Avocats, procureurs, juges
Rhétorique et praxis dans le procès pénal vénitien
p. 105-119
Résumés
Cette contribution est consacrée à l’analyse de certaines phases significatives du procès pénal vénitien à l’époque moderne, à partir de quelques documents intéressants de la fin du xvie siècle. Ceux-ci ne sont rien d’autre que des suppliques provenant de la Terre Ferme vénitienne, adressées au Collège et accompagnées des réponses que les magistrats vénitiens chargés d’enquêter sur l’affaire devaient fournir à ce conseil de gouvernement, le plus important de la République de saint Marc. Après avoir brièvement dégagé le cadre politico-institutionnel dans lequel s’inséraient les stratégies judiciaires sous-tendues par ce type d’écrits, il s’agira de prendre en compte les argumentations exprimées et les tournures de style, différentes en fonction des magistratures impliquées. Il conviendra, concrètement, de saisir que le choix d’un juge par rapport à un autre est dû non seulement à des tactiques dilatoires ou mystifiantes, mais aussi à un type de relation politique destinée à cerner des marges précises de négociation : sur la base d’un rapport avec le pouvoir souverain qui se place sur le même plan et participe de la redéfinition des ordres et des équilibres étatiques.
Avvocati, procuratori, giudici
Retorica e praxis nel processo penale veneziano
Il presente contributo intende soffermarsi sull’analisi di alcune significative fasi del processo penale veneziano in età moderna, a partire da alcuni interessanti documenti della fine del xvi secolo. Questi non sono altro che delle suppliche provenienti dalla Terraferma veneta, indirizzate al Collegio e corredate dalle risposte che i magistrati veneziani incaricati di indagare ul caso dovevano fornire a tale organo di governo, il più importante della Repubblica di san Marco. Dopo aver brevemente delineato il quadro politico-istituzionale in cui si inserivano le strategie giudiziarie sottese a questo tipo di rescritti, si prenderanno in considerazione le loro argomentazioni e i loro stilemi retorici, differenti a seconda della tipologia delle magistrature coinvolte. Si cercherà in pratica di capire come la scelta di un giudice rispetto ad un altro fosse dovuta non solo a tattiche dilatorie o mistificanti, ma anche ad un tipo di relazionalità politica volta ad individuare precisi margini di contrattazione: sulla base di un rapporto con il potere sovrano che si pone come parallelo e partecipe della ridefinizione degli assetti e degli equilibri statuali.
Texte intégral
1La rhétorique et la praxis dans le procès pénal constituent un des sujets typiques de l’histoire institutionnelle de Venise, surtout du point de vue des activités processuelles, considérées ici à la lumière des multiples niveaux qui caractérisent, à l’époque moderne, les rapports entre les magistratures plus traditionnelles de la lagune et les différentes juridictions de l’État vénitien. Celui-ci, en plus d’avoir de nombreuses possessions en Istrie, en Dalmatie et en Méditerranée orientale, atteignit son extension territoriale maximale entre le xve et le xvie siècle grâce à l’acquisition définitive de la partie nord-orientale de l’Italie. Cet espace, tout comme les domaines du Levant, n’était lui-même pas homogène du point de vue politique et administratif, car il était constellé par une gamme élargie de juridictions féodales (laïques et ecclésiastiques), de districts citadins autonomes et de communautés isolées, chaque entité étant dotée de parcours législatifs et judiciaires propres. Cependant, au-delà des statuts et des coutumes particulières à chaque localité, la plateforme normative qui réunissait les différentes unités territoriales était constituée généralement par le droit commun, culturellement de matrice romaniste et symboliquement conditionné par l’idéal désormais anachronique de l’empire1. Ce droit se différenciait de celui de Venise – qui était plus pragmatique et coutumier –, parce que c’était un droit fondamentalement porté sur le technicisme et l’interprétation savante, dont le monopole était une prérogative détenue, dans les principaux centres urbains de la Terre Ferme, par des groupes de juristes spécialisés, réunis dans les studia universitaires et organisés en Collèges citadins, dont l’accession était liée à des critères de naissance2. Outre un espace professionnel et d’études spécifiques, l’élaboration savante du droit commun constituait aussi le présupposé du monopole aristocratique de l’administration de la justice, dès lors que les membres des Collèges assumaient également, d’habitude, le rôle de juge et d’avocat. Si l’on considère ensuite que la juridiction urbaine s’étendait principalement dans le domaine pénal, dans le contado respectif, on comprend que l’administration de la justice se soit soldée par une activité de contrôle plus générale des groupes subalternes, du moins dans les questions les plus importantes : l’instruction des causes dans les tribunaux des centres urbains de référence ne laissait aucune possibilité à l’expression des langages alternatifs à celui de nature jurisprudentielle qui était, d’ailleurs, l’expression d’une élite.
2Là où, en revanche, la dimension prédominante était celle du centre urbain, qu’il fût petit ou moyen, ou de la communauté, c’est-à-dire là où la communauté réussissait à détenir une marge d’autonomie juridictionnelle discrète, l’administration de la justice, quoiqu’elle fût orientée majoritairement par les lois et les coutumes du lieu, était d’habitude confiée à un nombre limité de professionnels du droit, des avocats et des juges, mais aussi à des procureurs et à des hommes de loi – causidici – qui accédaient à la pratique de la justice, du moins en réalisant des tâches techniques, telles la rédaction et la procuration des actes nécessaires aux différentes phases processuelles ; des pratiques qui, pour employer l’expression d’Elena Brambilla, les rendaient des « bêtes de somme », presque des « agents d’affaires3 ». Aux avocats était ainsi confiée, en théorie, la partie « stratégique » de la défense, en ce qui concerne au moins l’interprétation du cas singulier par rapport à la norme. Mais les pratiques matérielles (les écritures, les allégations, les suppliques), qui influençaient de façon concrète la conduite du procès, étaient le champ d’action privilégié du causidico, là où un tel dualisme subsistait ou, en tout cas, pour des raisons de contexte, là où le causidico était un substitut de l’avocat4. Dans de telles situations, on peut dire que l’administration de la justice, qui est moins rattachée à l’élaboration savante du droit, laissa le champ libre plus à une praxis influencée par le contexte social particulier, exprimée par la libre production d’actes spécifiques et de témoins indiqués par les deux parties, qu’à une stratégie marquée par des interprétations et des chicanes juridiques.
