Comment les francs-maçons devinrent révolutionnaires
p. 39-54
Texte intégral
Un préalable historiographique nécessaire
1Il est naturel de faire une mise au point centrée autour de la confrontation entre la Révolution et les francs-maçons dans le cadre d’une rencontre dont l’un des objectifs est de cerner les formes et les conditions d’entrée de groupes sociaux ou culturels dans la crise révolutionnaire.
2Plus que l’importance du nombre des initiés à la franc-maçonnerie ou que celui des loges au moment du déclenchement de la Révolution – on rappellera qu’avec 30 à 35 000 francs-maçons répartis dans 635 loges la sociabilité maçonnique attire 20 % de la population urbaine masculine d’âge adulte1 –, c’est l’héritage que laisse l’historiographie2, en raison de sa capacité à construire une représentation durable des relations liant la franc-maçonnerie et l’événement révolutionnaire – les francs-maçons auraient joué rôle collectif actif dans le déclenchement de la Révolution –, qui oblige à aborder cette question. Mais l’obligation est d’autant plus nécessaire que l’évolution historiographique, depuis 20 ans, contraint les chercheurs à opérer une révision radicale de l’état des lieux qu’il leur est possible de dresser au début des années 2010, en comparaison de celui qu’ils auraient établi à la fin des années 1980.
3Depuis le Bicentenaire de 1789, la recherche historique sur la franc-maçonnerie, parfois directement stimulée par la proximité de cet événement3 a en effet vu aboutir de nombreuses recherches sur la vie des loges pendant la période révolutionnaire, notamment dans les domaines de l’histoire des idées4 et de l’histoire sociale5. Dans ce dernier domaine dans lequel les publications revêtent le plus souvent l’aspect de monographies qui, consacrées à des ateliers, à des villes ou aux loges d’une province, font le choix de placer la crise révolutionnaire au centre de leur chronologie et l’effort de recourir à une méthodologie scientifique qui restait singulièrement défaillante dans le champ de la recherche sur le fait maçonnique6, les résultats obtenus ont eu pour conséquence de déplacer l’aiguillon de la réflexion qui avait été fixé par l’historiographie dominante jusqu’aux années 1980. À partir des postulats énoncés par Augustin de Barruel7, puis par Augustin Cochin8, cet aiguillon faisait de l’action des francs-maçons9 et de l’influence des Loges, que ce dernier situait en très bonne place dans la « synarchie des sociétés de pensée10 » ayant fait émerger la sociabilité révolutionnaire, les seuls axes de travail possibles pour appréhender l’interaction entre la franc-maçonnerie et la Révolution française.
4Il convient de rappeler brièvement les étapes qui ont jalonné cette mutation historiographique pendant laquelle les chercheurs ont souligné le rôle exercé par le climat intellectuel dans lequel évoluaient les sociétés dans l’Europe de la Sainte-Alliance, puis celui de la conversion des milieux républicains aux thèses conjuratrices et enfin l’intelligence dont firent preuve ses défenseurs à la parer d’un nouvel habillage pour expliquer l’acceptation et la forte résistance des thèses des origines franc-maçonnes de la Révolution11.
5Une première série de travaux critiques, publiés dans les années 198012, a rouvert le dossier de la franc-maçonnerie en Révolution en visitant les pratiques des francs-maçons. Ces travaux l’ont fait par le biais d’enquêtes fondées sur une exploitation minutieuse de sources d’archives maçonniques qui étaient jusqu’alors peu ou mal explorées. L’un de leurs principaux apports a été de montrer le polymorphisme culturel du fait maçonnique et ce polymorphisme affaiblissait les thèses dominantes qui, en préconisant l’idée de son caractère subversif, étaient fondées en partie sur l’idée de l’unité culturelle de la société maçonnique.
6À ces remises en cause se sont ajoutées celles issues des travaux qui ont été publiés à partir des années 199013. Ceux-ci ont notamment contesté la place que réservaient les thèses de Jürgen Habermas à l’action jouée par les Loges maçonniques dans l’avènement d’un nouvel espace public caractérisé par la domination des valeurs de la bourgeoisie. En mettant notamment en lumière la force de la culture nobiliaire dans la sociabilité maçonnique14, ces études ont définitivement imposé le glissement de problématique suggéré par les résultats des travaux précédents et il s’agissait alors de passer définitivement d’un cadre d’analyse sur le fait maçonnique prônant l’influence des loges sur la Révolution vers un cadre acceptant la réciprocité des influences15.
7Nous adoptons en cela le positionnement de Timothy Tackett dans son étude prosopographique des Constituants.
8Cette mutation historiographique a une conséquence du point de vue de l’état des lieux sur les conditions d’entrée en Révolution des francs-maçons que nous proposons : il s’agit en effet aujourd’hui d’accorder une attention particulière au processus de réappropriation de « l’expérience révolutionnaire16 » par les francs-maçons en considérant avant tout la manière dont celle-ci fait évoluer leurs pratiques à partir de leurs préoccupations initiales. Toutefois, dans le cadre de cette réflexion s’ajoutent deux autres nécessités. La première, et la référence aux préoccupations initiales des francs-maçons y invite implicitement, découle de l’inflexion épistémologique provoquée par le progrès des connaissances sur le fait maçonnique après vingt ans de recherche attentive à mobiliser des méthodes scientifiques. Le détachement progressif de l’historiographie maçonnique du chantier de la sociabilité, longtemps hégémonique17, a en effet conduit les chercheurs à réévaluer l’importance qu’il convient d’accorder au geste d’un individu faisant le choix d’être initié à la franc-maçonnerie. On ne peut en effet, comme nous y a longtemps incité l’historiographie, cantonner l’appartenance à la franc-maçonnerie à la seule affiliation à une société réflexive et ludique. La singularité de la franc-maçonnerie résidant dans le parcours progressif qu’elle propose à ses membres, ses initiés souhaitent avant tout préserver la singularité initiatique de la société à laquelle ils ont choisi d’adhérer en parfaite conscience. Une dernière nécessité réside, à plus forte raison lorsqu’il s’agit de saisir les ruptures provoquées par la crise révolutionnaire dans la vie des francs-maçons, dans celle de prendre en compte la temporalité spécifique de l’histoire d’une société qui, en se plaçant en marge de l’espace public par le choix du secret et en prônant la fidélité au pouvoir établi, quelles que soient les modifications du régime politique, obéit à une contingence historique spécifique qui, s’agissant de la crise révolutionnaire conduit à regarder l’entrée en Révolution comme un processus progressif, commencé à l’automne 1791 dans le contexte du vote de la constitution, puis accéléré à partir de l’hiver 1793 lorsque les francs-maçons furent contraints à vivre dans la clandestinité jusqu’au coup d’état du 18 fructidor.
