Danses folkloriques, un héritage revisité
p. 164-175
Texte intégral
1Ce travail part d’un constat simple : les fêtes traditionnelles font l’objet en Provence d’investissements affectifs très forts au présent. Revitalisées, réinventées, reconstruites ou relancées, les fêtes se transforment en même temps que les traditions sont revisitées1. Dans ce contexte, de nombreux historiens critiques se sont employés à dénoncer la création ou l’invention de fausses traditions2. Dans une perspective plus compréhensive, pourtant, il paraît intéressant d’essayer de savoir comment de telles inventions fonctionnent, comment elles sont négociées sur le terrain, et ce qu’elles mettent en jeu en termes à la fois politiques, économiques, sociaux, symboliques ou esthétiques. À cet égard, interroger les héritages et les mutations des fêtes du xixe siècle dans les fêtes provençales actuelles permet de poser plusieurs questions clefs : quels usages fait-on aujourd’hui du passé dans les fêtes ? Comment ce passé est-il revitalisé ? Quelles nouveautés, ou au contraire quelles continuités peut-on observer ?
2Dans ce domaine, un dialogue entre l’ethnologie et l’histoire s’avère être particulièrement fécond. À partir du « terrain » de l’ethnographie, en observant les fêtes contemporaines, il est possible de comprendre comment on construit la tradition au présent, et qui la construit. À la différence de la méthode historique classique, il s’agit donc de penser l’histoire à partir du présent. Mais le présent réserve parfois des surprises. Ici, la surprise vient de la redécouverte d’un fonds archivistique qui constitue un nouveau passé3. Comment ce nouveau passé, associé à l’événement de la redécouverte des lettres des maires des Bouches-du-Rhône sous la Restauration, oblige-t-il à repenser l’histoire et l’ethnologie des fêtes provençales ?
3Après avoir envisagé le cas des pratiques ludiques traditionnelles, il s’agit ici de se concentrer sur le cas des danses folkloriques4. Ce cas est exemplaire au regard de la problématique qui vient d’être définie, d’une part parce que les danses sont perçues comme un élément fondamental dans les discours sur l’identité régionale et les traditions, d’autre part parce qu’elles nécessitent un apprentissage par corps, au présent, par des jeunes gens et des jeunes filles souvent très impliqués dans la société contemporaine. Les danses folkloriques qui apparaissent dans les fêtes traditionnelles provençales peuvent donc être appréhendées comme un héritage historique, associé à une grande ancienneté dans l’esprit des pratiquants, mais cet héritage est forcément revisité puisque les danses sont aussi pratiquées au présent. La place des danses folkloriques sur le terrain sera d’abord envisagée en termes ethnographiques. Puis les références aux danses seront étudiées à travers le corpus des lettres des maires. Quelques remarques permettront enfin de montrer la complémentarité de la perspective ethnologique et de la perspective historique dans ce type d’études.
Place des danses folkloriques sur le terrain aujourd’hui
4Afin de fonder l’analyse sur des bases solides, il paraît pertinent de privilégier d’abord une approche pragmatique de ce qui peut être observé sur le terrain aujourd’hui. Malgré le caractère inévitablement réducteur des typologies, il est possible ici de raisonner en termes de types de danses. Quels types de danses peut-on observer dans les fêtes en Provence ? Une distinction sommaire peut ici être faite entre des danses « folkloriques », des danses « traditionnelles » et des danses « populaires ».
Danses « folkloriques »
5Le premier type de danses observable dans les fêtes provençales au présent se rapporte à des danses dénommées « folkloriques », notamment parce qu’elles sont effectuées par des groupes folkloriques dans un cadre spectaculaire. Ces danses, dont les « chivaus-frus » et les « farandoles » constituent des parangons, sont particulièrement présentes dans les nouvelles fêtes thématiques ou lors des festivals de folklore. Exécutées devant un public nombreux, par exemple à l’occasion de la « capelado » qui précède les spectacles taurins, ces danses sont le fait de spécialistes du folklore. Extrêmement codifiées, elles contribuent à une mise en spectacle de l’identité régionale qui se trouve ainsi sacralisée. Artificielles, vues comme exotiques par le grand public, elles n’impliquent pas une participation directe de la population. Autour des danses folkloriques, le public « fait le roudelet », se forme en cercle pour observer, mais ne participe que marginalement. Ici, la part spectaculaire du folklore est évidente, autour de danses qui se perpétuent sans assise sociale solide.
