Chapitre II. Caractères particuliers de la césure et de la rime
p. 213-290
Texte intégral
I. QUELS VERS SONT CÉSURÉS ET A QUELLE PLACE
1La cesure est un point de repère sensible à l’oreille et situe à l’intérieur du vers. Selon la longueur du mètre, elle comporte un nombre plus ou moins grand de syllabes avant elle et les groupe sous son accent; elle est suivie d’autres syllabes, qui sont également en nombre déterminé et qui se rassemblent sous l’accent de la rime. Il n’y a qu’une césure par vers, comme aussi bien il n’y a qu’une rime. Telle est la règle de la versification française à l’origine ; elle est absolue et sans exception. La présente remarque serait parfaitement inutile, si Mussafia n’avait prétendu découvrir dans la Première fatrasie de Philippe de Beaumanoir, des alexandrins à double césure, qui répondraient à la formule 4 + 4 + 4, la première coupe tombant à la quatrième syllabe, la seconde à la huitième1. Voici le début de ce poème, tel que l’a donné H. Suchier :
En grant esveil sui d’un consell
que vous demant.
Au parlement eut assez gens
de maint païs
Di moi, amis, sont ce plaïs
en ce panier ?
Pour un denier euch avan hier
une vendoise.
Cil se renvoise. Peu li poise
du froit tans, etc...2
2Il est très clair qu’ici nous n’avons pas affaire à des alexandrins, mais à trois petits vers de quatre syllabes mis bout à bout par jeu et qui sont unis par des homophonies; deux d’entre eux sont placés sur la même ligne parce qu’ils s’accordent par leur finale ; le troisième est écrit un peu en dessous des deux premiers parce que sa rime annonce la rime suivante. Évidemment il ne serait pas impossible qu’on rencontrât, dans l’énorme masse des œuvres que nous a laissées le Moyen Age, quelque essai analogue ; mais il s’agirait là d’un simple divertissement de poète, et il serait exagéré d’en tenir le moindre compte, car une pareille fantaisie ne répond en aucune façon aux règles essentielles qui régissent notre métrique.
3Pareillement il faut rejeter l’interprétation qu’a donnée A. Thomas de la Chirurgie de Roger de Parme, traduite en vers provençaux vers 1200 par Raimon d’Avignon. « Le vers qu’il emploie, a-t-il dit de cet auteur3, est le vers de douze syllabes, mais un vers construit intérieurement comme je n’en ai rencontré jusqu’ici ni dans la littérature provençale, ni dans la littérature française. Le vers de douze syllabes que tout le monde connaît est divisé en deux parties égales par une césure placée après la sixième syllabe accentuée... Il est impossible de le reconnaître dans notre traduction de Roger de Parme. A la rigueur, les premiers vers se laisseraient classer dans cette catégorie et l’on pourrait y introduire la césure réglementaire... Mais les vers suivants sont absolument rebelles à la même division, puisque la sixième syllabe tombe au milieu d’un moc dont la fin n’est pas atone :
— Et Precian los enseynet e puys Caton. (v. 10)
— Tot atresi vuyl enseynar de mon labor, (v. 11)
— Penetensa, comunion, tot sens temor (v. 18)...
4Il est inutile de multiplier les exemples. Je n’insiste pas non plus sur les vers où la césure tomberait sur un mot atone, comme
Per so qu’el mays n’aya d’amicz et mays d’onor,
ni ceux où la syllabe atone qui suit la césure devrait compter dans la mesure, comme
Sol aiudar los vuyla Deus tota sason.
5Il est de toute évidence que nous n’avons pas affaire ici à la coupe ordinaire du vers de douze syllabes, 6 + 6, mais qu’il faut chercher autre chose, c’est-à-dire à partager le vers en deux parties inégales, l’une de quatre syllabes, l’autre de huit... La traduction de Roger de Parme nous offre à la fois des vers ayant la césure après la quatrième, et d’autres qui l’ont après la huitième. » Donc il s’agirait ici d’alexandrins à coupe mobile. Cette explication aurait été admise par G. Paris et P. Meyer, nous dit A. Boucherie dans son compte rendu de la Revue des Langues romanes, mais ils auraient en outre émis l’hypothèse que les vers de Roger de Parme devaient se diviser en trois tronçons de quatre syllabes4, avec deux coupes obligatoires, hypothèse qu’adopte A. Boucherie, en proposant d’attribuer à chacune de ces deux coupes une demi-valeur, la première étant d’ailleurs facultative et la seconde nécessaire. Mais tout cela n’est qu’illusion : les alexandrins de Raimon d’Avignon sont tout simplement d’une facture très négligée; ils présentent parfois des césures lyriques, d’autres enjambantes, d’autres qui tombent à l’intérieur d’un mot. Mais ils doivent être divisés en 6 + 6. Des octosyllabes, césurés réellement 4 + 4, ainsi qu’on le verra, présentent un aspect tout aussi irrégulier.
6D’autre part il n’est pas dans la nature de la coupe de partager obligatoirement le vers en deux parties égales. Aujourd’hui nous avons tendance à l’envisager ainsi, à cause de la grande vogue de l’alexandrin, et surtout depuis que les romantiques ont pris l’habitude de diviser les décasyllabes en 5 + 5, les autres vers n’étant soumis à aucune pause fixe. Historiquement la césure n’établit qu’un équilibre approximatif entre les deux hémistiches, comme elle le faisait en latin classique dans la plupart des cas. Les hémistiches sont parfaitement égaux dans l’alexandrin, sauf pour quelques cas aberrants, dès l’époque la plus ancienne ; mais ils ne l’ont été que d’une façon tout exceptionnelle dans le décasyllabe, qui presque toujours se séparait en deux membres 4 + 6 ; le vers de onze syllabes, celui de 9, d’autres encore, se sont scindés en parties dissymétriques, sans que l’oreille de nos ancêtres en ait jamais souffert, la répétition de la même coupe étant jugée tout à fait suffisante pour que l’auditeur ne pût se tromper sur le mètre que le poète avait choisi.
7Le vers le plus long est celui de seize syllabes. Il apparaît très rarement, et presque toujours dans les refrains des chansons, où A. Jeanroy en a signalé un certain nombre5 ; il répond à la formule 8 + 8 :
— Trop vous ai fait maus endurer, — dous amis, pardonés le moi.
— En bele dame ai mis mon cuer ; — mal ait ki s’en repentiroit.
8Il existe aussi sporadiquement dans Venus, la déesse d’Amour et dans un poème sur les Quinze signes. On peut le considérer comme formé de la conjonction de deux vers de huit syllabes dont le premier a été privé de rime.
9Le vers de quinze syllabes appartient lui aussi au genre lyrique. Il ne faut sans doute pas le faire remonter au septénaire trochaïque de la poésie latine liturgique6, car il est coupé 7 + 8 au lieu de 8 + 7. A. Jeanroy en a donné quelques exemples, mais toujours avec finale féminine rejetée dans le second hémistiche. Il a donc posé la question de savoir s’il ne faudrait pas y voir des vers de quatorze syllabes à césure épique, hypothèse qu’il a rejetée. En pareil cas, il est très difficile de porter un jugement absolument sûr :
— Hareu, je muir d’amore — tes, biaus dous cuers alegiés m’ent.
— Se j’aim del mont la plus be — le, tout le mont m’en doit loer.
10Le vers de quatorze syllabes est rare. Tobler a cru pouvoir le découvrir dans certaines parties de Venus, la déesse d’Amour, et dans la Vie de saint Auban, ainsi que dans la Chronique de Jordan Fantosme, sous la forme 8 + 6. Mais il s’agit là de poèmes beaucoup trop irréguliers pour qu’on puisse invoquer leur témoignage7. Quelques exemples contenus dans des refrains lyriques, et isolés par A. Jeanroy paraissent seuls être sûrs. En provençal et en français, ils sont césurés 7 + 7 :
— Et er tot mesclatz d’amor — et de joi e de joven.
— L’amors sospris m’ont, elais, — ja cist malz ne me lairoit.
— Car bien croi que je morrai — quant si vair oel traï m’ont.
11Le vers de treize syllabes n’est pas plus fréquent. Les Romances et Pastourelles de Bartsch en fournissent un petit nombre d’échantillons, selon la coupe 7 + 6 :
— Avant bone amours faudra — li siecles iert faillis.
— Car riches hom sans amour — ne fait fort que muser.
12Tous ces vers sont exceptionnels, et d’ailleurs déconseillés par les Leys d’Amors. Il en est autrement de l’alexandrin, qui a conquis au cours des siècles une juste célébrité, surtout à partir du xvie siècle. Ce vers de douze syllabes ne paraît avoir reçu son nom qu’au xve. Il apparaît pourtant à une date bien antérieure, dans le Pèlerinage de Charlemagne, avec sa coupe actuelle 6 + 6 :
Se vos m’avez mentit, — vos le comparrez chier :
Trencherai vos la teste — o m’espee d’acier. (Pel. 24-25)
13Cette forme, la seule que connaissent les Leys d’Amors, est presque générale. Il y en a pourtant une autre, en 7 + 5, que signale A. Jeanroy dans un poème lyrique entièrement construit de cette manière, sous l’influence des mètres impairs, forcément divisés en hémistiches inégaux :
Amors n’out point de seigneur, — dire le porroie.
14Ce n’est qu’une curiosité. Quant au Lai d’Amours de Ph. de Beaumanoir, que Mussafia a voulu expliquer comme une suite d’alexandrins, il ne faut même pas y voir des vers de onze syllabes, hypothèse qu’a présentée Suchier. Il s’agit au contraire d’heptasyllabes suivis chacun d’un petit vers de quatre syllabes, celui-ci rimant avec le suivant :
Nus ne puet sans boine amour
grant joie avoir.
Ses grans sens me fait doloir
et sa beauté.
Plus bele est d’un jor d’esté,
ce m’est a vis, etc.
15La versification de cette pièce est d’ailleurs incorrecte, puisque parfois l’heptasyllabe est remplacé par un octosyllabe. Enfin A. Boucherie8 a signalé en provençal des alexandrins lyriques coupés 8 + 4.
Trobey la moler d’en Guari — e d’en Bernart :
Saluderon me francamen — per sant Launart.
16Ceci n’a d’autre importance que de signifier qu’au Moyen Age la tradition n’est pas assez fortement établie pour qu’un mètre donné ne puisse être modifié selon le bon plaisir du poète.
17Le vers de onze syllabes a été d’un emploi assez courant dans l’ancienne poésie. Le traité De rythtnico dictamine y réclame en latin la césure cinquième, qu’exigent également les Leys d’Amors tout en tolérant la coupe 6 + 5. Voici un exemple de cette coupe cinquième, rarissime, dans une chanson qu’a publiée H. Spanke9 :
Pour moi renvoisier — ferai chanson nouvele,
Si sui renjoïs — por l’amor de ma bele,
Ne me puis tenir, — tel joie m’estancele,
Plus me plest àu cuer — que note de viële.
Qui la voit dancier,
Il n’est cordelier
Tant çaigne la cordele,
Qui ne la vousist — a son gré tenir seule.
« Or a la bonheure, ce sont amoretes qui me corent seure. »
18Cependant la division la plus courante est 7 + 4, ainsi que l’a remarqué A. Jeanroy. On trouvera dans Tobler10 un petit catalogue de poèmes où figure ce vers. En voici un exemple tiré de Bartsch :
Moult doucement li oï — dire et noter :
Honis soit qui a vilain — me fist doner !
19L’endécasyllabe se rencontre dans la poésie lyrique, surtout dans les refrains, plus rarement en strophes.
20Le décasyllabe est très répandu, et dans la poésie épique et dans les chansons. D’une manière générale il se scinde en 4 + 6, comme dans Saint Alexis :
Bons fut li siecles — al tems anciënour,
Quer feit i eret — e justicie ed amour,
S’i ert credance, — dont or n’i at nul prout ;
Tot est mudez, — perdude at sa colour :
Ja mais n’iert tels — com fut as anceisours. (v. 1-5)
21C’est la césure que lui attribuent les Leys d’Amors. Pourtant ce n’est pas la seule. En latin, le De rythmico dictamine admet aussi la coupe cinquième, dont on a des exemples en français. En voici un de Blondel de Nesles, qui est contenu dans le Chansonnier de Berne :
En l’entrant d’esteit — ke li tens s’agence,
Ke j’oi ces oisiaulx — sor la flour tentir,
Soi pris d’une amor — dont mes cuers balance.
Deus m’en doinst joïr — tout à mon plaisir,
Ou autrement crien — morir sans doutance ;
Car je n’ai de li — fors que soustenance :
Amours est la riens — ke je plus desir. (XXXI)
22Il y en a d’autres dans le recueil de Bartsch11. Au xve siècle, on en rencontre encore, et même c’est la forme que préfèrent les poèmes populaires. « On remarquera que dans les chansons populaires, a écrit Th. Gerold12, les vers à nombre de syllabes pair sont de préférence divisés en deux moitiés égales. Ainsi le décasyllabe aura, au lieu de la division en 4 + 6 ou 6 + 4, celle en 5 + 5. L’exemple suivant est extrait du Chansonnier de Bayeux
23Enfin le même vers peut être coupé 6 + 4. Cette variété ne paraît pas très ancienne, mais résulter du retournement de la forme 4 + 6. Elle se manifeste à la fin du xiie siècle dans Aiol, puis dans trois passages du Jeu de saint Nicolas, de Jean Bodel, dans la parodie d’Audigier et dans la poésie lyrique, notamment dans les recueils de Maetzner, de Bartsch, et dans les Trouvères belges de Scheler, en des pièces que Otten a énumérées. Soit donc cet exemple tiré du Jeu de saint Nicolas :
S’aies saint Nicolas — en remembranche,
Ne te couvient avoir — nule doutanche.
Sains Nicolas pourcache — ta delivranche.
Se tu l’as bien servi — de si a ore,
Ne te recroire mie, — mais serf encore...
24Cependant cette forme n’a pas connu une très brillante carrière. Elle a été en effet condamnée par les Leys d’Amors13 en ces termes : « Il faut observer que dans les vers de dix syllabes, le repos est à la quatrième syllabe, et qu’on ne doit jamais changer cette mesure ; c’est-à-dire qu’il ne faut jamais placer le repos à la sixième syllabe, au lieu de la quatrième ; car cela n’est pas harmonieux... On voit, en effet, que les vers de cette mesure n’ont pas une cadence agréable ; et nous n’avons jamais vu qu’on s’en soit servi : c’est pourquoi nous ne l’approuvons pas. »
25Ce traité n’est pas favorable au vers de neuf syllabes, qui, dit-il14, n’a pas une harmonie flatteuse, mais qui, si on l’emploie, doit être coupé à la quatrième ou à la cinquième, ainsi que le déclare également le De rythmico Dictamine. Je ne connais que peu d’exemples de la coupe quatrième, en voici un qu’a cité Tobler :
Je ne sais dont — li maus vient que j’ai.
26La césure cinquième est la plus usuelle. Elle est représentée à plusieurs reprises dans le recueil de Bartsch, notamment dans la pièce suivante, qui est de Richart de Semilli, et où j’imprime en italique des ennéasyllabes indiscutables :
L’autrier chevauchoie — deles Paris,
Trouvai pastoreie — gardant berbis.
Descendi a terre, — les li m’assis,
E ses amoretes — je li requis.
El me dist : « Biau sire, — par saint Denis,
J’aim plus biau de vos — e mult meus apris.
Ja tant comme il soit — ne sains ne vis,
Autre n’amerai, — jel vos plevis,
Car il est et biaus — et cortois et senes.
Dex, je sui jonete
Et sadete
Et s’aim tes
Qui joenne est et sades et sages assés. » (III, 7)
27Mais A. Jeanroy a signalé15 que Blondel de Nesles a usé de la coupe 6 + 3 :
Puisqu’Amours donc m’otroie — a chanter
Si que n’os refuser — son otroi... (éd. Tarbé, 48)
28L’ennéasyllabe est rare ; il n’apparaît que dans la poésie lyrique, fort peu souvent en strophes isométriques, mais volontiers dans les refrains.
29Tous les vers qui précèdent sont obligatoirement césurés. Ils sont, en effet, trop longs pour ne pas comporter une pause intérieure. J’en arrive maintenant à l’octosyllabe et aux mètres plus courts, où la coupe est facultative. « Il faut savoir, disent les Leys d’Amors, que, dans quelques vers, on peut faire des repos ou n’en pas faire à volonté ; et que, dans d’autres, il faut en faire nécessairement. » Plus loin, on lit que le repos est indifférent dans les vers de quatre, six et huit syllabes. Plus loin encore se trouve cette phrase : « Il faut savoir encore que dans les vers de 4 et 6 syllabes, on n’observe l’accent qu’à la fin, comme nous l’avons déjà dit. Cependant, lorsque dans les vers de 4, de 6 ou de 8 syllabes il y a un repos, il faut à ce repos placer l’accent, c’est-à-dire qu’à l’endroit où est un repos, il faut qu’il y ait un accent aigu16. » Les seuls vers auxquels les Leys d’Amors refusent une césure sont ceux de cinq et de sept syllabes17.
30Or, à propos du plus grand de ces mètres courts, il faut citer Tobler : « Naturellement, vu son peu de longueur, a-t-il écrit en parlant de l’octosyllabe18, ce vers n’a pas de césure. » Sans doute il cite le début de Saint Léger :
Domine Deu — devemps lauder
E a sus sancz — honor porter...
