Marseille : recherche métropole désespérément1
p. 87-95
Texte intégral
1Reparler de Marseille et de la difficile construction d’un territoire métropolitain, c’est s’exposer à la redondance et à la paraphrase tant le sujet a été exploré et a donné lieu à une abondante littérature. Toutefois, les difficultés d’application de la réforme territoriale adoptée par le Parlement fin 2010, avec notamment la création de « métropoles », organismes institutionnels ayant vocation à polariser, organiser et gouverner des territoires urbains élargis, nous invitent à revisiter la question de « l’impossible aire urbaine Marseille-Aix-Étang de Berre » selon l’expression de Martin Vanier1.
2La métropolisation est une réalité démographique et économique indiscutable, constatée à l’échelle mondiale, même si les définitions qu’on peut lui donner varient selon les critères que l’on privilégie ici ou là. Si le fait métropolitain s’impose sur le plan économique, il ne gomme pas pour autant les réalités et les spécificités des territoires qui composent l’ensemble métropolitain. Pour certains, cependant, les exigences de la vie économique devraient conduire à faire correspondre le mode de gouvernance au territoire métropolitain. Autrement dit, la réalité métropolitaine devrait inciter à créer une collectivité territoriale sur le périmètre territorial de la métropole. C’est l’argument qui est à l’origine de la proposition de loi française d’août 2010.
3Il nous semble que ce raisonnement mérite d’être discuté préalablement et sans a priori sur au moins deux points. Le premier renvoie à l’histoire des collectivités et le second à leur nature.
Le découpage territorial : un processus continu
4La concentration démographique est aussi vieille que l’histoire du monde : du hameau au village ; du village à la ville ; de la ville à l’agglomération ; et maintenant de l’agglomération à la métropole, de la métropole à la mégalopole… Ce qu’on voit dans certains pays, comme la Chine, incite ainsi à ne pas considérer ce processus comme terminé. On pourrait donc imaginer qu’après la métropolisation, il y aurait une nouvelle catégorie pour désigner les regroupements humains. On voit bien déjà que certaines métropoles ont la taille de régions (la Randstad hollandaise, par exemple), voire d’États. Mais si chaque étape de concentration s’accompagne d’un mode de gouvernance correspondant, on peut imaginer qu’un jour la gouvernance de ces métropoles se confonde totalement avec la gouvernance du territoire de l’échelon administratif supérieur, voire celle de l’État lui-même. Il en serait donc fini de ce qui constitue un des piliers de la démocratie : l’exercice de l’administration de la chose publique par les citoyens eux-mêmes au plus près des réalités. Il y a, dans la volonté de concentrer les pouvoirs locaux à l’échelon métropolitain, un risque de recentraliser le pouvoir et de faire de ces métropoles des instruments de la politique étatique. Ce risque est d’autant plus important dans un pays comme la France dont on connaît la tradition centralisatrice. Cette recentralisation est une tentation particulièrement sensible dans les périodes où les déficits des finances publiques conduisent les gouvernements à rechercher une optimisation des politiques budgétaires ; c’est en partie le sens en France de la RGPP, Révision générale des politiques publiques, qui se traduit, pour l’instant, par une diminution du nombre de fonctionnaires et la suppression de services administratifs en divers lieux du territoire national.
5Mais la démocratie locale exige, à tous les échelons, de concilier la cohérence planificatrice que réclament la vie économique et sociale et les besoins de proximité qu’exprime la population. C’est là un équilibre complexe, micro-macro, qui suppose la conciliation ou l’opposition entre des intérêts contradictoires dès lors que sont affectés plusieurs territoires. Le tracé des grands équipements ferroviaires ou routiers est, à cet égard, révélateur des conflits potentiels entre les besoins d’un vaste territoire et les exigences locales des populations. Sur l’ensemble métropolitain marseillais, le cas de l’incinérateur de la communauté urbaine de Marseille, installé sur la commune de Fos-sur-Mer, est aussi un exemple de cette contradiction entre la nécessité d’assurer un service commun à l’agglomération et le souhait des habitants de Fos de ne pas accueillir les installations les plus polluantes. Il va de soi que plus on élargit un territoire, plus on privilégie une gouvernance qui fait fi des intérêts locaux. Il y a donc un équilibre à rechercher, mais d’autant plus difficile à trouver que le territoire de référence est très élargi. En ce sens, la recherche d’une gouvernance centralisée vient se confronter à des intérêts locaux légitimes que porte naturellement la démocratie locale. S’il fallait donner un exemple de cette double exigence de coordination centralisée et de proximité, celui de la sécurité serait tout à fait explicite. La suppression des polices de proximité au profit d’une police centralisée, souvent coupée du terrain a montré, dans les dernières années, son inefficacité. La nécessité d’être au plus proche des territoires où s’exercent le plus fortement la délinquance et les délits est une condition du succès des politiques de protection des personnes.
