accordé aux exigences techniques de l'agriculture moderne, que se met en place une nouvelle couche de notables terriens. La perte de poids économique et d'influence sociale de la grande propriété est perceptible, à partir de l'étude du revenu cadastral, jusque dans les communes, telles Cucuron et Vénasque, où elle augmente ses biens : même là, son revenu cadastral est en recul.
21L'évolution n'a pas été plus favorable à la grande propriété dans les plaines. La forte progression enregistrée à Caderousse s'explique par une modification du territoire communal, qui a absorbé en 1851 les îles du Rhône au bénéfice de la propriété des Gramont-Caderousse. Mais partout ailleurs, elle a dû céder du terrain, tout en conservant des positions qui témoignent ici de ses capacités d'adaptation. Les d'Alauzier de Bédarrides tiennent fermement un domaine qu'ils ont arrondi à 63 hectares, pour 7 323 francs de revenu cadastral, ce qui est considérable. A Lapalud, les Testu de Balincourt sont toujours là, avec 57 hectares et 4 065 francs de revenu cadastral. Et le Comte de Montesquiou- Ferenzac, par le jeu d'alliances matrimoniales, en tient pour 99 hectares et 8 196 francs. A Villelaure, la propriété Forbin-Jeanson n'est plus qu'un lointain souvenir, mais elle a tout de même de beaux restes, que le grand homme d'affaires vauclusien de la garance, Verdet, a transmis à son gendre de Silhol, lieutenant colonel à Nimes – 44 hectares et 5987 francs – et à son fils, avocat à Avignon – 75 hectares et 13476 francs. Ce sont là mieux que des vestiges des grands domaines de rapport que de vieilles maisons de noblesse avaient conservés et de plus récentes familles bourgeoises avaient créés dans la première moitié du xixème siècle. Et on note de nouveaux venus, tel Guis, notaire à Cavaillon6 qui s'est constitué à Cheval-Blanc une propriété de 45 hectares et 3 744 francs de revenu cadastral. Par conséquent, dans les plaines vouées aux cultures maraîchères peuvent coexister de petites propriétés et de grands domaines dont la rente foncière représente un revenu toujours appréciable. Mais tous n'ont pas su s'adapter, victimes d'une gestion lointaine et négligente ou bien abandonnées – peut-être un peu légèrement – au profit de biens mobiliers d'un revenu apparemment plus brillant... Il est certain en tout cas que "l'exode rural par le haut" évoqué par Maurice AGULHON7 a distendu les liens des aristocrates locales traditionnelles avec la terre et qu'il y a là un facteur d'affaiblissement de la grande propriété.
22Les structures agraires évoluent sur un rythme lent. Elles ne suivent que lourdement et avec un certain retard – caractères par lesquels se manifestent les incertitudes et caprices imprévisibles des destinées humaines – les mouvements démographiques et économiques. Mesurée sur un cheminement de près d'un siècle, dont nous ne connaissons avec rigueur que les deux bornes, l'évolution de la propriété foncière en Vaucluse nous était d'abord apparue, à la considérer dans les données globales que nous avons pu établir, d'une ampleur limitée; elle ne nous suggérait, telle que nous pouvions la saisir, aucun bouleversement, en tout cas pas de changements à l'échelle des mutations économiques et de l'évolution de la population que nous avons observées dans le même temps. L'analyse de détail a confirmé le caractère modéré de l'évolution de la propriété, en même temps qu'elle a permis d'en préciser le sens. Certes, bien des incertitudes subsistent, parce que nous sommes sans repères précis entre les années 1830 et 1914, et nous ne pouvons déterminer avec rigueur les articulations de la ligne générale d'évolution des structures de propriété. On peut cependant proposer la périodisation suivante : le morcellement de la propriété se poursuit jusque dans les années 1860; il s'essouffle ensuite, sous le choc des crises de l'agriculture traditionnelle, et la distribution de la propriété n'enregistre que de très faibles changements jusque dans les années 1880. C'est alors que s'amorce, sous la pression conjuguée et indissociable des conditions démographiques et économiques, un mouvement général de concentration de la propriété. Mais son appréciation, au moment où nous en mesurons l'ampleur, est malaisée. Car si on les compare entre elles, la situation de 1914 est caractérisée par rapport à celle des années 1830 par le recul de la grande au profit de la petite propriété... Autrement dit, la date de 1914 se révèle fort incommode, mais nous n'y pouvons rien. Nous retenons qu'elle enregistre le fait majeur, inscrit dans la longue durée, de l'ajustement tendanciel des structures de propriété aux conditions humaines et techniques de l'exploitation d'une unité de production; mais aussi elle permet de déceler une conséquence de l'économie de marché, le caractère marginal, vulnérable des plus petites unités de production. C'est pourquoi les gains enregistrés par les petites propriétés ne sont pas, en 1914, assurés pour l'avenir, et il convient de garder en mémoire le processus, que nous avons observé, de glissement vers les couches supérieures de la petite propriété ou vers la moyenne propriété, selon les situations géographiques et économiques.
