Jehan Du Prier : intertextualité, théâtre et politique à la cour d’Anjou-Provence
p. 209-229
Texte intégral
1Prince issu de familles régnantes1, gouvernant lui-même2, le roi René passe pour avoir été « fou de théâtre ». Il est vrai que farces, soties, moralités et mauresques furent fréquemment jouées à sa Cour comme simples divertissements. Mais il s’en faut de beaucoup que le roi René ait considéré le théâtre sous ce seul angle. À son époque, les diverses cours françaises utilisent pour leur propagande politique des spectacles divers3. C’est pourquoi les œuvres commandées par le roi René méritent que l’attention ne se limite pas à leur seul intérêt artistique. Voulues par le Prince, elles tiennent compte de ses goûts artistiques, certes, mais aussi, éventuellement, se doublent d’un discours du Prince. C’est dans cette double optique, littéraire et éventuellement « politique », que nous examinerons les œuvres de Jehan Du Prier. Cet homme de théâtre apparaît dans les comptes du roi René à Paris, en 1451, pour avoir joué des farces4 devant lui. Rien ne permet de savoir s’il était déjà à son service. Du Prier servira René jusqu’à la mort de ce dernier ; la dernière trace que nous trouvons de lui dans les archives, en octobre 14805, concerne le paiement de l’épitaphe qu’il a rédigé pour le tombeau du feu roi, à Angers, où Jeanne de Laval a réussi à transférer son corps depuis la Provence, en 1481.
2À l’époque du roi René, depuis plusieurs générations déjà, l’Anjou, comme la Provence et leurs marges, voient composer nombre d’œuvres littéraires célèbres dans le milieu ducal. On en trouve souvent trace dans les bibliothèques ducales, et Jehan Du Prier ne se fera pas faute d’emprunter à ses illustres devanciers thèmes, citations ou allusions qu’il incorpore à ses propres œuvres. Parmi ces écrivains, anonymes ou connus, il me faut citer, en particulier, l’auteur de Ponthus et Sydoine6 ; le Marseillais Pierre de La Cépède7, auteur du roman Paris et Vienne, et l’incontournable Alain Chartier8, plus spécifiquement son Débat des deux fortunés d’amours, et son Curialis, dont s’est inspiré l’Abuzé en cour9. Tous ces textes apparaissent dans la bibliothèque ducale, et ces auteurs, à des titres divers, ont inspiré Du Prier.
3Nous allons passer en revue les œuvres assurées de cet auteur, et voir leurs caractéristiques stylistiques, ainsi que les « emprunts » ou allusions à d’autres auteurs de la cour angevine effectués par Du Prier. Certaines de ces œuvres présentent dans leur texte des références à des positions politiques prises par la maison d’Anjou. Nous les signalerons quand le cas se présentera. Actuellement quatre œuvres, de longueur variable, portent la signature de Jehan Du Prier, dit le Prieur, insérées dans le texte : Le Débat du content et du non-content en amour, Le Débat des sept serviteurs, Le Songe du Pastourel et Le Mystère du roy Advenir ; tous sont conservés dans des manuscrits uniques. Les archives signalent que Du Prier collabora également à la rédaction d’un Mystère des Actes des Apôtres10. Un autre texte, édité par les libraires parisiens Trepperel et Jean Jehannot, Le Miracle de saint Nicolas et d’ung juif qui presta cent escus à ung crestien, anonyme, semble être également son œuvre. Nous l’étudierons après avoir analysé les œuvres assurées de Du Prier, tant sur leurs formes poétiques que sur les éventuelles implications politiques, incluses dans l’œuvre. Nous suivrons, pour cette présentation l’ordre croissant d’implications à des situations historiques précises.
Le Débat du content et du non-content d’amours
4Le Débat du Content et du Non Content est un divertissement de cour, de 556 vers, de date inconnue. Cette œuvre fut composée à la demande du duc de Bourbon11, pour une occasion non précisée, mais qui eut lieu un vingt et un novembre12. Il reprend la thématique d’Alain Chartier dans le Débat des deux fortunés d’amours (1425). On peut donc supposer que le défi de rivaliser avec Chartier provient du duc de Bourbon lui-même. Vu les liens de famille et d’amitié entre le duc Jean II de Bourbon et le roi René, ce texte peut avoir été écrit du vivant du roi René, pendant le principat de Jean (1456-1488), voire même sous celui de son père, Charles de Bourbon (1434-1456). Mais rien n’interdit qu’il ait été rédigé après la mort du roi René.
5L’auteur est pris à témoin de leur discussion par deux jeunes gens. L’un se vante d’être fortuné en amour, l’autre se plaint de la cruauté de celle qu’il aime. Alors que le texte de Chartier juxtapose de longues tirades des deux protagonistes, Du Prier, lui, transforme le débat en texte théâtral : les répliques des deux jouteurs fusent, se répondant l’une à l’autre, opposant idées contre idées, vantardises contre doléances ; et un tiers personnage apparaît : l’Acteur. C’est lui qui introduit le débat et écoute les deux amoureux. Il quitte son rôle de témoin passif et commente en contrepoint, avec humour ou ironie, les déclarations péremptoires des deux antagonistes, usant de brèves sentences proverbiales. Enfin, il se tourne vers le public et incite les escoutants13 à prononcer le jugement du Débat opposant les deux jeunes gens.
6Ce texte présente une caractéristique constante de Du Prier, l’utilisation de proverbes : vingt-deux proverbes apparaissent dans ce texte, pour la plupart prononcés par l’Acteur.
7La diversité des patrons rythmiques souligne les changements de « tonalité » dans le débat : prologue, exposé de leur situation par les deux jeunes gens, discussion entre eux, puis avec l’Acteur, enfin conclusion de ce dernier sur la thématique disputée. La versification, dans le prologue (v. 1-49) et les moments « calmes » présente des huitains ou des quatrains octosyllabiques à rimes plates, énoncés par l’Acteur (v. 11-49 et 499-512). Le patron le plus utilisé est le huitain octosyllabique à rimes ababbcbc ; apparaissent aussi quatre douzains hétérométriques (a7a3b7a7a3b7b7b3c7b7b3c7) ; enfin cent soixante-dix vers, octosyllabiques, présentent un schéma sizain + quatrain à rimes aabaab bcbc. Ces changements dans la versification interviennent lorsque l’on passe à un nouveau « moment » dans la discussion des jeunes gens, soit entre eux, soit avec l’Acteur. Du Prier porte un grand soin à la versification, dont les rimes sont toujours riches, et utilisent les caractéristiques versificatrices des rhétoriqueurs.
8Dans la mesure où ce texte fut commandé par le duc de Bourbon, et non par le roi René, il ne s’y trouve aucune allusion à la politique.
Le Débat des sept serviteurs
9Vers 1471, à la suite de la mort à Barcelone, en décembre 1470, de Jean de Calabre, seul fils légitime restant au roi René14, Du Prier compose une déploration, le Débat des sept serviteurs (1581 vers). Originalité du texte : ce ne sont plus des allégories magnifiant le défunt et lui promettant un « trône d’honneur », ou une « apothéose », qu’utilise Du Prier. Peut-être « dit » devant le roi René, ce texte met en scène un débat entre sept des serviteurs du duc Jean discutant entre eux, puis avec l’Acteur. Entrant en scène à tour de rôle, les quatre premiers serviteurs se lamentent devant l’injustice d’une mort qui frappe indûment un personnage aussi important et vertueux que le duc Jean15.
10À quoi l’Acteur rappelle la puissance et l’universalité de la Mort, avec nombre de sentences proverbiales, en fin de tirade. Le cinquième serviteur entre en scène et se plaint des conséquences catastrophiques de la mort du duc Jean pour ses serviteurs qui attendent leurs gages. Cela nous vaut des tableaux des mœurs des courtisans, rappelant le Curialis de Chartier. Le sixième serviteur intervient alors (v. 1136) pour décrire la douleur du roi René lorsqu’il apprit, en public, la mort de son fils, et la dignité de sa contenance. Il s’agit là d’une innovation dans le topos de la déploration qui montre volontiers le désespoir universel, mais rarement celui des proches du défunt. Ce serviteur rappelle aux autres que la faute leur incombe si abuzés / Sont par les cours les servants non rusés (v. 1440 ; un clin d’œil à L’Abuzé en cour16).
11Le septième et dernier serviteur intervient alors (v. 1469) et rappelle que désormais seul compte le sort de l’âme du duc Jean, et incite chacun à prier pour lui. C’est ce que font alors les sept serviteurs, à tour de rôle, tout en renonçant à leurs griefs envers le duc.
12Enfin la Mort – seul personnage allégorique du texte – ferme le débat dans un long monologue, bourré de sentences proverbiales, où elle rappelle que Sugiecte à (elle) est chacune personne (v. 1562), mais qu’elle n’entraîne que la mort corporelle, et pas celle de l’âme. Toutefois, son discours ne débouche, assez étrangement, sur aucune espérance ni de récompense chrétienne, ni de « trône d’honneur ».
13Le manuscrit qui conserve ce texte, très soigné, n’a pas vu achever son ornementation. Les lettres initiales sont décorées à la feuille d’or, mais des lettrines sont inachevées et quinze emplacements prévus pour des illustrations sont restés vides.
14On retrouve ici les caractéristiques de la versification de Du Prier :
- une base de décasyllabes à rimes plates, à rime mnémonique, formule adaptée aux textes « graves » ;
- animée par des changements de rythme pour souligner des idées force : lais hétérométriques, rondeaux, triolets, et trois ballades à refrain, dialoguées, avec rimes fatrisées. Leurs refrains, Contre Mort ne prouffite science17, En cour aura beau pratiquer sa vie, Au malheureux tombe le vireton18 (= le carreau d’arbalète), relèvent du discours parémiologique, très présent dans ce texte, avec plus de quatre-vingt quinze proverbes ;
- enfin, Du Prier utilise toutes les ressources de virtuosité verbale des grands rhétoriqueurs.
