« On the origin of Money »
The Economic Journal
p. 239-257
Texte intégral
Avertissement du traducteur
1Le texte traduit ci-dessous l’est depuis la version anglaise – The Economic Journal, vol. 2, n°6, juin 1892, p. 239-255. Le traducteur, dont l’expérience se fonde sur des recherches approfondies dans les archives, n’a malgré ses efforts pas pu retrouver le brouillon rédigé en allemand – ni dans le fonds conservé au Japon avec la bibliothèque de Menger, ni dans celui de la bibliothèque Perkins de l’université Duke (voir la note éditoriale au début de ce volume).
2Il est à noter que le texte présenté ici l’est en version intégrale en langue française pour la première fois, quoique des versions partielles circulent dans divers départements d’économie, destinées en particulier aux travaux dirigés des étudiants de théorie monétaire, ou sur des sites internet voués à diffuser de façon militante la pensée économique autrichienne (par exemple, sur le site « catallaxia.org »). Il convient de mentionner ce fait car la présente traduction ne s’inspire pas de ces ébauches, mais entend au contraire fournir une version complète, corrigée et fiable pour l’utilisation dans ces mêmes départements d’économie. Une des grandes récompenses morales du travail de traduction bien accompli est de se savoir utile aux collègues comme aux étudiants, ainsi formés à ne pas se satisfaire d’approximations parfois inconsidérément tolérées dans le cadre d’un enseignement même de qualité. Il faut donc que l’outil de travail fiable existe et il s’agit ici de le rendre disponible. Dans ce cadre, que soit en particulier remercié Gilbert Tosi pour sa relecture attentive.
3Outre les bibliothèques conservant les premiers numéros de The Economic Journal (rares en France), le texte original de Menger est aujourd’hui accessible sur des bases de données internet (encore faut-il trouver une adresse URL stable ; il semble que la suivante en soit une) :
5The Economic Journal est publié par la Royal Economic Society du Royaume-Uni. Le texte a été traduit de l’allemand en anglais par C.A. Foley. Menger, qui lisait couramment l’anglais (comme le français, l’italien, le latin, le grec ancien, notamment), a lui-même pu le relire, ce qui implique que les choix de traduction peuvent être considérés comme avalisés par lui (par exemple, saleableness pour le concept clef d’Absatzfähigkeit). Il était donc instructif de reproduire, en italiques entre crochets, après la traduction française choisie, le terme anglais – ce qui pallie le fait que, pour ce texte somme toute court (par rapport à d’autres articles de Menger, notamment Geld), un glossaire spécialisé n’a pas été jugé utile.
6Les italiques du texte sont de Menger. Les notes du traducteur de l’anglais au français, G. Campagnolo, sont indiquées par N.D.T. Le traducteur a eu l’occasion de travailler sur des versions anglaises d’autres textes de Menger1 et il a suivi les mêmes règles de travail ici. Les références bibliographiques mentionnées par Menger sont données selon le format utilisé dans le texte original (différentes de celles du présent volume).
Introduction
7Il est un phénomène qui a depuis longtemps retenu à un degré tout particulier l’attention des penseurs traitant de la société [social philosophers] et des praticiens de l’économie : c’est le fait que certaines marchandises [commodities2] deviennent des intermédiaires des échanges [media of exchange] qu’on accepte universellement (dans les civilisations avancées, ce sont les pièces d’or et d’argent frappées ainsi que, par la suite, les papiers [documents] qui représentent ces pièces [coins]). Même pour une intelligence des plus ordinaires, il est évident que le propriétaire d’une marchandise [commodity] ne devrait la délaisser qu’en échange d’une autre qui lui soit plus utile. Mais que tout agent économique pris individuellement [every economic unit] au sein d’une nation soit disposé à échanger ses biens contre de petits disques de métal apparemment dénués d’utilité en tant que tels, ou encore contre les bouts de papier qui les représentent – voilà un procédé si contraire au cours ordinaire des choses que nous ne pouvons pas bien imaginer si un penseur ne le trouverait pas tout bonnement « mystérieux » – ce penseur fût-il même aussi brillant que Savigny3. On ne doit pas supposer que ce sont la forme-pièce de monnaie ou la forme-papier, qu’on emploie comme monnaie circulante [as current-money], qui constituent des énigmes dans ce phénomène. Nous pouvons éloigner nos regards de ces formes et les porter en arrière, vers des étapes antérieures du développement économique, ou bien vers ce qui se passe encore en vérité aujourd’hui, ici ou là, dans des pays où nous voyons servir comme intermédiaires des échanges des métaux précieux à l’état non frappé, voire même certaines autres marchandises, comme du bétail, des peaux, des balles de thé, des plaques de sel, des coquillages « cauris », etc.4 Quoi qu’il en soit, nous nous trouvons confrontés à ce phénomène, et quoi qu’il en soit, nous devons expliquer comment il se fait que l’agent économique humain [the economic man] est disposé à accepter un certain type de marchandise, même s’il n’en a pas besoin, ou encore même si son besoin à cet égard est déjà couvert, en échange de tous les biens qu’il a apportés au marché, alors même qu’il n’en prend pas moins, surtout et en premier lieu, en considération ce dont il a effectivement besoin, pour décider des biens qu’il entend acquérir au cours de ses propres transactions.
8Et c’est ainsi que jusqu’à nos jours, et depuis les premières tentatives de réflexion théorique [reflective contemplation] sur les phénomènes touchant la société, une chaîne ininterrompue de traités a porté sur la nature et les qualités spécifiques de la monnaie [the nature and specific qualities of money] considérée dans le rapport qu’elle entretient avec tout ce qui constitue le commerce [traffic]. Des philosophes, des juristes et des historiens, ainsi que des économistes, voire même des naturalistes et des mathématiciens, se sont occupés de cette affaire d’importance, et il n’est pas de peuple civilisé qui n’ait pas fourni son quota dans l’abondante littérature sur ce sujet. Quelle est la nature de ces petits disques de métal ou de ces papiers qui, en eux-mêmes, semblent ne servir aucun but utile et qui, néanmoins, et en contradiction avec tout le reste de notre expérience, passent d’une main à l’autre en échange des marchandises les plus utiles – ou plutôt pour lesquels tout un chacun désire si ardemment céder ses propres articles ? La monnaie est-elle un élément organique au sein du monde des marchandises, ou bien constitue-t-elle une anomalie économique ? Devons-nous rapporter sa circulation dans le commerce [commercial currency] et sa valeur d’échange [value in trade] aux mêmes causes qui conditionnent celles des autres biens, ou bien sont-elles l’effet spécifique produit par la convention et l’autorité [the distinct product of convention and authority] ?
Les solutions proposées jusqu’ici
9Jusqu’ici, il serait difficile d’affirmer que les résultats des recherches menées quant à la question indiquée ci-dessus aient jamais été à la mesure ni du développement imposant de la recherche historique en général, ni des dépenses en temps et en intelligence qu’on a faites en s’efforçant de la résoudre. À ce jour, le phénomène énigmatique de la monnaie reste même sans explication satisfaisante ; il n’y a toujours pas non plus d’accord sur les questions les plus fondamentales touchant sa nature et ses fonctions. À ce jour même, nous n’avons pas de théorie satisfaisante de la monnaie.