La franc-maçonnerie à la veille de la Révolution : une société en crise
9Dans la continuité des thèses d’Augustin Cochin, nombre de travaux ont souligné l’idée selon laquelle la franc-maçonnerie se serait trouvée dans une situation excellente pour affronter une Révolution dont elle serait en partie responsable18. La modernité des pratiques adoptées par la société maçonnique peu avant la crise révolutionnaire, lors de la réforme institutionnelle qui donna naissance au Grand Orient de France en 1773 – parmi ces pratiques, l’électivité, la rotation des mandats et l’acceptation d’une représentation de l’ensemble du corps maçonnique19 occupent une place essentielle20 –, a servi d’argument principal pour construire la thèse selon laquelle les francs-maçons auraient impulsé les pratiques révolutionnaires parce qu’eux-mêmes auraient vécu leur nuit du 4 août21.
10C’est pourtant dans une situation moins favorable dans laquelle se trouve réellement la société maçonnique au printemps 1789. Malgré un contexte de croissance considérable du nombre des loges qui n’est pas pour rien dans l’idée développée par Cochin de la dangerosité de la franc-maçonnerie22, c’est en fait en situation de confrontation, au délitement d’une identité sociale et culturelle construite durant le premier demi-siècle du développement de leur histoire dans laquelle se trouvent ses initiés à la franc-maçonnerie.
11Ce délitement identitaire est dû à cette réforme institutionnelle qui, si elle imposa ces règles de fonctionnement plus démocratiques23 que l’historiographie cochinienne a valorisé pour étayer ses accusations, accélère, en raison de son échec, l’implosion d’une forme de sociabilité dont elle voulait protéger les fondamentaux socioculturels.
12Il faut, pour comprendre la crise provoquée par l’échec de la réforme, rappeler ce qu’en sont les enjeux. Née de la volonté d’adapter des règles de fonctionnement institutionnel qui avaient été mises en place par l’ancienne Grande Loge de France (1728), à une époque où la franc-maçonnerie restait confidentielle et presque exclusivement parisienne, pour faire face à l’engouement suscité par la sociabilité maçonnique depuis le milieu des années 1760, elle visait à répondre à une nouvelle demande sociétale – celle émanant de la petite bourgeoisie liée à la provincialisation du fait maçonnique, celle venue des femmes et celle, plus spirituelle, qu’exprime la floraison des hauts grades24-, en sauvegardant l’identité originelle d’une franc-maçonnerie française qui avait dû acclimater à la France absolutiste une structure de sociabilité née dans l’Angleterre libérale qui succéda à la Glorieuse Révolution.
13Conçu dans un royaume dépourvu du privilège nobiliaire et marqué par le latitudinarisme religieux que reflète l’esprit des Constitutions d’Anderson (1723), les francs-maçons français ont en effet mis la sociabilité des Loges en conformité avec les exigences d’une société dans laquelle la noblesse gardait de solides positions et où régnait l’exclusivisme catholique. À partir de ce processus d’adaptation, les francs-maçons ont construit une identité maçonnique originale, marquée par son attachement à la sociabilité des cénacles aristocratiques25, par sa propension à limiter l’accès du Temple à la moyenne bourgeoisie des officiers royaux et de l’élite des maîtres de métiers et encline, par ses choix réglementaires26, par l’encouragement qu’elle donne à la diffusion des hauts grades et par son ouverture au clergé, à offrir un parcours initiatique caractérisé par de fortes attaches avec le christianisme27.
14Comme le montre l’action engagée par ses maîtres d’œuvre, notamment celle du Grand Orateur Bacon de la Chevalerie qui en fut la véritable cheville ouvrière28, tout l’esprit de la réforme consiste à mettre en place la construction de la franc-maçonnerie d’adoption29, l’élaboration de statuts maçonniques spécifiques destinés à freiner la démocratisation30 et la formalisation d’un parcours initiatique unique ancrant définitivement la franc-maçonnerie dans le christianisme, afin de parvenir à préserver cette identité.
15Or, les résistances31 qu’elle suscite ont eu au contraire pour conséquence de la fragiliser. Le signe le plus visible de l’accélération de la crise identitaire qui affecte la franc-maçonnerie dans les années 1780 émerge dans la remise en cause radicale de sa cohésion sociétale, une remise en cause dont la réaction aristocratique qui touche l’espace maçonnique est l’aspect le plus spectaculaire.
16Encouragée par le contexte même de la réforme qui, bien qu’ayant démocratisé les pratiques des initiés, permet à la noblesse la plus prestigieuse de reprendre en main les rênes de l’obédience32, la réaction aristocratique se voit dans l’épanouissement d’une « culture de la distinction33 » qui progresse par paliers successifs jusqu’aux premiers mois de la crise révolutionnaire. Elle commence avec la tentative des loges nobiliaires de reconquérir l’espace maçonnique engagée à partir de la fin des années 1770. Favorisée par le fait que ce sont ces loges qui, parce qu’elles sont les plus anciennement implantées, ont pour mission d’installer les ateliers plus récents, la noblesse maçonnique adopte des positions qui vont bien au-delà de la volonté d’endiguer la montée de la petite bourgeoisie souhaitée par la nouvelle obédience et font preuve d’une propension accrue à réserver l’accès de leurs Temples aux seuls détenteurs du privilège.
17Les progrès de cette culture sont confirmés à partir du milieu des années 1780, quand la noblesse maçonnique tire profit de la création du Grand Chapitre Général (1782), l’organisme qui dirige la franc-maçonnerie des hauts grades, et, parallèlement, se montre capable de redonner vigueur aux cénacles maçonniques, en recul après la démocratisation des années 1760. La réaction aristocratique est d’autant plus inquiétante que la sanior pars de la bourgeoisie maçonnique est contaminée par ces pratiques. L’un des traits principaux de l’évolution de la société maçonnique, à partir du milieu des années 1780, est en effet la propension que manifestent les négociants francs-maçons, qui sont la clientèle attitrée des Loges, comme le montrent la complexification de la hiérarchie des ateliers dans les villes maçonniques34, l’initiative de la loge Le Nouveau Peuple éclairé35 qui bâtit au printemps 1789 un Temple destiné à rassembler le seul gotha du négoce marseillais ou les pratiques originales élaborées par les grands armateurs des ports atlantiques36, à suivre la voie ouverte par la noblesse maçonnique.
18Cette évolution se serait traduite par un simple déplacement vers le haut du vivier de recrutement des Loges qui s’étaient affirmées comme le réceptacle privilégié d’une bourgeoisie moyenne si elle n’avait été accompagnée parallèlement d’un mouvement d’ouverture des loges vers une petite bourgeoisie, allant au-delà de l’ouverture vers le monde de la boutique qui était la cible principale de la politique d’endiguement mise en place par l’obédience à l’occasion de la réforme. C’est l’utilisation des oppositions entre l’obédience de la rue du Pot de Fer et les loges élitaires de province qui permet, à partir du milieu des années 1780, la descente sociale du fait maçonnique vers le monde de l’artisanat37 puis, à partir de 1787, vers les artistes et vers la basoche dont les initiatives remettent directement en cause, comme en témoignent celles des ateliers Saint-Jean-Baptiste (Vernon)38 et L’Accord Parfait, (Rouen)39, les barrières institutionnelles qui avaient été mises en place par la réforme des années 1771-1773.
