Usinor – de Wendel
Une course fratricide durant les Trente Glorieuses ?
p. 47-72
Texte intégral
1Comment émerge et se diffuse une innovation technologique ? Cette question apparemment anodine constitue un axe majeur dans la description et l’analyse des rapports entre l’union sidérurgiques du Nord de la France (Usinor) et le groupe de Wendel depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu’à leur regroupement au sein d’un même groupe en 19861. Cette technologie, c’est le train-à-bandes continu, laminoir particulièrement préformant importé des États-Unis dans le cadre du Plan Marshall. Dès la fin de la guerre, un clivage apparaît entre les sidérurgistes du Nord et de l’Est. Les premiers optent très vite pour le pari risqué mais contrôlé d’un investissement qui bouleverse les modes de production, de vente et de gestion des ressources humaines développés jusqu’ici dans la sidérurgie française. Les seconds, sous l’influence du groupe de Wendel et de ses propriétaires, hésitent un temps avant de se lancer dans une course avec Usinor (Partie I). Il est vrai que la croissance économique qui se dessine alors offre des perspectives de développement qui balaient les dernières hésitations et justifient la course à la taille et au marché des années 1950 et plus encore 1960. Toutefois, si les marchés des produits plats bénéficient de la mise en place de la technologie du train à bandes, d’autres marchés comme ceux des produits longs, sont confrontés à des difficultés cycliques. D’un côté, le groupe de Wendel, très présents dans ces domaines rencontre régulièrement quelques difficultés. De l’autre, Usinor, bien que touchée elle aussi par les cycles commerciaux des produits longs, paraît mieux s’en sortir grâce aux retombées économiques des produits plats (Partie II). La crise des années 1970 va révéler le caractère mortifère de la course à la taille que se livrent le groupe de Wendel et Usinor. Elle vient bouleverser les relations concurrentielles entre les entreprises sidérurgiques nationales mais aussi européennes. C’est la survie de nombreux groupes sidérurgiques nationaux qui est maintenant en jeu en France et à l‘étranger, obligeant dans le cas français l’État à intervenir. De concurrents, Usinor et de Wendel deviennent des partenaires pour être regroupés au sein du même groupe et nationalisé (Partie III). Durant ces trente glorieuses, la lancinante question de la modernisation du secteur ou de la capacité des dirigeants et des ingénieurs de la sidérurgie à innover va rythmer les débats industriels et politiques. Ici encore le clivage entre Usinor, perçue comme une entreprise managériale et technocratique moderne s’oppose à celle du groupe de Wendel, présenté comme un groupe familial conservateur et suiveur mérite d’être rediscuter dans ce texte.
I. La mise en place des conditions économiques et technologiques de la concurrence : reconstruction et innovation contrôlée
2À la sortie de la guerre, la situation de la sidérurgie française n’est pas bonne. Elle apparaît dépassée du point de vue technologique par comparaison avec les concurrents européens et américains. Les stigmates des conflits y sont pour beaucoup car de nombreux combats ont eu lieu à proximité des usines sidérurgiques entrainant leur arrêt ou imposant l’obligation de réparation2. Néanmoins, la situation a des origines plus anciennes. Le secteur est peu concentré puisque que le pays dispose de 177 unités réparties entre 27 sociétés différentes. 19 de ces 177 unités produisent à elle seules 88 % de l’acier français de l’époque. La productivité du travail est très faible par comparaison avec ce qui se passe par exemple aux États-Unis. Par ailleurs, beaucoup d’équipements sont anciens et datent parfois du xixe siècle. La situation impose une modernisation destinée non seulement à relancer l’activité mais aussi à préparer l’avenir. Une grande partie des projets qui sont discutés à la libération ont été initiés durant la guerre au sein du Corsid (Comité d’organisation de la sidérurgie), organisme lancé par le gouvernement de Vichy mais en grande partie contrôlé par les dirigeants du secteur. Certaines de ses conclusions sont reprises et adaptées dans le cadre des travaux de la commission de la sidérurgie que prépare le premier plan économique. Moderniser supposerait de fermer des usines et d’en lancer de nouvelles, mais la profession est dans l’ensemble plutôt opposée à l’ouverture de nouvelles unités3. Regroupée depuis le 22 décembre 1944 au sein de la Chambre syndicale de la sidérurgie française (CSSF), les dirigeants de la sidérurgie commencent à développer une stratégie de lutte contre certains projets publics que semblent émerger4. La menace de la nationalisation plane depuis 1944. C’est dans ce contexte que vont se poser les bases de la concurrence entre Usinor et le groupe de Wendel. Elles se cristallisent sur la question des produits plats et du lancement d’un nouveau train à bandes (TAB).
1. Un pas d’avance technologique : le lancement par Usinor du TAB de Denain et de Montataire
3L’union sidérurgique du Nord de la France est créée le 21 juin 1948 par deux sociétés, la société des forges et aciéries du Nord et de l’Est et la société des forges et aciéries de Denain-Anzin. Lors du premier conseil d’administration, Jacques de Nervo constate avec satisfaction qu’en dépit des tensions, le projet a pu être créé en passant par dessus les intérêts particuliers. Il souligne la spécificité de la démarche au regard des pratiques habituelles de la profession5. Il s’agit d’un montage juridique destiné à permettre la construction et le lancement du premier TAB en France. De ce point de vue, Usinor ne fait que rattraper le retard important accumulé par rapport aux États-Unis où les premières installations de ce type ont été lancées entre 1924 et 1928. L’Allemagne dispose d’un TAB depuis 1937 et la Grande-Bretagne depuis 19386. Ce retard s’explique en grande partie par la crainte d’une surproduction et/ou d’une insuffisance du marché français qui remonte aux années 1920.
4À partir de 1913, la France est potentiellement en surcapacité exerçant ainsi une pression sur les prix qui restent longtemps inférieurs aux prix allemands et internationaux. En 1918, la récupération de l’Alsace-Lorraine accentue le problème puisque les unités sidérurgiques intégrées doublent le potentiel de production de la France. Cette analyse se maintiendra longtemps y compris après la guerre de 1939-19457. En 1949, on retrouve ce débat sur l’interprétation d’une crise – éventuelle – de l’acier. « Ceux qui la voient comme le résultat d’une surproduction veulent la contrer avec des cartels et des quotas. La nouvelle pensée au contraire l’interprète comme une sous-consommation. Pour ceux-là, la solution se trouvait dans un accroissement de la productivité et un abaissement des prix de revient, ainsi que dans une extension des marchés8 ». Les nouveaux dirigeants d’Usinor s’inscrivent dans cette deuxième approche. Au contraire, François de Wendel et son groupe paraissent plutôt s’inscrire un temps dans la vielle tradition sidérurgique. Toutefois, Usinor se montre prudent en ne retenant pas les installations les plus performantes de l’époque – 1,4 million de tonnes/an9 – mais optent pour une solution intermédiaire de 0,7 million de tonnes/an. Deux TAB américains sont installés à Denain (Nord) et à Montataire (Oise), usines totalement reconstruites à cette occasion. Le projet est un succès puisque à terme le TAB de Denain dépassera les 2 millions de tonnes dans les années 1960. De ce point de vue, cette innovation technologique alliée à une restructuration des entreprises du Nord de la France marque les débuts d’un transfert du centre de gravité de la France sidérurgique de l’Est vers le Nord10.
5Cette modernisation doit être mise en perspective. Elle s’inscrit dans un vaste débat lancé en 1944 sur l’opportunité de nationaliser la sidérurgie, à l’instar de l’électricité, du gaz ou des charbonnages. Rapidement, la profession regroupée au sein de la Chambre syndicale de la sidérurgie française (CSSF) négocie la mise ne place d’un plan de restructuration élaboré par ses soins contre l’abandon du projet de nationalisation. Elle obtiendra gain de cause et fera passer ses priorités via les travaux de la commission de modernisation de la sidérurgie du Plan Monnet, lancée depuis le 9 mars 194611. En définitive, comme le constate Philippe Mioche, la profession a réussi à éviter la nationalisation et a peu modernisé dans l’ensemble. Comment se situe le projet de la société de Wendel dans ce contexte ?
2. La réponse de la société de Wendel : la Sollac (Société lorraine de laminage continu)
6En réaction au projet d’Usinor, François de Wendel est extrêmement circonspect. Il déclare ainsi « que les gens du Nord étaient des fous et qu’un pareil engin n’était pas adapté aux conditions du marché français12 ». De ce point de vue, il ne fait que refléter un sentiment très répandu dans la profession. Certains soutiennent donc la création d’un train semi-continu plutôt qu’une installation aussi puissante que celle envisagée par Usinor. Il est vrai que le pari est risqué. Pour rentabiliser sa nouvelle installation, l’entreprise doit s’appuyer sur une forte augmentation des produits fabriqués et vendus pour ensuite répercuter ses gains de productivité via une baisse de prix et un élargissement du marché. Ses premiers dirigeants choisissent d’engager une stratégie de concurrence par les prix, option plutôt rare à l’époque au sein des états-majors du secteur13. Or, à l’époque, la possibilité d’une surproduction est loin d’être théorique. Dans ces conditions, l’installation et la rentabilisation d’un TAB supposent une forte augmentation de la demande nationale d’acier via l’abaissement des prix de revient… consécutif à cette innovation technologie. À cela doit s’ajouter un accroissement des exportations de produits plats et de biens manufacturés.
7Il faut aussi chercher les origines de cette posture critique de François de Wendel dans son propre parcours et ses valeurs. Comme le souligne Jean-Noël Jeanneney, c’est bien le conservatisme politique, économique et social qui caractérise le mieux F. de Wendel14. Il est assez hostile aux entreprises et aux dirigeants qui sont avant tout obsédées par les profits immédiats et la course aux marchés. On retrouve ici une des manifestations. Cette crainte de la surproduction15 tient pour beaucoup à son expérience de la récupération de la région Alsace-Lorraine après la guerre 1914-18. Afin d’en limiter le risque, en janvier 1919, il décide de lancer le comptoir des produits sidérurgiques destiné à réguler les marchés. Il place son frère Humbert à la présidence. Mais l’analyse de F. de Wendel n’est pas isolée. Elle rejoint les positions du comité des forges qui craint les effets néfastes de la concurrence. D’autres éléments peuvent sans doute expliquer la prudence de F. de Wendel à cette époque. Après la libération, il est attaqué de toutes parts pour sa proximité avec les milieux de Vichy alors qu’il a eu un comportement nationaliste et digne. Par ailleurs, les projets de nationalisation de 1944 le déstabilisent profondément16. À ses yeux, ce qui n’est pas bon pour la maison de Wendel, n’est pas bon pour la France17. Il participe activement à la lutte qu’organise la profession contre cette perspective. À cela s’ajoute que tout au long de sa carrière, il s’est montré hostile aux organisations sans leader et dont les objectifs ne sont pas très précis. Un élément de contexte a sans doute aussi joué selon son fils Henri de Wendel. Les grèves très violentes de 1947 lui ont fait craindre le risque d’embrasement en cas de restructurations trop fortes liées au lancement de ce TAB18. Bref dans un premier temps, il pèse de tout son poids et au nom de ses ancêtres sidérurgiques pour que la solution retenue soit dans la continuité du passé19.