6Il convient donc, avant de se lancer dans toute réforme des collectivités territoriales, de s’interroger sur leur nature. Une collectivité territoriale a trois composantes : un territoire, des compétences, une gouvernance. Le raisonnement qui induit aujourd’hui la création des métropoles est fondé quasi-exclusivement sur la reconnaissance d’un territoire élargi dont on constate – ou on présuppose – qu’il obéit à une logique économique et sociale unique. C’est cette logique économique et sociale qui conduit à unifier sa gouvernance et à attribuer à celle-ci l’ensemble – ou presque – des compétences qui étaient celles de ses composantes. On comprend dès lors pourquoi les acteurs économiques, privés ou publics, sont particulièrement attachés à une logique métropolitaine dont l’économie serait le surdéterminant. Ceci n’est pas nouveau2. Quand on examine l’ensemble des travaux qui, depuis un demi-siècle, ont proposé la réorganisation des aires métropolitaines, on constate que les éléments qui militent en faveur d’une nouvelle gouvernance s’appuient essentiellement sur des facteurs économiques. Ainsi à Marseille, du schéma de l’OREAM de 1969 au Schéma de Cohérence Territoriale (SCOT) de Marseille-Provence-Métropole adopté par le conseil communautaire en décembre 2011. Certes, ces facteurs peuvent changer selon les périodes et les évolutions, de l’organisation industrialo-portuaire en 1969 à l’insertion compétitive dans la mondialisation en 2011, mais elles sont toujours de nature économique.
7Cette réalité économique qui induirait les organisations territoriales est évidemment importante dans la mesure où elle conditionne l’emploi et la création de richesses, mais elle ne saurait écraser les autres réalités, sociales ou culturelles, qui constituent les spécificités territoriales. Les agglomérations, les aires métropolitaines ne sont pas seulement « des machines à produire de la richesse », des établissements industriels ou tertiaires qu’il conviendrait d’organiser au mieux. Ce sont aussi des regroupements d’hommes et de femmes aux besoins les plus divers.
8C’est l’ensemble de ces réalités qu’il convient de prendre en considération dès lors qu’il s’agit de repenser la gouvernance territoriale. Et bien évidemment les périmètres territoriaux varient selon qu’on met l’accent sur tel ou tel élément. Autrement dit, le territoire métropolitain n’est pas une donnée en soi qui surgirait d’on ne sait quel déterminisme économique. Il n’y a pas « un » territoire métropolitain, mais « des » territoires métropolitains dont le périmètre varie selon de multiples critères.
