Le mécénat des princesses arméniennes
p. 249-272
Résumés
Malgré l’intérêt porté sur l’histoire des femmes et au développement des études de genre, le mécénat féminin en Arménie n’a guère été exploré, de même que le statut de la femme, en tant que phénomène historique. Cette étude propose une première approche du mécénat des femmes aristocratiques arméniennes à partir d’une série d’exemples du viie au xive siècle. L’évergétisme sacré apparaît constamment comme un puissant moyen d’affirmation sociale et d’exercice d’autorité. Outre la piété et le prestige personnel, la fondation d’églises semble également un moyen de protection de la fortune des veuves et un investissement privilégié de la dot individuelle des épouses qui ne se confondait pas avec le patrimoine du clan de leur époux. Contrairement au reste du monde médiéval, ce mécénat est distinct d’un monachisme féminin régulier qui n’est guère attesté en Arménie où des femmes consacrées ne sont en réalité qu’affiliées à des communautés monastiques d’hommes. Le patronage féminin en Cilicie se distingue par son intérêt particulier pour le livre, ce qui semble refléter un niveau considérable de culture écrite chez les femmes aristocrates. En tous cas, l’absence caractéristique de représentation figurée monumentale, réservée aux donateurs mâles, reflète le statut social ambigu des femmes arméniennes.
Patronage of Armenian Princesses
In spite of the recent surge of studies on women and gender in pre-modern societies, the patronage and the status of medieval Armenian aristocratic women has been hitherto overlooked. This preliminary study of patterns of female aristocratic patronage in medieval Armenia from the 7th to the 14th century argues that patronage was not only a means of social representation but also a strategy and aimed at protecting the assets of widows and investing the dowry of married women independently of their husband’s extended families. Unlike other medieval societies, patronage in Armenia developed independently of female monasticism, which is unattested in the region until modern times. Female patronage in Cilicia stands apart for its particular interest in manuscripts, which would seem to reflect a high level of literacy among aristocratic women. The characteristic absence of monumental depictions of female patrons (the privilege seems to have been accorded exclusively to male donors) reflects the ambiguous social status of Armenian women.
Texte intégral
1Entre l’empire byzantin, l’Orient chrétien et le monde musulman, les territoires arméniens furent le théâtre d’une expression artistique puissante et extrêmement variée. Cet art évolue à travers les mutations multiples qui surviennent en permanence dans ces régions. Il émane d’un peuple fédéré majoritairement autour de sa propre Église, d’une « nation », comme les Arméniens eux-mêmes se définissent, et d’une société qui a largement conservé des structures coutumières.
2Quelques monuments des plus prestigieux comme la cathédrale d’Ani, la capitale de l’Arménie médiévale, les grands monastères de Hałpat et de Sanahin, ou encore quelques insignes manuscrits sont associés au patronage de reines et de princesses. Cependant, l’activité des aristocrates arméniennes en tant que fondatrices et donatrices n’a guère été explorée. Les conditions dans lesquelles ce patronage s’est exercé, la régularité ou la fréquence des commandes, leurs motifs et le degré d’implication des donatrices dans la réalisation des œuvres, sont des aspects essentiels du mécénat qui n’ont guère fait l’objet d’étude. On a également méconnu le rôle éventuel de l’identité féminine de ces donatrices, si et dans quelle mesure il a pu déterminer les manifestations de la générosité et de la piété féminine. Toutefois, l’intérêt récemment renouvelé des médiévistes pour le patronage et le genre (gender) offre un cadre stimulant pour une approche nouvelle de l’exemple arménien1. En tant que phénomène historique le patronage des femmes de l’aristocratie arménienne est lié à la question de leur statut social qui demeure encore aujourd’hui un sujet à peine abordé2. Les témoignages, souvent indirects, doivent être glanés dans des sources diverses. Outre l’historiographie, les colophons des manuscrits et les inscriptions monumentales méritent également analyse et lecture critique. Leur contenu d’un caractère souvent documentaire pallie dans une certaine mesure l’absence d’archives et de registres. Enfin, les textes juridiques, canoniques ou civils, apportent des renseignements précieux sur la condition féminine en Arménie et peuvent éclairer la situation et les actes des femmes de l’aristocratie3. L’historiographie arménienne ne compte pas d’auteur femme comme d’ailleurs la littérature arménienne médiévale dans son ensemble ; souvent œuvre de religieux, elle est construite au masculin, passée au filtre de la morale chrétienne et ses mentions de femmes usent volontiers de clichés4. Cette vision, même si elle n’est pas absente des sources byzantines et occidentales, créé une différence considérable entre l’image des femmes d’exception byzantines et européennes et une certaine invisibilité des femmes arméniennes.
3Dans cette étude, nous proposons une première approche du patronage des aristocrates arméniennes à partir d’un corpus d’œuvres, en particulier de monuments. Sans prétendre à un recensement exhaustif, cet ensemble permettra de relever les facteurs qui régissent le mécénat féminin et de le replacer dans son contexte historique et artistique. L’objectif est d’envisager le rôle de l’aristocrate arménienne à travers le patronage. Nous tenterons de cerner l’action des femmes commanditaires et de déceler des modèles éventuels à travers le temps et l’espace. La période abordée s’étend de la fin de l’Antiquité, lorsque l’Arménie embrasse le christianisme au début du ive siècle, jusqu’à l’époque de la domination mongole, au xive siècle. Entre temps, la période dite des royaumes voit des principautés et des royaumes nouveaux surgir de la désintégration du califat à la fin du ixe siècle, lesquels seront l’un après l’autre annexés par Byzance au cours du xie siècle, puis conquis par les Seldjoukides. Des parties importantes de ces territoires seront incorporées dans le royaume de Géorgie à la fin du xiie siècle et, dès le xiiie siècle, dans l’Empire mongol. Dans un espace géographique aux frontières mouvantes, entre les territoires historiques de la Grande Arménie – une vaste zone de tensions et d’échanges multiples entre Byzance et le Proche Orient, – et le royaume de Cilicie, où les Arméniens trouvent leur place dans le monde métissé des Croisades, le patronage était naturellement régi par des facteurs bien différents qui conditionnent ses manifestations (fig. 5).
Les débuts de l’ère chrétienne (époque préarabe)
4À l’époque dite préarabe dans l’histoire arménienne, jusqu’à la fin du viie siècle, malgré l’infiltration de l’hellénisme et les contacts avec l’Empire romain d’Orient, la société arménienne conserve des traditions iraniennes fort solides. L’adoption du christianisme comme religion d’État et l’appartenance à l’Église universelle jusqu’au concile de Chalcédoine en 451, n’ont pas estompé immédiatement les structures économiques et sociales ni les mentalités ancestrales. Les fondements de la société arménienne transposent largement les usages iraniens et se caractérisent par la propriété familiale et inaliénable. Trois classes sociales se distinguent : les princes ou dynastes (naxarars), les nobles (azat : un statut qui se caractérise par l’appartenance à une lignée familiale et bénéficie d’immunité fiscale) – le clergé est issu de ces deux classes – et les paysans. La femme-maîtresse de maison dirige le travail des autres femmes selon une hiérarchie stricte et même les mères nourricières doivent lui demander la permission pour donner le sein. Justinien, dans sa législation, accuse les Arméniens d’appliquer aux femmes des lois discriminatoires et barbares en les excluant des successions, en les mariant sans dot ou en les vendant à leurs futurs époux. L’intérêt de Justinien était un noble prétexte pour imposer la normalisation fiscale et administrative qu’il avait entreprise et mettre ainsi la main sur le caractère inaliénable du patrimoine des clans familiaux5. En effet, la mariée, remise contre une amende coutumière après une simulation de négociations6, ne possède que des bijoux, des biens meubles et éventuellement des revenus domaniaux. Outre cet apport au foyer, elle peut posséder des biens fonciers, qui, le cas échéant, lui restent acquis à titre personnel et ne passent pas au clan du mari. Les filles ont légitimement droit à l’héritage parental au même titre que les enfants mâles si elles ne sont pas mariées mais demeurent à la maison. Si elles ont été mariées, donc dotées, elles perçoivent la moitié de la part des héritiers mâles ou des filles non mariées7. Le régime de la dot et de l’héritage confère à la femme noble une certaine autonomie et maintient, voire consolide, son appartenance à son propre clan familial avec la fondation d’un nouveau foyer et l’alliance à une autre famille. Cependant, le statut des femmes arméniennes les limite dans l’environnement domestique et, même s’il leur autorise la possession des biens meubles et fonciers, il semble les exclure de la gestion des moyens financiers.