10L’idée qui a d’abord surgi, car elle se trouvait comme à portée de main, afin d’expliquer la fonction spécifique de la monnaie en tant qu’intermédiaire universel circulant dans les échanges [current universal medium of exchange] consistait à la rapporter à une convention générale ou à une autorisation légale. La question que la science doit ici résoudre consiste à fournir une explication du cours général et homogène de l’action que les êtres humains poursuivent en s’engageant dans le commerce, et qui sert concrètement et incontestablement l’intérêt commun, tout en semblant pourtant entrer en conflit avec les intérêts prochains les plus immédiats des individus qui contractent. Dans ces conditions, quelle idée tombe plus immédiatement sous le sens que de rapporter le procédé indiqué ci-dessus à des causes qui se situent hors de la sphère des considérations individuelles ? Supposer que certaines marchandises, en particulier les métaux précieux, ont été élevées [exalted] au statut d’intermédiaires des échanges par une convention générale, ou encore par la loi, et dans l’intérêt du bien commun [in the interest of the commonweal], voilà qui résolvait en apparence la difficulté, et naturellement d’autant plus facilement que la forme [shape] des pièces de monnaie paraissait être une marque [a token] de la réglementation étatique. Tels furent en effet les avis de Platon, d’Aristote et des juristes de la Rome antique, bientôt suivis par les auteurs médiévaux. Même dans les développements plus modernes de la théorie monétaire, on n’a pas substantiellement dépassé ce point de vue5.
11Une fois mise à l’épreuve de plus près, l’hypothèse sous-tendant cette théorie laissait néanmoins place à des doutes sérieux. Un événement d’une importance si grande et si universelle, et d’une notoriété aussi inévitable, que l’établissement d’un intermédiaire universel des échanges par la loi ou par une convention, voilà qui aurait certainement été conservé dans la mémoire des hommes, et d’autant plus assurément qu’il aurait dû être exécuté en un grand nombre d’endroits. Pourtant, aucun monument historique ne nous laisse ni d’indications fiables sur quelque négociation qui eût soit conféré une reconnaissance spécifique à des intermédiaires des échanges déjà en usage, soit rapporté leur adoption par des peuples dont la civilisation aurait été comparativement plus récente, ni (et bien moins encore) de témoignages quant à un commencement d’usage de la monnaie aux tout premiers âges de ce qui, dans la civilisation, touche l’économie6.
12Dans ce domaine, c’est un fait que la majorité des théoriciens ne s’en tient pas à l’explication de la monnaie indiquée ci-dessus. La faculté particulière qu’ont les métaux précieux à s’adapter aux buts de circulation [currency] et de frappe [coining] fut remarquée par Aristote, par Xénophon et par Pline l’Ancien, ainsi que, dans une bien plus large mesure, par John Law, par Adam Smith et par les disciples de ce dernier, tous à la recherche des raisons profondes du choix qu’on fit des métaux comme intermédiaires des échanges en raison des propriétés qui les caractérisent. il est pourtant clair que le choix des métaux précieux effectué au travers de la loi ou d’une convention, même s’il est la conséquence de leur faculté particulière à s’adapter aux buts monétaires, présuppose une origine pragmatique de la monnaie ainsi qu’une procédure de sélection de ces métaux, et que cette hypothèse-là est bien, elle, an-historique. Même les penseurs cités plus haut n’affrontent pas de manière honnête la question à résoudre, à savoir : expliquer comment il a pu se faire que certaines marchandises (et à certaines étapes de la civilisation, ce furent les métaux précieux) furent privilégiées au sein de la masse de tout le reste des marchandises, et furent généralement acceptées en tant qu’intermédiaires des échanges avec une reconnaissance générale. C’est là une question qui ne touche pas seulement l’origine, mais également la nature de la monnaie [the nature of money] et sa position en rapport à toutes les autres marchandises [position in relation to all other commodities].
La question de la genèse d’un intermédiaire des échanges
13Dans le cadre du commerce primitif, l’agent économique humain ne s’éveille que très progressivement à la compréhension des avantages économiques qu’il a à gagner en exploitant les opportunités d’échange qui existent. Conforme en cela à la simplicité de toute civilisation primitive, il ne dirige ses buts avant tout que vers ce qui se trouve d’abord à portée de main. Et c’est dans cette seule mesure que la valeur d’usage [value in use] des marchandises qu’il cherche à acquérir entre en ligne de compte quand il se met à marchander. Dans ces conditions, chaque être humain n’entend se procurer par l’échange que juste les seuls biens dont il a un besoin direct, et chacun est résolu à rejeter ceux dont il n’a aucun besoin du tout, ou ceux dont il est déjà suffisamment pourvu. Il est donc clair qu’en de telles circonstances le nombre de marchandages qui vont effectivement se conclure doit rester dans des limites très étroites. Qu’on songe combien il est rare qu’un bien possédé par quelqu’un soit pour lui d’une valeur d’usage moindre qu’une autre marchandise possédée par quelqu’un d’autre ! Et l’inverse vaut tout autant pour ce dernier. Or combien il est encore plus rare que ces deux êtres se rencontrent physiquement ! Qu’on pense, en vérité, aux difficultés qui font particulièrement obstacle au troc immédiat des biens dans les cas où l’offre et la demande ne coïncident pas en quantité – dans les cas où, par exemple, on doit échanger une marchandise indivisible contre une variété de biens en la possession de personnes différentes, ou encore, en vérité, contre des marchandises telles qu’elles ne sont demandées qu’à des moments différents et qu’elles ne peuvent être fournies que par des personnes différentes ! Même dans le cas relativement simple, et qui revient si souvent, où un agent économique A, pris à titre individuel, demande une marchandise que possède B, et où B en demande une que possède C, tandis que C en veut une possédée par A – même alors, dans le cadre d’une règle de troc simple, la nécessité voudrait en règle générale que l’échange des biens en question ne se fasse pas [the exchange of the goods in question would as a rule be of necessity left undone].
14Ces difficultés se seraient révélées autant d’obstacles absolument insurmontables au progrès du commerce – et, dans le même temps, à la production des biens qui n’occasionnent pas des ventes régulières –, s’il ne s’y était trouvé un remède dans la nature même des choses, à savoir dans les différents degrés de la capacité d’écouler les marchandises [saleableness, Absatzfähigkeit]7. La différence qui subsiste à cet égard entre les articles de commerce est de la plus haute importance pour la théorie monétaire, et pour la théorie du marché en général. or son échec à rendre compte de manière appropriée de l’explication des phénomènes du commerce, voilà ce qui constitue non seulement une lacune lamentable de notre science, mais encore l’une des causes essentielles de l’état d’arriération de la théorie monétaire. La théorie de la monnaie présuppose nécessairement une théorie de la capacité d’écouler les marchandises. Si nous saisissons ce point, alors nous serons en état de comprendre comment la capacité presque illimitée d’écouler la monnaie n’est à son tour qu’un cas spécifique (je veux dire : ne présentant qu’une différence de degré) d’un phénomène générique de la vie économique, à savoir : les différences dans la capacité d’écouler les marchandises en général.
Des marchandises plus ou moins aptes à être écoulées
15En économie, il est en particulier une erreur, aussi répandue qu’elle est évidente, qui consiste à supposer que toutes les marchandises, à un instant déterminé du temps et sur un marché donné, se trouvent les unes par rapport aux autres dans une relation d’échange déterminée – en d’autres termes, à supposer qu’elles peuvent être mutuellement échangées à volonté selon des quantités déterminées. Or il n’est pas vrai que, sur un marché quelconque donné, 500 kg de tel article = 100 kg de tel autre = 1,5 kg d’un troisième, et ainsi de suite8. L’observation la plus superficielle des phénomènes se déroulant sur le marché nous enseigne qu’il n’est pas en notre pouvoir, si et alors que nous avons acheté un article à un certain prix, de le revendre sur-le-champ au même prix. Si nous essayons de nous défaire d’un vêtement, d’un livre ou d’un objet d’art que nous venons tout juste d’acheter, et ce, quoiqu’étant toujours sur le même marché, et quoique le tentant sur-le-champ, avant que les circonstances conjoncturelles n’aient changé, alors nous nous convaincrons aisément de la fausseté profonde d’une telle hypothèse. Le prix auquel n’importe qui peut à loisir acheter un bien sur un marché donné à un instant donné, et le prix auquel il peut se défaire du même objet à loisir, voilà deux grandeurs qui sont essentiellement différentes.
