Table ronde de la journée d’études « La sidérurgie française et la maison de Wendel pendant les Trente Glorieuses (1945-1975) »
p. 111-125
Texte intégral
1 Philippe Mioche
2Nous sommes dans une situation paradoxale. Jamais autant on n’a parlé d’entreprises et pourtant, la recherche en histoire et économique et sociale est en difficulté. Depuis l’extraordinaire initiative de Roger Martin, dirigeant de Saint-Gobain, nous avons des trésors d’archives dans ce pays, des perspectives infinies de recherches. Nous avons une école française de l’histoire des entreprises qui a donné de bons résultats. Mais il y a moins d’étudiants en sciences humaines, en histoire économique et sociale ; il y a moins d’étudiants qui veulent faire de la recherche au profit de filières professionnalisées. Que pourrait-on faire pour renforcer l’attractivité des archives d’entreprises, pour qu’il y ait plus de chercheurs, plus d’histoire(s) d’entreprises ?
3 Isabelle Aristide
4Je vais intervenir sur la question des Archives nationales et leurs relations avec les lecteurs : Comment attirer de nouveaux publics ? La réflexion est plus générale et ne concerne pas uniquement les chercheurs qui s’intéressent à l’histoire des entreprises. L’effet boomerang est à l’œuvre : nous avons en effet une forte demande de valorisation de la part de propriétaires d’archives privées qui nous ont confié leurs archives. Mais les historiens et surtout les jeunes chercheurs répondent-ils à cette demande de valorisation ? Et que pouvons-nous faire pour attirer de nouveaux publics pour qu’ils consultent ces archives ? Le paradoxe est le suivant : depuis deux ans que nous sommes installés sur ce magnifique site de Pierrefitte, les demandes d’entrées, notamment en archives privées, ont explosé. Nous sommes passés de 150 mètres linéaires par an en moyenne à plus d’un kilomètre – 1,2 km cette année. Nous conservons toutes ces archives, mais gérer du stock n’est qu’un des volets de la profession d’archiviste. Le déménagement des Archives nationales dans le nouveau bâtiment s’est accompagné d’une profonde valorisation des fonds collectés.
5Le premier moyen traditionnel de traitement de ces archives est la collecte, puis le classement. Les jeunes chercheurs doivent pouvoir accéder à des fonds classés. On ne les fait pas travailler sur des tas d’archives ! Par contre, les archives d’entreprises sont souvent très volumineuses et quand elles parviennent aux Archives nationales, après une fermeture, elles sont « en vrac » et parfois en mauvais état, car laissées à l’abandon. Ce qui demande de notre part un travail considérable, parfois fort mal compris lorsque nous disons qu’il nous faut deux à trois ans, voire cinq ans, pour achever un classement.
6Autre méthode traditionnelle : l’inventaire qui peut être publié sur support papier – support qui a tendance à être de moins en moins utilisé. En 2013, une salle des inventaires virtuelle a été ouverte qui peut être consultée en ligne sur le site des Archives nationales1. Cela a consisté en la mise en ligne de plus d’un million de pages « papier » des inventaires des Archives nationales, le plus ancien datant du xviiie siècle. Il s’agit de traiter ces manuscrits par le standard d’encodage archivistique EAD (format XML EAD). Aujourd’hui, les instruments de recherche sont accessibles à tout un chacun à distance depuis un poste informatique personnel et dans le monde entier. L’avantage n’est pas seulement d’avoir un outil personnel mais également d’avoir des moteurs de recherche qui croisent les données. Ainsi, par une simple recherche « plein texte », le chercheur se voit signaler des fonds et des documents qui pourraient l’intéresser relevant de l’histoire des entreprises, même si sa thématique en est très éloignée. Des fonds d’entreprises peuvent ainsi être consultés pour différents types de recherches au-delà de l’histoire des entreprises : sociologie, recherches à visées locales ou régionales.
7Il existe de nombreux supports de valorisation. Par exemple, les Archives nationales interviennent sur les réseaux sociaux (Facebook), sur Wikipedia pour signaler les fonds. Depuis 2011, une politique dynamique a été mise en place qui s’inscrit dans le cadre du PSCE (Projet scientifique, éducatif et culturel) défini par les Archives nationales. La programmation, sur un certain nombre de thématiques, va relier la collecte, le classements, la valorisation et surtout des partenariats. En effet, afin d’intéresser le lecteur, des partenariats ont été mis en place avec des structures relais (fondations, associations), comme la Fondation de Wendel.
8Cependant, il est nécessaire d’aller chercher les étudiants. Les Archives nationales organisent par exemple les « Journées de l’étudiant » au mois d’octobre : faire venir les étudiants pour leur montrer comment les Archives nationales fonctionnent, expliquer le quotidien de la recherche. Nos archives nous les conservons, et nous les conservons bien. Notre souhait est qu’elles soient consultées et valorisées.
9 Dominique Barjot
10Je voudrais aborder deux facettes de la discussion : revenir sur la question des archives du point de vue de l’historien et insister sur un mouvement qui contribue à la valorisation des archives d’entreprises, la « business history appliquée », c’est-à-dire la demande des entreprises envers leur histoire.