8Malgré ces arguments et les réticences de F. de Wendel, les sidérurgistes de l’Est décident de prendre le risque et d’investir dans un nouveau TAB. Ils choisissent de créer une société coopérative : la Société lorraine de laminage continu ou la Sollac.
9La société Sollac est créée en décembre 194820. À la différence d’Usinor qui résulte d’une fusion d’actifs industriels et miniers, la Sollac n’est qu’une coopérative, dominée directement ou indirectement à 54 % par le groupe de Wendel. Cette solution a été soutenue par Henri de Wendel. Elle regroupe uniquement la capacité d’aciérie et de laminage à froid, chaque adhérent proposant ses lingots et récupérant des tôles laminées pour les écouler par ses propres services commerciaux21. Louis Dherse est nommé président-directeur général22. Le TAB est installé à Florange ainsi qu’une aciérie Thomas et Martin et deux laminoirs à froid. Ils seront approvisionnés en produits semi finis par les membres de la coopérative. L’équipement retenu est un train américain United de 80’’ contre 60’’ (1 m 67) pour Usinor. La plus grande largeur donne un léger avantage à la Sollac23.
10L’association Sollac est dominée par deux grands groupes, de Wendel et Marmichpont, auxquelles s’ajoutent quelques petites sociétés. Le groupe de Wendel (Wendel et Cie, Gueugnon et Carnaud-Basse-Indre) contrôle 54 % du capital, le groupe Marmichpont 35 %24. Il reste l’UCPMI (Union des consommateurs de produits métallurgiques et industriels) avec 3,5 % et les Aciéries de Longwy avec 1,5 %. En tout, sept membres s’assoient autour de la table. Leurs motivations sont très différentes. Certains cherchent à entrer sur le marché des produits plats à moindres frais. Tel est le cas de Wendel ou Marmichpont. D’autres désirent assurer leurs approvisionnements. C’est le cas de Carnaud, qui fait du fer-blanc et a besoin de tôle fine, et de l’UCPMI ou de Gueugnon, qui fabriquent de l’acier inoxydable et recherchent une capacité de laminage pour les lingots qu’elle élabore en relation avec la société Ugine25.
11Pourquoi avoir retenu une telle solution alors que les pouvoirs publics poussaient au même moment en faveur de restructurations plus importantes et qu’Usinor mettait en place un projet industriel d’envergure ?
12Ce virage provient en partie de l’initiative du commissariat général au Plan et du ministère de l’Industrie qui souhaitaient qu’un second train soit construit en France. Or, à cette époque, seul le projet de train de Pierre Lefaucheux, PDG de Renault, était au point dans l’Est. Ceci a fait bouger les sociétés lorraines pour deux raisons. Premièrement, la construction d’un train par Renault via la Safe (Société des aciers fins de l’Est) aurait eu comme conséquence de priver les sidérurgistes du contrôle d’une installation aussi vitale pour leur secteur d’activité et d’en laisser le bénéfice à un non-sidérurgiste. Cela, les Wendel n’en voulaient vraisemblablement pas. Deuxièmement, les pouvoirs publics ont considéré que la Safe ne disposait pas des capacités d’alimentation en fonte et en acier pour une telle installation. Ils ont pour cette raison soutenu le projet Sollac26 :
Roger Martin et Latourte27 tombaient sur des projets qui souvent faisaient duplication ou contradiction alors qu’une fusion aurait pu les bonifier énormément, seulement là on touchait à des problèmes que les gens du Nord avaient résolus. Mais en Lorraine, on avait des comportements beaucoup plus roitelet. Les de Wendel étant là depuis 1750, ils se demandaient grand Dieu pourquoi on les embêtait. Ils sont là, ils sont les plus grands, les plus forts, le reste de l’humanité ils s’en moquent. Du coup Roger Martin et Latourte à la commission du premier Plan n’ont pas réussi à obtenir beaucoup de fusions. Arrive alors le projet de train d’Usinor à Denain. Là, les Lorrains ont pris conscience qu’il fallait faire quelque chose. On voit bien qu’il y a un conflit entre l’indépendantisme des petites principautés et les exigences de la technique mondiale. Mais voilà nos Lorrains qui crèvent d’envie d’avoir un train car ils voient Usinor rafler toutes les parts de marché. Les gens étaient déconfits.
Sous l’impulsion violente de Martin et Latourte28, ces gens se mettent autour d’une table. Mais personne ne veut abandonner de sa puissance et de son indépendance. […] Bref, chacun conserve tout jusqu’au stade de la fonte et à l’autre bout, chaque société conserve ses fonds de commerce. Alors, on décide qu’on va faire une société à caractère coopératif. Elle va travailler à prix de revient pour ses actionnaires. Ensuite, chacun d’entre eux s’occupe lui-même de la finance et du commerce des produits. Une fois la décision prise il a fallu 4 ans pour que la réalisation soit terminée, en particulier le train à chaud. (Entretien Paul Aussure, déjà cité, 15 octobre 1992)
13Outre la riposte à l’initiative de la Safe, la Sollac est donc clairement une réponse lorraine au projet de train à chaud nordiste. Sa création ne s’accompagnera pas de fermetures d’usines, ni d’un programme de rationalisation à la différence de ce qui se passe pour Usinor. Ceci tient en grande partie aux blocages de François de Wendel déjà évoqués29. Du fait de ces discussions, le dossier du train de l’Est ne sera achevé qu’en 194830. Ce qui explique la création plus tardive de la Sollac.
14Comme le constate Philippe Mioche, le train lancé en 1950 par Usinor résulte d’une prise de risque, alors que celui de la Sollac, datant de 1953, d’un financement confortable et d’une stratégie suiveuse31. Cela donne un avantage indéniable à Usinor comme le constate en septembre 1953 un inspecteur du Crédit lyonnais :
La société Usinor a été la première à installer en France des trains continus à chaud et à froid pour laminage des tôles. […] Sollac, la seconde société disposant de laminoirs analogues, vient seulement de terminer les siens. Usinor a donc un avantage sur sa concurrente française de deux à trois ans durant lesquels elle a pu acquérir de l’expérience tant pour la fabrication des tôles que pour leurs débouchés. Les prix de ses installations ont été en outre à peu près trois fois moins élevés. De plus Usinor produit entièrement elle-même ses aciers et peut donc fournir à ses laminoirs des produits de qualité régulière alors que Sollac doit utiliser les fontes des sociétés participantes et n’a pas encore d’aciérie pouvant alimenter complètement ses laminoirs. Par contre, Usinor a des laminoirs un peu moins larges et peut, de ce fait, moins bien satisfaire une partie de sa clientèle, notamment l’industrie automobile. Son matériel est aussi un peu moins perfectionné32.
15À l’avenir, dans la course à la croissance, ce retard pèsera lourd face à Usinor.
II. La course au marché et à la croissance
16La période des années 1950 et 1960 va se révéler dans l’ensemble extrêmement faste pour les entreprises sidérurgiques. Toutefois, elle est marquée périodiquement par des phases de crises, en particulier dans le secteur des produits longs. Ces retournements cycliques grèvent les résultats. Dans le domaine des produits plats, Usinor et de Wendel poursuivent le compétition. La croissance du marché et la réussite sont telles que rapidement un nouveau projet de TAB est lancé par chacune des deux sociétés. Ce sera Dunkerque pour Usinor puis Fos-sur-Mer pour Wendel, via la Sollac. Toutefois les besoins de financement alliés aux difficultés récurrentes des produits longs imposent rapidement des rapprochements et des restructurations. La pression des pouvoirs publics nationaux ou européens en faveur d’une accélération de la modernisation se fait plus lourde. Il est vrai que le lancement de la CECA (Communauté du charbon et de l’acier) souligne un peu plus les handicaps de la sidérurgie française vis-à-vis de ces concurrents européens et en particulier allemands. Les groupes Usinor et de Wendel y répondent chacun à leur manière.
1. Le temps de la croissance
17Le lancement des TAB en France se fait dans les meilleures conditions envisageables. Les besoins de la reconstruction combinés à la mise en place d’un marché de grande consommation inspiré de l’« American Way of life33 » stimulent les ventes d’automobiles et de produits électroménagers. Autant de nouveaux marchés pour les produits plats. Même si dans un premier temps, le marché de l’acier français est protégé par des barrières tarifaires, ces besoins doivent être rapidement couverts afin d’éviter l’importation d’aciers anglais ou américains. Enfin la guerre de Corée qui débute en 1951 accentue encore la tension sur les prix et la demande. Certes les prix sont encore encadrés par décision gouvernementale mais les rentrées sont importantes34. et par ailleurs, les TAB bénéficient d’un soutien par les fonds du Plan Marshall. Ils entrent dans le cadre du plan de modernisation adopté le 7 janvier 1947. Usinor doit faire face à d’importants besoins de financement.
