Les célébrations nationales 1999-2011
p. 313-323
Texte intégral
1La publication du recueil 2011 des Célébrations nationales s’est accompagnée d’une controverse sur la présence dans le dit recueil d’une notice sur l’écrivain Louis-Ferdinand Céline, décédé cinquante ans plus tôt, le 1er juillet 1961. Le rédacteur de cette notice, le professeur Henri Godard, grand spécialiste de l’auteur du Voyage au bout de la nuit, avait d’entrée posé la question :
Doit-on, peut-on célébrer Céline ? Les objections sont trop évidentes. Il a été l’homme d’un antisémitisme virulent qui, s’il n’était pas directement meurtrier, était d’une extrême violence verbale et il a été condamné en justice pour cela. Mais il est aussi l’auteur d’une œuvre romanesque dont il est devenu commun de dire qu’avec celle de Proust, elle domine le roman français de la première moitié du xxe siècle.
2Puis Henri Godard soulignait que « la création artistique est devenue une valeur que nous reconnaissons » et concluait : « En commémorant Céline, nous nous inscrivons dans la ligne de cette reconnaissance, qui est l’un des acquis du xxe siècle1 ». Cette présence de Céline dans le recueil des Célébrations nationales a provoqué de vives protestations, notamment de Serge Klarsfeld, et le 21 janvier 2011, le Ministre de la Culture et de la Communication, Frédéric Mitterrand, qui avait signé l’Avant-propos du recueil, annonçait : « J’ai décidé de retirer Céline des Célébrations nationales 2011 ». Dans son discours, il justifie ce retrait par une décision personnelle qui ne doit pas être comprise comme un désaveu du Haut comité qui a préparé le recueil, à qui il confie une mission de réflexion « soit pour définir un changement de terminologie, soit pour construire une doctrine incontournable des objectifs de l’État dans ce domaine délicat2 ». Ce retrait a été dénoncé par quelques-uns comme une censure, et a fait l’objet de débats dans la presse, certains découvrant à l’occasion l’existence de ce Haut comité aux Célébrations nationales et du recueil, pourtant annuel.
3Quelques semaines plus tôt, dans la savante Revue d’histoire du xixe siècle, Gilles Ferragu, rendant compte de l’ouvrage récent de Rémi Dalisson, Célébrer la nation, écrivait :
Au titre des incongruités de l’exception culturelle française, l’existence d’une improbable Délégation aux célébrations nationales démontre qu’en France, la fête surtout nationale, est une chose trop sérieuse pour qu’on la confie aux plaisantins3…
4« Incongru », « improbable », voilà des mots peu habituels, s’appliquant à une institution qui, décidément, semble mal connue alors que son origine remonte à près de quarante années. Mais ces polémiques témoignent aussi des enjeux et des embûches d’une politique mémorielle, lorsqu’elle est mise en œuvre par l’État4.
Les Célébrations nationales : de la Délégation au Haut comité
5La Délégation aux Célébrations nationales a été créée en 1974 par Maurice Druon, alors Ministre de la Culture. Elle s’inscrivait à l’origine dans un cadre associatif, avant d’être rattachée en 1979 à la direction des Archives de France5. Elle était chargée de « veiller à la commémoration des événements importants de l’histoire nationale ». Elle publie dans les premières années une liste d’événements à commémorer, qui prend en 1986 la forme d’une plaquette plus élaborée, puis en 1988 d’une brochure illustrée comportant une notice pour chacun des sujets retenus. Certaines années, des commémorations majeures l’emportent : en 1987 le millénaire capétien, en surtout en 1989 le bicentenaire de la Révolution française pour lequel une Mission spécifique est mise en place. Dirigée par Jean-Noël Jeanneney, elle avait pour rôle de susciter et coordonner les initiatives nationales et locales. Elle a laissé des archives qui ont été exploitées à chaud6.