III – PROGRESSION DE LA PROPRIÉTÉ FORAINE
23Le lieu de résidence des propriétaires, qui nous éclaire sur les différents modes d'exploitation des propriétés, a-t-il subi tout au long du xixème siècle une évolution significative ? Je reprends là aussi la méthode et la démarche déjà mises en oeuvre pour le premier; cadastre, et la confrontation des résultats d'ensemble du cadastre de 1914 avec ceux du premier cadastre fait apparaître des différences sensibles.
24Pour toutes les catégories de propriété supérieures à 5 hectares les propriétaires résidents sont en recul, au profit de ceux qui résident dans une commune limitrophe de leur propriété et surtout au profit des propriétaires forains. Le cas des propriétaires forains limitrophes ne fait pas problème et les changements intervenus sont trop limités pour qu'on s'y attarde. Ils n'ont quelque ampleur que pour les propriétés de 5 à 10 hectares, où les pourcentages en effectifs, superficie et revenu cadastral doublent et l'explication est aisée : le mouvement général de morcellement de la propriété n'a pu qu'accentuer les inévitables distorsions entre l'implantation territoriale des propriétés et la résidence des propriétaires, et le phénomène est d'autant plus sensible que les propriétés considérées sont plus petites. On peut noter, par ailleurs, une incertitude qui pèse sur certaines propriétés foraines limitrophes : la proximité d'une ville par rapport à un village – c'est le cas de Carpentras pour Loriol, de Cavaillon pour Cheval-Blanc, d'Apt pour Bonnieux – fausse la signification de ces propriétés et risque d'en accroître artificiellement l'importance car certaines d'entre elles – mais l'interprétation est parfois très difficile – sont en fait des propriétés foraines, au sens économique et social que nous donnons à ce terme.
25C'est donc l'évolution des propriétés foraines qui doit retenir toute notre attention. Je rappelle que les propriétés traitées dans cette analyse sont supérieures à 5 hectares et que cette restriction, qui s'explique par les contraintes matérielles du travail à effectuer, n'est pas sans justification économique : le seuil de 5 hectares permet d'isoler, pour le plus grand nombre des situations, les domaines qui peuvent en raison de leur étendue procurer à leurs propriétaires non exploitants un revenu appréciable. Dans ce contexte, la progression des propriétés foraines ne peut nous surprendre, elle est dans la logique de l'exode rural. Mais il faut voir les choses de plus près. La position des propriétés foraines est d'autant plus forte que la classe de propriété est plus grande, et cette particularité s'accuse au cours du xixème siècle. Par ailleurs, la progression du revenu cadastral est supérieure à celle de l'indice des superficies, spécialement pour les grands domaines de plus de 30 hectares. Nous avons là confirmation de l'exode rural par le haut précédemment évoqué, qui n'a pas toujours, il s'en faut, entraîné l'abandon et le démantèlement des grandes propriétés. Il est clair que les notables traditionnels des villages vauclusiens qui ont fréquemment à la fin du xixème siècle opéré une reconversion urbaine ont conservé leurs biens de famille à la campagne dans la mesure où ceux-ci, par leur superficie et plus encore par leurs aptitudes agronomiques et économiques, constituaient une source de revenu important. L'attachement à la terre, ce lien sentimental incontestable, se double ici de considérations matérielles. On retrouverait le lien sentimental de façon beaucoup plus pure dans les petites et très petites propriétés, et il n'est pas surprenant que les indices de la propriété foraine soient les plus faibles à la charnière de la petite et de la grande propriété, qui proposent des motivations également fortes mais très différentes à la conservation des biens ruraux lorsque les circonstances ou les exigences de la vie ont conduit leurs détenteurs à quitter le village. Mais il n'est pas certain que les progrès réalisés par la grande propriété foraine aient un prolongement correspondant dans les modes d'exploitation par faire-valoir indirect, car les grandes propriétés, qu'elles soient foraines ou résidentes, donnaient lieu dans l'économie traditionnelle à des formes de mises en valeur par fermage ou métayage. Ce qui s'accentue, c'est l'éloignement des grands propriétaires de leur domaine, et ce n'est pas une garantie d'efficacité dans la gestion, bien souvent. Ce qui recule, aussi, sous la pression de cette évolution, c'est l'influence sociale et politique des grands propriétaires. Ce qui augmente enfin, c'est la part du revenu agricole qui échappe aux communautés villageoises, et la combinaison de tous ces phénomènes peut devenir un facteur de radicalisation politique de la population paysanne.
