Introduction
p. 5-7
Texte intégral
1Les études qui sont ici rassemblées ont été présentées lors d’un colloque organisé par les Archives départementales des Bouches-du-Rhône, dirigées par Jacqueline Ursch et précédemment par François Gasnault, le Museon arlaten, dirigé par Dominique Serena-Allier, et l’UMR 7303 Telemme (Université d’Aix-Marseille-CNRS) de la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme, alors dirigée par Jean-Marie Guillon. Tenu les 2, 3 et 4 décembre 2010, tour à tour à Marseille, Aix et Arles1, il a clos les manifestations qui ont marqué aux Archives des Bouches-du-Rhône, dans leur centre de Marseille, une année consacrée à l’étude de la fête provençale. D’abord, par l’édition critique de l’ensemble des réponses des maires du département aux deux enquêtes de 1820 et 1825 du préfet Christophe de Villeneuve sur « les usages et les fêtes », destinées à la préparation de la Statistique des Bouches-du-Rhône2. Puis par l’exposition « Jours de fête », organisée par les Archives et le Museon arlaten3, qui a présenté un ensemble exceptionnel de documents d’archives, d’images et d’objets – nombre de ces derniers avaient été collectés par Frédéric Mistral lui-même. Enfin par des conférences et manifestations tout au long de l’année. Le but de la rencontre finale était de croiser dans un cadre universitaire le regard d’historiens et d’ethnologues sur la fête en Provence, soixante ans après la publication du livre de Fernand Benoit (1892-1969), La Provence et le Comtat venaissin4. Cette œuvre d’un chartiste qui fut conservateur du Museon arlaten avant de se spécialiser définitivement dans l’archéologie antique constitue une étape de l’historiographie des deux disciplines, car F. Benoit s’est efforcé de donner une dimension historique à des données qui relevaient du « folklore », comme l’on disait encore alors.
2Sur un vaste sujet qui a déjà fait l’objet de quelques maîtres livres, nous avions fait le choix de ne pas revenir sur des aspects qui ont été déjà traités par ailleurs. Était-il par exemple utile de réexaminer longuement les rapports entre pouvoirs civil et religieux au xixe siècle à l’occasion des cérémonies publiques du culte, ces moments où « l’Église est dans la rue », alors qu’un colloque sous ce titre s’est tenu naguère à Limoges à l’initiative de Paul d’Hollander, qui a lui-même consacré à la question un livre devenu classique5 ? Il ne semblait guère opportun non plus d’insister sur les fêtes de Noël, objet d’une bibliographie surabondante et d’une tentative de synthèse publiée par l’un de nous dans un volume précédent de la collection Le temps de l’Histoire6. D’autant que la publication des actes offrait l’occasion de récapituler à grands traits, dans une étude introductive, l’état des connaissances et la bibliographie disponible.
3Nous avons sollicité les auteurs de recherches récentes, souvent très novatrices par leurs problématiques, leurs méthodes et leurs conclusions, en privilégiant la variété des approches et des spécialités autour de ce qui constitue un des aspects les plus dynamiques du patrimoine régional vivant. Le questionnement qui leur fut soumis était double. D’une part la nature et la place des fêtes dans la vie provençale d’autrefois et de naguère, dans une perspective qui prenne en compte leurs évolutions et aussi les créations festives. La particularité provençale nous semblait résider dans la présence et l’action du Félibrige, son discours sur la fête, ses tris festifs, sa codification et la participation de ses maintenances à l’organisation ou l’animation de certaines fêtes. Nous les interrogions aussi sur la permanence et les mutations de cet héritage dans les fêtes provençales contemporaines. Comment certaines de ces fêtes ont-elles été périodiquement revitalisées, avec quels moyens, et pour quels enjeux ? Quels éléments festifs nouveaux sont apparus ? Il s’agissait en particulier de comprendre comment les fêtes codifiées à l’époque de Villeneuve et Mistral continuent d’avoir une actualité dans la Provence contemporaine. Que ceux qui ont accepté de répondre sachent notre gratitude pour leur participation et leur apport. Nous tenons également à remercier les deux maîtres qui symbolisent dans leur discipline respective l’étude de la fête provençale, Michel Vovelle et Christian Bromberger, d’avoir présidé des séances7.