16Cela vaut tout autant pour les prix de gros que pour les prix de détail. Même des biens aussi aptes à être écoulés sur le marché [marketable]9 que le maïs, le coton, la fonte, même de ceux-ci on ne peut pas se défaire à sa guise, au prix auquel on les a achetés. Le commerce et la spéculation seraient les choses les plus simples du monde si la théorie de l’« équivalent objectif en termes de biens » [objective equivalent in goods] était correcte, et s’il était effectivement vrai qu’on peut, sur un marché donné et à un instant donné, convertir à volonté les marchandises les unes dans les autres selon des rapports de quantités déterminés – si l’on pouvait, en bref, aussi aisément s’en défaire que les acquérir à un certain prix. Quoi qu’il en soit, dans ce sens-là, il n’existe absolument rien de tel qu’une capacité générale à écouler les articles de commerce. La vérité est bien plutôt que, même sur les marchés les mieux organisés, tandis que nous pouvons être en mesure d’acquérir ce que nous voulons, quand nous le voulons et à un prix défini – c’est-à-dire, à son prix d’achat [purchasing price] – nous ne pouvons nous en défaire, à notre tour, quand et comme nous le voulons, que seulement à perte [at a loss] – c’est-à-dire, au prix de vente [selling price]10.
17Comme un simple coup d’œil jeté sur le commerce et sur les marchés des marchandises de quelque espèce que ce soit le montrera, c’est une grandeur fortement variable que la perte éprouvée par tout un chacun se trouvant dans l’obligation de se défaire d’un article à un instant déterminé, en comparaison des prix d’achat alors couramment pratiqués. Si un vendeur doit se défaire de maïs ou de coton sur un marché bien organisé, il se trouve en position de le faire pratiquement en n’importe quelle quantité, à n’importe quel moment où il le souhaitera, et ce, au prix courant, ou au pire avec une perte seulement de quelques pence sur la somme totale. Mais s’il s’agit de se défaire à sa guise, en larges quantités, de pièces de tissu ou de soieries, le vendeur devra en règle générale se satisfaire d’une diminution de prix considérable en termes de pourcentage. Et ce sera encore bien pire pour qui serait en cas de se débarrasser, à un instant donné dans le temps, d’instruments d’optique destinés à l’astronomie, de préparations anatomiques, de textes sanscrits ou d’autres articles aussi difficiles à écouler !
18Si nous disons des biens ou des article de commerce, quels qu’ils soient, qu’ils sont plus ou moins aptes à être écoulés en fonction de la plus ou moins grande facilité avec laquelle on peut s’en défaire sur un marché à n’importe quel instant qui nous convienne, au prix d’achat courant, ou en baissant plus ou moins ce prix, alors nous pourrons voir, d’après ce qui vient d’être dit, qu’il existe à cet égard une différence évidente entre les marchandises. Pourtant, en dépit de son immense portée pratique, on ne peut pas dire que ce phénomène a bien été pris en compte dans la science économique. La raison [de cette lacune] provient en partie du fait que la recherche approfondie sur les phénomènes de prix a été presque exclusivement orientée vers les quantités de marchandises échangées, et pas du tout autant vers la plus ou moins grande facilité avec laquelle on peut se défaire des articles à des prix normaux. La raison tient également en partie à la méthode résolument abstraite au moyen de laquelle on a traité cette capacité des biens à être écoulés, sans se préoccuper comme il le fallait de toutes les conditions à observer dans ce cas.
19En règle générale, l’homme [the man] qui se rend au marché avec ses articles entend s’en défaire, mais en aucun cas à n’importe quel prix, bien plutôt à celui qui correspond à la situation économique globale [the general economic situation]. Si nous voulons enquêter sur les différents degrés de la capacité des biens à être écoulés, afin de manifester leur impact sur la vie pratique, nous ne pouvons le faire qu’en nous référant à la plus ou moins grande facilité avec laquelle on peut se défaire de ces biens à des prix qui correspondent à la situation économique globale – c’est-à-dire, à des prix économiques11. Une marchandise est plus ou moins apte à être écoulée selon que nous sommes capables, avec une perspective de succès plus ou moins grande, de nous en défaire à des prix qui correspondent à la situation économique globale, à des prix économiques12.
20En outre, l’intervalle de temps [the interval of time] pendant lequel on peut compter se défaire d’une marchandise à son prix économique, voilà qui est d’une grande importance [significance] dans une enquête sur son degré d’aptitude à être écoulée. Ce qui importe, ce n’est ni de savoir si la demande pour une marchandise est faible, ni si son aptitude à être écoulée est chiche pour des raisons quelconques ; si son propriétaire peut seulement attendre son heure, alors il sera en fin de compte, sur le long terme, en état de s’en défaire à des prix économiques. Toutefois, puisque c’est souvent précisément cette condition qui fait défaut dans le cours effectif des affaires, il en résulte une différence majeure, quant à l’objectif pratique, entre, d’une part, les marchandises dont nous espérons pouvoir disposer à n’importe quel moment à des prix économiques (ou au moins approximativement économiques) et, d’autre part, celles pour lesquelles nous n’avons pas cette perspective, ou du moins pas au même degré, et pour lesquelles le propriétaire prévoit qu’il sera nécessaire, pour s’en défaire, d’attendre une période de temps plus ou moins longue ou, sinon, de devoir supporter une baisse plus ou moins notable du prix.
21Encore une fois, il faut ici tenir compte du facteur quantitatif quant à l’aptitude à écouler les marchandises. Suite au développement des marchés et de la spéculation, certaines marchandises ont l’aptitude de trouver à se vendre à n’importe quel moment, pratiquement en n’importe quelle quantité, à des prix « économiques », ne fût-ce qu’approximativement. D’autres marchandises, elles, ne peuvent trouver à se vendre à des prix économiques seulement qu’en quantités moindres, proportionnées à la croissance progressive de la demande effective [commensurable with the gradual growth of an effective demand], en ne rapportant qu’un prix réduit en comparaison du cas où l’offre est plus grande.
Des causes des différents degrés d’aptitude à écouler les marchandises
22Suivant l’expérience, le degré auquel on trouve qu’une marchandise peut se vendre, sur un marché donné, selon le moment et aux prix qui correspondent à la situation économique (aux prix économiques), ce degré dépend des conditions suivantes :
du nombre de personnes qui manquent encore de la marchandise en question [in want of the commodity], et de la portée et de l’intensité du besoin [intensity of that want] auquel on n’a pas encore subvenu ou qui revient de manière récurrente ;
du pouvoir d’achat [purchasing power] de ces personnes ;
de la quantité disponible de cette marchandise rapportée au besoin (total) qu’on a de celle-ci et auquel on n’a pas encore subvenu ;
du caractère divisible de la marchandise, ainsi que de tout autre moyen par lequel on peut l’ajuster aux besoins des particuliers qui en sont clients [individual customers] ;
de l’état de développement du marché, et en particulier de la spéculation sur ce dernier. Et enfin,
du nombre et de la nature des limites imposées, du point de vue politique et social, à l’échange et à la consommation de la marchandise en question.