18Outre les aides ou « dons » du Plan Marshall, l’entreprise s’endette Dès 1954, le niveau atteint 53 % du chiffre d’affaires. De ce point de vue, la solution coopérative retenue par de Wendel limite ses besoins. À la même date, son endettement atteint 25 %. Dès l’après-guerre, Usinor cherche bien à bénéficier des prix soutenus à l’exportation mais cela ne constitue pas l’essentiel de la stratégie. Malgré la libéralisation des marchés et des prix, cette tendance se maintient au moins jusqu’au lancement de Dunkerque. Il y a là, semble-t-il, une différence avec le groupe de Wendel. Néanmoins les deux entreprises s’affrontent sur les marchés extérieurs, notamment dans les TOM (Territoires d’outre mer35), mais l’essentiel reste la satisfaction du marché national. Le lancement de la CECA modifie à l’évidence les conditions concurrentielles à partir de sa mise en œuvre le 1er mai 1953. Globalement les sidérurgistes français y sont hostiles36. Afin d’atténuer les effets de l’ouverture, la CSSF obtient un ensemble d’avantages pour compenser la montée de la concurrence : accélération des conditions d’amortissement, possibilité de mutualisation des emprunts obligataires via le GIS (Groupement des industries sidérurgiques), etc…
19Très rapidement, en 1956 alors que le marché est en pleine croissance, les dirigeants d’Usinor anticipent une saturation des équipements de Denain. Par ailleurs, le deuxième plan (1953-56) définit des objectifs d’accroissement de la production nationale d’acier et vise 15 millions de tonnes. La direction d’Usinor pose les bases d’une nouvelle usine sidérurgique sur l’eau. Ce sera le projet Dunkerque I. Les usines sidérurgiques françaises tournent à plein régime mais n’arrivent pas pour autant à répondre aux demandes dans des conditions satisfaisantes. La croissance des années 1955-1960 révèle le manque de capacités de production : de 1955 à 1961, le taux d’utilisation des capacités n’est jamais inférieur à 93 % et culminera à 96,7 % en 196037. La direction d’Usinor prend l’initiative de lancer l’idée d’une usine sur la mer38. C’est une innovation dans la sidérurgie car, pour la première fois en France, on va créer une usine totalement nouvelle dans une zone géographique ne disposant ni d’un passé technologique imprégné de sidérurgie ou de métallurgie, ni d’une population marquée par la culture et l’expérience dans l’un de ces secteurs. Le PDG d’Usinor, René Damien, en est pleinement conscient puisque cela le conduit à créer une direction de la recherche afin de constituer une mémoire des pratiques technologiques et industrielles.
20En 1956, on crée un support juridique à la nouvelle usine, la Société dunkerquoise de sidérurgie (SDS) au capital de 200 millions de francs. Le premier projet regroupe 4 sociétés : Usinor, 51 % du capital, la Société des aciéries de Firminy, 24 %, la Compagnie de Châtillon-Commentry-Neuves-Maisons, 20 %, et la Banque de Paris et des Pays-Bas, 5 %. Maurice Borgeaud, directeur général adjoint d’Usinor en est nommé président39. Quels sont les objectifs des participants à la Dunkerquoise ? À l’origine, l’objectif de la Dunkerquoise est d’améliorer la production de tôles fortes. Il est décidé la construction d’un laminoir à tôles fortes (3,6 mètres de largeur), d’une aciérie composée de 2 convertisseurs à l’oxygène (LD/OLP de 125 tonnes), d’un haut-fourneau de grande capacité (8,5 mètres de diamètre) et d’un slabbing. Grâce à ces équipements, l’usine doit disposer d’une capacité totale de 500 000 tonnes d’acier par an. Les clientèles visées sont principalement les gros tubes soudés (notamment la société Vallourec et les chantiers navals).
21Qu’en est-il pour Usinor ? D’un point de vue pratique, l’ouverture d’une nouvelle tôlerie forte à Dunkerque devait permettre de fermer celle de Denain et par conséquent de soulager son train à chaud. Pourquoi les dirigeants d’Usinor ont-ils retenu cette localisation ? Dans un premier temps, ils décident de construire l’usine de Dunkerque sur la côte afin de profiter des faibles coûts d’approvisionnement en minerais riches (notamment mauritaniens40). Il s’agit surtout d’exploiter les possibilités du port de Dunkerque. Une analyse du Crédit lyonnais insiste sur l’importance des coûts de transport : « Le coût de transport maritime est considérablement abaissé par l’emploi de grands navires spécialisés qui évitent les ruptures de charges. La longueur du trajet est alors un élément qui intervient relativement peu dans le coût de l’ensemble de l’opération41 ».
22Le choix de quitter le minerai lorrain jusque là abondant et peu cher constitue un tournant dans l’histoire de la sidérurgie française. Mais à la différence des sociétés lorraines, Usinor est moins attaché aux bassins ferrifère et houiller de cette région.
23D’autres motivations interviennent. Dunkerque est conçue de façon résolument moderne. Les solutions techniques retenues pour l’usine sont ambitieuses. On vise une augmentation de la mise au mille grâce à l’agglomération, et la réalisation d’économies d’échelle à travers l’utilisation de hauts-fourneaux de grande capacité42. Enfin, l’utilisation de l’oxygène dans l’affinage de la fonte permet une économie de main-d’œuvre et d’énergie du fait de la mise au rebut des aciéries Martin43. Il est vrai que la France présente alors un retard technologique dans ce domaine. Les études de conception sont confiées à une société d’ingénierie, la Sofresid (Société française d’étude d’installations sidérurgiques), créée à cette occasion.
24En 1959, René Damien estime à 60 milliards d’anciens francs (600 millions de nouveaux francs) le coût total de l’installation44. Il s’agit d’une somme colossale. Dès 1958, Usinor se tourne vers les pouvoirs publics et le FDES (Fonds de développement économique et social). Mais celui-ci refusera de soutenir l’opération jusqu’en 1962, même si l’opération bénéficie du soutien du ministère de l’industrie. En 1959, l’argument avancé par le secrétaire d’état aux finances, Valéry Giscard d’Estaing, était que l’entreprise devait d’abord s’adresser aux marchés financiers avant de solliciter l’État45. Dans ces conditions Usinor recourt aux possibilités de levée d’emprunt obligataires offertes par la profession via le GIS. Dès 1956 et jusqu’à la fin des années 1960, l’entreprise sera un des premiers émetteurs obligataires de cette organisation46. Les travaux de l’usine de Dunkerque débutent durant la première moitié de 1959.
25Les choses s’accélèrent en 1960 puisque René Damiens impose à ses partenaires l’idée d’un doublement de la taille de l’usine pour viser 1 million de tonnes/an. Cette augmentation passe par la construction d’un troisième TAB à chaud après celui de Denain (Usinor) et de Florange (Sollac). Il s’agit bien d’un coup de force car outre la construction du TAB, il impose la mise en place d’un second haut fourneau et d’un troisième convertisseur à oxygène LD/OP de 125 tonnes. Devant le refus des autres actionnaires, Usinor décide de racheter leurs parts et de mener l’opération seule. Mais le devis initial est maintenant de 1 milliard d’anciens francs, soit environ 1000 francs/tonne. La direction d’Usinor affirme pouvoir supporter le surcoût grâce à des financements extérieurs, une politique d’amortissement adéquate et une augmentation de capital. Il va de soi qu’elle mise aussi sur a forte croissance de la demande. Néanmoins les engagements financiers de l’entreprise augmentent très fortement pour atteindre 83 % du chiffre d’affaires en 1963.
26La production démarre progressivement à partir d’octobre 1962. À cette date arrive au port le premier minéralier. Le laminoir quarto est essayé le 30 du même mois47. La première coulée d’acier OLP (Oxygène lance poudre) a lieu le 5 décembre. Enfin, le haut-fourneau no 1 effectue sa coulée le 10 février 1963, soit environ 6 mois après la date annoncée officiellement. L’usine compte alors 1 500 personnes. Le « module » correspondant à 1 million de tonnes démarre plus tard, à partir de la fin de 1963. Le second haut-fourneau (8,7 mètres) est mis à feu en octobre. Le train à bandes commence son activité et atteint la marche industrielle en février 196448. La même année, il est suivi par un troisième convertisseur de 125 tonnes. Ce projet est un nouveau coup dur pour le groupe de Wendel et la Sollac. La réaction ne se fait pas attendre. Des réflexions sont lancées pour répondre au projet de Dunkerque.
27Du côté de la sidérurgie Lorraine, les choses bougent notamment par anticipation de l’ouverture liée au lancement de la CECA. En 1951, l’entreprise est restructurée du point de vue financier. Une holding la société des Petits-Fils de François de Wendel (PFFW par la suite) contrôle les actifs industriels du groupe dont l’essentiel est regroupé au sein de de Wendel. PFFW est constitué en Société en commandite par action ce qui bloque la possibilité d’entrée et de sortie des membres de la famille. De ce point de vue, il y a ici une nette différence avec Usinor qui correspond alors à un exemple de société managériale où les familles sidérurgiques historiques jouent un rôle marginal. Ici la direction est composée de très nombreux polytechniciens et corpsards des mines. Elle développe des méthodes de management technique et administratif, en particulier dans le domaine du calcul des coûts assez pionnières, même si cela demeure un secret bien gardé49. La croissance de la Sollac se poursuit et dès 1955, l’usine de Florance atteint 1 million de tonnes et emploie 5 750 salariés.
28Durant les années 1950, de Wendel a continué d’investir notamment dans la production de fonte (lancement de la construction d’une ligne de 6 hauts-fourneaux à Hayange (7,5 m soit 700 à 800 t/jour)) et de produits longs (train continu à fil machine à Jœuf, 150 000 tonnes/an). Reste donc la question des produits plats où Usinor accentue son avance avec le projet Dunkerque.
29La réaction se fait en plusieurs étapes. Dans un premier temps, l’objectif assigné – et atteint – consiste à doubler la capacité de Florance pour produire 2 millions de tonnes/an. Dans un second temps, un projet d’usine intégrée est initié. L’entreprise annonce son intention de construire à son tour une usine intégrée dans la vallée de l’Orne où elle dispose déjà des unités de Jœuf et de Moyeuvre. On parle d’une capacité de 4 millions de tonnes/an avec 5 hauts fourneaux neufs de 8 à 12 mètres de diamètre ce qui en feraient les plus grands d’Europe. À cela viendraient s’ajouter une aciérie à oxygène pur et plusieurs trains continus dont un TAB large. Cette nouvelle installation viendrait se substituer aux 12 HF, 10 convertisseurs Thomas et aux 16 laminoirs des usines de Jœuf et Moyeuvre50. Ce projet est assez vite laissé de côté mais demeure l’idée de la construction d’une grande usine intégrée pilotée par de Wendel.
30En 1963, les membres de la Sollac, créent « le groupement d’étude d’une usine littorale intégrée51 ». Des projets sont échafaudés pour une installation au Havre ou à Fos-sur-Mer. En définitive, c’est ce dernier site qui est retenu via la construction de l’usine Solmer de Fos-sur-Mer. Une décision à laquelle les démarches répétées de la Chambre de commerce et d’industrie de Marseille ne sont pas étrangères52.