4 Nous avons proposé d’adopter une acception large de la notion de fête, proche des usages courants actuels, qui résulte à la fois d’une stratification historique et d’une évolution. Le sens ancien, fourni d’emblée par E. Littré dans son entrée Fête est : « Jour consacré à des actes de religion, cérémonies par lesquelles on célèbre ce jour ». Il insiste sur l’origine religieuse de la plupart des fêtes, souligne l’importance qu’eut longtemps et parfois encore aujourd’hui la célébration liturgique. Il implique l’existence de « fêtes austères », pour reprendre une expression empruntée au calendrier des fêtes juives. Ainsi la fête du vendredi saint ou du 2 novembre, le jour des morts. Et aussi certaines fêtes annuelles dépourvues de références religieuses, apparues au cours de l’époque contemporaine, qui commémorent non pas un événement de l’histoire sainte mais un fait marquant ou un moment de l’histoire de France, dont la collectivité souhaite transmettre la mémoire. Néanmoins le terme neutre de « journée » tend aujourd’hui à s’imposer lorsque ces fêtes rappellent un souvenir tragique : ainsi le « 11 novembre », dont les cérémonies ont pour support les monuments aux morts de la guerre de 1914-1918 et qui a presque d’emblée commémoré non la fin du conflit mais le « sacrifice de ses héros ». C’est que la notion de fête a tendu de plus en plus à être connotée par celle de réjouissances, qu’elles soient publiques ou privées. La fête est même réduite à une occasion momentanée d’allégresse ou de félicité lorsque la cérémonie religieuse ou civique est marginalisée ou oubliée. Le mot anglais festival, doublet de feast, désignait initialement une grande manifestation musicale qui ne commémorait ni saint ni héros ni victimes mais suscitait chez ses auditeurs une jouissance esthétique. S’il reste souvent lié à une manifestation culturelle, il connaît aussi un usage à motif gastronomique qui le rapproche des réjouissances festives : La truffe fait son festival était le titre des journées d’animations organisées à Carpentras les 1er et 2 février 2013 en l’honneur du célèbre marché du vendredi matin8.
5Non moins révélatrice est la carrière à éclipse du terme « festivité », attesté au Moyen Âge avec le sens d’allégresse, qui disparaît au xvie siècle, est ranimé à l’époque romantique et entre progressivement dans les dictionnaires (il ne figure que dans le supplément posthume du Littré). Le dictionnaire de Robert fournit la définition jugée vieillie d’« atmosphère (éclat ou gaieté) propre à un jour de fête » et un emploi usuel de réjouissances « avec une nuance légèrement emphatique ou ironique ». L’exemple donné est : « Festivités à l’occasion d’une foire, d’un congrès ». Il est significatif de la large extension de la notion actuelle : tel « événement » (pour user du vocabulaire des communicants d’aujourd’hui) commercial, scientifique, voire associatif, comporte désormais un « volet festif » (même remarque). Indice sans doute que la fête est « besoin social9 ».
Notes de bas de page
1 La première séance du colloque, le 2 décembre, eut pour thème la collecte documentaire et l’élaboration des Statistiques. Elle a fait l’objet d’une livraison de Provence historique, « Les statistiques du Sud-Est. Décrire un espace et la vie de ses habitants », t. 62, fasc. 249, juillet-septembre 2012.
2 François Gasnault, Pierre Gombert, Félix Laffé et Jacqueline Ursch, dir., Récits de fête en Provence au xixe siècle. Le préfet statisticien et les maires ethnographes, Marseille, Archives départementales des Bouches-du-Rhône-Milan, Silvana Editoriale, 2010, 439 p.
3 Jours de fêtes en Provence, exposition aux A. D. des Bouches-du-Rhône (Marseille), 26 mai- 23 décembre 2010.
4 Fernand Benoit, La Provence et le Comtat venaissin, Paris, Gallimard, 1949 – on sait son rôle initial dans l’élaboration par Maurice Agulhon du concept de sociabilité. Maurice Agulhon, Pénitents et francs-maçons de l’ancienne Provence, Paris, Fayard, 1968 et rééd. 1984, p. 15-16.
5 Paul d’Hollander, dir., L’Église dans la rue : les cérémonies extérieures du culte en France au xixe siècle, actes du colloque de Limoges, 23 au 24 mars 2000, Limoges, Presses Universitaires de Limoges, 2001. Paul d’Hollander, La bannière et la rue. Les processions dans le Centre-Ouest au xixe siècle (1830-1914), Limoges, id., 2003.
6 Régis Bertrand, « La Noël en Provence à l’époque contemporaine », dans Régis Bertrand, dir., La Nativité et le temps de Noël, xviie-xxe siècle, actes du colloque d’Aix, MMSH, 7-9 décembre 2000, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2003, p. 198-212.
7 Michel Vovelle, Les Métamorphoses de la fête en Provence de 1750 à 1820, Paris, Aubier-Flammarion, Bibliothèque d’ethnologie historique, 1976. Christian Bromberger, « Ethnographie » dans R. Bertrand, C. Bromberger, Jean-Paul Ferrier et al., Provence, Paris, C. Bonneton éditeur, coll. Encyclopédies régionales, 1989, p. 85-249, en particulier « La fête et les divertissements collectifs », p. 229-247. Nous citons ici la première édition, qui renferme p. 88-93 un précieux historique de la recherche ethnologique en Provence. Ces pages n’ont pas été reprises dans la réédition refondue de 2002.
8 À noter que la quatrième de couverture de l’étude de Michèle de la Pradelle, Les Vendredis de Carpentras. Faire son marché en Provence ou ailleurs, Paris, Fayard, 1996, qualifie le principal marché de la ville, celui qui n’est pas réservé aux professionnels et à la truffe, de « moment de fête ».
9 « La fête, besoin social », était le titre de la livraison, remarquée en son temps, du no 157, octobre 1973, d’Après-demain, journal mensuel de documentation politique, publié par la Ligue des Droits de l’Homme, étape de la réévaluation de la fête dans la décennie 1970.
Auteurs
Aix Marseille Université - CNRS, UMR TELEMME
Aix Marseille Université - CNRS, UMR TELEMME
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