6Les commémorations des années quatre-vingt s’inscrivent dans le contexte de l’essor des mémoires, analysé par Pierre Nora dans la conclusion qu’il donne à l’aventure éditoriale qu’il a dirigée chez Gallimard, Les lieux de mémoire7. Il souligne l’inflation récente du phénomène commémoratif, mais aussi sa transformation, avec le passage d’une commémoration nationale, inventée par la Révolution et fixée par la Troisième République, à un système éclaté aux langages commémoratifs disparates, avec la télévision, les musées mémoriels, l’importance des lieux et du local. En conséquence, « la présence de l’État est aujourd’hui plus incitative que directrice8 ». « La commémoration s’est émancipée de son espace d’assignation traditionnel, mais c’est l’époque toute entière qui s’est faite commémoratrice9 ».
7La revue Le Débat, dirigée par Pierre Nora, consacre son no 78 (janvier-février 1994) à un dossier sur la commémoration, avec six articles portant sur la France, l’Espagne et l’Allemagne. Celui de Thierry Gasnier s’intéresse aux célébrations nationales, et analyse le contenu des recueils annuels parus de 1986 à 199310, soit 305 anniversaires, centenaires et cinquantenaires, selon le principe retenu par la Délégation, avec quelques entorses cependant ; ainsi en 1989 la commémoration des quatre-vingts ans de la traversée de la Manche par Blériot, ou en 1993 le quatre-vingt-dixième anniversaire du premier tour de France cycliste. Le plus grand nombre de ces anniversaires renvoie à des dates de naissance ou de mort d’écrivains, et dans une moindre mesure, d’artistes, de savants, de navigateurs, d’aviateurs, d’hommes politiques. Au total ce sont 4 610 festivités qui sont annoncées par ces recueils, et qui se sont déroulées dans des lieux très divers, Paris arrivant néanmoins nettement en tête devant Lyon, Strasbourg, Marseille et Toulouse. L’auteur distingue les formes traditionnelles de la commémoration (inauguration de plaque, de statue, édition d’un timbre), des manifestations culturelles, souvent éphémères, qui accompagnent désormais généralement les anniversaires : expositions, concerts, représentations, colloques et conférences. Elles peuvent se prolonger par l’édition de livres ou la réalisation d’émissions de radio et de télévision. Thierry Gasnier insiste aussi sur le fait que la commémoration est le plus souvent une machine à fabriquer du consensus, quitte à éviter certains anniversaires. Philippe Reynaud remarque de son côté que l’intention première de la commémoration est de rassembler et donc de proclamer une unité en travaillant à la produire par la mise en scène d’une théâtralisation profane, qui emprunte aux formes de sacralisation religieuse11. La revue Le Débat revient quelques mois plus tard sur les commémorations, envisagées comme « une religion civile12 ».
8Afin d’imprimer une nouvelle dynamique, un Haut comité des Célébrations nationales est créé par la ministre, Catherine Trautmann, en septembre 1998. Sa mission est fixée par la ministre, le jour de son installation (3 février 1999) : « distinguer, parmi les anniversaires susceptibles d’être célébrés chaque année, les grands thèmes capables de recréer une conscience nationale et les événements et les personnages qui paraissent mériter d’être particulièrement mis en valeur, voire tirés de l’oubli ». Il doit aussi rechercher une diversification et un renouvellement des thèmes à célébrer, notamment dans la direction de l’architecture, du patrimoine, des sciences et techniques. On attend enfin de lui qu’il réfléchisse à la notion même de célébration, y compris dans une dimension internationale, d’abord européenne. Pour réaliser ce vaste programme, le Haut comité est constitué de onze membres, parmi lesquels d’illustres historiens, (Maurice Agulhon, Jean Delumeau, Jean Favier, Marc Fumaroli, Jean-Noël Jeanneney, François Lesure, Pierre Nora, Pascal Ory, Emmanuel Poulle, Claire Salomon-Bayet, Jacques Thuillier), un secrétaire, le directeur des Archives de France (Philippe Bélaval), et il est présidé par Jean Leclant, membre de l’Institut, secrétaire perpétuel de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, qui présidait déjà depuis 1986 l’Association pour les Célébrations nationales. Ce dernier insiste sur le rôle de diffusion culturelle et d’outil au service de l’éducation, que le Haut comité doit jouer, notamment à travers la publication annuelle d’une brochure illustrée de plus de 200 pages. Dans un texte publié dans Le Débat, Jean Leclant justifie le terme de « Célébrations nationales » qui a été conservé pour l’intitulé du Haut comité :
Nuance entre « célébration » et « commémoration », la première étant une expression plus large de la seconde. « Célébrer », c’est marquer avec quelque solennité – mais pourquoi pas dans une certaine allégresse – un événement, qui peut être passé certes, mais aussi éventuellement présent ; « commémorer » c’est rappeler le souvenir d’une personne ou d’un événement ; on ne peut s’empêcher parfois d’y associer une nuance de compassé13.