3Ainsi la dimension rhétorique émergea-t-elle surtout dans l’opposition paritaire entre deux adversaires ou entre leurs tentatives respectives d’orienter le procès vers des preuves testimoniales et des argumentations circonscrites à l’espace de la coutume5, mais aussi en exploitant, à l’occasion, les parcours issus de la juxtaposition de différents niveaux de juridiction. En fait, dans l’impossibilité d’homologuer les domaines de la Terre Ferme du point de vue administratif, Venise chercha, avec une particulière intensité au xvie siècle, à affirmer sa propre souveraineté en rendant disponibles au jugement ses tribunaux les plus célèbres : les Quarantie et le Conseil des Dix, parfois même le Sénat6. En d’autres termes, alors qu’elle plaçait ses propres émissaires – les recteurs – dans les centres urbains, avec la tâche de flanquer et, de fait, de contrôler l’activité des magistratures locales7, Venise acceptait dans le même temps la possibilité de transférer les procès qui y étaient instruits dans ses propres tribunaux avec des répercussions politiques et sociales imaginables. Une attitude qui se produisit surtout à l’occasion des recours en appel8, mais il n’était pas rare que les mêmes procès de premier grade fussent assumés par les magistratures de saint Marc sur demande de l’une des parties. Parfois, les procédures étaient aussi soustraites aux juges locaux pour être déléguées directement au recteur vénitien qui contrôlait le district d’appartenance.
Au Collège : les paradoxes du pluralisme juridique
4Dans de telles conditions, il est clair que, à partir du moment où il fallait se confronter à une cour au profil « urbain », le recours aux magistratures de la Dominante constitua une arme supplémentaire entre les mains des avocats et des causidici pour conduire le procès à leur avantage. Les résultats pouvaient être paradoxaux : ainsi, par exemple, en août 1585, l’avocat d’un certain Giacomo Scolari de la ville de Lonigo, accusé d’homicide dans un procès instruit par le Consulat de Vérone, ancienne magistrature citadine, demanda au Collège – l’institution vénitienne qui recevait les suppliques de ses sujets9 – de déléguer le procès aux recteurs de la même ville en alléguant, comme raison, la partialité présumée du tribunal local10. La décision de la Sérénissime Seigneurie, qui présidait le Collège, témoigne de tenir en grande considération le rapport qui, limité à ce cas, lui avait été fait par les recteurs eux-mêmes, lesquels n’avaient pas hésité à affirmer l’instrumentalisation évidente de la demande11. Pour eux, en d’autres termes, la mauvaise foi de Scolari était prouvée d’abord par le modus operandi de son avocat, qui avait légitimité le procès soit durant la phase de l’instruction, soit au cours des phases successives : une période au cours de laquelle l’homme de loi avait présenté les écritures et les chapitres défensifs, avec les témoins de sa partie, « sans n’avoir jamais fait opposition aucune à ces juges12 », c’est-à-dire sans jamais récuser la cour, en l’occurrence, celle des consuls citadins. Toutefois, en prévoyant une sentence défavorable à son assisté, « en ayant pressenti que la majeure partie [des consuls] était portée à sa condamnation13 », l’avocat avait à la fin opté pour une stratégie dilatoire, d’abord en recourant à l’Avogaria di Comun14, puis en écrivant au Collège pour faire instruire le procès par les recteurs, sans la présence des consuls. La délibération de la Seigneurie, comme indiqué, tint compte de tout cela et, consciente désormais de leur point de vue, confia aux recteurs véronais la gestion de l’affaire. Cependant, en procédant ainsi, elle reçut pleinement les demandes du suppliant et finit par retenir la stratégie de l’avocat de la défense. Évidemment, l’occasion de soustraire la légitimité à des institutions citadines comme le Consulat, un reliquat de l’ancienne indépendance communale, ne devait pas être perdue. Là où l’État territorial ne pouvait pas agir directement par des politiques de centralisation, ses prérogatives juridictionnelles étaient opératoires et étendaient, surtout dans le cas de la domination de saint Marc, dans un large rayon les possibilités offertes par la praxis. Aussi, comme le montre le cas traité, les avocats et les procureurs des domaines vénitiens semblent avoir bien saisi cet aspect et avoir su l’exploiter avec une efficacité extrême : plus que sur la chicane juridique décisive, plus que dans une compétition rhétorique entre les amateurs du droit, ils semblent vouloir agir sur le parcours même de la procédure pénale, en utilisant habilement toutes les faiblesses du contexte. De telles faiblesses résident ici dans le paradoxe de l’application d’un droit comme celui de Venise, inférieur en ce qui concerne l’élaboration jurisprudentielle à celui d’empreinte romaniste qui s’était affirmé dans les grands centres de l’Italie septentrionale, mais également supérieur par rapport aux juridictions des dominés en raison de la supériorité politique de la cité-État qui l’exprime. Aussi les différentes juridictions du Dominio vénitien paient-elles le fait d’être, malgré elles, englobées, même avec leurs propres sphères d’autonomie, dans un système juridique étranger, ce qui ne comporta pas un changement immédiat de leurs traditions juridiques, mais influença à coup sûr leur évolution sur le plan de la pratique et les contraignit à être confrontées (et à entrer en compétition) à maintes reprises avec une réalité institutionnelle comme celle de Venise qui était structurellement différente, en raison des sources du droit et de sa spécifique manière de comprendre la juridiction elle-même.