31Cependant il continue : « A côté de ces vers, il n’en manque pas d’autres qui, malgré l’accentuation de la quatrième syllabe, ne souffrent pas de césure après elle, celle-ci n’étant pas la dernière syllabe d’un mot :
Quae por lui áugrent granz aanz.
32Il en est d’autres où, la quatrième syllabe étant atone et la troisième au contraire étant accentuée, il en résulterait une césure analogue à celle du décasyllabe que nous avons plus haut appelée lyrique :
Que il áuuret — ab duos seniors.
ou :
Il lo présdrent — tuit a conseil.
33Beaucoup aussi des vers de la première catégorie étant de telle nature que la suite du discours ne permet pas de pause :
— Qui lui a grand — torment occist (2 f)
— Quandius al suo — conseil edrat (12 c)
— Por deu nel volt — il observer, (23 d)
il est fort douteux que, même pour la période la plus ancienne, la césure dans le vers de huit syllabes ait été autre chose que l’effet du hasard, ou, plus tôt, autre chose qu’un produit direct de la nature du vers et du langage, indépendant de l’intention et de la volonté du poète. Dans la Passion, l’état de choses nous incline un peu plus à accepter une césure après la quatrième syllabe accentuée ; dans un nombre considérable de vers qui ont la troisième accentuée et la quatrième atone, une pause est encore possible. Néanmoins, il n’y manque pas de vers qui ne peuvent avoir de césure, la quatrième syllabe étant inséparable de la cinquième. »
34Tout ce passage renferme une longue suite d’erreurs. D’une part elles résultent de la théorie accentuelle de Tobler, de l’autre elles sont la conséquence de l’idée qu’il s’est faite de la coupe intérieure. Les impossibilités qu’il signale ou bien ont déjà été expliquées, ou bien le seront plus loin. Cependant G. Paris, éditeur de Saint Léger et de la Passion, avait considéré ces poèmes comme césurés, bien que certaines de ses assertions tombent à faux. Quelque admiration qu’il ait éprouvée pour le livre de Tobler, dont il préfaça la traduction française, il n’en maintint pas moins son point de vue, e tavec beaucoup de raison. Il fut suivi en cela par Fr. Spenz, auteur d’un travail très judicieux19, et par G. Melchior. Spenz fit remarquer que le nombre des césures irrégulières dans ces deux anciens poèmes était dû à ce fait que l’octosyllabe est un mètre court et qu’il serait parfois difficile de le partager exactement en deux hémistiches dont le premier se terminerait par une tonique. Il découvrit la preuve d’une coupe intentionnelle dans des inversions répétées, qui n’avaient d’autre but que de faire coïncider la syllabe quatrième avec une fin de mot, comme dans ce vers de la Passion :
Cum la cena — Jhesus oc faita (23 b).
où tout changement dans l’ordre des termes provoquerait un accident irrégulier à la place prévue. J’en verrais une autre, plus certaine encore, dans la présence, au cours de ce même poème, de quelques césures épiques que j’ai déjà signalées ; elles interdisent le moindre doute.
35Au surplus, il semble bien qu’aujourd’hui la question ne soit plus discutée. On admet que les plus anciennes œuvres écrites en octosyllabes comportent deux hémistiches par vers. G. Melchior20 énumère, comme conformes à ce type, la Passion, Saint Léger, Gormunt et Isembart, le Roman de Thèbes, le Voyage de Saint Brendan, certaines pièces de Marie de France, le Roman du mont Saint-Michel. Il attribue ensuite une « position moyenne » à des poèmes où la proportion des coupes exactes est de 75 à 85 %, comme partois chez Marie de France, puis encore dans Guillaume de Palerne, Gautier de Coincy, le Roman de Rou et Etienne de Fougères. Ensuite, il observe que les césures n’apparaissent plus que par hasard ; il n’en a compté que 58 % seulement dans les 1.000 premiers vers de l’Yvain, de Chrétien de Troyes. Plus tard elles auraient disparu. Stengel lui aussi, sans rien préciser, conclut à un abandon rapide21. Quant à G. Paris, il est encore plus restrictif que Melchior : « La versification du poème, a-t-il écrit en 1902 à propos de Gormont et Isembart22, est aussi très archaïque. Non seulement les laisses de vers octosyllabes ne se retrouvent que dans deux poèmes méridionaux de la fin du xie siècle ou du commencement du xiie (Alexandre, Sainte Foi) et dans l’Épître farcie de saint Étienne, certainement très ancienne ; mais, ce qu’on n’a pas remarqué, l’octosyllabe présente dans la très grande majorité des cas un accent marqué sur la quatrième syllabe, signe d’antiquité qui se retrouve dans les poèmes de Clermont, dans l’Alexandre, dans Sainte Foi, dans Saint Brendan, et qui a complètement disparu des poèmes en couplets octosyllabiques du milieu du xiie siècle. »
36Or ce n’est point ainsi qu’il faut envisager les choses. On doit considérer que, pour des raisons de commodité, les poètes ont admis des césures irrégulières, dont la poésie latine liturgique donnait déjà des exemples. Ces césures irrégulières, qu’on rencontre dans tous les mètres, ont été beaucoup plus fréquentes dans l’octosyllabe, à cause de son exiguïté. Peu à peu, les écrivains ont forcé la dose, si bien que, comme le montrent les statistiques de G. Melchior, le pourcentage des coupes exactes a diminué de plus en plus. Il est indiscutable qu’au xive siècle, à l’époque où furent rédigées les Leys d’Amors, le vers de huit syllabes pouvait avoir la forme césurée ou la forme non césurée. Assurément ce traité exigeait que dans le premier cas la quatrième syllabe fût une tonique non suivie d’une syllabe féminine, mais de tous temps les poètes, comme on le sait, en ont pris à leur aise avec les lois qui régissent leur art. Voici des octosyllabes de Richard le Beau, écrits dans la seconde moitié du xiiie siècle. Je les divise en hémistiches :
Or chevauche — Richars li preus :
Ains ne chevau — cha si honteus.
Mout est dolans, — ne set que fache,
D’une verge — son cheval cache,
Car rien ne fait — pour esporons.
Et qui dont ve — yst ces garchons
De la vile, — con le dehuient,
Con li musart — apriès lui bruient !
De la vile ist — plus toz que pot :
Le pas s’en ist, — non pas le trot, etc... (v. 4457-4466)
37L’auteur a-t-il voulu que ces vers eussent une coupe ? C’est infiniment probable23, car, si l’arrêt de la voix doit avoir lieu deux fois à l’intérieur d’un mot, c’est là une irrégularité que l’on constate déjà dans la Passion, tandis que, tout au long de ce passage, se rencontrent d’autres coupes excellentes, régulières ou même lyriques.
38Pourtant, de négligence en négligence, il arrive un moment où le critique moderne ne sait plus si les vers devaient être césurés ou non. C’était sans doute le diseur qui décidait. Il y a toute apparence qu’il choisissait à son gré, à moins que l’auteur ne lui fît clairement connaître son intention et ne lui imposât l’une ou l’autre forme. Soit donc ce rondeau de Guillaume de Machaut24 († 1377) :
Comment puet on mieus ses maus dire
A dame qui congnoist honnour
Et qu’on l’aime de vraie amour ?
Quant amans ressoigne escondire
Et s’a de son courrous paour ? 5
Comment puet on mieus ses maus dire
A dame qui congnoist honnour
S’elle voit qu’il trouble et souspire
Et mue maniere et coulour
Et qu’il soit mus et plains de plour ? 10
Comment puet on mieus ses maus dire
A dame qui congnoist honnour
Et qu’on l’aime de vraie amour ?
39Est-il césuré ou non césuré ? On pencherait au premier coup d’œil pour cette dernière réponse, parce que deux fois la quatrième syllabe tombe à l’intérieur d’un mot et que, presque partout, la pause quatrième ne peut coïncider avec un arrêt du sens. Cette diction serait évidemment possible, et, pour notre goût actuel, s’imposerait. Pourtant il faut absolument opérer la division en hémistiches, de par la volonté du poète, qui était en même temps musicien, et qui s’est donné la peine de placer la quatrième syllabe au début d’une mesure, en position forte par conséquent, et de la marquer par une note longue, soit par une blanche, soit par une noire que vient appuyer un silence. La mélodie, par ailleurs assez ornée, précise d’une manière indiscutable l’intention de Machaut :
40Cette construction se retrouve dans d’autres pièces du même auteur, où l’octosyllabe est mélangé avec d’autres mètres25. Cependant Machaut connaît aussi l’emploi de ce vers sans césure, comme dans le septain suivant, qui figure dans le Lai du Remède de Fortune (XI) :
Car comment que Desirs m’assaille
Et me face mainte bataille
Et poingne de l’amoureus dart,
Qui souvent d’estoc et de taille
Celeement mon cuer detaille,
Certes bien en vain se travaille,
Car tout garist son dous regart... (v. 639-645)
41La mélodie, transcrite par Fr. Ludwig, est celle-ci26 :
42Il n’y a pas de coupe intérieure intentionnelle, puisque la quatrième syllabe n’est privilégiée que deux fois sur sept vers, sans régularité systématique.
43Le rythme modal, de toute évidence, a puissamment contribué à maintenir l’habitude de la césure, puisqu’il avait adopté pour ce vers la forme spécifique
Cette tradition dure encore au xve siècle. En effet, les pièces octosyllabiques qui sont contenues dans le Chansonnier de Bayeux manifestent pour une bonne moitié une division en hémistiches27 A en juger par le texte seul, on n’y voit rien du tout. Soit, en effet, cette chanson qui comporte huit strophes, et dont voici le début :
Le grant desir d’aymer my tient
Quant de la belle me souvient,
Et du joly temps qui verdoye,
Et hoye !
Tantost aller y my couvient
Vers celle-là qui mon cœur tient ;
Je croy qu’el en aura grant joye.
Et hoye !
Belle, je viens par devers vous
Pour avoir plaisir et secours :
Votre amour trop fort me guerroye.
Et hoye !... (no XXV)
44La mélodie du premier couplet, valable pour tous les autres, est la suivante :
45Ici encore le vers se scinde en deux parties. Il y aura lieu d’y revenir pour montrer que de pareils exemples sont encore attestés pendant la première moitié du xviie siècle.
46L’heptasyllabe, à cause de son exiguïté, paraît devoir obéir à l’interdiction portée par les Leys d’Amors, et il y obéit en effet le plus souvent. Pourtant nous sommes en possession d’un texte intéressant de Jean Molinet, dans son Art de Rhétorique, c’est-à-dire à une époque tardive. Examinant des vers de ce mètre, il écrit cette phrase : « De ceste taille septaine descend une autre mode de vers brisiez, laqueie est reduitte a ce mesmes ; et n’ont les lignes des parfaittes sillabes (oxytoniques) que trois sillabes en ligne. » A quoi E. Langlois a fait remarquer dans une note28 que, selon Molinet, c’est en césurant l’heptasyllabe à la troisième que l’on aurait obtenu le vers de trois syllabes. Ce témoignage nous est confirmé, vers 1525, par l’Art et Science de Rhétorique d’un auteur anonyme qui s’exprime ainsi29 : « De cette taille septaine descend et se fait une autre mode des vers brisez par la moitié... et n’ont chacune ligne des parfaictes que troys sillakes, pour ce que la tierce est prononcée en double accent contre l’imparfaicte, qui est de quatre sillabes. »
47En réalité, la césuration de l’heptasyllabe est bien antérieure au xve siècle. Elle est due à l’analogie des grands vers et elle a été favorisée elle aussi par le rythme modal, quand le mode choisi était celui-ci :
Certes, la coupe est un phénomène assez rare, mais elle se rencontre. Th. Gerold, que j’ai consulté à ce sujet, m’en a signalé un certain nombre d’exemples, généralement dans des pièces hétérométriques ; ils figurent dans le manuscrit de Bamberg, dans les interpolations musicales du Roman de Fauvel, ou dans quelques Lais de Guillaume de Machaut30. Voici un fragment d’un motet de Bamberg :
... Quant parmi — le bois ramé
Mon ami — n’ai encontré
Qui m’avoit — ci ajourné
Ey, mi, Dieus ! — li mal d’amer
Peine mi — fait endurer...31
48Soit, avec la musique :
49Naturellement les coupes qui tombent à l’intérieur d’un mot sont fréquentes. L’existence de l’heptasyllabe césuré nous est encore attestée au début du xviie siècle.
50Le vers de six syllabes, à l’origine, a-t-il pu être divisé en deux hémistiches ? Assurément, puisque les Leys d’Amors l’indiquent32. C’est le mètre dans lequel Philippe de Thaon a écrit le Comput au début du xiie siècle. Mais les vers de cet ouvrage ne révèlent aucune recherche du poète pour assurer une coupe troisième, bien qu’il soit impossible de dire si tel déclamateur n’a jamais entrepris de les briser ainsi. Il est incontestable que le troisième mode, appliqué à de pareils vers, les a séparés en deux parties égales. Il existe un poème écrit en dix strophes de dix vers hexasyllabes dont nous avons conservé la musique. En voici la première strophe :
De la procession
Au bon abbé Poinçon
Me couvient à chanter.
Hons de religion
Ne fist mais tel pardon
Par son païs aler.
Tout a fait à gester
Et tout mis a charbon ;
S’il ne fust si proudon
Il ne l’osast panser.
51J.-B. Beck l’a transcrite en notation moderne33 :
52Les vers y sont nettement scindés. Au cours du Moyen Age, ce mètre pourtant ne paraît présenter une césure que tout à fait exceptionnellement. Elle n’existe pas dans cette pièce du Chansonnier de Bayeux34, où les vers de six syllabes ne font qu’une brève apparition, immédiatement suivis par des vers de sept, qui eux non plus ne sont pas césurés :
53Une autre pièce donnée par Spanke35 semble prévoir systématiquement une division 2 + 4, dans un très court fragment qui précède lui aussi des vers plus longs :
54En décider est chose difficile, bien qu’il y ait arrêt sur une fin de mot, et ce n’est guère ici qu’une curiosité.
55Je ne puis rien apporter de probant sur le vers de cinq syllabes, dont la coupe, si elle existait, devrait être vraisemblablement 2 + 3. La facture du Sermon en vers, écrit au début du xiie s., ne laisse apparaître aucun dessein prémédité du poète. D’autre part je n’ai, comme exemples de césure dans le vers de quatre syllabes, que ceux donnés par les Leys d’Amors :
Totz homs — se dol
E ha — gran dol
Can ve — que mor36.
56Ce dernier vers, généralement, et les autres plus petits toujours, sauf à une époque tardive, forment la catégorie que le même traité appelle les vers brisés et que d’autres nomment coupés. « On appelle vers brisé, lisons-nous37, celui qu’on place à la fin d’un autre vers, c’est-à-dire à la suite d’un vers principal complet... Ainsi quand on dit :
Comal Leyro
El do,
ce petit vers est un vers brisé. De même, dans un autre exemple, quand on dit :
El contrari far vol
E col.
57Ces vers sont dits brisés, parce que d’eux-mêmes ils sont comme une brisure, et qu’ils sont vers par eux-mêmes, sans être mêlés avec les autres... Le vers brisé peut avoir un correspondant avec lequel il rime, ou peut être seul sans correspondant et sans rime. Ces vers brisés peuvent être d’une syllabe, de deux, de trois ou de quatre, à moins que la mesure des vers principaux ne soit elle-même de quatre ; car alors le vers brisé doit en avoir moins de quatre. Mais, lorsqu’on place un vers brisé de quatre syllabes, il faut que les vers principaux en aient plus de six. »
II. LA CÉSURE ET LE SENS
58La règle fondamentale de la césure consiste bien évidemment en ceci, qu’elle est un accent destiné à partager le vers en deux parties, et que, en principe tout au moins, elle doit coïncider avec une séparation de sens. Or ce dernier précepte, pendant toute la durée du Moyen Age, ne paraît avoir été formulé nulle part en termes clairs. Seul un ouvrage écrit en latin, la Poetria nova de Geoffroi de Vinsauf, se montre moins discret que les autres et formule ce conseil d’une portée toute générale :
... Voces quas sensus dividit, illas
Divide ; quas jungit, conjunge...38
59C’est seulement aux approches de la Renaissance que quelques critiques, à propos du vers français, formulent la règle plus tard recueillie et expressément notifiée par les théoriciens de l’époque classique. En 1500 environ, l’auteur du Traité de Rhétorique s’exprime sans netteté, parce qu’il écrit en vers, dans une forme par conséquent peu propice aux explications claires :
Mais touteffois oublier ne faut point
A faire arrêt et poser au quart piet,
Car aultrement il seroit reprochiét.
60Au contraire l’Art et Science de Rhétorique manifeste une louable précision : « La quadrure, y est-il écrit, doit estre de mettre complet et avoir sentence entiere39. »
61Certes, le désir de traiter le premier hémistiche comme un fragment syntaxique, nettement délimité par la tonique qui le termine, est manifeste dans nos plus anciens textes. Cependant, dès l’époque de Saint Léger et de la Passion, on constate que le poète, à cause des difficultés de la versification, se soustrait parfois à cette obligation, de telle sorte que la syllabe désignée pour recevoir la césure occupe l’intérieur d’un mot. Dans d’autres vers, on constate en outre que la division de la phrase est loin d’être rigoureuse entre les deux parties d’un même vers, et que l’écrivain, peu maître de son instrument ou enclin à la négligence, se révèle incapable d’établir une brisure franche : alors le sens, commencé dans le premier hémistiche, se poursuit jusqu’à la rime. C’est sur cette discordance du mètre et de la pensée que nous voudrions ici insister ; sans doute tous les éléments de ce problème ont-ils déjà été apportés dans les pages qui précèdent, mais il nous semble que nous n’en avons pas encore tiré des conclusions suffisantes.