Danses « traditionnelles »
6Parallèlement aux danses folkloriques, les fêtes provençales actuelles connaissent aussi des danses de bal qui peuvent être dénommées « traditionnelles » dans la mesure où elles sont présentes depuis plus d’une génération et font l’objet de processus de transmission. Les bals des fêtes votives les accueillent, plus que ceux des fêtes thématiques ou des fêtes de confréries. Parmi ces danses, on trouve la valse, le paso-doble, le tango, la mazurka, le sirtaki, et même le rock et le jerk. Ainsi, ces danses n’ont pas de lien direct avec la culture régionale provençale mais sont néanmoins « traditionnelles » en ce qu’on les trouve en Provence depuis un temps suffisamment long pour qu’elles soient entrées dans les mœurs. Fortement codifiées, ces danses mobilisent un savoir technique précis mais sont effectuées par des amateurs. La population participe et reproduit ces danses aussi à l’occasion des thés dansants, dans les fêtes associatives, ou dans les fêtes globales comme le 14 juillet ou le Réveillon de la Saint Sylvestre.
Danses « populaires »
7Enfin, il existe des danses qui peuvent être qualifiées de « populaires » sans pour autant être traditionnelles. Ces danses sont contemporaines et diffusées par la culture de masse. Il en apparaît de nouvelles chaque année. Par exemple, la lambada et la macarena, venues d’Amérique du Sud, ont submergé les fêtes provençales à la fin des années 1980, accompagnant en particulier le folklore hispanique des férias. Quelques danses grotesques comme la chenille ou la danse des canards, pratiquées aussi à l’occasion des mariages, apparaissent aussi dans les fêtes votives. Les apéritifs des fêtes votives donnent lieu aussi parfois à l’exécution de chorégraphies collectives. Les hakas, issus du monde du rugby, ont la faveur de la jeunesse et accompagnent certaines chansons paillardes. Certaines musiques, comme l’hymne du club d’aviron de Bayonne, s’écoutent assis en mimant le fait de ramer. La musique du dessin animé « Capitaine Flam » donne lieu à des portés : plusieurs convives portent au-dessus de leurs têtes l’un des participants, qui vole ainsi dans les airs à l’image du héros du dessin animé, bras tendus au-dessus de la foule. Ces danses, souvent licencieuses, profanes, véhiculées par la télévision, forment un nouveau folklore moins codifié et moins mis en scène que l’ancien. Touchant principalement la jeunesse et fortement critiquées par les traditionalistes qui n’y voient que gesticulation anarchique, ces danses sont communes dans les bodégas des férias ou des fêtes votives, mais aussi dans les fêtes privées accompagnant les baptêmes ou les mariages.
Vers la définition d’un répertoire
8Les exemples qui viennent d’être donnés permettent de circonscrire pragmatiquement un répertoire de danses observables dans les fêtes provençales actuelles. Au sein de ce répertoire, il est intéressant de constater que les danses folkloriques proprement dites occupent une place mineure. Cette situation invite alors à se demander comment les danses folkloriques ont évolué depuis deux siècles. Si ces danses se considèrent comme les plus « provençales » et les plus authentiques, qu’en est-il vraiment ? Quelle était leur place dans les fêtes du passé ? Étaient-elles plus spontanées, moins mises en scène, plus populaires ? Le dépouillement systématique du corpus des lettres rédigées par les maires à la demande du préfet Villeneuve, sous la Restauration, permet de donner quelques réponses à ces questions.
Analyse du corpus : présence de la danse dans les lettres des maires
9La lecture de l’ensemble des lettres que les maires des Bouches-du-Rhône avaient adressées au préfet Villeneuve en 1820-1825 et qui viennent d’être éditées permet de se faire une idée assez précise des danses qui étaient pratiquées dans les villages des Bouches-du-Rhône sous la Restauration5. Pour compléter les remarques qui ont déjà été mises à la disposition du public dans la présentation critique des lettres et analyser le corpus disponible, une lecture générale des lettres doit être complétée par une lecture plus précise des réponses à la question no 3 du questionnaire de 1825 concernant les « divertissements de carnaval et les danses particulières au pays ».
Présentation générale
10Sur l’ensemble des réponses fournies par les maires, plus de 75 communes mentionnent des danses et des bals. La plupart du temps, il s’agit de mentions brèves ou elliptiques, quelques mots à peine. Parfois cependant, des témoignages sont plus développés et occupent quelques lignes, voire une demi-page. La question concernant les « danses particulières au pays » ne semble pas avoir été très bien comprise par les maires, qui souvent se récusent comme s’ils voulaient éviter qu’un particularisme quelconque ne soit associé à leur commune. Les danses sont accompagnées en général par des tambours ou des tambourins, plus rarement par des orchestres.