23De même que nous avons pris en considération le degré d’aptitude à écouler les marchandises sur des marchés donnés à des moments déterminés, nous pouvons poursuivre de même en établissant les limites d’espace et de temps entre lesquelles situer l’aptitude à les écouler. À cet égard, nous observons également sur nos marchés que certaines marchandises ont, quant aux unes, une aptitude à s’écouler quasiment sans limites de temps ni de lieu, mais, quant aux autres, une vente13 plus ou moins limitée.
24Les limites de l’aptitude à écouler les marchandises dans l’espace sont principalement conditionnées par :
la distribution dans l’espace du manque ressenti de ces marchandises ;
le degré auquel ces biens se prêtent au transport et les coûts de transport qu’ils encourent, rapportés de manière proportionnelle à leur valeur ;
l’état de développement des moyens de transport et du commerce en général, quant aux différents types de marchandises ;
le prolongement local des marchés organisés et leur interconnexion par « arbitrage » [their intercommunication by “arbitrage”] ;
les différences dans les restrictions imposées à l’interconnexion du commerce, quant aux différents biens, tant au plan local qu’au plan international en particulier.
25Les limites de l’aptitude à écouler les marchandises dans le temps sont principalement conditionnées par :
la permanence du besoin qui existe pour elles (le fait qu’elles ne dépendent pas de sa fluctuation) ;
leur caractère durable, c’est-à-dire leur aptitude à se conserver ;
le coût induit par leur conservation et leur stockage ;
le taux d’intérêt ;
la périodicité [periodicity] du marché pour cette marchandise ;
l’état de développement de la spéculation, et des contrats à terme [time-bargains] quant à cette marchandise en particulier ;
les restrictions imposées, du point de vue politique et social, sur le report de marchandises d’une période à une autre dans le temps.
26Les différences entre les marchandises quant aux degrés d’aptitude à les écouler, comme quant aux limites rencontrées dans l’espace et dans le temps, ces différences dépendent de toutes ces conditions, qui expliquent comment il se trouve qu’on peut se défaire aisément et à coup sûr de certaines marchandises sur des marchés déterminés – c’est-à-dire pour des limites de temps et d’espace données, à peu près à quelque moment que ce soit et en n’importe quelle quantité, à des prix qui correspondent à la situation économique globale, tandis que l’aptitude à écouler d’autres marchandises se trouve, elle, confinée dans des limites étroites d’espace et, encore une fois, de temps. Or, même dans ces limites, il est difficile de se défaire des marchandises en question et, dans la mesure où l’on ne peut pas attendre que la demande croisse, on ne peut rien provoquer sans diminuer le prix de manière plus ou moins notable.
De la genèse des intermédiaires des échanges14
27Dans les centres où l’on échange, on a depuis longtemps remarqué universellement le fait suivant : pour certaines marchandises, il existe une demande plus grande, plus constante et plus effective que pour d’autres, qui sont moins désirables [less desirable] à certains égards – la première espèce de marchandises se trouve correspondre à ce dont manquent ceux qui sont en état de commercer et qui le souhaitent, de sorte que c’est là un besoin [want] d’emblée universel et qui n’est, en raison de la rareté relative de biens en question, jamais complètement satisfait. En outre, on a remarqué que la personne qui souhaite acquérir certains biens déterminés en échange des siens propres se trouve dans une position plus favorable pour ce faire, si elle apporte au marché des marchandises de ce genre-là plutôt que si elle se rend sur les marchés avec des biens qui ne peuvent pas présenter de tels avantages – ou du moins, qui ne le peuvent pas au même degré. Si elle est pourvue de la sorte [de la première espèce de marchandises], cette personne jouit de la perspective d’acquérir les biens qu’elle souhaite finalement obtenir non seulement plus facilement et plus sûrement, mais encore, et ceci en raison d’une demande plus régulière et plus large pour ses propres marchandises, à des prix qui correspondent à la situation économique globale – à des prix économiques. Dans ces conditions, l’idée qui occupe avant tout l’esprit de qui a apporté au marché des biens qui ne sont pas très aptes à y être écoulés n’est pas seulement de les échanger contre ceux dont il/elle se trouve éprouver le besoin, mais encore, si cela ne peut pas se faire directement, également contre d’autres biens qui, eux, et quoiqu’il/elle n’en veuille pas pour eux-mêmes, sont néanmoins plus aptes à être écoulés que les siens propres. En s’y prenant de la sorte, cette personne n’atteindra certes pas d’emblée le but final de son trafic, à savoir : acquérir des biens dont elle ressent elle-même le besoin. Toutefois, elle s’approchera de ce but. Par la voie détournée d’un échange médiat, elle se met en vue de remplir son objectif de manière plus sûre et plus économique que si elle s’était confinée à l’échange direct. Or, dans les faits, c’est bien cela qui semble avoir été partout le cas. Grâce à une connaissance grandissante de leurs intérêts individuels propres, et chacun suivant en cela son intérêt économique, sans passer aucune convention, sans être contraint par aucune loi, ni sans même prendre le moins du monde en considération l’intérêt commun, les êtres humains ont été conduits à échanger des biens destinés à l’échange (leurs « articles de commerce » [wares]) contre d’autres biens tout autant destinés à l’échange – mais, eux, plus aptes à être écoulés à la vente [more saleable].
28En conséquence de l’expansion du commerce dans l’espace et de son extension sur des périodes toujours plus longues, ainsi que dans le but qu’a chacun de prévoir le moyen de satisfaire ses besoins matériels, chaque individu a dû apprendre, simplement en raison de ses propres intérêts économiques, à prendre grand soin de troquer ceux de ses propres biens les moins aptes à être écoulés contre les marchandises spécifiques qui manifestaient, outre le caractère séduisant d’être beaucoup plus faciles à écouler dans une localité particulière, un large spectre d’aptitude à être écoulées tant dans l’espace que dans le temps. Ces articles de commerce devaient se signaler par leur grande valeur, leur facilité de transport et leur aptitude à se conserver (conditions liées à celle de correspondre à une demande régulière et largement répandue), de sorte qu’ils pussent assurer à leur possesseur d’obtenir tous les autres biens de marché [market-goods] à des prix économiques, non seulement « ici » et « maintenant », mais en général, dans un espace et dans des temps pratiquement aussi illimités que possible.
29Et, comme l’on se familiarisait de plus en plus avec ces avantages économiques, principalement du fait d’une perspicacité devenue commune et de l’habitude qu’on avait prise d’agir de manière économique, il a pu ainsi se faire que les marchandises qui sont les plus aptes à être écoulées, tant dans l’espace que dans le temps, sont devenues, sur chaque marché pris en soi, les articles qu’il est non seulement dans l’intérêt de tout un chacun d’accepter en échange de ses propres biens moins aptes à être écoulés, mais encore ceux que chacun est tout à fait prêt à accepter. Leur aptitude supérieure à être écoulés ne dépend d’ailleurs que de celle, comparativement inférieure, de toute autre espèce de marchandise ; c’est seulement par là que ces articles furent en mesure de se faire globalement accepter en tant qu’intermédiaires des échanges.