62Gaston Paris, étudiant les octosyllabes de Saint Léger, a compté que 222 vers sur 240 possédaient un accent à la quatrième syllabe, que 18 au contraire en avaient un sur la troisième, et 9 sur la cinquième, la différence de ces chiffres avec le total provenant de ce fait qu’il a quelquefois noté deux accents dans la même ligne. Quant à la Passion, 389 vers sur 516, à son avis, sont construits correctement, mais 88 ne présentent qu’une coupe très artificielle. Selon A. Bayot, éditeur de Gormont et Isembart, ce dernier poème contient 26 exemples où la coupe ne coïncide pas avec un arrêt net du sens :
— Sil fiert sur son — escu devant. 19
— Sur un cheval — bai de Chastele. 48
— Sil fiert sur la — targe novele. 50
— E sist sur un — destrier moreis. 91, etc...
63D’autres critiques ont fait les mêmes observations sur les monuments versifiés des xie et xiie siècles, en particulier Birkenhoff40 et Calmund41 sur Saint Brendan, Léon Gautier sur nos premières Chansons de Geste. Gaston Paris a repris la question à propos d’Auberon, et il a cité des vers comme les suivants :
— Et Judas quant — l’ost prist à aprocier. 145
— Del roi qui le — cuidoit desireter. 238
— Un des plus haus — barons de sa contrée. 353
— Qu’elle trois cens — ans et plus vivera. 431
64On verra que les exemples qu’on peut réunir sont en nombre infini et qu’ils nous conduisent jusqu’au xvie siècle, ou, pour mieux dire, jusqu’à Malherbe.
65Spenz et Birkenhoff se sont préoccupés de classer les mauvaises coupes par catégories, telles qu’elles nous sont fournies par les deux poèmes de Clermont et par Saint Brendan, c’est-à-dire que leur examen a porté sur des octosyllabes qui remontent à l’époque la plus ancienne. Leurs rubriques peuvent être conservées et même un peu élargies. On remarquera donc que la césure, malgré les indications du sens, sépare en certains cas :
661o l’article et le substantif :
— Sant Johan lo — son chier amic. (Passion, 27 d)
— Vers eals veint uns — marins serpenz. (St Brendan, 509)
672° l’adjectif et le substantif :
— Que lui a grant — torment occist. (St Léger, 2 f)
— Ni vient nule — nue de l’air. (St Br., 1763)
683° l’adjectif possessif et le substantif :
— Cho fud nostra — redemptions. (P., 4 b)
— Jo sui qui mun — seigneur vendi. (St Br., 1273)
694° l’adjectif démonstratif et le substantif :
— Quandius in ciel — moustier estut. (St. L., 12 c)
705° le pronom personnel sujet et le verbe :
— Son queu que il — a coronet, (ib., 21 c)
— Tot nol vos posc — eu ben comptar. (P., 112 c)
— Le leu ou il — aler deient. (St. Br., 672)
716° le pronom personnel régime indirect et le verbe :
— Les lèvres li — at restoret. (St. L., 31 a)
— Terce vez lor — o demandet. (P., 35 c)
727o le pronom relatif sujet et le verbe :
— Pur le vent qui — falit ere. (St. Br., 222)
— Des culurs qui — si resortent, (ib., 1700)
738° l’auxiliaire et le participe qui lui est joint :
— Grans en avem — agud errors. (P., 92 a)
— Judas com og — manjed la sopa, (ib., 26 a)
749° le verbe et l’infinitif qui en dépend immédiatement :
— Si tu laises — vivre Jhesum. (ib., 59 c)
— Poble ben fist — credre in Deu. (St. L., 31 f)
7510° le verbe et l’adverbe :
— Quatre omnes i — tramist armez. (St L. 37 e)
— Mais puis bien i — guarisseient. (St Br. 1466)
7611° l’adverbe et l’adverbe qu’il modifie :
Drechent forment — halt les testes (ib., 938)
7712° la préposition et le substantif qui la suit :
— Vil’ es desoz — mont Oliver. (P., 5 b)
— Pasches e a — Pentecostes. (St Br., 1317)
7813° la négation et le verbe :
— Que mener ne — volt lur peres. (ib., 155)
— Que uns cors ne — poit defire. (ib., 1392)
7914° la négation et la particule qui la renforce :
— Ja non podra — mais deu laudier. (St L., 27 f)
8015° la conjonction et les mots qu’elle unit :
— Mais per vos et — per vostres filz. (P. 66 c)
— En la nef cum — en iglise. (St Br., 446)
— Descordai quant — dui apaiser, (ib., 1276)
81Des exemples analogues se rencontrent tout au long de notre littérature médiévale, pour tous les mètres et dans tous les genres, avec une abondance plus ou moins grande selon l’habileté des poètes et le soin qu’ils mettaient à tourner leurs vers. Au cours de cet exposé, nous en trouverons d’autres de date plus récente que les précédents.
82Comment interpréter de pareilles infractions à la règle ? On l’a tenté de diverses manières, et il n’est pas exagéré de dire qu’on peut distinguer trois écoles. La première aurait comme représentant principal Tobler, qui a opté pour une explication très simple : pour lui de tels vers n’ont point de césure, ce qui du même coup tranche la difficulté. Au contraire, G. Paris a pensé à une césure mobile, qui se serait déplacée autour de l’endroit prévu pour la pause selon les modifications de l’accent : « Je trouve trois vers, a-t-il écrit à propos de la Passion42, où l’accent est sur la troisième syllabe, sans que cette syllabe soit la pénultième d’un paroxyton ; cette coupe détruit l’hémistiche :
— Sant Johán lo son cher amic. (27 d)
— Barabánt pardonent la vide. (57 a)
— Mais per vós et per vostres filz. (66 d.)
83Dans l’un de ces trois vers (57a), il y a un accent marqué sur la cinquième, ce qui est contraire aux règles de ce rythme. » Saint Léger a provoqué de sa part ces observations43 : « Les 18 vers qui n’ont pas d’accent sur la quatrième en ont un sur la troisième... Sur les 18 vers où je l’admets, il n’y en a que 12 qui le présentent sans contestation... Les autres ont besoin de correction ou offrent des questions difficiles d’accentuation... Ce que le vers du Saint Léger nous a encore conservé assez fidèlement de la rythmique, c’est l’incapacité, pour la cinquième syllabe, d’être accentuée... Je n’ai relevé dans le poème que 9 vers... où la cinquième syllabe soit accentuée à côté de la quatrième et aux dépens de la sixième. » De même Heune44 croit sporadiquement à des coupes 6 + 4 dans des décasyllabes césurés 4 + 6, et G. Huet, dans son édition de Gace Brûlé, a admis, pour se conformer aux exigences du sens, des coupes 5 + 5 dans des vers semblables. Il a donc proposé :
— Quant a merci fail — quant je plus la quier...
— Qui en vaillant faut — et en dormant vient... (XXXVI, 4 et 25)
84De son côté Robert de Souza, sous l’influence de la rythmique romantique, a voulu traiter les vers du Moyen Age comme nous le faisons des vers modernes : « En nous tenant aux seules origines françaises, affirme-t-il45, nous allons voir que, contrairement à l’opinion des philologues, il peut exister dans nos Chansons de Geste en dodécasyllabes, des vers à différentes césures. Génin, dans ses Variations du langage français, dit : « Je ne crois pas que, dans tout ce que le Moyen Age nous a légué de vers... il se trouvât un seul exemple du repos de l’hémistiche violé. » M. Léon Gautier est du même avis : pour lui, « l’alexandrin n’offre jamais dans nos vieux poèmes que la césure après la sixième syllabe. » Cependant on n’a qu’à en prendre quelques-uns au hasard, et, dès les premières pages, on s’apercevra que, sous l’influence d’une bonne diction..., nombre de vers obéissent à des rythmes que ne commande point la césure médiane. Par « influence d’une bonne diction », on entend la prédominance forcée du groupement rythmique, quel que soit l’accent qui semble devoir conserver l’intégrité de celui-ci. Il est indubitable en effet que tout mot proclitique ou enclitique (article, pronom, préposition, etc.), placé à l’hémistiche, ne se sépare pas du mot suivant ou précédent, à moins d’une incidente ; un verbe, de son complément, lorsque ce complément ne remplit pas tout le second hémistiche ; un verbe auxiliaire de son participe ; un sujet de son verbe, lorsque celui-ci n’a pas de complément immédiat, etc., — toutes formes syntaxiques qui ont pour effet de reporter plus loin l’accent de la tonique médiane. Ceci étant admis, on n’hésitera pas à reconnaître comme tout à fait étrangers à la coupe classique les vers qui vont être cités, et qui, pour la plupart, sont pris aux premières laisses des Chansons. » Suivent alors de longues suites d’exemples dont je me contente de reproduire un certain nombre, avec le rythme que leur attribue R. de Souza. Ils sont tirés du Pèlerinage de Charlemagne :
— Li patriar — ches at Charlemai — gne apelet.
de Berte :
— A cel tans — dont vous ai l’estoi — re commencié.
— La duches — se estoit suer Bertain ; — quant j’esgardai.
— Pour vous — que ne voloi(e) pas trop — assouploiier.
de Folque de Candie :
— Qui les pechiés — pardone a cil — qui merci crie.
— Que premerains — voudra les François — encontrer.
— O lui s’en vêt — Guillaume et Bernart — li aisnés.
— Çodroès — a choisi nos François — en la plaigne, etc., etc.
85Enfin la dernière théorie est celle qu’ont soutenue Génin et Léon Gautier, ainsi que Birkenhoff et Spenz : la coupe, en aucun cas, ne peut quitter la place qui lui est régulièrement affectée.
86On sait déjà que l’opinion de Tobler n’est aucunement défendable. Celle de G. Paris se réfute tout aussi aisément. Comme pourtant il ne l’a exposée que pour l’octosyllabe, mais que R. de Souza au contraire, et avec des développements beaucoup plus amples, s’est appuyé sur l’alexandrin, c’est à ce dernier critique qu’il faut répondre. On peut observer tout d’abord qu’au quatrième des vers qu’il cite, il ne rend nullement compte de ce fait qu’après la sixième syllabe, l’e muet en surnombre n’est pas compté, tandis qu’il l’est à d’autres places. Ensuite il oublie que les plus anciens traités ne nous parlent jamais que d’une seule césure, tandis qu’il en propose deux. Son système d’ailleurs, qui au fond est le même que celui de G. Paris, s’accorde fort mal avec l’idée que le Moyen Age se faisait du vers : « Les grans partisons de tous parlors est en .ij. manieres, écrit Brunetto Latini46, une qui est en prose, et une autre qui est en rime ; mais li enseignement de rectorique sont commun andui, sauf ce que la voie de prose est large et pleniere, si comme est ore la commune parleüre des gens, mais li sentiers de rime est plus estroiz et plus fors, si comme cil qui est clos et fermez de murs et de paliz, ce qui est a dire de poinz et de numbre et de numbre a mesure certaine, de quoi on ne puet ne ne doit trespasser. » La coupe mobile aurait comme premier résultat qu’elle ferait disparaître ces « murs et paliz. »
87Il faut donc adopter la troisième interprétation, selon laquelle la césure, dans toute forme césurée, est immuable et obligatoire. Cette opinion peut s’appuyer sur un passage des Leys d’Amors47, que Rochat et Kawczynski48 ont compris de la même manière : la coupe logique, explique Guilhem Molinier, peut exister virtuellement en tout endroit du vers, mais la césure rythmique n’a qu’une seule place, et il n’est pas indispensable qu’elle coexiste avec la première. Pourtant la preuve définitive et indiscutable est celle que nous apporte la musique. Naturellement il faut attendre l’époque où nous sommes en possession d’une notation par longues et par brèves, ce qui, comme on le sait, ne se produit pas avant le xiiie siècle. Donc, en invoquant le témoignage d’un Machaut († 1377), à la fois poète et compositeur, nous pouvons nous fonder sur des documents certains. La Chanson roial du Remède de Fortune est un assez long poème qui comprend cinq strophes hétéro-métriques de neuf vers, plus un envoi. Dans chaque strophe, les quatre premiers vers seuls sont des décasyllabes nécessairement césurés. C’est donc sur eux que porteront nos observations :
Joie, plaisence et douce norriture,
Vie d’onnour prennent maint en amer ;
Et pluseurs sont qui n’i ont fors pointure,
Ardour, dolour, plour, tristece et amer ; 1988
Se dient ; mais acorder
Ne me puis, qu’en la souffrance
D’amours ait nulle grevance,
Car tout ce qui vient de li 1992
Plaist à cuer d’ami.
Car vraie Amour en cuer d’amant figure
Tres dous Espoir et gracieux Penser :
Espoirs attrait Joie et bonne Aventure ; 1996
Dous Pensers fait Plaisence en cuer entrer.
Si ne doit plus demander
Cils qui a bonne Esperence,
Dous Penser, Joie et Plaisence, 2000
Car qui plus requiert, je di
Qu’Amours l’a guerpi.
Dont cils qui vit de si douce pasture
Vie d’onneur puet bien et doit mener. 2004
Car de tous biens a a comble mesure.
Plus qu’autres cuers ne saroit desirer,
Ni d’autre merci rouver
N’a desir, cuer, ne bëance, 2008
Pour ce qu’il a souffisance ;
Et ne say nommer ci
Nulle autre merci.
Mais ceaus qui sont en tristesse, en ardure, 2012
En plours, en plains, en doulour sans cesser,
Et qui dient qu’Amours leur est si dure
Qu’il ne puelent sans morir plus durer.
Je ne puis ymaginer 2016
Qu’il aimment sans decevance
Et qu’en eaus trop ne s’avance
Desirs ; pour ce que sont einsi
Qu’il l’ont desservi. 2020
Qu’Amours, qui est de si noble nature,
Qu’elle scet bien qui aimme sans fausser,
Scet bien paier aus amans leur droiture :
C’est les loiaus de joie säouler 2024
Et d’eaus faire savourer
Ses douceurs en habundance ;
Et les mauvais par sentence
Sont com traïstre failli 2028
De sa court bani.
L’Envoy
Amours, je say sans doubtance
Qu’a cent doubles as meri
Ceaus qui t’ont servi49. 2032
88Et maintenant, voici la mélodie, valable pour toutes les strophes :
89Il ressort de ce texte que la césure partout est privilégiée, qu’elle tombe non seulement sur le premier temps d’une mesure, mais qu’elle est longue. C’est elle qui donne sa physionomie de décasyllabe au v. 1988. Il ne faudrait pas croire que les substantifs qui forment une énumération à cinq membres peuvent être articulés comme on le veut et qu’ils ont la même valeur. C’est la césure et la rime qui les groupent en deux membres, malgré des différences de durée dont le musicien ne peut se passer à l’intérieur des hémistiches. Visiblement le poète n’a pas envisagé qu’on pût lire :
Ardour, — dolour, — plour, — tristece — et amour,
mais au contraire :
Ardour, dolour, — plour, tristece et amour
90D’autre part, il est évident qu’il ne faudrait pas articuler :
Espoirs — attrait Joie — et bonne Aventure ;
Dous Pensers — fait Plaisence — en cuer entrer (v. 1996-7) ;
la musique indique au contraire :
Espoirs attrait — Joie et bonne Aventure ;
Dous pensers fait — Plaisence en cuer entrer.
91Ce n’est pas :
Mais ceaus — qui sont en tristece, — en ardure, (v. 2012)
car la mélodie exige :
Mais ceaus qui sont — en tristece, en ardure.
92Ce n’est pas :
Et qui dient qu’Amours — leur est si dure (v. 2014),
mais, avec transfert d’accent sur la syllabe féminine :
Et qui diënt — qu’Amours leur est si dure.
93Ce n’est pas enfin :
Qu’Amours, — qui est de si noble nature, (v. 2021)
mais, avec suppression de la virgule,
Qu’Amours qui est — de si noble nature.
94Les Ballades, Rondeaux et Virelais du même Machaut fourniraient à eux seuls une très riche moisson. Je n’en retiens que ces deux vers de l’édition Ludwig :
— Et ce refus m’ocist, bien vueil fenir. (n° I, p. 1, str. 2, v. 3)
— Amour qui me norrist de tel pasture. (n° XIV, p. 13, str. 3, v. 3)
95Tous les deux sont coupés à la quatrième syllabe, malgré le sens :
96Voici enfin un petit catalogue d’exemples colligés dans le Chansonnier de Bayeux. J’y ai séparé les hémistiches tels qu’ils sont marqués par la musique :
— Laquelle j’ay —longuement desirée. (XIV, 12)
— Las, je ne puis — jouïr à mon tallent. (XXII, 4)
— Vous n’y mourrez — pas pour l’amour de moy. (XXIII, 17)
— Dont mon coeur a — la peine et la doulleur. (XXXI, 2)
— El m’a donné — boutons, roses et flours. (XXXIII, 9)
— Quant il ne peut — trouver allegement. (XLIV, 18)
— Vieillesse m’a — doué de sa poincture. (LIV, 5)
— Je ne me puis — remectre a labourer. (ib., 6)
— Et m’en allay — vëoir la damoiselle. (LXIX, 13)
— Quand j’entendi — ainsi la doulce flour (ib., 10)
— Le dieu d’amours — vous gard, jeune pucelle (ib., 17)
97Il suffit de reproduire la mélodie des deux premiers vers, que notre diction moderne transformerait en trimètres avec les coupes suivantes :
— Laquelle — j’ai longuement — desirée.