5À Venise, les juristes ne tenaient pas demeure15, tout comme les juges et les avocats qui avaient accompli leurs études universitaires (addottorati16) : les lois étaient conçues par ces mêmes patriciens qui, assumant une autre fonction, pouvaient être ensuite appelés à les faire respecter, selon le principe constitutionnel invétéré de la rotation des charges, le fondement de l’État républicain ; ces mêmes patriciens qui, au moment d’appliquer la loi à un cas particulier ou lors d’un jugement concret, se montraient assez peu disposés à recourir à l’interprétation de tiers, tout comme à un corpus de lois écrites excessivement contraignantes. Leur arbitraire était limité, bien plus que par les statuts, soit par la dimension collégiale, dans laquelle ils travaillaient, soit par la tradition coutumière de leur propre ville, qui voyait dans le précédent et dans les évaluations des circonstances la substance sur laquelle se fondaient leurs opinions. Cependant, celles-ci devaient être liées, en dernière analyse, à un corpus déterminé de valeurs plus que de lois. Celles-ci revêtaient plus la forme de la « mesure » que celle du « principe17 » : leur début (incipit) rappelait habituellement des situations et des phénomènes concrets (par exemple, la tendance, à une date précise, à commettre certains types de délits) plus que des règles abstraites sur la base desquelles rassembler une communauté. L’unique principe qui allait dans ce sens était celui de l’equitas ou de l’esprit équitable par lequel chaque juge, de n’importe quel degré et de n’importe quelle condition, devait interpréter la loi ou, mieux, ce qui était considéré comme la loi, dans l’intention de garantir aux sujets un procès juste. Traduit en termes juridico-institutionnels, il s’agissait de garantir aux sujets de Venise et de la Terre Ferme d’un côté un traitement égal dans le litige judiciaire ; de l’autre, par le biais des interventions des propres magistratures, que les juges des différentes communautés assujetties à Venise respectent les statuts, les lois et les coutumes de ces mêmes communautés. Il suffisait donc qu’il y ait également peu de vices de forme pour invoquer l’intervention des autorités vénitiennes dans des contextes qui leur étaient éloignés, tout comme il suffisait de reformuler le principe de l’equitas dans un sens plus large pour se sentir justifiés à intervenir.
Sollecitatori, recteurs et avogadors : le lien entre les récits judiciaires et les niveaux de compétence juridictionnelle
6Une telle organisation idéologique eut une influence certaine sur les avocats « étrangers », ainsi que sur leurs assistants qui étaient donc mis en condition d’agir plus sur la praxis que sur la rhétorique. La même dimension rhétorique était probablement conditionnée par ce fait, du moins lorsque ces « professionnels de la justice » parvenaient à faire bénéficier leur patronage à leurs assistés dans les tribunaux de Venise. Malgré les tentatives réitérées du patriciat vénitien à limiter leur accès à la lagune, la présence des avocats diplômés de Padoue ou d’autres Studia universitaires, nécessaires dans les affaires en appel qui concernaient les sujets des provinces, fut significative, du moins dans la mesure où elle induisait les avocats vénitiens à s’y confronter. Toutefois, singulièrement, cela ne constitua pas un facteur de diffusion du droit commun et de ses élaborations savantes au sein des procédures vénitiennes qui se montraient au contraire continuellement pétries de pratiques et de modèles rhétoriques se rapportant à la sphère de la coutume et de l’équité : le monopole des charges publiques et, donc, des cours judiciaires par une oligarchie nobiliaire accoutumée au pragmatisme et aux habiles mécanismes de la politique, et moins aux règles interprétatives qui résultaient d’une préparation spécifique, constituait un obstacle insurmontable pour celui qui voulait exploiter la doctrine dans les débats. Et, en effet, on se rendit compte de l’inutilité de ces tentatives18.
7La dimension pratique contribua, partant, à rapprocher les avocats de profession, avec leurs assistants, des rhétoriques et des pratiques de ceux qui avaient toujours exercé ce métier dans les tribunaux vénitiens, en l’apprenant surtout par l’expérience directe. Dans ce type de ritualité, la construction de la vérité judiciaire dépendait fortement des facteurs de contexte plus que des éléments spécifiques liés à l’interprétation de la loi. Aussi Elena Brambilla, elle-même, a souligné que, si nous voulons avoir une idée précise de l’avocat vénitien, nous devons nous rapporter plus à la figure de l’homme de loi – causidico – qu’à celle, plus solennelle et stéréotypée, de l’avocat ayant obtenu ses grades à l’université (addottorato), une figure présente dans d’autres réalités italiennes19. À Venise, en fait, les avocats, pendant longtemps, ne furent pas un ordre professionnel distinct et organisé : en conformité avec la dimension « publique » qui caractérisait les institutions lagunaires, celle de l’« avocat » n’était pas une profession reconnue et exercée par des citadins privés, détenteurs de titres académiques, mais, au contraire, une véritable charge publique qui faisait l’objet d’une élection par le Grand Conseil – le cœur constitutionnel de la République, celui auquel pouvaient participer tous les patriciens – dans la mesure où, à l’origine, une telle charge était liée aux cours de Palais20.