11Les danses sont signalées pour les fêtes votives, dans certains romérages, dans certaines fêtes de Saint-Éloi et surtout en temps de Carnaval. Elles sont présentes aussi lors des mariages et des naissances, lors des bals qui suivent les repas festifs au domicile des familles des nouveaux parents ou des nouveaux mariés. Parfois, comme à Cassis, elles sont présentées comme des pratiques hebdomadaires mais cela semble être une exception. En règle générale la pratique de la danse paraît plus intense l’été et pendant la période qui précède le Carnaval. Les danses, en revanche, sont absentes des fêtes purement religieuses, des fêtes de la Toussaint et de la Noël et des enterrements. Les bals pouvaient être organisés sur les places publiques, dans des « salles vertes » (Mollégès), voire en plein champ (Saint-Rémy, Septèmes). Souvent, danses et bals sont mis en relation avec les jeux gymnastiques qui sont très répandus à l’époque6.
Bals et organisation des fêtes
12Quelques lettres, comme celles d’Aubagne, d’Eyguières ou de Fuveau, témoignent du fait que les danses et les bals étaient organisés par des sociétés locales, en relation directe avec l’organisation des fêtes.
13À Eyguières, pour la fête patronale :
Tous les frais de bals et autres divertissements étaient payés par les deux abbés appelés abbats changés tous les ans et choisis par la jeunesse sous la présidence du juge du lieu qui faisait convoquer les jeunes gens à son de trompe […]. Ces deux abbés nommaient douze mignons et chaque mignon sa mignonne […]. C’était les abbés, les mignons avec leur mignonne qui dansaient les premiers quadrilles.
Cette charge d’abbé occasionnait une grande dépense le jour de Saint-Vérédème parce qu’on trouvait dans chaque bal un éclairage élégant, des rafraîchissements, beaucoup de musiciens ; mais ils étaient couverts de ces frais par le cadeau en argent qu’ils recevaient de chaque mariage qui se faisait dans l’an.
14À Fuveau, pour le romérage de la Saint-Roch :
Plusieurs jeunesses se chargent du train moyennant un certain tribut qu’ils donnent pour les pauvres. Chacun de ces officiers se décore d’une plume blanche au chapeau et d’une écharpe à la ceinture […]. Après le dîner, messieurs les officiers vont mettre le bal dans une place, la plus propre à cela, et toute la jeunesse danse, après de contredanse de quatre, six à huit paires, au son des tambourins jusqu’au soir.
Des épingles pour financer les fêtes
15Les bals étaient importants dans les fêtes car ils permettaient de financer ces dernières. Le mode de financement le plus répandu était la vente d’épingles, à propos desquelles on trouve des renseignements dans une dizaine de communes (Berre, Cabriès, Châteauneuf-le-Rouge, La Penne, Meyrargues, Peypin, Peyrolles, Septème, Ventabren). Le principe de la vente des épingles est de les faire surpayer par les danseurs, qui les offrent à leurs cavalières et financent du même coup la fête.
16À Meyrargues, pour le romérage de Saint-André :
Cette fête dure tout le lendemain et plus elle dure, plus elle rapporte au saint, attendu que les prieurs ou fabriciens font une grande provision de paquets d’épingles qu’ils font danser ; en sorte que chaque paquet payé par les danseurs le quadruple de ce qu’il a coûté, fait un bénéfice réel qui sert à acquitter les dépenses de la fête et l’excédant de ce bénéfice est versé dans la caisse du saint pour les besoins de son culte pendant l’année.
17À Peyrolles, pour la Saint-Éloi :
La danse a lieu sous les arbres qui ornent notre place publique et 60 ou 80 couples de danseurs environnent pendant 16 heures par jour les tréteaux préparés pour l’orchestre […]. Le tarif des contredanses est de 20 sous pour lesquels les prieurs donnent un paquet de 25 épingles à la dame. Il arrive souvent que les cavaliers veulent se montrer plus généreux et le prieur leur donne alors des paquets d’épingles de 2, 3, 4 ou 5 F. La dame ne peut les refuser, la persévérance du beau sexe pour cet amusement est si forte, que l’on a souvent vu des femmes danser les contredanses pendant les trois jours ; aussi il n’en est pas une qui peut faire une lieue au sortir de ce prétendu amusement.
18À Septème, de même, pour la Sainte-Anne :
Les prix sont fournis par trois ou quatre individus qui se chargent de tous les frais qu’occasionnent les danses ou les jeux […]. Moyennant la vente à leur bénéfice de papiers d’épingles que chaque danseur paye pour offrir à sa danseuse. Cette distribution non seulement les indemnise de toute dépense mais encore produit une somme suffisante pour leur permettre de se réunir en certain nombre dans le lieu du pays où l’on trouve la meilleure chère.
19Le prix des épingles, qui ouvre sur une histoire économique de la fête, pouvait varier puisqu’il était surtout symbolique. On trouve la somme de 20 sous à Peyrolles, celle de 7 sous à Peypin. À Meyrargues pour la Saint-Éloi, les marguilliers « dirigent eux-mêmes les bals et distribuent à chacune des dames qui composent la contredanse un petit paquet de 40 épingles moyennant la rétribution de 20 centimes à laquelle est rigoureusement soumis chaque cavalier ».