11Dans un premier temps, en ce qui concerne les archives d’entreprises sous l’angle des historiens, plusieurs difficultés sont à relever qui tiennent :
- à la politique des firmes – par exemple aux difficultés actuelles pour accéder aux archives d’EDF ;
- à la gestion des entreprises, notamment les restructurations multiples auxquelles sont soumis les groupes qui posent des problèmes importants aux gestionnaires d’archives ;
- au traitement différencié des archives relevant de groupes managériaux dirigés par des salariés et des archives familiales ;
- à la conservation : le lieu où sont entreposées les archives est absolument crucial ;
- à la problématique des sauvetages d’archives (exemple de la Bourse de Paris récemment) ;
- à l’attitude de l’historien, la manière dont l’historien aborde les archives. Les archives d’entreprises ont souvent suscité l’intérêt de chercheurs locaux ou de journalistes plus ou moins formés à la discipline historique. Parfois, cet engouement pour les archives d’entreprises a des effets négatifs parce que le minimum de déontologie, de respect de la propriété des archives n’est pas toujours respecté. Cela engendre des difficultés pour ceux qui abordent les archives de façon plus sérieuse ou méthodique.
12L’histoire des entreprises se fonde certes sur l’étude de fonds d’archives d’entreprises mais cela ne suffit pas. D’excellentes histoires d’entreprises ont été réalisées sans avoir accès à la totalité des fonds d’archives de l’entreprise. Par exemple, une thèse vient d’être récemment publiée sur la Compagnie des Compteurs de Montrouge2 – thèse réalisée par une secrétaire de cette entreprise aujourd’hui disparue, rachetée par Schlumberger. L’auteur a réalisé cette thèse en allant fouiller dans les caves du siège de Schlumberger avec l’assentiment des anciens de la Compagnie des Compteurs qui travaillaient encore chez Schlumberger. Elle a pu patiemment reconstituer, pendant une dizaine d’années, toute l’histoire d’une compagnie essentielle dans l’histoire de l’essor de la technologie française dans le domaine des réseaux, notamment des réseaux faibles.
13Il faut également souligner le rôle joué par les banques. Les archives bancaires sont souvent un réservoir considérable pour explorer l’histoire des entreprises. Par ailleurs, les pouvoirs publics, les Archives nationales ont fait un effort important en constituant à Roubaix un centre des archives du monde du travail qui possède des fonds extrêmement riches.
14Dans un deuxième temps, je souhaite revenir sur la business history appliquée. En histoire économique aujourd’hui, le secteur de l’histoire des entreprises démontre une vitalité certaine et ceci depuis longtemps déjà. On peut citer les historiens Pierre Léon, Jean Bouvier, François Caron qui ont fait des thèses pionnières dans ce domaine. Depuis les années 1970, la préoccupation des entreprises envers leur histoire s’est faite grandissante. En raison des restructurations dans de nombreux groupes, il est devenu nécessaire de « fixer le passé » et de pouvoir transmettre l’héritage non physique que constituait le passé des entreprises. Cela répondait également à une demande des salariés. Un des facteurs qui a contribué à cet intérêt pour l’histoire des entreprises est la disparition des entreprises elles-mêmes, que ce soient les grands groupes ou des entreprises moyennes. D’ailleurs, reconstituer l’histoire des ETI (Entreprises de taille intermédiaires) ou des PME (Petites et moyennes entreprises) est aujourd’hui l’une des préoccupations de l’historien. Ce mouvement en faveur de la business history, cette histoire des entreprises à la française, s’est appuyé sur la création de comités d’histoire (publics, privés) – le plus célèbre étant le Comité pour l’histoire économique et financière de la France (CHEFF). Il y a des associations comme l’Association pour l’histoire des chemins de fer (AHICF) ou l’Institut pour l’histoire de l’aluminium (IHA).
15On peut également relever les commandes des entreprises elles-mêmes auprès des historiens pour faire leur histoire. Cette commande prend généralement trois formes. La forme la plus simple : quand des dirigeants d’entreprise connaissent un historien. En passant 30 ans dans les archives des grandes entreprises, on finit par connaître les dirigeants. Cela m’a permis par exemple récemment de pouvoir faire une histoire du groupe Bouygues, un groupe familial dont la contribution à l’histoire récente de la France n’est pas négligeable. On peut évoquer aussi l’appel qui a été fait aux anciens. Un certain nombre d’histoires d’entreprises ont été initiées et réalisées par les entreprises elles-mêmes. Le meilleur exemple est Saint-Gobain avec Maurice Hamon, responsable des archives puis devenu ensuite directeur des affaires intérieures du groupe, qui a écrit une remarquable histoire de Saint-Gobain. Enfin, un certain nombre de sociétés de public history se sont constituées depuis plusieurs années. La plus célèbre est certainement celle fondée par Félix Torres (Public Histoire), lequel a d’ailleurs co-organisé en 1985 une grande rencontre à Blois autour de l’histoire des entreprises (« Premier colloque d’histoire appliquée aux entreprises », 21-22 mai 1985, Blois). Cette business history, dans ses différentes modalités, se trouve relayée par un certain nombre de revues d’histoire, comme Entreprises et histoire. Je viens de lancer récemment, avec un groupe d’universitaires, une revue française d’histoire économique qui accordera aussi une place non négligeable à l’histoire des entreprises. La business history appliquée présente des avantages et des inconvénients. Selon la culture d’entreprise, l’historien est plus ou moins libre de livrer sa pensée. Pour ma part, j’ai connu des réussites et des échecs. Ainsi, l’histoire de l’entreprise Vinci a été conduite en toute liberté, quelle que soit la période – même les années de la Seconde Guerre mondiale qui font débat. D’autres cas ont été plus difficiles – non pas parce que les problèmes de mémoire étaient prépondérants mais parce que les histoires d’entreprises réveillent des débat du passé qui deviennent des obstacles à la restitution du passé, à la construction d’une histoire qui fasse sens pour tous. L’un des défis majeurs pour l’historien des entreprises est d’arriver à travailler en confiance avec l’ensemble des anciens de l’entreprise pour construire une histoire qui soit non seulement scientifique, mais également un objet que les acteurs de l’entreprise eux-mêmes puissent s’approprier. Faire l’histoire des entreprises, c’est l’affaire de tous, pas seulement l’affaire de l’historien.