5Les sources littéraires semblent pauvres en images féminines. Dans les Histoires épiques de P̒awstos Buzand8, composées au ve siècle, l’histoire romanesque que reprennent d’autres chroniques postérieures, illustre la complexité de la condition féminine à travers l’opposition entre deux épouses : P̒aṙanǰem, devient reine d’Arménie, aux côtés du roi Aršak, assassin de son mari, après avoir tué indignement sa rivale, la première épouse du roi, la princesse romaine Olympias. Pour ce qui est de l’hagiographie, la conversion au christianisme, qui dès le ve siècle s’érige en mythe fondateur de l’identité arménienne, repose sur un réseau d’acteurs mâles. La noble vierge romaine Hṙipsimē qui a fui les persécutions de Dioclétien en Arménie pour y être suppliciée avec ses compagnes, est célébrée avec saint Grégoire l’Illuminateur comme figure fondatrice du christianisme arménien. Sa résistance opiniâtre aux prétentions sexuelles du roi Tiridate qui la conduisit au martyre s’accorde avec le modèle chaste et vertueux de plusieurs saintes femmes du premier âge chrétien. Cependant, le personnage constitue un des clichés de la trame narrative de la conversion plutôt qu’un modèle féminin de spiritualité et de vie religieuse9. La vie et le supplice de sainte Šušanik au vie siècle offre un exemple caucasien, autant géorgien qu’arménien, de sainteté féminine connu par plusieurs variantes hagiographiques, et mériterait de faire l’objet d’une gender study : issue de la plus haute noblesse arménienne, Šušanik était la fille du prince Vardan Mamikonian, sanctifié pour avoir défendu jusqu’au bout la foi chrétienne contre les pressions des Perses zoroastriens à la bataille d’Avarayr en 451. Opprimée et finalement martyrisée par un tyrannique époux géorgien, adepte du zoroastrisme, Šušanik constitue un cas exceptionnel de désobéissance conjugale et d’affirmation d’une identité féminine, à la fois aristocratique et religieuse, cela en filigrane sur les tensions entre le substrat iranien de l’aristocratie arménienne et la tentation d’un nouveau modèle que représente le christianisme10.
6Contrairement à la crise qui commence à transformer l’Empire romain d’Orient dès la fin du vie siècle et conduit à la récession de l’économie et à une régression sensible de l’activité édilitaire, le foisonnement de l’architecture arménienne au viie siècle témoigne d’une économie vigoureuse grâce à la position centrale du pays sur la scène historique, au croisement des routes commerciales et sur le limes oriental11. Ni les monuments, ni les sources ne révèlent de figures de grandes mécènes femmes analogues à Galla Placidia ou Juliana Anicia, princesses impériales romaines des ve et vie siècles. Mais il est vrai qu’après l’abolition de la monarchie arsacide en Arménie, le patronage se répartit entre les territoires des grandes familles et semble une affaire des seigneurs locaux avec un rôle relativement moindre des évêques. Parmi les soixante-dix monuments recensés pour le viie siècle, peu nombreux sont ceux qui portent des inscriptions et encore moins nombreux ceux qui impliquent des femmes. Ces dernières y apparaissent en tant qu’épouses, associées à l’action édilitaire de leurs maris, selon un schéma courant dans l’ensemble du monde paléochrétien12. Ainsi, à Ałaman, l’inscription mentionne que l’église fut érigée en 636/637 (la 27e année du règne d’Héraclius). Cités après l’empereur byzantin, le seigneur et l’évêque de la région, les fondateurs Grigor, accompagné de son titre byzantin, et Mariam son épouse s’expriment à la première personne du pluriel : « […] moi Grigor ełustr et ma femme Mariam nous fîmes construire cette sainte église pour nos âmes13 ». Les fondateurs ne sont pas connus par ailleurs ni leur relation avec le seigneur Nersēh Mamikonian. Cependant l’association affirmée du couple dans cette initiative de patronage invite à envisager sa dimension financière, à savoir la mise en œuvre des moyens dont les deux époux disposaient séparément.
7L’inscription de la cathédrale d’Aruč attribue la fondation « à la main » de Grigor Mamikonian et de son épouse Hełinē. Comme à Ałaman, ils sont mentionnés l’un après l’autre et la femme est désignée par son statut d’épouse. Cependant, la vocation d’intercession de l’église pour « ses fondateurs » les réunit à égalité et laisse entendre la participation financière des deux époux14. En revanche, à l’église de T̒alin (érigée en 695) le fondateur, Nersēs Kamsarakan, précise à la première personne, qu’il a fait construire l’église dédiée à la Mère de Dieu pour son intercession en faveur de lui-même, de son épouse Šušan et de leur fils15. Le même fondateur est mentionné sur une inscription funéraire située dans la crypte où il était enterré avec ses pères. Cette fois-ci le prénom de l’épouse figure suivi de son nom dynastique en tant que complément à l’identité aristocratique de l’homme définie par sa propre ascendance comme par son alliance matrimoniale à une famille de naxarar16.
8L’église de Bagaran, dans le vilayet de Kars, se singularise parmi les fondations préarabes puisque son inscription évoque clairement une initiative féminine bien que l’entreprise de la construction soit créditée au seigneur et père de la famille. « En la 34e année du règne de Khosrov [622], le seigneur But Aruełan a posé les fondements de l’église » affirme l’inscription qui atteste également l’accomplissement de l’édifice par la veuve du fondateur, Anna Kamsarakan, quatre ans après l’assassinat de ce dernier et sept ans après le début des travaux17. Sept ans sont une période de construction relativement longue même s’il s’agit d’un chantier ambitieux et de grande ampleur, au plan inédit et exceptionnel de carré tétraconque à quatre colonnes libres avec un narthex. Le meurtre du seigneur a probablement ralenti ou interrompu les travaux tandis que le retard de trois ans pourrait aussi refléter l’observation d’une période de deuil. Anna agit en qualité de veuve avec la bienveillance des autorités civiles et religieuses évoquées dans l’inscription, le seigneur et l’évêque. Sa légitimité semble également reposer sur sa descendance des Kamsarakan, la famille aristocratique dont Bagaran est l’un des chefs-lieux18. L’inscription conclut par une prière pour le salut des filles de Grigor Vanandec̒i, époux de Ašanuš Kamsarakan, Anna et ses enfants et une autre princesse Šušan, probablement un membre de la famille élargie. La veuve semble donc disposer de domaines familiaux et de moyens pour accomplir le chantier situé probablement dans un territoire qui faisait partie de sa dot. L’association de deux sœurs dans la formule commémorative, d’où le défunt fondateur est curieusement absent, est unique à l’époque préarabe et rare dans l’ensemble des dédicaces. Elle souligne le caractère féminin du mécénat et l’attachement de la donatrice aux liens et au patrimoine de sa propre famille. L’église, d’importantes dimensions et d’un plan rivalisant avec celui de la cathédrale d’Etchmiadzine, était sans doute une manifestation de prestige et une marque de pouvoir dynastique dans un sens plus large. Le fait que le couronnement d’Ašot Ier Bagratuni à la fin du ixe siècle a eu lieu dans cette même église témoigne de l’importance ne serait-ce que symbolique que le monument avait vraisemblablement conservée. La répartition des personnages dans l’inscription entre le défunt homme et les vivants femmes et enfants est remarquable : le donateur disparu et l’année de la fondation sont mentionnés au début sur le côté ouest de l’édifice au-dessus de l’entrée occidentale. L’inscription continue au sud, à l’est et probablement au nord : la mention des femmes se trouvait à l’est, associée singulièrement avec la partie la plus sacrée de l’édifice19. La vocation de l’église de Bagaran n’était pas principalement funéraire mais telle pouvait être celle de l’une des deux églises situées au nord. En tout cas, on acceptera avec Timothy Greenwood que l’emplacement de l’inscription et la précision chronologique étaient significatifs pour la commémoration des commanditaires20.
9Les veuves constituent une catégorie dynamique de donateurs, largement convoitée par l’Église pour l’investissement de leurs biens, mais la succession d’une veuve à l’œuvre édilitaire entreprise par son époux semble constituer un exemple rare qui implique la gestion des biens par celle-ci et sa reconnaissance sur un pied d’égalité avec son défunt époux pour ce qui est de leur statut de mécènes21. On ignore si Anna s’est remariée, après la consécration de l’église. On ignore également si d’autres donations avaient accompagné ou suivi ce geste d’édilité sacrée. En tout cas sa mention en qualité de fille, mère et sœur dans l’inscription souligne une identité féminine fondée sur l’ascendance aristocratique et le noyau familial au sein duquel Anna semble avoir acquis après son veuvage le premier rôle.