La définition du périmètre métropolitain ou la fuite en avant
9Si on prend l’exemple de l’aire métropolitaine marseillaise, et sans toutefois reprendre les multiples travaux qui ont tenté depuis longtemps de la définir, on s’aperçoit qu’il y a effectivement un ensemble économique complexe dont on peut définir le périmètre de manière assez précise, même si cette précision prend la forme d’une géométrie variable. Depuis une trentaine d’années, suite aux évolutions liées aux dynamiques économiques et industrielles qui ont permis le développement de l’étang de Berre, du pays aixois et de la zone Aubagne-Gémenos, il est de tradition de considérer que l’aire métropolitaine marseillaise est composée de cinq zones : Marseille au centre, l’est de l’étang de Berre autour de Marignane-Vitrolles, l’ouest de l’étang de Berre autour de Martigues-Fos-Istres, le pays aixois autour des nouvelles activités de tertiaire supérieur, et la vallée de l’Huveaune3. Pour confirmer ce que nous disions précédemment, on ne manquera pas de noter que cette composition territoriale est déterminée par des facteurs industriels et tertiaires. En fait, en y regardant de près, le périmètre de cette aire métropolitaine épouse grosso modo le contour du département des Bouches-du-Rhône, au moins sa partie la plus peuplée et urbanisée. Mais on notera aussi que certains n’hésitent pas à élargir ce territoire jusqu’à vouloir intégrer au nord le pôle avignonnais et à l’est le pôle toulonnais. Il est indéniable que cet ensemble élargi pourrait avoir un sens d’un point de vue purement économique, mais on pourrait aussi se demander pourquoi s’arrêter là. Cette dernière remarque ne saurait être prise à la légère. En effet, si on raisonne réellement en termes d’attractivité et de compétitivité dans le cadre d’une économie ouverte mondialisée, il n’est pas du tout évident qu’à moyen terme, la logique économique s’accommode d’un territoire, certes élargi à l’échelle métropolitaine, mais particulièrement restreint à l’échelon européen et mondial. Si on prend comme référence, l’économique, il est clair que l’échelon le plus pertinent est au moins l’échelon régional et plus certainement encore la façade méditerranéenne (à savoir les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur et Languedoc-Roussillon) sans revenir sur ce qu’on avait appelé autrefois le Grand Delta, regroupant les deux précédentes régions et Rhône-Alpes. D’ailleurs, c’est à cette échelle méditerranéenne que se dessinent aujourd’hui les grands projets structurants (lignes LGV, grands pôles de compétitivité… etc.).
10Mais il est clair que cette logique économique ne saurait s’imposer dans tous les domaines dont plusieurs dépendent d’un échelon inférieur. Les oppositions à Marseille venant d’Aix-en-Provence ou de l’Étang de Berre ont une histoire souvent ancienne qu’il convient de ne pas négliger4. Les territoires ont une mémoire. Entre Aix et Marseille, la méfiance a été construite par Colbert lorsqu’il a « inventé » les villes-État surveillant les villes bourgeoises. On pourrait multiplier les exemples. Cette mémoire des territoires doit être prise en considération puisqu’elle est un élément structurant de la vie sociale. Autrement dit vouloir imposer un périmètre de métropole à gouvernance unifiée au nom de la logique économique contemporaine n’est pas pertinent, ni en termes d’efficacité, ni en termes démocratiques. D’ailleurs on notera que, dans la plupart des pays, la gouvernance des métropoles n’est pas centralisée, mais répond aux exigences qu’imposent les différents domaines gérés dans des contextes particuliers qu’il convient de prendre en compte5. La question qui se pose est donc, en fait, l’organisation du principe de subsidiarité selon lequel la responsabilité d’une action publique doit être prise en charge par la plus petite entité capable de résoudre le problème d’elle-même, étant entendu que lorsqu’elle n’a pas la capacité de résoudre le problème, elle doit en remettre la responsabilité à un échelon supérieur en pleine concertation avec ce dernier. La gouvernance des métropoles conduit donc à envisager « une autre manière » de penser l’interterritorialité. C’est d’ailleurs ce mode qui avait été envisagé en France à la fin du xixe siècle (1890), lorsque, pour des raisons identiques de croissance urbaine, il a été créé les Syndicats Intercommunaux à Vocation Unique (SIVU). Il s’agissait là encore de prendre en compte les nouveaux problèmes posés pour leur apporter une réponse adaptée à la taille du territoire concerné, dans une perspective pragmatiste, au sens américain du terme.