— Las, — je ne puis jouir — a mon tallent.
98Ils sont, au contraire, césurés à la place régulière :
99La métrique du Moyen Age jette au sens les défis les plus incroyables. Je n’en veux qu’un dernier exemple, que j’emprunte aux Trois Chansonniers français du xve siècle :
Et quand le ver coquin ou front le picque. (n° XLVII, str. 3)
100On peut constater que ver coquin est impitoyablement partagé en deux, avec un silence qui aggrave la division :
101Un traitement aussi constant et des preuves aussi répétées ne peuvent laisser subsister le moindre doute.
102Il s’agit là d’une habitude invétérée, aussi vieille que la versification française elle-même, beaucoup plus vieille encore, peut-on dire, puisqu’elle remonte au latin liturgique et à la déclamation des psaumes. Les psaumes aussi veulent une coupe qui les sépare en deux membres approximativement équilibrés, et sans laquelle ils ne seraient pas des psaumes50. Cette coupe marque une division du sens toutes les fois que cela est possible ; dans le cas contraire elle n’en existe pas moins, car elle appartient au style ; elle est la signature du genre. Il en est de même dans la poésie latine de l’Église, c’est-à-dire que le mètre domine et qu’il fait subir sa loi aux mots sous peine de ne plus être. La même nécessité s’est imposée aux premiers versificateurs français. Les plus habiles ont évité, autant qu’ils l’ont pu, une discordance en elle-même fâcheuse et dont ils savaient qu’elle était fâcheuse. Mais, quand ils y ont été contraints, ils n’ont pas hésité à suivre leurs modèles, en sacrifiant la logique aux règles du vers. Ils ont eu l’excuse que leurs vers étaient chantés, et que la mélodie détournait jusqu’à un certain point l’attention des auditeurs. Comme les mauvais exemples sont toujours contagieux, la licence s’est transformée en usage courant, même dans les vers qui n’étaient pas destinés à être mis en musique, et dans lesquels on a continué de marquer la césure obligatoire. C’est à Malherbe qu’il nous faudra tresser des couronnes.
103Il ressort pourtant de cette discussion que les éditions modernes donnent une fausse idée de la césure médiévale, parce qu’elles prodiguent des ponctuations dans des textes où les manuscrits n’en présentent aucune, et qu’elles cèdent aux sollicitations du sens au lieu d’obéir au mètre. Notre point de vue, de toute évidence, est différent de celui de nos ancêtres. Serait-il donc possible qu’on fit autrement ? La question vaudrait peut-être la peine d’être débattue. Toujours est-il que ces ponctuations dissimulent la coupe réelle. Dans son édition des Chansons de Croisade51, J. Bédier écrit, avec des virgules à l’intérieur des hémistiches :
— Mais il n’est nus congié, quoi ke nus die. (XI, 7)
— Por Damedeu servir, mon criator. (XIX, 4)
— Et en la crois fut mis, ce savons bien. (XXIX, 7)
— Et dist : « Ça, tuit li boin et li meillour. (ib., 15)
104Au contraire il est certain qu’on prononçait :
— Mais il n’est nus — congiés quoi que nus die.
— Por Damedeu — servir mon criator.
— Et en la crois — fut mis ce savons bien.
— Et dist : Ça tuit — li boins et li meillour.
105On objectera que ces vers, ainsi déclamés, n’avaient plus aucun sens perceptible. D’accord : au moins gardaient-ils leur forme de vers et l’ordre métrique était-il sauvé, ce qui était l’essentiel. Nous aurons d’ailleurs à revenir sur ce sujet. En second lieu, il faut constater que beaucoup d’éditeurs, pour trouver une coupe qui les satisfît, ont remanié des vers qui n’en avaient nul besoin. Gaston Paris, dans la Passion, au lieu de cet octosyllabe :
Si grant pres pa — vor al Judeus, (19 b)
a proposé une interversion qui déterminait une coupe excellente :
Si grant pavor — pres al Judeus.
106De même le vers de Saint Léger :
Poble ben fist — credre en Deu, (31 f)
a été corrigé par A. Boucherie (ou P. Meyer) en :
Lo puople bien — fist credre en Dieu.
107Tout cela était parfaitement inutile et défigure le texte original.
III. LA RIME ET LE SENS. — L’ENJAMBEMENT
108Il y a enjambement lorsque le sens d’un vers, au lieu de s’arrêter à la rime, déborde sur le vers suivant. Le phénomène est donc parallèle de celui que nous venons d’examiner à la césure. En règle générale, il doit y avoir accord entre le texte et l’accent terminal. Pourtant il n’en est pas toujours ainsi, pour les mêmes raisons que nous avons indiquées à propos de l’hémistiche et surtout dans les mètres courts, cardans l’alexandrin, ainsi que le remarque E. Träger, il est généralement évité. Le plus ancien enjambement dont on puisse enregistrer l’existence se rencontre dans la Passion, et ce poème n’en contient qu’un seul, qui est le suivant :
Mais per vos et per vostres filz
Plorez assaz, qui obs vos es. (66 cd)
109II y en a au moins un, noté par Stengel52, dans Saint Alexis, bien qu’on lise couramment que cette licence y est inconnue, ainsi que dans les laisses de nos plus anciennes Chansons de Geste. C’est celui-ci :
Quant veit son regne, molt fortment se redotet
De ses parenz, qued il nel reconoissent (198-9)
110Mais Birkenhoff en a trouvé plusieurs dans Saint Brendan, et cette facilité s’est développée rapidement. Tobler en a cité des exemples extraits du Roman de Rou et de Berte. En voici que donne Stramwitz :
— Par fei, dist Cone, sire, ne vi mais tel maisnie
Cum est la duc Willeame, ne si appareillie,
Si delectable terre, ne gent si afaitie. (R. de Rou, 1169)
— Lors li conta Ogiers la chose ainsi
Qu’il en estoit, que de riens n’en menti. (Enfances Ogier, 6796)
111L. Constans, dans son édition du Roman de Troie, a fait cette remarque : « L’enjambement n’est fréquent qu’à partir de la seconde moitié du poème. Ainsi nous n’en relevons que quatre exemples dans les 2 000 premiers vers, et 17 du vers 2 000 au vers 14 000, tandis qu’il y en a au moins 130 du vers 14 000 à la fin (v. 30316). Il est d’ailleurs souvent atténué (à peu près une fois sur deux) par ce fait que la phrase, suspendue par le rejet d’un ou deux mots, se complète au même vers à l’aide d’un complément circonstanciel, par exemple : veant mil Greus et plus, ou d’une proposition incidente commençant le plus souvent par ço et s’appliquant à la phrase tout entière53. » Il y a des enjambements dans Marie de France :
Car plusors fiës morderoie
Maintes gens et mal leur feroie.
(Fables, Du Leu et du kieu, 27-28)
112Il y en a dans Philippe de Thaon :
E iço signefie
Vendresdis, sainte vie (Comput, 571-572)
113On en rencontre de très nombreux dans les poèmes anglo-normands54. Ils abondent dans la poésie lyrique. Les romans de Chrétien de Troyes n’en sont pas exempts. Aux xiiie, xive et xve siècles, les poètes sont loin d’y avoir renoncé, tout au contraire. Ils le pratiquent même avec une telle ampleur qu’ils l’étendent à la strophe, comme on peut le constater par ces deux exemples de Rutebeuf :
— En leu de voir dient frivoles
Et mençonges vaines et voles
Por decevoir
La gent et por apercevoir
S’a piece voudront recevoir
Celui qui vient. (éd. Jubinal, t. I, p. 247)
— Assez font paier de musages
Et d’avaloingnes
A ces povres bestes lontaingnes. (ib., p. 241)
114Pourtant il faut préciser. Il y a enjambement évident même dans les exemples où L. Constans prétend qu’il est atténué :
— Puis dirai comme Deïphebus
L’ocist, veant mil Greus et plus. (R. de Troie, 498)
— Trop iert la joste comparee
Que Castor fist. Jo n’en sai al. (ib., 2613)
— S’ensi vos remaneit en pais
Li Pallades. Mais ço n’iert mie. (ib., 26999)
115En effet, la phrase commencée dans le premier vers s’achève seulement au début du second, qui se termine comme il peut. Il en est tout autrement dans nombre de cas que Stramwitz n’aurait pas dû faire entrer en ligne de compte, puisque le sens se poursuit jusqu’à la fin du second vers :
Dame, ce dist rois Flores, or n’avommes nul hoir
Fors Bertain, qui me fait souvent le cuer doloir. (Berte, 1583)
116C’est encore ici un méfait de la ponctuation moderne ; on doit supprimer la virgule après Bertain et lire d’un seul trait : Fors Bertain qui me fait... Il s’agit là d’un alexandrin très correct, conforme à la règle plus tard classique et dont la tradition existait certainement au Moyen Age, sans que personne ait songé à la formuler.
117Il y a plusieurs degrés dans le rejet. Certains enjambements sont très hardis et par conséquent très durs. Ils portent sur une syllabe :
Don ne te souvient il que tu
As en la cort le roi Artu... (R. de la Charete, 5035)
ou sur deux :
Aiés vos cuers fers et creans
En Dieu. Ja pour ches mescreans... (J. Bodel, Saint Nicolas)
ou sur trois :
E lui demande s’il reis fu
Des Judeus ; il a respundu... (Évangile de Nicodème, 364)
118Au contraire, il est très atténué, et assez facile à dissimuler quand il est poursuivi jusqu’à la césure :
Li chastelains s’ala agenoillier
Devant Charlon et l’en prist à baisier... (Enfances Ogier, 7916)
119Il redevient très pernicieux aussitôt qu’il dépasse cette limite, comme au second de ces vers :
Et cele dit : Ce est li chies
De cest chevaliers que tu as
Conquis ; et voiz, ainz ne trovas... (R. de la Charete, 2808)
120Comme il ne reste plus que trois syllabes pour aller jusqu’à la rime, un nouvel enjambement est presque inévitable et il se produit en effet. Froissart, Christine de Pisan et les poètes du xve siècle s’abandonnent à ces cascades qui font très souvent porter la rime sur un mot insignifiant pour le sens, sur un article, une conjonction, un proclitique :
— Au mains
Ne se feroit pas cela sans
Ce que mon cuer ne fust pensans
A ma chiere dame pour une
Grace que je suis atendans. (Froissart, t. III, p. 113)
— Que le prince ne se puist si
Mucier que les yeux de chascun
Nel regardent, lui qui n’est que un
Seul, garder doit soigneusement.
(Christ. de Pisan, Chem. de l. Estoire, 6028)
— Au temps que Alixandre regna,
Uug homme, nommé Diomedes,
Devant luy on luy amena
Engrillonné poulces et detz
Comme ung larron ; car il fut des
Escumeurs que voyons courir (Villon, Test. XVII)
121Cette irrégularité devient même une finesse de versification qu’on semble rechercher avec une certaine prédilection, pour ce que la rime ainsi conçue possède de surprenant et de rare.
122Les Leys d’Amors transigent déjà avec la sévérité des principes. Elles ont la faiblesse de concéder « que le nominatif ou l’accusatif peut être à la fin d’un vers et le verbe au commencement du suivant, et réciproquement » ; même, en ce qui concerne les limites de la strophe, elles se montrent assez accommodantes : « Le repos final, déclarent-elles55, considéré sous le rapport de la reprise d’haleine, est celui qui a lieu à la fin de chaque couplet. Mais, sous le rapport du sens, ce repos de la fin du couplet peut être plan ou final. Car le couplet doit avoir un sens complet et achevé ; et nous regardons le sens comme complet et achevé, lorsque le repos du couplet est plan ou final56. » Cependant elles ne se dispensent pas de formuler la règle générale, selon laquelle le vers doit former un sens assez intelligible et complet57 ; elles prodiguent des conseils parfaitement orthodoxes qui nous révèlent la doctrine la plus ancienne : « Il n’est pas bien de placer les mots car, c’est pourquoi, quand, ni d’autres mots semblables à la fin du vers, à moins qu’on n’y soit forcé par l’exigence des mots coupés, syllabés, équivoques, ou accentuels, ou utrissonants, ou par une rétrogradation, ou par toute autre nécessité naturelle58. » Elles enregistrent ainsi des licences déjà invétérées tout en ayant bien soin de marquer le prix qu’elles attachent à la correction technique. Par ce traité, on peut se rendre compte comment la rime, après avoir été à l’origine plus respectée que la césure, a été elle aussi livrée à la facilité. Ensuite cette facilité s’est transformée en un agrément que les poètes ont recherché volontairement. La première condamnation radicale dont l’enjambement fera l’objet est celle que portera contre lui P. Fabri, également ennemi des mauvaises césures : « Et doit l’en, a-t-il dit, tousiours terminer substance entre la ou est la couppe ou la fin de ligne. » Quand nous étudierons le vers de la Renaissance et celui de l’époque classique, nous ferons ressortir quels ont été les motifs de cette réforme ; la question sera alors traitée avec toute l’ampleur qu’elle mérite.
123Or le problème est de savoir comment se comportait la voix lorsqu’il y avait enjambement, et si la coupe finale subissait le même sort que la coupe intérieure. Étant donnés les rapports étroits qui unissent les deux phénomènes, on sait d’avance quelle peut être la réponse. L’auteur d’un traité de rythmique latine du xve siècle, Nicolò Tibino, qui était italien, s’est montré préoccupé de ce conflit du sens et de la rime. L’enjambement était fréquent dans la poésie latine du Moyen Age, comme aussi dans la poésie italienne de la même époque, ainsi qu’on peut le constater par ces deux vers de Dante :
Questi è divino spirito, che ne la
Via d’andar su ne drizza senza prego. (Purg., XVII, 55)
124Tibino fait à ce propos des remarques très précieuses59 : « Item nota de tertia distinctione, que dicitur distinctio sensuum ; et per istam distinctionem nil plus intelligo nisi pausam quam dictator debet facere in perfecta sensus complectione orationis et sententie ; multociens enim accidit quod, finita consonantia, adhuc sensus orationis non est finitus ; et ergo ad hujus cognitionem oportet quod pronunciator faciat distinctionem in dictione perficiente sen-sum, quia sic dicendum :
Christi mater obsecrata,
Peccatorum tu peccata
Dele, quos clarificas.
125In prima consonantia ipsius rithmi ydempnitas consonantie finitur, et tamen sensus solum finitur in altera, ubi ponitur hoc verbum dele, perficiens sensus orationis precedentis. Ut ergo dictator satis-faciat cuilibet pronuncianti et audienti pro tribus distinctionibus, talem capiat doctrinam : in quacumque compositione dictaminis finiatur rithmus cum ydempnitate consonantiarum, ibi debet facere punctum perfectum se dirigentem ad rotunditatem, et fiat pro prima distinctione ; sed ubi consonantia intermediata est per alias consonantias, tunc prope consonantias post finem dictionis ponat duas virgulas ad longum et aliqualiter sursum ductas ; similiter faciat de consonantia sibi respondenti, que valet pro secunda divi-sione : pro tertia tunc divisione, que distinguit sensum, ponat unam parvam virgulam sursum ductam in signum complectionis sensus ; et pronuncians sumat talem cautelam in pronuntiando, qua per pausam distinguat rithmum a rithmo et adjungat consonantiam consonantiae, ut auditor sufficienter apprehendat per pausam rithmum, consonantiam atque sensum. »
126Ce texte de Tibino ne se signale pas par une absolue clarté. On y distingue pourtant que trois choses sont à considérer : l’unité du vers, la rime et le sens. L’auteur maintient la règle qui exige la pause finale en parfaite concordance avec l’idée. Ainsi sont marqués à la fois l’unité du vers, la rime et le sens. Une autre prescription (sed ubi consonantia intermediata est...) est assez obscure. La dernière au contraire, de toute évidence, vise le cas de l’enjambement : lorsque le diseur arrive à la syllabe terminale, il n’y élève la voix que d’une façon modérée, pour indiquer la liaison avec ce qui suit, et il fait la distinctio sur le mot qui achève le membre de phrase (ici : dele), mais il doit s’y prendre avec adresse, de telle sorte qu’il rende sensibles à la fois l’unité du vers, la rime et le sens. Dans de telles circonstances, il est bien spécifié que l’accent habituel, ou pause, ne doit nullement disparaître. L’auteur réduit en somme l’enjambement à un artifice d’intonation, mais autorise une coupe au début du vers suivant. Tout cela est entremêlé de recommandations qui ont trait à la valeur mélodique de la syllabe de la rime et sur lesquelles nous aurons à revenir. Par malheur, l’exemple choisi consiste en petits vers, sans doute soumis à un régime un peu spécial, ainsi que nous le montrerons. Il aurait été de beaucoup préférable que les observations de Nicolò Tibino eussent porté sur des alexandrins ou des décasyllabes.