19L’échec de celle-ci ne se limite à cet aspect sociétal. Elle se perçoit aussi dans l’échec de la régulation des fondaments culturels et spirituels acceptés par la franc-maçonnerie durant le premier demi-siècle de son développement. En choisissant la sociabilité maçonnique, les francs-maçons avaient clairement opté pour une masculinité qui est remise en cause lorsque, à la fin des années 1740, les femmes manifestent leur intérêt pour cette forme de sociabilité. La réforme pensa la sauvegarder avec la mise en place de l’Adoption, compromis qui, tout en offrant aux femmes la possibilité d’entrer dans les loges, confirmait le caractère viril de la franc-maçonnerie en plaçant les ateliers féminins dans la dépendance des ateliers masculins et en les cantonnant à un parcours initiatique incomplet40. Dans les années 1780, si la franc-maçonnerie d’adoption connaît un succès réel, qui contribue d’ailleurs à l’aristocratisation de la franc-maçonnerie, celui-ci traduit moins le succès du compromis trouvé dans la création de celle-ci que la montée d’une revendication dont le signe fort est l’exacerbation de la vocation philanthropique des loges féminines, une exacerbation qui ne fut pas sans attirer l’attention des vénérables de loges masculines41.
20Plus destructeur encore sont, parce qu’elles touchent à la voie spirituelle de la franc-maçonnerie, les remises en cause qui ont trait au rite et au rituel42.
21S’agissant du rite, la mise en place du Grand Chapitre général a pour objectif d’être la première étape d’une politique dont le but est d’intégrer les francs-maçons des hauts degrés43 dans un parcours commun ; une seconde étape, décisive, aurait dû être franchie lors du Convent des Philalèthes où fut convoquée la « famille illuministe » en vue d’une unification des hauts grades dirigée par le Grand Orient de France. Son échec, deux ans seulement avant la Révolution, à plus forte raison parce qu’il se déroule dans un contexte marqué par l’affirmation de courants contradictoires44, montre aussi l’instabilité qui caractérise les fondements spirituels de la franc-maçonnerie.
22Plus grave sans doute est l’instabilité du rituel qui fixe le cadre de la pratique de tous les francs-maçons, initiés aux hauts grades et, comme le sont plus grand nombre, simples initiés aux trois grades symboliques. Dans un contexte marqué par les attaches de la franc-maçonnerie française avec le christianisme, le rituel est en effet, comme nous avons pu le montrer avec l’exemple des prêtres jansénistes qui ont trouvé refuge dans les loges normandes peu avant la Révolution45, l’objet d’une réappropriation qui, parce qu’il a trait à l’essence même de la démarche maçonnique, montre la prégnance de la crise identitaire dans laquelle se trouve la franc-maçonnerie à la veille de la Révolution.
L’émergence progressive d’une identité nouvelle
23Ce contexte de crise explique aisément que l’institution maçonnique, qui est de surcroît abandonnée par l’administrateur général Montmorency-Luxembourg46, enregistre un coup d’arrêt dans ses activités à l’été 1789, un coup d’arrêt dont les signes avant-coureurs sont perceptibles avec la baisse d’assiduité dont font preuve les francs-maçons dès 178747.
24Plus qu’à travers la baisse du nombre des loges, certaine mais difficilement quantifiable, c’est dans l’absence de réactions des francs-maçons devant les initiatives de l’obédience soucieuse de s’adapter à l’air du temps que l’on peut rendre compte au mieux de la fragilisation immédiate de ce lieu de sociabilité qui est victime de son incapacité à résoudre des problèmes restés en suspens. Ainsi, lorsque le Grand Orient de France, répondant à un vœu exprimé par quelques loges en novembre 1790, organise une collecte auprès des initiés pour participer à l’effort de la nation, les francs-maçons, malgré la solide culture philanthropique dont ils sont dotés48, ne sont qu’un très faible nombre (22 loges) à y répondre, et cela pour des raisons qui tiennent moins aux réticences qu’ils éprouvent face au changement politique qu’à leur absence de motivation pour répondre à la demande d’une structure associative dont ils sont adhérents mais qu’ils jugent incapable en raison de ses propres divisions de trouver une place dans une société française en cours de transformation.
25Il reste que la désertion des loges est partielle et qu’il se maintient une activité maçonnique, y compris durant ces années de l’histoire de la franc-maçonnerie qui séparent le moment de la démission du Grand Maître Philippe Égalité, le 2 février 179349, du réveil de la franc-maçonnerie survenu après le coup d’état du 18 fructidor, lorsque s’éloignent les soupçons de voir les loges servir de paravents aux officines royalistes.
26C’est même durant cette période de difficultés due en partie à la méfiance ressentie devant cette forme de sociabilité qui échappe au contrôle public et que rendent suspectes sous la Terreur des pratiques de démocratie internes opposées à celles que promeuvent les sociétés populaires50, que les francs-maçons entrent véritablement en Révolution. Ils le font en se réappropriant l’expérience révolutionnaire et les transformations provoquées par celle-ci dans les champs de la vie politique et spirituelle, participant de fait à la formation de la « franc-maçonnerie libérale », distincte de la « franc-maçonnerie anglo-saxonne » par l’intégration de la réflexion politique et sociale dans le parcours des initiés à condition de les réguler.
27Il faut signaler ici l’un des effets dommageables des travaux critiques de l’historiographie cochinienne. S’ils ont fortement souligné, pour montrer l’inanité de ces thèses, l’adoption de nouveaux règlements inspirés des pratiques révolutionnaires51, le choix des titulatures de loges jugés emblématiques de la subversion occasionnée par la Révolution52 et le rôle joué par ces Jacobins francs-maçons fraîchement initiés qui instrumentalisent la franc-maçonnerie, ces travaux ont en effet peu mis en valeur le rôle important qu’ont joué, dans l’histoire de cette subversion, les francs-maçons qui avaient fréquenté les ateliers sous l’Ancien Régime et qui, la Révolution survenue, acceptèrent en conscience de modifier leurs comportements.
28Cette modification présuppose un changement d’état d’esprit que l’on peut saisir à partir de l’été 1791. Réalisant le caractère irréversible de la transformation politique engagée par la Révolution avec l’imminence du vote de la constitution, les francs-maçons, comme le montre l’étude de la correspondance des loges provinciales53, entrent alors dans un questionnement dont le sujet est la possibilité de transformer le régime de l’Ordre et le travail en loge en raison des transformations des normes de comportement culturel provoquées par le processus révolutionnaire. À l’hiver 1792, la publication par le Grand Orient de France d’une circulaire annonçant aux ateliers l’imminence de la diffusion d’un projet sur un nouveau mode d’existence, confirme cette possibilité d’un changement du contenu de la démarche maçonnique.
