Théâtre provençal en français pour le roi René : La moralité de Jazme Oliou (1470)
p. 183-196
Texte intégral
1Le document que nous allons présenter ici est un petit manuscrit au format agenda, conservé à la bibliothèque Medicea Laurenziana de Florence, partiellement édité par Paul Aebischer en 1929. C’est un manuscrit connu, mais qui n’a jamais suscité l’attention qu’il mérite en tant que document presque unique sur la pratique théâtrale médiévale. Ayant très probablement appartenu à un chef de troupe, ce manuscrit est en effet rempli de toutes ces indications scéniques qui font défaut dans la plupart des manuscrits dits de théâtre et garde les traces des diverses modifications subies par le texte : ajouts, élagages, changements de disposition des répliques. Il présente donc un intérêt certain pour les historiens du fait dramatique1. De plus, il offre un texte où les langues et les codes graphiques se mélangent sur la même page : les didascalies sont souvent en latin, parsemées de quelques termes en occitan, le texte est en français, mais transcrit avec un système graphique assez particulier qui le distingue nettement des autres textes dramatiques français de la même époque.
2Ce manuscrit a certainement servi à transcrire et conserver, pour la troupe en question, une moralité représentée devant le roi René et sa cour, très probablement en Avignon, lors d’un séjour du roi en Provence. Il nous permet donc de connaître l’état du texte de la moralité en français au moment de la représentation, tout en offrant aussi d’autres remaniements successifs. C’est un document qui garde une trace des thématiques qui intéressaient ce roi passionné de théâtre dans toutes ses formes et qui témoigne du bilinguisme probable du public avignonnais à la fin du xve siècle : la moralité, comme il est dit explicitement dans le texte, fut représentée en langue française par une troupe de langue d’oc.
3Une étude récente sur le mécénat de René d’Anjou fait la part belle à l’activité théâtrale à la cour angevine et souligne le rôle joué par le roi dans la commande de mystères et autres pièces plus courtes en vue d’une mise en scène devant la cour ou devant l’une des villes de son royaume : Angers, Saumur, Aix, Marseille. Une bonne quarantaine d’événements à caractère spectaculaire sont attestés dans les comptes ou selon d’autres sources2.
4 Le goût de René pour le théâtre est bien connu et on sait aujourd’hui que le roi, qui était lui même écrivain, avait engagé des sommes importantes pour les mystères du Roy Advenir, de saint Vincent, de la Résurrection et des Actes des Apôtres. Ses comptes nous rappellent aussi qu’il payait régulièrement des joueurs de farces, depuis 1447 jusqu’à 1479, dont Jehan du Prier3. Cet intérêt marqué pour les mystères et les farces, va de pair avec une véritable passion pour les ballets et les spectacles en tout genre, comme le Pas d’armes du Perron (Saumur, 1446) et le Pas de la Bergère (Tarascon, 1449) ou les fêtes liturgiques.
5Le théâtre toutefois, parmi tous ces événements spectaculaires, à cause de l’importance que prend le texte par rapport à la mise en scène, nous permet d’approcher davantage des intérêts intellectuels et les préoccupations morales de René. Ce dernier, en effet, a parfois choisi lui-même le sujet du mystère à représenter, et a donc pu aussi discuter de l’organisation de la matière et infléchir éventuellement les choix du fatiste. Si, au vu des dépenses qu’il engageait pour organiser des spectacles, nous pouvons affirmer que la performance était tout aussi importante que le texte pour René, pour ce qui est du théâtre nous avons conservé la plupart des textes et nous connaissons donc les thèmes abordés dans ces « jeux » sérieux et comiques. Nos recherches récentes à ce sujet semblent prouver que René a joué un rôle important dans le choix des thèmes à retenir et dans l’organisation de la matière biblique ou hagiographique sur la scène4.
6Le texte que nous présentons aujourd’hui n’est pas l’un des grands mystères que l’on a composés pour René et pour la communauté angevine, mais un court texte à caractère moral représenté en Avignon, devant sa cour, vers 14705. Nous ne savons pas s’il s’agit d’une commande royale, ou s’il a été produit à l’initiative de la troupe, sous les ordres d’un certain Jazme Oliou ou Jacobus Olivi, qui signe à plusieurs reprises un manuscrit entièrement de sa main. Jazme est en outre souvent intervenu pour corriger ou modifier l’agencement des diverses parties de cette moralité d’environ 1600 vers6, ce qui rend assez complexe l’édition du texte. Paul Aebischer s’est essayé à cette tâche et a publié en 1929, en choisissant de donner la version la plus récente du texte – celle qui contient les corrections et les ajouts successifs de Jazme7.
7 Le fait que René a assisté à la représentation de cette moralité ne fait pas de doute, le premier des congés que Jazme copie après la moralité s’adresse explicitement à un roi :
Et sur ce congié nous prenons
de la Roiale magesté,
tant humblement que nous pouons, [fo 28 v]
et de toute sa parantelle,
et oussi bien d’aultre cousté
de trestoute la seignorie
que est an luy en verité,
pour luy tenir si compaignie,
des dames et des damoyselles
tout aussi bien nous entendons ;
et si pour rien, par nous nouelles8,
et si maul dit riens nous avons,
pardon auxi nous requerons
Exprés a la Roial seignorie,
et Dieu de bon toulx prions
Qu’il les maintieigne toulx en chiere lie9.