26Naturellement, la répartition de la propriété en fonction de la résidence n'est pas uniforme. Certes, la propriété foraine a progressé dans les villages des hauts reliefs et de la zone intermédiaire, mais à un rythme bien inférieur à ce qu'on pourrait attendre à ne considérer que leur dépopulation, et il est remarquable que l'indice de son revenu cadastral est le plus souvent inférieur à celui de sa superficie : la propriété foraine dans un contexte géographique et économique défavorable ne progresse qu'en raison du nouveau rapport numérique des hommes à la terre, de façon passive pourrait-on dire, et elle donne lieu, vraisemblablement, à une mise en valeur médiocre. Il semble que telle est la situation à Saint-Christol, à La Tour-d'Aigues. On relève une semblable discordance dans des communes plus favorisées par la nature, comme Sainte- Cécile, Vénasque et Violès. Mais ce sont des villages au terroir contrasté où une petite propriété conquérante – et probablement pour une bonne part résidente – s'est attribué la meilleure part du terroir fertile, et la grande propriété foraine représente les restes de la grande propriété traditionnelle, refoulée sur les terres arides et maigres.
27Dans les plaines d'agriculture intensive la propriété foraine a de fortes positions, qu'elle a sensiblement améliorées et sa progression est plus nette pour le revenu cadastral que pour la superficie. Dans le recul général de la grande propriété, le comportement de la propriété foraine traduit une résistance au morcellement, limitée aux meilleures terres, indifférente aux changements de résidence; il signifie aussi, dans certains cas, constitution de nouvelles propriétés, sans traditions familiales, sur la seule base de la rentabilité qu'on peut en espérer. En toute hypothèse la place de la propriété foraine révèle ou confirme la réussite des mutations agricoles accomplies dans ces régions et elle souligne la distance qui les sépare des zones de relief montagneux. S'il est vrai que partout en Vaucluse les villages s'ouvrent sur le monde extérieur, c'est sur les villages de plaine et sur ceux qui, dans la zone intermédiaire, se prêtent à la spécialisation viticole que se concentre l'attention : la progression de la propriété foraine y est un indice de développement du capitalisme agricole. Mais nous ne devons pas oublier que c'est là aussi que la petite propriété s'est affirmée dynamique et conquérante. Si le rapport de force a évolué en faveur de la petite propriété, la propriété foraine apparaît comme un môle de résistance et la hiérarchie sociale, avec les antagonismes qu'elle secrète, est peut-être durcie par Je fait que. beaucoup de propriétaires sont devenus étrangers aux villages où ils possèdent des biens. A coup sûr, nous ne saisissons qu'un moment d'une évolution complexe et l'analyse de la propriété sous l'angle de la résidence des propriétaires confirme tout à la fois le dualisme des structures agraires – celles des plaines qui ont réussi leur mutation agricole, celles des plateaux et confins alpins qui se survivent plus qu'ils ne s'adaptent – et les ambiguïtés d'une évolution où interfèrent les pesanteurs du passé et les signes annonciateurs d'une économie nouvelle.