29C’est dans le Paris maçonnique de la Terreur, où les francs-maçons sont les plus nombreux depuis 1789 – Paris comptait alors 60 loges – que l’on peut mesurer au mieux, comme le montre particulièrement l’évolution des deux ateliers dans lesquels se rétracte l’essentiel de la vie maçonnique, les divergences de point de vue portant sur la nature de la franc-maçonnerie qui opposent les initiés entre eux.
30Ainsi, alors qu’en décidant d’adopter, en janvier 1794, un plan de travail fondé sur l’emploi des usages de la franc-maçonnerie à ceux de la République54, Les Amis de la Liberté prônent la mise en place d’un nouveau parcours initiatique intégrant le politique, Le Centre des Amis55, malgré les relations de bon voisinage qu’il entretient avec cette loge qu’il a installée, affirme, par la voie de son vénérable Roëttiers de Montaleau56, sa mission de pérenniser une franc-maçonnerie fidèle à sa vocation initiatique, excluant le champ politique des travaux maçonniques.
31Et durant cette évolution, l’action engagée par les francs-maçons initiés de longue date revêt une importance qui vaut celle des jacobins francs-maçons fraîchement entrés en loge pour les subvertir. Ainsi, en étudiant le personnel des Amis de la Liberté, on observe que ce sont des francs-maçons qui, comme le fondateur de la loge Gerbier57, collaborateur du Grand Substitut Chaillon de Janville, l’un des principaux acteurs des assemblées de la réforme de 1773 et de la mise en place du Grand Chapitre Général, avaient été initiés sous l’Ancien Régime qui deviennent les cadres d’une vie maçonnique dans laquelle les débats citoyens ont obtenu toute leur place. Cette constatation ne vaut pas seulement pour la franc-maçonnerie parisienne où les initiés sont sans doute mieux informés des enjeux en raison de la présence de l’obédience. Le tableau que présente l’étude de la vie maçonnique sous la Terreur dans les villes de province qui, comme Toulouse ou Le Havre, maintiennent une activité maçonnique importante, est en effet comparable. À Toulouse, ce sont ainsi près d’un franc-maçon sur trois ayant été actifs dans la républicanisation des loges de cette ville58 qui ont été initiés avant la crise révolutionnaire. Au Havre, qui eut le privilège de voir une loge installée au plus fort de la Terreur, trois semaines seulement après que l’obédience fut mise en sommeil59 – le 10 juin 1794, le jour même de la Fête de l’Être Suprême –, ce sont aussi des francs-maçons des deux ateliers installés sous l’Ancien Régime, L’Aménité et La Fidélité, qui jouent le premier rôle dans la subversion de sociabilité. Ce sont eux qui acceptent de procéder à l’installation d’une loge dont il connaissait le projet politique puis qui décident quelques mois après, devant le conflit survenu dans le nouvel atelier devenu le réceptacle des débats politiques après la fermeture des sociétés populaires, de le séparer en deux loges dans lesquelles ils n’ignorent pas la présence de débats politiques. C’est en raison de toutes ces pratiques qu’il est possible d’affirmer que l’expérience révolutionnaire, en comblant le vide laissé par la situation de crise qui prévalait à la veille de la Révolution, a déclenché un processus qui a permis de refonder l’identité la franc-maçonnerie française.
32Dans le cadre de ce processus, les problèmes identitaires laissés en suspens en 1789 ne sont pas ignorés et, si le délitement de l’identité sociale observable au commencement de la Révolution fut réglé lui-même avec la disparition des ordres privilégiés et le repli de la vie maçonnique autour d’une bourgeoisie d’officiers et de marchands qui avaient toujours été le groupe qui faisait tourner la boutique, la question de la stabilisation spirituelle a été résolue en raison de l’impact de la crise religieuse dans des loges60, la Révolution entrant sur ce point de nouvelles normes de comportements appelées à durer.
33Facilitée par le départ des prêtres de la franc-maçonnerie, c’est en effet avec le réveil des loges qui survit le coup d’état du 18 fructidor, comme le montre l’évolution des rares ateliers dont on peut saisir l’activité61, que les francs-maçons mettent en place cette neutralisation religieuse du Temple, qui va être l’un des fondements abrasifs de la franc-maçonnerie française à partir du xixe siècle.
Le prix d’une mutation
34On ne saurait achever la description d’une évolution mettant en évidence une transformation identitaire sans évoquer la réaction des francs-maçons devant ce changement qui touche la nature même du type de sociabilité à laquelle ils avaient initialement adhéré. La démarche est difficile car la question de cette réaction est proprement ignorée. La raison de cet oubli tient non seulement à la très faible attention qu’accorde l’historiographie à la dimension initiatique de l’affiliation à la franc-maçonnerie mais aussi au fait que peu nombreux sont les initiés de la fin du xviiie siècle qui reprennent une activité maçonnique après la crise révolutionnaire62, et qu’encore plus rares sont les francs-maçons qui s’expriment sur leur vécu de la Révolution. Malgré ces difficultés, et c’est là l’un des apports majeurs du renouvellement méthodologique dont la recherche sur la franc-maçonnerie est l’objet, il est possible de disposer de quelques éclairages sur le processus de reclassement des parcours maçonniques occasionnés par la confrontation à la crise révolutionnaire.
35On se contentera ici, pour mettre en perspective ce reclassement, de comparer les parcours de deux figures, celles de Jean Mathéus63 et d’Armand Gaborria64, qui sont selon nous emblématiques de la diversité des destins liés à cette transformation identitaire. Les raisons qui motivent le choix de ces deux trajectoires sont nombreuses65. La plus importante tient assurément à la stature maçonnique des deux hommes qui, appartenant à la même génération, ont vécu l’essentiel de leur parcours maçonnique durant la transition révolutionnaire.
36Né près de Bordeaux en 1753, devenu franc-maçon à moins de 20 ans à l’occasion d’un voyage que fit ce jeune négociant à Toulouse – il est alors âgé de 18 ans66 –, Armand Gaborria devient au moment de la Révolution, après son installation comme manufacturier à Lille au début des années 1780 et son initiation dans la loge Les Amis Réunis, l’un des principaux animateurs de la prestigieuse académie paramaçonnique de sciences et d’occultisme les Philalèthes de Lille67, avant de fonder, la Révolution passée, la loge des Amis Philanthropes de Bruxelles puis, par le biais d’une loge qu’il installe à Turin (L’Amitié Éternelle), le promoteur de l’une des branches du Rite de Misraïm, qui sera l’un des rites maçonniques les plus diffusés en Europe dans la première moitié du xixe siècle.
37Né dans le Palatinat un an après Gaborria (1754), c’est à Rouen que s’installe en 1785 le négociant Jean Mathéus. Il y fait prospérer avec son associé suisse Louis Clavel68 une importante maison de négoce en toile, et, à partir de la loge L’Ardente Amitié où il se fait recevoir dès son arrivée, devient la figure de proue du groupe des francs-maçons rouennais ralliés au Rite Hérodom de Kilwinning69, lequel est, avec celui proposé par la Mère-Loge Écossaise, l’un des principaux systèmes maçonniques qui réussit à échapper au contrôle du Grand Chapitre Général.