Célébrations nationales : le recueil annuel
9La principale mission du Haut Comité14 demeure, dans la continuité avec la Délégation qui l’a précédé, la publication de la brochure annuelle. De 1999 à 2011, ce sont ainsi douze livres de format 14,5 x 21 cm qui ont été imprimés et diffusés, mais sont aussi consultables en ligne15. De 1999 à 2002 leur pagination est inférieure à 200 pages, mais elle franchit ensuite ce seuil pour se stabiliser à partir de 2004 entre 250 et 300 pages. Dans un texte d’une page, intitulé « Célébrations nationales : l’histoire au présent » qui ouvre le recueil 1999, la ministre de la Culture et de la Communication, Catherine Trautmann, tout en rendant hommage aux brochures publiées depuis quinze ans, indique qu’elle a souhaité donner une nouvelle dynamique, en précisant le rôle de l’État :
Il lui appartient de faire des choix et savoir hiérarchiser un ensemble d’événements apparemment disparates imposés par le calendrier […] Dans leur diversité, les anniversaires célébrés chaque année sont aussi l’occasion de favoriser l’expression d’identités multiples, de valoriser les cultures régionales, d’élargir aussi notre mémoire à la dimension de l’Europe. Les célébrations peuvent et doivent concourir à la formation de la citoyenneté16.
10À partir de 2002, un Avant-propos signé par le Ministre ouvre chaque recueil. On n’y décèle pas d’évolution sensible dans la fonction assignée au Haut Comité, et à la publication du recueil. Catherine Tasca y voit « une nouvelle culture, facilement accessible à tous, aisée à appréhender, porteuse de distractions et d’enrichissement personnel et collectif17 ». Jean-Jacques Aillagon qui place, en 2003, cette action dans la continuité de la volonté de Georges Pompidou et d’André Malraux, croit nécessaire de préciser en 2004, à propos du bicentenaire de la création du Premier empire : « La République ne célèbre pas les aspects aristocratiques d’un régime aboli ; elle commémore un moment de l’histoire de France, et une œuvre dont le Code civil18… » On peut toutefois remarquer une inflexion patrimoniale souhaitée par Renaud Donnadieu de Vabres en 2005. En 2010, Frédéric Mitterrand, qui n’imaginait sans-doute pas la tempête qui surviendrait un an plus tard, écrivait : « J’imagine les scrupules et les hésitations du Haut comité des célébrations nationales quand il procède à la mise au point de la liste officielle des anniversaires que l’État jugera bon de célébrer au nom de tous les citoyens. » Rendant hommage à ce travail, il ajoutait : « Ce dénombrement ne possède en rien, bien sûr, l’infaillibilité que l’on prête aux textes sacrés, et libre à chacun d’y ajouter les anniversaires qui lui tiennent à cœur ou d’en retrancher ceux qui lui paraissent d’un plus faible mérite19. »
11La structure interne des recueils est assez stable de 1999 à 2011. Chaque volume est préfacé par un des membres du Haut Comité. Suivent le sommaire, la liste des auteurs et quelques repères chronologiques. L’essentiel est constitué par les notices réparties en quatre chapitres : « Histoire et institutions », qui devient « Vie politique et institutions » à partir de 2000, « Littérature » qui devient « Littérature et sciences humaines » à partir de 2000, « Arts » qui devient « Beaux-arts, musique et cinéma » en 2010, et « Sciences et techniques ». En 2009 un cinquième