8Le passage cité ici a été barré dans le manuscrit et remplacé par une deuxième version dans laquelle le groupe nominal « toute la compagnie » succède à « la roiale magesté », ce qui signifie que la moralité a été revue au moment où elle a été représentée devant un autre public. Paul Aebischer affirmait, dans son édition, que cette première version du « congé » était adressée au roi René ; toutefois la première version de la moralité ne l’intéressait pas particulièrement car il voulait donner la dernière version corrigée par l’auteur.
9Pour dater ce texte, P. Aebischer se sert de deux références internes au texte et désigne l’année 1464 comme terminus post quem10. Puis, grâce à une rapide étude de la langue, il en attribue la paternité à Jazme, en invoquant à la fois les graphies méridionales et la présence de mots issus de l’occitan. Selon une hypothèse formulée par lui, Jazme Oliou aurait été originaire d’Avignon, mais, dans les faits, on ne connaît que son nom. C’est toutefois en français que sa troupe s’exprime devant la cour et par la suite devant le public auquel s’adressent les deux remaniements du congé et du prologue. Voici ce que René a très probablement entendu lors de la représentation devant sa cour :
Je vous diray le contenu
de point en point, an verité. [fo 3]
Vous varrés jouer la moralité
tont maintenant en ceste place.
Je vous prie que chascun face
silence, de son pouoir,
car nous ferons nostre devoir
de jouer le mieulx que nous porrons,
conbien que fransois ne soions11.
10Il semble donc évident que Jazme et sa troupe jouent en français, mais que ce n’est pas leur langue maternelle. Le français paraît ici comme une langue de prestige et l’humilité vraie ou feinte des acteurs souligne le problème du bilinguisme des acteurs et probablement aussi du public12. Ce sont les marchands, les artistes, les voyageurs de passage dans cette ville qui favorisent la connaissance au moins passive de la langue française. Les spectacles aussi peuvent avoir contribué à la diffusion de cette langue, mais ici la troupe ne vient pas du Nord et le choix de jouer en français a probablement été déterminé par la présence du roi et de la cour.
Un document unique pour l’histoire du théâtre
11Cette moralité, au moyen d’une sorte d’allégorie assez simple, traite du rapport qu’un homme entretien avec l’argent, rapport qui pourrait être normal et heureux si seulement l’homme voulait bien faire preuve de modération dans ses désirs, et se montrer parcimonieux et généreux envers les pauvres. Mais l’homme est faible et commet les péchés de gloutonnie et d’orgueil : possédé par un rêve de toute puissance, l’Homme veut un cheval, de beaux vêtements, un valet, une femme, et Mort ne tardera pas à venir le chercher. Après avoir été obligé de se débarrasser de ses beaux atours et de toutes les richesses, c’est vêtu d’un simple linceul que l’Homme ira vers la damnation éternelle.
12Tout cela est montré sur la scène par des personnages en chair et en os, qui sont pour la plupart des personnifications comme Argent, Bon Advis (les bons conseils que l’Homme ne suivra pas), Terra (la mère qui vient reprendre l’être humain à la fin de sa vie), Fort Despenseur (qui représente la pulsion à la dépense), etc. Un théâtre de l’âme donc qui visualise les mauvais penchants de l’homme en créant une situation où les passions sont représentées devant le public : les désirs, la peur, l’angoisse, la tristesse, etc. Si le résumé risque de donner l’impression que la pièce est froide, cérébrale, une sorte de drame à thèse, le texte, composé de répliques courtes et vives, ainsi que le paratexte révèlent en fait une œuvre extrêmement animée, qui mélange le ton sérieux et le comique, et qui est bien ancrée dans l’actualité avignonnaise des années 1465-1480. Voici quelques exemples de la manière dont l’auteur parvient à incarner les idées et à faire passer un enseignement moral par la création de personnages et des échanges dialogaux. Déséspéré par la crise économique et la dévaluation, l’Homme regarde attentivement Argent dans le visage et constate qu’il n’est plus aussi reluisant qu’avant :
Respiciat eum bene in facie
Helas ! que vous estes fondu !
Vous estes changé grandement !
[...]
Vous souliés estre si freschant13,
Si fin, si beau, si bon oussi
Et de grande beauté luyssant !
argent
Et oures ?
l’omme
Trestout que noirsi14.
13Le dialogue continue et l’Homme remarque qu’Argent a perdu une oreille. Il demande qui a fait cela et Argent répond que ce sont des gens dans la ville, c’est-à-dire des usuriers. Allusions explicite à une situation économique et surtout financière difficile vécue par les Avignonnais à l’époque de la représentation de la pièce.
14Un peu plus tard, Argent, parti à la recherche d’une femme pour l’Homme, fait une rencontre très désagréable. Voici la réplique d’Argent :
Il me fault faire diligence
De fournir l’Omme seurement.
15Et la didascalie précise qu’Argent, en voyant sortir de terre la tête d’une femme, recule effrayé et s’écrie :
nunc reperit terram et facit sibi magnum timorem
Qu’est cessi ? Dia, sertes je panse
Que je suis yvre maintenent !
et se doit reculer de la Terre an se signent
Que mauldit soit l’enpachement !
Harou, Jhesus, vessi merveilhe !