38Or, à regarder ces deux parcours, reconstruits dans le cas du premier par le biais d’une démarche prosopographique et du second grâce à la richesse des égodocuments rassemblés dans le fonds de Liesville70, ce sont deux trajectoires quasiment inversées qui semblent avoir été tracées par les ruptures nées de la crise révolutionnaire.
39Jean Mathéus se situe assurément du côté de ces francs-maçons qui, bien qu’attentifs à la dimension initiatique, ont pu trouver dans une franc-maçonnerie ouverte aux questions politique et sociale un lieu parfaitement adapté à ses aspirations profondes. Arrivé de Spire, c’est en effet, malgré son goût pour les rites, une franc-maçonnerie active dans le domaine de la philanthropie sociale que souhaite promouvoir ce négociant protestant et récemment installé, qui est l’une des figures de proue des bureaux de charité rouennais organisés à partir de 179171.
40Or, à cette date, sa carrière maçonnique est, à la différence de celle de Gaborria, un chemin semé d’embûches. Il vient en effet de subir les foudres des élites maçonniques rouennaises qui, avec l’aval du Grand Orient de France, avaient fondé un chapitre de hauts grades (Les Chevaliers Réunis) au moment même où Mathéus arrivait à Rouen pour diffuser avec succès la franc-maçonnerie du Rite Hérodom de Kilwinning72. L’histoire maçonnique de Jean Mathéus se serait d’ailleurs terminée tristement – les Chevaliers Réunis parviennent à obtenir du Grand Orient de France la démolition de L’Ardente Amitié en mai 178873 –, sans une Révolution qui, en raison de la mutation de la franc-maçonnerie rouennaise74, de la notoriété acquise par Jean Mathéus dans les milieux philanthropiques et de son habileté à utiliser sa connaissance d’un Rite original devenu un facteur attractif dans le contexte de la franc-maçonnerie napoléonienne friande de hauts grades, lui permet, en accédant à la direction de la loge et du chapitre de hauts grades qui rassemblent la notabilité rouennaise, de devenir le franc-maçon le plus influent des loges de cette ville sous le Premier empire avant d’être, au début de la Restauration, celui qui dynamisa, à partir du legs laissé par L’Ardente Amitié75, l’atelier Les Arts Réunis qui fut le plus actif de Rouen sous les monarchies censitaires.
41La Révolution est, en revanche, un moment douloureux pour Armand Gaborria, un temps de désordre qui, dans une version maçonnique, fait penser au destin tragique de Théodore Desorgues76. Ayant acquis les grades symboliques, initié aux hauts grades, dont il accepte mal les dérives, Gaborria est assurément un franc-maçon épanoui et reconnu à la veille de la Révolution. Peu intéressé par les questions politique et sociale, l’Initiation, qui est sa passion, vient de lui permettre d’entrer aux Philalèthes de Lille dont il occupe toutes les fonctions de direction (Président, chef du conseil, directeur du conseil, vice-directeur, garde des archives, secrétaire) et dont il envisage d’écrire l’histoire. Il est encore l’auteur d’une Encyclopédie77 dont la lecture permet de mesurer, dans les longs articles qu’il consacre aux pratiques maçonniques, l’intérêt profond qu’il ressent pour l’initiation maçonnique78. Il a laissé aussi une impressionnante correspondance79 témoignant, dans les développements sur la régularité d’un geste ou sur le choix d’un décor, de l’épanouissement spirituel de cet initié que nombre de francs-maçons viennent consulter pour bénéficier de ses lumières.
42Toutefois, la correspondance80 de Gaborria montre aussi, à partir de son retour de Bruxelles, en 1801, l’intensité de la rupture que peut provoquer la mutation identitaire issue de la crise révolutionnaire qu’il désapprouve avec force en dénonçant la dénaturation dont serait l’objet la franc-maçonnerie qui, avec le compromis napoléonien81, accepte définitivement le mouvement de politisation qui a été engagé depuis dix ans.
43C’est le sentiment de perte d’une franc-maçonnerie originelle qui le conduit, alors qu’il vient d’être nommé à la direction des Droits réunis, à abandonner le Grand Orient de France et à commencer un errement initiatique dont l’aventure misraïmite est la première étape.
44Avec la passion qui l’anime depuis les années des Philalèthes, sa nomination comme fonctionnaire bonapartiste à Turin l’incite, dans un contexte favorable à la mise en place d’un syncrétisme maçonnique – la loge de Turin réunit des initiés venus de toute l’Europe –, à tenter de retrouver la franc-maçonnerie perdue en construisant un Rite idéal, d’inspiration égyptienne, qui est le produit des réflexions qu’il a développées dans ses écrits depuis les années 178082. Sont-ce seulement les déboires qu’il rencontre lorsque ces Frères de Turin profitant d’un bref retour en France l’évincent de l’atelier dont il assure la direction des travaux avec autorité ou l’impossibilité de renouer avec un cheminement initiatique qui a été bouleversé par la crise révolutionnaire ? Gaborria s’éloigne peu à peu du Rite Misraïm pour, après avoir fréquenté des ateliers maçonniques à Rome, à Bruxelles et dans la région parisienne où il revient occasionnellement, s’attacher à la diffusion du Rite Écossais Ancien Accepté qui a été ramené de Saint-Domingue par le comte de Grasse-Tilly à l’été 1804. Gaborria, enthousiasmé par ce nouveau parcours initiatique, en devient même l’un des plus ardents propagateurs, au point de devenir Grand Inspecteur Général pour les ateliers des départements du Nord-Ouest et l’un de ses agents de diffusion les plus efficaces en Italie où il retourne jusqu’en 1813.
45Malgré ce profond engagement, le Rite Écossais ne semble pas non plus pleinement répondre aux aspirations spirituelles d’Armand Gaborria et on le voit, après la fin de l’Empire, entrer dans l’aventure du Néo-Temple83, une société chevaleresque dont le programme ésotérique qui laisse une large place à l’irrationnel aurait à l’évidence suscité son rejet avant la Révolution.
46Elle est pourtant le dernier havre de cet initié dont le parcours montre la difficulté de nombre de francs-maçons à renouer avec une franc-maçonnerie pour laquelle l’entrée en Révolution est à l’évidence un temps de transformation profonde quant à la nature même du projet qu’elle avait proposé depuis plus d’un demi-siècle à ces initiés.
Notes de bas de page
1 Les données chiffrées rassemblées dans l’étude de Gérard Gayot restent d’actualité : Gérard Gayot, La franc-maçonnerie française. Textes et pratiques (xviiie-xxe siècles), Paris, Gallimard, rééd. 1990, p. 34-44.
2 Pour une présentation d’ensemble : Ch. Porset, Hiram sans-culotte ?, Paris, H. Champion, coll. « Les Dix-huitièmes siècles », 1998.