31La construction ne débutera qu’en 1970, soit 7 ans après Dunkerque. La décision de construire Fos sera d’ailleurs une bonne illustration d’une dérive de la concurrence violente entre les deux groupes vers un bras de fer dont les justifications commerciales ne sont pas évidentes. Les pouvoirs publics commencent à s’en inquiéter car le contexte est en train d’évoluer.
2. Toujours plus gros : Dunkerque III et Fos-sur-Mer
32En 1966, les pouvoirs publics lancent un vaste plan en vue d’améliorer l’efficacité et la rentabilité des entreprises du secteur sidérurgiques. Il est vrai que la situation commence à se tendre depuis plusieurs années. La production française passe de 17,3 Mt en 1960 à 19,6 Mt au lieu des 22 à 24 Mt qui avaient été prévues par le 4e plan. Les importations progressent dans le même temps. Les prix commencent à baisser. Seule Usinor tire son épingle du jeu. Le secteur qui espérait une reprise en 1964 en est pour ses frais. Il faut donc restructurer pour améliorer la compétitivité.
33La réaction des entreprises de Wendel et Usinor est différente. Du côté de l’Est, on abandonne le programme de Jœuf et seuls 2 des 5 HF seront réalisés en définitive. Les réflexions sur la future usine intégrée sont stoppées. Elles seront relancées en 1963. De son côté, Usinor poursuit la construction de Dunkerque dont la taille a été entre temps augmentée de 1 à 1,8 Mt/an. Elle fusionne avec une des dernières grandes sociétés de l’Est : Lorraine-Escaut. Comment se déroule l’opération ?
34Lorraine Escaut a été créée en 1953 par les regroupements des actifs industriels et miniers de trois sociétés : les Aciéries de Longwy, majoritaires avec 51 %, Senelle-Maubeuge53, 24,5 %, et Escaut-Meuse54, 24,5 %. Les Aciéries de Longwy possèdent des mines de fer et de charbon à coke, et quatre usines sidérurgiques. Senelle-Maubeuge possède aussi des mines. Enfin, Escaut-Meuse dispose de trois usines, spécialisées dans la fabrication de tubes à Anzin (Nord), Saulzoir (Nord) et Noisy-le-Sec (Seine)55. À l’époque, les sociétés sont transformées en holding. Cette opération doit être replacée dans le contexte d’ouverture internationale qui s’organise alors à travers la CECA. Les entreprises françaises sont donc amenées à réagir. Certaines d’entre elles se rapprochent afin d’obtenir une taille plus importante pour lutter contre la concurrence qui se développe. C’est ici qu’il faut chercher la raison principale du rapprochement entre Usinor et Lorraine-Escaut. L’objectif est de permettre des mesures de rationalisation et de coopération entre les usines de Mont-Saint-Martin (tôles fortes), Longwy (produits longs), Thionville (fonte et ronds à tubes). Il s’agit aussi d’un virage stratégique pour Usinor car Lorraine-Escaut est plutôt spécialisée dans les produits longs. Lorraine-Escaut compte alors environ 26 300 personnes56. En 1965, le chiffre d’affaires hors taxes de Lorraine-Escaut s’élève à 1,25 milliard de francs contre 1,85 pour Usinor57. Cela étant, sa situation économique et financière n’est pas bonne en partie à cause de son positionnement commercial dans les produits longs. Ses installations sont souvent anciennes. Après avoir été en contact au moment du lancement de la Sollac, elle cherche à rentrer de nouveau dans les produits plats, notamment dans le cadre de la future usine de Dunkerque. Le rapprochement avec Usinor est donc logique. Les premiers contacts entre les directions ont lieu au début des années 1960. Ils aboutissent en 1966 et s’inscrivent dans le cadre du Plan professionnel. Grâce à cette opération Usinor voit sa part du marché national passer de 21 à 32 %. L’entreprise entre maintenant fortement dans le marché des produits longs, ce qui accentue aussi sa concurrence frontale avec le groupe de Wendel58.
35Lancé en 1966, le Plan professionnel vise à améliorer la situation de l’industrie sidérurgique française. En contrepartie, les entreprises pourront bénéficier de prêt publics à des taux avantageux et de mesures sociales permettant de faciliter les restructurations. Le volet de la convention concernant Usinor est signé le 30 janvier 1967 entre MM. Michel Debré et Raymond Marcellin, représentant les pouvoirs publics et Maurice Borgeaud pour Usinor. Elle organise la fusion Usinor-Lorraine-Escaut59. Michel Debré, dans ses mémoires, précise qu’il s’agit de concentrer l’industrie en France et d’aider un secteur en difficulté à se moderniser60. Des processus de concentration existent à la même époque en Grande Bretagne, en Allemagne ou au Japon.
36Ce plan prévoit plusieurs objectifs qui touchent Usinor mais aussi Sollac. Il s’agit de rationaliser et harmoniser les politiques industrielles des produits plats, notamment avec la Sollac. Plusieurs accords de coordination d’intérêts avec Sollac sont signés le 19 juillet 1966. Ils prévoient la coordination des investissements dans le domaine des trains à chaud et à froid, Sollac devant en principe construire le prochain train à chaud et Usinor le prochain à froid. Ils précisent que ces investissements ne doivent être réalisés que lorsque les instruments déjà en activité des deux sociétés seront saturés.
37En attendant, les sociétés s’engagent justement à se passer des commandes croisées afin de saturer les équipements en sous-capacité de l’autre société61. Ceci passe par trois axes : premièrement la modernisation d’une ou deux usines au lieu des 6 existantes en 1967, la fabrication de bobines plus lourdes et avec une épaisseur plus régulière et enfin l’amélioration du laminage des aciers inoxydables et spéciaux. En fait cet objectif de rapprochement et de coordination entre Usinor et Sollac sera vite abandonné et les deux entreprises reprendront leur concurrence frontale62. Paradoxalement, la même convention prévoit de soutenir financièrement le développement de Dunkerque à 3 Mt/an mais demande que soient fermées des installations jugées dépassées à Thionville, Louvroil, et mont Saint Martin.
38Usinor va mettre en œuvre la plupart des recommandations soit dans le cadre de la convention, soit comme conséquence de la fusion avec Lorraine-Escaut. Au total, de 1966 à 1971, Usinor a arrêté 5 hauts-fourneaux63, 13 convertisseurs Thomas64, 12 fours Martin65 et 16 trains et laminoirs. En 1966, débute la construction d’une cokerie et d’un troisième haut-fourneau à Dunkerque. L’objectif est d’atteindre 3 millions de tonnes et de se centrer sur les tôles fortes dont la production nationale est faible. L’objectif initial du plan de 1966 est rapidement revu à la hausse. Il s’agit maintenant de porter la capacité de l’usine de Dunkerque à 4 millions fin 1970 pour profiter de la reprise économique qui se dessine à ce moment66. Fin 1968, Dunkerque démarre le HF 3 à 10,2 m, suivi par une batterie de fours à coke entre septembre et décembre 1969. On décide de surcroît d’augmenter la capacité des 2 autres hauts-fourneaux qui passent de 8,5 à 9,3 m. Enfin, une coulée continue à l’aciérie no 1 démarre fin 1970 pour alimenter en brame le laminoir quarto à tôles fortes. Le slabbing entre en activité la même année. Le groupe de Wendel n’a plus d’autres choix que de reprendre son projet d’usine intégrée.
39Après plusieurs mois de réflexion et le soutien des pouvoirs publics ; le choix se porte sur la Méditerrané et Fos-sur-Mer. L’entreprise cherche aussi à bénéficier des fonds proposés par le plan de 1966. Après une succession de fusion, l’entreprise de Wendel se rapproche de Sidelor (co-contôlée par Pont-à-Mousson [PAM] et Marine Firminy) pour former en 1968 Wendel-Sidelor. De fait, PAM entre à hauteur de 43 % dans le capital de la Sollac. Ce n’est qu’en 1969 que le plan va s’appliquer au nouveau groupe de Wendel-Sidelor. Il prévoit la fermeture de quelques aciéries et laminoirs qui sont remplacées par les 2 aciéries et les deux laminoirs de Grandrange entre 1969 et 1971. Cela étant, le groupe ne pousse pas la réorganisation des unités et de ses filiales aussi loin qu’Usinor où les entreprises sont intégrées dans des divisions spécialisées par produits et technologies67. Qu’en est-il pour Fos-sur-Mer ?
40Malgré l’avancement du projet de Dunkerque, les membres de la coopérative Sollac, bientôt rejoint par Sidelor hésitent à se lancer dans la construction de la seconde usine sur l’eau française. Pourtant la demande augmente de façon continue et explose après 1968. Même le projet Dunkerque II qui démarre la même année ne parvient pas à suivre alors qu’un troisième HF de 10,2 m de diamètre est mis en production. Cette constatation aboutit à la décision d’un nouveau doublement de l’usine à 8 millions de tonnes pour le début des années 1970 et la construction d’une quatrième HF de 14 m de diamètre ou d’une capacité de 10 000 t/jour, d’une seconde aciérie à l’oxygène avec une coulée continue. Dans un tel contexte, Fos est lancée fin 1969 début 1969. Il est vrai qu’entre 1968 et 1970, la demande intérieure explose de 14,7 à 19,2 Mt. Sur ces 4,5 Mt, 2,6 concernent les produits plats. Les prix montent fortement en France, ils doublent à la grande exportation68.
41Une société est créée pour porter le projet de cette nouvelle usine, la Solmer, fililale de la Sollac. L’objectif est de construire un nouveau TAB pouvant atteindre 3 Mt/an en 1975 avec une perspective de 6Mt/ en 1980. Il s’agit aussi de répondre à des objectifs d’aménagement du territoire et de rééquilibrage entre le Nord et le Sud de la France. Dans un premier temps, le projet prévoit 2 HF, une aciérie et un TAB mais il n’est pas prévu de coulée continue. L’importance des investissements et des besoins de financement pour le projet Solmer aboutit rapidement à tarir les projets de modernisations des autres usines du groupe en particulier dans l’Est et dans les produits longs.