IV – LES EXPLOITANTS AGRICOLES : AFFIRMATION DE L'EXPLOITATION FAMILIALE
28Ce n'est pas l'étude des différents modes d'exploitation agricole, c'est-à-dire du rapport non plus juridique mais économique des hommes à la terre qui lèvera ces ambiguïtés. Et d'abord pour une raison qui tient à la documentation disponible. Il faut ici se contenter des résultats départementaux des enquêtes agricoles décennales : 1862, qui sert de référence initiale, 1882 et 1892... Rien donc pour la période de reconstruction et de mise en place d'une agriculture nouvelle, que l'analyse des faits de propriété nous a pourtant montré très importante dans l'évolution des structures agraires : l'extrapolation des évolutions que l'on peut repérer en 1892 ne pouvant être que prudente, nous devons nous résigner, d'emblée, à des conclusions elles aussi prudentes, fragiles. D'autre part la collecte des informations sur les modes d'exploitation dans les enquêtes agricoles et le contrôle qu'en assurent les commissions cantonales de la statistique appellent bien des réserves et on ne peut accorder qu'un crédit limité aux données statistiques ainsi recueillies8. C'est dans ces conditions incertaines que je vais tenter de suivre et analyser l'évolution des différents modes d'exploitation agricole.
29Le mérite des statistiques établies dans les enquêtes décennales sur le thème de la population agricole, c'est de présenter un panorama de toutes les situations traduisant les rapports juridiques et économiques des hommes à la terre. Et c'est probablement ce souci de précision qui a conduit les statisticiens du temps à recenser, sous les rubriques qui leur étaient proposées, non pas tous les travailleurs – nous dirions lés actifs – mais les exploitations auxquelles il donnent la vie. Une exception bien sûr : les journaliers non propriétaires. A vrai dire, ils n'intéressent que par un biais notre réflexion : en les incorporant dans le chiffre total des agriculteurs, nous nous donnons une possibilité de vérifier la valeur de notre documentation, par confrontation avec les données des recensements de population9. Il est ainsi possible de comparer l'évolution de l'effectif global des agriculteurs, déterminé par les enquêtes agricoles de 1862, 1882 et 1892, à celle de la "population qui vit de l'agriculture", atteinte par les recensements de 1861, 1881 et 1891. La concordance des dates donne bien sûr un intérêt particulier à cette comparaison, qui fait apparaître, que le sens général de l'évolution est identique dans les deux cas mais aussi que l'ampleur du processus est très inégale. Comme on pouvait d'ailleurs s'y attendre, la décroissance du nombre des agriculteurs "actifs" est moindre que celle de l'ensemble de la population agricole, et cette différence s'accuse encore si l'on retranche de l'effectif des "actifs" la catégorie des journaliers non propriétaires qui connait une chute brutale. Sachant que l'écrasante prédominance des exploitations de type familial permet de rapprocher le nombre, des agriculteurs exploitants de celui des exploitations agricoles, on peut conclure de ces données statistiques que la dépopulation des campagnes, socialement sélective puisqu'elle a frappe de plein fouet les plus démunis, n'a eu qu'une incidence limitée sur les exploitations agricoles. Il convient d'ailleurs de noter que cela tient au fait que les agriculteurs sont considérés comme des "actifs" pratiquement jusqu'à leur mort. Il faut alors s'interroger : combien d'exploitations, dans le nombre total, se survivent en raison du vieillissement des agriculteurs ? Cette situation ne peut être durable, puisque l'exode rural, atteignant surtout les jeunes, compromet leur renouvellement. Malheureusement, nous ne pouvons que formuler des interrogations devant le silence de la documentation après 1892.
30Une concentration des exploitations agricoles s'amorce, par conséquent, à partir des années 1880, et elle est à rapprocher des observations similaires que nous avons faites pour la propriété foncière.