127Cependant ce témoignage, outre qu’il est d’époque un peu tardive, propose des raffinements dont on ne voit pas que la déclamation ait tenu grand compte. Il relève beaucoup plus de la théorie que de la pratique, encore que son auteur ne transige pas sur ce point fondamental que la rime doit toujours être mise en relief dans les conditions ordinaires, c’est-à-dire qu’elle ne perd jamais sa qualité de tonique. Examinons les choses de près. Th. Gerold a attiré l’attention sur un poème de Bernard de Ventadour. Le savant musicologue s’exprime ainsi60 : « Nous avons vu que, sauf pour des vers très courts, une phrase musicale correspond à un vers, et que la fin de celui-ci, ainsi que de la phrase mélodique, est marquée par un léger repos, souvent presque insignifiant. Mais il se produit parfois un enjambement d’un vers à l’autre, et le talent de l’auteur consiste alors à bien enchaîner les deux phrases musicales. C’est ce qu’a fait par exemple Bernard de Ventadour dans la chanson Can vei la lauzeta mover :
le cas est particulièrement probant au début de la seconde strophe : Ailas, tan cuiava saber D’amor, e tan petit en sai. » Il est certain qu’un chanteur moderne liera la mélodie, de façon à unir la fin du premier vers au début du second, mais il ne l’est pas du tout qu’au Moyen Age on en faisait autant et qu’on ne les rendait pas indépendants, conformément à la règle générale.
128En effet, le Ms. de la Bibliothèque Nationale F. Fr. 22543, f° 56, donne le même texte de Bernard de Ventadour, avec une légère variante dans la musique :
129Dans ce manuscrit, tous les vers sont séparés par des points quant aux paroles et par des barres verticales quant à la mélodie. On peut constater que ces signes ne manquent pas ici, malgré l’enjambement du sens, preuve très nette que le copiste n’a pas cru qu’il dût y avoir rien de changé dans la déclamation par rapport aux habitudes courantes. On n’aperçoit pas non plus qu’au point de vue de l’accentuation la rime du premier vers soit allégée dans la transcription modale, ni que la deuxième syllabe du second soit privilégiée pour marquer l’arrêt du sens, comme Tibino invite à le faire. Enfin, s’il est indiscutable que la seconde strophe commence elle aussi par un enjambement : Ailas ! quant cuiava saber D’Amor, e quant petit en sai ! qu’il en est de même de la troisième : Anc puissas non pogui aver De me poder, de lor en sai et de la sixième : D’aisso s jai ben femna parer Ma domna, per quien l’o reirai, il en est autrement de la quatrième : De las domnas mi dezesper, Jamais en lor no m fiarai, de la cinquième, puisque le sens se poursuit jusqu’à la fin du second vers : Pus ab mi dons no m pot valer Precs, ni merces, ni’l dregz qu’ieu ai, et de la septième : Merces es perduda per ver, Et ieu non o saubi ancmai. On doit remarquer d’abord que l’étendue de l’enjambement, dans les vers qui débordent, varie de l’un à l’autre, qu’il finit sur la seconde syllabe dans la première et la seconde strophes, sur la quatrième dans la troisième, et sur la troisième dans la sixième. Surtout il faut bien considérer que, dans toutes, la mélodie reste la même. Alors l’alternative est celle-ci : ou la mélodie impose partout l’enjambement, si en effet elle a été conçue comme réellement enjambante ; ou bien elle ne l’impose pas, et alors elle soumet les vers enjambants à la règle commune, sans tenir compte du sens dont l’auteur ne s’est pas préoccupé. Cette dernière explication est sans doute la seule bonne, car il est difficile d’admettre que l’exception l’emporte sur l’usage courant, tandis qu’il est vraisemblable de croire que celui-ci règne partout.
130Prenons encore un autre exemple. Dans le Lai de Notre-Dame, d’Ernoul le Vieux, qui figure dans les Lais et Descorts français du xiiie siècle61, se trouve ce passage :
Ce fu Gabrieaus,
Angles boins et beaus,
Volans et isneaus,
Del signor de ceaus
Amoros messa(i)je,
Qui ne vos anoncha mie
Novelles de vilonie,
Ne parole vaine,
Quant de par le roi de vie
Te dist : « Diex te saut, Marie,
Ki de grasse ies pleine.
131C’est le cas de Te dist, à l’avant-dernier vers, qui nous semble intéressant. Or la page même du manuscrit, reproduite en phototypie, se trouve en tête du volume. Ici aucune barre verticale dans les notes qui forment la mélodie. Mais le texte versifié se présente de la façon suivante :
...Qui ne vos anoncha mie novelles de vilonie ne parole vaine. Quant de par le roy de vie. te dist diex te saut Marie. ki de grasse ies plaine.
132Il y a un point entre vie et te dist. Voici la reproduction, avec ponctuation moderne, donnée par P. Aubry ; j’en supprime simplement des barres verticales qui n’existent pas dans l’original :
133Il est clair que le musicien n’a tenu aucun compte de l’enjambement, puisque la phrase mélodique ß reproduit exactement la phrase mélodique a, laquelle supporte des vers très réguliers. On constate que le vers : Te dist diex te saut Marie est considéré comme parfaitement indépendant de celui qui le précède.
134Autre exemple encore. Le Chansonnier de l’Arsenal (Bibl. de l’Arsenal, ms. 5198) a été publié en reproduction phototypique par A. Jeanroy et P. Aubry. Sauf omission rare, le scribe sépare tous les vers par des points, tandis que les barres verticales, réparties dans la musique de deux vers en deux vers, manquent assez souvent. Les enjambements s’y rencontrent en grand nombre : on n’a que l’embarras du choix. Soit donc cette strophe d’une chanson du roi de Navarre62 :
Contre le tens qui devise
Yver et pluie d’esté,
Et la mauvis se debrise,
Qui de lonc tens n’a chanté,
Ferai chançon, car a gré
Me vient, que j’ai en pensé
Amors qui en moi s’est mise :
Bien m’a droit son dart geté.
135Je copie très exactement le manuscrit :
136Il y a un point entre a gré et Me vient. Voici la transcription de P. Aubry en notation moderne, avec un silence d’un temps entre les deux vers :
137Au xive siècle, Guillaume de Machaut, à la fois poète et musicien, nous est un témoin pour cette raison très précieux, d’autant plus que ses compositions sont écrites par longues et par brèves, non plus par signes également caudés. Enjambement ou non, ses mélodies valent pour toutes les strophes d’un même poème, et les cas en apparence les plus favorables aux liaisons de la déclamation moderne soulèvent les mêmes observations que celles déjà présentées à propos de Bernart de Ventadour. Il est très utile cependant d’étudier à cet égard l’un de ses poèmes. Ce sera, si on le veut bien, la Chanson roial du Remède de Fortune, transcrite ci-dessus avec sa mélodie63. Il est facile de constater que les vers sont indépendants l’un de l’autre. Si le poète a enjambé, c’est par licence, et parce qu’il y trouvait une commodité pour l’expression écrite de sa pensée. Mais la musique néglige ces irrégularités et brise brutalement le sens à la rime. Le vers 1987 est séparé du v. 1988, sans liaison mélodique avec celui-ci, qui continue pourtant l’énumération commencée par le mot pointure ; le v. 1989 est distinct du v, 1990, bien que Ne me puis se rattache à ce qui précède ; le v. 1991 n’est pas étroitement joint au v. 1990, bien que D’Amours soit le complément de souffrance. Les mêmes remarques valent pour les autres strophes. Il ne faut pas lire :
Car qui plus requiert, — je di
Qu’Amours — l’a guerpi, (v. 2001-2)
mais au contraire :
Car qui plus requiert je di —
Qu’Amours l’a guerpi.
138Il ne faut pas lier par l’intonation les v. 2012-2013 :
Mais ceaux qui sont en tristesse, en ardure,
En pleurs, en plains, en dolour sans cesser ;
on doit au contraire les disjoindre, car le second ne continue pas le premier. Ce n’est pas :
Et qu’en eaus trop ne s’avance —
Desirs ; — pour ce sont einsi, (v. 2018-19)
mais :
Et qu’en eaux trop ne s’avance —
Desirs ; pour ce sont einsi...
139Il ne faut pas escamoter la rime du v. 2026 pour joindre le mot savourer à Ses douceurs, qui commence le vers suivant. Le musicien partout suit la règle métrique en dépit de la clarté, et le poète se moque pareillement de celle-ci, sans se soucier de ce que son lecteur comprendra ou ne comprendra pas, pourvu qu’il aligne d’une rime à l’autre le nombre de syllabes dont il a besoin.
140La Complainte du Remède de Fortune, qui présente des enjambements aux v. 906-7, 909-10 et 913-4, et dont E. Hoepffner a donné le fac-similé musical d’après le manuscrit, soulèverait les mêmes observations. Les Ballades, Rondeaux et Virelais, édités par Fr. Ludwig avec leurs mélodies, contiennent un grand nombre de cas semblables64. Soit donc celui-ci, où le rejet est particulièrement violent, puisqu’il ne porte que sur une syllabe :
Gai et jolis, liés, chantans et joieus
Sui, ce m’est vis, au gracieux retour65...
141Voici les notes intéressantes de la mélodie :
142Une légère pause sépare le second vers du premier, et Sui, loin d’être marqué le moindrement du monde, fait corps avec l’hémistiche auquel il appartient : le mètre prime le sens.
143Au xve siècle, les choses n’ont pas changé, ainsi qu’on peut s’en rendre compte par le Chansonnier de Bayeux. Les enjambements y sont assez fréquents. J’ai relevé ceux-ci :
— Las, dictez moy comment pourray avoir
Vostre amour, belle, que j’ay tant desirée. (XIX, 1re str., v. 2-3)
— Gentils gallans, qui bevez hardiment
De ce bon vin, à pot et sans mesure. (LIV, v. 17-18)
— Si la belle ne prent aucun vouloir
De moy aymer, perdre me fault la vye. (LXXI, v. 2-3)
— Le roy Englois se faisoit appeler
Le roy de France par s’appellation. (LXXXVII, 3e str., v. 1-2)
144Dans tous ces exemples, le second vers ne se relie pas au premier. Une seule citation suffira :
145Ici la mélodie tombe sur la tonique de appeler, tandis que Le roy de France appartient nettement au deuxième fragment de la mélodie. Voici d’ailleurs deux cas plus intéressants. L’un présente une suite d’enjambements en cascade :
Croyez de vrai, se Gaultier ou Mathieu
Veult avancer, si ne frappe au milieu
De leur harnoys, je veulx qu’en enfer fonde :
Car je sçay bien, soit blanche, clere ou blonde,
Il fault argent pour commencer le jeu. (LXXIX, v. 11-15)
146On remarque que la mélodie souligne partout, imperturbablement, la césure et la rime, régulièrement accompagnées d’un silence, sauf dans le dernier vers : enjambement ou non, le traitement est toujours le même et les valeurs ne changent pas :
147L’autre exemple présente un rejet beaucoup plus dur, puisque le sens s’arrête sur la troisième syllabe et ne va point jusqu’à la coupe :
Je suis vostre, et vous estez la moye
A tousjours ; maiz, le temps de mon vivant... (LXXII, v. 22-23)
148On voit par la mélodie que l’enjambement est complètement négligé par la voix, mais que celle-ci va se porter avec force et insistance sur la césure, tandis que la rime précédente a été marquée par une longue vocalise, qui empêche toute liaison d’un vers à l’autre :
149Que l’irrégularité métrique se trouve dans la première strophe d’un poème ou dans les suivantes, voilà qui importe peu : la mélodie est faite toujours pour des vers dont la césure et la rime doivent être mises en relief, et elles le sont malgré le sens, qui succombe dans ce conflit éventuel, sans qu’on semble se préoccuper du trouble qui en résulte66.
150En somme, sur ce point particulier, le parallélisme de la coupe intérieure et de la coupe finale est aussi parfait que pour le reste : toute infraction à la règle qui atteint l’une peut aussi, le cas échéant, s’appliquer à l’autre. S’il y a conflit entre le texte et le mètre, c’est le mètre qui l’emporte, au rebours de nos conceptions modernes. Ici encore, les ponctuations des éditeurs, qui ne tiennent pas compte de ce fait, faussent l’idée que nous nous formons de la versification médiévale, et ce que nous avons dit à ce propos à l’égard de la césure vaut également pour la rime.1 Il y a pourtant un détail que nous n’avons pas mis suffisamment en valeur et qu’il importe de faire ressortir. C’est le suivant. Ainsi que nous l’avons déjà indiqué, les poètes des xive et xve siècles prodiguent les enjambements les plus invraisemblables, en plaçant à la fin du vers des mots atones :
— Imagination a ces
Mos a bien dit que non fera. (Froissard, t. II, p. 243)
— Car je croy bien que ton present te
Donra joie, veuilles ou non. (Id., t. III, p. 18.)
151S’il a été prouvé que la voix, pour faire sentir le mètre, transformait ces atones en toniques, on peut dire que de tels vers, dont il y a d’ailleurs des exemples dans Chrétien de Troyes, et dans le Roman de là Rose, ont inauguré dès le Moyen Age le genre funambulesque. Théodore de Banville, qui de nos jours s’en fit une spécialité, a dit qu’il en avait trouvé les modèles chez les lyriques latins ; il est probable qu’il les avait surtout rencontrés chez Frois-sart ou chez Christine de Pisan, ou, plus sûrement encore, dans les poèmes de Villon.
IV. DIFFÉRENCES ENTRE LA CÉSURE ET LA RIME
LEUR VALEUR MUSICALE
152Il y a cependant deux différences essentielles entre la césure et la rime, deux caractères grâce auxquels elles ne peuvent être confondues. Le premier est bien connu ; il consiste dans ce fait que la rime est ornée d’une homophonie qui signale à l’oreille la fin du vers, tandis que la césure en est dépourvue. Cette homophonie, réduite d’abord à l’assonance, c’est-à-dire à l’identité de la voyelle tonique qui termine la ligne, se développe bientôt par l’identité des articulations qui suivent la voyelle dont il s’agit. Puis la rime devient riche, et même très riche, grâce à l’extension des parités vocaliques et consonantiques qui précèdent la voyelle accentuée : autant de faits qui seront étudiés à part.
153En principe, tous les vers sont rimés. Il y a pourtant quelques exceptions. Elles concernent les petits vers, à l’exclusion des autres. Le fait se présente à la fin des laisses de certaines épopées : dans Aliscans par exemple, chaque tirade se termine par un hexasyllabe qui ne s’accorde pas avec les finales précédentes. Il en est également ainsi dans les parties versifiées d’Aucassin et Nicolette. On rencontre encore le même phénomène dans certaines strophes. Thurot en a cité un échantillon latin, tiré d’un traité intitulé Ars poetica67. On y lit ceci : « Caudatorum rithmorum aliqui sunt consoni, alii dissoni. Consoni sunt, quando due caude consonant in fine... Dissoni sunt, quando caude dissonant, ut in hoc exemplo :
Aaron virga, que tulit duram
Cum flore nucem contra naturam,
Est porta celi
Aperta nunquam, sed semper clausa.
Nostre salutis extitis causa,
Virgo Maria. »
154G. Paris à son tour a commenté un petit poème du xiie siècle68, où les vers courts sont privés de rime :
Quant li solleiz converset en leon,
En icel tens qu’est ortus pliadon
Par unc matin,
Une pulcellet odit molt gent plorer,
Et son ami dolcement regreter
Et si lli dis...
155On cite encore un cas analogue dans le Miracle de Théophile de Rutebeuf69. Ce sont là des infractions fort rares à la loi, dont on peut dire qu’elle est absolue.
156Il suffit de retenir pour le moment que seule la rime doit manifester un accord de timbres avec la finale du vers dont elle est précédée ou dont elle est suivie, que parfois même elle s’insère dans toute une série de terminaisons semblables, à moins que le poète ne l’éloigne quelque peu du mot avec lequel elle forme l’écho attendu. La césure au contraire, en règle générale, ne présente rien de tel, bien que, dans quelques cas particuliers, il en ait été autrement. En effet, l’invention de l’homophonie terminale a paru tellement belle et à ce point précieuse, que de bonne heure on a tenté de transporter le même ornement à la coupe intérieure, qu’elle devait signaler à l’auditeur à l’égal de la rime. On en trouve des exemples, ainsi qu’il a déjà été dit, à une époque ancienne. Je rappelle qu’Edelestand du Méril70 a cité ces vers de Ratbert, au xe siècle :
Nunc incipiendum — est mihi magnum gaudium.
Sanctiorem nullum — quam sanctum Gallum
Misit filium Hibernia ; — recepit patrem Suevia,
et puis ceux-ci, qui sont de Pierre Damien, au xie :
Pascalis festi gaudium — mundi replet ambitum,
Caelum, tellus ac maria — laeta promant carmina,
Et alleluia consonis — modulentur organis.
157Les vers ainsi construits sont appelés léonins par Evrard l’Allemand dans son Laborintus71, écrit entre 1215 et 1280, comme une certaine espèce de rime riche a déjà été nommée léonine, si bien que la même épithète a servi à désigner deux phénomènes assez différents :
Sunt inventoris de nomine dicta Leonis
Carmina, quae tali sunt modulanda modo :
Pestis avaritiae — durumque nefas simoniae
Regnat in Ecclesia — liberiore via.
158De telles rimes sont très rares dans les plus anciens poèmes épiques. Stengel72 a attiré l’attention sur un très curieux passage d’Aye d’Avignon, où la césure assone avec la fin du vers. Otten l’a mentionné également :
Cil marinier sont riche, — de Gennes et de Pise,
Qui mainent la navie — par toute paienie.
As grans cités antis — et à bours et à villes
Achatent les espices — qu’il ont de maintes guises,
Et canelle et gingembre — ricolice et baupine,
O les bonnes racines — dont on fait medecines,
Dont tote Lombardie — sera bien replenie.
Dist le mestre quis a — à Ganor quis engingne.