8Aussi l’activité d’avocat était-elle exercée par des patriciens qui percevaient des honoraires fixes, une activité liée par ailleurs à une conception de la justice qui privilégiait davantage le « bien commun » que celui de la partie. En conséquence, si, à l’origine, cette activité était, dans un certain sens, propédeutique à la carrière politique, elle devint peu à peu, à l’époque moderne, une de ces charges mineures qui était l’apanage des patriciens les plus pauvres21. Cette conséquente disqualification des avocats publics, appelés « ordinaires », s’était accompagnée de la présence, d’abord abusive, puis reconnue – ope legis –, d’avocats « extraordinaires », c’est-à-dire de citadins généralement non nobles qui, en ayant une connaissance suffisante des statuts et des coutumes, avaient, dans de nombreux cas, adopté la pratique du tribunal en qualité de profession privée et potentiellement rentable. S’il faut, par ailleurs, ajouter que, dans les causes se rapportant aux sujets non vénitiens, leurs avocats et procureurs originaires étaient admis pour leur défense, surtout dans les causes d’appel instruites par la Quarantia – mais avec l’obligation de se prévaloir également d’au moins un avocat ordinaire vénitien –, on en déduit que le recours aux avocats extraordinaires était plus qu’un simple fait occasionnel. Il ne manque même pas de cas de patriciens qui pratiquaient ce métier en privé, car les perspectives de gain étaient assurément plus importantes que celles offertes par les charges publiques22. Sans compter que la nature du droit vénitien, à la fois pragmatique et coutumier, les anciennes bases romanistes ayant été supprimées, tendait à favoriser la présence d’avocats « abusifs » et s’était engagée dans un parcours autonome, d’où l’institution du patronage et celle du jugement qui étaient très malléables : les avocats extraordinaires eux-mêmes, tout comme les hommes de loi (causidici), appelés sollecitatori à Venise, avaient pu imposer leur présence grâce à la diffusion d’institutions formelles, telles l’usage de permettre aux parentés et aux connaissances d’un inculpé de parler en sa défense ou le recours, dans les litiges civils, au jugement du compromis fixé par un arbitre choisi par les parties23.
9Ainsi, étant donné que le droit de la Dominante était hostile à n’importe quelle médiation jurisprudentielle, en se fondant plutôt sur l’emphase oratoire et sur les idéaux de garantie rassemblés dans le concept vénitien d’equitas, nous pouvons imaginer, sans risque aucun d’erreurs, que les pratiques rhétoriques du procès vénitien, essentiellement celui pénal, se concentrèrent plus sur les éléments émotifs que sur ceux raisonnés de l’élaboration savante ; et que cet aspect fondamental a influencé également les rhétoriques de ces professionnels du droit qui, tout en étant actifs à Venise, avaient des formations intellectuelles assez différentes. C’est du reste ce qui émerge, avec une certaine spontanéité, des différents documents d’archives qui nous sont parvenus, aussi bien du point de vue des rhétoriques exprimées par les avocats et les procureurs que de celles des mêmes juges auxquels était remise l’affaire ; ou bien ce qui apparaît non seulement dans des documents comme les « suppliques », envoyées à la Seigneurie, le sommet de ce « système juridique vénitien24 » qui était devenu l’État vénitien à l’époque moderne, mais aussi des réponses elles-mêmes que la Seigneurie exigeait de ses magistrats vénitiens en fonction de ces suppliques, pour ne rien dire des tournures rhétoriques particulières dans lesquelles les sentences étaient rédigées et motivées25.
10Le ton des réponses, quoiqu’il soit standardisé, conserve de sensibles variations, dépendant non seulement de la typologie du cas traité, mais aussi de la magistrature ayant répondu, au contact de laquelle même les attitudes des parties semblent changer. Ces légères différences sont perceptibles surtout dans le rapport entre la supplique et la réponse qui dénonce, d’une part, le niveau de tactique, ou plutôt l’absence de délais, auxquels les parties parviennent, grâce à leurs avocats, dans les demandes avancées auprès de l’autorité ; d’autre part, la qualité de l’espace dans lequel les magistrats répondant à ce même pouvoir doivent se mouvoir, des magistrats tenus à prendre connaissance de l’affaire et à rapporter les éléments recueillis, ainsi que, parfois, leurs impressions.
11À titre d’exemple, voici le cas d’un noble de Vicence, Ercole Thiene26, lequel, déjà inculpé de détenir des armes interdites (des fusils appelés archobusi da roda), est aussi accusé de tentative d’homicide contre Orazio de Zanini. Dans la supplique que Thiene envoie à Venise dans l’intention de faire échouer le procès de ce deuxième délit, il allègue des doutes sur la légitimité du notaire responsable de la phase d’instruction, en soutenant la présumée incompatibilité en raison des oppositions que celui-ci aurait eues avec un de ses parents, Francesco Thiene. D’un côté, le ton explicite de la supplique, dans laquelle l’écrivant, sans détours, accuse directement le notaire et, donc, indirectement Orazio de Zanini, en évitant habilement de réfléchir sur les raisons possibles de son hostilité, est intéressant ; de l’autre, il est aussi pertinent de considérer la réponse des recteurs de Vicence, auxquels revient la tâche d’enquêter sur la véracité des informations du plaignant, une réponse qui expose avec le même caractère direct, point par point, les raisons qui démentiraient la version d’Ercole Thiene, en faisant en outre de brèves remarques sur ses autres tentatives passées à invalider le procès à travers des requêtes d’appel aux cours de Venise. À cet égard, il convient de spécifier que, surtout dans les cas où les suppliques explicitaient, sur la base d’éléments précis, des demandes d’envoyer le dossier processuel à Venise ou la volonté de déléguer cette affaire à quelques magistrats de la Dominante présents in loco – et cela se produisait fort souvent chez les sujets de la Terre Ferme vénitienne –, la Sérénissime Seigneurie fondait fortement ses propres délibérations sur les comptes rendus qu’elle exigeait auprès des magistrats vénitiens qui administraient le district d’où provenait la lettre : les recteurs. Dans d’autres cas, la Seigneurie envoyait un des trois membres de l’Avogaria di Comun recueillir des informations, des avogadori qui étaient des magistrats ayant aussi bien des pouvoirs inquisitoriaux que des fonctions d’accusation publique, lesquels, dans les territoires, étaient souvent interpellés dans l’intention de transférer les procès d’appel dans les tribunaux vénitiens, en particulier dans les Quarantie.