chapitre est créé : « Société et économie ». Ces quelques inflexions témoignent de la volonté du Haut comité d’élargir le champ thématique des commémorations. Un principe intangible est de ne retenir que les anniversaires de centenaires (ou multiples de centenaires), et cinquantenaires (ou multiples de cinquantenaires)20. Une seule exception à cette règle : en 2000, pour accompagner la grande exposition du Musée du Louvre, le recueil consacre un article à Vivant Denon (1747-1825), qui avait déjà figuré, légitimement, dans le recueil de 1997. Cette entorse est justifiée sous le sigle
CHC : Célébrations Hors Centenaires (ou Cinquantenaires). Le Haut comité des célébrations nationales a souhaité s’affranchir d’une tradition qui conduit à célébrer un événement pour un cinquantenaire, un centenaire ou l’un de leurs multiples, afin de pouvoir mettre en relief, à titre exceptionnel, certains thèmes ou personnages, à l’occasion de manifestations exemplaires organisées par de grandes institutions ou collectivités21.
12De fait, le Haut Comité ne s’autorisera plus une telle liberté. En effet, si la règle des centenaires et cinquantenaires peut être perçue comme arbitraire, s’en affranchir sans en établir une autre, ouvrirait la porte à tous les vents et risquerait de renforcer l’arbitraire des choix du comité. Chaque volume est complété, en quelques pages, par « les anniversaires signalés », jugés de moindre importance et auxquels une simple notule est consacrée, puis une liste des anniversaires dans l’Union européenne, une liste de célébrations dans les régions, une orientation bibliographique relative aux notices du recueil, une première liste des anniversaires concernant le millésime suivant, et un index alphabétique des sujets traités. En 2011 s’y ajoute la liste des publications électroniques, une quinzaine de sites internet dédiés chacun à une commémoration.
Les notices des Célébrations nationales
13En corrélation avec la pagination des recueils, le nombre annuel de notices évolue entre un minimum de 41 en 2002 et un maximum de 94 en 2005. Plus précisément, le graphique montre une baisse de 1999 à 2002, suivie d’une forte remontée, puis d’une stabilisation dans les six dernières années autour de quatre-vingts notices annuelles.
Nombre de notices par fascicule et par thème

14On note une assez grande stabilité dans le nombre de rubriques assignées annuellement à chaque grand thème, à la seule exception, comme on l’a vu souhaitée par le ministre, en faveur du patrimoine, qui fait monter le chapitre « arts » à 33 % des notices en 2005 ; mais il revient l’année suivante à 28 %, puis à 24 %. Dans la durée, au total, les trois premiers chapitres s’équilibrent : 25 % pour « institutions et vie politique », 27 % pour « littérature et sciences humaines », 26 % pour « beaux arts, musique et cinéma », alors que « sciences et techniques » ne totalisent que 19 %, et économie et société 3 %. Dans ce dernier cas le pourcentage global n’a pas de signification, puisque ce thème n’a été introduit qu’en 2009 ; il représente en fait 10 % des notices des trois dernières années. Si ce chapitre est nouveau, il accueille notamment des notices concernant les anniversaires à caractère religieux ou sportif qui n’étaient pas totalement absents précédemment, mais figuraient dans le chapitre « institutions et vie politique ».