Ce que révèlent les lettres des maires
20Les exemples qui viennent d’être présentés sont riches d’enseignements. Ils montrent en effet les relations entre danse et organisation des fêtes. Mais les danses révèlent aussi des éléments relatifs aux rapports de genre et aux jugements moraux sous la Restauration, à une époque où l’ordre moral est redevenu une priorité après les années postrévolutionnaires. De plus, le corpus des lettres permet de réfléchir en termes de typologie et d’évolution des répertoires.
Danse, rapports de genre et jugements moraux
21Les bals et les danses laissent deviner la nature des rapports de genre parmi la jeunesse. La lettre du maire d’Eyguières évoque l’institution des « mignons » et des « mignonnes ». À Maillane, le capitaine, l’abbé et le lieutenant de la jeunesse « se choisissaient chacun une bouquetière ». Les principales fonctions des organisateurs des fêtes « étaient de marcher en tête de leurs camarades conviés et d’aller prendre les bouquetières et leurs convives chez elles pour les mener en leur donnant le bras, soit à l’église lorsqu’il fallait assister aux offices, soit aux bals ou spectacles lorsqu’il fallait se divertir ». À Saint-Mitre, à l’occasion des naissances, la licence était peut-être plus grande encore puisque : « À l’issue du bal chaque garçon accompagne la demoiselle avec laquelle il a assisté à la cérémonie à la maison d’icelle. »
22Parce qu’elles favorisent les fréquentations prénuptiales et les accordailles, les danses font l’objet de jugements moraux et de condamnations. Les maires les décrivent tantôt comme peu amusantes (Aureille), tantôt au contraire comme amusantes (Jouques), divergence de points de vue qui laisse imaginer la difficulté que les maires éprouvaient à présenter au préfet des coutumes locales par ailleurs condamnées par la morale religieuse. Pour le maire de La Fare, le Carnaval offre « des masques grotesques, des farandoles bizarres ». Les maires notent leur évolution depuis l’Ancien Régime et font référence à demi-mot aux condamnations religieuses de la danse.
23À Berre, à propos du Carnaval, le maire déclare :
Les danses rien de particulier, il n’y a guère que les filles des campagnes qui dansent au son du tambourin les dimanches et fêtes. Elles vont assez ordinairement avec la même liberté que les hommes sans être accompagnées ; la majeure partie de celles de la ville ne danse plus depuis l’établissement des congrégations.
24À Saint-Chamas, le maire laisse un peu mieux deviner la nature du débat :
Beaucoup de prêtres professent aujourd’hui des principes d’une excessive rigueur, ce qu’il faut attribuer au relâchement des mœurs né de la Révolution auquel on a senti la nécessité de mettre un frein par une plus grande exigence. La vierge pure qui fut infidèle à Terpsichore est unie aux pieds de l’autel de la vierge mère entourée de ses compagnes qui chantent des cantiques et reçoit avec leurs félicitations un bouquet qui est le prix de sa vertu et de sa persévérance. La vierge folle, celle qui ne put dire adieu à des plaisirs profanes et quelquefois voluptueux n’a point droit à la rose ni aux cantiques et n’approche point de l’autel de celle qui est le modèle des vierges et des mères.
Cet usage a mécontenté non seulement les jeunes filles mais la plupart des parents : nos pères ne proscrivirent point la danse qui est naturelle à l’homme, puisqu’elle est de tous pays, de tous les temps ; on dansait sur les places publiques […] : cette publicité prévenait toute indécence, tout danger pour les mœurs ; aujourd’hui on se réunit dans des guinguettes hors de la ville où la jeunesse est en quelque sorte livrée à elle-même, dans un temps où la danse a pris un caractère plus lascif et plus voluptueux. C’est ainsi qu’un exercice qui pourrait n’être qu’innocent et favorable à la santé tend à la dépravation des mœurs.
Danses, farandoles et mascarades
25En termes lexicographiques, trois termes différents désignent les pratiques dansées dans les fêtes provençales du début du xixe siècle : les « danses » proprement dites, les « farandoles » et les « mascarades » qui comprennent des éléments chorégraphiés. Ce lexique est intéressant car il suggère des évolutions et des glissements de sens : ce qui est désigné ici sous le nom de « mascarades », et qui recouvre les farces et les amusements du Carnaval, rejoindra puis emblématisera la danse populaire provençale dans les groupes folkloriques qui naîtront à partir de la fin du xixe siècle, tandis que la farandole populaire se transformera en danse savante.