Construire la métropole sans périmètre préalable
11Ces réflexions générales conduisent à s’interroger sur le cas marseillais. Celui-ci est devenu emblématique d’une singularité urbaine, d’une exceptionnalité considérée à tort ou à raison comme dommageable en ces temps de compétition et de concurrence entre territoires au niveau européen et mondial. La communauté urbaine, Marseille-Provence-Métropole, réduite à la ville-centre (un peu plus de 800 000 habitants) à laquelle sont venues s’agréger, de gré ou de force selon le principe de contiguïté territoriale de la loi de 1999, 17 communes d’importance démographique réduite, constitue « une incongruité » au regard de la réalité urbanisée d’un espace qu’on nomme « aire métropolitaine marseillaise », depuis le schéma de l’OREAM de 1969. Le noyau dur de cette aire métropolitaine, le triangle Marseille-Aix-Étang de Berre est fragmenté entre plusieurs intercommunalités et l’espace métropolisé déborde largement au-delà. Mettre de l’ordre et unifier tout cela n’est pas simple parce qu’on ne taille pas impunément dans des trames territoriales historiques et aussi parce que les exemples étrangers souvent appelés à la rescousse ont montré les limites de la constitution d’entités urbaines géantes. On a vu déjà se lever de très fortes oppositions à la réforme de 2010 de la part non seulement des collectivités locales concernées, mais aussi des collectivités territoriales comme le Département et la Région. Et, dans la mesure où la constitution des métropoles réclamera l’accord de ces collectivités, il y a fort à parier que la métropole marseillaise ne verra pas le jour demain. Pour autant, on ne peut se satisfaire de laisser les choses en l’état car nombre de problèmes et de difficultés obèrent l’avenir de ces espaces. Mais on ne peut sauter par-dessus l’histoire et la géographie spécifiques de la région marseillaise. Il s’agit donc d’agir de manière pragmatique en tenant compte des réalités et des problèmes, en s’inspirant des exemples venus d’ailleurs, par exemple la Randstad hollandaise6. Ici, comme dans l’aire marseillaise, il est acquis qu’on ne trouvera jamais une échelle d’organisation idéale parce que les dynamiques territoriales sont mouvantes et que les questions posées n’appellent pas nécessairement des structures unifiées. Il convient donc de définir les questions qui relèvent d’une gestion métropolitaine et celles qui relèvent d’un niveau communal ou même intercommunal, de trouver des structures adaptées aux unes et aux autres et surtout de développer des processus de concertation-négociation7. Le pragmatisme c’est aussi l’expérimentation. C’est en fonction de cette lente expérimentation qu’il conviendra alors de réviser régulièrement les choses.
12Sur l’aire métropolitaine marseillaise, dans cinq domaines au moins, on voit émerger des structures dont la vocation est de penser (voire de gérer) des problèmes métropolitains spécifiques, à des échelles différentes.
13La fusion des trois universités aixo-marseillaises en une université unique, Aix-Marseille-Université au 1er janvier 2012, est un premier exemple révélateur de la prise en compte de la réalité métropolitaine, appliquée au domaine spécifique de l’enseignement supérieur et de la recherche. Si cette opération n’allait pas de soi au sein du milieu universitaire pour des raisons qui tiennent au fonctionnement de l’enseignement supérieur, elle allait encore moins de soi pour les collectivités locales où sont situées les universités. À l’origine même, la logique qui semblait avoir la faveur des unes et des autres était une division nette entre une université à Marseille et une université à Aix-en-Provence, chacune d’elle d’ailleurs revendiquant la totalité (ou presque) des enseignements ; ce qui signifiait l’installation à Aix d’une véritable Faculté des Sciences et à Marseille une véritable Faculté des Lettres et Sciences Humaines et Sociales. On comprendra que cette logique à laquelle nombre d’élus locaux étaient favorables allait à l’encontre de la vision métropolitaine de l’université qui s’impose aussi bien aux étudiants qu’aux personnels enseignants et administratifs. La création de l’université unique épouse la logique métropolitaine et constitue un signe fort. En ce sens elle a une portée d’aménagement et de recomposition du territoire. Elle est le résultat d’un long processus de concertation auquel les collectivités ont été associées. Elle dépasse le cadre même de la métropole stricto sensu puisque, en raison des divers rattachements, Digne et Arles y sont associés à travers leurs IUT. Elle préfigure même une métropole plus grande encore puisqu’elle sera le premier pas vers un PRES (Pôle de Recherche et d’Enseignement supérieur) qui intégrerait l’université d’Avignon et peut-être celle de Toulon.
14Le deuxième exemple concerne le territoire de « Marseille-Provence 2013, capitale européenne de la culture ». Pour arracher ce label prestigieux, Marseille a dû élargir son territoire et intégrer la plupart des communes des Bouches-du-Rhône – malgré les hésitations d’Aix-en-Provence – et au-delà jusqu’à Toulon, avant son retrait de l’opération. Autrement dit, Marseille-Provence 2013 définit un territoire culturel à l’échelle métropolitaine. Là encore, c’est la concertation entre les collectivités qui a permis le développement de cette dynamique. Si Marseille-Provence 2013 est un succès, alors on peut espérer que ce territoire culturel se pérennisera à travers une structure souple qui pourrait être la structure organisatrice de la politique culturelle « métropolitaine ». Il s’agit là d’un territoire culturel spécifique qui tient compte des particularités et de l’histoire de chacun des territoires le composant, une compétence, celle de définir une politique culturelle qui tienne compte à la fois de l’exigence métropolitaine et des politiques locales, un mode de gouvernance fondé sur le dialogue et la concertation. Marseille-Provence 2013 aura été, dans ces conditions, un terrain d’expérimentation d’une politique spécifique d’aménagement du territoire.