15On peut donc considérer que sur ces douze années il y a une assez grande unité et stabilité dans les rubriques retenues par le Haut comité. Cela n’a rien d’étonnant, la philosophie définie à l’origine n’ayant pas subi d’inflexions majeures, et les membres du comité étant assez stables, même s’il y a eu des renouvellements. Toutefois quelques indices (changement du nom de certains chapitres, introduction d’un cinquième thème « économie et société » en 2009) renvoient à une conception des anniversaires à commémorer qui a tendance à s’élargir, notamment dans les directions de l’histoire culturelle. C’est ce que confirme l’objet nouveau de quelques anniversaires retenus. Cela concerne le sport avec le centenaire du Tour de France cycliste en 2003, ou celui du premier grand prix automobile au Mans en 2006 ; le cinéma avec le centenaire de la naissance de Jean Gabin en 2004, ou la même année, le cinquantenaire de l’article publié dans Les Cahiers du cinéma par François Truffaut, « Une certaine tendance du cinéma français », retenu comme acte de naissance de la « Nouvelle vague » ; la télévision, avec le cinquantenaire de la première émission du magazine Cinq colonnes à la une, en 2009 ; la chanson, avec le cinquantenaire du Petit conservatoire de la chanson, de Mireille en 2005, ou le centenaire de la naissance de Tino Rossi en 2007 ; la bande dessinée avec le centenaire de la première parution des Pieds nickelés en 2008 ou le cinquantenaire du premier album d’Astérix en 2011 ; ou encore la mode, avec le cinquantenaire de la création de la maison de couture Yves Saint Laurent en 2011. Comme on le voit ces anniversaires relatifs à des domaines qui relèvent du champ de l’histoire culturelle concernent essentiellement des événements qui se sont produits au xxe siècle. Les Célébrations nationales sont-elles liées à la seule mémoire du dernier siècle ?
Célébrations d’un temps long
16Le graphique qui représente le temps originel des anniversaires célébrés permet de restituer l’ancienneté des événements concernés.
Thèmes et périodes des notices

17Il apparaît d’abord clairement que les anniversaires commémorés concernent essentiellement le dernier millénaire, c’est-à-dire celui d’une nation française en voie de constitution ou constituée. Seul 1 % d’entre eux renvoient à la vie politique, parfois dans ses intercessions avec le champ religieux, du premier millénaire : ainsi en 2000 on célèbre le mille-deux-centième anniversaire du couronnement de Charlemagne, en 2004 la mort d’Alcuin (804) et la naissance de saint Augustin (354) ou en 2011 la mort de Clovis (511). Les cinq premiers siècles, c’est-à-dire la partie médiévale du deuxième millénaire ne fournissent l’occasion que de 6 % des commémorations de ces douze dernières années, mais les dates commémorées sont en progression régulière du xie au xve siècle. Les institutions et la vie politique continuent à fournir le contingent majoritaire, avec la mort de Richard Cœur de Lion (1199), la fin de la guerre de Cent ans (1453), l’appel du pape Innocent III à la croisade contre les Albigeois (1208) ou l’avènement de Louis XI (1451). Mais à côté de cela commencent à apparaître les thèmes littéraires, naissance de Pétrarque (1304), artistiques, naissance de Léonard de Vinci (1452) et scientifiques et techniques, installation par Gutenberg d’un atelier d’imprimerie à Mayence (vers 1450).
18Les trois siècles de l’époque moderne offrent un nombre croissant d’anniversaires à célébrer : 5 % pour le xvie siècle, 9 % pour le xviie et 13 % pour le xviiie. La diversification se confirme ; événements ou personnages politiques et littéraires s’équilibrent ; ainsi en 2010 la première modernité est présente avec les anniversaires de la naissance de Sully (1560), de l’assassinat d’Henri IV (1610), de la naissance du poète lyonnais Maurice Scève (1510) et du décès de l’Angevin Joachim du Bellay (1560). La place des arts s’accroît sensiblement au xviie siècle avec une percée des musiciens : naissance d’André Campra (1660), décès de Louis Couperin (1661). Les sciences et techniques constituent la catégorie arrivant en tête au xviiie siècle : ainsi en 2008 on célèbre à la fois le troisième centenaire de la naissance de Jean-Rodolphe Perronnet, fondateur de l’École des Ponts et Chaussée, et les deux cent-cinquante ans du Tableau économique de François Quesnay et de la mort du médecin botaniste Antoine de Jussieu.