15Ce qui frappe dans ce Débat, c’est la rupture avec les conventions habituelles de la déploration19. Pourquoi rompre avec les figures allégoriques ? On peut remarquer que Du Prier connaît un exemple de cette rupture, à la cour d’Anjou. En effet, la Mort se voit interpeller, dans un débat20, par un fou de cour, Triboulet, écrivain du roi René, qui lui reproche de s’en prendre à un si petit personnage, qui, comme fol, a follement servy (v. 20) son maître21. Cet exemple aurait-il inspiré son confrère, Jehan Du Prier ?
16Probablement écrite pour le seul usage du roi René, cette œuvre ne contient que peu d’allusions aux événements politiques qui ont entouré la mort du duc Jean22.
Le Mystère du roy Advenir
17Première œuvre en date connue de Du Prier, le Mystère du Roy Advenir23 fut joué à Angers en 145524. L’auteur s’y s’inspire du récit de Josaphat et Barlaam, dans la Légende dorée de Jacques de Voragine25, et surtout de la version anonyme, en latin, la plus répandue au Moyen Âge26 : Du Prier crée des personnages, importants ou secondaires, qui n’y apparaissent pas et imagine des scènes nouvelles qui respectent toutefois la logique des données du récit. À noter des « théâtralisations » qui tiennent compte des goûts du public au xve siècle : diableries, scènes de bataille, assaut d’une place forte, plaisanteries du messager et des bourreaux, nombreuses scènes de torture.
18Dans cette œuvre, l’intertextualité apparaît dans le choix d’un sujet déjà connu et dans des traductions parfois littérales du texte latin27.
19Toutefois, ce Mystère présente une singularité : il ne met en scène ni la vie du Christ ou de ses proches compagnons, ni des épisodes de l’Ancien Testament, non plus qu’une vie ou des miracles d’un saint reconnu par l’Église. Or le roi René habituellement favorise la représentation de la vie du Christ et des passages importants de l’Histoire Sainte. Il peut reprendre à son compte ce passage de la Passion de Gréban28 : Monstrer voulons, par personnaiges / Aucuns des principaulx ouvraiges / Que fait Nostre-Seigneur pour nous (v. 1621-23). Il semble que cela, aux yeux de René, fasse partie de ses obligations de prince chrétien, afin de permettre à ses sujets d’avoir accès aux vérités de leur foi chrétienne, à une époque où n’existe pas de catéchisme. De même, les nombreux Jeux et Vies des saints révérés dans ses domaines donnent lieu à de fréquents spectacles, financés par René, dans une même optique de prédication29. Or, le Roy Advenir est un hapax dans les quelque cent trente Mystères connus30, et s’éloigne des thématiques religieuses privilégiées par René. Seuls, le Mystère de la destruction de Troye la Grant et celui du Siège d’Orléans s’écartent eux aussi de la thématique religieuse habituelle31.
20Si on veut tirer la leçon de ce Mystère du Roy Advenir, il célèbre la puissance et l’efficacité de la prédication des Évangiles et de la doctrine chrétienne par de saints hommes pour convertir le monde païen32, incarné ici par le roi des Yndes, et les ducs Grec et Egypcien.
21On remarquera que le jeune Josaphat, élevé à l’écart de la cour, est instruit par un maistre d’escolle. Le jeune prince connaît fort bien les récits de la mythologie grecque et plus sommairement ceux des anciens égyptiens, dont il méprise les dieux, luxurieux et cruels. Toutefois, il signale que son précepteur ne prie qu’un seul Dieu (v. 7653-7678), et lui parle d’Alla. Et, dans un charabia pseudo-arabe, signale qu’en algarvie (= langue arabe, d’après l’espagnol algarvia, emprunt à l’arabe al’arabiya), le mot Alla désigne Dieu et l’expression rahamin, désigne le compatissant, l’un des surnoms de Dieu (al’rahman, en arabe). On peut en conclure que le jeune prince a été exposé à un prédication musulmane par son maistre d’escolle ; qu’il l’a ressentie comme plus valide que les fables mythologiques33, mais qu’elle n’a pu le convaincre d’adhérer à cette foi, alors qu’il admettra d’emblée la véracité de la prédication de l’ermite chrétien Barlaam et demandera immédiatement le baptême.
22Joué sur trois jours, ce long mystère (16 300 vers) présente des procédés stylistiques constants chez Du Prier :
- des échanges dialogués rapides, souvent en staccato de demi-vers ;
- l’insertion de rondeaux, triolets, et autres textes à refrains lors de moments importants de l’action ;
- l’utilisation de vers courts (4, 5 et 7 syllabes) qui rompent la monotonie des rimes plates d’octosyllabes et de décasyllabes, avec utilisation de la rime mnémonique ;
- enfin, une virtuosité verbale dans les rimes, propre aux grands rhétoriqueurs ;
- sans oublier le recours à des formulations parémiologiques, relativement peu fréquentes dans ce texte.
23L’implication du roi René dans cette œuvre est indiscutable : le texte du Mystère précise que le roi René a d’abord fait traduire (ou dérimer ?) le texte original34 en prose (Il est vray que le noble roy / René, que Dieu veuille garder / Fist mectre ce fait par arroy / En prose pour le regarder). Ce n’est qu’ensuite qu’il s’avisa, pour plus augmenter / La vie du roy Advennir / Q’ung mistaire en feroit ouvrer / Pour jouer au temps a venir (v. 21-28). Nous nous trouvons donc devant un discours du Prince et le Prologue de 224 vers insiste sur la prédication par de saints hommes comme moyen de conversion. Une question se pose : pour quelle raison René voulut-il diffuser, alors, le message de ce mystère ? La date de la représentation, 1455, nous donne peut-être un indice : en 1453, les Turcs musulmans de Mehemet Ali se sont emparés de Constantinople. Le pape prêche une nouvelle croisade. Le duc de Bourgogne semble lui emboîter le pas, avec les Vœux du Faisan35, en février 1454. Quelques mois plus tard, c’est au tour du roi René de publiciser sa position : convertissons les Infidèles36 ! Mais, à aucun moment le texte ne parle de guerroyer contre les musulmans ; il ne parle que de prédication entraînant la conversion. Serait-ce une façon indirecte de se positionner contre une simple croisade guerrière ?
Le Songe du Pastourel
24Autre texte de Du Prier, Le Songe du Pastourel37, se révèle être une œuvre à visée politique. Ce texte fut composé après la victoire de René II de Lorraine, le 5 janvier 1477, devant Nancy, bataille où mourut le duc de Bourgogne Charles le Téméraire. Ce dernier s’était fait reconnaître duc de Lorraine par les États de Lorraine en octobre 1475, spoliant René II, intronisé duc de Lorraine en août 147338.
25Aussi Du Prier célèbre-t-il la légitimité du jeune duc, dans une composition complexe, de 1141 vers. L’œuvre utilise deux songes (dont une « pastorale39 »), puis le débat d’un soldat bourguignon contre la Mort, avec appel auprès de Dieu par l’Église personnifiée. Cet appel entraîne la condamnation divine du duc de Bourgogne en tant qu’ennemi de Dieu, pour avoir fait brûler des églises et couvents. S’ensuit un récit dialogué entre une paysanne lorraine et le soldat bourguignon du débat, où elle conte la bataille de Nancy, puis la reconnaissance du cadavre du duc de Bourgogne ; enfin l’Acteur achève le récit en narrant les funérailles du duc Charles enseveli avec les honneurs princiers dans la collégiale Saint-Georges, où reposent les ducs de Lorraine. Cette œuvre, écrite pour être jouée, fut probablement représentée devant le tombeau du duc de Bourgogne, dans cette collégiale, peut-être le 5 janvier 147840.
26Le débat du soldat bourguignon avec la Mort, présente la même particularité que le Débat des sept serviteurs. Celui qui attaque la Mort (personnifiée) pour avoir tué indûment le duc de Bourgogne, loin d’être une allégorie, est un simple soldat de l’armée bourguignonne. Bien sûr, il emblématise ainsi le seul aspect de cruauté guerrière de Charles le Téméraire. Un tel choix n’est pas neutre de la part de Du Prier : opposer le duc belliqueux, Charles, au duc pacifique, René II, qui se contente de défendre son droit, revient à discréditer son ennemi.
27René de Lorraine n’ayant pas de cour, ni d’écrivain attitré, à cette époque, le Songe du Pastourel n’a pu être composé qu’à la demande du roi René et probablement selon ses directives. Dans ce texte, le poids de la politique est important. Les deux songes, sous couvert de la fiction, narrent les démêlés réels de René de Lorraine et de son ennemi, le duc de Bourgogne, ainsi que les dérobades de ses suzerains, le roi de France et l’empereur d’Allemagne41. Ainsi les deux songes allégoriques nous présentent d’abord le jeune duc comme un pastourel, puis comme un malade. Il symbolise ainsi le « bon berger » biblique, qui recourt, vainement, au chief des pastour / Comme le chief des aultres souverains (v. 122-123), c’est-à-dire le roi de France, pour défendre son droit. Son adversaire est emblématisé comme un fier lyon (v. 90), féroce. Le lion figure effectivement dans les armoiries du duc Charles de Bourgogne : mais quand le songe le montre prenant des brebis laine et graisse (v. 297), il est déconsidéré, comme un mauvais gouvernant. Quant au songe du malade, dont le mal ne vient pas de folle nourriture (v. 297), il nous montre les deux suzerains du duc René (le roi de France et l’empereur d’Allemagne) emblématisés comme deux médecins, abandonnant ce dernier et lui intimant que plus secours ne [leur] demandast (v. 379). Cela stigmatise donc le comportement de ces deux suzerains qui se dérobent à leur engagement envers leur vassal42.
