Le « chantier médiéval » de Guédelon
Une fabrique de l’imaginaire historique
p. 303-311
Texte intégral
1Le chantier de Guédelon, expérience contemporaine de construction d’un château fort avec les « techniques du Moyen Âge » en cours d’élaboration dans le département de l’Yonne, pose de nombreuses questions au phénomène récent d’usages politiques, économiques et sociaux du passé. L’histoire de « l’aventure de Guédelon », telle qu’elle est racontée par les entrepreneurs, présente un patrimoine qui s’identifie au spectacle du voyage dans le temps, à une expérience vécue de l’histoire selon des dispositifs de reconstitution1. Ainsi le site officiel2 de Guédelon donne à voir un passé devenu contemporain, voire fusionnel avec le présent :
Guédelon. Chantier médiéval. Ils bâtissent un château fort. Ils ont retrouvé un site sauvage, une ancienne carrière boisée, un paysage de l’An Mil. Avec cette pierre et ce bois, ils bâtissent un château fort dans le respect des techniques du xiiie siècle.
2Par ces quelques mots – la redécouverte d’un espace naturel « vierge », la référence au passage au IIe millénaire ou la revendication d’une juste restitution des techniques du siècle de Louis IX – on entrevoit toute l’habileté et le déploiement d’une communication (Facebook, Twitter, boutique en ligne) fondée sur l’illusion de la résurrection du geste médiéval.
3La construction du château débute en 1997, en Bourgogne, dans un espace censé livrer toutes les matières premières indispensables au bâti, et devrait se terminer dans une vingtaine d’années. L’innovation de cette entreprise de réinsertion sociale qui emploie trente-deux ouvriers, destinés à des métiers divers (tailleurs de pierre, maçons, bûcherons, forgerons) tient, non pas à la restauration d’un monument médiéval, désormais classique en matière d’économie du patrimoine, mais à la création d’un château conçu de toutes pièces par un architecte du xxe siècle. Les commanditaires du chantier lui attribuent deux principales finalités qui viennent légitimer sa construction : une démarche scientifique d’archéologie expérimentale et une plus-value pédagogique. À ce titre, des parcours pédagogiques – à l’assaut du château en costumes pour les 8-10 ans, par exemple - sont préconisés aux scolaires en fonction des âges. « Clés de l’actualité junior », site associé aux parutions enfantines de l’éditeur Milan vient conforter cette démarche : « Mieux que les livres ou les films, sa visite est une leçon d›histoire passionnante »3. Le chantier, ouvert au public, se présente alors comme un outil de vulgarisation des connaissances de savoir-faire ancestraux. En accueillant plus de 250 000 visiteurs en 2006, le chantier s’est imposé comme le premier site touristique du département et cette création, dite médiévale, a gagné toute sa légitimité au sein d’une société friande d’un défi aussi spectaculaire. Cette initiative bourguignonne n’échappe pas aux modalités d’entreprise de réinvention du passé, façon contemporaine d’effacer la désillusion de ne pas retrouver dans les vestiges du temps, la charge de vécu à jamais disparue, et de transformer une difficulté nouvelle à habiter le temps, selon la formule de Jean Chesnaux, en retombées économiques4.
4À l’origine du chantier deux frères, passionnés de vieilles pierres, rachètent le château de Saint-Fargeau dans l’Yonne en 1979, alors en piteux état. L’un des propriétaires, Michel Guyot a l’idée de faire appel à la population locale pour financer la restauration et de mettre en scène un grand spectacle historique. Il a d’ailleurs formalisé son parcours dans un ouvrage intitulé J’ai rêvé d’un château. De Saint-Fargeau à Guédelon un fabuleux défi, publié aux éditions Lattès en 2007. Aujourd’hui le spectacle perdure avec 600 acteurs et cavaliers et fait défiler, selon un schéma classique, mille ans d’histoire sous la forme de grands tableaux qui allient l’histoire de France (l’épopée de Jeanne d’Arc, la Révolution française) et des événements davantage centrés sur l’histoire locale (la chasse d’Héribert, le passage des troupes américaines en Puisaye). Après ces vingt années de mises en scène, le château est désormais entièrement restauré et fait partie, comme par hasard, des logements préconisés lors des séjours-visites au chantier médiéval !