12Le problème de la juridiction subsiste donc dans toute son ampleur et, comme dans le cas de Giacomo Scolari, il épouse l’usage instrumental que les avocats et les hommes de loi (causidici) pouvaient en faire. Cela conditionne inévitablement, aussi, les comptes rendus des magistrats qui « font rapport » à la Seigneurie, amenés à exprimer un avis qui apparaît, en pratique, contraignant pour les développements successifs du procès. Ce n’est pas un hasard si, une fois pris acte de la réponse des recteurs de Vicence, auxquels elle avait demandé de fournir leur version des faits, la Seigneurie évite de recevoir le recours du suppliant, Ercole Thiene : l’ordre et la précision avec lesquels, dans la réponse des recteurs, a été démêlée la trame narrative de la supplique, avec l’ajout d’éléments susceptibles de dissiper les ambiguïtés, parviennent à former une reconstruction organique et cohérente des événements, au point d’apparaître suffisamment fiable à l’autorité suprême de Venise qui doit décider s’il convient de recevoir l’instance ou non. À plus forte raison pour le fait que l’espace de manœuvres des recteurs était plutôt étendu, même là où ils se plaçaient à côté des juges du lieu, comme dans le cas traité.
13La réalité semble un peu différente lorsque l’intervention sur place, in loco, est confiée à un avogadore di Comun. C’est le cas d’une tentative de séquestration subie par Priamo de Beccari, près de Chioggia27, tentative de séquestration dénoncée par la victime dans une supplique aux tons vibrants, dans laquelle le rédacteur du texte n’économise pas les expressions pathétiques et mystifiantes. La décision d’écrire aux autorités vénitiennes mûrit après la libération des malfrats accordée par le podestat du lieu, de sorte que, dans la supplique, l’on parvient à demander sans hésitation l’intervention de l’Avogaria di Comun, afin que le procès puisse être instruit par la Quarantia Criminal. La réponse qui, dans cette affaire, est demandée par la Seigneurie à l’Avogaria, reprend une structure narrative typique de cette magistrature, dans laquelle, à un incipit qui résume le contenu de la supplique suit une narration des faits rencontrés qui, tout en précisant mieux la dynamique, tend à reprendre les mêmes tons pathétiques du suppliant, comme s’il s’agissait de rapporter les résultats de la propre recherche en utilisant les mêmes mots des témoins auditionnés. Dans le rapport supplique/réponse, une plus grande correspondance des cas semble exister, des cas que les recteurs sont appelés à répondre, moins en fonction des contenus, également examinés et précisés par les avogadori, que dans la manière de les rapporter : s’impose sans autre le fait que l’avogadore, contrairement au recteur, ne doit pas justifier ses actions à l’autorité souveraine ; tout au plus doit-il livrer à l’autorité de saint Marc une idée plus complète de ce qui s’est produit, d’où une marge de manœuvres qui est à coup sûr plus étendue que celle du recteur.
14L’avogadore est totalement étranger au contexte local et il n’en est pas influencé, sinon en fonction du point de vue de la partie qui l’a appelé pour la cause. Ainsi, par exemple, la violence dénoncée par Beccari comme « tyrannique » est qualifiée de la même manière par l’avogadore qui n’est pas due à un quelconque accord d’opinions, mais à une reprise, dans son compte rendu, des mots du procès, comme elles ont été recueillies lors de l’instruction. Cependant, la fidélité du rapport de l’Avogaria semble ne rien pouvoir contre la ruse de l’avocat ou du procureur qui a rédigé la supplique, lequel intègre dans le discours une considération en apparence superflue, mais qui se révèle déterminante dans l’évolution de l’affaire : il indique que le principal inculpé du méfait est un sujet du voisin duché de Ferrare et que, partant, on ne comprend pas comment celui-ci a pu oser commettre un délit dans un État « sûr » comme la République de Venise28. Cette phrase, en position marginale par rapport au corps du texte, ensemble avec l’épithète attribué à la ville de Chioggia29, appelle directement en cause l’attitude paternaliste et d’« État prompt de la justice30 » avec laquelle la République tendait à se présenter auprès de ses sujets, justement à travers l’action de magistratures telles que l’Avogaria di Comun. Il est donc possible que le style rhétorique soit délibérément destiné à justifier indirectement l’opportunité de transférer le procès à la Quarantia, au lieu d’autres tribunaux. Et, en effet, c’est ce qui se produisit : la Seigneurie, après un premier vote nul dans le cadre duquel on proposait la délégation de l’affaire aux recteurs de Padoue, opte à la fin pour recevoir le recours de l’Avogaria dans la mesure où, selon la souveraineté territoriale de Venise, seul un tribunal de la Dominante pouvait éventuellement prescrire la peine de bannissement de tous les lieux du Dominio31. Il est donc évident que la rhétorique adoptée varie, au-delà d’un rapport avec la magistrature appelée en cause, même et surtout en fonction des significations juridico-anthropologiques que cette même magistrature dénote.
Les récits judiciaires dans le processus de la formation de l’État
15La supplique, du reste, est conçue de telle manière qu’elle parvient à influencer le plus possible l’ordre du procès ou les nœuds sur lesquels celui-ci est destiné à se focaliser. Une des principales caractéristiques de ce type de documentation est, ce qui n’est pas un hasard, le fait que les magistrats impliqués fournissent leurs réponses sur des chapitres spécifiques, c’est-à- dire sur des aspects particuliers traités dans les suppliques, sans s’écarter en aucune façon de leur contenu. D’éventuelles informations supplémentaires étaient, quoi qu’il en soit, étroitement liées aux arguments de l’enquête et, en général, les opinions personnelles des recteurs et des juges avogadori sont peu visibles, voire, parfois, totalement absentes. Peut-être aussi parce que, comme l’a souligné l’historien allemand Karl Härter, sous l’Ancien Régime, les suppliques constituaient dans le domaine pénal une base d’informations qui n’était pas indifférente, au point d’induire à affiner les techniques et les procédures de vérification : il a été à peine souligné que les réponses, quoiqu’elles suivent l’ordre argumentatif des suppliques, livrent des éléments éclairants, souvent déterminants, pour évaluer la recevabilité d’une demande. Toutefois, il ne faut pas sous-évaluer la déférence faite par le suppliant aux prérogatives de l’autorité souveraine qui est un acte important de légitimation politique, au point d’ouvrir une voie de communication d’une utilité indiscutable, une voie parfois en mesure de dépasser les facultés des mêmes magistrats qui interviennent (les recteurs et les juges avogadori) pour favoriser un rapport privilégié, quand même instrumentalisé, avec une autorité souveraine qui fondait ses propres évaluations juridiques également sur les relations politiques qu’elle entretenait avec le district de provenance de la lettre. Les suppliques – ce n’est pas un hasard –, comme l’a écrit Härter lui-même, « constituaient une forme d’“accès à l’État” – ou, mieux, une nouvelle forme de communication entre la population et l’autorité spécialisée dans un sens fonctionnel, réalisé dans le cadre d’un déroulement défini, afin de négocier les formes de manifestation du pouvoir (normes, lois, administration, justice, impôts/tributs, déviance, sanctions, etc.32). » Aussi la supplique est-elle un acte fondamentalement de négociation dans lequel elle recouvre un rôle certainement actif, ce qui est perceptible in primis dans son déroulement narratif, un déroulement qui suit une rhétorique dirigée et modelée sur les stéréotypes. Ceux-ci caractérisent l’autorité à laquelle la supplique est adressée et met tout de suite en lumière des faits aux dépens d’autres faits, en révélant ainsi la rhétorique qui pouvait être l’agencement argumentatif de tout le procès.
