Introduction
p. 99-100
Texte intégral
Crises et appartenances
1Le regard des contributeurs de cette partie révèle des sociétés nord-méditerranéennes en tension, sous la menace de défis qui accélèrent et durcissent les temps. La thématique de la crise est récurrente. La conscience de la crise par les contemporains, mais aussi le rôle et le sens de la crise dans l’historiographie rejoignent les objets d’étude de Gérard Chastagnaret, dont les incitations sont à l’origine de plusieurs des textes ici présentés.
2En 1998, à Madrid, comme le rappelle Christine Agriantoni, Gérard Chastagnaret invitait les chercheurs à confronter « mutations de l’industrie » et « fixation du politique ». La fertilité de cette proposition trouve, ici encore, des prolongements. Au tournant des xixe et xxe siècles, de Grèce au Pays Basque en passant par la Corse, Christine Agriantoni, Severiano Rojo Hernandez et Francis Pomponi se penchent sur des sociétés rurales qui affrontent brutalement le développement financier et économique du capitalisme libéral. Les poussées de crise sont propices au travail du chercheur. La fragilité, la versatilité des équilibres politiques est alors mise en évidence. Elle est approfondie, pour l’Espagne, par les contributions d’Elisabel Larriba et de Gérard Dufour. Invasions et soulèvements, coups de force militaires, séparatismes, violence des épurations et jusqu’aux affrontements urbains d’aujourd’hui sont autant d’occasions de caractériser en profondeur les appartenances et de relire les grands récits.
3C’est à une réflexion historiographique renouvelée que nous entraîne Christine Agriantoni « autour du coup militaire de 1909 en Grèce », dans une lecture critique de la traditionnelle interprétation en termes de « révolution bourgeoise ». Mieux au fait de l’ampleur des changements économiques et sociaux du temps, l’historienne est à même de mettre en lumière des positions sociales menacées, en ville, comme à la campagne. La « désaffection de la plupart des groupes sociaux pour les partis politiques » relevant alors de l’esprit libéral du xixe siècle. Severiano Rojo Hernandez inscrit le nationalisme basque dans le contexte de la révolution industrielle et de ses conséquences sur les transformations de la Biscaye. Par opposition, la production et la diffusion de grands récits mythologiques animent le projet nationaliste et le justifient, conflit armé et conflit mythique se réactivant réciproquement. Lorsque Francis Pomponi interroge « la crise de structure » qui affecte la Corse entre le xixe et le xxe siècle, c’est bien comme élément d’une évolution générale affectant à la fois « structure économique et crise de conscience ». L’omniprésence de la thématique de la crise et de la dénonciation du « système » dans la presse insulaire conduit à la recomposition politique. L’émergence du « corsisme » met au premier plan des analyses, mais aussi des modes de mobilisation qui portent sur les conséquences « d’une situation matérielle de plus en plus désastreuse ». Le rejet d’une évolution jugée négative conduit à des formes spécifiques de développement économique et touristique qui se combinent, là aussi, avec le « retour aux sources d’une histoire […] mythifiée et héroïsée ».
4Elisabel Larriba et Gérard Dufour rapprochent davantage encore le centre de gravité des études des terres d’élection de Gérard Chastagnaret ; présentant Madrid dans les tempêtes de 1808 et 1812. Comment concilier et réconcilier une société déchirée par les luttes civiles et l’influence étrangère ? Questionner les modalités de l’épuration revient à évaluer les possibilités de tolérance d’une société en crise.
5Il revient à Céline Borello de rappeler que ces terres du nord de la Méditerranée produisirent aussi des formes d’harmonie bien spécifiques. En montrant au xviiie siècle des protestants et des catholiques vivant les uns avec les autres en Languedoc, elle ne masque pas pour autant les divergences, notamment « entre curés belliqueux et pasteurs pacifistes ». Mais en proposant l’usage d’un vocable nouvellement admis par l’Académie française : la « convivance », qui résonne à l’espagnole, tout en s’en distinguant par le sens, Céline Borello apporte un nouvel épi à la gerbe nouée par Gérard Chastagnaret au fil des années. L’humanisme méditerranéen dont témoigne cette histoire languedocienne fait la part aux équilibres et aux hommes de tolérance qui cimentent les sociétés, par delà les crises.
Auteur
Aix-Marseille Université - CNRS, UMR 7303 Telemme
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