5En revanche, l’idée de Guédelon serait venue à Michel Guyot après une recherche archéologique commandée à des scientifiques pour repérer les vestiges du château de Saint-Fargeau au xiiie siècle. Inverser la démarche est apparu comme une initiative novatrice pour savoir comment on construisait un château pendant cette période. En 1995, il s’allie à la présidente d’une association spécialisée dans la réinsertion par le travail qui s’investit dans la recherche de partenaires pour financer les premiers salariés. L’autofinancement est atteint au bout de trois ans avec des ouvriers polyvalents et sensibles au questionnement des publics. Les plans de l’édifice sont conçus par Jacques Moulin, architecte en chef des Monuments historiques, entouré d’un comité scientifique (Anne Baud, archéologue, professeur à Lyon II, Nicolas Reveyron, Historien de l’art, professeur à Lyon II, Christian Corvisier, Historien de l’architecture, Nicolas Fauchère, archéologue et historien de la fortification, Frédéric Épaud, archéologue, spécialiste des charpentes médiévales). L’exécution des travaux est placée sous la responsabilité de Florian Renucci, titulaire d’une maîtrise de philosophie et d’une licence d’histoire de l’art et d’archéologie. À l’équipe de base se joignent ponctuellement des bénévoles qui apportent leur soutien ou des stagiaires dans le cadre de formation technique.
6Mais la démarche historique n’en reste pas moins étrange : pour construire Guédelon, il fallait inventer Guédelon, imaginer de toutes pièces un contexte crédible de création. Le démarrage du chantier a été fixé en 1128 alors que Louis IX vient d’être sacré roi à Reims. La Pusaye est sous la domination du baron Jean de Toucy. Guédelon ne repose sur aucune ruine, c’est un château qui reprend les canons architecturaux instaurés par Philippe-Auguste aux xiie et xiiie siècles pour une standardisation des édifices militaires, caractérisée notamment par un plan octogonal. Comme l’annonce le site officiel en utilisant le conditionnel :
Le commanditaire du château de Guédelon, Guilbert, serait un petit seigneur, vassal du seigneur de Ratilly, lui-même vassal du seigneur de Perreuse, qui est à son tour vassal du baron de Toucy. Son suzerain vient de lui donner l’occasion de construire son château. Son statut assez modeste dans la hiérarchie féodale et ses moyens financiers limités, l’incitent à faire ériger un « petit » château, loin des dimensions royales des châteaux du Louvre ou de Brie-Comte-Robert en Seine-et-Marne. On parlera alors de château-résidence pour évoquer Guédelon.
7Dans le paysage de l’Yonne surgit donc un château dont le cadre social n’est que pure invention contemporaine mais devient une référence majeure en matière de construction médiévale pour un large public, dont les plans imaginés par un architecte du xxe siècle ont fait l’objet d’un permis de construire déposé en mairie de Treigny le 25 juillet 1997. La démarche scientifique est déterminée par le souci de se référer à des sources médiévales et tout particulièrement en visitant des châteaux de la même période. Les matériaux proviennent quasi-intégralement du site choisi pour être en conformité avec le souci d’authenticité qui se dégage des intentions des instigateurs, à l’exception de la chaux par exemple.
8Outre la construction du château, ces « entrepreneurs » d’histoire valident aussi leurs politiques par l’édition de livres. Ainsi, l’ouvrage, Guédelon. Des hommes fous, un château fort5, qui vient exposer et légitimer le parcours des entrepreneurs, se feuillette comme un livre d’images, chaque page illustrée de belles photographies sur les lieux et les acteurs du projet. Il se compose de quatre parties, aux titres significatifs de la grandeur du dessein :
Ils ont conçu un projet fou. Les inventeurs de Guédelon ; Ils bâtissent un château fort. Les ouvriers du chantier ; Ils sont des passeurs du savoir. Les guides et bénévoles ; Ils veillent au respect des techniques du passé. Le comité scientifique.