16Le caractère concret et fort de ces stratégies pratiques et rhétoriques nous ramène en conséquence à une réalité où la pratique du tribunal, quoiqu’elle exprime l’importance générale de la phase inquisitoire, doit être plutôt dynamique et laisser encore une marge discrète d’opposition entre les parties en cause. Une opposition qui, même à Venise, était tendue, quoique l’admission des différents chapitres sur lesquels s’organisait le débat fût soumise à l’examen préventif d’un petit collège de magistrats33. Mais même ces contrôles, ainsi que l’attribution de l’accusation publique à l’un des avogadori di Comun, rentraient dans une optique de garantie qui privilégiait la conformité à un corpus de valeurs plus qu’à des lois : ce qui disciplinait l’organisation des procès était, quoi qu’il en soit, le principe de l’equitas qui limitait le pouvoir discrétionnaire du juge à celui que ce dernier, tout en respectant les statuts, ressentait comme « juste ». Il est donc clair que cette dimension du juste était très relative, malléable, car elle laissait un grand espace à l’instrumentalisation que les avocats pouvaient faire, en parvenant à équilibrer l’apparente rigidité des procès pénaux vénitiens. Le mot d’« apparent immobilisme » a été formulé en référence aux critères argumentatifs des avogadori, critères qui concernent le plus souvent des questions de conformité aux coutumes et, en appel, des prérogatives constitutionnelles assignées aux magistrats responsables des sentences de premier grade. Pour fixes qu’ils fussent, ces critères, qui conféraient à l’accusation une dimension publique parce qu’elle se rapportait au bien commun, étaient susceptibles d’être réinterprétés par les avocats défenseurs à la lumière du principe de l’equitas. Et si leur réinterprétation, rhétorique et discrétionnaire, rencontrait la faveur des juges de la Quarantia, il y avait alors une réadaptation de la loi, au moyen d’une sentence qui aurait par la suite constitué un nouveau précédent sur lequel il fallait organiser la « jurisprudence » vénitienne, même selon l’arbitrium que la hiérarchie des sources du « droit vénitien » attribuait en dernière instance au juge.
17Aussi l’analyse du procès pénal vénitien devient-elle importante à la lumière des dynamiques non seulement juridiques, mais également sociales, qu’elle exprime, surtout lorsqu’elle implique des individus formés dans un contexte juridictionnel différent. Si l’on considère ensuite que, au-delà de la simple dimension juridique, les contacts entre les sujets dominés et les institutions dominantes sont indiscutablement porteurs des subtiles évolutions politiques, en vertu desquelles il est possible d’harmoniser les différentes juridictions territoriales (par exemple, à travers la concentration des appels à Venise), l’analyse des rhétoriques judiciaires, loin de les centraliser, est très importante, car elle constitue un des possibles points de vue à partir duquel observer l’évolution politique et institutionnelle de l’État vénitien après la Renaissance. Parler en fait de « procès pénal vénitien » à l’époque moderne ne signifie plus se limiter à décrire les structures, les jeux d’équilibre, les poids et les contrepoids proposés par la constitution de Venise, liée à la dimension citadine particulière dans laquelle elle est née, celle de la cité-État consacrée à la construction et à la consolidation de son empire commercial. Au contraire, cela signifie voir comment les mécanismes les plus consolidés d’une telle constitution, célébrés par la tradition de la Renaissance du « mythe » de Venise34, peuvent se redéfinir face au panorama institutionnel et anthropologique assez différent et problématique du Moyen Âge. Les difficultés ne se posent pas tant sur le plan théorique ou sur celui qui, alors, se contente de décrire les modalités d’installation des Vénitiens dans les différents districts de leurs domaines, en particulier ceux de la Terre Ferme ; que sur celui des pratiques judiciaires, du moins selon le développement que celles-ci connurent sous la souveraineté de saint Marc.
Notes de bas de page
1 Gaetano Cozzi, « La politica del diritto nella Repubblica di Venezia », dans Gaetano Cozzi, Repubblica di Venezia e stati italiani. Politica e giustizia dal secolo xvi al secolo xviii, Turin, Einaudi, 1982, p. 217-318.
2 Surtout à partir de la seconde moitié du xve siècle, période au cours de laquelle commence à être mis en évidence le lien entre les Collèges et les oligarchies urbaines, ce qui se produisit à Padoue entre 1486 et 1503, alors que l’on exclut du Collège citadin quiconque avait exercé les arts mécaniques ou n’était pas originaire du lieu, cf. Elena Brambilla, Genealogie del sapere. Università, professioni giuridiche e nobiltà togata in Italia (xiii-xvii secolo), Milan, Unicopli, 2005, p. 108. Comme exemple de cet exclusivisme, voir le cas du juriste Pace Scala, Elena Brambilla, op. cit., p. 152-157.
