L’art d’être mécène : quelques réflexions
p. 159-166
Texte intégral
1Le roi René, personne n’en doute et ne saurait remettre ce postulat en question, s’est imposé comme l’un des grands mécènes du xve siècle. Tout comme, en fait, les rois et princes de son époque. Le mécénat princier est devenu l’une des clés de lecture artistique pour ces siècles de la fin du Moyen Âge ou du début de la Renaissance, comme on voudra bien les appeler. C’est, en somme, un certificat de bonne conduite que l’on décerne à ces chefs d’États guerriers, dans des années bien sombres de guerres civiles et étrangères incessantes et qui justifie le luxe souvent extravagant au sein duquel ils vivent. D’aucuns s’étonnent d’ailleurs, avec quelque naïveté, que des œuvres admirables aient pu naître dans ces moments difficiles, comme si la paix était un facteur nécessaire à leur éclosion.
2Mais, au fait, qu’est-ce que le mécénat ? La définition n’en est guère facile à donner et le phénomène apparait particulièrement complexe, qui joue des relations entre des hommes, commanditaires et artistes, qui mêle besoin et désir, nécessité et apparat. La définition en est d’autant plus difficile à saisir que le terme s’emploie plus que jamais actuellement : collectionneurs, spéculateurs, restaurateurs privés ou entreprises, tous se parent bien volontiers du titre de mécène, de façon irréfléchie et bien déraisonnable souvent. Il ne suffit pas de se faire plaisir, de spéculer sur les prix à venir, de rêver publicité et réduction d’impôts pour avoir quelque droit à ce titre de bon aloi.
3Les historiens de l’art s’entendent généralement pour dire que le mécénat, aux xive et xve siècles, est lié à deux phénomènes, l’un relativement nouveau, la constitution d’importantes et fastueuses cours princières, l’autre, tout à fait nouveau lui, l’apparition de l’artiste de cour. Ainsi, dans ces milieux royaux et princiers, des hommes, peintres, orfèvres, sculpteurs, attachés au maître de la cour, intégrés dans la hiérarchie de l’hôtel ou simplement gagés, répondent à ses demandes, œuvrent pour lui, créent sous ses yeux. Et certes, chacun garde à l’esprit les œuvres éclatantes, à juste titre célèbres, élaborées dans ces centres de haut vol. Des peintures, des sculptures de si haute qualité parfois qu’elles résument toute la production artistique de cette époque, celle des villes, oubliée, ne comptant pas.
4Assez curieusement, pour les époques plus hautes du Moyen Âge, le titre de mécène n’est jamais décerné, ni à un prince laïc, ni à un prince de l’Église. Pour la simple raison que l’on ne voit pas d’artiste graviter autour d’eux, employés dans leur maison. Et pourtant, que de belles œuvres commandées par saint Louis ou Philippe le Bel, sans parler, remontant encore plus loin dans le temps, par les cours carolingiennes et les abbés des grands monastères. D’où venaient leurs artistes ? Peut-on être certain qu’ils gagnaient leur vie hors de la maison royale ou impériale, à l’écoute d’une autre clientèle, appelés de temps à autre seulement auprès du prince, si peu considérés que leurs noms mêmes étaient vite oubliés ? Tout ceci semble bien invraisemblable. Loin d’être un acteur nouveau, l’artiste de cour a peut-être toujours existé. L’émergence d’un style de vie plus ostentatoire (mais est-ce bien vraiment le cas ?) ne conditionne pas son apparition brutale, sa renommée toute fraîche.
5Nous sommes, en fait, victimes des sources écrites parvenues jusqu’à nous. L’artiste de cour, comme on a bien voulu le nommer, ne voit le jour qu’à partir du moment où son nom se trouve inscrit, clair et lisible, dans la comptabilité du prince et dans les états des gages de ses serviteurs. Encore faut-il que cette comptabilité existe : rien n’a été conservé en France avant le règne de saint Louis, encore ne s’agit-il que de quelques fragments, tablettes de cire bien incomplètes. Rien ensuite pendant plusieurs décennies. La conservation, à partir du milieu du xive siècle, d’importants fragments des comptabilités des maisons royales et princières donne ainsi l’impression de découvrir une civilisation nouvelle au sein de laquelle figurent des acteurs inconnus jusqu’alors. Tout ceci coupe, avec quel artifice, l’histoire de la sociologie artistique en deux. Est-il bien raisonnable de se demander gravement quelle est l’origine du phénomène et où apparaît le premier artiste de cour : en Angleterre ? Auprès des Angevins de Naples ? Dans les milieux français ? Les premiers gages donnés par un prince à un artiste correspondent, tout simplement, à la première comptabilité conservée.