30À quel point l’habitude joue un rôle de la plus haute importance dans la genèse de ces moyens d’échange, qui rendent tant de services de manière générale, cela tient de l’évidence. Il est dans l’intérêt économique de chaque individu qui commerce d’échanger ses marchandises moins aptes à être écoulées contre d’autres, qui le sont plus. Mais accepter de bonne volonté l’intermédiaire des échanges présuppose déjà chez ces sujets économiques, dont on attend qu’ils acceptent en échange de leurs articles une marchandise qui leur est peut-être parfaitement inutile, en soi et par elle-même, qu’ils possèdent une bonne connaissance de leurs intérêts. il est certain qu’une telle connaissance ne survient jamais partout simultanément dans une nation. Dans un premier temps, seul un nombre limité d’agents économiques reconnaîtront l’avantage d’une procédure de ce genre, un avantage qui est lui-même et comme tel15 indépendant du fait qu’on reconnaît globalement une marchandise comme l’intermédiaire des échanges, et ce, dans la mesure où, dans toutes les circonstances, un échange de ce genre rapproche toujours déjà beaucoup de son but l’agent économique pris à titre individuel – un but qui est l’acquisition des choses utiles dont il ressent véritablement le besoin. Mais l’on sait aussi qu’il n’est pas de meilleure manière pour qui que ce soit de s’éclairer sur ses propres intérêts économiques que de s’apercevoir par soi-même du succès économique de ceux qui utilisent les moyens adéquats pour s’assurer des leurs. il est également clair que rien n’a pu être autant favorable à la genèse d’un intermédiaire des échanges que l’acceptation, pour leur propre bénéfice et sur une période de temps considérable, de la part des agents économiques les plus perspicaces et les plus capables, de biens éminemment aptes à être écoulés, de préférence à tous les autres. De la sorte, la pratique et l’habitude n’ont certainement pas peu contribué à faire que les biens qui étaient les plus aptes à être écoulés à n’importe quel moment fussent acceptés, non seulement par de nombreux agents économiques, mais finalement par tous, en échange de leurs biens moins aptes à cet égard. Et ce n’est pas tout : cela n’a certainement pas peu contribué à faire que ces biens fussent acceptés dans l’intention première de se défaire d’eux en les échangeant à nouveau. Les biens ainsi devenus des intermédiaires acceptables des échanges au titre le plus général ont été nommés par les peuples germaniques Geld, du verbe gelten, c’est-à-dire « payer », « s’acquitter de » – tandis que chez d’autres nations, on dérivait principalement le terme désignant la monnaie du matériau utilisé16, ou de la forme de la pièce de monnaie17, voire même de certains types de pièces18.
31Il n’est pas impossible que les intermédiaires des échanges soient également institués par la voie législative, comme peut l’être toute autre institution sociale, tant ils servent le bien commun [commonweal] au sens le plus emphatique du terme. Mais ce n’est ni la seule manière, ni la première, par où la monnaie a trouvé son origine. on doit bien plutôt rapporter cette dernière au processus qui vient d’être décrit ci-dessus, nonobstant le fait que la nature de ce processus pourrait n’être expliquée que de manière très incomplète si nous l’allions appeler « organique » [‘organic’], ou encore désigner la monnaie comme quelque chose de « primordial » [‘primordial’], qui a « grandi au stade primitif » [‘primoeval growth’], et ainsi de suite. Laissons de côté ces hypothèses mal fondées historiquement parlant ; nous ne pourrons parvenir à comprendre pleinement l’origine de la monnaie qu’en apprenant à considérer la procédure dont nous traitons ici, et qui a établi [la monnaie] dans la société comme l’issue spontanée et la résultante non-préméditée d’efforts tous particuliers et individuels de la part des membres de la société, qui ont peu à peu cheminé jusqu’à être en mesure de distinguer les différents degrés dans l’aptitude qu’ont les marchandises à être écoulées.
Le processus de différenciation entre les marchandises qui sont devenues des intermédiaires des échanges – et les autres19
32Une fois que les marchandises comparativement les plus aptes à être écoulées sont devenues de la « monnaie », l’événement a en premier lieu pour effet d’accroître substantiellement leur propre aptitude originelle, déjà élevée, à être écoulées. Chaque agent économique qui porte au marché des articles dotés d’une aptitude moindre, dans le but d’acquérir des biens d’un autre type, a, de ce fait, un intérêt d’autant plus grand à convertir d’emblée ce qu’il possède en articles qui sont devenus de la monnaie. En échangeant ses articles moins aptes à être écoulés contre ceux qui y sont plus aptes en tant que monnaie, cet agent-là n’obtient pas simplement, d’une part, comme jusqu’alors, une plus grande probabilité, mais bel et bien la certitude d’être en mesure d’acquérir sur-le-champ des quantités équivalentes de toute autre espèce de marchandise qu’on peut avoir sur le marché. Et la commande qu’il en peut passer dépend simplement de son bon plaisir et de son choix. Pecuniam habens, habet omnen rem quem vult habere20.
33D’autre part, celui qui porte au marché d’autres articles que de la monnaie se trouve lui-même plus ou moins désavantagé. Pour obtenir un pouvoir de commande identique sur ce que le marché offre, il doit d’abord convertir en monnaie les biens qu’il peut échanger. La nature de cette infirmité du point de vue économique se manifeste par le fait qu’il se trouve contraint de surmonter une difficulté avant de pouvoir atteindre son objectif ; c’est là une difficulté qui n’existe pas pour celui qui possède de la monnaie en réserve – c’est-à-dire, plutôt, qu’il l’a déjà surmontée.
34Ce point est d’autant plus important pour la vie pratique qu’il n’est pas inconditionnellement à la portée de celui qui apporte au marché des biens moins aptes à y être écoulés de pouvoir surmonter cette difficulté ; cela dépend en partie de circonstances sur lesquelles le négociateur individuel n’a aucun contrôle. Moins ses articles de commerce sont aptes à être écoulés, plus il est certain qu’il sera soit pénalisé par rapport au prix économique, soit qu’il devra se contenter d’attendre le moment où il lui sera possible d’effectuer la conversion voulue aux prix économiques. Celui qui, à l’ère d’une économie monétaire, désire échanger des biens, de quelque sorte qu’ils soient (mais qui ne sont pas eux-mêmes de la monnaie), contre d’autres biens offerts sur le marché, ne peut jamais avoir l’assurance d’obtenir immédiatement ce résultat à des prix économiques, ni non plus dans un délai déterminé au préalable, quel que soit ce délai. Or, moins les biens apportés au marché par un agent économique sont aptes à y être écoulés, plus sa position économique sera défavorable (eu égard à ses propres objectifs) en comparaison de ceux qui apportent de la monnaie au marché. Considérons, par exemple, le détenteur d’un stock d’instruments de chirurgie qui se trouve forcé, en raison d’une catastrophe soudaine ou de la pression de ses créanciers, de le convertir en monnaie. Le prix qu’il obtiendra sera au plus haut point hasardeux, ou plutôt, ces biens ayant une aptitude si limitée à être écoulés, le prix sera pratiquement impossible à calculer. Et cela vaut à coup sûr de tous les types de conversions qui consistent en ventes forcées au regard d’un certain délai21.