16 Laurent Ducol
17De par mon parcours personnel en entreprise, j’ai souvent été confronté à ce type de questions (RATP, ministère des Finances, Ernst & Young). Tout dépend de la demande et des moyens financiers consacrés à l’histoire de l’entreprise. Je reprendrai tout à l’heure les propos de Roger Martin dont l’objectif était de faire fonctionner l’entreprise dans un premier temps et pour qui le patrimonial et l’historique viendrait en surcroît. Néanmoins ce surcroît est important à la fois pour des raisons d’organisation et de management de message d’entreprise, que ce soit pour canaliser des grandes décisions comme des fusions/acquisitions (Pont-à-Mousson / Saint-Gobain) et préciser les grandes orientations de l’entreprise. Quels sont les outils qui permettent l’accès au fonds du centre d’archives de Blois (GIE Saint-Gobain archives) ? Tout d’abord, le GIE Saint-Gobain archives mène une politique de communication en direction des entreprises qui n’ont pas de services d’archives pour les inciter à les créer – rejoignant celle des Archives nationales et du CAMT. La section des archives économiques et d’entreprises a ainsi régulièrement organisé des colloques, des congrès au sein de structures qui n’ont pas de service d’archives ou qui ont des services peu soutenus. C’est le cas de GDF-Suez paradoxalement qui n’avait pas de structure dédiée et qui fonctionnait uniquement par des personnalités reconnues en charge des archives – mais non archivistes. Néanmoins, il n’est pas simple d’arriver à des résultats concrets rapidement au sein des entreprises. D’autres exemples d’entreprises sensibilisées par notre action afin de les aider à structurer leurs archives : Natixis, Canson, famille Seguin (archives Marc Seguin). Une autre structure, plus restreinte certes, Archivistes sans frontières, mène également des actions sur le même sujet. Ainsi, une intervention a été menée auprès des archives du Chemin de fer djibouto-éthiopien. Une mission bénévole a été envoyée pour sauvegarder les archives de cette compagnie.
18 Concrètement, qu’est-ce qu’une entreprise attend de ses archives ? Roger Martin disait « il s’agit d’abord et avant tout de traiter le problème quotidien et très concret. Quant à son incidence sur les frais généraux du groupe, les archives que fabrique celui-ci, notre contribution à l’histoire nous sera donnée par surcroît. » Ce surcroît fut important, il est même devenu l’expression d’un bâtiment et d’un lieu emblématique pour la conservation des archives. Il a eu cette démarche dans un souci managérial. À travers les 350 ans de Saint-Gobain, nous sommes là aussi pour rappeler le développement de l’entreprise. Concernant les fonds, il faut d’abord les faire connaître et pour cela ils doivent être inventoriés et mis en accès. La démarche de communication est très forte – je pense à deux exemples en particulier : l’AHICF qui fait un séminaire annuel présentant ses objectifs. De même l’anniversaire des 350 ans de Saint-Gobain est l’occasion de mettre en avant les pistes qui n’ont pas été traitées, pour lesquelles il y a des souffrances (aucune exploitation). L’organisation de séminaires est donc intéressante, couplée à des invitations en direction des formations en archivistique à venir voir les fonds ou pour répondre à des besoins de stages. Une initiative peut être mentionnée : le prix de l’académie François Bourdon qui permet de mettre en avant des fonds. En résumé : un message managérial avec une sélection raisonnée en amont des fonds d’archives, un traitement de ces fonds et une communication vis-à-vis de son « client » que sera le chercheur en l’incitant à venir jusqu’à Blois.
19 Jean-Noël Jeanneney
20N’étant pas spécialiste d’histoire économique, je vous proposerai deux ou trois réflexions, quelque peu improvisées, sur la nature d’un document spécifique : le Journal de François de Wendel. J’ai pu y accéder jadis, au fondement de la thèse que je lui ai consacrée – sous l’angle du politique –, grâce à la confiance généreuse de Madame Emmanuel de Mitry, sa fille, et de Marie-Thérèse François-Poncet, sa petite-fille. Le hasard joue son rôle en historiographie autant qu’ailleurs. Marie-Thérèse avait évoqué et cité ce document dans un séminaire de Sciences Po, auquel participait mon ami Alain Duhamel qui m’en a informé – et c’est ainsi que, pour moi, tout a commencé.