42De son côté Usinor se bat pour empêcher le lancement du projet de Fos alors que l’entreprise est investie dans le démarrage et la croissance de Dunkerque. En décembre 1969, pour la première fois, le projet Fos est évoqué au conseil d’administration d’Usinor. De toute évidence, les nordistes ne voient pas d’un bon œil cet investissement. Ils demandent aux pouvoirs publics que ce projet soit soumis à leur accord en cas de participation étrangère et qu’en cas d’octroi de prêts à Solmer, Usinor bénéficie de sommes équivalentes pour ses propres projets. La constitution de Solmer est annoncée officiellement en novembre 1970.
43Comment le groupe de Wendel-Sidelor pense parvenir à monter son investissement ? Il est prévu que la restructuration des plus vieilles installations dégage 28 % du financement nécessaire à Fos à quoi doivent s’ajouter des prêts de l’État, les flux engendrés par les premiers bénéfices de Solmer et des emprunts émis sur le marché des capitaux. Par la suite, les bénéfices engrangés par la nouvelle unité devaient permettre d’assurer l’essentiel des besoins en financement. Malheureusement, un ralentissement de la demande mondiale se produit en 1970 et se poursuit en 1971, ce qui inquiète les dirigeants de l’entreprise et les pouvoirs publics. Il est vrai qu’en 1971, de Wendel-Sidelor affiche des résultats nuls alors même que le chantier de Fos s’ouvre en octobre69.
44Rapidement la charge devient trop lourde pour l’entreprise qui se tourne vers les pouvoirs publics. Eux-mêmes cherchent une solution et contactent rapidement Usinor qui après avoir refusé accepte en 1971. Tout semble résolu. C’est sans compter sur le retournement de la conjoncture produit par la crise de 1973 et le choc pétrolier qui rebattent les cartes et plongent les deux groupes dans une grave crise.
III. Quand la crise révèle les fragilités des groupes Usinor et de Wendel
45Le début des années 1970 constitue une période euphorique pour la sidérurgie française. La croissance et les résultats sont extraordinaires. De nouvelles installations sont prêts ou ont déjà démarré. Les problèmes sociaux engendrés par les événements de mai 1968 semblent digérés. Pourtant, le réveil est brutal dès la fin 1974 à la fois pour le groupe de Wendel et pour Usinor. C’est le début d’une succession de restructurations qui aboutissent au milieu des années 1980 à la fusion et à la nationalisation des deux groupes.
1. L’embellie avant la chute
46La demande d’acier repart en 1972. En France, le niveau de 1970 est rapidement atteint et la croissance se poursuit à grande vitesse jusqu’en 1974. Le marché atteint 27 Mt cette année-là. Par ailleurs les prix sont multipliés par 2,77. C’est Usinor qui bénéfice le plus de cette envolée70. D’autant que le projet Dunkerque II entre en activité avec la seconde aciérie qui démarre en 1972 et le quatrième HF en 1973. De ce point de vue, le choix précoce des investissements dans Dunkerque se révèle très judicieux par comparaison avec le retard pris en la matière par les dirigeants du groupe lorrain. Le plus dur semble passé. Reste pourtant à assurer la pérennité de l’investissement à Fos tant du point de vue financier que du point de vue industriel.
47Il s’agit selon le plan établit par le PDG de Wendel-Sidelor, Louis Dherse de trouver des partenaires pour la Solmer71. Très vite eux-mêmes contactent Usinor pour venir en aide à son concurrent d’abord par un soutien financier combiné avec une autorisation d’utilisation des nouvelles installations. Dans une première phase, Usinor refuse, mais la pression augmente. Début 1970, probablement en février, Paul Aussure va voir Jean-Yves Haberer à la direction du Trésor à propos du financement de la cokerie de Dunkerque III. J.-Y. Haberer lui demande si Usinor serait éventuellement intéressée par une prise de participation dans Fos. Le directeur général adjoint d’Usinor lui aurait répondu : « Pourquoi pas ?72 » En novembre, la Sollac propose à Usinor la possibilité d’utiliser 20 % des produits à chaud de Fos73. Après avoir refusé, elle accepte en 1971 sous la pression d’intervenir dans Fos-sur-Mer. Le conseil d’administration de juillet 1972 précise que des contacts avec Sollac ont commencé à la demande des pouvoirs publics74.
48Usinor pose ses conditions. Solmer devra devenir une coopérative qui regroupera à égalité de poids et de responsabilités Usinor et Sollac, à charge pour les deux de commercialiser les produits de Solmer. La coopérative pourra accueillir d’autres partenaires européens. Enfin, l’entrée d’Usinor ne doit pas remettre en cause le doublement de Dunkerque et la construction à proximité de l’usine de Mardyck avec son TAB à froid. Bref, Si l’entreprise nordiste accepte de rentrer dans Solmer, cela doit être fait sans charges supplémentaires. Bref, puisque les pouvoirs publics ont sollicité Usinor c’est à eux de trouver une solution de financement.
49L’accord entre Usinor et Sollac est conclu en octobre 197275. La négociation se solde par une prise de participation de 20 %. Loin d’améliorer les choses, cela les complique rapidement car l’entreprise aux prises avec le lancement de Dunkerque III est dans une situation délicate. Comme suggéré, les pouvoirs publics proposent un soutien. Le 17 février 1973, le ministre de l’économie et des finances présente le montage financier destiné à couvrir les 7,7 milliards de francs nécessaire76. Un effort est demandé aux partenaires privés via des augmentations de capital et des avances financières. Ils devront augmenter l’endettement en recourant aux services du GIS et des banques. Enfin, l’État, via le FDES et la caisse des dépôts et consignations accordera un prêt.
50En définitive, le montage financier s’organise de la façon suivante. Les 7,7 milliards sont couverts à hauteur de 2,3 milliards par des fonds propres, soit 29,9 % du total : 800 millions par Usinor (10,4 %) et par Sollac (10,4 %), soit 1,6 milliard, 200 millions par Sollac qui paie la cokerie Marcoke (2,5 %), 500 millions par les banques (6,5 %) relayées après 6 ou 7 ans par Usinor ou Sollac. Pour sa participation de 800 millions, Usinor bénéficie d’un prêt de 400 millions par le FDES (5 %). Elle doit verser 400 millions en fonds propres sur 3 ans. En mai 1973, le Crédit national accorde un nouveau prêt de 400 millions, payable en 2 fois en mars et au second semestre. Usinor entre dans le capital de Solmer lors d’une augmentation de 195 millions et de 25 millions dans celui de Sidfos77. La seconde tranche de 200 millions est versée en septembre 1973 pour couvrir les 195 millions. À la fin de l’année, le capital de Solmer atteint 750 millions de francs. Il faut noter que près de 800 millions doivent aussi provenir des rentrées financières engendrées par les premières ventes de produits issus de Solmer. Les partenaires sont satisfaits de cette solution est envisagent de lancer la seconde tranche afin d’atteindre 7 Mt/an gage de rentabilité de l’investissement78. Il faut signaler, en 1973, la fusion entre l’entreprise Sacilor, créée en 1964 lors du lancement de l’usine de Grandrange (Moselle) et le groupe de Wendel-Sidelor. L’ensemble prend le nom de Sacilor.
51Pourtant, très vite l’endettement d’Usinor augmente. Fin 1970, il atteint 44 % du chiffre d’affaires, fin 1971, 56 %, fin 1972, 75 %. Cela reste convenable pour la direction qui a prévu pour fin 1973, un ratio de 76 %, pour fin 1974, 70 %, et pour fin 1975, 60 %. En réalité il est déjà de 86 % fin 1973 soit 1 397 millions de francs79. Usinor voit donc cette source de financement à moyen et long terme se tarir. Par ailleurs, depuis 1972, Usinor a nettement plus emprunté que durant les années précédentes. En 1971, on passe à 110 millions, pour atteindre 465 en 1972, 310 en 1973 et 207 en 1974. Le maximum est atteint en 1975 où Usinor recourt au GIS pour 627 millions de francs80. L’entreprise a peu de marges car les travaux des usines de Dunkerque, de Mardyck et de Fos-sur-Mer ne peuvent être ralentis. Ce sont les autres investissements dans les autres usines qui seront adaptés.
52Malgré quelques problèmes techniques et sociaux, les travaux de la première tranche de 3,5 Mt avancent rapidement. En octobre 1973, le slabbing est mis en marche. Fin novembre, le train à bandes est lancé81. Le premier HF en avril 1974. L’euphorie est de courte durée. Dès septembre, la demande plonge brusquement. C’est le début d’une longue période de crise.
53En février 1975, la situation devient préoccupante. Elle pousse la direction d’Usinor à ralentir l’activité. D’octobre 1975 à septembre-novembre 1976, il y a une légère reprise. Mais en novembre, le conseil d’administration considère que « la situation est catastrophique, en particulier en ce qui concerne les produits longs et les plaques82 ». Les baisses de commandes varient de - 40 % et - 60 % par rapport à 1974 ! Les stocks augmentent de façon importante. En 1975, la société détient 2 millions de tonnes de produits en stocks. Ceci accentue ses difficultés de financement, en particulier son besoin en fonds de roulement. En décembre 1976, pour la première fois, la direction parle de crise.
54Au début des années 1970, la concurrence et les tensions entre le groupe nordiste et le groupe lorrain vont trouver un nouveau terrain. Au printemps 1974, Un combat acharné va opposer Usinor et de Wendel – appelé dorénavant Compagnie lorraine et financière (CLIF) – pour le contrôle du premier fabricant d’acier spéciaux en France : Creusot-Loire. Pour Usinor, il s’agit d’élargir sa gamme de produits mais c’est aussi un moyen de bloquer la domination qui se dessine du groupe lorrain. Pour de Wendel, prendre le contrôle de Creusot-Loire, c’est pouvoir mettre en place un groupe intégré depuis les Mines jusqu’aux produits finis, notamment via un contrôle du marché de l’emballage. Entre les deux options, les pouvoirs publics retiennent plutôt la solution Usinor dont la solidité financière et industrielle semble plus forte. Mais afin de préserver un équilibre, ils proposent à la CLIF de prendre le contrôle de l’entreprise Marine-Firminy, spécialisée dans les aciers pour chantiers navals et les grosses tôles et la forge. L’entreprise prend le nom de Marine-Wendel en mars 197583. L’enjeu de toutes ces manœuvres tactiques va bientôt être balayé par la crise. La Lorraine est particulièrement touchée84. Le Nord ne sera pas épargné. Il s’agit de sauver le secteur.