9Les photographies accroissent la dimension artistique du travail par leurs couleurs mordorées qui donnent de la chaleur aux vêtements et aux outils, dans une ambiance de léger passéisme. Certaines sont prises dans la brume, laissant apparaître au loin les « vestiges » en train de se construire. D’autres encore, en gros plan, soulignent les gestes, le morceau de forge qui rougit, les doigts minutieux qui posent un gond, les pelles qui malaxent la chaux sablée et lissée. De l’image de l’abattage du bois à celle de la première salle voûtée en croisée d’ogives, s’égrènent tous les temps forts de la construction d’un imaginaire. Au cœur de ces représentations se nichent quelques textes initiant le lecteur au rêve de son concepteur puis à ceux des principaux ouvriers. À propos de Michel Guyot, il est écrit qu’il est « heureux de voir le chantier expérimental de ses rêves grimper chaque jour un peu plus haut vers le ciel […] Sa quête de bonheur s’en trouve confortée6 ». Pour cet habitué des défenseurs de châteaux en ruines du xiiie siècle, la plus grande des vertus devient de construire du neuf à l’ancienne. Décrivant la clairière de Guédelon, il utilise le concept de Pierre Nora, désormais passé dans le langage commun de « lieu de mémoire » :
C’est un instant de bonheur complet où la réalité rejoint la fiction. Puissance deux par rapport à mon plus beau rêve. C’est un lieu de mémoire contemporaine, un lieu de divertissement populaire, au sens noble du terme, où tout le monde, je dis bien tout le monde, du touriste au chercheur, trouve son bonheur7.
10Ce château, qu’il considère comme un défi majeur, donne tout son sens à sa vie, une éthique à transmettre pour se dépasser et rejoindre les rêves de l’enfance :
Mais heureusement j’ai rêvé ! Ces rêves que j’avais dans l’enfance ont mûri, éclos et ont constitué toute mon existence. Il y a plusieurs manières de rêver, liées à la sensibilité et au tempérament de chacun. Dans mes rêves à moi, il s’agissait toujours de construire, d’agir. Je devais donc réaliser mes rêves et, dans la mesure du possible, je l’ai fait. « Risque-toi aujourd’hui, Ne te prive pas d’être heureux ». Ces lignes de Pablo Neruda résument tout mon propos. Mon histoire est celle d’une vie placée sous le signe de la passion. Ce peut être la vôtre si vous le décidez. Il ne tient qu’à vous, à votre courage, à votre volonté. Ne vous laissez pas mourir lentement, nous dit le poète8.
11L’auteur considère que son projet ne doit pas se terminer, pour lui, c’est une histoire sans fin, toujours recommencée. Il prévoit ainsi de construire dans quelques années, un prieuré cistercien, un bâtiment sacré qui donnerait une dimension spirituelle à Guédelon,
comme aurait pu le faire Guilbert il y a sept siècles. Pourquoi ne pas imaginer qu’il aurait pu approcher une communauté cistercienne et ériger un prieuré sur ses terres pour expier ses fautes ? Compte tenu de l’influence de Bernard de Clairvaux en Bourgogne et de l’essaimage important des abbayes cisterciennes à partir de Cîteaux, il est parfaitement envisageable de songer à l’implantation d’un prieuré qui pourrait être, par la suite, érigé en abbaye9.
12Là encore une réinvention contemporaine de l’histoire qui brouille les pistes d’un savoir historique installé pour fabriquer du passé au conditionnel.