21Je souhaite considérer brièvement devant vous la nature d’une source telle que celle-ci. Les journaux qui, en France comme ailleurs, ont été tenus, sont en grand nombre : la statistique est impossible... Philippe Lejeune, ici présent, s’est spécialisé, avec grand talent et grand mérite, dans l’histoire des diaristes et de leur production. Il s’est attaché aussi au recueil de ces documents au service à la fois de l’Histoire et de la littérature. Il a même constitué un centre spécialisé pour les rassembler, les publier. À l’en croire, plusieurs centaines de milliers de Françaises et de Français tiendraient actuellement leur journal.
22 J’admets que cette observation peut paraître destinée à diminuer quelque peu l’originalité de François de Wendel, en l’occurrence, mais en réalité la spécificité de ce document, sur ce fond de tableau, n’en ressort que davantage. On peut se demander s’il est loisible de constituer une sorte de typologie de ces documents et où situer ces dix mille pages qui sont maintenant déposées aux Archives nationales.
23L’un des critères de distinction est celui de la motivation du diariste. Contre une paresse assez généralement partagée, il prend la plume, en face de lui-même, à intervalles réguliers ou irréguliers – soit de temps en temps, soit tous les jours ; affaire de tempérament, de résolution, de principe. Il existe un grand éventail de raisons pour lesquelles on se livre à cet exercice. Certains journaux sont délibérément égocentrés : un bel exemple est fourni par Henri-Frédéric Amiel, qui a passé toute sa vie à coucher sur la papier les multiples émotions dont il était traversé. Je songe aussi au cas des jeunes filles de la bourgeoisie au tournant des xixe et xxe siècles : Philippe Lejeune en a collectionné un grand nombre, précieusement.
24Tout différent est le cas de François de Wendel, tenant ses carnets très régulièrement : dans la note qu’il a laissée à ses descendants sur les motivations qui étaient les siennes et sur l’usage qu’il pensait qu’on pourrait faire un jour de ces textes, il insiste sur le fait qu’il ne s’agit en rien d’une confession : « Je ne parle de rien qui soit intime ». C’est un choix – un choix dont on peut d’ailleurs se féliciter comme historien, car si étaient présentes là beaucoup de choses concernant le for intérieur, je ne suis pas sûre que, même très généreuse, Madame de Mitry m’aurait laissé connaître ce document sans pareil. C’est parce que ce n’est pas une confession, justement, que j’ai pu y accéder.
25Il existe des journaux plus extravertis que d’autres, qui s’efforcent de promener une sorte de miroir par rapport à ce qui se passe alentour (ce qui ne veut pas dire, bien sûr, que la subjectivité n’y ait pas grandement sa place). Pour nous, historiens, ce sont les probablement les plus intéressants.
26Il est loisible de les catégoriser selon les professions. Un genre est en voie de disparition, étouffé par des ouvrages très longs qui n’ont pas toujours trouvé leurs lecteurs : les journaux de diplomates. Ils sont utiles cependant pour nous (parmi les plus récents, Armand Bérard, Étienne Manac’h, Hervé Alphand…). Quelqu’intense que soit ce métier, il laisse souvent plus que d’autres des moments de liberté propices à l’écriture.
27Saluons ensuite les journaux d’hommes politiques qui peuvent être un peu frustrants parce qu’ils relèvent d’ordinaire surtout des périodes où leurs auteurs ne sont pas au pouvoir et retrouvent des loisirs. Voyez par exemple les carnets d’Édouard Daladier ou de Paul Reynaud pendant la Seconde Guerre mondiale.
28Les journaux de journalistes sont assez rares parce qu’eux épuisent généralement leur capacité de réaction « à chaud » dans leurs articles quotidiens. Permettez-moi cependant d’évoquer une source magnifique – qui m’a d’ailleurs été utile dans la rédaction de ma thèse : ce sont les lettres quotidiennes qu’Étienne de Nalèche, directeur du Journal des débats, écrivit au « sucrier » Pierre Lebaudy, propriétaire pour une part (avec les Wendel) de ce quotidien très bourgeois. Chaque soir, il notait pour lui ce qui s’était passé dans sa journée, en particulier tout ce qu’il regrettait de ne pas avoir pu publier dans ses colonnes. Ce document sans pareil couvre plus de dix ans à partir de 1916. J’ai contribué à les sauver pour la recherche et Odile Gautier-Voituriez en a organisé avec talent et précision, pour son doctorat, une belle édition, qu’on attend impatiemment de voir publiée.