15Le troisième exemple, c’est le port de Marseille. Nul aujourd’hui ne saurait le réduire aux bassins Est, ceux de Marseille. Par son extension géographique et son mode de fonctionnement, le port structure en partie l’aire métropolitaine en ce qui concerne sa façade maritime, mais aussi sa fonction logistique. Toutefois, s’il est multi-communal par la localisation de ses installations, le Port de Marseille, comme les autres Ports Autonomes nationaux avant la réforme, avait un mode de gouvernance qui le mettait largement hors de portée de l’intervention des collectivités territoriales. D’une certaine manière, du point de vue métropolitain, il était en situation d’« extra territorialité ». La réforme mise en place en 2009 a modifié cette donnée. Les collectivités territoriales sont largement associées à la stratégie du Grand Port Maritime de Marseille (GPMM, nouvelle appellation depuis la réforme) d’autant plus que celle-ci doit être coordonnée avec les divers documents d’urbanisme. La présence d’un conseil de développement du port est à cet égard essentielle. On notera d’ailleurs que le Conseil de surveillance du port se prononcera sur sa stratégie en même temps que sera voté le SCOT (Schéma de cohérence territoriale) de la communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole.
16Dans le domaine des services collectifs, s’envisagent et se mettent en place des pratiques qui tiennent compte des exigences métropolitaines et des politiques locales. En matière de transports publics, la création d’un syndicat départemental des transports constitue un pas important pour la définition d’une stratégie coordonnée entre les différentes organisations administratives locales. Loin de tout vouloir unifier, ce syndicat (instance de gouvernance) aurait pour mission et pour compétence d’harmoniser le réseau, de définir une politique tarifaire, de mettre en place une billetterie unique. Le périmètre d’un tel territoire devrait être défini prioritairement en fonction des déplacements domicile-travail. En matière de ramassage des déchets et des ordures ménagères, s’envisage également un syndicat qui aurait pour but de coordonner et d’harmoniser les politiques en matière de gestion (tris sélectifs), de traitement des ordures. Les domaines des services collectifs ne sauraient d’autre part être traités sans une articulation avec le département qui, en ces matières, devrait jouer un rôle prépondérant compte tenu du périmètre territorial.
17Enfin, en ce qui concerne l’intervention économique, là encore il conviendrait de trouver l’échelon le plus pertinent pour coordonner une politique efficace. Dans le contexte actuel de mondialisation, il paraît raisonnable de penser que cet échelon ne peut être qu’élargi. À l’évidence, l’échelon régional, à minima, est le plus opportun pour éviter une concurrence exacerbée des territoires entre eux. La politique des Pôles Régionaux d’Innovation et de Développement Économique Solidaire, relayés par des pôles territoriaux pourrait être la base d’une politique adaptée aux différents secteurs économiques.
18On pourrait ainsi multiplier les exemples de coordination des services publics métropolitains à géométrie territoriale variable. Chacune des structures de gouvernance spécialisée pourrait se voir adjoindre des structures de démocratie participative (du type des conseils de développement) qui associeraient des acteurs et/ou des associations ayant une compétence particulière dans le domaine : ainsi les comités d’usagers pour les transports, les acteurs culturels pour la culture… etc. Tout en tenant compte que la multiplication de structures, comités, etc., n’est pas en soi un gage d’efficacité pour l’action. C’est la difficile question de l’équilibre à atteindre entre démocratie représentative et démocratie participative8.