Le renouveau bagratide
10Durant la domination arabe en Arménie, devenue alors province du califat, société et institutions subissent des mutations profondes. Avec le déclin du califat vers la fin du ixe siècle, l’activité édilitaire et artistique reprend son essor grâce aux initiatives des élites qui renaissent à la faveur d’un nouvel équilibre résultant d’une part des fusions et redistributions d’anciens domaines et, d’autre part, de la protection des puissances arabe et byzantine. La famille des Bagratides s’établit à Ani, à la tête du royaume le plus important parmi ceux qui émergent alors sur le territoire arménien. Le pouvoir bagratide s’accroît et se consolide au fil des conquêtes d’Ašot Ier (884-890). Grâce à une politique matrimoniale active, unissant les femmes de sa famille avec les dirigeants des principautés et royaumes environnants, Ašot y étend efficacement son influence et assure la souveraineté de son pouvoir22. Les monastères, véritables institutions religieuses et patrimoniales, richement dotés de propriétés foncières, de ressources et de revenus, sont, à l’instar des monastères aristocratiques byzantins, des pôles de vie à la fois spirituelle et économique. Innovation majeure de l’époque post-arabe, les monastères se prêtent à un nouveau modèle de patronage qui associe gestion de territoire et prestige dynastique. À l’instar de l’investissement des femmes de la cour byzantine qui s’étaient attachées à la création de lieux de mémoire transformant le modèle monastique traditionnel23, le zèle des fondatrices bagratides semble déterminant pour l’expansion et l’expression du nouveau pouvoir.
11La première région où le renouveau se fait sentir est la Siounie : la reprise est liée à l’impulsion de la princesse Mariam fille du roi d’Ani, Ašot I, épouse, puis veuve, du prince Vasak de Siounie (mort en 859) ; des églises modestes et d’autres plus imposantes bâties sur des plans nouveaux sont construites tout autour du lac Sevan. L’ampleur de la construction est singulière. Selon l’histoire de Step̒anos (ou Étienne) Asołik de Taron, source fiable, en 872, Mariam prie un anachorète, Mastoc̒ de Makenoc̒, qui s’était installé dans la région de construire un monastère sur le site de la forteresse de Siounie qui avait été détruite par les Arabes. Le rôle initiatique de la rencontre entre la veuve Mariam et le moine est évoqué aussi au xiiie siècle par Step̒anos Orbelian dans son Histoire de Siounie. Sans établir de lien direct entre le veuvage et la vocation édilitaire de Mariam, l’historien relate l’association du moine et de la fondatrice à la suite du récit de la mort et des funérailles du prince Vasak24. Le monastère aurait été érigé en mémoire du défunt époux de la reine. Les deux églises, celle des Saints-Apôtres de 874 et celle de la Vierge, contemporaine ou de peu postérieure, sont aujourd’hui restaurées et visibles mais le complexe comptait sûrement d’autres bâtiments conventuels. Une troisième église aurait comporté dans une chapelle annexe au sanctuaire une loge surélevée d’où la fondatrice assistait aux offices25. En 903 Mariam et son frère Šapuh Bagratuni, firent ériger le monastère de Vanevan dédié à saint Grégoire l’Illuminateur26. L’inscription est rédigée à la première personne au nom de Šapuh. Toutefois, le fondateur présente sans détour sa sœur comme la véritable instigatrice de l’œuvre soulignant son désir de restaurer le patrimoine religieux27. La même Mariam est créditée de la construction d’une église de Sołakat dont les vestiges étaient encore visibles au début du xixe siècle. Elle aurait doté le monastère des revenus des villages environnants, destiné à abriter sa sépulture. Jean Catholicos évoque la princesse en termes presque hagiographiques, en la qualifiant de « disciple du Christ » et « d’ascète vertueuse et éminente parmi les anachorètes »28. Et il ajoute qu’elle avait construit l’église de Vanevan de ses propres mains. Dans cette description élogieuse et hyperbolique, la vie de la princesse fondatrice tend à se confondre avec un modèle anonyme de pratique spirituelle. Néanmoins, il semble douteux que Mariam fût reclue dans le couvent : elle vécut plutôt dans le monde et près de sa famille. Lors d’une incursion arabe, elle suivit ses fils partis avec leurs familles, leurs biens, et les nobles qui les accompagnaient. Après sa mort, survenue au cours de cette fuite, son corps fut transféré dans le monastère qu’elle avait fondé.
12Le mécénat de Mariam repose autant sur son statut princier (et surtout sur sa descendance du roi d’Ani) que sur celui de veuve. Sans doute s’inscrit-il également au sein d’une politique plus vaste d’appropriation et de contrôle des territoires récemment acquis au moyen des fondations qui représentaient les nouveaux maîtres et assuraient la gestion des ressources naturelles et humaines29. Avec le soutien et selon les intérêts de son père, Mariam veuve gère les territoires de Siounie pendant la jeunesse de ses enfants qu’elle accompagne lorsqu’ils viennent aux commandes. La fondation d’une série de monastères devait consolider les droits de Mariam sur les domaines de son mari et assurer à Ašot la loyauté de ce royaume vassal. Elle devait également permettre la gestion des eaux poissonneuses du lac Sevan et des revenus des nombreux villages attribués aux monastères, lesquels pouvaient même se situer à l’intérieur des enclos. La légitimité religieuse et la caution spirituelle des initiatives de Mariam garanties par la relation de protection mutuelle entre la princesse et le moine charismatique Mastoc̒ n’excluent pas les causes économiques et politiques que servait cet évergétisme pieux. Au contraire, le fait que le saint homme dont la grâce illumine la princesse veuve n’appartienne pas alors à la hiérarchie de l’Église invite à supposer que cette association atypique de patronage humain et monumental offrait à la princesse la liberté d’exercer son pouvoir dans le cadre des normes familiales et religieuses.
13Il est vraisemblable que l’exemple de la princesse fondatrice a fait des émules et stimulé la multiplication des fondations et des largesses de la part de femmes. D’après l’Histoire de Siounie composée par l’évêque de cette région, Step̒anos Orbelian30, une pieuse Šušan, dame de Siounie offre deux villages tandis qu’une autre, Hamazaspouhi, fille du prince Babgēn, donne une grande vigne. Une troisième, Sophia, épouse de Smbat, achète une localité investie par des rebelles qui causaient des dommages au monastère et la remet au supérieur.
14L’expansion des monastères sous le patronage de Mariam pose le problème du monachisme féminin en Arménie. Dans l’introduction de la traduction d’Étienne de Taron, datée de 1917, Frédéric Macler note que les couvents féminins étaient alors nombreux. Cependant, contrairement à cette affirmation, le monachisme féminin est pratiquement inconnu en Arménie. Rares sont les sites qualifiés de couvents féminins, comme à Ani, le monastère des Hṙipsimiennes et les attributions ne sont guère vérifiées pour l’époque médiévale. Le terme kusanoc̒ « résidence de vierges » qui apparaît déjà au ve siècle dans le Buzandaran désigne en réalité des résidences destinées à des vierges consacrées, plutôt qu’une forme organisée de monachisme féminin31. D’ailleurs, on constate que le sanctoral arménien manque remarquablement de figures féminines suivant une vocation monastique, un modèle représenté avec éclat dans l’hagiographie du monde syrien voisin avec les exemples des saintes et des femmes travesties en moines32. Le droit canon compilé au viiie siècle et celui adapté au xiie siècle par Mxit̒ar Goš ne définissent pas de communauté monastique féminine, ce que semblent confirmer d’autres sources documentaires. En revanche, à plusieurs reprises, il est question de femmes vierges consacrées qui vivent près d’une église ou d’un monastère sans constituer une congrégation ou communauté33. Ainsi, les vierges consacrées sont exclues du sermon en cas de litige juridique34. En cas de décès, si une femme a été consacrée par un prêtre séculier ses biens lui reviennent, mais si elle est consacrée dans un monastère et vit à proximité, son héritage doit revenir à cette institution et, comme le prescrit le droit canon, l’évêque ne doit pas se montrer avare.
15Dans la famille des Bagratides d’autres femmes, épouses et filles, s’illustrent comme commanditaires. De l’épouse d’Ašot Ier, Katramidē on connaît le khatchkar de Gaṙni le plus ancien daté, réalisé pour le salut de son âme en 87935. L’expansion bagratide se manifeste au nord avec des établissements monastiques contemporains de l’essor de la capitale, Ani. Les églises principales des monastères de Sanahin et de Hałpat (église du Sauveur, entre 967 et 970 et église Sainte-Croix 972) sont fondées par Xosrovanuš épouse d’Ašot III Bagratouni (952-977) qui sollicite l’architecte le plus distingué de son temps, Tiridate. Cependant, les donateurs célébrés sont les fils de la commanditaire, Smbat et Gurgēn, futurs rois d’Ani et de Tašir respectivement, qui ont fait achever l’église d’Hałpat : dans les églises principales des deux complexes des reliefs les représentent en habits d’apparat et dans des postures symétriques en train d’élever ensemble la maquette des édifices (fig. 1)36. Malgré l’absence d’image, le patronage de la reine est toutefois ancré dans la mémoire des fondations : le colophon d’un livre de prière réalisé à Sanahin en 972, recopié dans un manuscrit du xve siècle, rappelle le souvenir de la très pieuse reine qui a édifié le monastère37. Initiatives pieuse et politique se confondent dans le patronage de la reine. Mais l’image de concorde qu’exprime le portrait des deux frères38, répété avec des variantes uniquement vestimentaires sur les façades des deux églises, reflète peut-être la motivation de la fondatrice et son attention à l’équilibre harmonieux au sein de la dynastie.