13Aux convictions intimes du concepteur se superposent des discours qui valorisent l’aventure collective aux connotations sociales, sinon humanistes. Défier le temps de l’histoire est une chose, défier le temps présent et trouver des financements en est une autre. C’est à Maryline Martin, formée à l’École du Louvre et investie dans une entreprise d’insertion de chômeurs locaux en Puisaye, que revient l’initiative de collecter des fonds. Son engagement dans le projet, comme elle l’exprime, correspond avant tout à offrir des formations à long terme :
J’ai compris que Guédelon devait remettre les gens en selle sur la base d’un projet digne, intelligent, et utile pour les autres. C’était l’occasion rêvée pour prouver qu’il fallait en finir avec le gâchis humain et avec tous les stages qui ne donnent rien. J’en avais tellement assez de me trouver face à des gens cyniques se contentant de commenter le phénomène du chômage10.
14L’ouvrage ne dit pas d’où viennent précisément les financements mais cite des interlocuteurs favorables à l’idée, comme EDF, la région Bourgogne, le département de l’Yonne ou l’un des patrons de Canal +, Arnaud Lagardère. De ce parcours concret pour obtenir le terrain de la municipalité et accumuler un financement de départ, Maryline Martin retient pour sa part, au-delà de l’avenir du château, la gageure humaine :
les véritables fondations de Guédelon, ce sont celles du château bien sûr, mais aussi celles de l’équipe. La vie du chantier est rythmée par les rires et les fêtes. Ce sont des gens bien dans leur peau du xxie siècle11.
15Nous sommes en présence ici d’un véritable « récit collectif » auquel chaque individu adhère par la médiation d’une certaine idée du passé et de savoir- faire qui légitiment l’investissement personnel. En voici quelques exemples. Le chef de chantier, Florian Renucci, passionné par la réhabilitation du patrimoine, se forme à la taille de la pierre et travaille comme ouvrier du bâtiment spécialisé dans la restauration des monuments historiques. En proposant ses services au chantier de Guédelon, il admet avoir suivi une éthique : « J’ai fait le choix de ce projet collectif, et je pense avoir contribué à le mettre bien sur ses rails. En même temps je me construis »12. Jean-Noël Morisset, maître charpentier, exprime à son tour qu’il est fier de maintenir la tradition des métiers et la mémoire des anciens. Clément Guérard, tailleur de pierre exprime clairement : « Ici, nous sommes au cœur de la matière, et en plus, nous inscrivons notre nom dans l’histoire13. »
16Le comité scientifique aborde, quant à lui, le projet en termes de questionnement. Pour Jacques Moulin, architecte en chef des Monuments historiques, le chantier est une opportunité de poser de vraies questions scientifiques sur un sujet précis et de savoir très concrètement comment travaillait « Monsieur Moyen Âge ». En archéologie, la spécialiste Anne Baud, explique que Guédelon a permis de valider scientifiquement le fait que les coffrages étaient démontés planche par planche. Cette adhésion de spécialistes a largement contribué à la crédibilité du projet qui à priori, selon Michel Guyot, avait suscité des réserves de la part d’universitaires qui jugeaient le projet iconoclaste.
17Le parcours de Michel Guyot est bien significatif de ce goût pour la réhabilitation du patrimoine depuis une trentaine d’années, de ce jeu de la reconstitution historique avec son grand spectacle à Saint-Fargeau depuis 1982 qui raconte l’histoire du château et de sa région jusqu’à la construction d’un édifice façonné par l’alliage de traces laissées par le passé et de traces à laisser pour l’avenir. Dans sa biographie, Michel Guyot en dit long sur la mise en œuvre de son premier spectacle historique, le mode de mobilisation des figurants ou l’élaboration du scénario.