26Les « danses » à proprement parler sont les « valses » (parfois transcrit comme « walse ») et les « contredanses ». Elles ne sont pas perçues comme « particulières au pays », ce qui est conforme à leur origine étrangère : la valse est venue d’Allemagne avec les campagnes napoléoniennes et la contredanse vient de la « country-dance » anglaise. Ces danses, qui ont remplacé le menuet et le rigodon de l’Ancien Régime selon le maire de Miramas, sont des danses de bals. Elles sont effectuées pour les fêtes patronales, pour les Saint-Éloi, en temps de Carnaval, etc., lors des bals organisés par les différentes sociétés locales.
27Comparativement, les « farandoles » seraient selon le maire d’Arles un « genre de danse particulière au troisième arrondissement. Elles consistent en une chaîne que forment les personnes de l’un et l’autre sexe en se prenant les mains les unes aux autres et elle se prolonge le long des rues en dansant au son des tambourins, des tambours, fifres, etc. ». Il est vrai que les farandoles sont très présentes dans cet arrondissement (Barbentane, Boulbon, Eyragues, Maillane, Tarascon), mais elles existent aussi ailleurs, surtout en Carnaval (Saint-Chamas) et assez communément à l’occasion des naissances ou des mariages. À la différence du bal qui est établi sur un lieu fixe, les farandoles sont itinérantes : on « va en farandole » d’un point à un autre du village.
28Enfin, les « mascarades » appelées parfois « masques » sont mentionnées à de nombreuses reprises. Dissociées des danses dans la terminologie de l’époque, il convient cependant de les intégrer au répertoire dansé car la plupart d’entre elles ont rejoint le genre des danses folkloriques par la suite. De nombreux maires se contentent d’en signaler l’existence ; mais dans plusieurs cas elles donnent lieu à des descriptions un peu plus développées.
Le répertoire des mascarades
29La danse des « bouffets », qui utilise des soufflets pour attiser le feu, fait typiquement partie des « mascarades » mentionnées par les maires. À Alleins, pour le Carnaval :
On exécute le premier jour de carême une danse qui n’est, je crois pas usitée, dans beaucoup de communes du département. C’est la farandole qu’on appelle dei bouffé. Les acteurs sont chacun armés d’un soufflet et parcourent le pays en chantant une chanson particulière à cette danse, suivie du tambourin.
Les exécutants, en caleçon, bonnet de coton et chemise flottante au vent, ayant chacun un soufflet dans les mains, se poursuivent en cadence à la queue leu leu en chantant des couplets de circonstance.
30Autre mascarade à connotation burlesque, les « chivaus frus », chevaux de carton adaptés à la ceinture des hommes qui dansent au son du tambourin, sont mentionnés même s’ils ont parfois disparu comme à La Ciotat, où la Saint-Jean et la Saint-Éloi « étaient jadis égayées par la danse connue des chevaux fruz. Elle était exécutée par des hommes de peine qui se fatiguaient tellement pendant ces deux jours qu’ils étaient souvent hors d’état de travailler pendant une semaine ».
31De nombreuses autres mascarades existent, parmi lesquelles les fileuses et les cordelles sont apparemment les plus répandues. Les « fieloues » (fileuses, ou quenouilles) sont une danse où les danseurs, couverts de camisoles bariolées ou habillés en femmes, portent une quenouille garnie d’une lanterne de papier coloré. Munis de ces quenouilles éclairées intérieurement par des bougies allumées, les danseurs entouraient un arlequin ou bouffon portant un habit de petits grelots et qui sautait et dansait avec pour mission de distraire l’assistance avec ses gambades7. Cette danse est mentionnée à Cuges, Éguilles, Roquevaire ou Peynier par exemple. Les « cordelles » sont des rubans ; les danseurs arrivent à la file pour se placer autour d’un poteau d’où pendent des rubans de toutes les couleurs. Chaque danseur saisit un ruban et s’écarte du mât puis, tout en dansant, ils font un tour complet de façon à entrecroiser les rubans autour du mât8.
32Les « bergères » et les « amazones » sont aussi mentionnées à Cuges, variantes de mises en scène rustiques ou champêtres qui semblent avoir été communes à l’époque. De même, la danse des olivettes et la danse des jardinières sont attestées à Roquevaire. Les « olivettes » sont une danse où seize jeunes gens, déclarés romains ce jour-là et dirigés par un officier, s’avancent sur deux rangs, précédés par un héraut d’armes et un arlequin, en dansant sur une place où ils engagent un combat risible avec des pistolets de paille et des sabres de bois9. Quant à la danse des « jardinières », elle serait à mettre en relation avec la danse des « treilles » connue dans le Languedoc10.
