Remarques préliminaires
p. 51-52
Texte intégral
1Il ne semble pas, quand on considère les premiers monuments de notre littérature versifiée, que celle-ci soit appelée à un magnifique avenir. On n’y voit que des syllabes péniblement assemblées, coupées par une césure et par une rime, ou plutôt par un embryon de rime, et dont l’intérêt esthétique est manifestement très mince. La forme en est étriquée, pesante et sans ampleur. Les vers, de maigres octosyllabes, y sont groupés en strophes, mais ces strophes ne révèlent aucune habileté. On sent que l’ouvrier, encore peu capable d’initiative, est à peine sorti d’apprentissage, et qu’il se borne à suivre docilement les modèles que lui offrent ses maîtres latins. Il hésite sur la solution des problèmes qui lui sont proposés, risque à peine quelques césures épiques ou quelques rimes féminines, sans doute parce qu’il n’est pas absolument sûr de l’accueil que ces nouveautés rencontreront. Tout démontre son inexpérience. Pourtant le grand fait s’est accompli, et désormais le vers français est créé. Si peu hardis qu’aient été les auteurs de la Passion et de Saint Léger, ils ont eu tout de même l’audace d’écrire en langue vulgaire, dans leur langue, et de renoncer à la forme de la séquence, qui était celle de Sainte Eulalie, trop irrégulière pour qu’elle pût être améliorée par quelque progrès. Nul souci artistique, bien entendu, ne les avait guidés : ils essayaient seulement d’écrire une histoire pieuse, destinée à l’édification du menu peuple, de telle façon qu’elle pût être comprise et qu’elle se gravât facilement dans les mémoires. Ils n’avaient pas d’autre désir. Mais leur tentative, à laquelle ils attachaient sans doute fort peu d’importance, devait être féconde, puisqu’elle a rendu possible l’admirable floraison de notre poésie française.
2C’est ici le moment de montrer comment le vers rude et imparfait des premiers âges s’est transformé en un appareil plus délicat et plus sensible, comment son mécanisme grossier s’est affiné dans la mesure compatible avec les règles qui continuaient de le régir. Il a déjà été fait allusion à ces changements profonds que des souffles profanes ont amenés dans la manière de le traiter, dès qu’on s’est aperçu que, loin de se contenter d’être un moyen d’expression utile ou commode, il pouvait avoir aussi l’ambition de plaire et qu’il y réussirait sans aucun doute quand on serait parvenu à l’agrémenter de quelques ornements heureusement choisis, en se donnant la peine d’exploiter avec habileté les ressources qu’il tenait de sa nature. Ainsi des préoccupations d’art se sont manifestées, préoccupations de facture et d’exécution, qui ont eu pour résultat de rendre la technique de la versification plus variée et par suite beaucoup plus savante. Le goût littéraire, au cours d’une longue période d’enfance qui s’étend sur plusieurs siècles, s’est d’abord formé, puis s’est beaucoup modifié ; des idées esthétiques indigentes et sommaires ont fait place à d’autres conceptions plus subtiles et plus nuancées ; quelques hommes de premier plan ou bien ont résumé avec autorité les doctrines courantes, ou bien ont été les initiateurs de mouvements puissants et durables. Ainsi le vers français traverse tout le Moyen Age pour être recueilli par la Renaissance, qui, à son tour, le fera servir à la réalisation de son programme artistique. Tous ces points d’histoire vont être successivement exposés et discutés.
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