2. Restructurations et Nationalisation : le regroupement des frères ennemis
55Dans un premier temps, la direction d’Usinor analyse le retournement comme une nouvelle manifestation des cycles qui ponctuent régulièrement l’activité du secteur85. Il est vrai que durant un temps, les prix de l’acier continuent de monter. Rapidement pourtant, la situation se dégrade et fin 1975, la société est en perte pour la première fois depuis sa création en 194886. Des réévaluations comptables d’usines et d’installations permettent de présenter un bilan relativement satisfaisant mais les questions de fonds demeurent87. Une première série de fermetures d’unités ou d’usines est évoquée mais elle est repoussée d’un an. En revanche, en novembre 1976, la société ne parvient à couvrir qu’un tiers de ses charges financières, alors même que le plan de redressement prévoyait d’en payer seulement la moitié88. Devant la persistance des problèmes un vague de restructuration est décidée. L’analyse qui est menée est que le secteur des produits plats est confronté à des difficultés conjoncturelles alors que celles des produits longs sont structurelles. Des fermetures sont décidées (laminoirs de Louvroil, trains finisseurs de Thionville). Des discussions sont entamées avec la compagnie Chiers-Châtillon afin de rationaliser les activités de tréfileries. Ce sont près de 1 500 postes de travail qui sont supprimés. Avant même que ce plan soit mis en œuvre, l’entreprise est en cessation de paiement : en janvier 1977, Usinor ne parvient plus à payer ses engament financiers. Un virage stratégique est pris dans la politique d’investissement. L’objectif est dorénavant « d’améliorer l’efficacité des installations et non d’augmenter la capacité89 ». Après avoir temporisé en matière de licenciement et de fermetures, l’entreprise n’a plus d’autres choix.
56Du côté de Sacilor-Sollac la situation est aussi catastrophique. De 1975 à 1977, l’entreprise a cumulé 1,164 milliard de pertes d’exploitation, 3,85 milliards de charges financières non couvertes Si les produits plats permettent de limiter les dégâts, les produits longs grèvent les possibilités d’amélioration de la situation. Cela tient à la stagnation de la demande intérieure et au déstockage massif que les « marchands de fer », intermédiaire entre les producteurs et les consommateurs effectuent afin de maintenir leurs ventes. Plus engagée dans ce marché, Sacilor est naturellement plus touchée. Au niveau national, les trains à fil et à fers marchands ne fonctionnent qu’entre 55 % et 60 % de leurs capacités90. La difficulté pour l’entreprise est qu’elle dispose d’équipements modernes intégrés dans des usines anciennes. Lorsque la direction annonce des restructurations et des fermetures de ce type d’unités modernes, c’est l’incompréhension et la colère91.
57Après avoir maintenu ses effectifs, en partie sous la pression du gouvernement Barre qui craignant de perdre les élections législatives de 1978, l’entreprise est maintenant obligée elle aussi à engager un plan de fermetures et de licenciements.
58Certes, les sociétés ont cherché à bénéficier de la meilleure tenue des prix à l’exportation, mais la solution se révèle pire que le problème car tous les sidérurgistes en proposant leurs produits sur les marchés européens ou mondiaux contribuent à faire baisser les prix. Bref, la situation est bloquée. C’est dans ce contexte que l’État français et les institutions européens décident d’intervenir92.
59Le 24 février 1977, le ministre du Travail et le ministre de l’Industrie envoient conjointement une lettre à toutes les sociétés sidérurgiques posant les bases industrielles et sociales du Plan acier de 1977. Elles sont élaborées par trois experts : MM. Hugues de l’Estoile, directeur général de l’Industrie, Pierre Cheix, délégué général à l’Emploi et Jacques de la Rosière, directeur général du Trésor. Les discussions autour du futur plan ont lieu en mars. Elles préconisent des mesures temporaires pour les problèmes des produits plats, jugés conjoncturels, et des mesures structurelles pour les produits longs. L’État se transforme en bailleur de fonds. En 1977 et 1978, 1 milliard de francs sont prêtés dans le cadre de ce plan93. La question de la sidérurgie est suffisamment grave pour être abordée au Conseil des ministres le 15 août 1977. Le relais est pris par la Communauté européenne. En mai 1977, le Plan Davignon est mis en œuvre. Il s’appuie sur l’article 61 du traité. Ce plan se donne deux objectifs principaux. D’une part, l’instauration de quotas de production afin de permettre une stabilisation des prix et un rétablissement de la situation financière des sociétés sidérurgiques européennes. D’autre part, il cherche à organiser à plus long terme une restructuration et un début de spécialisation industrielle à l’échelle européenne94.
60Cette intervention est bien reçue par les entreprises françaises. Depuis 1975, la sidérurgie française a été la première à réclamer à la Commission des Communautés européennes la déclaration de l’état de crise manifeste95. Elle est soutenue par la sidérurgie belge. Face aux demandes françaises d’une instauration de prix minimaux, les Allemands et les Luxembourgeois animent le front du refus en se montrant réticents à la mise en place d’un contrôle des prix et à une mise en sommeil de la concurrence à travers des contingentements96.
61Les restructurations retenues en définitive sont plus dures que celles qui avaient été envisagées initialement. Le Plan acier de 1977 impose l’arrêt ou la fermeture de plusieurs unités ou usines (Louvroil, Thionville, Trith-Saint-Léger). Ce sont 3 700 personnes qui sont touchées. Pour plusieurs mois, ces perspectives créent dans les bassins d’emploi des réactions très violentes de la part des salariés, de leurs représentants mais aussi de l’ensemble de la population locale97. Face à l’ampleur et à la violence de la contestation sociale, une solution doit rapidement être élaborée, d’autant que les législatives de 1978 se profilent au loin.
62La solution des départs en préretraite utilisée dans le plan de 1966 est à nouveau envisagée pour les salariés de 59 ans dans toutes les usines et 56 ans et 8 mois pour ceux des bassins d’emploi touchés. Il faut permettre la mutation des salariés de Louvroil et Thionville vers les postes de travail ainsi dégagés. La direction annonce qu’elle devra néanmoins licencier. Enfin, on propose de faire partir le personnel supérieur – ingénieurs et cadres – dès 63 ans. Les négociations aboutissent à la signature de la Convention générale de protection sociale de la sidérurgie (CGPS) le 3 juin 1977. Elle prévoit le départ en préretraite de tous les salariés âgés de 60 ans. Les salariés de 56 ans et 8 mois des usines ou des bassins d’emploi victimes des restructurations quittent Usinor en cessation anticipée d’activité (CAA98). Du côté d’Usinor, cette convention permet de affaire baisser le personnel d’environ 5 000 personnes en 1977. Mais toutes les entreprises du secteur bénéficient de la convention. Si une solution paraît avoir été trouvée pour la question sociale, les problèmes financiers demeurent. Usinor demande une nouvelle aide. La réponse va être brutale : il s’agit d’une prise de pouvoir des créanciers privés et publics qui restructurent et changent les directions des groupes. L’opération s’effectue via une prise de contrôle des sociétés mères des groupes industriels : CLIF pour Sacilor, DNEL pour Usinor99. Elle impose aussi des restructurations industrielles.
63Le 9 janvier 1978, deux protocoles financiers sont signés entre l’État, le GIS, et Usinor pour le premier, entre l’État, DNEL et Usinor pour le second. Ils constatent tous deux qu’il manque 1,1 milliard pour couvrir la trésorerie des quatre premiers mois. La solution envisagée un temps passe par des cessions de participations et d’actifs. À Fos, la société allemande Thyssen, qui devait lever son option de 5 % à 20 % du capital de Solmer-Fos, annonce son retrait et demande à Usinor et Sollac de racheter cette participation. La situation est grave. En mai 1978, la direction affirme pour la première fois qu’une solution ne peut plus passer par un nouvel endettement. Elle accuse l’État. Par le blocage des prix qu’il a imposé dans les années 1950 et 1960, puis par l’obligation faite à Usinor de rentrer dans Fos, il est largement responsable de cette situation100. Du coup, à ses yeux, c’est à lui de faire l’effort101. Le 29 juin, la direction affirme que les pouvoirs publics sont prêts à trouver une solution. Elle est pourtant dans l’expectative. Des discussions sont menées entre créanciers privés et publics mais les entreprises n’y sont pas invitées. En fait, ces délais proviennent en grande partie des conditions posées par les banques et l’État à la restructuration financière. Le gouvernement veut éviter la nationalisation des sociétés sidérurgiques, mais cherche néanmoins à accentuer son contrôle sur le secteur et ses investissements.
64Les négociations se poursuivent tout l’été entre les créanciers. Le 20 septembre René Monory, ministre de l’Économie, et André Giraud, ministre de l’Industrie, tiennent une conférence de presse commune où ils rendent public le contenu du protocole signé entre les créanciers durant le mois de septembre. L’accord traite conjointement les trois sociétés Usinor, Sacilor et Châtillon-Neuves-Maisons (CNM). Il comporte deux objectifs : reconstituer un minimum de fonds propres et réduire les frais financiers. La solution retenue préconise d’une part une recapitalisation des sociétés sidérurgiques et d’autre part un aménagement des échéances financières, passant en particulier par une conversion de la dette en fonds assimilables à des fonds propres.
65L’actionnariat d’Usinor se trouve profondément modifié par cette opération. La société financière – Société financière Usinor-Châtillon ou SFUC – détient dorénavant 67 % du capital d’Usinor. Les actionnaires traditionnels ne disposent plus que de 33 %. La société mère DNEL ne représente plus que 20 %. Pour la première fois, les « créanciers-financiers » sont majoritaires dans le capital de la société. Deuxième étape du plan, aménager les charges financières d’Usinor. On peut parler à cet égard d’un quasi moratoire102. Il s’agit de modifier les échéances et les annuités de remboursement. Pour cela, on transforme les prêts accordés à la société en distinguant différentes catégories. La restructuration financière est presque conclue. De fait, via une société financière, c’est bien à une nationalisation que l’État vient de procéder en transformant ses créances en prise de participation au capital des entreprises sidérurgiques via le contrôle de plusieurs holdings.
66En 1979, une convention signée entre Usinor, le GIS et la Société de gestion d’emprunts collectifs de la sidérurgie (GECS) organisera la substitution du GECS à Usinor pour le remboursement des emprunts d’Usinor au GIS. La Caisse d’amortissement pour l’acier avance au GECS les sommes dues au GIS103. Cette opération se double d’une fusion entre la société Usinor et la société Châtillon-Neuves-Maisons contrôlée par la banque Paribas qui, à l’époque, cherche à se désengager de la sidérurgie. La restructuration d’Usinor se construit en partie autour de cette opération.