28Dans ce texte, les allusions aux œuvres angevines par leur origine ou leur conservation se trouvent essentiellement rassemblées dans le premier huitain, une dédicace décasyllabique. René II y est comparé à Rollant et Olivier, de la Chanson de Roland, mais aussi du poème épique Ronsasvals43, rédigé en Provence et conservé à Apt ; à Lancelot et Tristan, les héros du cycle arthurien ; à David, le faible berger vainqueur de l’impie Goliath et à Salomon ; à Hector, l’un des « ancêtres troyens44 » de la lignée lorraine (le roi René possède le Livre de Troye la Grant45) ; et à Alexandre46, dont les nombreuses versions du Roman sont répandues dans toute l’Europe. Les comparaisons avec Ponthus et Paris renvoient respectivement aux romans Ponthus et Sydoine, d’origine angevine, et Paris et Vienne, possédé par René dans sa bibliothèque47. On connaît l’intérêt du roi René et de sa famille pour ces genres de chevalerie romanesque.
29Au niveau stylistique, nous retrouvons les caractéristiques de Du Prier :
- une extrême variété rythmique liée aux changements d’énonciateur ;
- l’utilisation de formes à refrains, lais hétérométriques, rondeaux, triolets, qui soulignent les idées importantes ;
- des jeux sur les rimes propres aux rhétoriqueurs ;
- l’utilisation de ballades dialoguées à refrain ;
- l’utilisation de soixante-six proverbes, pour souligner un discours de vérité.
30Tous les textes précédents sont incontestablement l’œuvre de Du Prier. Ils sont tous conservés dans des manuscrits uniques, et portent dans le texte la référence du nom de leur auteur. Tous ces manuscrits ont été réalisés avec soin, contiennent des miniatures et les lettrines sont soit rubriquées, soit décorées avec de fines feuilles d’or. Le manuscrit du Songe du Pastourel est une copie du manuscrit d’origine, réalisée pour le fils du duc René II48, somptueusement ornée de grandes illustrations sur chaque page.
Le Miracle de saint Nicolas et d’ung Juif qui presta cent escus a ung crestien
31Le texte que nous allons étudier maintenant a été édité par la veuve Trepperel et son gendre, Jehan Jehannot, dans les années 1511-152549 : Le Miracle de saint Nicolas et d’ung Juif qui presta cent escus a ung crestien. Le livre présente une version assez médiocre de ce que dut être l’original et ne porte pas d’indications d’auteur. Cette absence d’indication fut fréquente dans les premiers temps de l’imprimerie, ainsi que des attributions fantaisistes (souvent dans un but publicitaire). Il est vraisemblable, du reste, que le manuscrit qui servit de base à l’édition Trepperel ait été lui-même défectueux50.
32Ce Miracle de saint Nicolas que nous allons examiner maintenant est inspiré par l’un des récits de la Légende dorée51, dont il diverge sur nombre de points : il narre l’intervention miraculeuse du saint, à la requête d’un juif. Ce dernier a prêté cent écus à un crestien pauvre, acceptant comme seul garant le serment de ce dernier sur l’autel de saint Nicolas52, en qui le juif a grande confiance. Or, au moment de rembourser sa dette, le chrétien la nie, appuyé dans ce mensonge par sa propre femme. Au cours du procès qui s’ensuit, le juif ne réclame qu’un serment du chrétien sur l’autel et les reliques de saint Nicolas. Le chrétien, tenté par le diable, cache les écus dans un bâton creux, qu’il amène le juif à tenir pendant son faux serment, répété deux fois (alors que la légende ne parle que d’un seul faux serment). Le prévôt renvoie, innocenté, le chrétien. Mais la justice divine veille, ainsi que saint Nicolas : pris de sommeil, le parjure s’endort sur le chemin et est écrasé par un chariot (dévié par Satan). Son bâton truqué révèle les écus volés. Et tous se précipitent dans le sanctuaire pour remercier Dieu de ce miracle, pendant que Satan et saint Nicolas se disputent l’âme du chrétien, car ce dernier a appelé saint Nicolas lors de l’accident53 (v. 1242). Mais le juif, pris de pitié pour son adversaire, réclame au saint de rendre la vie au chrétien, moyennant quoi il se fera baptiser. Bien sûr, le chrétien ressuscite et se précipite dans le sanctuaire, où il avoue sa faute (ce qui n’est pas dans la source). Le juif et son valet se font baptiser et tous les personnages en scène entonnent à tour de rôle la louange de saint Nicolas, avec le refrain Des mérites saint Nicolas54. À la différence du Miracle d’origine, le texte est devenu un mystère, avec l’insertion du Paradis et de la Bouche d’Enfer, et de scènes dans ces lieux, dont les occupants vont intervenir dans la pièce : Dieu, la Vierge, saint Nicolas, les anges Gabriel et Raphaël, et Sathan55. Comme dans tout mystère qui se respecte, chants et silete56 accompagnent les mouvements des anges (v. 578, 1233-1235,1404).
33En éditant ce texte, Omer Jodogne soulignait plusieurs points :
- des différences importantes avec le texte de la Légende dorée ;
- l’utilisation très importante de la farce de Pathelin ;
- sa non utilisation à des moments où on l’aurait attendue ;
- le caractère particulièrement odieux du trompeur ;
- sa dénomination de un crestien ;
- le caractère inhabituellement sympathique du juif.
34Nous reprendrons ces différents points.
35Bossuat signalait qu’un Miracle de saint Nicolas et d’un juif fut joué à Saint-Nicolas de Port en 147857, en présence du roi René58. Serait-ce le même texte ? Des indices textuels rendent possible une telle identification : en effet, la femme du chrétien remarque qu’ils ont reçu des vielz escus (v. 473). Or c’est en 1475 que Louis XI crée un nouvel écu, l’écu au soleil59. Donc le texte édité ne peut être antérieur à cette date. Rien ne s’oppose donc à ce que ce soit ce texte qui ait été joué. En outre, plusieurs indications du texte renvoient à un sanctuaire où est conservée une relique60 de saint Nicolas (par saint Nicolas dont voicy la plaisante image (v. 1133). Or le sanctuaire de Saint-Nicolas de Port fut créé pour abriter une relique de ce saint : une phalange ; le roi René fit même exécuter pour elle, en 1471, un reliquaire en or et argent avec insertions de camées anciens, en forme d’avant-bras avec une main bénissante61.
36Un rappel des circonstances historiques permettra d’éclairer la situation et de comprendre pourquoi eut lieu une représentation du Miracle à Saint-Nicolas de Port devant René en 1478. En 1473, meurt le petit-fils de René d’Anjou, Nicolas d’Anjou, duc de Lorraine depuis 1470. Le duché, fief féminin, passe alors à Yolande d’Anjou, fille aînée du roi René, qui le transmet immédiatement à son fils, le duc René II de Lorraine, tout en conservant le titre de Dame souveraine de Lorraine. Depuis la fin 1473, le jeune René entre en lutte ouverte contre Charles le Téméraire, qui a besoin de la Lorraine et du Barrois pour relier son duché à ses possessions « flamandes ». L’empereur d’Allemagne, suzerain de René pour la Lorraine n’intervient pas. René se tourne alors vers son autre suzerain, Louis XI, et lui prête hommage, en octobre 1474. Louis XI avait d’abord promis de venir aider René II avec ses troupes contre le duc de Bourgogne. Toutefois, devant le débarquement des armées anglaises, il mène ses forces dans le Nord de la France, et refuse à René de l’aider militairement, tout en lui fournissant l’argent qui permet au jeune duc de lever des troupes.
37Dans un premier temps, le Bourguignon bat René et se fait introniser duc de Lorraine en octobre 1475. Nous trouvons donc deux ducs « légaux » pour un seul duché. René reprend Nancy le 7 octobre 1476, mais quelques jours plus tard, Charles le Téméraire assiège de nouveau la ville, au secours de laquelle René de Lorraine est allé chercher des renforts en Alsace et en Suisse. Le 4 janvier 1477, veille de la bataille de Nancy, René passe la nuit dans ce sanctuaire Saint-Nicolas. Il lui promet de faire reconstruire son église, profanée par les combats, s’il remporte la bataille contre le Téméraire. Le 5 janvier, après y avoir entendu la grand-messe, il part avec ses troupes vers Nancy, arborant des drapeaux à l’effigie de la Vierge de l’Annonciation (la Nunciade), de saint Nicolas et avec l’emblème ducal (un bras armé de l’épée, sortant de la nue). Vainqueur, René voue alors officiellement son duché à saint Nicolas, qu’il proclame Père et Patron de la Lorraine. Sa victoire contre le meilleur guerrier de l’époque fut considérée comme un miracle62. Le duc René, lui, considère cette victoire comme le « jugement de Dieu » rendu dans ce qu’il perçoit comme un « duel judiciaire », démontrant sa légitimité comme duc de Lorraine, contre les prétentions de Charles le Téméraire. Et tel est bien le sens que donne à cette victoire, le Songe du Pastourel, écrit alors par Du Prier pour célébrer cette victoire.
38Le miracle de la source est devenu un mystère, ce qui permet donc à l’auteur de présenter ces faits comme voulus expressément par Dieu, pour honorer saint Nicolas, protecteur invoqué par René II le 4 janvier 147763. C’est pourquoi, le miracle d’origine est devenu un mystère, même s’il n’en porte pas le titre, car cela permet de donner à voir le Paradis (et la bouche d’Enfer). Aussi, lors de la scène qui se passe au Paradis, c’est Dieu lui-même qui affirme à Nicolas : « Toute place / Ou on fera de toy regnon / Des miracles exaulceray le nom. » (v. 549-551). Quant à Notre-Dame, elle promet au saint : « mon Fils, tous exaulcera / Envers ceux qui le [=Nicolas] requerront » (v. 559-560). Il est certes normal de trouver la Vierge au Paradis, ainsi que l’ange Gabriel. Mais il faut aussi se rappeler que, sur les étendards de Lorraine, figure traditionnellement la Vierge de l’Annonciation, emblème qu’arborait le duc René lors de la bataille de Nancy.