3 Ce fut le cas pour notre travail de thèse : Éric Saunier, Révolution et sociabilité en Normandie au tournant des xviiie et xixe siècles : 6 000 francs-maçons de 1740 à 1830, Rouen, PURH, 1999/2000.
4 Dans le domaine de l’histoire des idées, voir Charles Porset, Les Philalèthes et les convents de Paris. Une politique de la folie, Paris, H. Champion, coll. « Les Dix-huitièmes siècles », 1996 ; François Labbé, Le message maçonnique au xviiie siècle. Contribution à l’histoire des idées, Paris, Dervy-Livres, 2005.
5 Parmi les travaux récents, voir Céline Sala, Les francs-maçons en terres catalanes entre Lumières et Restauration. L’art royal de Perpignan à Barcelone (1740-1830), Paris, H. Champion.
6 C’est le cas notamment de la prosopographie et de l’étude des écrits du for privé introduites tardivement dans le champ de la recherche maçonnique.
7 Augustin de Barruel, Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, Hambourg [Lyon], P. Fauché, 1797-1798, 5 vol.
8 À la différence de la thèse de Barruel, les idées de Cochin sont rassemblées dans un ensemble d’écrits parmi lesquels on retient surtout : Augustin Cochin, La Révolution et la Libre pensée, Paris, Plon-Nourrit, 1924, 292 p. ; Les Sociétés de pensée et la Révolution en Bretagne (1788-1789), Paris, Champion, 1925, 2 vol.
9 On rappellera que la thèse du jésuite qui connaissait fort bien la franc-maçonnerie – il fut peut-être initié à Londres –, distingue l’action des francs-maçons des premiers grades symboliques de celle des adeptes des hauts grades, les seuls à être accusés de menées conjuratrices.
10 Voir Charles Porset, « Les francs-maçons et la Révolution (autour de la machine de Cochin) », AHRF, no 279, janvier-mars 1990, p. 14-31.
11 Pour une mise au point sur le cheminement de ces thèses, voir Éric Saunier, « La Maçonnerie est-elle à l’origine de la Révolution française ? », Les francs-maçons, Paris, Arthème/Fayard, p. 51-67.
12 Voir notamment : Daniel Roche, Les Républicains des lettres, Paris, Fayard, p. 281-308.
13 Voir Jürgen Habermas, L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, 1978.
14 Sur ce point, voir P. Y. Beaurepaire, L’espace des francs-maçons. Une sociabilité européenne au xviiie siècle, Rennes, PUR, p. 109-151 ; A. Lilti, Le monde des salons. Sociabilité et mondanité à Paris au xviiie siècle, Paris, Fayard, p. 61-88.
15 Cette acceptation a d’ailleurs été facilitée par le développement des recherches sur la républicanisation de la franc-maçonnerie : André Combes, Histoire de la franc-maçonnerie au xixe siècle, Paris-Monaco, éd. Rocher, 1999, vol. 1 ; Sudhir Hazareesingh et Vincent Wright, francs-Maçons sous le Second Empire. Les loges provinciales du Grand Orient à la veille de la Troisième République, Rennes, PUR, 2001, 256 p.
16 Nous adoptons en cela le positionnement de Timothy Tackett dans son étude prosopographique des Constituants. Timothy Tackett, Par la volonté du peuple. Comment les députés de 1789 sont devenus révolutionnaires, Paris, Albin Michel, 1997.
17 Chantier dont l’étude pionnière fut la thèse de Maurice Agulhon : Maurice Agulhon, Pénitents et francs-maçons de l’ancienne Provence, Paris, Fayard, 1967, rééd. 1984.
18 La thèse des origines franc-maçonnes de la Révolution a été réévaluée par les travaux de François Furet et de ses émules. Voir notamment : François Furet, Penser la Révolution française, Paris, Gallimard, 1978 ; Keith Baker, Au tribunal de l’opinion. Essais sur l’imaginaire politique, Paris, Payot, 1992 et surtout Ran Halévi, Les loges maçonniques aux origines de la sociabilité démocratique, Paris, Armand Colin, 1984.
19 Elle est concrétisée par la création de la Chambre des Provinces lors de la fondation du Grand Orient de France.
20 Sur la constitution du Grand Orient de France, voir P. Chevallier, Histoire de la franc-Maçonnerie française. I- La Maçonnerie : École de l’Égalité (1725-1799), Paris, Fayard, 1974. Tout particulièrement le chapitre 4 (p. 149-194).
21 Expression employée par Pierre Chevallier lui-même, bien qu’il n’adhéra pas à la vision conjuratrice. Voir P. Chevallier, Histoire de la franc-maçonnerie… op. cit. p. 166
22 Riche d’une cinquantaine de loges au milieu des années 1740, la franc-maçonnerie compte 165 ateliers en 1765 (dont plus de la moitié en province), 193 en 1776, 593 en 1787 et 635 en 1789.
23 Commencée en 1771, la réforme de l’institution ne s’achève en effet en province qu’en 1778, date à partir de laquelle le Grand Orient enregistre les dernières régularisations des loges provinciales qui, fondées par la Grande Loge de France, devaient être installées par les délégués du Grand Orient de France et des loges les plus anciennes de la ville.
24 Les premiers hauts grades émergent en même temps que les premières loges d’adoption, au milieu des années 1740.
25 Les affinités des loges françaises avec les cénacles aristocratiques, caractérisés par la faiblesse du nombre de leurs membres ont été montrées par Pierre Chevallier dès ses travaux pionniers sur la franc-maçonnerie parisienne. Nombre de travaux récents montrent son enracinement, notamment au sein de la franc-maçonnerie méridionale. Voir Céline Sala, Les francs-maçons en terres catalanes… op. cit. Paris, H. Champion ; Jean-Marie Mercier, Les francs-maçons du pape : l’Art royal à Avignon au xviiie siècle, Paris, Classiques Garnier.
26 Les premiers textes réglementaires de la Grande Loge de France (1735) acceptent les obligations morales de la Constitution d’Anderson (articles 4/7) mais le latitudinarisme religieux de l’article 1 (le texte réfère à la seule contrainte « de croire en Dieu ») est réduit la seule religion chrétienne.
27 La Christianisation de la franc-maçonnerie à travers les hauts grades est perceptible dans l’étude de nombreux exemples, celui du grade de Rose-Croix étant le mieux connu. Sur ce point, voir Pierre Mollier : « hauts grades », Éric Saunier, dir., Encyclopédie de la franc-maçonnerie, p. 395-400.
28 Le Grand Orateur Jean-Jacques Bacon de la Chevalerie occupe un rôle essentiel dans le dispositif mis en place à partir de mars 1773. Le 27 octobre, il impose le statut de frères servants pour endiguer la poussée démocratique. Initié aux hauts grades (de la Stricte Observance), il pose la première pierre (avec la fondation du Directoire écossais), à partir de laquelle sera construit le Grand Chapitre Général, puis met en place la franc-maçonnerie d’adoption en 1775.