29François de Wendel est d’abord un ingénieur. Les ingénieurs me semblent tenir assez rarement des journaux continus, peut-être parce qu’ils n’ont pas le tempérament littéraire, peut-être parce qu’ils sont moins narcissiques que d’autres – je dis cela avec prudence. On trouve surtout, sous leur plume, des journaux de voyages d’études, notamment à l’étranger. Quand ils sont à la guerre, aussi. Le centenaire de la Première Guerre mondiale fait resurgir, ces temps-ci, un bon nombre de leurs diaries. C’est alors une manière pour eux d’aiguiser leur regard, de masquer leurs angoisses, comme c’est le fait, à vrai dire, des autres individus dans ces circonstances. Je n’insiste pas sur la douleur que nous ont causée tout à l’heure les propos de Véronique Goupy sur les archives de Maurice de Wendel. Tenait-il son journal ? À un ou deux propos de celui de son frère, j’ai le sentiment que c’était le cas. Et alors, vouons aux gémonies celle qui !…
30À partir de cette énumération, il faut s’interroger sur la portée de telles sources. L’historien ne doit pas être naïf sur ce qu’un journal tel que celui de François de Wendel peut nous apprendre. D’abord la question de l’exactitude est posée – comme toujours. Il s’agit d’une idée toujours difficile à manier pour les historiens : vérité, véracité, exactitude… Néanmoins, il y a des cas où l’on peut saisir assez facilement des façons de mensonge. Il est assez fréquent, par exemple, que le diariste ne transcrive pas ce qu’il a dit mais plutôt ce que, dans l’escalier, il regrette de n’avoir pas dit… D’où le vif intérêt d’un rapprochement avec d’autres témoignages sur les mêmes rencontres, quand on a le bonheur d’en disposer : c’est souvent vif plaisir, proche du romanesque. Avec la curiosité de découvrir ce que chacun retient de ce que l’autre a pu dire. Les regards sont fréquemment en quinconce…
31Du journal dont je parle, quel usage faire ? Il faut d’abord constamment lutter contre une certaine naïveté : il est tellement agréable de se dire : « je suis avec lui, je suis là, dans cette rencontre importante » qu’on tend à adhérer excessivement aux propos du diariste : le danger de ne pas prendre de la distance… Puis le principe de la linéarité d’un journal risque de par trop lisser la courbe des événements, en écrasant la diversité des importances. François de Wendel, dans son « avertissement » à ses enfants, écrit : « J’ai noté force détails insignifiants en laissant échapper quelques réactions presque enfantines dans l’idée qu’il ne serait jamais lu que par vous. La guerre est venue. Ma situation s’est affirmée. Il est certain que mes cahiers présentent par endroits un assez réel intérêt. »
32La réflexion peut tourner notamment autour de l’événement en tant que tel – ce dont nous nous sommes souvent préoccupés, dans ma génération d’historiens. Beaucoup de nos maîtres nous avaient dit de laisser aux manuels des écoles et des lycées, aux magazines d’histoire populaires la chronique des faits successifs, énoncés à la « va-comme-je-te-pousse ». Nous en sommes revenus ! Nous avons retrouvé tout le prix de « l’événement-monstre », selon la formule à succès de Pierre Nora. Nous aimons à extraire des événements tout ce qu’ils peuvent nous enseigner sur les « forces profondes » qui les portent et les dépassent.
33Eh bien ! On ne peut ni ne doit fréquenter un journal comme celui de François de Wendel, dans le fil de son apport profus, sans évoquer les différents rythmes de la durée qui s’y lisent, sans observer combien ces textes peuvent informer sur ces tempos entrelacés de l’Histoire. Nous ne sommes pas des journalistes, mais nous avons dans chaque conjoncture le devoir de réfléchir à ce qui la constitue, c’est-à-dire non pas seulement la surface des événements, mais le « feuilleté temporel » comme disait Jacques Le Goff, qui fait se superposer le clapotis ou spasmes de l’actualité puis des tempos plus lents et des mouvements mensuels, annuels, générationnels ou plus lents encore.
34À chaque moment, un tel document pousse à s’interroger sur ce qu’il nous peut nous dire outre le récit immédiat, quant à la mentalité du diariste, représentative d’une génération, d’un milieu, d’un groupe, d’une région, d’une nation.
35Il ne s’agit pas seulement, par exemple, de pouvoir mieux raconter comment, à tel moment, François de Wendel a dans telles circonstances, contribuer fortement à faire chuter Édouard Herriot en 1925, lors du Cartel des Gauches mais aussi de se demander, quand il en parle, ce qu’il pense des radicaux : guère d’affection ! Et, plus largement, ce que son récit, dans sa subjectivité inévitable, nous enseigne quant à ses émotions, sa culture propre, sa vision du monde, son idée de la politique en République, sa position par rapport à l’industrie, par rapport à l’art…
36Je ne prétends pas, par ces quelques remarques, épuiser l’intérêt de cette source qui est en vérité d’une richesse sans pareille. J’aurais pu insister aussi sur ce qu’elle nous dit quant à la sociologie d’un milieu social. La mondanité chère à Proust, parfois, n’est pas loin. Et bien plus. Je pense au jour où Wendel reçoit ses collègues du groupe de la Fédération républicaine avec Louis Marin et où il observe, à propos de son hôtel de la rue de Clichy « ils n’étaient pas très à l’aise, c’est trop différent de leur intérieur »...
37Rien d’exhaustif dans mon bref propos, vous l’avez compris. J’ai seulement voulu jeter quelques éclairages – bien d’autres seraient possibles – sur un texte hors de pair, dont l’usage a pu servir de surcroît l’essor renouvelé du genre biographique, depuis quelques décennies. J’ai eu le privilège d’en tirer parti le premier, sans restrictions. On ne se lassera pas de remercier les descendants de François de Wendel de bien vouloir l’offrir de plus en plus libéralement à la recherche scientifique et désintéressée.