Et qui es tu ?
la terre, La Terre parle maintenent et doit estre de soubz l’eschadefauls, et que ne se
moustre que la teste
Terre ! Seurement,
Pour l’omme avoir, oures m’esveilhe !
argent, il doit fort crier
Helas, povre de moy15 [...]
16Terre rassure Argent en lui disant que son heure n’est pas encore venue. Plus tard, en essayant d’attraper l’Homme, elle dira :
terre, capiat eum
Or vien !
17L’homme refuse et demande à emporter Argent avec lui ou Fort Despenseur, mais ni l’un ni l’autre n’ont envie de l’accompagner :
l’omme
Argent viendra donc avec moy !
argent, il se doit reculer
Sal vostre honneur, je n’yray pas !
18Et Fort Despenseur fera de même en disant :
Alés vos an, je n’yray mie !
Que fault faire tant de fatras16 ?
19Des didascalies en français précisent, pour la direction des acteurs, que La Terre le tient pas ung bras et dit a Fort Despenseur que se boute de l’autre part et nul ne veut aller avec lui. Il faut donc imaginer des gestes et des déplacements sur scène qui répondent à cette note de régie : les deux amis de l’Homme s’esquivent habilement, pendant que Terre tient fermement l’Homme par le bras. On imagine facilement à quels jeux d’acteurs cela pouvait donner lieu.
20Malgré l’indubitable caractère sérieux de la moralité, Jazme, en homme de théâtre, ménage l’attention du public et compose de petites scènes à caractère comique, comme lors de la recherche d’une jeune fille qu’Argent doit ramener à l’Homme. Argent qui, comme le rappelle la didascalie, s’en va par la plasse tout seul, apparaît devant le public en disant :
Je serche de sà et de là,
Et ne trouve ce qu’il me fault.
21Ensuite la didascalie précise que le regard d’Argent se pose sur le public et en particulier sur les jeunes filles : respiciat filias de platea
J’en voy bien issi, par ma foy,
Que pour moy rien ne feriont pas,
Plus toust le feriont par ducas,
Car je suis au jour d’uy trop ravallé17.
22L’argent avignonnais vaut tellement peu que les jeunes filles du public ne feraient rien pour lui, mais elles seraient sensibles à l’attrait des ducats. Cette remarque devait susciter l’hilarité du public, pris à parti directement par l’acteur, grâce à la référence à l’actualité : la dévaluation de la monnaie avignonnaise et à l’allusion stéréotypique à la cupidité des femmes.
23La Moralité d’Argent, loin d’être une froide représentation allégorique des vices humains, se transforme sous la plume d’un véritable homme de théâtre, grâce à la mise en scène et à la vivacité des dialogues, en un Jeu qui suscite aussi bien le rire que la réflexion sur la nature humaine.
Un document linguistique intéressant
24Comme l’a souligné, à juste titre, P. Aebischer, de nombreuses graphies utilisées dans ce manuscrit trahissent l’origine méridionale de Jazme Oliou : il suffira de citer la manière dont il note la palatalisation de -l- : orgulheulx, filhetes, failhe, ou de -n- dans companhon, Avinhon, la fricative dorso-alvéolaire -g- dans messatge, personatge, visatge, mais aussi le -a final dans des mots comme terra, pilha (pille), fiera (pour fiere), amera (pour amere). Le résultat de la diphtongaison de a tonique en syllabe libre est noté parfois, comme en langue d’oïl -E- (ex. : mere, nés < nasus), de temps en temps c’est la graphie méridionale qui s’impose : maire (pour mère). Des graphies rares comme ont pour l’adverbe où, calque pour quelque, ou encore des formes du verbe « pouvoir » avec un radical en -y- du type poyons, poyrey, qui sont attestées dans la littérature en provençal18, prouvent que Jazme utilise un système graphique plus usuel dans le domaine d’oc que dans le domaine d’oïl. La notation de plusieurs phonèmes se fait donc par référence à un code « autre », celui de la langue provençale.
25Certaines didascalies et quelques rares mots dans le texte prouvent aussi que celui qui a mis par écrit la moralité connaissait l’occitan : anar pour aller, gouvert pour gouvernement, struments pour instruments, alotger pour loger, veuze pour veuve. Parfois, même si les mots sont attestés aussi ailleurs que dans le Sud, leur présence répétée semble significative ; c’est le cas de : complir, ameur (pour amour), colloqué, laveur (pour labeur). De même, les allusions répétées à des lieux comme Tarascon, Avignon, Lyon et Pézenas prouvent que l’auteur ou le remanieur connaissait la région.
26Cependant, les termes régionaux peuvent tous être remplacés par la variante septentrionale sans trop de difficulté. Soit parce qu’ils apparaissent dans des didascalies, soit parce qu’ils comptent le même nombre de syllabes que la variante d’oïl ; dans les deux cas, ils pourraient donc être le fait du copiste. Quand elle se trouve à la rime, la variante méridionale est toujours purement graphique19. Par exemple, le mot Terra qui rime avec guère, las (à côté de) rime avec (tu) es ; c’est donc la prononciation septentrionale qu’avait en tête l’auteur pour ces lexèmes, pour respecter la rime il faut en effet prononcer : [tεrə] et [le]. Nous avons relevé au moins un cas où la variante graphique et morphologique de type méridional empêche la rime, c›est le participe passé seugu (du verbe sequi) à la rime avec fouy.