16En 1001, une autre reine Bagratide, Katramidē ou Katranidē39, fille du prince Vasak de Siounie et de la généreuse Mariam, offre un illustre exemple de patronage : elle achève la construction de la cathédrale d’Ani, entreprise par Smbat II et arrêtée à sa mort en 989. Nous ne savons pas si Katramidē avait épousé en premières noces le fondateur pour se remarier aussitôt au frère du défunt, Gagik, qui lui a succédé. Dans l’inscription dédicatoire elle se revendique comme la fondatrice de la cathédrale :
en l’an 1001, au temps du seigneur Tēr Sargis, catholicos des Arméniens et sous le majestueux règne de Gagik, šahenšah d’Arménie et de Géorgie, moi Katranidē, reine d’Arménie et fille de Vasak, roi de Siounie, j’ai eu recours à la miséricorde de Dieu et, avec la permission de mon époux, Gagik, Šahenšah, j’ai construit cette sainte cathédrale dont les fondements avaient été posés par le grand Smbat ; nous avons érigé la maison de Dieu nouvelle et vivante, procréation spirituelle et monument ineffaçable […] je l’ai embellie [… ]40.
17Asołik, dont le témoignage est le plus éloquent à ce sujet, attribue également à la reine le somptueux décor de textiles précieux et d’orfèvrerie qui rendaient l’église « aussi resplendissante que la voûte céleste41 ». L’inscription, abritée sous des fines arcatures aveugles à la manière d’un document, élégante par la forme et l’expression, orne la façade méridionale dans une imposante écriture majuscule. C’est dans ce côté sud, le côté princier de l’église, que s’ouvrait la porte principale gardée solennellement par deux lions sculptés. L’époux de la constructrice n’a pas été associé à la fondation. Il fit ériger une autre église sur un plan ambitieux, ornée d’une sculpture exceptionnelle réalisée en ronde bosse le représentant comme donateur, qui est connue seulement par des photographies. Mais c’est la reine qui, à travers l’inscription, s’identifie avec la cathédrale et est ainsi créditée de la gloire du patronage. Entre deux rois successifs et deux royaumes, Ani et la Siounie, la reine d’Arménie assume la réalisation de la cathédrale comme un aspect de l’exercice du pouvoir et, assurant la transition entre les deux rois, elle s’affirme dans l’espace public et cérémoniel de la capitale bagratide comme la véritable patronne. Le patronage de Katramidē, n’est pas sans rappeler celui d’Anna Kamsarakan, qui trois siècles auparavant, accomplissait l’œuvre de son époux comme un devoir familial et dynastique. Mais il poursuit surtout le zèle fondateur, de la princesse Mariam, la mère de la reine d’Ani, et confirme que dans la société bagratide le patronage s’affirme comme l’expression la plus forte d’une identité féminine et aristocratique42.
18Les donations familiales ou individuelles, foncières ou en numéraire, se perpétuent dans certaines des fondations bagratides, assurant une certaine continuité avec l’origine des monastères. À Sanahin, le panthéon des Bagratides, l’exemple de la première fondatrice semble avoir inauguré une tradition de donations par les femmes qui ont contribué à l’agrandissement du monastère dans les siècles suivants. Deux inscriptions attribuent la construction de la chapelle Saint-Grégoire, peu avant 1061 et celle de la bibliothèque élevée en 1063 à la reine Hranuš de Tašir, sœur du roi Kiwrikē. En 1191, le pont à dos d’âne est bâti à l’initiative de la princesse Vaneni (Nana) pour la mémoire de son défunt époux.43 À la même époque au monastère voisin d’Hałpat, Mariam fille du roi Kwirikē, se présente comme ayant construit le porche, le žamatun qui devait abriter sa sépulture et celles des femmes de sa famille proche :
pour ma tante Roussouk‘an, ma mère T‘amar et moi-même Mariam, sous la prélature de Tēr Bałsel, l’œuvre fut accomplie de ma main ; vous qui franchissez la porte et vous prosternez devant la sainte Croix rappelez-vous dans vos prières de nous et de nos rois qui reposons à la porte de la sainte Kat‘ołikē au nom de Jésus-Christ.
19Deux autres inscriptions nous informent qu’en plus des édifices, la même donatrice avait doté la fondation d’un reliquaire et d’un évangéliaire précieux44.
20L’expansion de l’influence bagratide au delà des domaines sous l’autorité du roi d’Ani atteignit le royaume du Vaspurakan. La fille de Gagik Bagratuni, Xušuš épouse de Senekerim-Yovhannēs, érigea l’église Sainte-Sophie sur le site vénérable de Varag, où une légende situait la présence d’une relique de la Vraie Croix apportée par les saintes Gaianē et Xṙip‘simē, et la réapparition miraculeuse de la croix au viie siècle. L’ermitage qui l’abritait avait été détruit par les Arabes qui occupèrent le lieu jusqu’à sa reconquête par le prince Grigor-Derenik. Ce dernier a été le premier seigneur Arcruni à épouser une princesse bagratide (Sophie, fille d’Ašot Ier)45. Ce mariage avait semble-t-il une vocation politique et diplomatique : mettre fin au contentieux entre les deux royaumes et à la captivité de Grigor-Derenik fait prisonnier pour s’être opposé à la progression des troupes d’Ašot dans ses terres46. L’église érigée par Xušuš en 981 peu après son mariage et son arrivée au Vaspourakan précède l’avènement de son mari qui a aussitôt agrandi le complexe monastique avec de nouveaux édifices. L’Histoire des Arcruni chante l’œuvre de Senekerim à Varag mais ignore son épouse et son église47. L’inscription de la fondatrice, encore visible au xixe siècle, la nommait cependant d’après sa descendance, puis comme épouse : « En l’an 981, moi Xušuš xat‘un, fille de Gagik [Ier] de la famille des Bagratides, épouse de Sénékerim […] dans cette sainte église48… » La princesse n’avait peut-être pas droit de possession sur ces territoires, mais elle y a vraisemblablement affirmé une certaine autorité en y investissant sa dot ou une partie de ses biens de mariée.
De l’Arménie à la Méditerranée
21À ce dossier relativement riche de constructions monumentales, s’ajoutent deux manuscrits associés à des femmes : l’évangile connu sous le nom de la reine Mlkē, réalisé au ixe siècle fut acquis et offert par cette reine, au prénom de consonance arabe inconnu par ailleurs, et le roi Gagik Arcruni au monastère de Varag mentionné ci-dessus pourvu d’une reliure précieuse qui n’est pas conservée. La seule trace du don pieux se trouve dans les colophons qui, de manière assez surprenante, distinguent les époux, mentionnés séparément et privilégient la reine. Aucune miniature ne représente ici la donatrice. La seconde princesse associée à un manuscrit est Marem, la fille du roi Gagik de Kars. Cette figure plutôt méconnue comme princesse et patronne tient cependant une place exceptionnelle et représente probablement un nouveau modèle de patronage qui s’épanouit sur fond d’émigration à Byzance, sur des terres impériales et limitrophes, annonçant le patronage actif des femmes nobles dans le royaume de Cilicie. Dans un feuillet inséré dans un tétraévangile, connu sous le nom des évangiles du roi Gagik de Kars (Jérusalem, Patriarcat arménien ms 2556), datant du milieu du xie siècle, Marem figure entre ses parents sur un grand trône – estrade tapissé de soieries. Après avoir montré que l’emplacement n’était pas celui d’origine, Thomas Mathews a attribué à l’initiative de la princesse un scriptorium qu’elle aurait encouragé voire entretenu à Tsamandos, près de Césarée49. Marem s’est établie à Tsamandos sur des terres que son père avait reçues de l’empereur byzantin en échange de ses domaines patrimoniaux. Marem, connue par son sceau bilingue, en grec pour la titulature et en arménien pour son nom50, aurait bénéficié de l’aide du catholicos établi provisoirement près d’elle et aurait tenu et défendu elle-même cette place forte. La peinture insérée dans les évangiles à une date indéterminée, prise sans doute dans un autre livre du patrimoine de Marem, exalte cérémonieusement la princesse encore enfant comme successeur désignée par son père. À la lumière de cette interprétation de la peinture et de l’attribution d’un scriptorium à Marem, la princesse inaugure un modèle qui sera plus ou moins suivi par les élites installées dans l’Empire, puis en Cilicie : la fille porteuse du lignage, commanditaire et administratrice. L’ère géographique et le contexte où ces princesses évoluent, en perpétuelle mutation et en permanente ouverture ou confrontation à l’altérité, ont probablement offert un créneau nouveau d’expression féminine à l’instar de la condition plus libre et autonome dont les femmes bénéficiaient dans les États Croisés51.