39Vainqueur, René II tint sa promesse et fit entièrement reconstruire le sanctuaire, tel que nous le connaissons actuellement : vaste, richement orné de vitraux, sa construction dura une quarantaine d’années. On comprend qu’une telle entreprise ait amené à solliciter des dons64. Elle explique la phrase finale du Miracle, qui en appelle à la générosité des spectateurs (soutenez la confrairie65 [v. 1669] ; ce qui reprend la parole du prestre [v. 1612] « Entretenez ce lieu et place / Ou vous avez reçu tel grace »). Ce contexte invite donc à penser que le miracle édité est bien celui joué à Saint-Nicolas de Port en 1478.
40Rien d’étonnant à ce que le duc René fasse composer un Mystère en l’honneur de saint Nicolas, pour témoigner publiquement de sa reconnaissance pour l’aide reçue de lui. Mais à qui le commander ? René II n’a pas pu encore s’entourer d’écrivains ou artistes. Alors, pourquoi ne pas faire appel à son grand-père, le roi René, pour qui Du Prier travaille alors depuis plus de 25 ans ; il est en train d’écrire un Mystère des Actes des apôtres, et rédige le Songe du Pastourel, qui célèbre la légitimité du jeune duc de Lorraine. Dans son Mystère du Roy Advenir, inspiré de la Légende dorée et du texte latin66, il avait suivi de près ses sources, se contentant d’ajouter des scènes et des personnages qui respectaient le contenu de la légende. Or, rien de tel ici. La légende est fortement déformée. Et l’on peut bien se demander pourquoi.
41Sur le plan textuel, nous retrouvons dans ce texte tous les marqueurs spécifiques des œuvres de Du Prier : théâtralité des dialogues, jeux sur les rimes évoquant les pratiques des grands rhétoriqueurs, sur des bases de décasyllabes et d’octosyllabes, changement de patrons rythmiques avec certains changements d’interlocuteurs, insertions de textes à refrains, de formes de ballades, de lais hétérométriques67 et utilisation de quatorze proverbes68. Certes, ce sont là des pratiques répandues à cette époque. Toutefois, un indice textuel précis incite à penser que c’est bien Du Prier qui écrivit ce Miracle pour le duc René. En effet, la femme du débiteur déclare : « quant on joue / Au malheureux [tombe] le vireton », (v. 260). Le vireton est le carreau d’arbalète. D’où le sens du dicton : la malchance s’acharne sur le plus faible. Or ce proverbe, très rare sous cette forme69, est utilisé par Du Prier dans son Débat des Sept serviteurs.
42Par ailleurs, voyons le problème soulevé par le caractère inhabituellement sympathique du Juif. Rappelons que les juifs, expulsés de France en 1394, ne le sont alors ni en Lorraine70, ni en Provence, où ils furent protégés – par intérêt – par le roi René et ses successeurs. Jusque dans les années 1501 en Provence. Et jusqu’en 1477 en Lorraine. En effet, pour obtenir l’aide de Louis XI contre le duc de Bourgogne, René II avait dû lui faire hommage de son duché. À contrecœur, lié par cet hommage, René II dût appliquer en Lorraine la loi du royaume à l’égard des juifs, malgré les dettes qu’il avait contractées envers la communauté juive lorraine71.
43À la différence du récit de la Légende dorée, le personnage du juif, ici, est dédoublé : nous avons un juif qui correspond aux clichés usuels, et lui seul porte un nom, à consonance juive : Mathatiel, le valet du riche fripier et prêteur, est intéressé ; il n’aime pas les chrétiens (v. 302) qui les tiennent en sujétion ; il les méprise en outre car ils sont menteurs et parjures (v. 372) ; il moque la crédulité de son patron, qui croit aux interventions de saint Nicolas (v. 644). S’il se convertit, à la fin, c’est pour faire comme son patron, après l’intervention miraculeuse de saint Nicolas ; et, ignorant apparemment la doctrine chrétienne, en guise de profession de foi, Mathatiel se contente d’acquiescer aux énoncés doctrinaux de son patron – qui, lui, ne porte pas de nom.
44Son patron, par contre, est un juif généreux, confiant en l’efficacité de l’aide de saint Nicolas, dont il vante les miracles en citant les prodiges que les prophètes juifs attribuent au Messie (« au sourds il refait les oreilles / [les] contrefaicts, il fait droit aller, / aveugles veoir cler / parler les muets », v. 152-158). On peut le dire désintéressé : il a oublié la date à laquelle son débiteur doit le rembourser ! (« Ne m’en souvenait plus », v. 406). En outre, il ne présente aucune rancœur face aux chrétiens, car d’eux tenons grands biens (v. 203). Et ce n’est que par fidélité familiale, que ce « préchrétien » refuse d’abandonner la Loi de ses pères, sauf éventuellement sous l’action de saint Nicolas (v. 165-178). Enfin il pratique un remarquable pardon des offenses, puisqu’il prie saint Nicolas de sauver son débiteur indélicat : si lui [saint Nicolas] plaist estre intercesseur / envers la puissance divine, / que par luy puise veoir tel signe / que ce povre homme vivifie / tellement qu’il lui rende vie (v. 1128-1131), et propose même : « Je prometz de l’entretenir / se une foys je le voie en vie » (v. 1340-1341)
45Quant au débiteur du juif, dans le texte, il est doté d’un certain nombre de défauts bien précis : il envisage froidement, non pas de voler (v. 52), mais de prendre sans rendre ; ses salutations au juif sont mielleuses (« Dieu vous tienne en prospérité / Et préserve d’encombrement », « En puissance et autorité / Dieu vous tienne en prospérité / En joye de cuer et santé », v. 277-284). Elles suscitent le dégoût de Mathatiel. Quant à son parjure, unique dans La Légende dorée, il est ici redoublé, pour insister sur ce trait : le premier parjure se fait par le vray Dieu en qui je croy [...] et la loy que j’ay receu comme crestien (lors du baptême), (v. 1113-111572) ; le second se fait par saint Nicolas dont vecy sa plaisant(e) ymage (v. 1122-1123). La pièce insiste du reste à maintes reprises sur le mot parjure : en effet, à vingt-quatre reprises ce terme est utilisé par les divers protagonistes en un véritable leitmotiv qui court à travers toute la pièce.
46Et pourquoi affubler ce personnage du patronyme de crestien, alors que dans la source il ne s’agit que d’un homme (quidam). Aurions-nous affaire à un texte à clé ? Remarquons que, dans l’église dédiée au saint, le juif voit arriver son débiteur ressuscité ; le crestien avoue sa faute et se repent73. Le juif lui adresse alors une phrase étrange : « Avec toi, je veux vivre et mourir » (v. 1588). Or, il s’agit là de la formule d’allégeance de vassal à suzerain. Cette phrase fut prononcée, en particulier par le roi René, en 1464 ; il assurait ainsi Louis XI de sa fidélité comme vassal, lors de la réunion de Tours où le roi avait rassemblé tous les princes de sang royal. Tous les assistants répétèrent du reste, après René, cette formule74. Cette même formule fut utilisée, diplomatiquement, par le roi Louis XI, en 1466, lorsqu’il octroya son pardon aux bourgeois de Rouen, venus faire leur soumission au roi après leur révolte contre lui, lors de la Ligue du Bien Public75. Curieuse formule de pardon dans la bouche d’un juif...
47Si on songe à René et la cour d’Anjou, ils ont de nombreux motifs d’exécrer le roi « très chrétien », Louis XI, réputé pour les paroles flatteuses qu’il prodigue à ses adversaires lors des négociations76. Il a déjà pris au roi René son duché d’Anjou et ne va pas le lui rendre. Il essaie de le déloger du duché de Bar depuis 1474. Quant à la Provence, que veut contrôler le roi de France77, elle a fait, entre Louis XI et le roi René, l’objet d’un marchandage : depuis 1471, sa fille Marguerite d’Anjou, ex-reine d’Angleterre est prisonnière à la Tour de Londres, à la suite de sa défaite à Tewkesbury, face à Edouard IV d’York et de l’assassinat de son mari, le roi Henri VI, et de leur fils. En 1475, au traité de paix de Picquigny, négocié entre les seuls ambassadeurs anglais et le roi de France, sa rançon est fixée à 50 000 écus. René ne peut réunir une telle somme. À Lyon, en 1476, Louis XI ayant payé cette rançon, demande à René en contrepartie, de faire définitivement de Charles du Maine, neveu de René, l’héritier universel de toutes ses terres, dont la Provence78. Or Charles, maladif, a déjà désigné le roi de France comme son héritier universel79. Marguerite est de retour en France, en fin 1475, où elle va vivre auprès de son père ; Louis XI lui fait alors signer un désistement en règle de tous ses droits successoraux à son profit. Ainsi sont spoliés tous les descendants de la lignée directe de René d’Anjou.
48Quant aux parjures de Louis XI, plusieurs ont déjà lésé la famille de René d’Anjou : ainsi les fiançailles très officielles de son petit-fils Nicolas80 avec Anne de France81, ratifiées, se voient remises en cause par Louis XI, qui propose Anne successivement au duc de Bretagne, puis à Pierre II de Bourbon, qu’elle épousera dès 1473. En outre, à Gênes, Jean de Calabre, nommé gouverneur de la ville en 1458 par Charles VII82, découvre que Louis XI, alors dauphin, favorise les révoltes de cette ville, et les attaques de Milan, afin d’obliger Jean à évacuer ce port. Un double jeu identique de Louis XI, a joué contre Jean de Calabre en Catalogne83. Enfin, le duc René de Lorraine, devant le refus du roi d’envoyer son armée aider son vassal dans sa lutte contre le duc de Bourgogne, engagée à la demande du roi, pouvait l’accuser d’avoir trahi son engagement de suzerain, de s’être parjuré.