Dont estes vos biau sire ? — De France la garnie. (v. 2339-2351)
159D’après cette combinaison encore assez simple on en a édifié d’autres. Les vers ordinaires étant appelés caudati par Evrard l’Allemand, il a donné le nom de caudati ventrini à ceux où les césures riment entre elles, tandis que les rimes s’accordent sur d’autres timbres :
Sunt medio quae conveniunt et fine vicissim
Carmina, quae tali sunt modulanda modo :
Si tibi nota seges — est morum, gratus haberis,
Si virtutis eges, — despiciendus eris,
Criminibus mersos — toto conamine vites ;
A vitiis tersos — cordis amore cites.
160Semblablement on trouve dans Aliscans :
Ki n’i lairont — ne passage ne gué
Dusk’i l’aront — en Orbaye enserré ;
Quis le prendront — par fine poesté,
Si le rendront — lur signer Desramé (v. 1538 sq.).
161Toujours selon Evrard, les vers peuvent être encore caudati leonini, c’est-à-dire que les césures riment alors non seulement entre elles, mais aussi avec les rimes :
Sunt et caudatis pariter conjuncta Leonis
Carmina, quae tali sunt modulanda modo :
Virtutem sequere, — virtutis praemia quaere ;
Omnia vana tere — lucis amore merae.
Virtus laudis emit — pretium, bona res mala demit :
Hanc dum lingua fremit, — pessima saepe premit.
162Enfin il existe des vers serpentini, où la rime du second s’accorde avec la césure du premier, et la rime du premier avec la césure du second :
Sunt ad principia quorum fines referuntur
Carmina, quae tali sunt modulanda modo :
Hoc moneo ne fas — fore credas, optima rerum
Ut carpas, verum — prodigiale nefas.
Est domini donum — puri devotio cordis :
Contemptus sordis — initiale bonum.
163Ces jongleries se rencontrent dans la poésie lyrique en langue vulgaire, ainsi que l’a remarqué P. Verrier73, et elles survivent encore dans la chanson populaire. Elles sont à la source des tours de force métriques auxquels se sont livrés les Grands Rhétoriqueurs et Froissart leur ancêtre direct. Nous aurons donc à y revenir. Pourtant, au moins à la bonne époque, elles n’ont pas eu tout le succès que leurs inventeurs en avaient espéré. Il y avait en effet grand risque qu’à de pareils jeux le vers ne perdît son individualité, et qu’une confusion ne s’établît entre la coupe intérieure et l’accent terminal. La pure doctrine éliminait, en effet, tous les accords de timbres qui pouvaient intervenir ailleurs qu’à la rime, à laquelle était réservée l’homophonie qui la caractérisait. Sous le nom de mauvais vers, ou rims fayshucz, les Leys d’Amors ont sévèrement interdit toutes les consonances vicieuses : « Ce qu’on appelle Rims fayshucs, peut-on lire74, est la prononciation faite, en un grand vers, de trois mots ou plus, ayant chacun plusieurs ou presque plusieurs syllabes, ou de quatre mots ou plus, ayant chacun une syllabe : — ou, en un petit vers, de deux mots ayant plusieurs syllabes, ou de trois mots ayant une syllabe, en accord continué ou non continué, s’accordant ou ne s’accordant pas avec la fin du vers principal : — ou, dans des vers, soit grands, soit petits, de deux mots s’accordant ensemble et avec deux autres mots du vers suivant, ayant un nombre égal de syllabes, sans interposition d’aucun vers principal, qui n’ait aucun mot s’accordant avec les précédents et ayant un nombre égal de syllabes : — ou, dans un troisième vers, de mots présentant un ou plusieurs accords semblables à l’un des accords ou à tous ceux qu’on trouve en l’un ou l’autre des deux vers précédents, ou en tous deux, avec un nombre égal de syllabes : — ou d’un repos de vers s’accordant avec la fin de ce même vers ou avec celle du vers qui précède ou qui suit : — ou de deux repos principaux s’accordant, sans interposition d’au moins deux autres repos ne s’accordant pas. »
164Les développements des Leys d’Amors touchant cette question sont forts longs — preuve de l’importance qu’elles lui accordent. Ils sont parfois embrouillés, mais tendent tous à maintenir le respect de la règle qui fait de l’homophonie la propriété exclusive de la rime. Guilhem Molinier condamne les vers suivants :
Langor, tristor, dolor et plor, tot dia,
Suefri per vos, quar nous veg, bel amia,
ou bien encore ceux-ci :
Gran dan fan li clergue truan ;
Despenden ses obs, cascun an.
165Il insiste surtout très explicitement sur le cas que nous étudions : « On dit ensuite qu’il y a rims fayshucs quand le repos d’un vers est semblable, par l’accord, à la fin de ce même vers ou à celle du vers qui le précède ou qui le suit. Exemple :
Am gran cossir — me faytz amors languir
Per qu’ieu vos prec — que’m vuelhatz proservir,
E pueys estortz — seray destas langors :
Si no la mortz — conosc que’m pren de cors,
E ja lauzors — nous sera ni valors,
Si per nos mor — vostre fis aymadors.
166En effet, quand on dit am gran cossir, voilà un repos de vers qui est semblable, par l’accord, à la fin de ce même vers, où l’on dit : me faytz amors languir. On peut voir encore, dans cette même strophe, un repos de vers semblable, en accord, à la fin du vers précédent et du suivant, quoiqu’un seul accord suffise pour constituer le vice. Cela se voit dans le vers qui commence par E ja lauzors, et finit par valors ; tandis que le précédent finit par de cors, et le suivant par aymadors75. » Plus loin il répète encore la même défense en précisant tous les cas qui peuvent se présenter76 ; il n’autorise des irrégularités que sous l’excuse de certaines figures, ou lorsqu’il y a intention expresse du poète, dans certaines constructions métriques, dont la plus notable — je donne son explication pour ce qu’elle vaut — est ce qu’il appelle le vers enté : « Il y a vers enté, peut-on lire77, toutes les fois que le premier hémistiche d’un vers rime avec le premier hémistiche du vers suivant, ou avec la fin du même vers, ou avec la fin du vers précédent. Car, en ce que cet hémistiche rime avec celui du vers suivant, ou avec la fin du même vers, ou avec celle du précédent, il peut faire un vers par lui-même ; mais, en ce qu’il aide à compléter le vers principal, il ne fait qu’un seul vers avec le second hémistiche, qui le suit. »
167Cette première différence étant nettement établie, il y en a une seconde qui est de toute autre nature et que l’œil ne permet pas de constater. On peut montrer que la césure et la rime ont des intonations différentes, ce qui est indiscutable pour les grands vers, mais qui se laisse définir avec moins de précision pour les petits. Nous commencerons par les premiers.
168Il est un texte d’Isidore de Séville78 († 636) qui a déjà été utilisé précédemment, mais seulement en partie, et qu’il importe maintenant de reproduire avec tous ses détails. Il a trait surtout à la prose et ne s’applique au vers que dans ses dernières lignes : « Positura est figura ad distenguendos sensus per cola et commata, et periodos, quae dum ordine suo apponitur, sensum nobis lectionis osten-dit. Dictae autem positurae, vel quia punctis positis annotantur, vel quia ibi vox pro intervallo distinctionis deponitur. — Has Graeci θέσεις vocant, Latini posituras (les ponctuations). Prima positura subdistinctio dicitur, eadem et хóμμα. Media distinctio sequens est, ipsa et хῶλον. Ultima distinctio, quae totam sententiam claudit, ipsa et περíοδος, cujus, ut diximus, partes sunt хῶλον et хóμμα, quarum diversitas punctis diverso loco positis demonstratur. — Ubi enim in initio necdum plena pars sensus est... fit comma (virgule), id est, particula sensus, punctusque ad imam litteram ponitur, et vocatur subdistinctio ab eo quod punctum subtus, id est, ad imam litteram accipit (on marque un point en bas). — Ubi autem in sequentibus jam sententia sensum praestat, sed adhuc aliquid superest de sententiae plenitudine, fit colon (point et virgule), mediamque litteram puncto notamus (on marque un point au milieu de la lettre) et mediam distinctionem vocamus, quia punctum ad mediam litteram ponimus. — Ubi vero jam per gradus pronuntiando plenam sententiae clausulam facimus, fit periodus ; punctumque ad caput litterae ponimus (on met un point en haut de la lettre) et vocatur distinctio, id est disjunctio, quia integram separavit sententiam. — Hoc quidun apud oratores. Caeterum apud poetas ubi in versus post duos pedes syllaba remanet, comma est, quia ibi post scansionem praecisio (une coupure) verbi facta est. Ubi vero post duos pedes de parte orationis nihil superest, colon est. Totus enim versus periodus est. »
169Le dernier paragraphe de ce passage ne s’applique qu’au vers classique, mais indique très clairement que les places réservées aux ponctuations sont la césure et la fin du vers. En prose, Isidore distingue trois espèces de ponctuations différentes, la virgule, le point et virgule, enfin le point, qui intervient à la fin de la phrase, comme d’ailleurs à la fin du vers, et uniquement en cet endroit. Toutes ces ponctuations pourtant ne se traduisent que par un signe, le point, dont la valeur se constate par la position qu’il occupe. Paléographiquement, c’est ainsi que se présentent les manuscrits copiés entre le ive et le vie siècle : « Un signe unique, a remarqué H. Omont79, le point, placé en haut, en bas, ou au milieu, sert à marquer les différentes ponctuations. » M. Prou, qui reproduit cette observation, ajoute : « Le point en haut appelé distinctio (τελεíα στιγμή) indique le plus long repos, le point en bas, subdistinctio (ύπο-στιγμή) indique le plus court repos ; le point placé à moitié de la hauteur des lettres, distinctio media (μέση), indique une ponctuation moyenne. » Mais il dit encore : « Bien peu nombreux sont les manuscrits où ces théories ont été appliquées. Le plus souvent il n’y a que deux points : le point en haut pour marquer la ponctuation forte ; le point en bas, la ponctuation faible80. » Plus tard, au xiie siècle, un autre signe, le point surmonté d’une virgule retournée
sera employé parfois pour marquer la ponctuation faible, notamment dans certains manuscrits de Philippe de Thaon. Puis, du xiiie au xve siècle, la ponctuation sera le plus souvent abolie.
170Or nous savons déjà que la modulation grégorienne faisait sentir le sens interrompu par une note soutenue, le sens achevé par une note grave, qu’Alexandre de Villedieu, dans son Doctrinal désigne la subdistinctio sous le nom de punctus elevatus, et la distinctio media sous celui de punctus depressns ou planus. D’autre part, on observe que les manuscrits de nos plus anciens poèmes font usage de points. Dans la Passion, les vers sont écrits à la suite les uns des autres, et le copiste ne va à la ligne qu’au début de chaque strophe81 ; les points sont placés dans le texte sans raison plausible, pour des motifs qui nous échappent complètement, car, s’ils coïncident parfois avec la césure et avec la rime, en d’autres endroits au contraire, il n’en est pas ainsi :
66 Audez fillies iherlm per me
non uos est obplorer mais p
uos. & p vostres filz plorez.
assaz qui obs. uos es 7
68 II nol. auser deramar. Mais
aura sort. angitat. non fut
partiz. sos uestimenz zo fu
granz signa tot p uer 7
171Cependant la graphie de Saint Léger est un peu différente. Sans doute les octosyllabes se suivent-ils encore sans désemparer, avec alinéa à la fin de la strophe, mais les ponctuations y sont beaucoup plus disciplinées. Le plus souvent, et sauf omission du scribe, le vers se termine par un point :
7 Cio sempre fud e ia si er. qui fai
lo bien laudaz enner. et sanz
Letgiers sempre fud bons. Sempre
fist bien o que el pod dauant
lo rei en fud laudiez. Cum
il laudit fulin amet
40 Del corps asaz lauez audit.
e dels flaiels que grand
sustint. lanima reciunt
dominedeus. als altres
sanz enuai en cel. il nos aiud
ob ciel senior por cui sustinc
tels passions7
172Au Moyen Age, les vers en langue vulgaire relèvent de deux systèmes de présentation graphique. Tantôt ils sont écrits comme de la prose, sans discontinuité, le copiste n’allant à la ligne qu’à la fin de la strophe. Tantôt la ligne est occupée par un seul grand vers, ou par un groupe de deux petits. Le premier système est celui auquel se conforment le Saint Alexis de Hildesheim (L), la Chanson de sainte Foi conservée à |Leide, où les laisses se suivent sans interruption, chacune d’elle commençant par une majuscule, et le Lai de Notre-Dame d’Ernoul le Vieux, dont il a déjà été parlé82. Au second appartient au contraire le manuscrit d’Oxford de la Chanson de Roland. Les copistes ponctuent ou ne ponctuent pas. Dans le premier cas, jusqu’au xve siècle, après avoir, mais rarement, employé deux signes, le point et virgule et le point, ils ne font usage que du point, et ce point, dans les deux systèmes dont il s’agit, est régulièrement placé à la fin de chaque vers, quel que soit le sens83. C’est tout ce qu’ils ont retenu des enseignements d’Isidore de Séville. Mais on peut conclure de ce fait que chaque vers est considéré comme une unité complète, comme une phrase, sans liaison (ou presque sans liaison), ainsi qu’on va le voir, avec ce qui précède ou ce qui suit : « Totus enim versus periodus est », selon le mot d’Isidore, c’est-à-dire que les dernières syllabes ont une intonation conclusive, avec chute plus ou moins complète de la voix. Aucun signe ne signale la césure, que le lecteur saura bien découvrir tout seul. Dans les manuscrits non ponctués, il se donnera la même peine non seulement pour la césure mais encore pour la rime.
173A ce renseignement s’ajoute ce que nous montre la paléographie musicale. Dans beaucoup de manuscrits, une barre verticale marque la fin du vers et concorde, le cas échéant, avec le point qui, dans le texte, suit la rime. Il arrive même que cette barre verticale se manifeste, mais moins fréquemment, à l’intérieur du vers, à l’endroit même où intervient la coupe, qui au contraire, dans le texte versifié, n’est indiquée par aucun signe. J.-B. Beck a fait à ce propos un certain nombre d’observations qu’il est utile de rapporter. « Il faut remarquer, a-t-il écrit après avoir cité plusieurs exemples84, la présence de barres verticales. Ces barres, dont nous avons déjà dit qu’elles ne représentent pas des pauses mesurées, sont en général à des places où, dans les textes écrits comme de la prose, il y a un point, c’est-à-dire à la fin du vers. Souvent aussi elles ne se trouvent pas à la fin de chaque vers, mais à la fin d’une phrase musicale double, embrassant deux vers... Plus rarement, nous trouvons de ces barres à la césure des décasyllabes. Certains copistes les mettent aussi pour séparer les divers membres de la strophe. » Plus loin, dans le même ouvrage, il est revenu sur cette question, et il s’est exprimé de la façon suivante85 : « H. Riemann conclut de l’emploi sporadique de barres verticales après la quatrième syllabe du décasyllabe, que ces barres servaient à marquer la césure et à partager le vers en deux parties, l’une de quatre, l’autre de six syllabes... En fait il arrive quelquefois, mais relativement très rarement, qu’un trait vertical se trouve après la quatrième syllabe des décasyllabes... Cependant, comme nous l’avons établi plus haut, puisque l’on ne peut attribuer à ces barres verticales la signification d’un silence, nous devons admettre que le copiste a voulu indiquer par là que, selon son estimation personnelle, à cet endroit devait prendre place un signe correspondant à notre actuel signe de respiration (‘), ou une plus longue pause. »
174Laissons de côté la question du silence éventuel, dont on a vu ce qu’il faut penser. Ce qu’il y a de certain, c’est que parfois la barre verticale marque la fin du vers, et moins souvent la césure, que le point (ou le point et virgule) est destiné, dans le texte versifié, à délimiter l’unité métrique. Plus tardivement, au xve siècle, on usera d’un autre artifice : les vers étant écrits les uns au-dessous des autres, on disjoindra parfois les hémistiches par un espace blanc : nous en avons déjà donné un exemple d’après Meschinot86 ; on en trouvera d’autres dans le Recueil d’E. Langlois87. De ces constatations se dégagent deux faits considérables. D’abord que chaque grand vers existe en lui-même et pour lui-même. En second lieu qu’il comporte deux ponctuations dont l’une seulement, qui est finale, peut se manifester dans le texte versifié, tandis que le texte musical, le cas échéant, peut aussi noter la seconde. Donc les définitions formulées par Isidore de Séville, et qui résultent de la transposition dans le vers des intonations en usage dans la prose, restent toujours valables ; ce sont simplement les signes qui quelquefois, et même le plus souvent, font défaut.