31Elle se poursuit à coup sûr et probablement même s'accélère après 1892, dans la logique des mutations qui affectent les systèmes de culture. Et elle s'opère pour l'essentiel au bénéfice des exploitations petites ou moyennes qui réalisent un équilibre au moins temporaire entre leurs superficies et la force de travail de la famille qui les met en valeur. Mais ce mouvement de concentration est retardé, freiné par le vieillissement de la population paysanne qui maintient en état de survie, et aussi à l'écart des progrès techniques, un nombre – que l'on ne peut préciser mais non négligeable – d'exploitations qui ne s'effaceront du paysage agricole qu'avec la disparition de la génération qui continue à en assurer, vaille que vaille, la direction.
32En 1862, deux catégories d'exploitations agricoles dominaient numériquement : celle des propriétaires exploitants et celle des journaliers propriétaires. Leur évolution divergente commande le mouvement d'ensemble des exploitations agricoles. On s'explique sans peine – encore qu'elle démarre de bonne heure – la disparition progressive des journaliers propriétaires, qui sont salariés avant que d'être des possédants, mais le mouvement contraire – et largement compensateur – des propriétaires exploitants jusqu'en 1882, est d'une intelligence plus malaisée. Il faut sans doute compter avec les incertitudes du vocabulaire, qui font que des journaliers sans emploi en 1882 – du fait de la crise – sont devenus propriétaires exploitants parce qu'ils possédaient un lopin de terre... Il faut aussi se souvenir que la crise n'a été vraiment sensible qu'après 1870 et considérer que jusqu'à cette date s'est très probablement poursuivi au sein de la classe des journaliers un processus de promotion sociale. Les choses deviennent plus claires après 1882 : qu'ils soient ou non propriétaires, les salariés agricoles disparaissent parce que l'évolution économique les condamme autant qu'elle les attire ailleurs, vers les centres urbains. Et on observe un mouvement de recul dans les autres catégories "hybrides", celle des propriétaires fermiers et celle des propriétaires métayers, qui définissent elles aussi des situations souvent marginales. Si l'on ajoute à cela l'amorce d'un recul chez les propriétaires exploitants, où les très petites exploitations ne manquent pas, on peut conclure que la situation de 1892 révèle le début d'un mouvement de concentration qui est en premier lieu élimination des structures d'exploitation les plus vulnérables, par leur superficie et par l'association de situations juridiques différentes. On mesure par là les inégales capacités d'adaptation des différents modes de faire-valoir : le métayage offre manifestement moins de possibilités que le fermage pour accéder à la qualité de propriétaire exploitant. Il faudrait, pour apprécier pleinement la portée du mouvement de concentration, connaître ses répercussions sur la superficie des exploitations. Nous ne disposons, à cet égard, que de deux statistiques qui, pour 1882 et 1892, dénombrent les exploitations en fonction de leur superficie. Elles aboutissent d'ailleurs à des résultats suspects, indiscutablement excessifs en raison sans doute du comptage des exploitations de moins de 1 hectare, d'une identification particulièrement difficile. Mais comme, manifestement, les deux statistiques ont été établies de la même manière et qu'elles répètent les mêmes erreurs méthodologiques, il n'est pas interdit de les comparer l'une à l'autre. On s'aperçoit alors que de 1882 à 1892, c'est-à-dire au démarrage du processus de concentration, les exploitations de moins de 1 hectare ont reculé de 5 %, celles de 1 à 5 hectares de 4 %, alors qu'au contraire celle de 5 à 10, 10 à 30 et supérieures à 30 hectares augmentaient respectivement de 19 %, 7 % et 5 %. La cohérence de cette évolution n'est pas niable, elle met en évidence un mouvement que nous avons déjà observé au plan de la propriété au bénéfice de la catégorie de 5 à 10 hectares, qui apparaît ainsi comme la mieux adaptée aux nouvelles conditions économiques dans le contexte de la "petite culture" qui caractérise le Vaucluse11.