35Tout autre est le cas de celui qui veut convertir sur-le-champ, sur un marché, la marchandise qui est, elle, devenue la monnaie, et cela, contre d’autres biens fournis sur ce marché. Il remplira son objectif, non seulement à coup sûr, mais encore d’habitude au prix qui correspond à la situation économique globale. ou plutôt, l’habitude de l’action économique nous a rendus nous-mêmes si certains d’être en mesure de nous procurer sur le marché contre de la monnaie tous les biens quels qu’ils soient, quand nous le souhaitons et aux prix qui correspondent à la situation économique, que nous sommes pour la plupart d’entre nous inconscients de la quantité d’achats que nous nous proposons de faire chaque jour et qui sont pourtant, au vu de nos besoins et du temps dont nous disposons pour les faire, eux aussi en quelque sorte des achats forcés. D’un autre côté, les ventes forcées s’imposent à l’attention des parties en présence, sans qu’elles puissent s’y tromper, par le désavantage économique qu’elles impliquent le plus souvent. Ce qui constitue par conséquent la spécificité d’une marchandise qui est devenue monnaie, c’est que sa possession nous procure à tout moment (c’est-à-dire à tout moment où nous le jugeons adéquat) l’assurance de commander toute marchandise, quelle qu’elle soit, qu’on peut avoir sur le marché, et cela, aux prix habituellement adéquats à la situation économique du moment. Inversement, le pouvoir de commande que confèrent les autres types de marchandises sur les biens de marché est, tant quant au moment que quant au prix, tout à fait incertain – au moins par comparaison, si ce n’est pas de manière absolue.
36De la sorte, en devenant monnaie, ces biens qui sont comparativement plus aptes à être écoulés ont pour effet de différencier de plus en plus leur propre degré d’aptitude à être écoulés de celui de tous les autres biens. Or la différence quant à cette aptitude cesse ainsi pour de bon de n’être qu’une différence de degré, et elle doit, pour finir, être considérée, du moins sous un certain angle, comme quelque chose d’absolu. Dans la pratique de la vie quotidienne, ainsi que dans le droit (un droit qui, pour sa plus grande part, se conforme de près aux notions qui prévalent dans la vie quotidienne), on distingue deux catégories quant aux ressources nécessaires au commerce : les biens qui sont devenus de la monnaie et les biens pour lesquels ce n’est pas le cas. Et nous trouvons le fondement de cette distinction entre ces marchandises essentiellement dans la différence quant à leur aptitude (exposée ci-dessus) à être écoulées, une différence qui est d’une très grande importance dans la vie pratique et que l’intervention de l’État vient à son tour souligner. En outre, cette distinction trouve à s’exprimer dans le langage par la différence de signification qu’on attache à la « monnaie » [‘money’] et aux « articles de commerce » [‘wares’], à l’« achat » [‘purchase’] et à l’« échange » [‘exchange’]. Mais elle permet également de fournir l’explication-clef quant à la supériorité que l’acheteur possède sur le vendeur, un fait qui a suscité de multiples observations, mais qui était resté toutefois jusqu’ici sans explication pertinente.
Comment les métaux précieux sont devenus de la monnaie
37Les marchandises les plus aptes à être écoulées, sous certains rapports quant au temps et au lieu, sont devenues de la monnaie au sein d’une même nation à des moments différents, et inversement chez des nations différentes en même temps – et ces marchandises sont d’espèces variées. La raison pour laquelle les métaux précieux sont devenus l’intermédiaire général courant des échanges [the generally current medium of exchange], ici ou là, dans une nation, avant même que celle-ci ne surgisse dans l’histoire et enfin, par voie de conséquence, chez tous les peuples dont la civilisation économique est avancée, c’est que leur aptitude à être écoulés est de bien loin supérieure à celle de toute autre marchandise et, qu’en même temps, on les trouve tout spécialement appropriés aux fonctions subsidiaires concomitantes de la monnaie.
38Il n’y a pas de centre de population où l’on n’ait, au tout début de la civilisation, vivement désiré et avidement convoité les métaux précieux – d’abord, aux époques primitives, pour leur utilité et leur beauté particulières, à titre d’ornements en tant que tels, puis comme matériaux dont le choix pour la décoration plastique et architecturale était le meilleur, en particulier pour forger des bijoux et de la vaisselle de toutes sortes. En dépit de leur rareté dans la nature, les métaux précieux sont géographiquement assez bien distribués et, au regard de la plupart des autres métaux, ils sont faciles à extraire et à travailler. De plus, le ratio de la quantité disponible de métaux précieux par rapport au besoin total [total requirement] est si faible que le nombre de ceux dont le besoin en métaux précieux n’est pas satisfait, ou l’est du moins insuffisamment, c’est-à-dire dans la mesure où ce besoin n’est pas couvert, ce nombre est toujours relativement grand – plus grand, quoique de manière variable, que dans le cas d’autres marchandises, certes plus importantes [pour la vie] mais disponibles en plus grande abondance. Encore une fois, la classe des personnes qui souhaitent acquérir les métaux précieux, en raison du genre de besoins que ceux-ci satisfont, est telle qu’on y compte tout spécialement les membres de la communauté les plus efficaces dans le négoce. De la sorte, le désir qui se porte sur les métaux précieux est en règle générale le plus efficace. En raison de la grande divisibilité des métaux précieux et des jouissances que procure sa dépense, même en très petites quantités, dans l’activité économique de l’individu [in individual economy22], le désir qui se porte effectivement sur les métaux précieux s’étend néanmoins également aux couches de la population qui ne sont pas capables de négocier aussi efficacement. Au-delà encore, l’aptitude des métaux précieux à être écoulés dans le temps et dans l’espace a une portée très large – c’est la conséquence, d’une part, de la distribution géographique quasiment illimitée du besoin qu’on a d’eux, liée au faible coût de leur transport rapporté à leur valeur, et, d’autre part, de leur caractère durable sans limites et du coût faible (par comparaison) supporté pour les thésauriser. Aucune nation dont l’économie a progressé au-delà des premières étapes de son développement n’a de marchandises dont l’aptitude à être écoulées soit si peu limitée à tant d’égards que ne l’est celle des métaux précieux – et cela, aux plans individuel [personally],quantitatif, spatial et temporel. On ne peut pas douter que, bien longtemps avant de devenir des intermédiaires très largement reconnus des échanges, les métaux précieux n’aient rencontré, chez bien des peuples, une demande positive et effective à tout instant et en tout lieu, et pratiquement en quelque quantité qui avait pu trouver son chemin jusqu’au marché.
39Se produisit de ce fait la situation qui devait nécessairement avoir une importance toute particulière pour qu’ils devinssent de la monnaie. Car, dans ces conditions, toute personne disposant de quelque métal précieux que ce fût n’avait pas seulement comme perspective raisonnable d’être en mesure de le convertir sur tous les marchés à n’importe quelque moment, et quelle qu’en fût en pratique la quantité, mais elle avait encore (et c’est, après tout, bien là le critère de l’aptitude à écouler une marchandise) la perspective de le convertir à des prix correspondant à tout moment à la situation économique globale – à des prix économiques. Refuser les prix du moment présent, les prix des moments d’urgence, des accidents, ce souhait, relativement plus présent, plus durable et plus fort chez les négociateurs les plus efficaces, a acquis une portée plus grande avec les métaux précieux que pour tout autre bien, quel qu’il ait été – et c’est tout spécialement parce qu’en raison de leur grande valeur, de leur caractère durable et de leur conservation facile, les métaux précieux étaient devenus le moyen le plus en vogue de thésauriser, ainsi que les biens les plus fortement recherchés dans le commerce.