175Ces remarques, qui sont d’une importance capitale, et qui dominent l’histoire de notre vers, n’ont jamais été faites. Mieux encore, un texte lourd de sens, dont les auteurs précisent très clairement les qualités particulières de la césure et de la rime, n’a pas été compris. Il s’agit ici des Leys d’Amors, où on lit en toutes lettres ce qui suit : « Pauza non es als si no ponhs suspensius, o plas, o finals. E segon aysso havem tres manieras de pauzas, sos assaber pauza suspensiva, pausa plana, pauza final. » La version éditée par J. Anglade donne bien ponhs plas et pauza plana88, et d’ailleurs cette expression se retrouve en d’autres pages du même traité. Mais Gatien-Arnoult, complètement désarçonné par cette formule insolite, a imprimé pauza plena et il a traduit ainsi : « Le repos n’est autre chose qu’un point suspensif, ou plein, ou final89. » Plus loin90 rencontrant cette phrase : « Empero en la fi de la cobla deu esser tostemps pauza plana o finals », il l’a interprétée ainsi, bien qu’il ait laissé subsister plana : « Toutefois, à la fin du couplet, il doit y avoir toujours un repos simple ou final. » Voici enfin le passage essentiel, que nous avons déjà cité et où reparaît le terme de plana, resté intact dans l’édition Gatien-Arnoult : « Pauza suspensiva es aquela quom fay en lo mieg dun bordo, per far alcuna alenada. Pauza plana es aquela quom fay en la fi dun bordo, per far plus pleniera alenada. Pausa finals es aquela quom fay a la fi de cobla. » Gatien-Arnoult traduit encore : « Le repos suspensif est celui qu’on fait au milieu du vers, pour reprendre un peu haleine. Le repos plein est celui qu’on fait à la fin du vers, pour reprendre davantage haleine. Le repos final est celui qu’on fait à la fin d’un couplet91. »
176Il n’y a dans ces définitions aucune obscurité, et l’on peut reconnaître en elles les trois ponctuations qu’a distinguées Isidore de Séville. La « pause suspensive », qui caractérise le milieu du vers, c’est-à-dire la césure, signifie qu’à cet endroit la voix reste suspendue parce que le sens n’est pas achevé : en d’autres termes les Leys d’Amors expriment déjà la règle que reproduit Boileau dans son Art poétique, en une formule qu’aucun commentateur n’a jamais expliquée. La « pause finale » est une locution qui ne fait pas difficulté : elle survient à la fin du couplet, c’est-à-dire quand on n’a plus rien à ajouter pour que la pensée soit complète ; donc elle a une intonation très grave, et l’on y laisse tomber la voix d’une manière totale. A son tour l’épithète plana, du fait même qu’elle établit une différence entre suspensiva et finals, ne peut s’appliquer qu’au même ordre de phénomènes, et il faut lui attribuer à elle aussi une signification mélodique. Elle est, en effet, reprise aux théoriciens du chant liturgique, dans la langue desquels planus s’oppose couramment à acutus, comme on peut le constater par cette phrase que j’emprunte à la grande publication de Gerbert92 : « Similiter cum acutus fuerit cantus in authentu deutero, dicitur authentus deute-rus ; sin autem planus fuerit cantus, plaga deuteri nominabitur. » Il faut entendre que la voix y reste dans un registre moyen, mais que ce registre, par opposition à la césure, émet tout de même une note grave. Donc la coupe intérieure équivaut à la virgule d’Isidore, et elle est aiguë ; la rime au contraire équivaut à son point et virgule, et la voix tombe sur l’accent qui la supporte. Mais, à cette même place de la rime, la chute de la ligne musicale est encore plus profonde lorsque le sens est complètement terminé. Ainsi le vers reçoit une intonation circonflexe, toujours la même. La voix monte jusqu’à la césure, et elle descend jusqu’à la rime, ce qui met les deux toniques dans une opposition perpétuelle et empêche de les confondre. Cette déclamation nous est attestée jusqu’à l’époque romantique.
177Telle est la règle. Cependant une objection se présente. En est-il toujours ainsi ? Il y a, en effet, des cas où l’on remarque une fin de sens très nette à l’intérieur du vers, et cette fin de sens, dans les éditions modernes, est signalée par un point ou par une forte ponctuation. La poésie épique, à l’origine, ne fait que très rarement usage de cette licence93 qui d’ailleurs, d’une manière générale, ne se répandra qu’à partir de Froissart. Stramwitz94 en a réuni un certain nombre d’exemples, parmi lesquels ceux-ci :
— Tant a brochié qu’a l’aube apparissant
Vint à Angiers, Gaydon vait demandant ;
On li enseigne. En son palais plus grant
Li dus se jut : vis li fu en dormant
Que Ferrans iert en mer en un chalant
Tout sans aide, n’i avoit estormant.
(Gaydon, éd. Guessard, v. 4530 sq.)
— Et il font faire amort tout son seruixe.
Li duels remaint. Girairs per sainte eglize...
(Wackernagel, Altfrz. Lieder u. Leiche)
178Plus grave est l’infraction suivante, où le second hémistiche est entamé :
Quant Karahues a ces moz escoutés
Dou roi a pris congié. Lors est tournés...
(Enfances Ogier, 2321.)
179Que se passait-il en pareille circonstance ? On doit admettre, d’après tout ce que nous savons déjà, et d’après le traitement auquel étaient soumis les fausses césures et les enjambements, que les mauvais vers, disséminés dans le texte à de très longs intervalles, étaient réduits au schéma mélodique ordinaire et qu’une fois de plus le sens, en conflit avec le mètre, succombait au bénéfice de celui-ci, d’autant plus que l’opération, dans des cas semblables aux deux premiers que nous venons de citer, s’effectuait sans trop de difficulté.
180Les choses sont un peu moins claires en ce qui concerne les mètres courts. Cependant il y a lieu de distinguer. Ils se divisent en deux catégories. Les uns, construits en longues suites isométriques ou en strophes, sont entre eux sur le pied d’égalité. Les autres, au contraire, sont trop peu robustes pour jouir d’une existence propre. Ceux-ci ne se rencontrent que dans la poésie légère, c’est-à-dire dans les chansons, romances, pastourelles et lais. Ou bien ils s’agglutinent ensemble pour former une seule phrase musicale équivalente à un vers, ainsi qu’on peut en juger par ce fragment d’un long couplet du Lai de la Rose95.
Je sui
Et fui
Et serai amis
Celi
Ens qui
J’ai mon penser mis
Vers li
M’en fui
Car tot m’a conquis.
181La mélodie (barres verticales et ponctuation du texte versifié devant être mises au compte de l’éditeur), est la suivante :
182Ou bien le petit vers, appelé « vers brisé » par les Leys d’Amors, est unique et s’appuie sur un grand vers dont il est précédé et qu’il complète. On en trouve un échantillon dans ce passage du Tournoiement des Dames de Huon d’Oisy96 (dernier tiers du xiie siècle) :
En l’an que chevalier sont
Abaubi,
Ke d’armes noient ne font
Li hardi,
Lez damez tournoier vont
A Laigni.
183Le ms. Bibl. Nle F. Fr. 844, f° 50 (barres verticales et ponctuation exactement reproduites), se présente ainsi :
184Les deux vers, étroitement soudés, ne forment qu’une seule phrase musicale, avec bout rapporté. De même, si l’on veut bien jeter les yeux sur l’un des exemples cités plus haut97, on constatera que le refrain Et hoye, succédant à trois octosyllabes, achève le mouvement mélodique commencé dans le dernier d’entre eux.
185Au contraire, les vers qui composent la première catégorie soulèvent une assez sérieuse difficulté. Leur cas mérite un examen détaillé. Dans un article publié en 189498, Paul Meyer a montré que nos plus anciens poètes français avaient eu l’habitude d’écrire leurs ouvrages en couplets de deux vers en rimes plates, système qu’ils ont appliqué aux vers de six, sept et huit syllabes. « La construction des phrases, a-t-il écrit, est en rapport étroit avec la construction des couplets. Une phrase peut être complète en un couplet, comme elle peut s’étendre sur deux ou plus, mais toujours elle se termine avec le second vers du couplet, jamais avec le premier. Il y a des phrases de deux, quatre et six vers ; il n’y en a pas de trois, de cinq, de sept. Tel est le caractère des couplets de nos plus anciens poèmes en vers de six ou de huit syllabes, de telle sorte que le couplet peut être considéré comme un vers de douze ou seize syllabes rimant à l’hémistiche et à la fin, en d’autres termes, comme un vers léonin... Celui qui a nommé rime léonine le couplet de deux vers semble avoir eu le sentiment qu’à l’origine ces deux vers ne formaient qu’un long vers où le premier et le second hémistiche rimaient ensemble. Les copistes des plus anciens manuscrits de Philippe de Thaon paraissent avoir eu la même idée, lorsqu’ils écrivaient sur une même ligne les deux vers (de six syllabes) qui riment ensemble, les séparant par un point ou un point et virgule... Je vais maintenant passer en revue un grand nombre de poèmes en vers accouplés de six et de huit syllabes. Je montrerai que, selon ce que j’ai avancé plus haut, l’arrêt du sens a toujours lieu, dans les plus anciens de ces poèmes, après le second vers d’un couplet, et que jamais on ne voit une phrase commencer après le premier, à moins que cette phrase soit complète en un vers. En somme, il n’y a pas d’enjambement d’un couplet à l’autre. »
186P. Meyer n’a pas signalé que le poète du Sermon rimé, qui a écrit en vers de cinq syllabes, n’a pas appliqué ce système :
Desqu’al tens Noé
Fut l’iniquité
Si fort aünee
Que n’aveit amor
Sers à son Seignor,
Ne fait n’ert gardee.
Chascuns se preisout
Et trop s’eslevout
Vers sun Creator.
Chascuns se faiseit
Greignor qu’il n’esteit.
Oëz quel error, (v. 1-12).
187Mais il en est comme il l’a dit dans le Comput de Philippe de Thaon :
En un livre devin
Qu’apelum Genesin,
Hoc lisant truvum
Que Deus fist par raisun
Le soleil et la lune
Et esteile chascune, etc... (v. 215-220).
188On le constate également pour les octosyllabes de la plus haute époque, par exemple pour ceux de Saint Léger :
Enviz lo fist, non volontiers ;
Laisset l’entrer en un moustier.
Ço fut Lusos o il entrat,
Clerc Evruïn iluoc trovat.
Cil Evruïns molt li volst mel
Tot par envidie, non por el, etc... (XVII).
189P. Meyer ajoute que c’est Chrétien de Troyes qui le premier a brisé l’ancien couplet, et qu’il a eu comme imitateurs Gautier d’Ar-ras, Raoul de Houdenc, puis d’autres poètes encore. A l’appui de son observation, il cite cet exemple d’Erec et Enide :
Li vilains dit an son respit
Que tel chose a l’en en despit
Qui mout vaut miauz que l’en ne cuide. (—)
Por ce fet bien qui son estuide
Atome a bien, quel que il l’ait ; (—)
Car qui son estuide entrelait...
190Ici se trouve rompue l’unité originelle du couplet. Pourtant celui-ci ne disparaît pas du jour au lendemain, tout au contraire, car longtemps on en rencontre des suites parfaitement régulières, même au théâtre, où les rimes serviront souvent à enchaîner les répliques, le premier vers étant placé dans la bouche d’un interlocuteur et le second dans celle de son partenaire. Le couplet s’est également étendu aux alexandrins, peut-être dès la fin du xiie siècle, mais surtout au xiiie ; quant aux décasyllabes, ils n’ont été accouplés que très rarement, et pas avant le xiiie siècle.
191L’examen des textes corrobore l’observation de P. Meyer, à qui la critique a donné raison. Récemment, encore E. Hoepffner en a éprouvé la justesse : « Dans toutes les laisses, sans exception, a-t-il écrit dans son édition de la Chanson de Sainte Foy99, le nombre des vers est impair. Régularité impressionnante qui exclut toute idée de hasard et dont se dégage une conclusion intéressante pour la composition musicale du poème. Il en résulte en effet en toute évidence que la phrase musicale embrassait toujours un couplet de deux octosyllabes, et que le vers final, isolé, formait la cadence musicale de la laisse. Ceci est pleinement confirmé par la construction syntactique de la laisse. On ne paraît pas s’être aperçu jusqu’ici du fait que ce même groupement des vers se retrouve avec une régularité remarquable dans le texte du poème. Le poète a eu soin de toujours réunir deux vers, ou quelquefois quatre, en une unité syntactique. On ne s’en étonnera pas. Il y a longtemps que P. Meyer avait signalé ce phénomène dans les plus anciens poèmes en vers octosyllabes. Mais il est rare de voir ce principe appliqué avec autant de sévérité qu’ici, et surtout de le voir en une union aussi intime avec la composition musicale qui explique son origine. — Il n’y a qu’une seule exception à cette règle : les discours directs débutent plus souvent par le second vers d’un couplet que par le premier. Mais on constate en même temps que dans tous les cas le premier vers forme l’introduction du discours qui va suivre. Il faut en conclure que, dans l’idée du poète, le vers qui l’introduit se rattache intimement à l’allocution suivante et forme avec elle une véritable unité... Il y a bien encore d’autres passages où la loi n’est pas observée rigoureusement, et où l’on a, en effet, affaire à de véritables couplets brisés ; dans ces cas, qui sont d’ailleurs très rares, l’unité syntactique est formée par le quatrain au milieu duquel se trouve le couplet brisé. Jamais, en tout cas, une idée ou une proposition nouvelle ne commencent avec le second vers d’un couplet... Reste à savoir comment sera traité le dernier vers de la laisse. Le poète dispose de deux possibilités : ou bien le vers restera à l’état isolé, ou bien il se rattachera au couplet précédent et formera avec celui-ci un tercet correspondant aux quatrains à l’intérieur de la strophe. Le plus souvent le vers a conservé son autonomie complète... Plus rare est l’autre cas, où il est rattaché de plus près au couplet qui le précède et forme avec ce dernier un véritable tercet... Mais même dans ces tercets le vers final conserve une certaine indépendance ; il n’est relié à ce qui précède que par un lien assez vague, quelque conjonction de coordination, ou plutôt encore par l’imprécise conjonction qe... Dans l’ensemble, la loi du couplet est observée à travers tout le poème avec une rigueur dont on n’a guère d’autre exemple. »
192Or la musique qui accompagne les textes versifiés est très instructive. Ce qui doit attirer notre attention, ce sont les barres verticales qui sont placées à l’intérieur du texte. Parfois elles séparent les vers un à un, comme on peut le constater dans l’exemple suivant, emprunté aux Chansons de Croisade de J. Bédier, et que je donne selon la reproduction de P. Aubry :
193Assez souvent au contraire, elles groupent des couples de vers, ainsi qu’on peut le voir dans le poème suivant, tiré du même recueil :
194Il ne s’agit même pas de rimes plates, mais il est évident que dans l’un et l’autre cas les vers vont par paires, ce que les barres verticales démontrent beaucoup mieux dans le premier exemple que dans le second. Les musiciens, à cause des nécessités de leur mélodie, ne se préoccupent pas d’établir des rapports fixes de hauteur entre la finale du premier vers et celle du second, mais ils n’attribuent au premier qu’une cadence imparfaite pour ne faire sentir la conclusion qu’à la fin du second. Celui-là est donc « ouvert », comme disent les musicologues, et celui-ci est « clos ». Si le mètre est long, la phrase musicale se borne à un vers, mais elle s’étend à deux si le mètre est court.
195On s’en rendra compte parfaitement par cette chanson de Colin Muset100, qui est un exemple excellent. Je la donne d’après la transcription en notation moderne de J.-B. Beck :
196La mélodie se divise très nettement en deux parties, mais ne trouve sa résolution qu’au bout de la deuxième pour recommencer sur la paire suivante jusqu’à la fin du poème. C’est selon le même système qu’étaient chantées les laisses monorimes d’Aucassin et Nicolette, dont on connaît déjà la musique101. La première demi-phrase vaut pour tous les vers impairs, la seconde pour tous les vers pairs, et le petit vers final, ici indépendant, sert à marquer que la laisse est terminée ; il est d’ailleurs écrit dans une tessiture grave. Cependant Th. Gerold, dans une note de l’édition Roques, a signalé une difficulté dont il a fourni la solution judicieuse : « Les deux premières phrases, a-t-il écrit102, forment ensemble une période ; la mélodie reste « ouverte » après le premier vers ; elle est « close » à la fin du second... L’alternance de ces phrases mélodiques était probablement maintenue pendant toute la durée du morceau chanté (αß αß αß, etc.) ; dans les laisses à nombre de vers impair on répétait évidemment la seconde phrase pour le dernier vers de sept syllabes... Cependant il y a des cas où l’on peut être embarrassé : ce sont ceux où l’« ouvert » et le « clos » ne coïncident pas avec un simple repos du sens ou la fin d’une phrase du texte poétique. Prenons, par exemple, la laisse XI ; si nous admettons l’alternance stricte, le onzième vers,
Si con vos porrez oïr,
sera chanté sur le début de la mélodie, et le suivant,
Nicolete flors de lis.
sur la seconde phrase. Il est évident que le vers II, qui se rattache au précédent, devrait avoir une phrase mélodique concluante, tandis que celle du début conviendrait au vers par lequel commence un nouveau passage. De même, un peu plus loin, le vers 31, par lequel se termine l’épisode du pèlerin, tombe sur la phrase musicale du début, tandis que le vers 32, qui ouvre toute une série d’appellations,
Doce amie, flors de lis,
aurait la seconde mélodie. Cette manière de chanter, paraît anormale. Pour concilier la structure musicale et celle du texte, il suffirait d’admettre que le chanteur a déjà dans le cours de la laisse, à certains endroits, chanté la seconde phrase mélodique deux fois de suite, lorsque le sens l’exigeait. Ainsi, dans la laisse XI, les vers 9 à 12 seraient chantés αß ßα... De cette façon le passage lyrique commencerait tout naturellement par la première phrase. L’épisode du pèlerin se terminerait alors sur ß, et le vers Doce amie... tomberait sur α... L’hypothèse paraît hasardée, et pourtant ce procédé n’est pas tout à fait sans analogies : on le rencontre, plus ou moins, dans certains lais. »
197Donc il est d’usage que les vers courts aillent deux par deux, ce que le texte versifié, la paléographie et la musique rendent manifeste. Toutefois cette règle n’est pas absolue, car il y a des exemples où l’intonation conclusive, au lieu de marquer la fin du second vers, est différée. Fait sans doute très rare, et dû, autant qu’on peut se le figurer, au désir qu’a éprouvé le musicien de varier la forme traditionnelle. En voici un exemple, que m’a communiqué Th. Gerold103 :
198Dans cette strophe, composée de vers de sept et de cinq syllabes alternants, on n’aperçoit de véritable « clos » qu’à la fin du huitième vers et au refrain.