29 Bien qu’elle soit la première forme d’expression de la franc-maçonnerie féminine, l’Adoption, telle qu’elle est pratiquée au xviiie siècle, fait de nombreuses concessions à la masculinité de la franc-maçonnerie des Lumières. Les « loges de dames » sont placées sous la tutelle d’un atelier masculin, la cérémonie d’Adoption ayant lieu après les tenues de l’atelier masculin et le collège des officiers étant mixte. On impose par ailleurs à ces ateliers un parcours initiatique moins riche, en 5, 8 ou 10 degrés.
30 De ce point de vue, deux statuts mis en place par la réforme méritent une attention particulière : ceux de Frères servants et de Frères à talents. Les premiers érigés en « citoyens passifs de la République des francs-maçons » : salariés pour l’entretien de la loge, ne peuvent qu’accéder aux grades d’apprenti et compagnon (article 43 du règlement du Grand Orient de France). Les seconds n’ont accès qu’aux travaux musicaux, les frères de la colonne d’harmonie ayant quant à eux voix délibérative.
31 Voir Éric Saunier, Révolution et sociabilité… op. cit., p. 133-145.
32 À l’exception du chanoine Alexandre-Guy Pingré, Second Surveillant du Grand Orient de France, les chevilles ouvrières de la réforme de 1771-1173 (le Grand Maître le duc de Chartres, le Premier surveillant Montmorency-Luxembourg, le Grand Secrétaire Chaillon de Jonville et le Grand Orateur Bacon de la Chevalerie) appartiennent tous à la haute noblesse parisienne, alors que les opposants recrutent parmi les maîtres de métier parisiens.
33 Sur ce phénomène et sur les pratiques sociales dans la franc-maçonnerie des hauts grades, voir Éric Saunier, « Les noblesses normandes et la franc-maçonnerie : diversité des cultures et culture de la distinction au xviiie siècle, (A. Hugon et A. Boltanski, dir.), Les noblesses normandes (xvie-xxe s.), Rennes, PUR, « Collection Histoire », p. 267-289.
34 À partir du milieu des années 1780, la stratification sociale des loges fait apparaître dans les plus grandes villes, comme nous l’avons montré avec Rouen, une organisation en trois niveaux due à la séparation des ateliers dominés des autres ateliers roturiers.
35 Sur cette loge créée au printemps 1789 dont l’initiative illustre le phénomène indiqué ci-dessus (note 34), voir Michel Iafélice, « La Nouveau peuple éclairé, une loge élitaire à l’épreuve de la Révolution française », La franc-maçonnerie en Méditerranée (xviiie-xxe s.), p. 113-123.
36 Voir Éric Saunier, « El espacio caribeno : un reto de poder para la francmasoneria francesa », Revista de Estudios Historica de la Masoneria Latinoamericana y caribena, Vol. I, no 1, mai-nov. 2009, p. 42-56.
37 Maurice Agulhon, Pénitents et francs-maçons de l’ancienne Provence, p. 178.
38 La création de Saint-Jean Baptiste est une initiative émanant de frères servants de l’autre loge de cette ville : Saint-Jean de Dieu.
39 Les frères de L’Accord Parfait, qui veulent être reconnus en avril 1789 par le Grand Orient de France, sont des frères des colonnes d’harmonie des autres loges de Rouen.
40 Sur la franc-maçonnerie d’adoption, voir G. & et Y. Hivert Messeca, Comment la franc-maçonnerie vint aux femmes. Deux siècles de franc-maçonnerie d’adoption féminine et mixte en France, 1740-1940, p. 66-107.
41 C’est notamment le cas du vénérable Devoyo de Champrenault de la loge La Concorde (Dijon), à l’orient de Dijon. Voir G. & et Y. Hivert Messeca, Comment la franc-maçonnerie… op. cit., p. 89-90.
42 Le Rite est le style de cérémonie choisi par les francs-maçons, le rituel est l’ensemble des gestes adoptés par ceux-ci quel que soit le rite.
43 Le Rite établi par le Grand Chapitre Général est structuré en 4 Ordres organisant la pratique de grades (Élu, Écossais, Chevalier d’Orient, Souverain Prince Rose-Croix), lesquels comptent parmi les plus christianisés des hauts grades.
44 La nébuleuse qualifiée d’illuministe qui s’est agrégée à la franc-maçonnerie rassemble en fait des tendances allant d’un rationalisme exacerbé (les Illuminaten) à celles marquées par un irrationalisme débridé, comme le magnétisme animal ou la franc-maçonnerie de Swedenborg.
45 Voir Éric Saunier, « La sociabilité maçonnique et les Bénédictins de Saint-Maur : le réceptacle d’une sociabilité inquiète », (S. Crogiez-Petrequin, dir.), Dieu(x) et hommes, p. 477-483.
46 L’obédience, bien que perturbée par ce départ, continue cependant à administrer les loges de Paris et de province jusqu’au plus fort de la Terreur, s’appuyant notamment sur Roëttiers de Montaleau qui reconstitua la franc-maçonnerie sous le Directoire.
47 Sur ce point, l’exemple des loges normandes est édifiant. Voir Éric Saunier, Révolution et sociabilité… op. cit.
48 Sur ce sujet, voir Catherine Duprat, Le Temps des Philanthropes, Paris, CTHS, vol. 1, 1993
49 Sa lettre de démission est publiée dans le Journal de Paris, le 22 février 1793. L. P. J. Égalité, « Lettre du Citoyen Égalité au Citoyen Milscent, Supplément au journal de Paris, no 13, p. 1-2.
50 Suspicion qui ne se traduit cependant pas par la moindre mesure législative à l’encontre des francs-maçons, en dépit des craintes exprimées par les loges que reprit l’historiographie en raison de la circulaire que commanda le Comité de salut Public à Barrère en raison de sa qualité d’ancien maçon à Tarbes et Toulouse.
51 Michel Taillefer, La franc-maçonnerie toulousaine : 1741-1799, Paris, 1984.
52 Éric Saunier, 1997, « Réaction politique et lieux de sociabilité en l’an III : l’exemple de la franc-maçonnerie havraise », (Michel Vovelle, dir.) Le Tournant de l’an III. Réaction et Terreur blanche dans la France révolutionnaire, Paris, Éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, p. 411-425.
53 Sur cette évolution, la correspondance de la loge La Parfaite Union (Tournus) est particulièrement significative. Voir l’analyse de cette correspondance proposée par Pierre Chevallier : Pierre Chevallier, Histoire de la franc-maçonnerie française. Tome 1. La Maçonnerie : École de l’Égalité (1725-1799), p. 335-336
54 Voir Éric Saunier, dir., Encyclopédie de la franc-maçonnerie, Paris, Hachette, La Pochothèque, p. 25-26.
55 Voir Éric Saunier, dir., Encyclopédie… op. cit., Paris, Hachette, La Pochothèque, p. 130-131.
56 M. Jardé, « Roëttiers de Montaleau : un franc-maçon devant la tourmente révolutionnaire », mémoire de maîtrise de l’université de Paris X, 1995.