27Les graphies que nous avons citées plus hauts et les quelques termes étranges de la moralité avaient permis à P. Aebischer de forger sa conviction que Jazme était l’auteur de la pièce, une pièce qu’il aurait choisi d’écrire en français à cause de son public. Mais, si on regarde de plus près la langue du texte, on se rend compte que l’auteur pourrait être quelqu’un parlant le français du Nord de la Loire et que Jazme pourrait être simplement un remanieur qui se serait procuré une pièce du répertoire français, soit en l’honneur de René, soit à cause de la présence d’un public mixte du point de vue linguistique. C’est le remaniement par Jazme qui pourrait expliquer la présence de quelques mots d’occitan, surtout dans les didascalies et dans les parties qui ont fait l’objet d’une révision ou d’une adaptation au public et au lieu de représentation. L’origine française de la pièce expliquerait aussi pourquoi on trouve dans le texte des rimes picardes du type jolie / emploie qui ne sont certainement pas méridionales. Les graphies, quant à elles, montrent simplement que Jazme écrit le français avec le filtre de son système graphique : la mouillure ou palatalisation est marquée à la manière des scriptae du Midi, tout comme le vocalisme particulier aurait laissé de traces dans le code graphique. Il faut rappeler pourtant qu’il existe aussi dans le manuscrit et dans ce même texte des graphies plus fréquentes en Anjou et dans le Maine du type perdroint et auroint (v. 168 et 171), ainsi que la barre de nasalité servant à marquer la fermeture de la voyelle qui précède, d’où des graphies tont (pour tout), mont (pour mout), que l’on trouve aussi dans les région du Nord Est20. Les éléments que nous avons relevés ne suffisent pas à prouver que la moralité est issue du répertoire du théâtre français du Nord, mais elles permettent au moins de soulever un doute sur la paternité de la pièce ; Jazme, dans ce cas précis, est plus probablement un habile remanieur, un homme de théâtre et chef de troupe qui s’approprie, comme tant d’autres, des pièces à la mode ou à succès.
28Ainsi se rencontrent sur le papier de Jazme, la langue du nord de la Loire, la scripta et la langue méridionale, mais aussi la langue latine qui apparaît dans les indications de régie, alors que la performance a lieu en françois, comme le rappelle le Messager au début de la pièce21. Ce document prouve aussi que la graphie d’un texte est, en partie au moins, le fait de celui qui écrit : quand la langue du texte n’est pas la langue du locuteur, ce dernier laisse passer des éléments qui font partie de son code graphique. Le texte reste toutefois parfaitement lisible pour un lecteur habitué à la diversité graphique, certains des traits identifiés comme « méridionaux » d’ailleurs se retrouvent dans des textes en français à la même époque22. L’absence de règles orthographiques au xve siècle fait que le lecteur déchiffre plus aisément les éléments de différents codes graphiques, mais aussi qu’un même graphème peut renvoyer à plusieurs phonèmes ; le -a de terra, par exemple, sera prononcé comme un -e central au Nord de la Loire et comme un phonème intermédiaire entre -a et -e dans d’autres régions, voire comme un -a par un locuteur occitan. Les contacts fréquents entre les deux langues ou entre les variétés d’une même langue devaient aussi familiariser les locuteurs avec des prononciations différentes d’un même mot. Ce manuscrit offre un témoignage intéressant sur le trilinguisme des hommes de culture ou sur la situation de colinguisme assez généralisée à la fin du Moyen Âge.
Le Roi René et la Moralité d’Argent
29Le Roi René aimait le théâtre et s’entourait de gens qui savaient organiser des spectacles ou écrire des textes par personnages, tel Jehan du Prier, un praticien des jeux et des spectacles. Le théâtre sérieux, celui qui met l’homme, ses choix en termes de religion et de morale au centre du monde, est le mieux documenté et connu. Nous possédons, en effet, plusieurs textes de mystères. Il n’est pas nécessaire de s’étendre sur les nombreux textes à sujet religieux composés pour le roi ; ces œuvres mettent en scène les premiers pas de l’Église catholique, la lutte contre l’incroyance, la diffusion de la parole évangélique, le renouvellement nécessaire de l’Église au xve siècle, mais aussi les vies des saints auxquels René vouait un culte particulier : Vincent, Madeleine, les saints apôtres, etc.
30La Moralité d’Argent s’insère aisément dans cette catégorie de textes sérieux à caractère moral ; elle aborde, en effet, l›un des thèmes privilégiés de la réflexion de René sur la vie humaine, à savoir le combat des forces du Bien et du Mal dans l’âme humaine, tiraillée entre les passions terrestres et le désir de spiritualité. René connaissait ce genre dramatique à la mode à la fin du Moyen Âge, il avait déjà eu l’occasion d’assister, en Provence (Tarascon, Aix23) à la moralité de Monde et à celle de l’Homme mondain24. Ce que nous souhaitons mettre en évidence ici, c’est l’étroite corrélation entre les moralités composées pour la cour d’Anjou-Provence et les intérêts de René en tant qu’écrivain et, en particulier, en tant qu’auteur du Mortifiement de vaine plaisance.