33Enfin, d’autres danses ou mascarades dansées existent. Souvent mentionnées une seule fois dans le corpus, elles témoignent cependant aussi de la richesse du répertoire. Le maire d’Istres signale ainsi les « jarretières », les « moresques » et les « épées » ; celui de Pélissanne le « congo » qui termine les contredanses lors des bals du Carnaval. À Trets, enfin, les « arts et métiers » sont signalés comme « masque », ce qui laisse imaginer des saynètes ou des processions utilisant les emblèmes et les attributs des corporations. En ville, à Aix, à Salon ou à Tarascon, ce type de jeux se prolonge dans les jeux de la Fête-Dieu11.
Remarques sur les transformations des danses provençales
34La mise à disposition du corpus qui vient d’être présenté ne peut pas laisser indifférent car elle impose une relecture de l’histoire des danses folkloriques provençales. À cette fin, quelques remarques méritent d’être formulées. Ces remarques concernent la terminologie et l’évolution du répertoire, ainsi que le contexte de compréhension des danses du corpus étudié.
Terminologie et évolution du répertoire
35La comparaison de l’ethnographie des fêtes provençales contemporaines et du corpus des lettres permet de préciser la place et le statut des danses dites « folkloriques ». D’abord, cette comparaison fait apparaître que les danses actuellement qualifiées de « folkloriques » étaient plutôt connues en 1825 comme « mascarades », dans un contexte où le terme « folklore » n’existait pas encore12. Parallèlement, il existait sous la Restauration des danses « traditionnelles », plus ou moins récemment importées. Tel était le cas de la valse, ramenée d’Autriche en 1795, mais aussi des contredanses, menuets et autres rigodons connus à la cour des rois de France et passés dans les usages au début du xixe siècle. Quant aux danses « populaires », il semble bien que c’étaient les farandoles qui jouaient ce rôle.
36D’un point de vue terminologique, il paraît donc possible d’établir le système de correspondances suivant : les pratiques dénommées simplement « danses » en 1825 correspondent aux danses « traditionnelles » des bals actuels ; les farandoles de 1825 correspondent aux danses « populaires » de la jeunesse d’aujourd’hui ; les « mascarades » de 1825 sont devenues les danses « folkloriques » théâtralisées des fêtes contemporaines.
37Entre temps, cependant, folkloristes et ethnologues ont souvent brouillé les pistes, ce qui rend difficile une comparaison terme à terme. Par exemple, la farandole est devenue une danse savante au milieu du xixe siècle, codifiée et reconstruite par les maîtres de danse. Dans les années 1930, ainsi, les groupes de farandoleurs réalisent les trois types de danses – traditionnelles, populaires et folkloriques – dans leur répertoire, à telle enseigne que le terme de farandole perd son sens originel et recouvre deux acceptions bien différentes : danse en chaîne classique d’une part, ensemble de chorégraphies réglées et spécialisées d’autre part13.
38Par ailleurs, les pratiques chorégraphiques régionales ont fait entre temps l’objet d’approches interprétatives et savantes qui ont envisagé le sens des danses indépendamment des conditions sociales et du contexte où elles sont effectuées. Cette tendance commence avec le travail ethnographique et lexicologique de Frédéric Mistral, qui attribue à la farandole une origine grecque mythique en la reliant au terme « phalandoulos », ce terme désignant les chaînes que l’esclave rompt en quête de liberté14. Durant la première moitié du xxe siècle, la tendance s’intensifie avec les travaux de Fernand Benoit, qui prête lui aussi à la danse des caractères antiques ou primitifs et insiste sur les vertus agraires et magiques des sauts15. En étudiant l’exemple des « chivaus frus », Marcelle Mourgues va plus loin encore et fait remonter les danses folkloriques à la Préhistoire16. Les hommes auraient d’abord imité le cheval avant d’en faire un symbole. Tout au long de cette période, les spécialistes discutent aussi de la possible origine maure des danses « moresques » ; les partisans de l’origine maure et médiévale des danses provençales s’opposent alors aux partisans de l’origine grecque antique17. Face à ce type de conjectures et d’interprétations abusives, il convient alors de revenir à des approches plus empiriques.
Les danses entre religion et folklore
39Pour dépasser l’évolutionnisme des folkloristes, la tâche la plus urgente consiste à rapprocher les matériaux ethnographiques contemporains et les archives disponibles, pour essayer de préciser le sens que les acteurs donnent à ce qu’ils font. Pour la période de la Restauration, les historiens des religions ont bien montré que les danses étaient pratiquées sur fond de condamnation morale. Les curés refusaient l’absolution aux filles qui ne voulaient pas renoncer à danser. À Saint-Sauveur, dans la Loire, en 1825, un frère mariste traite les danseuses de « torchons de cabaret ». Il jette un crucifix à terre en défiant les danseurs de marcher dessus s’ils l’osent18. La valse, surtout, est considérée comme « excitation à la débauche », car elle est une danse par couples, au rythme rapide, à la musique enivrante. Le curé d’Ars dira plus tard que « la danse est la corde par laquelle le démon traîne le plus d’âmes en enfer19 ».