6Ceci posé, que les princes de toute l’Europe se soient, aux xive et xve siècles, entourés d’artistes, nul ne songerait à le nier. Pourtant, entre le prince et l’artiste, tout n’est pas clair, loin de là. Relations et situations, peu uniformes, sont, trop souvent, difficiles à appréhender et à estimer et nous plongent dans bien des interrogations. Naturellement incomplètes, les archives laissent devant des blancs impossibles à combler, remplacés par des supputations aléatoires, voire hasardeuses. Ce qui paraissait aller de soi pour les scribes de l’époque, ne l’est plus pour nous et bien des clés nous manquent.
7Question essentielle, pourquoi le prince devrait-il s’entourer d’artistes ? Tout simplement pour répondre aux besoins matériels et essentiels de tout un chacun : avoir chaud et se nourrir.
8Indispensables avant tout, les tissus : de quoi habiller les corps, les murs, les lits et les autels. Des tissus achetés, certes, mais décorés au sein de la cour : la broderie s’affirme comme le premier art, le plus demandé, le plus indispensable. Être brodeur à la cour de René, c’est bien tenir la première place dans la faveur du prince. Le montre amplement la carrière du peintre Pierre de Billant, rencontré dans les années 1430, sans doute peu de temps avant ou après l’accession au trône de Sicile, maître, durant de longues décennies, jusqu’à sa mort, de l’atelier des brodeurs du roi. Un peintre qui conçoit, sans aucun doute, les cartons des broderies à histoires pour les Chambres et les Chapelles. Sa qualité de peintre dit assez l’importance attachée à ces décors, véritables peintures sur tissu. Pierre de Billant, proche du roi, favori d’une grande partie du règne, constamment chargé de travaux, a dû marquer de sa patte l’esthétique de la cour d’Anjou-Provence. Certes, le roi et les siens se montrent aussi friands de belles tapisseries mais, produites en dehors de la cour, elles coûtent cher et ne peuvent rivaliser avec la broderie, tout autant prisée.
9Indispensable également, la vaisselle, tant profane que religieuse. À égalité avec le brodeur, paraît l’orfèvre. Les commandes d’orfèvrerie semblent excéder toutes les autres ; René suit, ici, l’exemple de son grand-père, Louis Ier, dont le trésor (nous en avons conservé l’inventaire, à peu près complet, de la fin des années 1370), se composait de plus de 3600 pièces d’or et d’argent (environ 10 % en or, le reste en argent, le plus souvent doré), vaisselle de table, vaisselle pour le culte, reliquaires, vêtements civils ou guerriers plaquées de métal précieux). Un trésor qui paraît fabuleux mais auquel celui de son frère aîné, le roi Charles V, ne le cédait en rien, non plus sans doute que ceux des frères cadets, Berry et Bourgogne. Un trésor, dépecé, fondu en 1380, pour les besoins de la guerre italienne et que son fils et ses petits-fils ont certainement eu bien du mal à égaler. Ils l’ont cependant tenté : entre 1456 et 1459, en l’espace de trois ans et demi, Jeanne de Laval (compte de son argenterie), s’adresse à 36 reprises à des orfèvres, le plus souvent pour des commandes de plusieurs pièces à la fois : à la fin de 1456, elle paie, en une seule fois, dix-huit objets. Des pièces pour sa table, des cadeaux aussi pour récompenser fidèles et serviteurs et, bien plus encore, pour les étrennes. Elle offre ainsi, en 1457, à la reine de France, Marie d’Anjou, sa belle-sœur, une fleur de lys d’or garnie de pierres précieuses ; la même année, René reçoit une petite nef, une salière d’or l’année suivante, pièces de prestige de la table princière. La liste des bénéficiaires est longue : dames de sa suite, servantes. L’orfèvrerie apparaît effectivement, comme le cadeau idéal, largement attendu en tout cas, pour les étrennes qui, chaque année, dès le mois d’octobre, mobilisent les orfèvres de la cour, ceux du roi comme de la reine.
10Brodeurs et orfèvres apparaissent donc comme les hommes-clés de la cour. Un office de valet de la Chambre, récompense prestigieuse qui les intègre à la hiérarchie de l’hôtel, leur est toujours réservé. René emploie aussi de nombreux orfèvres simplement gagés, tant la demande est intense au sein de la cour. Pas de brodeurs gagés en revanche : Pierre de Billant semble bien régner, seul, sur un important atelier de compagnons et assurer ainsi tous les besoins de la cour.