31En effet, les trois moralités que nous avons citées ont en commun leur thème central, à savoir celui du salut de l’âme et des tentations qui empêchent l’homme de vivre selon les enseignements chrétiens ; elles présentent ce combat intérieur sous forme allégorique, les forces du Bien et du Mal étant incarnées sur scène par des personnages comme Chair, Fort Despenseur, Bon Advis, etc. Dans la Moralité d’Argent, l’Homme est mis devant le choix entre une vie tournée vers le ciel, vécue toujours sous le signe de la mesure, et une vie dont le seul but serait de satisfaire ses désirs terrestres afin d’obtenir la richesse, l’amour charnel et le pouvoir en général.
32Si on considère avec attention cette thématique et qu’on la compare avec le contenu des œuvres composées par le roi lui-même, on est tenté de rapprocher cette moralité de la réflexion menée par René dans le Mortifiement de vaine plaisance, composé vers 1455. C’est bien la vaine plaisance qui perd l’Homme de la Moralité d’Argent et c’est d’elle encore que parle Bon Advis, en la critiquant avec force dans ses tirades, bien que ce terme n’apparaisse jamais de manière explicite sous la plume de Jazme Oliou. Nous en évoquerons comme preuve non seulement les quelques thèmes qui se retrouvent dans les deux textes, mais aussi la construction de la moralité par personnage, comme nous allons le montrer.
33L’âme de l’homme est logée, écrit René dans le Mortifiement, dans « une trespouvre maisonnette legierement bastie toute faicte de terre », si peu résistante que chaque jour elle menace de « verser sans ressource acoup à terre tournant en pouldre ou cendre seullement25 ». C’est cette même allusion au retour à la cendre que l’Homme de la moralité entend de la bouche du personnage appelé Terra ; celle-ci rappelle à l’homme qu’il est fait de cendre et retournera à la cendre26 : « Memento homo quia pulvis est et in pulveris reverteris », célèbre citation de la Bible (Gen. 3, 19) que René a aussi reprise, sous une forme légèrement différente, pour son épitaphe. Dans cette dernière, il est question de la terre qui enfante les riches et les pauvres et reprend dans son sein toutes les choses mortelles. Terra c’est la poussière, la cendre à laquelle l’être humain retournera. Jazme lui donne simplement consistance en créant un personnage effrayant qui vient littéralement prendre l’homme par la main pour l’obliger à descendre sous l’échafaud, c’est-à-dire à descendre par une trappe sous les planches qui composent la scène médiévale. Si la mort est inéluctable, il est question aussi, dans le Mortifiement, de mettre en garde l’homme contre les agissements du diable, qui, le moment venu, essaiera de
toy mener avecques les perdans
Ou puis d’enfer là où il te fera
Sentir torment horrible qui n’avra
Jamais fin27.
34Un peu plus loin Contrition rappelle que celui qui a un penchant trop fort pour les biens corporels « mande l’ame du corps [...] en la pardurable peyne et horrible destresse et engoysseux tormens d’enfer sans avoir jamays mercy28 ».
35Sur scène, l’auteur de la moralité, par les discours de certains personnages, met en garde l’être humain : « Pour ce irés en lieu bien chault ! » (fo 18r) et décrit la dure « poine d’enfer tenebreuse et cruele » ou « la poine que més ne cesse » (fo 18) par opposition au paradis où le pécheur ne trouvera pas de place. Après avoir évoqué cette triste éventualité, on rappelle, afin d’éviter la damnation éternelle, la nécessité de renoncer aux biens terrestres. C’est en prenant congé de la « Roiale magesté » que l’Homme prononce, en effet, une longue tirade pour souligner la vanité des plaisirs :
clamet je laysse argent et avoir
Et toulx biens que au monde avoie ;
[...] clamet
Je m’en vois, Dieu me convoie !
Pour lotgier en son firmament.
Je n’enporte qu’ung linseul,
De toulx les bien que avois aquis
[...] Or amassés tant que vous pourrés,
Argent, possecions à foyson,
Roubes, chevaulx et grans maysons
Riens aultre n’aurés en efait.
Et celle grande garnisson
De bien et de mal qu’avés fait29 !
36La même idée se retrouve dans le Mortifiement, au moment où Contriction s’exprime après avoir entendu un longue plainte de l’âme, et elle le fait exactement dans les mêmes termes : « L’aise de belles assiectes de païs fertil et delictable ne plaisans manoirs sumptueulx, palais, fors chasteaulx, puissantes citez et habundance de biens font souvent oblier Dieu et l’aise advenir de la joye pardurable ». Peu après, Crainte de Dieu s’exprime de façon similaire à l’Homme pour dire que : « ce tresfaulx plaisir l’abuse [l’être humain] tellement qu’il ne scet ou ne veulx avoir la congnoissance de discerner le bien d’avecques le mal ne le peché d’avecques le bien fait » (fo 22v). L’opposition bien/mal revient comme une sorte de leitmotiv dans l’œuvre de René et il est intéressant de constater que ces deux entités seront à nouveau invoquées par cet auteur en parlant de la pensée qu’il faut « occuper du tout en bonnes euvres car la pencee vuide ne peut point estre sans la garder de comprendre bien ou mal » (fo 23v). Dans la Moralité d’Argent un personnage, du nom de Bien et Mal, qui porte probablement un vêtement bicolore30, représente la dualité de la nature humaine et de son action.