38 Vincent Boully
39Quand Monsieur Le Roc’h-Morgère, directeur des Archives nationales du monde du travail, m’a demandé de le remplacer pour cette table ronde, je me suis tout de suite demandé ce que j’allais pouvoir dire qui puisse faire honneur à la fois à mes confrères archivistes, au premier rang desquels un illustre prédécesseur – Bertrand Gille – et en même temps qui puisse rendre honneur à mon directeur de thèse, Dominique Barjot. J’ai réfléchi et je me suis dit que le plus simple serait de parler de moi, non pas dans une perspective égotique mais pour dire comment un jeune archiviste mène ses recherches sur l’histoire des entreprises aujourd’hui, ce qui répond partiellement à la question initiale du professeur Philippe Mioche. D’ailleurs, je ne suis pas peu fier que le discours que j’avais préparé fasse écho à toutes les interventions de cette table ronde. Pour ma thèse de l’École des Chartes intitulée « Entre liberté d’entreprendre et surveillance par l’État : les salines de Franche-Comté dans la seconde moitié du xixe siècle (1840-1906) », j’ai mis un point d’honneur à consulter les archives produites par les administrations publiques mais également les archives produites par les entreprises salicoles de Franche-Comté, autrement dit une histoire d’entreprise qui ne manque ni de sel ni d’archives ! Cette dualité entre archives produites par les entreprises et archives produites par les administrations m’a permis de combiner ce que j’ai appelé un point de vue interne et un point de vue externe. Le point de vue interne, ce sont les archives des entreprises salicoles, avec un fonds majeur conservé aux archives départementales du Jura – fonds majeur mais d’une entreprise de taille moyenne, les salines de Franche-Comté, qui n’a absolument pas l’envergure des fonds d’archives de Wendel, puisque ce fonds d’archives conservé aux archives départementales du Jura ne fait que 23 mètres linéaires et contient environ 60 cotes de documents de 1727 à 1962. Dans ce fonds d’archives d’entreprise de taille moyenne, je me suis focalisé sur un trésor dans ce fonds : la série de registres des procès-verbaux d’assemblées générales qui est d’une richesse inespérée pour tout ce qui concerne les modifications de statut, les comptes annuels de l’entreprise, l’élection des dirigeants, sans parler des nombreuses listes d’actionnaires présents aux différentes assemblées générales. Je ne me suis pas arrêté aux seules archives de l’entreprise. J’ai également consulté d’autres types d’archives qui présentent le point de vue interne, à savoir les minutes notariales. Je renvoie bien sûr aux travaux de Jean-Paul Poisson, notamment son article de 1973 « De quelques nouvelles utilisations des sources notariales en histoire économique (xviie-xxe siècle3) ». Je me suis donc employé à chercher dans les différents minutiers aux Archives nationales et aux archives départementales tout ce qui était statuts des entreprises salicoles ainsi que les actes de procuration, etc. mis au rang des minutes. En plus de ce point de vue interne de l’entreprise, j’ai cherché un point de vue externe, notamment celui de l’administration des mines pour laquelle les archives sont conservées aux Archives nationales pour les versements du ministère des Travaux publics, la sous-série F14 ; mais également l’administration des mines au niveau départemental donc des archives conservées dans les différents services d’archives départementales, la sous-série 8S « Mines et énergie ». Il existe bien d’autres types d’archives offrant un regard extérieur : les archives bancaires du Crédit lyonnais, la banque Rothschild dont les Archives nationales du monde du travail conservent un fonds impressionnant. Autre type d’archives privées offrant un regard extérieur : les dossiers de la chambre des agents de change conservés au Centre des archives économiques et financières à Savigny-le-Temple ou encore les dossiers de l’association nationale des porteurs de valeurs mobilières (Archives nationales du monde du travail, fonds 65AQ) qui fournissent toute une documentation juridique et financière sur les entreprises cotées en bourse.
40Au final, mon état des sources pour l’histoire des entreprises productrices de sel en Franche-Comté montre la complémentarité des fonds d’archives produits par les entreprises, l’État, les banques et les notaires. En conclusion et pour élargir ce propos, peut-on faire l’histoire des entreprises sans les archives des entreprises ? De mon point de vue, non, dans la mesure où complémentarité ne signifie pas redondance d‘informations. Il manquerait ce point de vue interne de l’entreprise si les entreprises ne conservaient pas leurs archives et ne les versaient pas dans des services publics d’archives (Archives nationales, Archives nationales du monde du travail, services d’archives départementales). Je terminerai par les mots de Jean Favier, archiviste et historien, qui dans les mélanges pour Maurice Hamon écrivait : « Dans les années 1950, secondé par l’audacieux Bertrand Gille, Charles Braibant glissa les archives d’entreprise parmi ses archives privées qu’il fallait parfois sauver de la disparition. Les archives de l’économie, ce n’était plus seulement celles des ministères et organismes publics en charge des politiques économiques. C’était ces papiers qui reflétaient de l’intérieur la vie de la banque, de l’industrie, du commerce. L’État prenait à son compte la conservation et l’inventaire des fonds mis en dépôt dans les services d’archives publiques par les entreprises soucieuses de leur histoire mais aussi par des liquidateurs d’entreprises disparues4. »
41 Philippe Mioche
42Remerciements aux intervenants de la table ronde qui présentent de nombreux éléments de réponses, éléments de compétences professionnelles. Chacun a apporté une réponse circonstanciée dans des registres très divers (public, privé, enseignement…).