19Mais les grands siècles commémorés sont les deux derniers avec 29 % des anniversaires pour le xixe siècle et 37 % pour le xxe. Les quatre grandes catégories y sont bien représentées, avec une légère prédominance de la littérature et des sciences humaines. Dans le recueil de 2002, le bicentenaire de la naissance de Victor Hugo est l’occasion d’un article de quatre pages signé Maurice Agulhon, qui salue une œuvre à la fois politique et littéraire. Le nombre de manifestations organisées à cette occasion est tel que le Ministère de la Culture et de la Communication publie un second recueil de même format destiné à les recenser, département par département.
20La photographie de couverture du recueil de 2008 est celle, officielle, du Général de Gaulle en président de la République et cinq anniversaires sont retenus au titre de la vie politique et des institutions concernant 1958 : la naissance de la Ve République, la rencontre entre le Général de Gaulle et le chancelier Adenauer, la Constitution de la Ve République, le décret relatif aux zones à urbaniser en priorité et la création de l’assurance chômage22. En 2001 c’est certes dans la catégorie littérature que figure le centenaire de la naissance d’André Malraux, mais l’auteur de l’article, Jean Lacouture, insiste, à juste titre, sur le rôle politique de l’écrivain ; la photographie de couverture le montre d’ailleurs arrivant dans la cour de l’Élysée23. Malraux reste le père fondateur du ministère de la Culture !
21La nouvelle catégorie « Économie et société » introduite dans le recueil de 2009, est présente aussi bien pour les xixe et xxe siècles. Mais déjà dans les années précédentes, apparaissait pour les anniversaires concernant le xxe siècle, comme nous l’avons remarqué plus haut, la diversification liée aux thématiques de l’histoire culturelle : cinéma, bande dessinée, chanson, sport…
L’esprit des Célébrations nationales
22Chaque recueil de Célébrations nationales est préfacé par un membre du Haut Comité, qui trouve ainsi, à son tour, l’occasion de livrer son approche de l’institution. Ainsi les treize préfaces écrites de 1999 à 2011 sont signées par douze auteurs différents24. Celle rédigée en 1999 par le président du Haut comité, Jean Leclant, pose bien le cadre et les enjeux. Il s’agit de contribuer à « une œuvre éducative » et à la « formation d’une conscience citoyenne ». Cette « originalité française » se situe « de façon concrète, en plein cœur des débats dialectiques qui se sont récemment institués entre histoire et mémoire25 ». En 2000, Pierre Nora, en historien de la mémoire, rappelle brièvement les évolutions commémoratives des dernières décennies, la promotion du local et des groupes de solidarité dans la transmission de la mémoire aux dépens du national. Dans ce cadre, il s’interroge sur le rôle et sur le nom (célébration ou commémoration) du Haut Comité qui, pour lui, doit être un lieu privilégié de réflexion sur ces sujets. Pour Jean Favier, en 2001 « Les Célébrations nationales, c’est simplement la mise en œuvre de ce besoin que nous éprouvons d’une réflexion de la France sur cet héritage qui l’a faite ce qu’elle est26 ». Jean Delumeau en 2002, Claire Salomon-Bayet en 2004 insistent aussi sur la fonction pédagogique et civique, sur l’éducation à la citoyenneté par la mémoire. En 2003 Maurice Agulhon s’interroge sur l’écart qui peut exister entre le souci de pédagogie civique du Haut comité et l’explosion de la diversité des mémoires, parfois antagonistes, qui existent au sein de la nation.