40Mais de nombreux ecclésiastiques adoptent vis-à-vis de la danse une attitude plus pragmatique. Dans le Manuel d’un jeune prêtre publié en 1827 à Montpellier, un certain M. Bastet conseille de ne pas attaquer ouvertement les danseurs : « Tous les jours, on tolère ou l’on permet un moindre mal pour en éviter un plus grand20. » De même, selon un curé de Liévin, en 1835 : « On dansera probablement jusqu’à la fin du monde, vouloir s’y opposer c’est tenter l’impossible21. » Ces curés tolérants considèrent aussi qu’en milieu rural : « La surveillance de mille paires d’yeux attentifs à la moindre idylle était sans doute, autour du bal, la meilleure protection pour la moralité des danseurs22. » Enfin, pour certains, la danse constitue un pis-aller face à l’oisiveté, mère de tous les vices.
41Deux siècles plus tard, évidemment, le contexte a changé. Dans les années 1970 le mouvement du « revival folk » a complètement réinventé les danses folkloriques. En Provence, les « balèti » des années 1970 présentaient un riche répertoire composé de farandoles, rigaudons, quadrilles, contredanses, voltas et cotillons. Cette culture régionale était valorisée avec l’idéal du « Viéure et travailla aù païs23 ». De nos jours, les danses sont amenées à se positionner par rapport à ces antécédents récents. Il existe différentes fédérations et différents groupements24. Selon les cas, les pratiquants se réclament du « revival folk » des années 1970 ou valorisent des moments et des systèmes de codification folkloriques antérieurs. L’appartenance ou non à la mouvance du Félibrige, la revendication d’une identité « provençale » ou « occitane », l’allégeance à certaines lignées de maîtres de danse, le fait de pratiquer ou non le « spectacle » et de se produire dans certains festivals comme le festival de folklore de Martigues, l’appartenance à des micro-territoires distincts, etc., forment une trame qui structure un espace social d’une extraordinaire complexité.
42Ainsi, ce qui apparaît de l’extérieur comme un phénomène mineur, minoritaire, et peut-être même dérisoire ou « folklorique » au mauvais sens du terme, peut en réalité servir de révélateur pour étudier la construction des sentiments d’appartenance régionaux et les processus d’esthétisation associés à la revendication d’une identité régionale. Une même forme dansée peut alors être mise en relation avec des systèmes de signification très différents. Des pratiquants sont divisés malgré une proximité apparente, ce qui demande à être interprété.
Conclusion
43Face aux difficultés posées par les transformations du contexte, et face aux conflits d’interprétation dont la tradition et le folklore sont l’objet, l’apparition de nouvelles sources anciennes comme le corpus de lettres analysé ici est une véritable bouffée d’oxygène. Les lettres de 1825 peuvent permettre d’arbitrer les querelles de légitimité dans lesquelles sont trop souvent englués les acteurs contemporains du folklore régional. Pour autant, l’apparition de nouvelles sources ne devrait pas servir à poser de nouvelles normes. Dans les lettres, en effet, c’est souvent le silence et l’absence de renseignements qui est caractéristique. Cela intime la prudence. La plupart du temps, les conflits internes au mouvement folklorique ont été suscités par des divergences d’interprétation a posteriori. C’est pour cette raison même qu’un retour aux sources est toujours salutaire. Il nous montre ici que la vérité historique se réduit à bien peu de choses, en matière de danses folkloriques. Le revivalisme profite de ce fait d’une marge d’incertitude importante, permettant potentiellement d’intégrer au patrimoine régional des apports culturels très divers.
Notes de bas de page
1 Sur ce mouvement général, cf. pour l’Europe Jeremy Boissevain éd., Revitalizing European rituals, Londres et New York, Routledge, 1992 ; pour la Provence Laurent-Sébastien Fournier, La fête en héritage : enjeux patrimoniaux de la sociabilité provençale, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2005 ; pour les danses traditionnelles du domaine français, Yves Guilcher, La danse traditionnelle en France : d’une ancienne civilisation paysanne à un loisir revivaliste, Paris, Ed. Modal folio, FAMDT, 1998.
2 Cf. au premier chef l’ouvrage d’Eric Hobsbawm et Terence Ranger, dir., The invention of tradition, Cambridge university press, 1983.