33Quelle est la part respective du faire-valoir direct, du fermage et du métayage dans les modes d'exploitation en Vaucluse ? Les statistiques jusqu'à présent utilisées ne permettent guère de répondre à cette question, puisqu'elles repèrent aussi des situations mixtes. D'autres statistiques figurent dans les enquêtes de 1882 et 1892, qui procèdent à des regroupements selon des critères que nous ignorons. A les suivre, la part du faire-valoir direct, du fermage et du métayage serait pour 1882 et 1892 respectivement de 76 et 71 %, 17 et 21 %, 7 et 8 %. On remarquera que les pourcentages de 1882 sont très proches de ceux auxquels nous nous étions arrêtés pour les années 1860, et qu'une évolution en faveur du fermage semble se dessiner. Les données sont incertaines mais l'évolution est plausible, si on la rapproche de l'accroissement des grandes propriétés foraines. Nous avons par ailleurs les commentaires de Zacharewicz, bon connaisseur s'il en est de l'agriculture vauclusienne, sur l'enquête de 189212. S'il ne se prononce pas sur des chiffres, il propose entre les trois modes de faire-valoir un classement qui place le métayage en dernière place. Justifié par "l'incertitude des récoltes dûes au climat" parce qu'il répartit également les mauvaises années entre le propriétaire et son métayer, le métayage souffre de l'absence de capitaux chez les paysans qui s'y résignent et il se traduit par une mise en valeur routinière :
"les métayers sont ou un peu à l'aise et possesseurs de quelques terres, et c'est le cas le plus fréquent, ou pauvres et n'ayant pour vivre que la moitié des produits de la terre qu'ils cultivent. Dans cette dernière condition la misère les empêche de faire aucune amélioration. Pourvu qu'ils aient de quoi se nourrir, c'est tout ce qu'ils désirent, aussi ne s'attachent-ils pas à la métairie qu'ils quittent facilement pour une autre qui leur paraît meilleure. Par suite les cultures qu'ils donnent aux terres laissent à désirer".
34Sans doute faut-il nuancer : il y a des métayers stables, et des propriétaires qui investissent dans leurs métairies. Mais il est vrai, l'enquête de 1892 en fait la démonstration, que le métayage trouve ses lieux d'élection dans les terroirs pauvres, de polyculture céréalière : la répartition par nature de culture des superficies en métayage et en fermage indique que les vignes et les prés sont bien moins représentés dans les propriétés mises en valeur par métayage que dans celles qui sont affermées à rente fixe13. C'est ce que confirme Zacharewicz, qui souligne que le fermage se rencontre surtout en culture maraîchère, qu'il stimule l'esprit d'initiative et permet d'arriver à une certaine aisance. Dans les conditions de l'agriculture spéculative des plaines, il est toujours – comme c'était le cas au temps de la garance – une voie possible vers l'accession à la propriété, à part entière pourrait-on dire. Car c'est bien, dans le cadre général de la petite propriété et de l'exploitation familiale, le faire-valoir direct qui s'impose parce qu'il donne au travail paysan à la fois sa perspective d'avenir et son produit immédiat :
"Ce mode est celui qui se prête le mieux aux améliorations agricoles durables, parce que le propriétaire libre dans ses entreprises est sûr de jouir pendant une longue suite d'années des bénéfices résultant de la construction des bâtiments ruraux, des travaux de drainage et d'irrigation, de l'emploi des amendements et les engrais. En parcourant le département, il est facile de se rendre compte qu'il y a de sérieux progrès réalisés dans la culture pour ce mode d'exploitation".
35Il ne semble pas, peut-on conclure, que l'évolution des modes d'exploitation ait modifié la physionomie que nous avions pu analyser de leur répartition cantonale vers 1860. D'une façon générale les micro-exploitations, liées à une charge démographique devenue excessive, ont perdu du terrain et la tendance se dégage nettement en faveur des exploitations adaptées à la force de travail d'une famille, s'inscrivant le plus souvent dans les limites de la petite propriété. Quant aux différents modes d'exploitation, ils n'ont guère changé dans leurs rapports entre eux. Sans doute, toutefois, la promotion sociale à partir d'une très petite propriété complétée par des terres affermées est-elle devenue plus difficile, en même temps d'ailleurs que moins recherchée en raison de l'attraction des villes sur les campagnes.