49Voyons maintenant l’utilisation du Pathelin, inutile dans l’économie de l’histoire. Comme dans la farce, le Miracle s’ouvre sur une discussion entre une femme et son mari, à qui elle reproche leur pauvreté, ce qui décide l’homme à se procurer de l’argent, sans le voler, mais en empruntant à un juif, avec la ferme intention de ne jamais le rendre. De surcroît, plus de douze expressions telles patheliner, pathelinaige jalonnent le texte ainsi que d’autres emprunts aux répliques ou situations de la Farce, comme la discussion de la femme du débiteur interdisant l’entrée de leur maison au juif en raison du qu’en dira-t-on et de la jalousie de son mari (v. 680-710). Cela implique une connaissance précise de la Farce. On trouve aussi dans ce mystère, un avocat sans cause84 et un juge pressé de clore le procès85. Ces multiples parallèles sont relevés par Jodogne, qui regrette que l’auteur n’ait pas utilisé la scène des faux délires de Pathelin lorsque le juif vient réclamer son dû86.
50Mais pourquoi l’auteur s’est-il compliqué la tâche en tenant à toute force à faire entrer cette farce précise dans un mystère qui n’en avait nul besoin ? Faisons retour à Du Prier ; depuis plus de 25 ans, il œuvre auprès du roi René. Or, comme l’a démontré Bruno Roy, cette farce si célèbre est l’œuvre de Triboulet, le fou du roi. Ce joueur de farces et moralités est aussi l’auteur de quelques beaux textes, conservés sous son nom. Sa famille nous est connue par les archives provençales depuis l’arrestation des Templiers, et des membres de sa famille ont servi les comtes de Provence de la famille angevine. Du Prier avait accepté le défi de transformer un texte d’Alain Chartier en un jeu de cour, le Débat du content et du non content. De même, il semble avoir pris à cœur le défi d’utiliser cette farce de Pathelin, si célèbre à la cour du roi René. Du coup ce Crestien, si apte à « patheliner » en reçoit la charge sémantique du trompeur de la Farce et, indirectement, vise le roi Louis XI.
51Cela amène à se demander si le « bon juif », généreux, désintéressé, à la grande dévotion envers saint Nicolas, n’emblématiserait pas le jeune duc René, justifiant ainsi les traits particulièrement sympathiques attribués à ce personnage. En outre, on peut remarquer que dans l’énoncé des articles de foi qu’il proclame, avant son baptême, le juif professe toutes les vérités de la foi chrétienne, son valet se contentant d’opiner après lui (v. 1509-1531). Le prêtre remarque qu’il « treuve ouverte / clerement la foi catholicque ». C’est alors que le juif ajoute que « touchant le siege apostolicque / le chef capital de l’eglise / g’y crois fermement » (v. 1534-1536). Une telle déclaration ne se justifie pas lors de l’administration du sacrement du baptême. Toutefois, cela pourrait être vu comme une prise de position contre la politique du roi Louis XI face à la papauté87. En outre, le « bon » juif se convertit. Mais le « juif ordinaire » qu’incarne son valet Mathatiel, lui aussi, se fait baptiser avec son maître. Pour Jodogne, cela permet une fin heureuse à la pièce. On peut aussi y voir un trait de la politique religieuse du roi René, qui encouragea les conversions spontanées sur ses terres, particulièrement en Provence88. Tolérant, il refusa toute conversion sous la contrainte et toute politique anti-sémite. Mais, prince chrétien, il ne pouvait que souhaiter la conversion des juifs (comme celle des païens, dans le cas du Roy Advenir). Dans cette optique, les conversions spontanées des deux juifs de la pièce peuvent être vues comme une critique implicite de l’ordre de bannissement des juifs lorrains, exigé par le roi de France, décision qui interdit toute conversion sincère.
52En tout cas, ce Miracle où la Vierge et saint Nicolas protègent le bon juif (qui est baptisé et donne son allégeance au chrétien) contre le chrétien trompeur (qui se repent et est pardonné, puis est reconnu comme légitime suzerain par le juif), joué à Saint-Nicolas de Port, devant René, tout cet ensemble transforme ce miracle en une pièce liée à une situation historique bien précise de la famille du roi René.
Intertextualité et politique chez Du Prier
53Cette revue des œuvres de Jehan Du Prier nous permet donc de constater, la place importante de cet écrivain dans l’entourage littéraire du roi René. Mécène, ce dernier a pris en charge la carrière et la famille de cet auteur. Les qualités littéraires de Du Prier semblent lui valoir mieux qu’une réputation d’auteur secondaire. Et encore, cette étude ne tient-elle pas compte de sa participation à la rédaction du Mystère des Actes des Apôtres, qui compte quelque 60 000 vers...
54On peut remarquer que les « emprunts » ou allusions littéraires de Du Prier, renvoient aux œuvres appréciées par la cour d’Anjou, et originaires des États du roi René, et non pas à celles en provenance des autres cours princières contemporaines. Ce rapport étroit avec cette seule littérature angevine ou provençale ne peut provenir que de la volonté de son employeur, le roi René. On retrouve là une frappante analogie avec une remarque de J-M. Matz89 concernant la politique religieuse de René : la volonté de construire une identité commune dans ses États. Les œuvres de Du Prier étaient conçues d’emblée pour être jouées, elles s’insèrent donc dans une politique de diffusion des idées du roi René90.
55En outre, la relecture de certaines de ses œuvres amène à prendre conscience de leur insertion dans le « jeu politique » du roi René. Certes, ce dernier n’a pas utilisé les services d’historiographes patentés, à la manière des ducs de Bourgogne, pour justifier ses actions politiques. Il est vrai que ses diverses possessions ne le transformaient pas réellement en chef d’État, et faisaient de lui surtout un grand féodal. Mais il n’en reste pas moins qu’il a utilisé les œuvres littéraires jouées à sa cour ou dans ses possessions pour répondre aussi à ses responsabilités de prince chrétien, soucieux du salut de ses sujets ; et cela sans négliger l’impact de propagande possible pour ses idées ou positions.
Notes de bas de page
1 Pour ce qui est du royaume de Naples, dont il fut roi pendant quelques brèves années, il est le petit-fils du roi Louis Ier, le fils du roi Louis II, et le frère du roi Louis III. Pour le royaume d’Aragon, il est le petit-fils du roi Jean Ier, par sa mère, Yolande d’Aragon (elle-même fille de Yolande de Bar et petite-fille de Charles V) ; Yolande d’Aragon se révéla un véritable chef d’État pendant la minorité de ses enfants et de son gendre, Charles VII. Le roi René est donc le petit-neveu du roi Martin Ier l’Humain, le petit-cousin du roi Ferdinand Ier (dynastie Trastamare) ; un petit-cousin des rois Alphonse V et Jean II et un arrière-cousin de Don Carlos de Viane, héritier légitime d’Aragon, mis à mort par la seconde épouse de son père ; ce dernier lui succéda, après bien des conflits, sous le nom de Jean II. En Castille, le roi Sanche est son petit-cousin et le roi Jean II de Castille est également son petit-cousin germain. Au royaume de France, il est l’arrière petit-fils du roi Charles V, le petit-neveu du roi Charles VI, le beau-frère du roi Charles VII et l’oncle du roi Louis XI. Sa fille Marguerite est reine d’Angleterre, par son mariage avec Henri VI, petit-fils du roi de France Charles VI par sa mère et fils du roi d’Angleterre Henri V. Indépendamment de toute évaluation (moderne !) de sa politique, son ascendance et son environnement familial l’ont habitué aux complexités des questions dynastiques et politiques.
2 Il est duc consort de Lorraine, principauté indépendante en pratique, et duc de Bar ; en Provence, il est comte d’un état indépendant, et il fut roi (pas seulement nominal) de Naples pendant quelques brèves années. Les successions de la Lorraine et du Barrois, elles aussi, furent disputées militairement.
3 Cf. l’étude, par Joël Blanchard : La Pastorale en France, au xive et xve siècle : recherches sur les structures de l’imaginaire médiéval, Paris, Champion, 1983, ou l’analyse de la spectaculaire mise en scène des Vœux du Faisan, à la cour de Bourgogne par Agathe Lafortune-Martel : Fête noble en Bourgogne au xve siècle, Montréal / Paris, Bellarmin / Vrin, 1984.
4 Cf. Arnaut d’Agnel, Les comptes du roi René, Paris, 1908-1910, 3 v., n° 3214.
5 Ibid., n° 3303.
6 Peut-être Geoffroi de La Tour Landry Cf. M.-C. Crécy, « Ponthus et Sidoine », Dictionnaire des Lettres françaises. Le Moyen Âge, Paris, Fayard, 1992, p. 1202-1203.
7 Cf. Robert Bossuat et Christine Ruby, « Pierre de La Cépède », Dictionnaire des Lettres françaises. Le Moyen Âge, op. cit., p. 1178-79.
8 Cf. Sylvie Lefèvre, « Alain Chartier », Dictionnaire des Lettres françaises. Le Moyen Âge, op. cit., p. 29-31. Alain Chartier apparaît dans les comptes de Yolande d’Aragon, mère du roi René, de 1409 à 1414. Les fiançailles du jeune Charles de Ponthieu (futur dauphin) avec Marie d’Anjou, fille aînée de Yolande ont lieu en décembre 1414. En 1417, Charles devient officiellement dauphin, à la mort de son frère. Alain Chartier devient alors son secrétaire et est chargé de missions diplomatiques ; en particulier, c’est lui qui, en 1428, négocie l’alliance avec le roi d’Écosse, Jacques Ier, contre l’Angleterre, ainsi que les fiançailles, puis le mariage, de Marguerite d’Écosse avec le dauphin Louis (futur Louis XI).
9 Voir S. Lefèvre, « Abuzé en court », Dictionnaire des Lettres françaises. Le Moyen Âge, op. cit., p. 4. En 1480, le roi René fait copier pour le duc de Bourbon L’Abuzé en cour et La Danse aux aveugles (L. Delisle, Cabinet des manuscrits, 1868, n° 1989).
10 Cf. A. Lecoy de la Marche, Le Roi René. Sa vie, son administration, ses travaux artistiques et littéraires d’après les documents inédits des Archives de France et d’Italie, Paris, 1875 (reprint 1969), p. 143 et 174. Cf. aussi l’étude de Raymond Lebègue, Le Mystère des Actes des Apótres, Paris, 1909, en particulier p. 3-20.