19Cette architecture des aires métropolitaines apparaît comme la plus efficace pour répondre aux besoins d’une population qui tient à la fois à l’exigence de coordination et de cohérence et à l’exigence de proximité. Une structure de cette nature serait bien adaptée à la réalité de la métropole marseillaise. Elle suppose, avant tout, un accord général des collectivités appartenant peu ou prou à l’aire métropolitaine qui devrait donner lieu à « une Charte métropolitaine », définissant pour une durée donnée (5, 10 ans) une stratégie métropolitaine. Ni schéma, ni plan, simplement un cadre général définissant les domaines relevant d’une logique métropolitaine et devant faire l’objet d’une structure appropriée. C’est dans cet esprit qu’a été proposée en 2011, en alternative à la solution – refusée – de « métropole », la constitution d’un « pôle métropolitain » qui fédérerait les différentes intercommunalités et la communauté urbaine de Marseille dans des actions d’intérêt métropolitain. Cette proposition n’a pas non plus débouché, pour des raisons de fond évoquées ci-dessus mais aussi pour des raisons d’opportunité (proximité des échéances électorales de 2012).
20Reste évidemment une question essentielle, celle de la fiscalité locale. Sans aucun doute, la volonté d’inventer une collectivité territoriale métropolitaine relève souvent du souci de disposer d’une fiscalité unique sur un territoire élargi. La préoccupation est évidente lorsqu’on examine la réalité des coûts métropolitains (ceux induits par la concentration des équipements rares dans un petit nombre de villes du territoire métropolitain). Même si les caractéristiques de ce dernier, abondamment étudiées, sont ceux d’une « métropole éclatée », il n’en reste pas moins que les déséquilibres de taille entre le cœur métropolitain – Marseille – et les autres lieux de centralité, jouent en défaveur du budget de la ville-centre. La question est excessivement et techniquement complexe et ne saurait être abordée à la légère. Mais elle s’inscrit naturellement dans une redéfinition totale de la fiscalité locale dont on sait qu’elle est aujourd’hui obsolète et surtout profondément injuste socialement et économiquement. En tout cas, il conviendrait de distinguer la problématique des dépenses consacrées aux domaines mutualisés – c’est sans doute la partie la plus facile – de la problématique des recettes.
21On l’aura compris, la question de la gestion des métropoles qui est un des enjeux majeurs des prochaines décennies ne saurait s’accommoder de la solution, la plus simple a priori, mais la moins pertinente, qui consisterait simplement à élargir le territoire de la collectivité territoriale centrale.
Notes de bas de page
1 Martin Vanier, Le pouvoir des territoires. Essai sur l’interterritorialité, Paris, Economica, 2e éd., 2010.
2 René Borruey, « L’aire métropolitaine marseillaise en projets au xxe siècle. Esquisse d’une histoire », in A. Donzel, dir., Métropolisation, gouvernance et citoyenneté dans la région urbaine marseillaise, Paris, Maisonneuve et Larose, 2001, p. 153-172.
3 Bernard Morel, Marseille, naissance d’une métropole, Paris, L’Harmattan, 2001.
4 Nicole Girard, « Territoires institutionnels et territoires « réels » dans la région marseillaise : quelle adéquation ? », dans André Donzel, dir., Métropolisation, gouvernance et citoyenneté dans la région urbaine marseillaise, Paris, Maisonneuve et Larose, 2001, p. 209-223.
5 Bernard Jouve, Christian Lefevre, dir., Métropoles ingouvernables : les villes européennes entre globalisation et décentralisation, Paris, Elsevier, 2002.
6 Roelof Verhage (entretien avec), « Pays-Bas, une leçon de pragmatisme », Place publique, la revue urbaine, no 11 septembre 2008.
7 Gilles Pinson, Intercommunalité et démocratie : réflexions à partir du cas français, Actes des 16e Entretiens Jacques Cartier, Lyon, 2003, p. 85-92.
8 John Dewey, Le public et ses problèmes, Éditions Farrago/Université de Pau et des Pays de l’Adour, 2003.
Notes de fin
1 Ce texte a été remis en janvier 2011 au moment de l’adoption fin 2010 de la réforme territoriale sous la présidence de N. Sarkozy et avant les élections présidentielles de 2012. Les délais de publication ont fait que certaines de nos opinions se trouvent infirmées par une nouvelle loi en cours d’adoption au Parlement en juin 2013 créant la métropole Aix-Marseille-Provence. Malgré cette actualité, notre texte reste pertinent, nous semble-t-il, quant aux conditions de mise en œuvre et de fonctionnement d’une telle métropole.
Auteurs
Aix-Marseille Université - CNRS, UMR 7303 Telemme
Aix-Marseille Université - CNRS, UMR 7303 Telemme
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