••••
36Les structures agraires en 1914 mettent en évidence les conditions juridiques et économiques de l'existence dans le Vaucluse d'une paysannerie solidement implantée, vérifiée dans son attachement à la terre par la crise de l'agriculture traditionnelle, affermie dans ses qualités d'énergie patiente et d'imagination créatrice par l'expérience qu'elle a faite d'une difficile mutation économique. Une paysannerie, aussi, qui s'est allégée de ses semi-prolétaires et qui, par son effort et sa réussite, s'est libérée de l'emprise qu'exerçait naguère encore sur elle une aristocratie de grands propriétaires. Image d'une démocratie rurale ? Sans doute, dans la mesure où la réussite collective, phénomène social autant qu'économique, a élevé la condition du plus grand nombre. Mais justement, il faut essayer de préciser, en termes de revenu, le fruit de l'effort de la paysannerie vauclusienne. Par là peut-être se découvriront les limites et la fragilité d'une réussite qui s'inscrit dans les paysages, dans les cadastres, mais qui ne peut être acquise une fois pour toutes, soumise qu'elle est à une évolution dont nous n'avons saisi que la phase initiale.
Notes de bas de page
1 A.D.V. S.P. Relevé des cotes foncières. Le nombre des cotes foncières figure en regard du montant de la contribution foncière, sur les états annuels du montant des rôles généraux des contributions directes. Pour les années 1861, 1881 et 1913 ont été conservés les feuillets donnant, par commune, le détail de chaque contribution directe et notamment le nombre des cotes foncières.
2 Pour calculer le nombre des propriétaires en 1861, je considère que de 1851 à 1879, dates pour lesquelles je dispose du rapport du nombre des cotes foncières au nombre des propriétaires, l'évolution de ce rapport est progressive et continue, ce qui permet d'estimer à 650 pour 1 000 cotes foncières le nombre des propriétaires.
3 L'explication en est simple : dans le premier cadastre on enregistrait indistinctement propriétés bâties et propriétés non bâties. En 1914 il y a une matrice des propriétés non bâties, et celles-ci sont affectées d'un revenu cadastral supérieur, qui profitait largement à la catégorie des très petites propriétés dans le premier cadastre.
4 Cette statistique est publiée dans le volume Statistique agricole de la France. Résultats généraux de l'enquête décennale de 1882.
5 Il convient toutefois de nuancer, en fonction de la structure des terroirs. C'est ainsi qu'à Cheval-Blanc la juxtaposition du versant sud du Luberon et de la vallée de la Durance confère aux moyennes propriétés une ambiguïté qui tient aux différences considérables de la valeur agricole des sols.
6 Guis est conseiller général du canton de Cavaillon, sans concurrent, de 1892 à 1905.
7 Maurice Agulhon : La fin des petites villes dans le Var intérieur au xixème siècle.
8 Un seul exemple, pour illustrer la confusion qui caractérise les données statistiques relatives aux modes d'exploitation : les enquêtes agricoles décennales dénombrent les exploitations, en distinguant celles en culture directe, en fermage et en métayage. Par ailleurs, elles comptent la population des travailleurs agricoles, qui, semble-t-il, s'obtient par l'addition des exploitants agricoles et des journaliers agricoles. Mais une ambiguïté subsiste, que ne parvient pas à lever la confrontation des données chiffrées : il y avait en 1882 9 341 exploitations en fermage, mais aussi 10 418 fermiers, et pour 1892 les chiffres sont respectivement de 11 607 et 10 250. Comment expliquer ces discordances ? 3'ai choisi de travailler sur les données qui totalisent et répartissent en fonction de leur statut économique les travailleurs agricoles, parce qu'ils permettent une analyse plus fine des situations réelles, et aussi parce que pour l'enquête de 1882 je connais leur distribution par canton. Mais je me garderais bien de dire qu'ils sont d'une solidité à toute épreuve...
9 Voir chapitre précédent.
10 Ces données statistiques proviennent des publications par la Statistique agricole de la France des résultats généraux des enquêtes décennales. Op. cit.
11 L'expression est de Zacharewicz, dans son Mémoire sur l'agriculture du département de Vaucluse. Op. cit.
12 Ibid.
13 La mise en valeur de grands vignobles donne lieu également à une formule aménagée de métayage, dans un sens favorable à l'exploitant. Mais ce sont des situations particulières. J'y reviendrai dans le prochain chapitre.
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