199Tout cela étant établi, une importante question se pose. Elle a été soulevée par P. Meyer lui-même dans l’article où il faisait connaître sa découverte : « Tel est, a-t-il écrit, le caractère des couplets de nos plus anciens poèmes en vers de six ou de huit syllabes, de telle sorte que le couplet peut être considéré comme un vers de douze ou de seize syllabes rimant à l’hémistiche et à la fin, en d’autres termes, comme un vers léonin. » Semblable a été en somme l’opinion de P. Verrier, qui s’est exprimé ainsi104. « Quelle que soit l’origine du couplet d’heptasyllabe, on le regardait bien au Moyen Age comme la résolution d’un grand vers : tandis que dans les Chansons de geste en décasyllabes ou en alexandrins tous les vers du poème se chantent sur la même mélodie, les heptasyllabes d’Aucassin et Nicolette, groupés aussi en laisses inégales, sont accouplés deux à deux par la musique. »
200P. Meyer résout bien vite un problème dont il n’aperçoit pas toute la délicatesse. Il s’agit en effet de savoir ce que représentait exactement l’« ouvert » dans une déclamation que ne soutenait pas la musique. Or, nous n’avons aucun témoignage qui nous renseigne sur ce point précis ; nous en sommes donc réduits à nos hypothèses et à nos inductions. Tout d’abord ou bien ces petits vers étaient césurés, soit par la volonté du poète, soit par l’initiative du diseur, ou bien ils ne l’étaient pas. Examinons d’abord le premier cas. Si l’on accepte l’interprétation de P. Meyer, il faut admettre que la fin du premier vers était marquée par une intonation franchement suspensive, c’est-à-dire qu’elle équivalait à la césure d’un grand vers. Il s’ensuit que la première partie du couplet possédait alors deux césures dont la première aurait été subordonnée à la seconde, que la deuxième partie de ce couplet, au contraire, en aurait possédé une seule, plus la rime sur laquelle s’opérait une chute de la voix valable pour le couplet tout entier, et qu’ainsi le premier vers aurait perdu son individualité. Les mélodies qui soutiennent les textes nous laissent dans l’incertitude. A l’origine, il semble bien que les musiciens aient encore tenu compte de la division bipartite du vers, ou du moins qu’ils en conservent encore quelque chose. On peut le constater par la Passion, où la césure est culminante trois fois sur quatre, puis par le Rex tua nolo munera. Ce schéma circonflexe se perpétuera d’ailleurs longtemps à l’état sporadique, puisqu’on le rencontre dans la pièce Non superbit elata cultibus, et dans des vers isolés105. Un autre procédé assez fréquent consiste à opposer les deux hémistiches en les plaçant sur des plans d’acuité différents, selon une méthode qu’emploie volontiers Adam de Saint-Victor, notamment dans sa prose Iu octabis Epiphanie106. Mais le plus souvent la phrase musicale s’étend sur tout le vers, sans que les musiciens s’astreignent à marquer la suspension de la coupe intérieure. Si l’on considère aussi les finales, on s’aperçoit qu’ils les interprètent par l’« ouvert » et le « clos » bien plus qu’ils ne les traduisent exactement. Dans ces conditions, il nous faut chercher une réponse qui s’accorde avec les résultats auxquels nous sommes déjà parvenus. Nous devons nous souvenir que les poètes ont évité les hémistiches léonins et que tout vers doté d’une césure ne pouvait en avoir qu’une seule, de telle sorte qu’une disparité complète entre la première partie du couplet et la seconde serait, sous le rapport des intonations, un phénomène incroyable. Force est donc de penser que l’« ouvert » correspondait à une pauza, plana, obligatoirement, et le « clos » à une pauza finals de la déclamation commune, non accompagnée de musique. De la sorte les mètres courts restaient des mètres courts, mais ils étaient ordonnés par paires, pour suivre la rime plate, combinaison ensuite étendue à d’autres rimes, notamment aux laisses d’Aucassin et Nicolette, construites sur un même timbre vocalique. Si au contraire les petits vers n’étaient pas césurés, ils ne contenaient pas de suspension intérieure, mais il y avait pauza plana et pauza finals aux places prévues. A toutes les époques, les critiques se sont montrés assez prolixes en ce qui concerne le décasyllabe et l’alexandrin ; pour les autres vers, de dimensions restreintes, ils nous ont laissés dans l’ignorance. Il est difficile de savoir quand l’alternance de l’« ouvert » et du « clos » a pris fin et quand le couplet de deux vers a pratiquement cessé d’exister : peut-être les musicologues nous apporteront-ils un jour des éclaircissements vivement désirés.
201Ainsi la césure et la rime, celle-ci toujours un peu plus soignée que celle-là, mais toutes les deux parallèles, se distinguent pourtant l’une de l’autre. La première est un accent en haut, la seconde un accent en bas, dans le registre inférieur de la voix, avec, en outre, un accord de timbres qui la désigne à l’oreille et signe son privilège. L’une et l’autre dominent le vers et le soumettent à leur loi. Leur tyrannie est très dure, puisque le sens, s’il y a défaillance du poète, perd ses droits devant elles et qu’elles sont maîtresses absolues. Les autres syllabes ne jouent en comparaison que le rôle de servantes et leur obéissent humblement. Cependant ces syllabes, elles aussi, sont indispensables pour qu’il y ait forme versifiée. Quelles sont-elles primitivement et quelle qualité faut-il leur reconnaître ? C’est ce que nous allons maintenant examiner.
Notes de bas de page
1 Romania, t. XV, p. 424 sq.
2 Cf. éd. H. Suchier, 1885, t. II, p. 273.
3 Romania, t. X, 1881, p. 68 sq. et t. XI, 1882, p. 203 sq :
4 Revue des Langues romanes, 1882, p. 193.
5 A. Jeanroy, Origines, p. 343 et suivantes ; on y trouvera les vers que je cite, avec leurs références. Cf. aussi Tobler, V. fr. VB., p. 112 et Otten.
6 Cf. supra, p. 8.
7 Cf. cependant Th. Gerold, Chansons populaires..., n° XLII.
8 A. Boucherie, R. des L. rom., 1882, t. I, p. 194. Cf. encore Ch. pop. des xve et xvie s., éd. Gerold, n° XVI.
9 H. Spanke, Liedersammlung, n° I, p. 1. Cf. Leys d’Amors, ed. G.-A., t. I, p. 118.
10 A. Tobler, V. fr. VB., p. 107.
11 Bartsch, Altfr. Rom. ». Past., I, 6 et 33, II, 2.
12 Th. Gerold, Chansons pop., Intr., p. xxxi.
13 Leys d’Amors, ed. G.-A., t. I, p. 116.
14 Ib., t. I, p. 132.
15 A. Jeanroy, Origines, p. 353.
16 Leys d’Amors, ed. G.-A., t. I, p. 131, 133, 137.
17 Ib., p. 133.
18 A. Tobler, V. F., p. 123.
19 Fr. Spenz, Die syntaktische Behandlung..., 1886.
20 G. Melchior, Der Achtsilber..., 1909.
21 E. Stengel, p. 49.
22 Romania, t. XXXI, p. 447.
23 J. Gray Wright, dans son éd. de la Résurrection du Sauveur (xiiie s.), a bien noté que l’octosyllabe s’y divisait en hémistiches.
24 Éd. Fr. Ludwig, t. I, Rondeau XI, p. 61.
25 On peut d’ailleurs se reporter encore au Rondeau XXI, ib., p. 69.
26 Elle a été reproduite par E. Hoepffner dans son édition, t. II, Append., p. 7. Cf. d’autre part, dans l’éd. Ludwig, t. I, les pièces II, p. 2 ; IV, p. 4 ; les ballades XXIV, p. 27 ; XXX, p. 33 ; XXXVII, p. 45 ; XXXVIII, p. 46 ; le rondeau VI, p. 55. Les pièces nos 2 et 25, dans l’ouvrage de J. Marix, les Musiciens de la Cour de Bourgogne (1937) présentent également des octosyllabes césurés.
27 Th. Gerold l’a mis en relief dans son lntrod., p. xliv.
28 E. Langlois, Recueil, p. 219.
29 Id., ib., p. 272.
30 Il y a bien longtemps de cela, le regretté P. Aubry avait déjà attiré mon attention sur la césuration non seulement des octosyllabes, mais aussi des heptasyllabes, fréquentes, m’avait-il dit, dans les motets.
31 Th. Gerold me signale ces autres exemples : Ms. de Bamberg, éd. P. Aubry, nos XXIII, XXVII, LIV, LXX, XC ; Roman de Fauvel, P. Mus. XLIV, Lai, 3e, 4e et 13e couplets et folio 15-16 (motet) ; Guillaume de Machaut, Lais V, VI, X ; Lai de la Rose ; Lai de Plour.
32 Ed. G.-A., t. I, p. 137 et t. II, p. 86.
33 J.-B. Beck, Mel. d. Troub., p. 146. Cf. Hist. litt. de la Fr., t. XXIII, p. 821.
34 N° XVII.
35 H. Spanke, Liedersammlung, VII, p. 14 et 416.
36 Leys d’Amors, ed. G.-A., t. I, p. 132.
37 Leys d’Amors, ed. G.-A., t. I, p. 129.
38 E. Faral, Arts poët., p. 259.
39 E. Langlois, Recueil, p. 261 et 298.
40 P. 19.
41 P. 51.
42 Romania, t. II, p. 295 sq.
43 Ib., t. I, p. 295 sq.
44 P. 21.
45 R. de Souza, Ryth. poét., p. 60 sq.
46 Brunetto Latini, li Livres dou Tresor, III, 1, 10.
47 Éd. G.-A., t. I, p. 130.
48 Rochat, p. 92 n., et Kawczynski, p. 164.
49 Éd. E. Hoepffner, t. II, p. 71, avec, en appendice, la transcription de la musique d’après Fr. Ludwig.
50 Cf. supra, p. 89-90.
51 Avec P. Aubry pour la musique.
52 Tobler, VF., p. 28.
53 Roman de Troie, éd. L. Constans, t. VI, p. 108 ; l'exemple auquel il fait allusion est cité ci-après.
54 J. Vising, Sur la Versif. angl.-norm., p. 64.
55 Leys d’Amors, éd. G.-A., t. I, p. 132.
56 Sur la signification qu’il faut accorder à cette phrase, tous les éclaircissements désirables seront donnés dans la partie IV du présent chapitre, consacrée à la « Valeur musicale de la césure et de la rime », p. 274 sq.
57 Leys d’Amors, éd. G.-A., t. I, p. 132.
58 Ib., ib., p. 130.
59 G. Mari, Trattati, p. 102.
60 Th. Gerold, Mus. au M. A., p. 115 et 163.
61 N° XVII, 2, p. 34.
62 Livraison I, p. 6, n° VII. On trouverait également des exemples très intéressants dans la Liedersammlung de H. Spanke, n° III, p. 6 et n° LXXVIII, p. 148 et 422, etc.
63 Cf. supra, p. 240.
64 Par ex. n° VIII, p. 7-8, str. 2 et 3, v. 11-12 et 18-19 ; n° XIII, p. 12, str. 3, v. 5-6 ; n° XIV, p. 13 ; n° XXXI, p. 36, str. 3 ; n° XXXII, p. 38, str. 2.
65 Ib., n° XXXV, p. 42, str. 1.
66 Je ne connais, à l’époque ancienne, qu’un seul cas d’enjambement incontestable. Il se trouve dans un jeu-parti d’Adam de le Hale, à l’avant-dernier vers du texte suivant :
Adan, d’amour vous demant
Que m’en dichiés sans cheler,
D’ou qu’il pueent plus trouver
En amour li fin amant,
Ou du bien ou du mal ?
vous le devés Moult bien savoir, car esprouvé l’avés.
Th. Gerold, après avoir signalé cet exemple, en a transcrit la mélodie selon la notation moderne (Hist. de la Mus., p. 115 et 184) d’après le ms. Bibl. Nle 25566. Mais d’autre part Coussemaker l’a donné (Œuvres compl. du trouvère Adam de la Halle, p. 142) d’après le ms Bibl. Nle 1109, ancien 7363 :
Ce ms. 1109, reproduit également dans le volume, est intéressant à considérer, bien que l’éditeur ait orné les paroles d’une ponctuation dont il est responsable et qu’il ait mis une majuscule à l’initiale des vers. Voici le passage :
La liaison s’opère très nettement, conformément au sens ; Coussemaker encadre même entre deux silences le membre de phrase ainsi constitué. Mais on peut remarquer que le scribe, surpris par la forme insolite de la mélodie, a mal délimité les vers. Il a coupé :
Ou du bien ou du mal ?
Vous le devés mout bien savoir,
Car esprouvés l’avés.
En outre, la musique ne souligne pas l’enjambement dans les deux premiers vers de la seconde strophe :
Adan, à guise d’enfant
Me respondés, c’est tout cler.
Enfin, comme dans la chanson de Bernart de Ventadour ci-dessus examinée, la mélodie impose l’enjambement aux vers cinquième et sixième de toutes les autres strophes, où le sens n’en exige aucun, et fausse par conséquent le texte. Il s’agit donc d’un phénomène tout à fait exceptionnel.
67 Thurot, Not. et extr., XXII, 2, p. 453.
68 G. Paris, Fragment d’un petit poème... Cf. Jahrbuch, t. VI, p. 362 sq.
69 V. 601.
70 E. du Méril, Poésies populaires latines antérieures au xiie siècle, p. 97, n.
71 E. Faral, Arts poët., p. 362.
72 E. Stengel, Zts. f. rom. Phil., IV, 101.
73 P. Verrier, V. Fr., t. II, p. 63. — II y a également des césures rimantes dans Huon de Bordeaux, dans Rutebeuf ; elles deviennent nombreuses au xve siècle.
74 Leys d’Amors, éd. G.-A., t. III, p. 69 sq.
75 Leys d’Amors, p. 84.
76 Ib., p. 86.
77 Ib., t. I, p. 125.
78 Isidore de Séville, Etymologiae, I, 20, dans Migne, Patrologie, t. LXXXII P. 95.
79 H. Omont, De la Ponctuation, p. 51.
80 M. Prou, Manuel de Paléographie, 4e éd., p. 265 sq.
81 Les plus anciens monuments..., p. p. G. Paris, Album.
82 Cf. supra, p. 255.
83 C’est le cas de ce ms. de la Chanson de Roland.
84 J.-B. Beck, Mel. d. Troub., p. 76.
85 Id., ib., p. 140.
86 Cf. supra, p. 199.
87 P. ex., p. 97.
88 Leys d’Amors, éd. J. Anglade, t. II, p. 94.
89 Ib., éd. G.-A., t. I, p. 130.
90 Ib., éd. G.-A., ib.
91 Leys d’Amors, éd. G.-A., ib.
92 Gerbert, Script., t. I, 259a.
93 J’ai parcouru de nombreuses pages de Cligés sans en découvrir ; au contraire, on en rencontre assez souvent dans les textes familiers.
94 Stramwitz, p. 29 ; Wackernagel, p. 8.
95 Lais et Descorts fr. du xiiie s., p. 50 et 129.
96 Texte publié par A. Jeanroy dans Romania, t. XXVIII, p. 238.
97 Cf. supra, p. 229.
98 Romania, t. XXIII, Le Couplet de deux vers.
99 La Chanson de Sainte Foy, éd. E. Hoepffner et P. Alfaric, 1926, t. I, p. 214 sq.
100 Éd. J. Bédier, n° IV.
101 Cf. supra, p. 154.
102 Introd., p. xxiii sq. Cf. encore Th. Gerold, Mus. au M. A., p. 84-85.
103 A. Jeanroy et A. Långfors, Chansons satiriques et bachiques, n° XXVIII, Bibl. nle, nouv. acq. 1050 (X), f° 238.
104 P. Verrier, V. F., t. II, p. 263.
105 Les textes ont été cités : p. 155 (Passion) ; p. 158 (Daniel) ; p. 134. Cf. encore le v. de Conon de Béthune, p. 153. On s’y reportera.
106 Cf. supra, p. 68.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les métamorphoses de l'artiste
L'esthétique de Jean Giono. De Naissance de l'Odyssée à l'Iris de Suse
Jean-François Durand
2000
Spinoza et les Commentateurs Juifs
Commentaire biblique au Premier Chapitre du Tractus Theologico-Politicus de Spinoza
Philippe Cassuto
1998
Histoire du vers français. Tome VII
Troisième partie : Le XVIIIe siècle. Le vers et les idées littéraires ; la poétique classique du XVIIIe siècle
Georges Lote
1992
Histoire du vers français. Tome III
Première partie : Le Moyen Âge III. La poétique. Le vers et la langue
Georges Lote
1955
Une théorie de l'État esclavagiste
John Caldwell Calhoun
John Caldwell Calhoun et Gérard Hugues Gérard Hugues (éd.)
2004
Le contact franco-vietnamien
Le premier demi-siècle (1858-1911)
Charles Fourniau, Trinh Van Thao, Philippe Le Failler et al.
1999