40Dans ces circonstances, dans l’esprit des négociateurs les plus intelligents [in the minds of the more intelligent bargainers] (puis dans l’esprit de tout un chacun alors qu’on comprenait plus globalement la situation), l’idée directrice fut que la réserve de biens destinés à être échangés contre d’autres biens devait en premier lieu consister en métaux précieux, ou bien qu’elle devait être convertie en ces derniers, et cela même si l’agent en question n’en avait pas directement besoin ou s’il avait déjà pourvu à ses besoins à cet égard. Toutefois, en vertu de cette fonction et par elle, les métaux précieux constituèrent dès lors des intermédiaires des échanges en circulation [current media of exchange]. En d’autres termes, ils fonctionnent de ce fait même comme des marchandises contre lesquelles chacun cherche à échanger ses biens de marché [market-goods], et pas, en règle générale, en vue de les consommer, mais entièrement pour leur aptitude particulière à être écoulés et dans l’intention de les échanger plus tard contre d’autres biens, eux directement profitables à l’agent. Ce ne furent ni un accident, ni la conséquence d’une obligation formulée par l’État, ni une convention passée volontairement entre des marchands, qui eurent cet effet. Ce n’était que la juste compréhension par chacun de son intérêt individuel qui conduisit à ce que, dans toutes les nations les plus avancées économiquement, on accepta les métaux précieux comme monnaie, dès lors qu’ils avaient été amassés et introduits dans le commerce en quantité suffisante. Le passage d’effets monétaires [moneystuffs] moins coûteux à d’autres plus coûteux dépend de causes analogues.
41Un fait a encore contribué à ce développement, du point de vue matériel, à savoir que le ratio d’échange entre les métaux précieux et les autres marchandises subit, plus ou moins fortement, des fluctuations toutefois moindres que celles existant entre la plupart des autres biens – c’est là une stabilité due aux conditions particulières qui accompagnent la production, la consommation et l’échange des métaux précieux, et elle est donc liée aux fondements, dits intrinsèques, qui déterminent leur valeur d’échange23. Cela constitue encore une autre raison pour laquelle chacun devrait en premier lieu (c’est-à-dire jusqu’à ce qu’il investisse dans des biens qui lui sont directement utiles) déposer ses réserves disponibles destinées à l’échange [exchange-stock] sous la forme de métaux précieux, ou encore les convertir dans ces métaux. En outre, l’homogénéité des métaux précieux et la facilité (qui s’ensuit) avec laquelle ils servent de resfungibiles24 dans des rapports de créance [relations of obligation] ont conduit à des formes de contrat qui ont beaucoup facilité le commerce : du point de vue matériel, ce fait a également contribué à promouvoir l’aptitude des métaux précieux à être écoulés et, par là, à être adoptés comme monnaie. Enfin, en conséquence de la spécificité de leur couleur, de leur tintement sonore ainsi qu’en partie également de leur poids spécifique, les métaux précieux ne sont pas difficiles à reconnaître, avec un peu de pratique, et on peut aisément en contrôler la qualité et le poids en leur imposant une empreinte durable ; du point de vue matériel, voilà qui a également contribué à accroître leur aptitude à être écoulés et à les faire adopter en tant que monnaie, et enfin à les diffuser plus largement.
L’influence du pouvoir souverain
42La monnaie n’a pas été créée par la loi. À l’origine, son institution est le fait de la société, pas de l’État. La sanction donnée par l’autorité de l’État est une notion qui lui est étrangère. Toutefois, sa reconnaissance par l’État, ainsi que la réglementation qu’il prescrit, ont, par ailleurs, perfectionné et adapté cette institution sociale aux besoins multiples et variés d’une activité marchande en évolution, de même que le droit coutumier a été perfectionné et adapté par le droit écrit. Traités à l’origine en raison de leur poids, comme les autres marchandises, les métaux précieux sont graduellement parvenus, comme pièces, à la forme grâce à laquelle leur plus grande aptitude intrinsèque à être écoulés a matériellement augmenté. Partout, l’on a reconnu comme l’une des fonctions majeures de l’administration étatique de fixer la frappe pour tous les montants de valeur [grades of value, Wertstufen]25, d’établir et d’entretenir la frappe des pièces de manière à gagner la confiance publique [public confidence] et, autant que possible, à prévenir les risques quant à l’authenticité, au poids et au titre, comme surtout à garantir leur circulation la plus générale.
43En quelque pays que ce fût, les difficultés expérimentées dans le commerce et dans les systèmes de paiement, du fait de la concurrence active [competing action] entre plusieurs marchandises servant de monnaie en circulation [currency], comme en outre le fait que des normes concurrentes [concurrent standards] induisaient des formes multiples d’insécurité dans le commerce et rendaient nécessaires des conversions variées entre intermédiaires en circulation, tout cela a conduit à faire reconnaître par la loi certaines marchandises comme monnaie d’échange (cela a conduit à des normes légales [legal standards]). Et là où l’on a approuvé plus d’une marchandise, ou bien là où l’on en a admis plus d’une, comme moyen légal de paiement, la loi ou quelque autre système d’évaluation [law or some system of appraisement] a établi un ratio déterminé des valeurs entre elles26.
44Pour autant, ce ne sont néanmoins pas toutes ces mesures qui ont fait que les métaux précieux sont devenus de la monnaie ; elles ont seulement contribué à les perfectionner dans leur fonction de monnaie.
45Karl [sic] Menger27
46(traduit [NB, N.D.T. : de l’allemand en anglais] par Caroline A. Foley, M.A.)
Notes de bas de page
1 Par exemple, lui avait été commandée pour l’European Journal of the History of Economic Thought (EJHET) une recension de la traduction de l’article Geld [Menger, 1909], de l’allemand à l’anglais, par M. Streissler et L. Yeager in Latzer M. et Schmitz S. (dir.), Carl Menger and the Evolution of Payments Systems, E. Elgar, 2002. La recension est parue en 2003 : EJHET, 10/3, p. 505-509.
2 N.D.T. : pour un jugement négatif de Menger sur la terminologie anglaise correspondant aux mots allemands désignant le « bien » (Gut) ou la marchandise (Waare), voir la note manuscrite inédite de Menger, très critique sur la langue anglaise, au chapitre 1 de son volume des Grundsätze der Volkswirtschaftslehre de 1871, envoyé par l’éditeur à Menger pour révisions (voir l’édition scientifique française des Principes d’économie politique par G. Campagnolo à paraître, ainsi que le glossaire dans [Campagnolo, 2010]). Nous tentons ici de respecter la correspondance suivante : commodity = « marchandise » ; (market-)good = « bien (de marché) » ; (trade)ware = « article (de commerce) » ; article (of commerce) = « article (de commerce) » – Menger utilise tout le spectre des termes, qui sont parfois synonymes.
3 Friedrich Carl von Savigny (1779-1861) fut le principal juriste et philosophe du droit qui formula l’historicisme juridique allemand dont l’École historique allemande de l’économie prétendit s’inspirer.
4 N.D.T. : l’exemple de l’usage comme monnaie de ces coquillages chez les peuplades dites « primitives » était un lieu commun de l’époque, repris notamment depuis Kant, qui les citait déjà dans la section « Qu’est-ce que l’argent ? » de sa Doctrine du droit (1796 – rappelons que le présent texte de Menger date de 1892).
5 Voir : Roscher, System der Volkswirtschaft, I, § 116 ; mes Grundsätze der Volkswirtschaftslehre, 1871, p. 255 sq. ; M. Block, Les Progrès de la Science économique depuis A. Smith, 1890, ii, p. 59 sq.
6 N.D.T. : l’affirmation de Menger peut paraître osée à des archéologues contemporains, mais qu’on se souvienne, d’une part, que Menger introduit un raisonnement théorique par ce qu’il présente comme un constat historique, et, d’autre part, que si l’on retrouve bien des témoignages monétaires sous la forme de pièces etc., ce dont Menger parle ici, c’est de ce qui commérorerait une décision collective fondatrice. Il n’est peut-être pas si erroné, encore aujourd’hui, de prétendre que précisément indications et témoignages continuent de faire défaut sur ce point.