22Ces femmes ne s’illustrent guère par l’édification d’églises, du moins d’après les sources. Morfia, fille du prince Gabriel, gouverneur de Mélitène (Malat‘ya), épouse Baudoin de Bourcq et devient première reine de Jérusalem. Son sceau, retrouvé à Tyr, est conforme aux modèles sigillographiques byzantins et arbore, à l’exemple de celui de Marem, l’image de la Vierge Vlachernitissa, témoignant peut-être d’une certaine émancipation des princesses52. L’image de la Vierge n’est certes pas une exclusivité des sceaux féminins, mais son adoption sur les sceaux des princesses arméniennes suit sans doute le modèle de l’association des aristocrates byzantines à la Théotokos53. Le rôle important et actif des trois des filles de Baudoin II et de Morfia dans les États latins s’inscrit certes dans un contexte particulier assez favorable aux femmes nobles dans les cours du Levant mais pourrait également refléter une évolution du statut des aristocrates arméniennes déjà décelée en Anatolie54. La première femme de pouvoir sur la scène de Cilicie est Zabel que Léon Ier désigne dès sa naissance comme héritière avec l’accord des princes qui lui promettent de la servir « comme un enfant mâle55 ». Même si en réalité Zabel n’est pas affranchie des enjeux liés à son statut de princesse et d’héritière, elle affirme sa volonté avec une rare ténacité, refusant pendant dix ans de consommer le second mariage qui lui a été arrangé avec Het̒um Ier56. La paix entre les deux grandes familles princières de Cilicie scellée par cette union fut célébrée entre autres dans les émissions monétaires où la reine est représentée avec son époux selon le modèle des co-empereurs byzantins57. Il serait sans doute illusoire de chercher ici une initiative de la reine dont le nom ne figure pas dans ces émissions. Même si les sources se taisent sur les éventuelles activités de Zabel dans l’exercice du pouvoir à l’instar des grandes reines du xiie siècle comme T̒amar de Géorgie, Urraca de Léon-Castille, Melissande ou Mathilde, le choix de ce type singulier d’émission émane sûrement de son rôle dans la légitimité dynastique du royaume qui grâce à elle avait un roi et un successeur58. Elle est créditée de la fondation d’un hospice à Sis et d’une église, œuvres peu documentées, mais qui s’accordent avec la description de Kirakos de Ganjak : « très pieuse, de grand sens, aimant les pauvres et les gens craignant Dieu, très assidue à jeûner et à prier59 ».
23Avec la princesse et reine Keran un modèle nouveau semble apparaître, celui de femmes disposant d’une certaine culture écrite et s’exprimant à travers des manuscrits somptueux. Le patronage de la princesse et reine s’explique moins en termes financiers que politiques. Dans l’évangile qui célèbre son mariage avec le prince Léon (1283-1284), Keran est mise en exergue dans le portrait du couple, couronné par le Christ, comme dans le poème qui fait face (fig. 2)60. Un autre livre des évangiles connu sous le nom de la reine, l’exalte en souveraine et mère en harmonie avec la dédicace versifiée qui accompagne la peinture. Le manuscrit a été commandité peu après l’avènement et destiné au monastère d’Akner, fondation de Léon Ier et, avec le monastère de Drazark, lieu de sépultures royales. Sans insister davantage ici, on notera que le colophon offre un véritable mémorial généalogique et établit une subtile filiation entre Keran et Zabel ; les deux reines ne se sont pas connues mais ont par leur mariage servi la cause des alliances princières61. Le nom Keran est absent de l’onomastique arménienne, avec une seule exception d’homonymie au sein de la même famille, à la même époque62. Cette dernière, épouse de Joffrey comte de Srvandikar, est connue pour avoir commandé, elle aussi, un luxueux tétraévangile qui devait marquer son entrée au couvent accompagnée de multiples donations qu’elle accorda à l’Église. Il est permis de penser que la parenté de ces deux femmes n’est pas étrangère à leur intérêt pour les livres. Quant à la retraite de la veuve Keran, elle pose de nouveau le problème du monachisme féminin, comme nous l’avons vu plus haut, inexistant au sein de l’Église arménienne. Les liens de la donatrice avec le monde latin, qui transparaissent dans l’iconographie du manuscrit, pourraient peut-être indiquer qu’il s’agissait d’une fondation catholique63. Le choix de chercher une protection au sein du monastère, comme il était habituel pour les aristocrates byzantines, n’était pas d’ailleurs pas étranger à la tradition arménienne, même si les femmes ne prenaient pas le voile.
24En 1263, le prince Léon et futur Léon II, offre un précieux tétraévangile non pas à une église mais cette fois à sa propre sœur : c’était le lot de consolation pour accueillir la princesse venue chercher refuge après la destruction de Sidon dont elle fut la comtesse par son mariage à un noble franc. Peu après, elle reçut également un élégant manuscrit avec les livres de la Sagesse et de Job, qu’elle avait commandé à son oncle archevêque, Jean, illustre patron de manuscrits64. Le livre commence donc à devenir un objet personnel, destiné à la lecture, même s’il demeure avant tout un don pieux et un moyen de commémoration par excellence. Dans les années qui suivent, d’autres femmes aristocrates sont en effet attestées comme donatrices et commanditaires : en 1274 la mère de Keran, T̒efano, fait réaliser un manuscrit qui n’est pas d’une facture prestigieuse mais contient des traités théologiques contemporains65. Le choix relevait sans doute de la volonté d’une femme qui devait disposer d’une certaine culture écrite et avoir même insufflé le goût du livre à ses filles. En 1283, deux ans avant sa mort, Keran a commandité un tétraévangile dont le colophon principal précise qu’il était destiné à Skewra, un monastère qui appartenait à la famille paternelle de la reine et où, d’ailleurs son fils aîné a longtemps séjourné66. Les sœurs de Keran se sont aussi illustrées comme commanditaires : Mariam, a fait réaliser un livre de prières en 1285 et Alids, épouse du sénéchal de Chypre Balian d’Ibelin, est impliquée dans la transmission de livres manuscrits et après son veuvage encourage et finance la production de manuscrits arméniens en Chypre67. Tous ces exemples marquent un tournant dans le rôle du livre et de la lecture chez les femmes nobles, lié peut-être à l’entourage de la reine mais aussi à l’essor du livre de luxe dans l’aristocratie de Cilicie. Un dernier exemple qui prolonge l’ambiance cosmopolite de l’âge d’or du royaume de Cilicie, est celui de la Reine Marioun mère du roi Constantin en 1346. Dans le manuscrit qu’elle reçut de la part du religieux Nersēs, la reine apparaît au pied de la croix dans la déposition tandis que sa fille, Fimi, prend place dans deux autres compositions où elle se confond avec les personnages. Les peintures qui ornent ce manuscrit furent réalisées par Sargis Picak, le plus éminent miniaturiste de l’époque, chargé de prestigieuses commandes pour la cour et le clergé supérieur68. La fusion délibérée entre récit biblique et personnages réels, une longue tradition dans l’art occidental, n’était encore guère de mise à Byzance mais largement diffusée dans le monde méditerranéen dont le royaume de Cilicie fit pour un temps partie69.
La Grande Arménie sous domination mongole
25Dans les territoires historiques de la Grande Arménie les invasions seldjoukides de la seconde moitié du xie siècle et la mobilité qui en suit marquent une certaine rupture dans l’activité édilitaire. Dès la fin du xiie une grande partie des territoires se trouvent sous le contrôle du royaume de Géorgie assuré par les princes Ivanē et Zakaré, généraux de la reine de Géorgie T̒amar. Les monastères connaissent alors un considérable renouveau, stimulé non seulement par l’aristocratie mais aussi par un grand nombre de donations venant d’une société rurale relativement aisée. Ces dernières consistent en biens fonciers et leurs revenus, moins souvent en contributions aux travaux de construction ; au delà de la piété, il s’agit sans doute d’un moyen de protéger le patrimoine des donateurs parmi lesquels le nombre de femmes, essentiellement veuves ou épouses, est important. Le rôle que les monastères avaient pris dans l’économie et la fiscalité pour le compte des seigneurs dès leur émergence à la fin de la domination arabe, se consolide et se prolonge pendant les époques de suzeraineté seldjoukide et mongole70.