3 Cf. l’ensemble des lettres des maires des Bouches-du-Rhône sous la Restauration publié par François Gasnault, Pierre Gombert, Félix Laffé et Jacqueline Ursch, dir., Récits de fêtes en Provence au xixe siècle. Le préfet statisticien et les maires ethnographes, Marseille, Archives départementales des Bouches-du-Rhône / Milan, Sivana Editoriale, 2010.
4 Sur le cas des jeux, le lecteur se reportera à Laurent-Sébastien Fournier, « Courir, sauter, lutter. Jeux et réjouissances profanes des fêtes provençales (1820-1825) », dans F. Gasnault, P. Gombert, F. Laffé et J. Ursch, dir., Récits de fêtes en Provence…, op. cit., p. 53-65.
5 F. Gasnault, P. Gombert, F. Laffé et J. Ursch, dir., Récits de fêtes en Provence…, op. cit. Sur les danses, en particulier Régis Bertrand, « Une source d’exception sur la vie sociale et religieuse de la restauration », ibid., p. 86-87.
6 Cf. L.-S. Fournier, « Courir, sauter, lutter... », op. cit., p. 53-65.
7 Comte [Christophe] de Villeneuve[-Bargemont], Statistique du département des Bouches-du-Rhône, Marseille, Impr. d’Antoine Ricard, 4 vols., 1812-1829, t. III, 1826, p. 210.
8 Ibid., t. III, p. 209.
9 Ibid., t. III, p. 207-208.
10 F. Gasnault, P. Gombert, F. Laffé et J. Ursch, dir., Récits de fêtes en Provence…, op. cit., p. 308.
11 Michel Vovelle, « Les avatars d’une fête dans la longue durée. Les jeux de la Fête-Dieu à Aix-en-Provence », dans La fête, pratiques et discours, Paris, éd. des Annales littéraires de l’université de Besançon, Centre de recherches d’histoire ancienne, vol. 42, 1981, p. 167-181.
12 Le terme « folklore » est un néologisme forgé par William J. Thoms en 1846. Voir Michael Herzfeld, Ours once more. Folklore, ideology and the making of modern Greece, New-York, Pella, 1986 (Première édition 1982, The Texas University Press).
13 Sur l’histoire de la farandole, Francine Lancelot, Les sociétés de farandole en Provence et Languedoc, EHESS-Université de Paris I, Thèse d’histoire sous la dir. de J. Greimas, 1973 ; sur l’histoire des groupes folkloriques en France, Marie-Thérèse Duflos-Priot, Un siècle de groupes folkloriques en France, Paris, L’Harmattan, 1995.
14 Frédéric Mistral, Lou Trésor dóu Félibrige, dictionnaire provençal/français, 2 vol. Barcelone, Edicioun Ramoun Bérenguier, 1968 (éd. or. 1879-1887).
15 Fernand Benoit, La Provence et le Comtat Venaissin, Paris, Gallimard, 1949.
16 Les textes de cet auteur ont été réédités dans Marcelle Mourgues, Études provençales. Histoire, folklore, ethnographie, Nice, Éditions ADEM 06, 2001.
17 Sur l’origine « maure » des danses européennes, de nombreuses sources sont disponibles.
La possible origine sarrasine de la « sarabande » est discutée en relation avec les valeurs de sensualité qu’elle porte par Virginie Valentin, De fille en aiguille. Figures du féminin et façonnage du corps dans la danse classique, Université de Toulouse II-Le Mirail, Thèse d’anthropologie, 2005, p. 80-87. La danse folklorique anglaise dénommée « matachin », à la mode en Europe à la fin du xvie siècle, viendrait de l’Arabe « mutawajjihin » signifiant « personnes masquées », J. Forrest, Morris and Matachin. A study in comparative choreology, Sheffield, CECTAL Publications no 4, 1984, p. 34-35. De même, les danses anglaises de type « morris dances » seraient à rapprocher des « mauresques », H. Rippon, Discovering English Folk Dance, Princes Risborough, Shire Publications Ltd., 1993 (1975).
18 Gérard Cholvy, « La religion, la jeunesse et la danse », dans Adeline Daumard, dir., Oisiveté et loisirs dans les sociétés occidentales au xixe siècle, Abbeville, Centre de recherche d’histoire sociale de l’Université de Picardie, 1983, p. 137-138.
19 Ibid., p. 141.
20 Ibid., p. 140.
21 Ibid., p. 143.
22 Loc. cit.
23 Lucienne Porte-Marrou, « Qu’est-ce que la danse dite « traditionnelle » en Provence ? », dans Guide Provence Alpes Côte d’Azur des musiques et danses traditionnelles et musiques du monde, Avignon, Presses du Soleil, Régie Culturelle Régionale, 2002, p. 56-63.
24 Cf., le travail d’inventaire réalisé par l’agence Arcade à l’échelle régionale en Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Auteur
Aix Marseille Université - CNRS, UMR IDEMEC
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