D’abord, il faut recruter des gens. Je fais le tour des mairies et des associations et je bats le rappel pour réunir des figurants [...] Je démarche également une association d’anciens combattants. Je vais les voir lors de leur repas annuel et je leur expose mon projet [...] Pour les costumes, c’est Josiane, une femme du village, qui s’en charge. Avec trois bouts de chiffons et à partir de n’importe quelques images, elle fabrique n’importe quel costume. Elle réussit à trouver des chutes de tissus partout, à se faire donner des uniformes militaires ou de gendarmes qu’elle transforme selon nos besoins [...] Reste à écrire un scénario. Jacques et moi épluchons toutes les monographies de Saint-Fargeau, on pioche à droite à gauche des textes qu’on rafistole et on décrit une trame chronologique qui va de l’an mil jusqu’au débarquement américain, très didactique et très scolaire [...] J’ai vu assez de spectacles pour savoir que le mien, c’est n’importe quoi, un truc bricolé de toutes pièces, du travail d’amateur presque infantile [...] Mais les spectateurs, eux, avaient une vision différente. Que voyaient-ils en réalité ? Un endroit merveilleux sous une belle lumière d’été. Un château de rêve, des lumières, des gens qui couraient partout, de grandes fresques, des scènes vivantes, des couleurs, des costumes, des chiens, des chevaux. Et des acteurs qui jouaient avec une vraie passion. Ce fut un triomphe [...] Il y avait même une équipe de télévision sur les lieux, venue [...] pour l’émission de Pierre de Lagarde, Chefs-d’œuvre en péril14.
18Ce court extrait fait le lien avec le recours à l’érudition locale qui sert le plus souvent la mise en scène des monographies à partir de quelques tableaux représentatifs d’une histoire conçue selon l’imagerie scolaire. Les remarques sur la réception par le public ne manquent pas de lucidité, un public avant tout fasciné par le son et lumière, par l’ambiance festive, par une pseudo-esthétique portée par le chatoiement des costumes et l’émotion d’un moment spectaculaire. L’histoire arrive après mais n’est pas toujours sans incidence. Michel Guyot raconte qu’en 1989, il a profité du bicentenaire de la Révolution française pour monter un spectacle exceptionnel autour du régicide Le Peletier, propriétaire de Saint-Fargeau. Il considère qu’il ne « refaisait pas l’histoire » et qu’il ne prenait pas position. Il avait fait l’effort de lire ce qui avait été écrit sur le personnage et élaboré un scénario à partir de textes tirés de ses déclarations. Cette commémoration était pour lui l’occasion de monter un spectacle « autour d’une personnalité controversée qui avait joué un rôle déterminant à l’Assemblée constituante, avant de mourir assassiné par un royaliste et d’être placée au rang des “martyrs de la liberté”, comme Marat15 ». Mais contrairement à la fresque lisse de ses spectacles précédents, la réalité historique a heurté une partie du public le traitant, dit-il, de gauchiste. L’histoire présentée dans ces spectacles a pour finalité de produire au mieux un consensus autour du passé et non pas une réactivation de controverses quelle que soit leur légitimité. Parmi les interrogations que posent ces spectacles, il faudrait citer encore le répertoire musical, généralement choisi parmi les grands morceaux classiques (Beethoven, Wagner, Verdi ou Puccini pour Saint-Fargeau) mais sans lien avec le récit historique, servant la dramaturgie et l’exaltation des foules. Quant aux références picturales ou cinématographiques, le concepteur avoue s’être inspiré par exemple de Vatel ou de la Bataille de San Romano de Paolo Uccello pour l’atmosphère de la guerre de Cent Ans. Le film de Stanley Kubrick, Les Sentiers de la gloire a servi généralement pour les scènes de guerres ; Molière d’Ariane Mnouchkine l’a bien curieusement enflammé pour les périodes médiévales ! À Fellini, il a emprunté la musique de La Strada, etc.
19Certes, la médiation par l’érudition locale, du xixe siècle en particulier, ou les historiens locaux, le recours à des textes d’époque, sans contextualisation, perçus comme des discours de vérité, les références aux imaginaires littéraires ou filmiques et la légitimation par l’archéologie expérimentale apparaissent emblématiques d’un héritage récurrent et inhérent à ces formes de fabrication du passé. Les organisateurs du projet de Guédelon indiquent que
l’intérêt majeur d’une telle aventure réside dans l’observation des différentes phases de travaux. Chaque étape de construction est unique et constitue un événement en soi. Quel que soit le créneau de réflexion retenu pour aborder ce chantier, Guédelon répond à bien des attentes de l’homme du xxie siècle16.