7 N.D.T. : le terme allemand est laissé entre parenthèses dans l’article anglais. Le terme saleableness a depuis cet article été souvent remplacé dans la littérature anglo-saxonne par saleability (simple variante suivant la même construction : sale, ou « vente », comme Absatz et ability, ou « capacité », comme Fähigkeit), ou encore par marketability, que nous rencontrons dans la suite de ce texte, mais qui fait (intentionnellement ou pas, selon les positions des auteurs) confluer le terme mengérien vers la notion, plus contemporaine pour nous, de marketing. Nous traduisons en français par « capacité d’écouler les biens » pour éviter un peu élégant « écoulabilité des biens », toutefois parfaitement exact (conforme à la construction lexicale indiquée plus haut). Du point de vue conceptuel, la capacité d’écouler les biens est proche de la notion économique de « liquidité » que l’on associe à un bien ou à un actif, mais elle ne s’y résume pas, car Menger ajoute des caractéristiques. Pour une analyse détaillée, voir le chapitre de Campagnolo et Tosi dans ce volume.
8 N.D.T. : dans le texte original, il s’agit de 10, puis de 2 cwt, ou hundredweights (poids de cent douze livres ou 50,3 kilogrammes) et de 3 lbs., ou pounds (livre = 453,6 g). Nous donnons des équivalents, mais c’est bien entendu le raisonnement qui importe.
9 N.D.T. : voir la note 7 ci-dessus concernant le terme saleableness.
10 Nous devons ici établir une distinction entre les prix d’achat plus élevés (ceux auxquels l’acheteur est susceptible d’acheter, du fait de son désir d’acquérir [un bien] à un instant déterminé) et les prix (plus bas) de vente – dont celui qui est forcé de se débarrasser de biens dans une période de temps déterminée doit lui-même en outre se contenter. Plus la différence entre le prix d’un article à l’achat et son prix à la vente est petite, plus cet article manifeste habituellement d’aptitude à être écoulé.
11 Le degré auquel s’élève l’aptitude d’une marchandise à être écoulée ne se manifeste pas en ce qu’on peut s’en défaire à n’importe quel prix, y compris à ceux qui résultent de la détresse ou d’accidents. En ce sens-là, les biens sont à peu près tous également aptes à être écoulés. Un taux élevé d’aptitude à être écoulé consistera plutôt pour une marchandise en ce qu’on peut à tout moment s’en défaire aisément et sûrement à un prix qui correspond à la situation économique globale – ou qui n’en est pas au moins très éloigné, c’est-à-dire au prix économique, même approximativement.
On peut déclarer le prix d’une marchandise non-économique pour deux raisons : 1) à la suite d’une erreur, de l’ignorance, de caprices, et ainsi de suite ; 2) en conséquence de la situation où seule une partie de l’offre est disponible pour la demande, le reste étant, pour une raison ou pour une autre, retiré [de la vente] ; le prix n’est alors, en conséquence, pas proportionné à la situation effectivement existante dans l’économie.
12 N.D.T. : C’est-à-dire à des prix qu’on pratique en général, dans des circonstances ordinaires, dans l’économie à l’instant en question.
13 N.D.T. : ici, le terme français de « débit » convient également à la perfection à l’idée d’Absatz – l’anglais étant « sale ».
14 Cf. mon article sur la « Monnaie » dans le Handwörterbuch der Staatswissenschaften, Jena, 1891, iii, p. 730 et suivantes.
15 N.D.T. : sous cette formulation peu saillante, qui rend « in it and by itself », il faut en réalité lire une transposition en anglais des catégories philosophiques allemandes classiques de l’ensoi, du pour-soi et du « pour-nous » (an sich, für sich et für uns) permettant de distinguer dans un processus les perspectives selon lesquelles il se déroule, d’une part, pour la conscience qui appartient à celui qui le subit, et d’autre part, pour un observateur « savant » extérieur qui en prend connaissance « tel qu’il est ». On peut entendre chez Menger l’écho de ces distinctions de logique phénoménologique.
16 Les Hébreux disent Keseph, les Grecs αργύριον [argurion], les Latins argentum, les Français argent, etc.
17 Les Anglais disent money, les Espagnols moneda, les Portugais moeda, les Français monnaie, les Hébreux maoth, les Arabes fulus, les Grecs νόμισμα [nomisma], etc.
18 Les Italiens disent denaro, les Russes dengi, les Polonais pienondzee, les Bohémiens et les Slaves penize, les Danois penge, les Suédois penningar, les Hongrois pens, etc. (c’est-à-dire que denare = Pfennige = penny).
19 Voir sur ce point mes Grundsätze der Volkswirtschaftslehre, 1871, p. 250 et suivantes.
20 N.D.T. : formule latine dans l’original : « Celui qui a de l’argent peut avoir tout ce qu’il veut ».
21 ici se trouve l’explication du fait que les ventes forcées, dans les cas de saisie-exécution en particulier, impliquent en règle générale la ruine économique de la personne dont le patrimoine est emporté, et cela d’autant plus gravement que les biens en question sont moins aptes à être écoulés à la vente. La pénétration exacte du caractère non-économique de ces procédures conduira nécessairement à les réformer au sein du mécanisme des dispositions légales existantes.
22 N.D.T. : il s’agit de l’équivalent anglais de l’allemand Privatwirtschaft, mot dont Menger détaille le sens et le rôle, à la base de la notion d’« individualisme méthodologique » (ce terme, lui, ne se trouve pas chez Menger) dans ses Recherches sur la méthode des sciences sociales et de l’économie politique en particulier de 1883 (traduction française intégrale par G. Campagnolo, Éditions de l’EHESS, 2010).
23 N.D.T. : La question théorique profonde soulevée ici par Menger est traitée par lui dans l’article « La monnaie, mesure de valeur », qu’il publie en français la même année dans la Revue d’économie politique (vol. 6). L’allusion que fait ici Menger s’éclaircira pour le lecteur de l’article. Notons au passage que, de même que c’est ici la première traduction française du texte anglais, le texte français n’était pas disponible en anglais avant notre traduction (« Money as Measure of Value. An English Presentation of Menger’s Essay in Monetary Thought » et « Money as Measure of Value » translated by G. Campagnolo, History of Political Economy, 2005, 37/2). Le texte français, devenu quasi-introuvable, est reproduit en appendice de Campagnolo G., Carl Menger entre Aristote et Hayek, Paris, CNRS Éditions, 2008, p. 206-220.
24 N.D.T. : L’expression latine se traduit par « biens fongibles », c’est-à-dire considérés comme interchangeables, identiques les uns aux autres et non-individualisés.
25 N.D.T. : le terme allemand est laissé entre parenthèses dans l’article anglais.
26 N.D.T. : dans les années de rédaction de ce texte (ainsi que de nombreux autres articles sur les questions monétaires), Menger fut l’un des principaux conseillers pour la réforme monétaire impériale en Autriche-Hongrie (Valutareform) qui allait mettre un terme au bi-métallisme jusqu’alors en vigueur.
27 N.D.T. : cette graphie du prénom Karl se rencontre parfois. Toutefois, la plus commune était Carl, et il est devenu de règle d’utiliser cette dernière pour distinguer Menger l’économiste de son fils, le mathématicien Karl Menger.
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