11 Vers de Dédicace ;... Tres renommé duc de Bourbon /... Plaise vous prendre en gré ce livre / Que j’ay fet tel que je le vous livre / Soubz vostre commant entreprins.
12 Vers 11-12 : En ce moys de novembre, a vingt / Ou a vingt et ung. Je n’ai pu retrouver dans les archives l’année ou l’événement en question. Rappelons que Jean II de Bourbon a épousé Jeanne de France, fille de Charles VII et de Marie d’Anjou ; il devient ainsi le neveu de René. Sa jeune sœur, Marie de Bourbon, fille de Charles Ier, épouse Jean de Calabre, fils de René, en 1444. Une autre sœur de Jean II, Isabelle, a épousé Charles de Charolais, futur duc de Bourgogne Charles le Téméraire.
13 Du Prier semble envisager que le texte soit lu à haute voix en passant temps et écouté puis jugé par tous les assistans (v. 532-536).
14 René d’Anjou eut deux fils de son mariage avec Isabelle de Lorraine : Jean, 1425-1470 et Louis, 1427-1445. Louis reçut de son père la mission de gouverner le duché de Bar en son nom.
15 Jean, fils aîné de René et de la duchesse de Lorraine, Isabelle, reçut le titre de duc de Calabre, désignant traditionnellement l’héritier du royaume de Naples. Investi du duché de Lorraine à la mort de sa mère, en 1453, Jean guerroya avec les armées du roi Charles VII, son oncle par alliance. Lors de la succession mouvementée du roi d’Aragon (et de Naples) Alfonse V, se déclencha la révolution catalane ; les Cortz du comté de Barcelone refusèrent de reconnaître pour seigneur le frère et héritier d’Alfonse, Jean II Trastamare. Rappelons que le royaume d’Aragon, le comté de Catalogne, la Cerdagne, le Roussillon, conservaient leur autonomie interne, même s’ils étaient liés à l’Aragon. Une partie des Catalans appela d’abord comme comte de Barcelone don Carlos de Viana, fils d’un premier lit de Jean II d’Aragon. À son décès (1461), ils offrirent le pouvoir à Henri IV de Castille (fils de Jean II de Castille et de Marie d’Aragon), mais ce dernier se désista après les négociations qui aboutirent au traité de Bayonne (1472) signé entre lui, Jean II d’Aragon et Louis XI. Ce fut ensuite au connétable Don Pedro, beau-frère du roi de Portugal, que s’adressèrent les Cortz ; et enfin, à sa mort (1466), à René d’Anjou, petit-fils du roi d’Aragon Jean Ier, par sa mère, Yolande d’Aragon. René envoya son fils avec une armée, comme son primogenit et Louis XI parut l’appuyer, en lui donnant le titre de lieutenant général. Jean de Calabre prit le pouvoir, malgré de nombreuses oppositions en Catalogne. Il revenait d’un pèlerinage célèbre de Catalogne, la Vierge de Montserrat, quand il mourut brusquement. Poison ? Sa disparition arrangeait beaucoup de gens dont le roi d’Aragon Jean II et le roi de France, son allié très intéressé, qui avait signé le traité de Bayonne en mai 1462 (en échange de l’engagère des revenus du Roussillon et de la Cerdagne, Louis XI fournissait des subsides, des troupes et de l’artillerie au roi d’Aragon pour la reconquête du comté de Barcelone). Après la mort du duc Jean de Calabre, en décembre 1470, son fils bâtard se maintint près d’un an, et dut finalement revenir en Provence. Ce résumé s’appuie sur les ouvrages d’Adeline Rucquoi, Histoire médiévale de la Péninsule ibérique, Paris, Seuil, 1993, en particulier p. 226- 234, Béatrice Leroy, L’Espagne au Moyen Âge, Paris, Albin Michel, 1988, p. 198-204, et surtout de Joseph Calmette, Louis XI, Jean II et la révolution catalane, Toulouse, Privat, 1902 et Antoni Riera Meils, História de la generalitat de Catalunya i el seus presidents, t. 1, 1359-1518, Barcelona, Enciclopédia Catalana, 2004.
16 Pour l’Abuzé en cour, cf. l’édition critique de Roger Dubuis, Genève, Droz, 1973.
17 Cf. Joseph Morawski, Proverbes français antérieurs au XVe siècle, Paris, Champion (CFMA), 1925, n° 417, Contre Mort, nul resort.
18 Variante de Morawski, n° 188, (cité n. 17) Au plus meschant chiet la soiete ; d’Élisabeth Schulze-Busacker, Proverbes et expressions proverbiales dans la littérature narrative du Moyen Âge français, Paris, Champion, 1985, n° 188 : Au maleûreus, rechiet la saiete ; et de Jehan Mielot, « Die sprichwörtersammlung Jehan Mielot’s », ed. J Ulrich, Zeitschrit für französische Spracht und Litteratur 24, 1902, n° 303 : sur le plus meschant chiet la flesche.
19 Cf. Claude Thiry, « La Plainte funèbre », Typologie des sources du Moyen Âge occidental 30, Turnhout, Brepols, 1978.
20 Ms. La Haye 125A5.
21 Cf. Bruno Roy, Pathelin : l’hypothèse Triboulet, Orléans, Paradigme, 2009, ch. 1 « Triboulet, fou de cour et auteur » p. 7-12, en particulier p. 8.
22 On trouve ainsi seulement une allusion au fait que Jean défendait la cause de son Père : [Mort] vient au filz premier qu’au Père / Aux aultres vient pour le cas soustenir / De leurs seigneurs, ou leur droit maintenir (v. 324-326) ; et une allusion au pèlerinage dont il revenait quand il mourut : Et puys que dis ton maistre estre alité / Humble, bénin et plain d’umilité / Considerer peus, sans la Mort reprendre / Que Dieu vouloit en cest etat le prendre (v. 195-199).
23 Parfois orthographié « Abhanny ». Le Mystère du roy Advenir, éd. André Meiller, Genève, Droz, 1970.
24 Voir son éditeur, A. Meiller, éd. citée, p. X-XIII.
25 Cf. Jacques de Voragine. La Légende dorée, Paris, Garnier-Flammarion, 1967, 2 v. ; t. 2, p. 410-423.
26 Bibliotheca hagiographica latina 979. On en compte encore une centaine de manuscrits latins (voir A. Meiller, éd. cit., p. XVII, n. 9).
27 Signalées en leur lieu par l’éditeur.
28 La Passion de Gréban semble avoir été représentée plusieurs fois dans les États du roi René. Rose-Marie Ferré-Vallancien, dans un article figurant dans le présent recueil des Actes du Colloque sur le roi René, organisé par le CUER MA, à Aix, en 2009, rend compte du lien de cette Passion avec le retable sculpté par Francesco Laurana pour orner l’autel majeur de l’église du couvent des Célestins d’Avignon. Sur René et le théâtre religieux, cf. Jean-Michel Matz, « René, l’Église et la religion », Le roi René dans tous ses États, Paris, Editions du Patrimoine, 2009, p. 125-147, particulièrement p. 145.
29 On se rappellera ses liens avec saint Bernardin et son appui aux ordres prêcheurs des franciscains réformés.
30 Cf. Armand Strubel, Le Théâtre au Moyen Âge, Paris, Breal, 2003.
31 Composé pour le roi Charles VII, le Mystère de Troyes narre par ce biais, la translatio imperii et studii qui fait de la France – et de son souverain – les successeurs de la Grèce et de l’Empire romain. Remarquons qu’il fut composé, vers 1450, par un juriste de formation, Jacques Milet, qui se présente comme estudiant en loys en l’Université d’Orléans. Le Mystère du Siège d’Orléans relève apparemment d’une optique parallèle, puisqu’il justifie par la volonté divine la victoire du jeune Charles VII et légitime donc son sacre comme roi de France, de droit divin. (On remarquera que ce texte est contemporain du procès en nullité de la condamnation de Jeanne d’Arc).
32 Les nombreuses prédications – fort longues ! – qui s’y développent entraînent des conversions, tantôt secrètes, tantôt ouvertes, dans toutes les catégories de la population, y compris chez les grands seigneurs, et en fin de compte, le roi Advenir lui-même, persécuteur acharné des chrétiens, finit par embrasser la foi chrétienne de son fils, Josaphat. Ce dernier, ayant accédé au trône, ne se retire dans la solitude d’un ermitage qu’une fois assurée la gestion et la succession du royaume dont il avait reçu la responsabilité.
33 En témoigne l’échange de salutations d’Arrachis et Josaphat : Monseigneur, a vostre congié, / Noz dieux vous gardent de grevance ! – Celluy qui a plus de puissance / Vous deffende d’adversité ! (v. 7822-7825).
34 D’après l’éditeur, Du Prier aurait eu recours également à la version française anonyme de 12 226 vers, du xiiie s. issue du texte latin de la Bibliotheca haiographica latina 979. Cf. aussi les n. 24 et 26.
35 Cf. l’analyse détaillée de ce spectacle et de ses implications politiques et religieuses dans Agathe Lafortune-Marte, Fête noble en Bourgogne au xve siècle, op. cit.
36 Dans le Mystère, les païens professent un culte des divinités gréco-latines ou égyptiennes. En dehors de l’exposé de Josaphat, cité plus haut, seules quatre mentions renvoient au monde musulman : Mahom (v. 11654) ; Tervagant (v. 3050 et 4856), dieu des Sarrasins dans les chansons de geste ; et le nom d’un diable Boffumet (v. 2297) ; allusion (?) à l’idole Baphomet que les Templiers furent accusés d’adorer. C’est bien peu contre tant de références explicites aux panthéons gréco-romain et égyptien. Peut-être les relations entretenues par René avec des souverains musulmans l’avaient-elles rendu plus nuancé que ses contemporains face à « l’Infidèle ».
37 Étude et édition par Marie-Claude Déprez-Masson, Poésie et politique : Le Songe du Pastourel, de Jehan Du Prier. Montréal, CERES, 1988.
