Introduction
p. 11-12
Texte intégral
Représenter, habiter et circuler dans l’espace méditerranéen
1Qu’il soit perçu comme un patchwork de paysages, de mers et de cultures1 ou comme la sixième partie du monde, ce « continent liquide aux contours solidifiés » imaginé par l’écrivain Gabriel Audisio2, l’espace méditerranéen si cher à Gérard Chastagnaret a été marqué par un incessant va-et-vient de civilisations dont l’extrême enchevêtrement a fini par donner naissance à une certaine forme d’homogénéité. Les contributions rassemblées dans cette première partie, illustrent, sous des angles différents et à des instants précis piochés dans les quatre derniers siècles, quelques-unes de ces caractéristiques partagées.
2Dans la façon de concevoir et de représenter l’espace méditerranéen, tout d’abord, et notamment les villes qui, traditionnellement, jouent un rôle structurant important. C’est à Madrid, à la fin du xviiie siècle, que Brigitte Marin analyse ainsi la nouvelle façon méditerranéenne et européenne de représenter la ville avec l’effacement progressif de la vue en perspective, ou à vol d’oiseau, au profit de la projection orthogonale, une évolution en relation étroite avec les nouvelles techniques de gestion urbaine – notamment fiscales et policières – et avec la nécessité de pouvoir se repérer facilement. Toujours dans le domaine urbain, mais trois siècles plus tard, Marseille et les villes environnantes s’interrogent sur la meilleure façon d’être représentées et administrées dans un contexte marqué par une vive concurrence entre les territoires aux niveaux européens et mondiaux. La question des métropoles est un des défis majeurs des prochaines décennies, particulièrement sur le pourtour du bassin méditerranéen. Nicole Girard et Bernard Morel rappellent les enjeux qui tournent autour de la constitution d’une « aire métropolitaine marseillaise » et toute la difficulté à trouver un point d’équilibre entre des nécessités économiques qui tendent à imposer une gouvernance à l’échelle métropolitaine et les exigences de démocratie locale, attachées à maintenir une vraie proximité avec les populations. Représentation des villes, représentation des espaces ruraux et montagneux également, avec l’œuvre de l’officier topographe, photographe et illustrateur Théophile-Jean Delaye, dont le parcours est retracé par Aurélia Dusserre. Fort de l’expérience technique acquise au service géographique des Alpes-Maritimes et du soutien de Lyautey pendant son séjour au Maroc, il cartographie et photographie – pour les besoins de l’armée et de la colonisation – les espaces mal connus du Rif, de l’Atlas oriental et des zones présahariennes. L’usage de l’aviation et ses talents d’illustrateur lui permettent d’expérimenter en terrain colonial une technique utilisée pour la première fois à grande échelle au cours de la Première Guerre mondiale et de proposer un rendu à mi-chemin entre art et science. Les nombreuses illustrations expressives et orientalistes qu’il livre à la Revue de géographie marocaine, ou qui sont destinées aux ouvrages scientifiques consacrés au Maroc, le conduisent également à participer activement à la construction d’une identité coloniale maghrébine sous domination française.
3Représenter, mais aussi habiter et peut-être davantage encore circuler. À travers l’étude de l’album de l’architecte Théodore Lambert, en 1905, Laurence Américi analyse les multiples influences du logement ouvrier, notamment en Provence où tous les types architecturaux se sont côtoyés pendant des décennies. Le propos pourrait d’ailleurs facilement être étendu à d’autres rivages méditerranéens marqués par le fait industriel au cours des xixe et xxe siècles. La contribution de Martine Chalvet s’intéresse davantage aux modes de consommation et à la conversion des espaces, avec l’exemple de la forêt du domaine de l’Esterel. Tantôt réservée à des usages strictement agricoles, puis industriels, cette forêt méditerranéenne littorale se transforme peu à peu en lieu de tourisme mondain avant de devenir un espace de loisir pour les populations urbaines environnantes, associant découverte des paysages et exercice du corps par le biais de randonnées, de l’escalade ou d’excursions à bicyclette. La question de la circulation des hommes, que ce soit par nécessité économique ou pour découvrir et s’imprégner de la diversité et des richesses culturelles du bassin méditerranéen, est un thème récurrent que l’on retrouve dans la plupart des textes retenus. Circulation dans Madrid à la recherche de ses principaux monuments, grâce aux plans géométriques de la fin du xviiie siècle mis à la disposition du public ; circulation dans le Maroc colonial et en Provence par la création d’une abondante cartographie et la multiplication des axes routiers ou ferrés qui connectent les territoires ; circulation enfin à travers l’ensemble du bassin méditerranéen où, depuis le xviiie siècle – c’est ce que montre bien Roland Courtot avec l’affaire du naufrage du Westmorland –, les voyageurs de toutes nations prennent la mer à leurs risques et périls pour aller travailler chez l’autre ou découvrir de nouvelles cultures, comme pour mieux souligner toute la fécondité d’une Méditerranée ouverte sur le monde.
Notes de bas de page
Auteur
Aix-Marseille Université - CNRS, UMR 7303 Telemme
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