11La peinture, en particulier la peinture sur livres, paraît loin d’occuper une place aussi importante. Elle ne rayonne sans doute pas de l’éclat tout particulier que l’on veut bien lui donner maintenant. L’art de l’enluminure (sans que l’on sache bien toujours ce que recouvre exactement ce terme) ne s’impose certes pas comme le premier art de cour, au détriment de tous les autres. Cette erreur d’appréciation tient, certainement pour une bonne part, au nombre de livres conservés, des dizaines souvent, qui triomphent facilement des quelques morceaux de broderies, des débris d’orfèvrerie, tous arts éphémères car fragiles ou volontairement détruits pour répondre aux besoins d’argent. À l’abri dans les coffres ou quelques bibliothèques, les livres, du moins les pages de parchemin car les couvertures, elles aussi, ont subi les assauts du temps, ont survécu, pour la plus grande gloire des peintres et de leurs commanditaires.
12Certes, lettrés, curieux de lectures pieuses, de romans et de chroniques, les milieux de cour ont largement aimé les livres, un grand nombre mais pas tous, loin de là, décorés. René, écrivain lui-même, a fait une large place auprès de lui à quelques peintres, en particulier à ce fameux Barthélemy Van Eyck, probablement (encore qu’aucun document écrit ne vienne corroborer cette hypothèse) auteur des illustrations d’un exemplaire de son Cœur d’Amour épris, de son Mortifiement de vaine plaisance et des dessins de son Livre des tournois. René est ici resté fidèle à la famille de son peintre et brodeur Pierre de Billant, beau-père de Barthélemy. Entré, lui aussi (en même temps que Pierre ?) au service du roi, il est resté durant plusieurs décennies, valet de Chambre puis valet tranchant, comblé d’honneurs, installé dans une petite pièce de retrait ou un écritoire auprès de la chambre de son maître, à Angers comme à Tarascon : une étroite collaboration artistique entre le peintre et l’écrivain qui ne se retrouve guère ailleurs et fait toute l’originalité de cette cour d’Anjou-Provence. Après sa mort, dans les années 1470, d’autres lui ont succédé dans cette charge, peut-être liés de façon moins intime au maître de la cour. D’autres peintres gravitent, de façon plus épisodique autour de lui, gagés plus ou moins régulièrement, apparaissant au gré de la faveur du prince (ou des sources conservées). Des carrières intéressantes tout de même : Georges Trubert, gagé dans les années soixante, devient valet de Chambre après la mort de Barthélemy.
13Peut-on supposer que tous ces hommes travaillaient exclusivement pour la cour ? Les valets de Chambre peut-être, encore que Pierre de Billant ait épousé plusieurs aixoises, se soit installé dans la ville où il possédait des maisons, et des vignes aux environs. A-t-il répondu aux demandes d’une clientèle bourgeoise ou ecclésiastique ? Les autres étaient-ils plus libres encore ? René payait-il des gages pour une exclusivité totale ?
14Ceci pose le problème des rapports entre la cour et la ville, du degré de perméabilité entre ces deux mondes. Que signifie, pour Aix ou pour Angers, être, suivant l’expression, là encore consacrée, une ville de cour ? Dans les années 1360-1415, les fils de Jean II le Bon, les princes apanagés d’Anjou, de Berry et de Bourgogne se sont, comme leur frère aîné, le roi Charles V, largement tournés vers les ateliers parisiens. Une grande partie du trésor de Louis Ier d’Anjou, la célèbre tapisserie de l’Apocalypse et bien d’autres tentures ont été commandées chez des marchands ou des fabricants parisiens. Un véritable tropisme, normal chez ces princes de la maison de France, élevés à Paris où ils continuent à résider dans leurs hôtels et palais. Des princes qui, sans doute, n’ont alors pas trouvé, dans les centres modestes qu’étaient, à leur prise de pouvoir, Angers ou Bourges, de quoi satisfaire des goûts éclairés. Ils voyaient, en revanche, à Paris, des ateliers nombreux, bien souvent dirigés ou composés d’artistes venus d’ailleurs, de Flandre en particulier. À l’époque de René, tout ceci est bien fini : Paris ne joue plus qu’un rôle épisodique dans la vie du roi, politique aussi bien qu’artistique. Il se tourne en revanche vers les ateliers angevins, certainement plus nombreux qu’au temps de son grand-père, vers ceux d’Aix, déjà fréquentés par les princes de la première maison d’Anjou et, surtout, vers ceux de la ville papale d’Avignon, encore florissants au temps des légats.