20Parmi ces attentes, sont largement soulignées les références à des engagements ou des formes de solidarité humaine dans des projets collectifs et un plaisir non négligeable de s’immerger visuellement, charnellement dans le passé :
Il ne s’agit pas d’une simple visite dans un musée froid, éclairé de tubes de néon sans âme mais d’une rencontre avec un monde perdu, bruissant de vie. En arrivant sur place, on est étonné de la sérénité ambiante et du peu de bruit agressif, caractéristique de nos chantiers actuels. Le fait de ne travailler qu’avec des outils à main permet de visiter au milieu des bruits d’oiseaux et du souffle du vent dans les branches [...] Lorsqu’on repart de Guédelon, c’est ce contact direct avec notre passé qui nous reste, l’impression d’avoir, l’espace de quelques instants, aperçu un fragment de notre histoire, qui vit encore, dans quelques endroits préservés et que l’on ne trouve plus chez nous que dans les revues de papier glacé. Après avoir visité le chantier médiéval, la vision que l’on a des édifices issus du Moyen Âge n’est plus jamais la même, ils redeviennent des œuvres vivantes, assemblées de main d’homme17.
21Ce rapport de visite nous initie à ces interférences entre le passé et le présent qui se jouent dans ce chantier en construction, sinon certaines contradictions.
22C’est le vivant du présent qui touche aux sens et qui éveille l’imaginaire vers le passé. Les hommes d’aujourd’hui, tournés vers un projet futur deviendraient les médiateurs d’une meilleure appréhension du passé. Les vestiges, pour revêtir une dimension humaine, auraient besoin d’un temps d’évasion transitionnel au sein d’un présent reproduisant le passé. Ainsi, l’entreprise de Guédelon donne à penser l’émergence d’une nouvelle sensibilité au passé, façonné par une nouvelle donne touristique et la restructuration économique des territoires régionaux.
Notes de bas de page
1 Dominique Poulot, dir., Patrimoine et Modernité, Paris, L’Harmattan, 1998.
2 http://www.guedelon.fr
3 http://1jour1actu.com
4 Françoise Benhamou, Économie du patrimoine culturel, Paris, La Découverte, 2012.
5 Philippe Minard et François Folcher, Guédelon. Des hommes fous, un château fort, Aubanel, Genève, 2003.
6 Ibid., p. 13.
7 Ibid., p. 11.
8 Guyot Michel, J’ai rêvé d’un château. De Saint-Fargeau à Guédelon, un fabuleux défi, Lattès, Paris, 2007, p. 212.
9 Ibid., p. 206-207.
10 Philippe Minard, François Folcher, Guédelon. Des hommes fous, un château fort, op. cit., p. 13.
11 Ibid., p. 15.
12 Ibid., p. 18.
13 Ibid., p. 80.
14 Guyot Michel, J’ai rêvé d’un château. De Saint-Fargeau à Guédelon, un fabuleux défi, op. cit., p. 130- 135.
15 Ibid., p. 65.
16 Ibid.
17 Yann Kervran, « Chantier médiéval de Guédelon », Histoire médiévale-Revue culturelle sur la vie au Moyen Âge, juillet-août 1999, p. 57- 60.
Auteur
Aix-Marseille Université - CNRS, UMR 7303 Telemme
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les sans-culottes marseillais
Le mouvement sectionnaire du jacobinisme au fédéralisme 1791-1793
Michel Vovelle
2009
Le don et le contre-don
Usages et ambiguités d'un paradigme anthropologique aux époques médiévale et moderne
Lucien Faggion et Laure Verdon (dir.)
2010
Identités juives et chrétiennes
France méridionale XIVe-XIXe siècle
Gabriel Audisio, Régis Bertrand, Madeleine Ferrières et al. (dir.)
2003
Des hommes à l'origine de l’Europe
Biographies des membres de la Haute Autorité de la CECA
Mauve Carbonell
2008