67Un montage du même type est opéré avec Sacilor qui regroupera les activités sidérurgiques et minières de la famille de Wendel. De son côté, Sacilor-Sollac est rapproché avec la société Métallurgique de Normandie qui possède une usine à Caen. Dans le cas de Sacilor, la société financière détient 6 % du holding et directement 23,2 % de Sacilor, soit 53,7 % de Sacilor104.
68Cette prise de contrôle aboutit fin 1978 à un changement de direction chez Usinor. Les anciens dirigeants sont remplacés. Ceux-ci mettent en place une nouvelle organisation par divisions/produits. Ils installent de nouvelles méthodes de management (comptabilité par les coûts et budgétisation, méthode de prévision construite avec les clients105). Toutefois, la question de la coordination des deux groupes commence à se poser dès cette époque. Tous deux disposent des mêmes propriétaires, des mêmes banques. Rapidement la poursuite de la crise va imposer de nouvelles restructurations, en particulier dans les produits longs. Pour la première fois, le cœur historique d’Usinor et de Sacilor est touché. L’objectif est de faire monter les taux de marche des installations et des usines les plus récentes. Denain, Longwy et de nombreuses installations lorraines sont fermées, entrainant une succession de mouvements sociaux extrêmement violents. Entre 1979 et 1980, près de 9 700 personnes quittent Usinor. De même chez Sacilor, entre 1976 et 1980, 20 000 salariés doivent partir. Même si la CGPS atténue les problèmes, la tension sociale est forte.
69L’arrivée de la gauche au pouvoir et d’une nouvelle direction accentue encore la pression pour restructurer. Le gouvernement de François Mitterrand nationalise cette fois-ci officiellement les entreprises sidérurgiques et change à nouveau les directions. Mais la crise persiste et les fermetures sont poursuivies dès 1982. Un prolongement des aides financières doit être organisé. Un des points d’achoppement entre Usinor et Sacilor concerne la coordination des investissements et de la marche des installations de produits plats. Ainsi en mars 1983, le nouveau PDG du groupe, Raymond Lévy se plaint au ministre Jean-Pierre Chevènement de l’insuffisante pression de l’État sur Sacilor-Sollac, en particulier lorsqu’il s’agit d’investir dans de nouvelles installations pour produits plats. Il reproche à son homologue chez Sacilor, Claude Dollé de vouloir préserver son indépendance au détriment de l’intérêt national. Il est partiellement entendu mais uniquement pour les produits longs ou spéciaux. Une filiale commune, Unimétal, est créée début 1984 dans le premier cas. Suit bientôt Ascométal pour les produits plats spéciaux. C’est une première étape vers la fin d’un des champs de concurrence entre Usinor et le groupe de Wendel.
70Paradoxalement, la continuation des problèmes financiers des deux sociétés n’est pas uniquement liée au contexte économique. Elle résulte aussi des restructurations lancée en 1978 puis poursuivies depuis. À titre d’exemple, Usinor est chargé de construire via une diversification un groupe intégré depuis les mines jusqu’au utilisateur d’aciers (chantiers navals, métallurgie). Il s’agit de construire une stratégie de filière qui semble être à l’origine de la réussit des sidérurgiques allemands ou japonais. Alors que la situation semblait pouvoir s’améliorer, Usinor est contraint de soutenir des entreprises en grande difficulté financière comme les chantiers navals.
71De son côté Sacilor a aussi des difficultés. Une des spécificités du groupe est un manque de cohérence encore plus marqué qu’au sein d’Usinor106. En dehors de la Sollac, Sacilor doit aussi poursuivre ses efforts de restructuration.
72En 1986, face à la pression financières et industrielles en France et à l’étranger, Usinor et Sacilor sont regroupées dans une seule et même holding (U+S). C’est près de 95 % de la sidérurgie nationale qui relèvent d’une même entreprise. Sa réussite souligne le caractère visionnaire des dirigeants d’Usinor lorsqu’ils décidèrent d’investir massivement dans le TAB. Dès 1988, U+S est organisé autour de 4 divisions : produits plats (42 % du chiffre d’affaires), produits longs (19 %), aciers spéciaux (15 %) et métallurgie-transformation (12 %). Ce rapprochement marque la fin de plusieurs décennies de concurrence acharnée entre Usinor et le groupe de Wendel. Il est marqué par la marginalisation de ce dernier. Dorénavant, l’essentiel des actifs de la famille seront en dehors du secteur. Peu s’en est fallu que l’entreprise de Wendel disparaisse en entrainant dans sa chute Usinor. Si dans les années 1950, le lancement des premiers TAB était pleinement justifié, l’accroissement spectaculaire et concomitant de la capacité de production de Dunkerque avec le lancement de Fos-sur-Mer a sans doute failli constituer la décision de trop à la fin des années 1960. En quelques années se sont près de 8 millions d’aciers qui devaient trouver preneurs sur le marché national, soit une augmentation de 25 % ! Ce qui aurait pu constituer un risque majeur de déstabilisation dans un marché en bonne santé, c’est révélé catastrophique lorsque la France a été touchée par la crise de 1973-1974. Seule l’intervention des pouvoirs publics a pu sauver ce secteur. Bref, de tonique la lutte concurrentielle a failli devenir mortelle.
Notes de bas de page
1 Pour plus d’éléments sur Usinor, se reporter à Éric Godelier, Usinor-Arcelor. Du local au global, Paris, Hermes, 2006.
2 Françoise Berger, « Les sidérurgistes français et allemands face à l’Europe : convergences et divergences de conception et d’intérêts (1932-1952) », Journal of European Integration History, no 2, 1997, p. 35-52, p. 45
3 Pour une étude plus complète, se reporter à Philippe Mioche, La sidérurgie et l’État en France des années quarante aux années soixante, doctorat d’État, université Paris IV, 1992, p. 558 et s.
4 Philippe Mioche, « La reconstruction de la sidérurgie européenne, 1945-1949 : sérénité pour les uns, nouveau départ pour les autres », Histoire économie et société, 1999, no 2, p. 397-411. Comme le constate l’auteur, la CSSF parviendra dès 1949 à atteindre tous ses objectifs.
5 Éric Godelier, Usinor-Arcelor, op. cit., p. 37.
6 François Sermier, Les investissements dans la sidérurgie française, 1919-1977, doctorat de 3e cycle, université Paris X-Nanterre, 1981, p. 29.
7 Ingvar Svennilson dans François Sermier, op. cit., p. 10.
8 Matthias Kipping, L’amélioration de la compétitivité de l’industrie française et les origines du Plan Schuman, DEA, EHESS, 1992, p. 19.
9 Michel Freyssenet et Catherine Omnes, La crise de la sidérurgie française, Paris, Hatier, 1984, p. 25.
10 En 1938, la sidérurgie lorraine représentait 67 % de la production nationale d’acier, celle du Nord 19 %.
11 Philippe Mioche, op. cit., p. 590. En fait, le dossier du TAB de Denain proposé par Usinor est déjà prêt depuis février 1946. Il s’agit de contrer un investissement de même type initié par Renault via sa filiale sidérurgique, la Safe.
12 Matthias Kipping, L’amélioration…, op. cit., p. 26. On peut lire aussi cette déclaration à un autre niveau. De toute évidence, la sidérurgie lorraine a été dépassée par celle du Nord dans l’affaire des trains à bandes (entretien Paul Aussure, 15 octobre 1992).
13 Matthias Kipping, « Competing for dollars and technology : the United States and the modernization of the French and German steel industries after World War II », Business and Economic History, volume 33, no 1/1994, p. 23.
14 Jean-Noël Jeanneney, L’argent et le Pouvoir. François de Wendel en République, Paris, Perrin, réed., 2004, p. 20.
15 Ibid., p. 57 et 72.
16 Ibid., p. 602.
17 Ibid., p. 612.
18 Michel Freyssenet, La sidérurgie française. Histoire d’une faillite. 1945-1979, Paris, Savelli, 1979, p. 21.
19 Jean-Marie Moine, « Une aristocratie industrielle : les maîtres de forges en Lorraine », Romantisme, 1990, no 70, p. 69-79, p. 74-76.
20 On note une mention de la création dans le conseil d’Usinor du 21 janvier 1949. Archives Usinor.
21 François Sermier, op. cit., p. 30-31.
22 Polytechnicien et ingénieur des Ponts et Chaussées, de nombreux témoins soulignent la qualité et la rigueur de sa gestion dans une structure somme toute complexe à piloter compte tenu des multiples participants. Il faut souligner que les décisions y sont prises à l’unanimité ou après arbitrage, voir Philippe Mioche et Jacques Roux, Henri Malcor, un héritier des maîtres de forges, Paris, Éditions du CNRS, 1988, p. 209, 297 et 329 ou entretien avec Paul Aussure, 15 octobre 1992.
23 Afin de contrebalancer cet avantage, Usinor investira en 1956 dans un second TAB à froid installé à Montataire afin de mieux répondre aux besoins de l’automobile. Mais dans un second temps, elle retiendra un train de 80“(2m3) pour Dunkerque. Voir plus bas
24 Marmichpont est le nom du regroupement de certaines activités sidérurgiques des sociétés Marine, Micheville et Pont-à-Mousson.
25 Entretien Paul Aussure, déjà cité, 21 octobre 1992.
26 Je remercie Matthias Kipping pour ces précisions.
27 Jean Latourte est ingénieur des Mines (1910-1976). Après avoir été secrétaire général du Comité d’organisation de la sidérurgie (Corsid) durant la guerre, il devient rapporteur à la commission de modernisation de la sidérurgie au commissariat général au Plan. Il s’occupe de la sidérurgie du Centre. En même temps, il entre à la société Schneider. R. Martin est son adjoint. Il est chargé de la sidérurgie lourde du Nord et de l’Est. Roger Martin, Patron de droit divin, Paris, Gallimard, 1984, p. 38 et 55.
28 Il n’est pas sûr que ces personnes aient eu un rôle aussi actif dans le choix des dirigeants lorrains. D’autre part, ils ne pouvaient connaître mais seulement anticiper la forte croissance du marché car celle-ci n’est réelle qu’après 1950, date où le projet Sollac est déjà décidé.