15Angers, Aix, Avignon ont certainement profité de la présence, même sporadique, d’une cour dont les membres multiplient les achats et les commandes de toutes sortes. Les artistes, à coup sûr, espéraient s’y faire remarquer d’une clientèle riche et cultivée. Et effectivement, le roi de Sicile profite largement d’eux. L’un de ses orfèvres favoris, Jacques Scalles, est aixois. Les sculpteurs Odinet Étienne et Jacotin Paperoche sont installés à Avignon. Installé à Avignon aussi, Nicolas Froment dont la famille est originaire d’Uzès, peint, en 1475, le célèbre retable du Buisson Ardent (Aix, cathédrale Saint-Sauveur), que le roi destinait à décorer l’autel de l’église des Carmes d’Aix où devaient reposer ses entrailles, et, deux ou trois ans plus tard, la charmante œuvre intimiste qu’est le diptyque Matheron (Paris, Louvre). Plus encore, Nicolas Froment semble avoir eu, dès 1476 ou 1477, la haute main sur l’ensemble de la décoration de l’hôtel que René fait, alors, aménager à Avignon : le peintre y exécute, en particulier, sur les murs de la galerie, une scène de combat naval entre Chrétiens et Infidèles. Pour les vitres de ses demeures, la cour s’adresse enfin volontiers à l’un des tout premiers ateliers d’Avignon, celui des Dombet-Grabuset : en 1447-1448, pour celles de l’hôtel de Gardanne, tout nouvellement acquis et largement reconstruit, en 1478 encore, pour celles de l’hôtel d’Avignon. En somme, les princes disposent là, en plus des artistes gagés à la cour, d’un vivier dans lequel il est bien commode de puiser, d’autant plus volontiers que c’est là, à n’en pas douter, un bon moyen de se rendre populaire.
16Pourtant, la cour ne suffit pas, et de loin, à assurer la subsistance des nombreux ateliers de peintres, de sculpteurs ou d’orfèvres installés, parfois depuis longtemps, parfois tout récemment, dans ces grandes villes. C’est une autre clientèle qui les fait vivre : celle du roi et des siens n’est qu’un épiphénomène, épisodique, jamais assuré. Grâce aux actes notariés dressés dans ce pays de droit écrit, les ateliers avignonnais et provençaux, du moins les plus importants, revivent en partie, alors que leurs œuvres ont pratiquement toutes disparu. Une clientèle de bourgeois et d’ecclésiastiques, grands et petits, souvent venus des villes voisines plus modestes, revivent dans les prix-faits, contrats passés avec les artistes lors de la commande. Les orfèvres, très sollicités, fournissent des pièces fort variées, des plus modestes aux plus riches. Les peintres livrent essentiellement des peintures sur bois, petits panneaux de dévotion pour la maison ou grands retables pour les églises paroissiales ou de couvents. Familles, paroisses, couvents, confréries rivalisent de zèle pour orner les autels. Une production considérable dans ce triangle d’Aix, Marseille, Avignon, qui irrigue toutes les contrées voisines. La mode du retable familial, funéraire le plus souvent, portant au moins les armoiries de la famille, voire les portraits du commanditaire et de sa famille, vivants et morts, memento mori et appel aux prières des vivants pour le salut des âmes, explose à partir du milieu du xive siècle et reste, jusque très tard, bien au-delà du règne de René, la commande désirée et obligée. Les familles de quelque importance l’installent au-dessus de l’autel de leur chapelle où sont creusées les tombes ; sinon, on l’accroche à un mur, un pilier, semblable, en somme, aux épitaphes qui, elles aussi, rappellent le souvenir des morts. Toute confrérie qui a la chance d’être installée dans une des chapelles d’une église paroissiale ou conventuelle, se doit d’honorer son saint patron par la commande d’un beau retable où il apparaît, au centre et en pied, et d’une bannière pour les processions.
17Pour répondre à ce flot de commandes, les artistes viennent de partout, apprentis amenés par leurs parents des petites villes voisines, compagnons de la vallée du Rhône, mais aussi, confirmés ou non, artistes des pays du Nord, Piémontais et Ligures. Un milieu cosmopolite où les artistes du Nord n’hésitent pas à former des apprentis du Sud et vice-versa, ce qui donne toute son originalité à cette production provençale.
18Les artistes ne manquent donc pas de clients et si les demandes de la cour sont, certes, les bienvenues, elles ne semblent pas essentielles pour des maîtres d’ateliers bien installés. Lorsque René s’intéresse à lui, l’orfèvre aixois, Jacques Scalles, est déjà sollicité, depuis les années cinquante par une large clientèle aixoise et marseillaise. Nicolas Froment se pare du titre de « peintre du roi de Sicile » mais n’est certes pas exclusivement un artiste de la cour. Les relations s’affirment donc étroites entre cour et ville, la cour dépendant certainement, à l’époque de René, davantage de la ville que le contraire.