37René rappelle aussi, tout comme le fait l’auteur de la moralité, que l’heure de la mort nous est inconnue et qu’il faut donc être prêt à tout moment. Un thème très répandu dans la littérature homilétique et religieuse en général en cette fin du xve siècle, qui devient ici une des fondements de la démonstration dans les deux textes : en s’adressant au public, l’Homme dit
Notés bien en vostre pancee,
De faire bien tant que estes viz,
Car vous ne scavés la jornee
Que Terre sera asignee
A nous avoir, vulheés ou non (fo 28v)
38Bien avant la rencontre de la mort, l’homme avait déjà entendu ce même enseignement moral par les paroles de Bon Advis qui avait même cité une phrase de saint Bernard en latin, dont il fournissait une sorte d’adaptation en français :
Il est fol qui non considere
Que la mort si l’a à deffaire,
Et c’on ne scet en verité
Quant ce sera (fo 16)
39L’Homme n’avait pas voulu écouter cette vérité et se retrouve donc prisonnier de la Terre. Dans le Mortifiement de vaine plaisance, c’est encore une fois Contrition qui rappelle que si les hommes pouvaient connaître l’heure de leur mort, ils essaieraient de profiter des plaisirs mondains dans la première partie de leur vie et feraient le bien ou se mettraient à prier Dieu seulement dans leur vieillesse.
40Même s’il est évident que ces thèmes caractérisent la littérature didactique en général et la réflexion spirituelle de la fin du Moyen Âge et que, par conséquent, leur présence ici n’a rien de surprenant, les similitudes sont si nombreuses qu›elles ne nous paraissent pas totalement fortuites. D’autant plus qu’il n’y a pas que ces ressemblances sur le plan parénétique entre les deux textes. Une fois que Terre est arrivée près de l’Homme, elle lui parle du mauvais gouvernement des hommes qui l’ont mise dans cet état piteux – elle pourtant si belle – parmi les coupables, elle cite l’Église qui ne maintient plus, comme elle devrait pourtant le faire, « l’ordre original31 ». Nous retrouvons ici un des thèmes privilégiés de la réflexion de René sur le renouveau de l’Église, le retour à la pureté originelle des premiers temps de l’ère chrétienne, une réflexion qui parcourt aussi, et de manière bien plus essentielle, deux grands mystères composés pour lui : le Mystère du roy Advenir et le Mystère des Actes des Apôtres32.
41D’une manière plus générale, la réflexion de René, exactement comme cette moralité, propose au lecteur et/ou au public une sorte de memento mori, écrit pour des laïcs, pour tous ceux qui n’écoutent pas bien les paroles des prédicateurs, qui s’ennuient ou s’endorment pendant les sermons, comme le dit clairement l’auteur du Mortifiement33. Mais la littérature ascétique et didactique utilise d’autres moyens que le théâtre ; celui-ci n’est d’ailleurs pas une forme renouvelée ou simplement modifiée du sermon ou du traité de morale : les différences entre les deux textes sont donc nombreuses et évidentes. Malgré la présence d’allégories ou de personnifications dans les deux textes, nous avons remarqué une différence essentielle due au fait que le théâtre est ancré dans le contexte, qu’il aborde certes des thèmes intemporels, mais en les accrochant finement à l’expérience directe et actuelle du public. Destinée à la représentation, la Moralité d’Argent, avec ses personnages et passages comiques, essaie certes de faire passer le message chrétien du choix entre le bien et le mal, de l’inéluctabilité de la mort, mais son auteur s’appuie aussi sur les événements marquants de l’époque. Pour ce faire, Jazme, en composant une moralité selon une idée de René ou en choisissant cette moralité pour une représentation devant le roi, insiste sur le rôle d’Argent et sur les difficultés que rencontrent à cette époque les habitants d’Avignon qui assisteront à la représentation. Ainsi, la condamnation morale de l’usure s’accompagne d’une critique plus précise de certains comportements humains au sein de la société, aussi bien laïque que cléricale.
42Au moment où la troupe avignonnaise représente la moralité devant René et sa cour, le roi avait déjà consacré un livre à la critique des plaisirs terrestres, de la richesse et de la luxure ; et ces idées de renouvellement de la vie intérieure avaient trouvé une place dans les mystères composés et mis en scène pour le roi. La particularité du Mortifiement est le choix des allégories, des images incarnées, afin de mieux faire comprendre les tiraillements de l’être humain entre le cœur, attiré par les plaisirs et l’âme qui aspire à la vie éternelle. Les peintres qui ont illustré les manuscrits de cette œuvre ont bien saisi l’impact extraordinaire de cette imagerie du cœur qu’ils déclinent tous, même si la manière en est parfois divergente. Seule une moralité pouvait emprunter la même technique et les mêmes moyens. Sur la scène avignonnaise, Jazme représente en effet un homme dont les différentes facettes s’incarnent en Fort Despenseur, Bien et Mal, ce personnage aux deux visages ou au corps biparti (peut-être grâce à un costume de deux couleurs) pour représenter les bonnes et les mauvaises actions que l’Homme présente devant Dieu au moment de sa mort. L’Homme et les autres personnages de la moralité opposent toujours l’âme au corps, alors que René avait, quant à lui, opposé cœur et âme, dans une représentation allégorique de la nature humaine et des sentiments qui lui est chère. Si les considérations de René touchent à des sujets plus élevés et soulignent l’importance de l’amour de Dieu dans la vie humaine, le théâtre de Jazme montre de manière claire et efficace à quoi mènent les plaisirs terrestres, la vaine plaisance tant décriée par René. Cependant, le but poursuivi est le même : faire réfléchir les êtres humains sur la nécessité de faire le bien et d’abandonner les vains plaisirs mondains pour le salut éternel.