23Dans les années suivantes, un thème nouveau affleure dans les préfaces : l’extension du champ des événements ou personnages sélectionnés pour commémoration dans le recueil. Nous avons relevé cet élargissement dans notre étude thématique. Pascal Ory le souligne et s’en réjouit, en prenant deux exemples d’anniversaires retenus en 2005 : la mort de Salomon ben Isaac dit Rashi en 1105 et la création du Petit conservatoire de la chanson de Mireille en 1955. Il l’attribue à une extension du champ de définition de la « nation » d’une part, de la « culture » de l’autre27. Pratiquement tous les préfaciers ensuite insistent sur cette diversité : Jacques Thuillier en 2006, Emmanuel Poulle en 2007, Gilles Cantagrel en 2010, Alain Corbin en 2011. Mais cet élargissement thématique ne met pas en cause les fondements sur lesquels repose le travail du Haut comité, et avant lui de la Délégation aux Célébrations nationales, comme le rappellent Jean-Noël Jeanneney en 2008 : « Sans nous interdire de saluer tel ou tel événement d’origine étrangère dont l’écho a concerné la France, nous accordons l’essentiel de notre attention aux dates qui ont scandé directement l’histoire nationale28 », et Alain Corbin en 2011 : « En adoptant une attitude compréhensive à l’égard du passé, en luttant de ce fait contre l’excès de présentisme qui constitue la grande tentation de notre société […] les auteurs de ce volume nous incitent à la réflexion sur ce qui fonde la commémoration et la célébration29 ».
24Ainsi, en ce début de vingt-et-unième siècle, dans un contexte de diversification des mémoires, le Haut comité a assuré la pérennité d’une certaine conception de la commémoration nationale. Il a également contribué à ouvrir le champ des commémorations. Toutefois, le cas Céline a montré les difficultés d’une mémoire consensuelle, lorsqu’elle s’inscrit dans le cadre de célébrations nationales.
Notes de bas de page
1 Célébrations nationales 2011, Archives de France, Paris, 2010, p. 98-100. On notera que H. Godard s’interroge sur l’opportunité de célébrer Céline, ce qui renvoie au titre des recueils publiés annuellement par le Ministère de la Culture et de la Communication, mais conclut qu’il faut le commémorer, ce qui est conforme avec l’esprit de cette publication.
2 Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, prononcé à l’occasion de la présentation du recueil 2011 des Célébrations nationales à Paris le 21 janvier 2011. Le recueil ayant déjà été imprimé et diffusé, le retrait de l’article Céline concerne la version en ligne, disponible sur le site du ministère.
3 Gille Ferragu, « Rémi Dalisson, Célébrer la nation. Les fêtes nationales en France de 1789 à nos jours, Paris, Nouveau monde édition, 2009 », Revue d’histoire du xixe siècle, 40/2010.
4 Les politiques mémorielles ont fait l’objet de nombreux travaux depuis une vingtaine d’années : William Johnston, Post-modernisme et bimillénaire. Le culte des anniversaires dans la culture contemporaine. Paris, PUF, 1992. Nous reviendrons plus loin sur ceux qui concernent directement Les Célébrations nationales. Pour une approche plus large nous renvoyons à deux volumes récents qui en abordent les diverses facettes : Claire Andrieu, Marie-Claire Lavabre et Danielle Tartakovsky, Politiques du passé. Usages politiques du passé dans la France contemporaine, Aix-en-Provence, PUP, 2006 ; Maryline Crivello, Patrick Garcia et Nicolas Offenstadt, Concurrence des passés. Usages politiques du passé dans la France contemporaine, Aix-en-Provence, PUP, 2006.
5 Les renseignements sur l’histoire de l’institution proviennent du site officiel, consulté le 12 février 2011, http://www.archivesdefrance.culture.gouv.fr/action-culturelle/celebrations-nationales
6 Le Bicentenaire est un événement mémoriel qui a suscité un immédiat intérêt en tant qu’objet d’histoire. On peut citer Steven Kaplan, Adieu 89, Paris, Fayard, 1992 ; Patrick Garcia, Jaques Lévy, Marie-Flore Mattei, Révolutions, fin et suite, Paris, Espace Temps, Centre Georges Pompidou, 1991 ; Patrick Garcia, Le Bicentenaire de la Révolution française, Paris, CNRS Éditions, 2000.
7 Pierre Nora, « L’ère des commémorations », conclusion au tome III, Les France, vol. 3. De l’archive à l’emblème, Gallimard, Paris, 1992.
8 Ibid. p. 984.
9 Ibid. p. 998.
10 Thierry Gasnier, « La France commémorante. Les célébrations nationales (1986-1993) », Le Débat, no 78, janvier-février 1994, p. 89-98.