3 Ibid., p. 156.
4 Une telle ambiguïté, de rôle et même de status, a été explicitée et approfondie dans une monographie récemment publiée : Claudio Povolo, L’uomo che pretendeva l’onore. Storia di Bortolamio Pasqualin da Malo (1502-1591), Venise, Marsilio, 2010.
5 Claudio Povolo, « Retoriche giudiziarie, dimensioni del penale e prassi processuale nella Repubblica di Venezia : da Lorenzo Priori ai “pratici” settecenteschi », dans Giovanni Chiodi et Claudio Povolo, dir., L’amministrazione della giustizia penale nella Repubblica di Venezia (secoli xvi-xviii), Vérone, Cierre, 2004, vol. I, p. 58-69.
6 Gaetano Cozzi, « La giustizia e la politica nella Repubblica di Venezia (secoli xv-xvii) », dans Gaetano Cozzi, Repubblica di Venezia, op. cit., p. 81-216.
7 Claudio Povolo, « Aspetti e problemi dell’amministrazione della giustizia penale nella Repubblica di Venezia, secoli xvi-xvii », dans Gaetano Cozzi, dir., Stato, società e giustizia nella Repubblica veneta, secoli xv-xviii, Rome, Jouvence, 1980, vol. I, p. 153-258. Pour la description du rôle et des prérogatives des recteurs, au lendemain de la conquête de la Terre Ferme vénitienne, cf. Alfredo Viggiano, « Aspetti politici e giurisdizionali dell’attività dei rettori veneziani nello “Stato da Terra” del Quattrocento », Società e storia, 65 (1994), p. 473-505.
8 Gaetano Cozzi, « La politica del diritto », p. 255-256, 287-293. L’appel judiciaire permettait, de façon moins envahissante que n’importe quelle autre action législative, de réaffirmer la souveraineté de la République, comme elle apparaît confirmée par les tentatives réitérées du Conseil des Dix à limiter l’efficacité juridique de l’ancien consilium sapientis, pratiqué par les Collèges des juristes des principales villes de la Terre Ferme et souvent utilisé, justement en appel, pour désavouer de fait l’autorité des recteurs vénitiens chargés de l’administration de ces mêmes villes du Dominio, cf. Gaetano Cozzi, « Considerazioni sull’amministrazione della giustizia nella Repubblica di Venezia (secc. xv-xvi) », dans Sergio Bertelli, Nicholas Rubinstein et Craig Hugh Smyth, dir., Florence and Venice : Comparisons and Relations, Florence, 1980, vol. II, p. 107-115 ; Elena Brambilla, op. cit., p. 149-152.
9 Enrico Besta, Il Senato veneziano (origini, costituzione, attribuzioni e riti), Venise, 2009 [rééd. de 1899], p. 177-198.
10 Archivio di Stato de Venise (désormais : ASVe), Collegio, Notatorio, liasse 94, 26 août 1585, folios non numérotés.
11 Le rôle de « garant » assumé, dans ce cas comme dans d’autres, par l’autorité vénitienne, est mis en évidence par le parcours institutionnel qui, d’habitude, s’ouvrait avec l’envoi d’une supplique, adressée au doge et à ses conseillers. Ceux-ci, une fois la lettre reçue, ordonnaient au recteur du lieu de recueillir les informations sur la situation dénoncée. Cependant, la lettre ducale contenant l’ordre était remise directement au suppliant, qui se chargeait, grâce à son avocat, de l’adresser au recteur destinataire. Ce dernier, une fois l’enquête réalisée, résumait les résultats en rédigeant une réponse (risposta), habituellement sur la sollicitation explicite du suppliant lui-même qui, à ce stade, avait la responsabilité d’envoyer l’acte à Venise. Une telle procédure – au moins jusque dans les années 1580, époque au cours de laquelle elle commence à changer – permettait ainsi à la partie plaignante de disposer d’une certaine liberté d’action dans le cadre des parcours judiciaires qui impliquaient le centre dominant, cf. Claudio Povolo, « Introduzione », dans Claudio Povolo, éd., Il processo a Paolo Orgiano (1605-1607), Rome, Viella, 2003, p. vii-lxx ; Id., « La piccola comunità e le sue consuetudini », dans Tra diritto e storia. Studi in onore di Luigi Berlinguer promossi dalle Università di Siena e Sassari, e Sassari, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2008, II, p. 591-642.
12 Le texte rapporte : senza haver mai fatto opposizione alcuna ad essi giudici.
13 Il est écrit que presentito che la maggior parte [des consuls] inclinava alla sua condemnatione.
14 Le recours à l’Avogaria di Comun, magistrature vénitienne chargée de recueillir et de plaider les affaires en appel, comportait, dans la majorité des cas, l’interruption immédiate du procès, afin de permettre à l’avogadore d’évaluer s’il y avait effectivement des irrégularités dans l’acte contesté. Dans un tel cas, l’acte était soumis au jugement de l’une des trois Quarantie ou, dans des cas particuliers, du Sénat. Cf. Cristina Setti, « L’Avogaria di Comun come magistratura media d’appello », Il diritto della regione, 1 (2009), p. 143-171.
15 Silvia Gasparini, « I giuristi veneziani e il loro ruolo tra istituzioni e potere nell’età del diritto comune », dans Karin Nehlsen-von Stryk et Dieter Nörr, dir., Diritto comune, diritto commerciale, diritto veneziano, Venise, Centro Tedesco di Studi, 1985, p. 67-105.