43Nous avons voulu attirer l’attention sur ce manuscrit pour plusieurs raisons. Tout d’abord, rares sont les manuscrits conservés aussi proches de la pratique dramatique : celui-là permet de suivre le travail de remaniement opéré par un chef de troupe entre différentes représentations ; sous nos yeux la variance médiévale assume des contours inattendus, par la stratification de toutes les variantes d’un même texte. Des menues variations sur un mot ou une phrase, aux changements concernant une réplique tout entière, voire la structure de la moralité, toutes les modifications sont présentes sur la page. Ainsi, le manuscrit médiéval devient comme un brouillon d’auteur de l’époque moderne et présente les strates de la création. Les nombreuses didascalies nous montrent également la présence importante de la musique et la forte gestualité des acteurs et fournissent ainsi au spécialiste du jeu et de la dramaturgie des renseignements précieux.
44Bel exemple de mouvance et de stratification textuelle34, cette moralité met devant nos yeux aussi la variation linguistique et le bilinguisme, voire le trilinguisme dans le domaine français, avec cette scripta multiforme où se rencontrent picardismes, provençalismes et graphies plus « françaises », sans oublier le latin dans le texte et dans le paratexte. Elle offre aussi un aperçu de l’extraordinaire capacité du théâtre à proposer des réflexions très sérieuses sur la vie humaine tout en proposant une petite comédie amusante et bien structurée qui montre de manière concrète les combats intérieurs, les mouvements de l’âme, mais aussi la vie quotidienne des hommes du xve siècle, avec son lot de difficultés bien concrètes.
45Ces moralités tout comme les grands mystères que René a fait composer et mettre en scène soulignent les préoccupations spirituelles du roi et nuancent davantage le portrait d’un René bon vivant et insoucieux qu’on a voulu dresser autrefois35.
Notes de bas de page
1 À propos des manuscrits de théâtre, on lira D. Smith et E. Lalou, « Pour une typologie des manuscrits de théâtre », Fifteenth Century Studies 13, 1988, p. 572.
2 Rose-Marie Ferré, Le Roi René, Thèse de l’Université de Paris IV, 2008.
3 Voir à ce propos l’article de G. Runnalls, « René d’Anjou et le théâtre », Annales de Bretagne des Pays de l’Ouest, 88 (1981), p. 157-180, ainsi que notre article « Théâtre, politique et religion : l’art dramatique à la cour de René d’Anjou », René d’Anjou, écrivain et mécène (1409-1480). Actes du colloque René d’Anjou (Toulouse, janvier 2009), sous la direction de Florence Bouchet, Turnhout, Brepols, 2011, coll. « Texte, Codex & Contexte », XIII, p. 223-237.
4 On verra à ce propos, notre article sur le Mystère des Actes des Apótres, cité supra à la note 3, ainsi que le site consacré à ce texte et à ses représentations : http://eserve.org.uk/anr/.
5 C’est P. Aebischer qui propose cette datation, dans son édition de la Moralité de Jazme Oliou : « Moralité et farces des manuscrits Laurenziana-Ashburnham 115-116 », Archivum Romanicum, 13 (1929), p. 448-518.
6 Il est difficile d’évaluer la longueur de la pièce, car dans le manuscrit Oliou a consigné plusieurs versions du prologue et de l’épilogue et un rôle supplémentaire, celui du fou, qui n’apparaît pas dans la première rédaction.
7 Cf. supra note 5.
8 Ce vers contient une correction surlinéaire et son interprétation pose problème.
9 fo 28-28v. Nous citons ce passage et les extraits à venir, d’après le manuscrit Ashburnam 116 de la Biblioteca Laurenziana de Florence et ne suivons donc pas l’édition d’Aebischer qui, à cause des partis-pris de l’éditeur, ne nous est pas toujours utile.
10 P. Aebischer, éd. cit., p. 450-451.
11 Fo 2v-3. C’est nous qui soulignons.
12 À propos de la diffusion du français comme langue de communication dans le Midi de la France, on lira la thèse d’Auguste Brun, Recherches historiques sur l’introduction du français dans les provinces du Midi, Paris, H. Champion, 1923. Deux chapitres nous intéressent particulièrement ici : le chapitre XX (La Provence) et le chapitre XXI (Avignon). D’après lui, en Provence, au temps du roi René, les gens parlent entre eux la langue d’oc, mais les régisseurs des différents domaines s’efforcent d’apprendre à parler français et à l’écrire pour communiquer avec le roi (p. 327-330 : « À Aix ou à Tarascon les chefs des grandes familles [...] apprendront la langue du roi », « sous ce règne, tout se borne à une ébauche de francisation, qui est comme préparatoire du prochain foisonnement »). Sa conclusion est toutefois que le français reste tout de même, jusqu’à la fin du Moyen Âge, une langue étrangère (p. 331). Avignon semble être un cas à part et A. Brun souligne que le français y apparaît dès le xve siècle et de manière bien plus importante que partout ailleurs en Provence, les marchands et les artistes en sont les premiers propagateurs. Pendant cent ans, provençal et français coexistent (p. 387-89).