38 Pour le contexte historique, ce résumé s’appuie sur les études de Pierre Frederix, La Mort de Charles le Téméraire, Paris, Gallimard, 1966 ; Paul Kendall, Louis XI, trad. Éric Diacon, Paris, Fayard, 1974 ; et Klaus Schelle, Charles le Téméraire, trad. Denise Meunier, Paris, Fayard, 1979. J’ai complété avec Henri Martin, Histoire de France, Paris, 1855, t. 6. Pour ce qui concerne plus particulièrement la Lorraine, je me suis appuyée aussi sur Dom Calmet, Histoire ecclésiastique et civile de Lorraine, Paris, 1728, sur Pierre Marot, « Le Duc de Lorraine René II et la bataille de Nancy dans l’historiographie et la tradition lorraine », Cinq centième anniversaire de la bataille de Nancy (1477), Actes du colloque de l’Institut de Recherche Régionale en Sciences Sociales, Humaines et Économiques de l’Université de Nancy II, Nancy, 1979, et Robert Parisse, Histoire de la Lorraine, Toulouse, Privat, 1972. Lire également la belle synthèse de Alain Girardot, « René d’Anjou : une vie », Le Roi René dans tous ses États, Paris, Éditions du Patrimoine, 2009, p. 15-51.
39 Sur la pastorale, cf. J. Blanchard, op. cit.
40 Le texte n’est pas daté, mais l’Acteur signale que la mort du duc de Bourgogne est récente : Ainsi passa / Que Mort l’ordonne / Peu d’espasse a / Ainsi passa / Quant trespassa. (v. 1065-1072). René II de Lorraine institua la commémoration perpétuelle de cette victoire, chaque 5 janvier. Cette fête fut célébrée par les ducs lorrains, descendants de René, jusqu’en 1733, date où ils cédèrent leur duché à Stanislas Leczinski. Cf. Pierre Marot, « Le Duc de Lorraine René II et la bataille de Nancy... op. cit., p. 85.
41 Pour le détail, voir mon édition de ce texte de Du Prier, éd. cit.
42 Il faut se rappeler que le duc René a attaqué Charles le Téméraire au Luxembourg, à la demande de Louis XI qui lui a promis l’aide simultanée de son armée, mais n’en a rien fait, en raison du débarquement imprévu de l’armée d’Edouard IV d’Angleterre. À ce même moment, le duc de Bourgogne attaque l’empereur d’Allemagne (siège de Neuss), tout en négociant un éventuel titre royal de la part de ce dernier. L’attaque de René de Lorraine contre le Bourguignon aide donc également l’empereur, son suzerain pour la Lorraine et une partie du duché de Bar.
43 Cf. Jules Horrent, « Ronsasvals », Dictionnaire des Lettres françaises. Le Moyen Âge, op. cit., p. 1320-1322.
44 Sur ces origines troyennes et leur enjeu politique, voir M.-C. Déprez-Masson « Imprimerie, théâtre et politique en Lorraine, de 1477 à 1550 », Du Manuscrit à l’Imprimé : Actes du colloque international, université McGill, Préface de Baldinger, Kurt, Montréal, CERES, 1989, p. 131-140.
45 Voir Françoise Robin, La Cour d’Anjou-Provence. La vie artistique sous le règne de René, Paris, Picard, 1985, p. 41.
46 Le roi René possède le texte latin de Quinte-Curce, Historia de Alexandro Magno. Cf. F. Robin, Ibid., n. 149.
47 Jean de Calabre en demande une copie, voir Ibid., p. 35, n. 82.
48 Le duc Antoine, cf. M.-C. Deprez-Masson, éd. cit., p. 69-71.
49 Là aussi, nous nous trouvons devant un unicum. Édition Le Miracle de saint Nicolas et d’un Juif, Jodogne, Omer, Genève, Droz, 1982.
50 L’édition d’Omer Jodogne a corrigé un certain nombre d’erreurs, mais il en reste encore.
51 Je reste consciente que ce recueil de miracles ne fut pas le seul à circuler ; en outre, il nous reste quelque mille manuscrits de la Légende dorée, et ils présentent des différences entre eux, et même nombre d’ajouts. Je me réfère à la traduction qu’en a donnée l’abbé Roze, en 1900, éditée chez Garnier-Flammarion en 1967, t. 1, p. 51-52.
52 Ce serment relève de la catégorie des serments promissoires lors de l’emprunt effectué par le crestien (cf. Raoul Naz, dir., Traité de droit canonique, Paris, Letouzey et Ané, 1954, t. 3, p. 123-126). Mais un tel serment, prononcé avec la ferme intention de duper dans l’avenir, ne peut être légitime. D’après saint Thomas, le serment doit être prêté in veritate, in judicio, in justitia. (Summa theol. IIo- IIae, q. 89, art. 3). Le judicium exclut la légèreté, la veritas exclut le mensonge, la justitia, tout élément contraire à la loi ou à l’équité (cf. R. Naz, op. cit., en particulier p. 124). Je dois ces précisions à l’obligeance de Bruno Roy, que je remercie. Cf. aussi Irêne Rosier-Catach, « Le Serment et les théories linguistiques médiévales », Montréal, Memini, 1998, p. 3-28, et plus particulièrement p. 6-7. Le « faux serment », ou parjure, lors du déni de l’emprunteur est un serment assertoire, mais fait avec l’intention de tromper, il relève donc de la falsitas dicentis, d’après Anselme, De veritate, c. 2, ou du jurement dolosif (cf. I. Rosier-Catach, « Le Serment... », art. cit., p. 24).
53 Le saint évêque semble faire figure de protecteur contre la mort. Cf. Patrick Corbet, « Les Origines du culte de saint Nicolas, dans l’Est de la France », Saint-Nicolas, Actes du Symposium international de juin 1985, s. l., 1988, p. 13-23, et particulièrement p. 15.
54 Reprise de la formule finale du récit de Voragine : Par les mérites de saint Nicolas, t. 1, p. 52.
55 Seul diable en scène dans ce texte.
56 Cf. Charles Mazouer, « Silete », Le théâtre français du Moyen Âge, Paris, SEDES, 1998, p. 159.
57 Cf. Élisabeth Lalou, « Saint Nicolas (Représentations dramatiques) », Dictionnaire des Lettres françaises. Le Moyen Âge, op. cit., p. 1347-48.
58 En Lorraine, le duc René II, comme héritier légitime de son grand-père, est assez souvent appelé « roi » René.
59 Cf. Freidrich Von Schrötter, « Écu au soleil », Wörterbuch der Münzkunde, Berlin, 1930, S.170f. et Jean Favier, « Monnaie », Dictionnaire de la France médiévale, Paris, Fayard, 1993, p. 650-655. Cet écu au soleil voyait son titre et son poids renforcés après les dévaluations des règnes précédents et remplaçait l’écu à la couronne.
60 Sur cette relique, cf. Anne Wagner, « Le Prieuré de Saint-Nicolas-de-Port (xie-xive siècles) », Saint-Nicolas, Actes du Symposium international de juin 1985, s. l., 1988, p. 26-31, et surtout Hubert Collin, « Un ex-voto célèbre du roi René : le bras-reliquaire d’or du doigt de saint Nicolas en 1471-1475 », Mémoires de l’Académie Nationale Sciences, Arts, Lettres de Metz, 2007, p. 283-297 ; et Idem, « Observations sur l’histoire du culte de saint Nicolas à Saint-Nicolas de Port et dans la famille ducale de Lorraine », Lotharingia XIII, 2006, p. 53-77.
61 Cf. F. Robin, La Cour d’Anjou-Provence..., op. cit., p. 55a et note ; cf. aussi J.-M. Matz « René, l’Église et la religion », Le roi René..., op. cit., p. 142. Voir aussi les précisions données par Hubert Collin « Un ex-voto célèbre du roi René... », art. cit. Le roi René semble avoir fait exécuter ce reliquaire pour prier saint Nicolas d’aider sa fille Marguerite, captive après la défaite de Tewkesbury (mai 1471), et en danger d’être assassinée comme son mari et leur fils (le saint est aussi considéré comme le « libérateur des prisonniers »). Déposé en sécurité à Bar-le-Duc en octobre 1471, ce reliquaire fut installé à Saint-Nicolas de Port par le duc René II en novembre 1475, juste après la prise de Nancy par le duc de Bourgogne, Charles le Téméraire.
62 Louis XI lui-même déclara que « c’était bien signe que Dieu avait abandonné Charles, puisque le moindre duc de son royaume l’avait vaincu » (Jean Molinet).
63 Sur la dévotion de la famille angevine à saint Nicolas, cf. H. Collin, « Observations sur l’histoire du culte de saint Nicolas... », art. cit., p. 55-56. Et pour la dévotion des ducs de Lorraine, Ibid., p. 61-62.
64 Entre 1494 et 1518, les imprimeries ducales de Lorraine émettent deux séries imprimées d’indulgences concernant la reconstruction du sanctuaire de Saint-Nicolas de Port (cf. Jean-Nicolas Beaupré, Recherche sur les commencements de l’imprimerie en Lorraine jusqu’à la fin du 17e siècle, Saint-Nicolas-du-Port, 1845, p. 45-57.
65 Des frairies de métiers, sont attestées à Saint-Nicolas de Port, au xve siècle (une confrairie s’occupait des pièces jouées dans le sanctuaire de son saint patron. Ici, peut-être faut-il y voir une sorte de « fabrique », pour suivre les travaux prévus. Par ailleurs, une confrairie de Saint-Nicolas- des- clercs existe depuis 1357 à Toul (cf. H. Collin, « Observations sur l’histoire du culte de saint Nicolas... », art. cit., p. 59b). Une confrairie de saint Nicolas est attestée au début du xvie siècle à Saint-Nicolas de Port : un de ses membres, Nicolas Bassereau, composa alors une Prière à saint Nicolas (Cf. Anne-Françoise Labie-Leurquin, « Saint Nicolas (Vie de) », Dictionnaire des Lettres françaises. Le Moyen Âge, op. cit., p. 1346-47.).