19À la lumière de ces quelques réflexions, quel mécène a donc été René ? Certes, il a fait vivre autour de lui, intégré à ses services, des hommes de talent et, de façon normale et ordinaire à cette époque, exercé sa protection sur leur famille. Parmi eux, quelques grands favoris, les de Billant – Van Eyck et peut-être une vingtaine d’autres, beaucoup d’orfèvres, quelques peintres, quelques sculpteurs. Une forte hiérarchie s’établit à l’intérieur de ce personnel de cour : être artiste de cour, au vrai, n’implique pas un statut social bien particulier. Les gages, les honneurs varient considérablement. Mais les artistes engagés n’ont joué qu’un certain rôle auprès du roi qui a, (peut-être moins, peut-être plus, il est bien difficile de le dire), également favorisé les ateliers de ses villes. La frontière entre l’artiste de cour et l’artiste de ville est d’ailleurs bien floue, le titre de peintre ou de sculpteur du roi de Sicile n’étant souvent qu’une simple marque de reconnaissance honorifique.
20 Ceci implique, naturellement, qu’il n’y a pas ou peu de production exclusive de la cour de Sicile. Un style angevin ? On reconnaît, certes, celui du peintre des œuvres littéraires du roi mais c’est bien le seul et c’est le style personnel d’un seul homme. La cour d’Anjou-Sicile n’apparait pas comme un creuset artistique. Des artistes venus d’horizons divers s’y côtoient, échangent, partagent peut-être un temps, certains goûts mais c’est là tout.
21C’est devenu un lieu commun de dire que René est resté, toute sa vie, fidèle à son admiration pour la peinture du Nord mais qu’en revanche, il a largement apprécié la sculpture du Sud à travers les œuvres des deux sculpteurs venus à sa cour après avoir abandonné les chantiers napolitains de son vieil ennemi Alphonse d’Aragon. Tous deux, Pietro da Milano comme, surtout, Francesco Laurana, ont fabriqué des médailles, taillé de grands groupes religieux. Peut-être cette différence de goûts est-elle vraie. Ou plutôt le résultat de rencontres de hasard plus qu’une volonté particulière et déterminée ? René n’a certainement pas cherché à créer dans sa cour un centre artistique original, mais le devait-il et le pouvait-il ? Ses ancêtres, ses contemporains de la maison de France ne l’ont pas fait, s’adressant, eux aussi, à quelques favoris et, tout autant, aux artistes de leurs États, les ducs de Bourgogne les premiers. Tous, certes, recherchent les nouveautés mais savent s’appuyer sur leurs sujets et leurs villes.
22La circulation des artistes, les échanges, la propagation des formes nouvelles se font dans les villes comme dans les cours. René semble avoir saisi des occasions à la faveur de rencontres, s’attachant des artistes avec un éclectisme certain.
Sources imprimées
23Labande Louis-Honoré, Peintres et peintres-verriers de la Provence occidentale, Marseille, 1932, 2 vol.
24Moranvillé Henri, Inventaire de l’orfèvrerie et des joyaux de Louis I d’Anjou, Paris, 1906.
25Requin Henri, « Documents inédits sur les peintres, peintres-verriers et enlumineurs d’Avignon au xve siècle », Réunion des sociétés des Beaux-Arts des départements, 1889, p. 118-217.
Bibliographie
Bibliographie
L’artiste et le commanditaire aux derniers siècles du Moyen Âge (xiiie-xive siècles), sous la direction de Fabienne Joubert, Presses de l’université de Paris-Sorbonne, 2001.
Robin Françoise, La Cour d’Anjou-Provence : la vie artistique sous le règne de René (1434-1480), Paris, Picard, 1985.
Robin Françoise, « La rencontre du prince et de l’artiste : mise au point et état des connaissances (France xive-xve siècles) », Atti della XXXIII settimana di Studi, Prato, 2001, p. 593-602.
Robin Françoise, « Les voyages des peintres au xve siècle : habitudes, modes et goûts nouveaux entre Avignon, Aix et Marseille », Actes du colloque : La peinture en province de la fin du Moyen Âge au début du xxe siècle), Rennes 2001, Presses Universitaires de Rennes, 2002, p. 197-204.
Warnke Martin, L’artiste et la cour, aux origines de l’artiste moderne, Paris, 1989.
Auteur
Université Paul Valéry-Montpellier III
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