26Épouses ou veuves, et plus rarement jeunes princesses, les femmes nobles semblent disposer de leurs revenus et s’affirmer par leurs commandes. Elles semblent se démarquer financièrement de leurs époux en finançant leurs propres constructions en Arčax (Haut Karabagh) dans le chef lieu des princes de Xačēn, à Ganjasar71. Ĵalal érige l’église du complexe tandis que son épouse fait construire un imposant porche à l’entrée. Kirakos de Ganjak distingue subtilement deux modèles de générosité que le genre sans être affirmé comme critère semble déterminer : sans aucune volonté de disqualifier le prince ou de mettre en doute sa piété, l’historien lui attribue le banquet offert pour l’inauguration de l’église. En revanche, l’épouse est louée pour sa « pratique de toute vertu, elle se livrait aux jeûnes, à la prière, la lecture et l’observation des commandements du Seigneur ». Le même historien relate peu après comment la mère de Ĵalal, règle les affaires de ses trois fils – le partage de la fortune entre eux – avant de partir à Jérusalem où elle finit ses jours dans la pauvreté après avoir distribué son argent aux pauvres72. Bien que la piété soit un devoir chrétien sans classe d’âge ni de genre, dans le cas du patronage, elle semble s’attacher à un modèle social principalement féminin. En effet, la dévotion et la vie vertueuse autorisent aux femmes la gestion de leurs propriétés foncières et de leurs ressources en numéraire.
27Dans la même région d’Arčax et à la même époque, l’ensemble monastique de Dadivank̒ composé de quatre églises est fondé en 1214 par la princesse Arzu Xat̒un, fille des grands princes Kurd et épouse de Vaxtang, sur le lieu de sépulture de son mari et de ses fils, Xasan, le premier né, et Grigor en 1214. Fils et mari sont représentés à deux endroits de l’édifice distincts portant la maquette d’une église. Bien que le caractère de la fondation soit funéraire les défunts sont visuellement exaltés comme donateurs (fig. 3). En revanche, la fondatrice se passe de représentation et se contente d’un pacte avec le Seigneur inscrit sur les murs de l’église. La fondation rachète les péchés des défunts et, en cas de litige ou de remariage, la fortune familiale est mise à l’abri sous la protection de l’église au nom des mâles décédés, enrichie des dons initiés par l’épouse et mère.
28Ces observations semblent se vérifier avec l’exemple du monastère de Tełer au début du xive, dans les domaines des princes Vac̒utean (canton d’Aragacotn) (fig. 4). Tełer s’inscrit dans une série de monastères fondés sous le patronage de la même famille, avec les monastères de Yovahannavank̒ et de Sałmosavank̒. L’épouse de Vac̒ē Vac̒utean, Mamaxat̒un, s’affirme comme seule fondatrice de Tełer, consacré en 1321 et destiné à abriter une relique de la croix, ce qui rehausse particulièrement le prestige de ce monastère. La donatrice disposait très vraisemblablement de domaines, de moyens importants et du réseau religieux pour mener à bien ce projet. Si la possession des reliques est une expression du pouvoir et de la dévotion des femmes comme il en est des hommes, la participation d’une aristocrate à l’acquisition et à la translation d’une si vénérable relique intrigue davantage. Elle témoigne d’une étroite relation avec l’Église mais aussi d’une certaine liberté et possibilité d’action. La vénération des reliques est peut-être moins sujette aux critères de « genre » que la dévotion à l’égard des saints et l’importance primordiale de la croix suffit à elle-même à expliquer le choix de la pieuse dame. Même si la fondation de Tełer s’inscrivait dans la gestion des territoires familiaux, le double patronage du monastère et de la relique pourrait dissimuler une répartition de l’autorité des deux époux et de leurs rôles sociaux respectifs.
29Les femmes nobles arméniennes jouissaient-elles d’une longue histoire culturelle et coutumière qui aurait favorisé leur activité comme patronnes et donatrices73 ? Dans quelle mesure les traditions caucasiennes ont pu conditionner le statut de la femme et comment le rôle social féminin se définit au-delà de la mère et de l’épouse ? Sans prétendre qu’un modèle holistique puisse se dessiner à travers les cas d’étude passés en revue, on constate que le véritable mécénat féminin se manifeste au sein des grandes familles où les femmes disposent d’un appui clanique ou familial et d’importants moyens financiers. Il apparaît très clairement que le veuvage est un véritable statut social particulièrement respectable, qui procure une certaine autonomie financière. L’Église offrant une protection à ce statut particulier et malgré tout fragile, complémentaire ou alternative au soutien de la famille, encourage naturellement l’évergétisme féminin et en tire un bénéfice considérable. Par ailleurs, le mécénat et l’aura prestigieuse des fondatrices ne cèdent jamais la place à l’action charitable et, comme le patronage masculin, incitent un nombre croissant de fidèles issues des classes moyennes à imiter l’exemple aristocratique et à participer à l’économie des monastères grâce à des donations pieuses et lucratives. Enfin, le dénominateur commun qui se décèle parmi les fondatrices arméniennes d’époques et de lieux si divers, est leur discrétion incontestable en matière de représentation : leur générosité s’exprime uniquement à travers des inscriptions dont la lecture peut apporter quelque lumière sur la personnalité des commanditaires. Dans toutes les fondations des femmes, la place du fondateur revient aux proches masculins, mari et fils. En revanche, des portraits de femmes prennent place volontiers dans l’espace intime et fermé des manuscrits, soustrait au regard de tous et protégé par l’Église74. Malgré les différents degrés d’autonomie et de liberté, la condition féminine arménienne était décidément liée à l’enclos domestique.
Fig. 1. Hałpat, 2012, photo M. Studer.

Fig. 2. Jerusalem, Patriarcat arménien, miniature 2660, 1262, fol. 228.

Fig. 3. Dadivank‘ (Arčax), 2001, photo de l’auteure.

Fig. 4. Tełer, Monastère de Sainte-Croix, 2007, photo de l’auteure.

Fig. 5. Les territoires habités par les Arméniens au cours du Moyen Âge,

© Claude Mutafian et Eric Van Lauwe.
Notes de bas de page
1 Barbara Hill, Imperial Women in Byzantium 1025-1204, Patronage, Power and Ideology, New York, Longman, 1999 ; Sarah Brooks, « Female Patronage and Poetry », Dumbarton Oaks Papers, no 58, 2006, p. 223-248 ; Margaret Mullet, Founders and Refounders of Byzantine Monasteries, Belfast, 2007, Belfast Byzantine Texts and Translations 6.3. ; Jean-Michel Spieser et Élisabeth Yota, Donation et donateurs dans le monde byzantin. Actes du colloque international de l’université de Fribourg, 13-15 mars 2008, Paris, Desclée de Brouwer, 2012, Réalités byzantines 13. Et plus récemment Female Founders, voir supra, p. 19, n. 39.
2 Jusqu’à la récente synthèse de Houri Berberian, « Armenian Women : an Overview », dans Encyclopedia of Women & Islamic Cultures, vol. I, Family, Law and Politics, Leyde, Brill, 2005, p. 10-14, la question du statut de la femme arménienne a été largement ignorée. Le statut des Arméniennes au Moyen Âge est accessoirement abordé par Claude Mutafian, « La vie sexuelle des derniers rois d’Arménie », Aramazd. Armenian Journal of Near Eastern Studies, IV/1, 2009, p. 136-147 et, avec un point de vue plutôt ethnographique dans les travaux du père mekhitariste Vardan Hac‘uni, publiés à Venise au début du xxe siècle (Bazmavep 1923). Voir aussi Anthony Eastmond, « Diplomatic Gifts : Women and Art as Imperial Commodities in the 13th century », dans Saint-Guillain Guillaume et Stathakopoulos Dionysios, Liquid and Multiple : Individuals and Identities in the thirteenth century Aegean, Paris, 2012, p. 105-133.
3 Robert W. Thomson, The Lawcode [Datastanagirk’] of Mxit’ar Gos, Amsterdam and Atlanda, Rodopi, 2000, Dutch Studies in Armenian Language and Litterature 6, et Aram Mardirossian, Le Livre des canons arméniens (Kanonagirk‘ Hayoc‘) de Yovhannēs Awǰnec‘i. Église, droit et société en Arménie du ive au viiie siècle, Louvain, Brépols, 2004, CCSO 606.
4 Claude Mutafian, « Quelques spécificités de l’historiographie arménienne », Handes Amsorya 2010, 1-12, p. 253 et 261.
5 Jean-Pierre Mahé, « Norme écrite et droit coutumier en Arménie du ve au xiiie siècle », Travaux et Mémoires, no 13, 2000, p. 694.
6 Aram Mardirossian, Le Livre des canons arméniens, op. cit., p. 72-78.
7 Robert W. Thomson, Lawcode, op. cit., & 180, p. 102.
8 The Epic Histories (Buzandaran Patmut‘iwnk‘), Nina G. Garsoïan, trad. et comment., Cambridge, MA, Harvard University Press, 1989, p. 145, p. 398-399. Pour le meurtre d’Olympias, P̒aṙanǰem a recours aux services d’un prêtre complice qui, contre une importante récompense, mélange du poison au vin de l’eucharistie.