11 Philippe Raynaud, « La commémoration : illusion ou artifice », ibid., p. 104-115.
12 Georges Bensoussan, « Histoire, mémoire, commémoration. Vers une religion civile », Le Débat, no 82, novembre-décembre 1994, p. 91-97.
13 Jean Leclant, « Les célébrations nationales. Une institution culturelle », Le Débat, no 105, mai-juin 1999. Ce texte, extrait d’une communication prononcée à l’Académie des sciences morales et politiques, vient « en appui » du dossier sur « la commémoration » du numéro précédent de la même revue, Le Débat, no 104, mars-avril 1999. Toutefois la tonalité des articles des recueils des Célébrations nationales publiés de 1999 à 2011 est plus proche de la commémoration que de la célébration. Ce dernier vocable implique un fort consensus dans l’anniversaire célébré, comme l’a montré, a contrario, le cas Céline. La demande de réflexion sur la terminologie faite au Haut comité par le Ministre début 2011 (voir ci-dessus) a de fait abouti au changement de titre du recueil, celui de 2012 s’intitulant Commémorations nationales.
14 Celui-ci voit le renouvellement de certains de ses membres au fil du temps. En 2009 Jean Favier succède à Jean Leclant en tant que Président. En 2011 le Haut comité est composé de : Anne Baldassari, Catherine Bréchignac, Gilles Cantagrel, Catherine Clément, Alain Corbin, Jean Delumeau, Marc Fumaroli, Jean-Noël Jeanneney, Pascal Ory, Emmanuel Poulle, Jacques Thuillier, le secrétaire étant Hervé Lemoine, directeur chargé des Archives de France, et le président, Jean Favier, membre de l’Institut.
15 La brochure est éditée à plusieurs milliers d’exemplaires et diffusée gratuitement auprès de personnes ou de collectifs concernés par les commémorations et qui en font la demande. Tous les volumes depuis 1999 sont également en ligne sur le site http://www.archivesdefrance.culture.gouv.fr/action-culturelle/celebrations-nationales
16 Célébrations nationales 1999, p. 3.
17 Célébrations nationales 2002, p. 3.
18 Célébrations nationales 2004, p. 4. On notera l’usage différencié des mots « célébrer » et « commémorer », qui renvoie à l’ambiguïté permanente des recueils intitulés Célébrations, mais dont le contenu s’inscrit dans une tonalité commémorative.
19 Célébrations nationales 2010, p. 3.
20 Les « cinquantenaires » étaient présents avant 1999, mais dans une proportion assez faible. Pour la période 1999-2001, ils représentent 41,5 % des anniversaires retenus.
21 Célébrations nationales 2000, p. 5.
22 En exception à la règle des commémorations de centenaires ou de cinquantenaires, le recueil de 1998 avait consacré un article au quarantième anniversaire de la Constitution de la Ve République.
23 En exception à la règle des commémorations de centenaires ou de cinquantenaires, le recueil de 1996 avait consacré un article au vingtième anniversaire de la mort d’André Malraux. Ces rares dérogations aux règles des centenaires et cinquantenaires renvoient à des anniversaires pour lesquels le terme de Célébrations nationales n’apparaît pas usurpé.
24 Seul Jean Favier en signe deux : celle du recueil de 2001, puis en 2009, alors qu’il succède à Jean Leclant comme président du Haut comité. La préface de 2009 tient sur une page, en trois courts paragraphes, dont l’un consacré au renouvellement du Haut comité.
25 Célébrations nationales 1999, p. 4.
26 Célébrations nationales 2001, p. 5.
27 Cela renvoie aussi à la définition du champ de l’histoire culturelle : Pascal Ory, L’histoire culturelle, PUF, coll. « Que sais-je ? », Paris, 2004.
28 Célébrations nationales 2008, p. 5.
29 Célébrations nationales 2011, p. 6.
Auteur
Aix-Marseille Université - CNRS, UMR 7303 Telemme
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