29 Denis Woronoff, François de Wendel, Paris, Presses de Sciences Po, Coll. « Références », 2001.
30 Jean-Noël Jeanneney, Idib., p. 607 et 609.
31 Philippe Mioche, La sidérurgie et l’État, op. cit., p. 634.
32 Michel Rossignol, inspecteur au Crédit lyonnais, 23 septembre 1953. Archives du Crédit lyonnais, DEEF 50706.
33 Richard Kuisel, Seducing the French. The dilemma of Americanization, Berkeley, University of California Press, 1991.
34 Un des enjeux de l’après-guerre sera pour les entreprises de pouvoir exporter afin de bénéficier des prix plus importants.
35 Éric Godelier, op. cit., p. 98.
36 Francoise Berger, art. cit., p. 22.
37 François Sermier, Les investissements…, op. cit., p. 32.
38 Paul Aussure, entretien cité, 15 octobre 1992.
39 Il semble qu’à l’origine Usinor ait participé à cette opération pour la surveiller plutôt que pour en être réellement le meneur. Paul Aussure, entretien cité, 15 octobre 1992.
40 Entretien Mme Jacqueline Damien, fille de R. Damiens, 3 octobre 1996.
41 « Usinor 1960-1970 », Archives Crédit lyonnais, DEEF 62578, Chemise 9767/24.
42 Le projet initial prévoit 6 HF.
43 Entretien Jean Lerebours-Pigeonnière : « Dans les années 1960, l’évolution de la technologie a amené les sidérurgistes à se pencher sur le minerai d’outre-mer et la création de Dunkerque. Mais il faut aussi souligner la participation dans Miferma (Mines de fer de Mauritanie). […] Il y a eu des ruptures technologiques : l’utilisation en grand des agglomérés ; la technique de la conversion à l’oxygène a entraîné des progrès considérables en qualité et en productivité. », 12 novembre 1992.
44 AGO du 21 mai 1959. Archives Usinor.
45 Lettre de Wilfrid Baumgartner au ministre de l’Industrie du 3 juillet 1961, AN, IND. 830563, art. no 11.
46 Même si entre 1956 et 1958, l’essentiel des sommes empruntées sont destinés aux usines de Denain, Valenciennes et Louvroil, cf. É. Godelier, op. cit., p. 111.
47 La largeur de l’installation est passée à 4,3 mètres au lieu des 3,6 mètres prévus initialement.
48 Ce train comprend 12 cages, 5 cages dégrossisseuses et 7 cages finisseuses. C’est à l’époque le plus puissant au monde avec celui de la Great Lakes Steel Corporation à Détroit (États-Unis).
49 François Meyssonnier, « Le calcul des coût de revient dans la sidérurgie : de la Seconde Guerre mondiale à la nationalisation », 21e congrès de l’AFC, 2000, p. 5. Voir aussi Éric Godelier, op. cit., p. 264, 265.
50 Michel Freyssenet, La sidérurgie française.., op. cit., p. 49.
51 Philippe Mioche et Jacques Roux, H. Malcor, op. cit., p. 329.
52 Georges Ricard, Marseille-sur-Fos ou la conquête de l’Ouest, Histoire du commerce et d’industrie de Marseille, xixe-xxe siècles, tome III, Marseille, Chambre de commerce et d’industrie de Marseille, 1989.
53 Société créée en septembre 1883.
54 Société créée en juillet 1882.
55 Catherine Omnès, De l’atelier au groupe industriel…, op. cit., p. 294.
56 Philippe Mioche et Jacques Roux, H. Malcor, op. cit., p. 316.
57 Paul Laffont, « Les entreprises sidérurgiques depuis cinq ans », Économie et statistiques, octobre 1971, p. 44-45.
58 Michel Freyssenet, op. cit., p. 29.
59 Rapport de l’AGE du 17 novembre 1966. Archives Usinor.
60 Michel Debré, Gouverner autrement, 1962-1970, mémoires, Paris, Albin Michel, 1993, p. 97 et 99.
61 Il semble pourtant que ces deux sociétés avaient déjà des accords informels depuis longtemps : « Depuis 1947, le seul point sur lequel la Lorraine et le Nord étaient d’accord, c’était l’entente sur la fourniture de tôles automobiles. C’est une entente qui se discute dans l’ombre et qui n’a jamais failli. La preuve même c’est que dans les derniers temps avant la réunion Usinor-Sacilor les contacts avec l’industrie automobile étaient négociés pour un compte commun par le commerçant d’Usinor. » (Entretien Paul Aussure, déjà cité, 21 octobre 1992). Dès 1961, Usinor plaide pour une meilleure coordination des investissements dans les produits plats en relation avec les capacités d’absorption du marché, Rapport d’AGO du 12 mai 1961.
62 Pour mémoire, l’accord prévoit d’autres objectifs à propos des produits longs ou des aciers spéciaux. Pour plus de détails voir Éric Godelier, op. cit., p. 285.
63 Soit 750 000 tonnes de capacité.
64 Soit une capacité de 1 490 000 tonnes.
65 Soit une capacité de 750 000 tonnes.
66 Cet objectif est intégré dans un avenant au Plan professionnel signé le 4 juin 1969, AN, IND. 850232, art. n° 3 et conseils d’administration de 1967 et 1968. Archives Usinor.
67 Éric Godelier, op. cit., p. 292.
68 Michel Freyssenet, op. cit, p. 88.
69 Michel Freyssenet, op. cit., p. 93.
70 Éric Godelier, op. cit., p. 331.
71 Entretien Paul Aussure, déjà cité, 21 octobre 1992.
72 Compte rendu d’un entretien avec J. Hüe de la Colombe, 24 février 1970, AN, IND. 780641, art. no 6.
73 Conseil de novembre 1970. Archives Usinor.
74 Jean-Gustave Padioleau parle du 7 juillet 1972 comme étant la première réunion entre Solmer et Usinor sur une éventuelle prise de participation, Jean-Gustave Padioleau, Quand la France s’enferre, Paris, PUF, 1981, p. 199.
75 Ibid., p. 200.
76 Il y a une dérive importante puisque le premier budget prévoyait 6,1 milliards.
77 Cette société, Sidfos, est une société en nom collectif utilisée comme support juridique permettant le transit de 500 millions provenant des banques. Conseils de mars 1973, du 15 mai 1973 et du 20 septembre 1973. Archives Usinor.
78 Michel Freyssenet, op. cit., p. 94-95.
79 « Réunion du 26 juin 1973 avec Hüe de la Colombe », AN, IND. 780641.
80 AGO des années correspondantes. Archives Usinor.
81 Conseil d’administration d’Usinor, 20 décembre 1972, archives Usinor.
82 Conseils d’administration de l’année 1975 et 1976. Archives Usinor.
83 Michel Freyssenet, op. cit., p. 113.
84 Bernard Sinou, « La Lorraine face à la crise sidérurgique », Économie et Statistique, no 92, septembre 1977, p. 29-36, p. 35.
85 Entretien Jean Lerebours-Pigeonnière, ancien directeur général d’Usinor, 12 novembre 1992.
86 Elle ne retrouvera les bénéfices qu’en 1988 !
87 Éric Godelier, op. cit., p. 336.
88 « Communication de Paul Aussure du 1er février 1972 », AN, IND. 780641, Dossier « Usinor Valenciennes ».
89 AGO du 25 mai 1976. Archives Usinor.
90 Michel Freyssenet, op. cit., p. 117-118.
91 Sacilor n’est pas seule dans cette situation car Usinor a récupéré des équipements dépassés lors de la fusion avec Lorraine-Escaut en 1966. Ceux-ci ont compliqué les problèmes de restructuration.
92 Ce sera le Plan Davignon établit durant l’année 1978. Voir par exemple, Johnathan Aylen and Ruggero Ranieri, eds., Ribbon of Fire. How Europe adopted and developed US Strip Mill technology (1920-2000), Milan, Pendragon. 2012.
93 Benjamin Stora, Crise, puissance, perspectives de la sidérurgie mondiale, Paris, Économica, 1979, p. 139-143.
94 Jacques Ferry parle à ce propos d’une première « politique industrielle » européenne, Philippe Mioche, Jacques Ferry et la sidérurgie française depuis la Seconde Guerre mondiale, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 1993, p. 143.
95 Le prédécesseur du Plan Davignon, le Plan Simonet, avait seulement posé des mesures de limitation des tonnages produits par les sociétés.
96 Benjamin Stora, op. cit., p. 58, 61, 74 et 117.
97 L’Humanité, 31 octobre et 5 novembre 1977.
98 Pour de plus amples détails sur la CGPS, se reporter à É. Godelier, op. cit., p. 341 et s. La CGPS sera renouvelée et étendue plusieurs fois jusqu’au années 1990.
99 CLIF : Compagnie industrielle et financière (qui regroupe essentiellement les actifs de la famille de Wendel) et la société DNEL (Denain-Nord Est Longwy). Cette dernière société contrôlait aussi à l’origine la société Vallourec spécialisée dans la fabrication de tubes.
100 Voir plus haut le débat sur les prix, et aussi Hevé Dumez et Alain Jeunemaître, Diriger l’économie. L’État et les prix en France, 1936-1986, Paris, L’Harmattan, 1989.
101 Conseil d’administration du 11 mai 1978. Archives Usinor.
102 « En 1978, on a pris des mesures qui ressemblent fortement à un moratoire ». Entretien Michel Corde, représentant de la Société générale au conseil d’administration d’Usinor, 3 février 1993.
103 Conseil d’administration du 12 février 1979. Archives Usinor.
104 Michel Freyssenet, op. cit., p. 147.
105 Éric Godelier, op. cit., p. 356 et s.
106 Michel Freyssenet, op. cit., p. 149.
Auteur
École Polytechnique
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les sans-culottes marseillais
Le mouvement sectionnaire du jacobinisme au fédéralisme 1791-1793
Michel Vovelle
2009
Le don et le contre-don
Usages et ambiguités d'un paradigme anthropologique aux époques médiévale et moderne
Lucien Faggion et Laure Verdon (dir.)
2010
Identités juives et chrétiennes
France méridionale XIVe-XIXe siècle
Gabriel Audisio, Régis Bertrand, Madeleine Ferrières et al. (dir.)
2003
Des hommes à l'origine de l’Europe
Biographies des membres de la Haute Autorité de la CECA
Mauve Carbonell
2008