9 Sur les aspects romanesques du récit de la conversion : Jean-Pierre Mahé, « Le premier siècle de l’Arménie chrétienne (298-387) : de la littérature à l’histoire », dans Mutafian Claude, Roma-Armenia (catalogue de l’exposition), De Luca, 1999, p. 65.
10 David Marshall Lang, Lives and Legends of the Georgian Saints, Londres, G. Allen Unwin, et New York, The Macmillan Company, 1956, p. 44-56.
11 Voir Patrick Donabédian, L’âge d’or de l’architecture arménienne, Marseille, Parenthèses, 2008 et Jannic Durand, Ioanna Rapti et Dorota Giovannoni, Armenia Sacra. Mémoire sacrée des Arméniens, Paris Sommogy, 2007, p. 67-68 et 76-98.
12 Une répartition analogue est constatée en Italie dans l’Antiquité Tardive : Luce Pietri, « Évergétisme chrétien et fondations privées dans l’Italie de l’Antiquité Tardive », dans Jean-Michel Carrié et Rita Lizzi Testa, « Humana Sapit » Études d’Antiquité tardive offertes à Lellia Cracco Ruggini, Turnout, Brépols, 2002, Bibliothèque de l’Antiquité tardive 3, p. 261.
13 Timothy Greenwood, « A Corpus of Early Medieval Armenian Inscriptions », Dumbarton Oaks Papers, 56, 2004, p. 66 et 81-82, no 4, le titre est « եղուստր / ełustr », illustre.
14 Timothy Greenwood, art. cit., p. 86, no 11.
15 Ibid., p. 86, no 12.
16 Ibid., p. 86-87, no 13.
17 Ibid., p. 31 et p. 82, no 3.
18 Cyril Toumanoff, Studies in Caucasian History, Washington, Georgetown University Press, 1963, p. 206.
19 Paolo Cuneo, Architettura Armena, Rome, De Luca, 1988, no 407, p. 630-631.
20 Timothy Greenwood, art. cit., p. 35-36.
21 Sur les veuves voir Joëlle Beaucamp, « La législation matrimoniale à la lumière de la novelle 22 de Justinien », Settimane di Studio della Fondazione Centro Italiano di Studi sull’Alto Medioevo, Spoleto, 2006, vol. 53 (2005), p. 913-948 repris dans Eadem, Femmes, patrimoines, normes à Byzance, Paris, 2010, Association des Amis du Centre d’histoire et civilisation de Byzance, p. 340-343. Sur le mécénat des femmes aristocratiques dans l’Empire Romain d’Orient : Sylvain Destephen, « L’évergétisme aristocratique au féminin », dans Caseau Béatrice, Les réseaux familiaux. Antiquité tardive et Moyen Âge, Paris, 2012, Centre de recherche d’histoire et civilisation de Byzance, Monographies 37, p. 183-203.
22 Nina Garsoïan, « The Independant Kingdoms of Medieval Armenia », dans Hovannisian Richard, The Armenian People from Ancient to Modern Times, Londres, Macmillan, 1997, p. 146. Voir aussi Annie et Jean-Pierre Mahé, Histoire de l’Arménie des origines à nos jours, Paris, Perrin, 2012, p. 130.
23 Judith Herrin, « Changing Functions of Monasteries for Women during Byzantine Iconoclasm », dans Garland Lynda, Byzantine Women. Varieties of Experience AD 800-1200, Londres, 2006, Publications for the Centre of Hellenic Studies, King’s College London, 8, p. 14-15.
24 Marie-Félicité Brosset, trad. et notes, Stéphanos Orbelian. Histoire de la Siounie, Saint-Pétersbourg, Académie impériale des Sciences, 1964, p. 106.
25 Frédéric Macler, Histoire universelle par Étienne Asołik de Taron, traduite de l’arménien et annotée, Paris Ernerst Leroux, 1917, p. XLVI-XLVII. Une nouvelle traduction est en préparation par T. Greenwood. Un dispositif analogue se retrouve dans l’église palatiale d’Aght‘amar.
26 Step̒an Mnatsakanian et al., Sevan, Milan, 1987, Documenti di Archittetura Armena 18, p. 16.
27 Sedrak G. Barxowdaryan, Corpus Inscriptionum Armenicarum, vol. IV, Ełeknajor, Erévan, Académie des Sciences de la République Soviétique d’Arménie, 1973, no 491, p. 121. L’inscription présente Mariam comme visionnaire, avec des termes analogues que l’histoire de Jean Catholicos attribue à Mastoc̒ de Makenoc̒ à propos de la fondation de Sevan (trad. Maksoudian, p. 132 ch. 30-28).
28 Les termes sont précisément : Քրիստոսակրօն, ճգնաւոր et պարկեշտասուն եւ սրբափայլ կրօնիւք մեծն ի ճգնաւորս. Patricia Boisson-Chenorhokian, Yovhannês Drasxanakertc‘i, Histoire d’Arménie, Introduction, traduction et notes, Louvain, Brépols, 2004, CSCO 605, p. 274-275. Pour le texte arménien éd. et trad. G. B. T̒osownyan, Erevan, 1996, p. 230 et 232.
29 Le monastère comme structure organisée, pôle de vie économique et religieuse, est d’ailleurs une des transformations majeures qui surviennent en Arménie médiévale ; en gestation sous la domination arabe, les monastères émergent avec les principautés et se multiplient. Leur implantation dessine une géographie religieuse et politique qui reflète la répartition du pouvoir et coïncide avec les intérêts dynastiques : voir Jean-Pierre Mahé, « Le christianisme arménien avant et après l’Islam : rupture et continuité », dans Armenia Sacra, op. cit., p. 117-119.
30 Trad. Brosset Marie-Félicité, Histoire de la Siounie, op. cit., p. 136, p. 137 et 157.
31 Epic Histories, op. cit., p. 540. Aram Mardirossian, Le Livre des canons arméniens, op. cit., p. 133.
32 Susan Ashbrook, « Women in Early Syrian Christianity », dans Cameron Averil and Khurt Amélie, Images of Women in Antiquity, London, Routledge, 1993 (2e édition revue), p. 288-298.
33 Abel Oghlukian, The Deaconness in the Armenian Church. trans. by S. Peter Cowe, New Rochelle, NY : St. Nersess, 1993 et Kristin M. Arat, « Die Diakonissen der armenischen Kirche in kanonischer Sicht », Handes Amsorya, 1987, p. 153-189.
34 Robert W. Thomson, Lawcode, op. cit., p. 96.
35 Levon Azarian et Armen Manoukian, Khatchkars, Milan, 1969, Documenti di Architettura Armena 2, fig. 12.
36 Paolo Cuneo, Archittetura, op. cit., p. 290 et 303.
37 Artašēs Mat‘evosyan, Colophons des manuscrits arméniens, ve-xiie siècle (en arm.), Erevan, Éditions de l’Académie des Sciences de la RSSA, 1988, no 74, p. 60.
38 Lynn Jones, « Truth and Lies, Ceremonial and Art : Issues of Nationality in Medieval Armenia » dans Pohl Walter, Gantner Clemens et Payne Richard, Visions of Community in the Post-Roman World. The West, Byzantium and the Islamic World, 300-1100, Farnham, Ashgate, p. 229-230.
39 Les deux variantes de ce prénom, par ailleurs très rare, sont attestées.
40 Cf. aussi Gabriella Uluhogian, « Les églises d’Ani d’après le témoignage des inscriptions », Revue des Études Arméniennes, no 23, 1992, p. 396.
41 Frédéric Macler, Histoire universelle, op. cit., p. 139.
42 C’est grâce à l’intervention de Katramidé que Gagik Ier a restitué à la principauté de Siounie quelques uns de ses privilèges abolis en 958 : Nina Garsoïan, « The Independant Kindgoms... », op. cit., p. 170.
43 Jean-Michel Thierry, L’Arménie au Moyen Âge : les Hommes et les Monuments, [Saint-Léger-Vauban], Zodiaque, 2000, p. 272 ; Marie-Félicité Brosset, Description des monastères d’Haghpat et Sanahin, St-Petersbourg, 1863. Oleg Ghalpakhtchian et Adriano Alpago-Novello, Il complesso monastico di Sanahin (x-xiii sec.), Milan, 1970, Documenti di Architettura Armena 3. Annie et Jean-Pierre Mahé, Histoire de l’Arménie, op. cit, p. 704.
44 Marie-Félicité Brosset, Description, no 10, 11, p. 8 ; Karo Ghafadaryan, Monuments médiévaux et inscriptions architecturales (en arménien), Erevan, 1975, Éditions de l’Académie des Sciences de la République Soviétique d’Arménie, p. 146-147.