66 Cf. plus haut, la partie consacrée à ce Mystère du roy Advenir.
67 Cf. l’analyse détaillée de la versification par O. Jodogne, éd. cit., p. 63-65.
68 Quatre de ces proverbes apparaissent dans d’autres œuvres de Du Prier (Songe du Pastourel et Débat des sept serviteurs).
69 On connaît plutôt la forme Au malheureux tombe la saiette.
70 Cf. Alain Girardot, « René d’Anjou : une vie », Le Roi René dans tous ses États, op. cit., p. 15-51. Il n’y a pas de juifs à Saint-Nicolas de Port en 1477. Mais leur communauté est assez importante à Nancy, où ils possèdent un cimetière. On constate en Lorraine une forte immigration juive, souvent d’origine « allemande » (Ibid., p. 34, 48b, 49, 50a et n. 98).
71 René II emprunte de l’argent à des Juifs en 1477 et les rembourse en 1483 ; on peut se demander si ce furent des emprunts réels, ou si des Juifs, devant s’exiler en 1477, n’auraient pas « confié » au duc une partie de leurs avoirs.
72 À mettre en parallèle avec les remarques de Mathatiel, « Je les vois chaque jour... jurer leur Dieu » (v. 372) ; et avec celle du Juif : « Mais je voy les crestiens parjures / a vostre Jesus faire injures / en le maulgréant, despitant. » (v. 328-330). On se rappellera que Louis XI avait juré son accord de réconciliation avec le comte de Charolais, en 1465, sur la croix de Saint-Laud, contenant un morceau de la Vraie Croix, pour le dénoncer peu après. Le reliquaire est reproduite dans J.-M. Matz, « René, l’Église et la religion », Le roi René dans tous ses États, op. cit., p. 138). Cela rappelle aussi la phrase « assez promettre et rien tenir » (v. 256), prononcée par la femme du crestien.
73 Ce repentir ne se trouve pas dans la source. Alors, pourquoi ce repentir ?
74 Cf. Paul Kendall, Louis XI, trad. Éric Diacon, op. cit., p. 194 et Henri Martin, Histoire de France, t. 6, Paris, 1855, p. 551.
75 Cf. P. Kendall, op. cit., p. 627, note 1.
76 On peut penser à sa salutation à Charles le Téméraire, lorsque Louis perdit Rouen et la Normandie, pendant la Ligue du Bien Public. Cf. Commynes, Mémoires, éd. Joël Blanchard, Paris, Pocket Agora, 2004., p. 108.
77 Le royaume de France ne possède alors aucun débouché sur la Méditerranée, par où transite le lucratif commerce avec l’Orient ; le Roussillon et la Cerdagne, contrôlés momentanément par le roi de France, du fait de son traité avec le roi d’Aragon, ont connu des révoltes contre l’occupation française. La Provence, elle, compte le grand port de Marseille.
78 Certes, après la mort de son petit-fils Nicolas, dernier héritier mâle en ligne directe, René a refait son testament, en 1474. Il nomme le fils de son frère cadet, Charles du Maine, comme héritier. Il l’est de plein droit pour l’Anjou, apanage royal et donc transmissible seulement en ligne masculine. Pour la Provence, elle est de transmission féminine (c’est ainsi qu’elle est passée aux Angevins). Quant aux duchés de Lorraine et de Bar, il a été prévu par le traité de Foug (août 1419) qu’ils resteraient désormais gouvernés par le même duc. Or la Lorraine est terre de succession féminine et le roi René a deux filles vivantes : Yolande, Dame souveraine de Lorraine, et Marguerite, reine détrônée d’Angleterre. Yolande a transmis le duché de Lorraine, qui lui vient de sa mère, à son fils aîné, René II, dès août 1473. Le testament de 1474 peut donc être encore modifié par le roi René, si ce dernier le veut, pour ses possessions barroises et surtout provençales.
79 Louis XI est le fils de Marie d’Anjou, sœur de Charles du Maine, père du jeune comte. Le roi est donc son cousin germain et son plus proche parent depuis la mort de Jean de Calabre.
80 Fils du duc Jean de Calabre ; né à Nancy en 1448, mort en juillet 1473, à Nancy ; il est duc de Lorraine depuis fin 1470.
81 Les pourparlers ont lieu dès la naissance du bébé, en avril 1461. Pendant la Ligue du Bien Public (1465), pour dissocier les princes, le roi propose sa fille à Charles de Charolais, l’héritier du duc Philippe de Bourgogne et en signe le contrat de mariage (P. Kendall, op. cit., n. 72, p. 264 et 268). Louis XI dément ces tractations auprès du roi René et signe officieusement les fiançailles de sa fille et de Nicolas, l’héritier de Jean de Calabre en 1465, et les confirme en 1466. La dot de la princesse est la vicomté de Thouars, riche domaine d’importance stratégique. Nicolas en est investi vicomte dès 1469 jusqu’en 1472, et il en touche les revenus. Mais en 1471, Louis XI négocie un éventuel mariage de sa fille Anne avec le duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, puis avec le duc de Bretagne ; la même année, il négocie aussi avec Pierre de Beaujeu, frère et héritier du duc de Bourbon Jean II ; c’est Pierre de Beaujeu qui épouse la princesse Anne, le 3 novembre 1473, moins de trois mois après la mort de Nicolas de Loraine (cf. Hugues Ibert, « Histoire de Thouars », [1870], publication partielle Bulletin historique et scientifique des Deux-Sèvres, 1994, p. 11-20).
82 En 1395, le roi de France Charles VI fut nommé « protecteur » de ce port méditerranéen à la demande des Génois. En 1458, à la suite de l’abdication du doge Pietro II Campofregoso, les Génois firent de nouveau appel au roi de France, Charles VII. Ce protectorat prit fin en 1461. Louis XI, allié des Sforza, appuya le départ du duc Jean, pour favoriser les vues de Milan sur ce débouché maritime.
83 Cf. supra, à la note 15. Par le traité de Bayonne (1462), Louis XI est devenu l’allié du roi Jean II d’Aragon. Il joue ainsi sur les deux tableaux. La mort inopinée de Jean de Calabre, au retour d’un pèlerinage à Notre-Dame de Montserrat, sert tellement les intérêts royaux que l’on parla d’empoisonnement. Mais le roi Louis XI n’était pas le seul bénéficiaire de cette disparition...
84 L’advocat : « Vecy venir gens esperdus / de nouveau y a quelque chose. » (v. 849-850).
85 Le juge : « Vous en jurerés en present / sans en faire cy plus de plait. » (v. 911-912).
86 Cette abstention s’explique parfaitement dans le cas où c’est bien Du Prier qui écrivit ce texte. En effet, ces « délires » de Pathelin sont liés à la personnalité du Guillaume Josseaume réel, le franciscain, prieur du couvent de La Baumette, édifié par René en face d’Angers. Or Pathelin est une pièce qui renvoie à des personnalités de la cour de René. Les délires de Pathelin renvoient à des situations de l’existence de ce respectable personnage. On comprend donc que Du Prier ait refusé de s’inspirer de cette scène lors des dénis du crestien. Cf. B. Roy, Pathelin : l’hypothèse Triboulet, op. cit., ch. 2, « Guillaume Josseaume, franciscain et drapier », p. 19-31.
87 En effet, dans la pratique, Louis XI après l’avoir abolie dans un premier temps à la demande de Pie II (1461), maintint la Pragmatique Sanction de Bourges, de 1438, qui s’inspirait des décisions du concile de Bâle de 1431 ; le roi semblait ainsi s’incliner devant le refus du Parlement d’enregistrer cet accord. Ainsi adhérait-il au conciliarisme qui, entre autres, supprimait des redevances exigées par le pape, comme les annates. Certes, Louis XI négocia ensuite un véritable concordat avec le pape Sixte IV en 1472 ; mais le Parlement refusa encore de l’enregistrer. Peut-être au grand soulagement du roi... Quant à l’appui des Angevins aux Papes, il s’explique d’autant mieux que ce fut avec l’appui de la Papauté que les Angevins purent devenir rois de Naples (cf. J.-M. Matz, « René et la Papauté », Le roi René..., op. cit., p. 127-131) et seule l’aide de la Papauté pourrait leur permettre de s’imposer de nouveau à Naples. Du reste, René II de Lorraine, dès 1479-1480, négocie avec les Vénitiens et la Papauté, dans l’espoir de se voir épaulé dans son rêve de reconquête (cf. René de Vienne, « René II et Venise, 1480-1483 », Le Pays Lorrain, 1977, p. 135-145).
88 Cf. Danièle Iancu, Être Juif en Provence au temps du roi René, Paris, Albin Michel, 1998, en particulier ch. IV, « Conversions à la fin du xve siècle », p. 134-143. et G. Kahen, « Les Juifs dans la région Lorraine des origines à nos jours », Le pays lorrain, n° 2, 1972, p. 55-83.
89 Cf. J.-M. Matz, « René, l’Église et la religion », Le roi René dans tous ses États, op. cit., p. 139.
90 Cela expliquerait-il que, majoritairement, ces œuvres ne nous soient parvenues que dans des manuscrits uniques ? En effet, en 1481, à la mort de Charles du Maine, l’héritier du roi René, ses terres deviennent parties du royaume de France, à l’exception de la Lorraine et du Barrois (malgré les tentatives de Louis XI). L’État bourguignon, lui, perdure après la mort du duc Charles le Téméraire, même si le duché de Bourgogne, puis, plus tardivement, la Franche-Comté deviennent possessions du royaume. En effet, au cours des xve et xvie siècles, ses possessions « flamandes », par le jeu des mariages et des successions, s’agrandissent de l’Autriche, de l’Espagne puis des Amériques. D’où une meilleure conservation et diffusion des œuvres « bourguignonnes ».
Auteur
Institut d’Études Médiévales de Montréal
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