43 Ernest-Antoine Seillière
44Permettez-moi d’évoquer dans nos conversations deux personnes qui ont beaucoup contribué à la mémoire de notre groupe, l’un dans nos rangs plus privés et professionnels, Pierre Abadie de Madières, qui a anticipé en quelques sortes le travail que Paul Lacour a poursuivi avec brio et beaucoup de courage et d’allant. Deuxièmement, quelqu’un qui a également beaucoup contribué à la mémoire du groupe, Jacques Marseille auquel nous avions demandé de faire un ouvrage à l’occasion de notre tricentenaire et qui a donc publié, à sa manière et en toute liberté, sans que nous intervenions, toute une série de réflexions, de témoignages, de souvenirs sur notre groupe.
45 Alain Missoffe
46Une question pour Monsieur Ducol : comment faites-vous aujourd’hui pour les correspondances emails, les vidéoconférences lors desquelles de grandes décisions stratégiques sont prises ? Comment l’archiviste fait avec tous ces nouveaux moyens de communication ?
47 Laurent Ducol
48Il s’agit du sujet central pour les archivistes depuis quelques années : la capacité que nous allons à avoir tous à développer des systèmes d’archivage électronique qui soient complètement organisés pour capter cet ensemble. Au niveau du groupe Saint-Gobain, une réflexion est en cours pour déployer un système. L’objectif sera d’aspirer d’une part les masses produites par les bases de données, nos outils et par ailleurs de proposer un système d’archivage volontaire. L’idée est de repenser totalement la collecte. Nous avons à Saint-Gobain la chance d’avoir la maîtrise entière de la chaîne allant de la production à la valorisation patrimoniale. Une fois les outils créés, que va-t-il se passer pour le passif ? L’un des principes de base en archivistique est d’organiser pour l’avenir. Dans un deuxième temps, on prend en compte le passif.
49 Paul Lacour
50Je souhaiterais ajouter un mot sur l’intérêt des étudiants pour les archives d’entreprises et l’histoire des entreprises. La Fondation de Wendel a pris la décision d’attribuer deux aides à la recherche, l’une pour les étudiants en Master 2 et l’autre pour les doctorats. Les étudiants en Master 2 auront une aide annuelle et les doctorants auront une aide sur trois ans. Le principe a été adopté par le conseil d’administration de la Fondation et les aides vont être mises en place prochainement.
51 François Labadens
52Je souhaiterais poser une question et faire une remarque. Dans les sources que vous avez citées Monsieur le Ministre, il en est une qui est passée sous silence, c’est celle des rapports que faisaient autrefois les hommes d’affaires au ministère des Affaires étrangères lorsqu’ils rentraient de voyage. Je me souviens que c’est un travail auquel mon père s’astreignait dès qu’il rentrait. Je crois qu’il doit y avoir là, de la part des hommes d’affaires, une source tout à fait étonnante. Est-elle exploitée ? Je voulais aussi parler – j’ai derrière moi 15 ans de Saint-Gobain et 15 ans d’Usinor – du choix du scribe. On se trouve confronté à un principe dans les entreprises : bien définir ce qui est le champs d’investigation, c’est-à-dire l’ensemble des éléments objectifs qui vont nous mener à une décision et puis l’impulsion, l’inventivité, le courage des hommes d’entreprise qui font qu’ils prennent telle ou telle décision. Je crois qu’il faut que ce scribe soit d’une nature très particulière. Dans un comité de direction, le président doit le choisir avec beaucoup de soin. Je suis arrivé chez Usinor « à la fin », et j’avais en charge ce problème des comptes rendus des comités de direction générale, des comités exécutifs. Premièrement, on ne discutait pas de sujets qui n’étaient pas étayés par des rapports remis aux participants du comité exécutif au moins trois ou quatre jours avant. Deuxièmement, les comptes rendus devaient être extrêmement précis et obligatoirement accompagnés des pièces et rapports qui avaient préparé les discussions et les décisions. Il y a là matière à émettre des conseils, comme dit Roger Martin « l’histoire sera donnée par surcroît » mais la perspicacité et la cohérence des décisions se font par ce type de préparation à l’intérieur des comités exécutifs. Nous avons fait l‘expérience avec des chartistes. D’ailleurs Maurice Hamon était chartiste et à Saint-Gobain il était devenu le rédacteur de tous les grands comités exécutifs du groupe et Marie de Laubier qui a pris sa succession est également chartiste. Chez Saint-Gobain, nous avons fait une expérience avec un agrégé d’histoire qui était absolument remarquable. Il a montré d’ailleurs une telle résistance qu’il fut l’un des derniers Français à avoir résisté à Mittal qui le considérait comme essentiel.
53 Sébastien Mellard
54Je suis responsable du Centre des archives industrielles et techniques de la Moselle. Il s‘agit d’une impression quant au manque d’étudiants dans les salles de lecture d’archives. Cela ne concerne pas uniquement les recherches en histoire économique ou en histoire industrielle mais les recherches en archives en général. Je ne sais pas à quoi cela est dû. Est-ce que c’est dû au système universitaire tel qu’il est aujourd’hui ? À la volonté des étudiants d’avoir un parcours plus professionnalisant ? Ou au fait que les archives peuvent être parfaitement bien classées, dépouiller des archives, cela prend toujours du temps. Il est important de faire des actions en direction des étudiants pour tâcher d’en capter quelques-uns mais il faut garder à l’esprit que cela reste aléatoire. Je ne voudrais pas avoir l’air défaitiste mais le fait est que dans les quelques services d’archives que j’ai l’habitude de fréquenter depuis quelques années, je me rends compte qu’il y a effectivement de moins en moins d’étudiants, ne serait-ce que par rapport à l’époque où j’étais moi-même étudiant, il y a une dizaine d’années.