45 Sur la prosopographie et les mariages entre Bagratides et Arcruni voir Claude Mutafian, L’Arménie du Levant (xie-xive siècle), 2 vol., Paris, Les Belles Lettres, I, p. 262-264 et table G2.
46 Robert Thomson, Histoire des Arcruni, p. 270-271.
47 Ibid., p. 369-370.
48 Jean-Michel Thierry, Monastères arméniens du Vaspourakan, Paris, 1989, p. 137.
49 Thomas F. Mathews et Annie-Christine Daskalakis, « The Portrait of Princess Marem of Kars, Jerusalem 2556, fol. 135b », dans From Byzantium to Iran, Studies in Honour of Nina G. Garsoïan, Mahé Jean-Pierre et Thomson W. Robert, Atlanta, Ga, Scholars Press, 1997, 475-484 et Thomas F. Mathews, « The Kars Group of Armenian Illuminated Manuscripts of the Eleventh Century », à paraître. Je tiens à remercier le professeur Mathews de m’avoir communiqué son travail en cours de préparation.
50 Gérard Dédéyan, Les Arméniens entre Grecs, Musulmans et Croisés, Lisbonne, Fondation Calouste Gulbenkian, 2003, p. 291 and fig. 89.
51 Sylvia Schein, « Women in Medieval Colonial Society : the Latin Kingdom of Jerusalem in the Twelfth Century », dans Edgington Susan et Lambert Sarah, Gendering the Crusades, New York, Columbia University Press, 2001, p. 140-153 ; Ioanna Rapti, « Featuring the King. Rituals of Coronation and Burial in the Armenian Kingdom of Cilicia », dans Parani Maria, Beihammer Alexandre et Konstantinou Stavroula, Court Ceremonies and Rituals of Power in Byzantium and the Medieval Mediterranean. Comparative Perspectives, Leyde, Brill, 2013, p. 309-310.
52 Claude Mutafian, Le royaume arménien de Cilicie xiie-xive siècle, Paris, CNRS éditions, 1993, p. 22. Claude Mutafian, L’Arménie du Levant, op. cit., vol. II, fig. 86.
53 Judith Herrin, « The imperial feminine in Byzantium », Past & Present, 169-1, 2001, p. 15.
54 Claude Mutafian, L’Arménie du Levant, op. cit., vol. I, p. 375-381.
55 Gérard Dédéyan, La chronique attribuée au connétable Smbat, Paris, Geuthner, 1980, p. 90. Les nobles renouvellent leur engagement de fidélité à la princesse et à Léon Ier mourant, ibid. p. 93.
56 Promise au fils du roi de Hongrie, elle fut mariée à Philippe d’Antioche, contesté et tué par les seigneurs Arméniens : Claude Mutafian, La vie sexuelle, art. cité, p. 138.
57 Armenia Sacra, op. cit., p. 242 et no 108.
58 Sarah Lambert, « Queen of Consort : Rulership and Politics in the Latin East, 1118-1228 » dans Duggan Anne J., Queens and Queenship in Medieval Europe : Proceedings of a Conference held at King’s College London, Woodbridge, Boydell Press, 1997, p. 168 et Therese Martin, Queen as King. Politics and Architectural Propaganda in Twelfth-Century Spain, Leyde, Brill, 2006, Medieval and Early Modern Iberian World 30, p. 199 et 206.
59 Marie-Félicité Brosset, Deux historiens arméniens, Kiracos de Gantzac, xiiie s., Histoire d’Arménie ; Oukhtanès d’Ourha, xe s., Histoire en trois parties, 1re livraison, Saint-Pétersbourg, Académie impériale des Sciences, 1870, ch. X, p. 93. Léon Alichan, Sissouan, Venise, 1885, p. 223, mentionne une inscription, disparue depuis, attestant la fondation d’un hospice en 1241.
60 Sirarpie Der Nersessian, Miniature Painting in the Armenia Kingdom of Cilicia, Washington, DC, 1993, Dumbarton Oaks Studies 31, p. 155.
61 Op. cit., p. 156, fig. 641. Le patronage de la reine Keran devrait faire l’objet d’une autre étude, dont une première ébauche a été présentée au colloque Female Founders à Vienne en 2008 (voir supra n. 39 page 19) et à la journée d’étude Femmes mécènes à l’université de Lille en 2010, cette étude a été incorporée dans ma thèse d’HDR « Traditions byzantines, innovations gothiques et échos des croisades », Paris, 2013.
62 Un rare parallèle est attesté dans un inventaire grec de 1395, où il est question du tombeau d’une femme prénommée Kérannè (Κερανὴ) : Brigitte Pitarakis « Les revêtements d’orfèvrerie des icônes paléologues vus par les rédacteurs d’inventaires de biens ecclésiastiques. Les icônes de la Vierge Spèlaiôtissa de Melnik (Bulgarie) », Cahiers archéologiques, no 53, 2009-2010, p. 133.
63 Pour le manuscrit (Jérusalem Patriarcat arménien ms 1956 de 1265), voir Sirarpie Der Nersessian, Miniature Painting, op. cit., p. 53 et 57-59 et Ioanna Rapti, « La voix des donateurs : pages de dédicaces dans les manuscrits arméniens de Cilicie », dans Spieser Jean-Michel et Yota Élisabeth, Donation et donateurs, op. cit., p. 320.
64 Les manuscrits sont respectivement Maténadaran 7690 et Venise, San Lazzaro, Bibliothèque des pères mékhitaristes 376. Sirarpie Der Nersessian, Miniature Painting, op. cit., p. 82. Pour le second manuscrit cf. aussi Claude Mutafian, Arménie, la magie de l’écrit, Paris, Somogy, 2007, no 3.17.
65 Bibliothèque nationale de France arm 42 : ce manuscrit contient deux commentaires des Écritures de Vardan Aṙewelc̒i et de Mxit̒ar de Tašir : Raymond Kévorkian et Armen Ter-Stépanian, Manuscrits arméniens de la Bibliothèque nationale de France, Paris 1998, col. 70-75.
66 Matenadaran ms 6764, Armenia Sacra, op. cit., no 142.
67 Ioanna Rapti, « La peinture dans les livres au royaume des Lusignan », dans Durand Jannic et Giovannoni Dorota, Chypre entre Byzance et l’Occident, ive-xvie siècle, Paris, Somogy, 2012, 2012, p. 260.
68 Jérusalem, Patriarcat arménien, 1973, fol. 258v : Sirarpie Der Nersessian, Miniature Painting, op. cit., p. 160 et fig. 650.
69 Voir par exemple l’icône de saint Sargis commanditée par une veuve qui y figure effleurant le pied du cavalier : Jaroslav Folda, Crusader Art, Aldershot, Lund Humphries, 2008, p. 122-125.
70 Kirakos de Ganjak note que le mariage de T̒amt̒a, fille d’Ivanē Zak̒arian (arménien chalcédonien) avec l’émir d’Akhlat̒marquait la conclusion d’une trêve et entraina l’allègement de moitié des taxes de monastères Kirakos, cf. Marie-Félicité Brosset, op. cit., ch. 5 p. 82-83. La charité semble alors devenir une expression de générosité concurrente ou complémentaire, op. cit, p. 90 : Astuacatur d’Arčēš, vardapet issu d’une grande famille charitable apprend la mort de sa mère ; à l’enterrement il lui mit de l’or et de l’argent entre les mains et invita les pauvres à le prendre comme si c’était elle qui le distribuait.
71 Jean-Michel Thierry, Arménie médiévale, op. cit., p. 243 et Bagrat Ulubabian et Murad Hasratian, Gandzasar, Milan, 1987, Documenti di Architettura Armena 17.
72 Kirakos, trad. Marie-Félicité Brosset, op. cit., ch. XXXI p. 132.
73 Voir la discussion à propos de Marie d’Alanie : Lynda Garland et Stephen Rapp, « Mary ‘of Alania’ : Woman & Empress Between Two Wolds », dans Garland Lynda, Byzantine Women, op. cit., notamment p. 92 et 115-122.
74 Une représentation exceptionnelle est documentée sur un tympan sculpté daté de 1274, aujourd’hui connu par une photographie ancienne : il représente Mina xat‘un, aux côté de son époux, le prince de SIounie Taršayč‘ Orbelian (Claude Mutafian, L’Arménie du Lévant, op. cit., II, fig. 31.) Le patronage féminin dans les manuscrits suit en général les mêmes modèles en s’adaptant souvent à des moyens plus modestes et s’étendant ainsi à de catégories sociales inférieures. Voir par exemple : Ioanna Rapti, « Un tétraévangile arménien de 1313 et ses miniatures géorgiennes », Revue des Études Arméniennes, no 29, 2003-2004, p. 272-278.
Auteur
UMR 8167 Orient et Méditerranée
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