16 En ce sens que, jusqu’à l’année 1723, les avocats, pour exercer la profession, ne furent pas obligés de fréquenter l’université, cf. Silvia Gasparini, Tra fatto e diritto. Avvocati e causidici a Venezia nell’età moderna, Padoue, Imprimitur, 2005, p. 61-69. Toutefois, à partir du xve siècle, l’arrivée dans la lagune des « docteurs » fut toujours plus fréquente, liée en particulier à leur participation aux affaires qui impliquaient des sujets non vénitiens, cf. Giuseppe Trebbi, « Le professioni liberali », dans Alberto Tenenti et Ugo Tucci, dir., Storia di Venezia. Dalle origini alla caduta della Serenissima, Rome, Istituto della Enciclopedia italiana, 1996, vol. IV, p. 497.
17 Conformément aux caractéristiques juridiques et anthropologiques de la constitution vénitienne, les lois, appelées parti, étaient promulguées par différents organes institutionnels (le Grand Conseil, le Sénat, le Collège et, anciennement, la Quarantia) et, souvent, en concomitance avec des difficultés ou des situations qui étaient devenues insoutenables. Ce qui impliquait le besoin périodique de cernite, de réaménagements et d’adaptations qui, toutefois, ne parvinrent jamais à subvertir la nature du système qui les avait produits. Cf. le cas de la réforme (correzione) Gritti, Gaetano Cozzi, « La politica del diritto », p. 293-313.
18 Giuseppe Trebbi, « Le professioni liberali », p. 502-504. Cette cohabitation/opposition entre les deux traditions juridiques est explicite au début du xviie siècle et après, alors que l’unique carrière au sein de l’État vénitien à laquelle les experts du droit romain peuvent accéder est celle de « juge assesseur », qui assiste les recteurs dans les cours de la Terre Ferme. Les juristes, en fait, quoiqu’ils eurent des perspectives de carrière importantes dans leur propre ville, ne réussirent jamais à se tailler un espace politique à la hauteur de leur compétence à l’intérieur du système de pouvoir républicain, cf. Claudio Povolo, éd., L’assessore. Discorso del Sig. Giovanni Bonifaccio. In Rovigo MDCXXVII, Pordenone, 1991.
19 Par exemple ce qui se passe dans l’État de Milan, Elena Brambilla, op. cit., p. 155.
20 Silvia Gasparini, Tra fatto e diritto, op. cit., p. 45-47 ; Giuseppe Trebbi, « Le professioni liberali », p. 493. Les avocats publics ne doivent pas être confondus avec les Avogadori di Comun qui sont incontestablement des juges.
21 L’importance des avocats publics diminua déjà au xve siècle en raison d’une demande toujours plus grande d’avocats plus spécialisés et liés à la partie représentée. En réalité, les avocats publics, étant donné les limites temporelles de leur propre mandat et la stabilité de leur rémunération, étaient vraisemblablement non seulement moins experts, mais aussi moins motivés à gagner la cause. Cf. Giuseppe Trebbi, « Le professioni liberali », p. 495-498.
22 Ibid., p. 501.
23 Ibid., p. 493 ; Marco Bellabarba, « Le pratiche del diritto civile : gli avvocati, le “Correzioni”, i “Conservatori delle leggi” », dans Gaetano Cozzi et Paolo Prodi, dir., Storia di Venezia, Rome, Istituto della Enciclopedia italiana, 1994, vol. VI, p. 795-824.
24 Cette expression est due à Claudio Povolo, qui la substitue au plus connu « droit vénitien », afin de souligner l’importance de l’influence des variables socio-anthropologiques, davantage que celles spécifiquement jurisprudentielles, dans l’évolution des institutions vénitiennes et de leur praxis judiciaire. Cf. Claudio Povolo, « Un sistema giuridico repubblicano : Venezia e il suo stato territoriale (secoli xv-xviii) », dans Italo Birocchi et Antonello Mattone, dir., Il diritto patrio tra diritto comune e codificazione (secc. xv-xix), Rome, Viella, 2006, p. 297-353.
25 Ces dernières sont disponibles dans la longue série des Raspe, lesquelles sont présentes dans le fonds de l’Avogaria di Comun à l’Archivio di Stato de Venise.
26 ASVe, Collegio, Notatorio, liasse 93, 18 mai 1585, folios non numérotés.
27 ASVe, Collegio, Notatorio, liasse 94, 14-16 août 1585, folios non numérotés.
28 Ainsi : parendo quasi impossibile che un suddito di alieno signore fosse tenuto nel Vostro sicurissimo stado a commetter simil violentia et tirannide.
29 Che si puol dire nel grembo della Serenità Vostra.
30 Gaetano Cozzi, « Note sopra l’Avogaria di Comun », dans Amelio Tagliaferri, dir., Venezia e la Terraferma attraverso la relazione dei rettori, Milan, Giuffrè, 1981, p. 550.
31 La principale motivation de la délibération est en fait : particolarmente il non haver quel Reggimento l’autorità che potrebbe ricercar il caso di devenir anco bisognando a pena di bando di tutte le terre et luoghi del Dominio nostro.
32 Karl Härter, « Negoziare sanzioni e norme : la funzione e il significato delle suppliche nella giustizia penale della prima età moderna », dans Cecilia Nubola et Andreas Würgler, dir., Suppliche e “gravamina”. Politica, amministrazione, giustizia in Europa (secoli xiv-xviii), Bologne, Il Mulino, 2002, p. 263-305.
33 Comme cela se trouve indiqué dans la pratique du xviiie siècle : Elementi della veneta criminal pratica giurisprudenza, contenus dans les Memorie attinenti all’offizio de’ Spettabili Contradditori, II parte, ASVe, Compilazione Leggi, carton 146.
34 Sur ce sujet, il existe une riche littérature : voir notamment Franco Gaeta, « L’idea di Venezia », dans Girolamo Arnaldi et Manlio Pastore Stocchi, dir., Storia della cultura veneta, Vicence, N. Pozza, 1981, vol. 3/III, p. 565-641, et Felix Gilbert, « La costituzione veneziana nel pensiero politico fiorentino », dans Felix Gilbert, Machiavelli e il suo tempo, Bologne, Il Mulino, 1977, p. 155 et suivantes.
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