55Jean-Noël Jeanneney
56Pour répondre à la question des archives, je crois que nous n’avons pas tenté à cette table de faire une sorte d’inventaire de la diversité des archives. C’est une occasion de rappeler que lorsqu’on a le bonheur de disposer d’archives personnelles, rien ne doit vous détourner d’aller chercher ailleurs. C’est indispensable. On a suffisamment parlé ce matin des relations variées entre l’État et l’industrie pour rappeler que les archives publiques, dont une partie est conservée ici, doivent être consultées. Ces comptes rendus d’industriels revenant à Paris et informant le Quai d’Orsay sont très variés. Ainsi Marcel Boussac revenant de Russie au début des années 1960, avait fait dire au général de Gaulle qu’il était tout prêt à venir lui dire ses impressions. Le général de Gaulle lui a fait dire que lui-même s’occupait des affaires de la France et que monsieur Boussac s’occuperait certainement très bien des questions du textile. Ce n’est probablement pas là d’ailleurs que du Gaulle a été le plus brillant ! La diversité des archives est passionnante : du côté du Quai d’Orsay et du côté de toutes les ambassades. Si l’on esquisse très brièvement un inventaire, il y a aussi tout qui est archives de police avec la nécessité de ne pas être naïf. Quand on a fréquenté la série F7, on s’aperçoit qu’il y a « à boire et à manger » ! Les papiers en « note blanche » qui ne sont pas signés : on a l’impression que parfois les policiers se laissent aller le soir à leur imagination… Puis il y a les archives des relations entre le ministère des Finances et les autres, d’où l’intérêt des activités du Comité d’histoire économique et financière de la France. Je ne citerai qu’un exemple qui est un peu marginal par rapport au sujet même si on en trouve l’écho dans le journal de François de Wendel : il s’agit de la bataille farouche qui a existé entre le ministère des Finances d’un côté et le ministère des Affaires étrangères de l’autre à l’occasion de l’opposition entre la banque industrielle de Chine et la banque de l’Indochine au début des années 1920. Il faut savoir que la banque de Chine est présidée par André Berthelot, frère de Philippe Berthelot secrétaire général du Quai d’Orsay. D’une part, les deux frères n’étaient pas en hostilité mutuelle, c’est le moins que l’on puisse dire, et d’autre part, l’inspection des Finances défendaient la banque d’Indochine. C’est un combat de titans que j’avais retracé : cela se joue sur toute la gamme des influences possibles. Choisir une ou deux archives comme certain d’entre nous l’ont fait ne doit pas exclure l’évidence de ce devoir professionnel, aller chercher partout, tout, passionnément.
57 Dominique Barjot
58Quelle peut-être l’utilité des archives pour les entreprises ? Je vais vous en donner trois exemples. Le premier exemple est celui de la fédération des travaux publics sur les archives desquelles j’ai travaillé pendant de nombreuses années. Cette fédération s’est engagée dans une politique de destruction des archives. Elle est ensuite revenue me voir pour me dire : « il nous manque de quoi faire l’histoire de notre syndicat professionnel, est-ce que vous pourriez l’écrire ? » J’ai répondu que j’avais les notes que j’avais prises concernant leurs archives mais que leurs archives n’existaient plus ! Le deuxième exemple est le souvenir que j’ai d’une discussion avec les dirigeants de la maison Dumez – la famille Chaufour – qui me contaient toujours leur réussite au Nigéria. Ils avaient soigneusement conservé les archives du pont d’Onitsha, qui avait été construit dans les années 1960, détruit pendant la guerre du Biafra et pour lequel un appel d’offres international avait été ouvert pour sa reconstruction. Il se trouvait que les archives de Dumez étaient très bien organisées et que toute l’étude nécessaire à la reconstruction du pont se trouvait là et grâce à leurs archives, ils ont pu obtenir le contrat à un prix imbattable parce que toute l’étude avait déjà été faite. Dernier élément, la réflexion de Jean-François Roverato, PDG d’Eiffage, qui avait récupéré ma thèse de doctorat d’État – alors à cette époque on faisait des thèses très épaisses. Il m’avait dit : « votre thèse a un intérêt, c’est que je connais maintenant parfaitement mes concurrents ! »
59 Philippe Mioche et Isabelle Aristide Remerciements.
Notes de bas de page
1 www.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/
2 Paulette Giguel, La Compagnie des Compteurs. Acteur et témoin des mutations industrielles du xxe siècle (1872-1987), Rennes, PUR, 2014.
3 Jean-Paul Poisson, « De quelques nouvelles utilisations des sources notariales en histoire économique (xviie-xxe siècle) », Revue historique, no 249, 1973.
4 Didier Bondue, dir., L’entreprise et sa mémoire : mélanges en l’honneur de Maurice Hamon, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2012.
Auteurs
Aix-Marseille Université
Archives nationales
Université Paris-Sorbonne ;
GIE Saint-Gobain archives ;
Professeur émérite à Sciences Po, ancien ministre
Archives nationales du monde du travail
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