13 vigoureux, gaillard.
14 Fo 8.
15 Tout le passage est transcrit au folio 20.
16 Fo 24.
17 Fo 20.
18 Nous rappelons ici au moins un exemple, celui du Mystère de Saint Anthoni de Viennès, mystère en provençal, édité par l’Abbé Paul Guillaume sous les auspices de la Société d’Études des Hautes-Alpes (Paris, Maisonneuve, 1884).
19 Dans un cas ou moins, c’est pourtant la variante méridionale qui s’impose à la rime : pache / saiche, le terme pache (i.e. pacte) étant un mot du Sud Est, d’après le DMF.
20 On lira à ce propos l’article de F. Vielliard, « Un fragment du Roman de Troie de Benoît de Sainte Maure », Ensi firent li ancessor. Mélanges de philologie médiévale offerts à Marc-René Jung, éd. L. Rossi, Alessandria, Ed. dell’Orso, 1996, vol. I, p. 279-307, en part. p. 281, note 11 et p. 285.
21 La suggestion d’un auditeur pendant le colloque selon laquelle il pourrait s’agir d’une scripta franco-provençale n’a donné aucun résultat. Les éléments sont trop peu nombreux et souvent uniquement graphiques pour qu’on puisse en déduire quoi que ce soit sur la langue parlée par les acteurs ou par l’auteur. D’un point de vue strictement textuel, la langue autre qui a influencé la scripta (et parfois aussi le lexique) est plus probablement l’occitan ; ce qui est attendu vu que la représentation a eu lieu en Avignon.
22 C’est le cas, par exemple, du digraphe ou trigraphe utilisé pour noter la palatalisation de -l- : ill, il au Nord de la Loire, lh au Sud, mais aussi y. La distinction entre graphies françaises et occitanes est brouillée par le fait que le digraphe lh est attesté aussi en ancien wallon. Cf. à ce propos l’article de J. Chaurand, « L mouillé. Quelques aspects des variantes graphiques médiévales et régionales », La Variation dans la langue en France du xvie au xixe siècle, Paris, CNRS, 1989, p. 87-103.
23 Les documents sont avares de précisions sur les lieux de représentations et sur les titres exacts de ces pièces.
24 G. Runnalls formule l’hypothèse que la moralité représentée devant le roi René en Provence doit être celle qui nous est parvenue sous le titre de Mundus, Caro et Demonia. Nous connaissons aujourd’hui une moralité éditée par Vérard en 1508 sous le titre Moralité de l’Homme juste et de l’Homme mondain. Elle est attribuée à Simon Bourgouin, valet de chambre de Louis XII et de François Ier. Celui-ci aurait donc repris et remanié, pour la dédier au roi Louis XII, une moralité plus ancienne, celle que René a vu représenter en 1476.
25 Nous transcrivons ici le manuscrit de Genève-Cologny, Bodmer 144, fo 5v. Ce manuscrit a été reproduit et le texte traduit en français moderne par Isabelle Fabre (René d’Anjou, Le Mortifiement de Vaine Plaisance, trad. Isabelle Fabre, Fondation Martin Bodmer-Presses Universitaires de France, 2009).
26 TERRA dit exactement ces mots latins : « Memento homo quia es cinis, Et in cinerem reverteris » (fo 22v), en reprenant probablement une phrase de saint Bernard de Clairvaux.
27 Manuscrit Bodmer 144, fo 10v. Dorénavant, tout extrait du Mortifiement sera cité à partir de ce manuscrit.
28 Bodmer 144, fo 18v.
29 Fo 28.
30 Comme le signale le personnage lui-même à sa première apparition, le bas de son corps représente le Mal « Je suis et le bien et le mal / Que l’ome a fait toute sa vie ; / Et le mal est d’ici aval / Du corps la plus grande partie » (fo 27v).
31 Terra dit expressément que c’est le « meschant gouvert » qui l’a réduite en si mauvais état (fo 23), et, en particulier, l’Église qui n’est plus telle qu’elle était à l’origine. (fo 23v).
32 À propos des thématiques préférées par René d’Anjou que l’on relève dans les grands mystères composés pour lui, on lira notre article cité supra à la note 3.
33 Il l’exprime à travers le discours de Crainte qui demande : « Desquielx voit l’en le plus souvent venir de gens du preschement ou de celluy qui a tresbien retenu et mis en son cueur tresbons enseignemenz que le prescheur a dit ou de ceulx qui ont dormy ou en veillant tresmal retenu ce que le prescheur a dit, car ilz ont ailleurs pencé, tant en leurs esbaz et plaisir ou en leurs temporelz affaires...? » (Bodmer, 144, fo 13v).
34 Le manuscrit Asburnham et la Moralité d’Argent rappellent en outre que les notions d’auteur, de commanditaire, de texte original même sont, pour la période médiévale, à redéfinir à chaque fois en tenant compte du contexte.
35 C’est ce que fait remarquer M. Zink dans la préface à la traduction du Mortifiement par Isabelle Fabre : René d’Anjou, Le Mortifiement de Vaine Plaisance, trad. citée, p. 9.
Auteur
Université Paris 3-Sorbonne nouvelle
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