57 Humbert Gerbier (1727-794), ancien médecin de Monsieur, écuyer, est l’archétype de ces maçons d’Ancien régime qui s’évertuent à faire vivre la franc-maçonnerie jusque sous la Terreur. Les francs-maçons qui fondent avec lui la loge Les Amis de La liberté (le docteur Mercadier, Griois père et fils, le luthier Counsieau, l’académicien Chardiny, le commissaire à l’extraordinaire Vincent et le négociant Duranton) sont francs-maçons de longue date.
58 Voir Éric Saunier, dir., Encyclopédie… op. cit., Paris, Hachette, La Pochothèque, p. 861-862.
59 Née d’une société politique apparue en 1790, la loge des Trois Haches est installée le 4 juillet 1794, le Grand Orient en quasi-sommeil ayant fini par répondre favorablement le 16 avril 1794 à une demande de constitution faite en décembre 1792.
60 Sur ce point, voir, à partir de l’exemple du Havre : « Réaction politique et lieux de sociabilité en l’an III : l’exemple de la franc-maçonnerie havraise », M. Vovelle, dir., Le Tournant de l’an III. Réaction et Terreur blanche dans la France révolutionnaire, Paris, Éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, p. 411-425.
61 La neutralisation religieuse des loges de la Terreur au Second Directoire a été mise en lumière avec l’exploitation des archives internes des loges du Havre et de Valenciennes. Voir, s’agissant des apports de ces dernières, les développements concernant les initiations au sein de la loge Saint-Jean du Désert : Pierre-Yves Beaurepaire : « Le réveil des structures maçonniques locales sous le Directoire et au début du Consulat, Jacques. Bernet, Jean-Pierre Jessenne, dir., Du Directoire au Consulat 1. Le lien politique et social dans la Grande Nation, p. 97-111.
62 Notre étude conduite en Normandie sur un échantillon de 1 500 initiés à la franc-maçonnerie entre 1774 et 1789 a permis d’évaluer à seulement 80 le nombre des francs-maçons qui fréquentèrent les ateliers avant et après la crise révolutionnaire.
63 Sur ce personnage, voir Éric Saunier, Révolution et sociabilité… op. cit. ainsi que la notice biographique rédigée dans Encyclopédie de la franc-maçonnerie, É. Saunier, dir., p. 560-561.
64 Sur la personnalité et le parcours de Gaborria, voir Saunier Éric, « Le parcours initiatique d’Armand Gaborria au temps de la Révolution ou la réciprocité des influences », Lumières, no 7, franc-maçonnerie et politique au siècle des Lumières : Europe-Amériques, Cécile Révauger, dir., p. 83-95. Une notice biographique lui est aussi consacré dans le dictionnaire biographique des francs-maçons du xviiie siècle, Charles Porset et Cécile Révauger, dir., Le monde maçonnique des Lumières, Paris, H. Champion, à paraître.
65 La possibilité de présenter l’intérêt de la prosopographie et du recours aux égodocuments, la commune appartenance au monde du négoce dont on sait qu’elle est la clientèle des Loges sont les autres intérêts.
66 Armand Gaborria est initié en août 1771 (BMA, fonds Liesville, manuscrit 468, fol. 44-46).
67 Voir Pierre-Yves Beaurepaire, « Une école pour les sciences ». le collège des Philalèthes et la tentation académique », Philippe Guignet, dir., Compositions, pouvoirs et éthique sociale, Revue du Nord, oct-déc. 1999, p. 723-744.
68 Le négociant Suisse Louis Clavel, originaire de Vevey, également franc-maçon est le Premier Surveillant de la Loge L’Ardente Amitié que Mathéus décide d’investir à partir de son arrivée à Rouen.
69 Le Rite Hérodom de Kilwinning vient de l’Ordre royal d’Écosse, Ordre anglais qui existe depuis 1743 et qui est repris par l’écossais Mitchell qui le ressucite En Ecosse en 1767. Mathéus et Clavel sont parvenus à obtenir une patente qui leur permet de pratique ce rite, de le faire essaimer dans le nord et dans l’est de la France. Il disparaît au milieu du xixe siècle.
70 Pour la présentation du riche fonds maçonnique laissé par ce dernier, voir Éric Saunier, La franc-maçonnerie en Alençon et dans l’Orne : 250 ans de Fidélité aux libertés en pays normand, 2003, 96 p.
71 Sur ce sujet, voir Éric Saunier, Révolution et sociabilité… op. cit. Sous la Restauration, Mathéus joue aussi un rôle important dans la mise en place des caisses d’épargne.
72 Outre une forte diffusion dans Rouen, le Rite Hérodom se propage notamment dans des loges du Nord et de l’Est du royaume, jusqu’en 1850.
73 Les deux hommes dirigent une société au capital de 275 000 livres en 1789 et Mathéus figurent parmi les Rouennais qui paient la contribution patriotique la plus élevée (130 livres).
74 Voir E. Saunier, Révolution et sociabilité…, op. cit., 421-430.
75 Compromise avec le régime impérial, L’Ardente Amitié disparaît la scène maçonnique rouennaise en 1816.
76 Michel Vovelle, Les folies d’Aix, Aix-en-Provence, Le Temps des cerises, 2004, p. 91-148.
77 Elle est rassemblée dans le fonds patrimonial de la Bibliothèque municipale d’Alençon sous les cotes Ms 470 afférentes au fonds Liesville.
78 Éric Saunier, « Le parcours initiatique d’Armand Gaborria au temps de la Révolution ou la réciprocité des influences », Lumières, no 7, franc-maçonnerie et politique au siècle des Lumières : Europe-Amériques, C. Révauger, dir., p. 83-95.
79 Elle est rassemblée dans le fonds patrimonial de la Bibliothèque municipale d’Alençon sous les cotes Ms 217-369 afférentes au fonds Liesville.
80 La correspondance est rassemblée dans le fonds patrimonial de la Bibliothèque municipale d’Alençon sous les cotes Ms 419-432.
81 Sur ce point, voir Éric Saunier, « La franc-maçonnerie en Normandie à l’époque de Napoléon », Napoléon et la Normandie, Études Normandes, no 2/2002, p. 69-87.
82 Éric Saunier, « La médiation d’Armand Gaborria à l’orient de Turin ou le syncrétisme initiatique sous le Premier empire », Cahiers de la Méditerranée. La franc-maçonnerie en Méditerranée (xviiie-xxe s.). Modèles, circulations, transferts, no 72, p. 143-151.
83 Sur cette société ésotérique fondée à Toulouse par Fabre-Pélaprat (1773-1838), voir Gérard Galtier, Maçonnerie égyptienne. Rose-Croix et Néo-Chevalerie, Paris, Rocher, 1989, p. 206-210.
Auteur
Université Normandie Le Havre - CNRS, UMR Idées 6266
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