Zampia Palaiologina Doria épouse du prétendant ottoman Muṣṭafā
Un fils de Bāyezīd Ier (1421) ou de Meḥmed Ier (1422) ?
p. 133-169
Résumés
L’installation des Ottomans en Europe dès le milieu du xive siècle et leur ascension aux dépens de Byzance ont fait en quelques décennies de leurs dynastes des partenaires matrimoniaux incontournables pour les empereurs byzantins. Jusque-là jugée dégradante, l’alliance matrimoniale avec les émirs devint alors éminemment souhaitable, dans l’espoir de mettre fin à une conquête territoriale irrésistible que l’Empire n’était plus en état de juguler militairement. Cependant, les sources dont nous disposons permettent difficilement de restituer ces unions ottomano-byzantines. Il en est ainsi de la dernière en date, en 1421 ou en 1422, entre le prétendant ottoman Muṣṭafā et Zampia Palaiologina Doria. L’examen des sources disponibles sur ce mariage a néanmoins permis de redresser l’état-civil de chacun des deux protagonistes. Zampia était une nièce de Manuel II et non une petite-fille, comme admis jusqu’ici. Quant au prince Muṣṭafā en question, son identité peut également être assurée. Entre Muṣṭafā, fils de Bāyezīd Ier éliminé en 1422, et Muṣṭafā, fils de Meḥmed Ier assassiné par son frère Murād II en 1423, l’historiographie avait tranché unaniment en faveur du premier. Il s’avère qu’en réalité, c’est le second qui est en cause, soit Muṣṭafā fils de Meḥmed Ier, âgé d’à peine 13 ans au moment de son mariage. Pour les écrivains grecs de la Turcocratie, la chute de l’Empire en 1453 a été voulue par Dieu pour punir les Byzantins de leurs péchés, et les Turcs, pourtant infidèles, n’ont été que les instruments de la colère divine à leur égard. Or, au lieu de s’amender, les derniers empereurs n’ont fait que susciter plus encore le courroux divin en mariant leurs parentes chrétiennes à des princes musulmans, dans l’espoir insensé d’en faire des clients et des alliés durables.
Zampia Palaiologina Doria, Spouse of the Ottoman Pretender Muṣṭafā: A Son of Bāyezīd I or of Meḥmed I?
The Ottoman occupation of parts of Europe by the middle of the 14th century and the rise of their state at the expense of Byzantium transformed Ottoman rulers into essential partners in marriage for the Byzantine emperors within a matter of decades. Hitherto considered degrading alliances, marriages with the Ottoman emirs became highly desirable in the hope of ending a territorial conquest that could no longer be held in check by the Empire’s armies. It is difficult, however, to reconstruct such Ottoman-Byzantine alliances on the basis of present information. Such is the case with respect to the latest of these marriages, dated to 1421 or 1422, between the Ottoman pretender Mustafā and Zampia Palaiologina Doria. Close study of the available sources regarding this marriage has nonetheless made it possible to rectify the particulars of each of the two protagonists. Zampia was a niece of Manuel II, not his granddaughter (as was hitherto believed). The identity of Prince Mustafā can similarly be established with some certainty. Historiography has consistently identified him with Muṣṭafā, son of Bāyezīd I, killed in 1422, rather than Mustafā, son of Mehmet I, murdered by his brother Murād II in 1423, but he is, in fact, is the latter: the son of Mehmet I, married to Zampia at the age of thirteen. For Greek writers of the Tourkokratia, the fall of the Byzantine Empire in 1453 was God’s punishment for their sins; and the Turks, though infidels were but the instruments of divine anger. Rather than mend their ways, the last emperors further drew God’s rage by marrying their Christian children to Muslim princes in the irrational hope of forging enduring alliances with them.
Texte intégral
1La question des unions byzantino-ottomanes aux xive-xve siècles, effectivement célébrées ou restées à l’état de projets, n’a pas été abordée jusqu’à aujourd’hui. La raison en tient sans doute à la difficulté qu’il y a à manier des sources byzantines et ottomanes peu explicites, et souvent contradictoires. La parution de plusieurs travaux récents, la publication de sources nouvelles, ainsi que l’apport d’une documentation inédite – en particulier latine –, permettent de la traiter maintenant de manière plus assurée. Cependant, parce qu’elle réclame un réexamen méticuleux et complet des sources, cette étude, trop longue, n’a pu trouver place dans le présent ouvrage, et sera publiée ailleurs. On se contentera ici de l’examen de l’union qui eut pour protagoniste la princesse byzantino-génoise Zampia Palaiologina Doria. Elle a été l’objet de bien des malentendus, et il se trouve que son cas illustre de manière emblématique ce problème de confusion des sources byzantines. Un rappel rapide des unions antérieures s’avère toutefois nécessaire afin de replacer celle qui nous occupe dans son contexte. Il se trouve en effet que Zampia Palaiologina Doria fut la dernière des princesses byzantines à être donnée en mariage à un prince ottoman, venant clore ainsi une série de six princesses qui furent sélectionnées par les empereurs pour postuler au statut de souveraine ottomane, « ḥatūn » pour les Turcs, « amirissa » (ἀμήρισσα) pour leurs coreligionnaires.
Les unions ottomano-byzantines antérieures, effectives comme avortées (1346-1411)1
2Cette série fut inaugurée comme on sait par l’usurpateur Jean VI Kantakouzènos (Cantacuzène), qui maria en 1346 sa fille légitime Théodôra à l’émir Orḫān (union no 1). Cette union fit scandale à Byzance, non pas en raison de la religion musulmane du marié – après tout cela faisait beau temps que les empereurs Paléologue donnaient régulièrement leurs filles en mariage aux khans de la Horde d’Or –, mais en raison à la fois du statut social jugé très inférieur du prétendant et des motivations cyniques qui avaient présidé à la décision de cette union par Jean VI. Orḫān n’était en effet que l’un des nombreux petits begs turcs qui se partageaient à l’époque l’Anatolie, et pas même le plus puissant d’entre eux. Surtout, Kantakouzènos escomptait par ce mariage monnayer l’alliance militaire de l’Ottoman – depuis que celle qu’il avait conclue avec Umur d’Aydin était venue à lui manquer – pour triompher enfin de sa lutte contre l’empereur légitime Jean V Palaiologos (Paléologue), dans le cadre de la guerre civile que ses ambitions avaient déclenchée : ce qui revenait à inviter très officiellement ses hordes à ravager le territoire byzantin et à réduire ses habitants en esclavage.
3L’installation des Ottomans en Europe dès la fin de la guerre civile (1354), puis leur ascension irrésistible aux dépens de Byzance, fit en quelques décennies de leurs souverains des partenaires matrimoniaux incontournables pour les empereurs. L’affaiblissement inversement proportionnel de l’empire rendit l’alliance matrimoniale avec les émirs, jugée jusque-là dégradante à Byzance, non seulement équilibrée mais même souhaitable, au vu du bénéfice que l’on escomptait en retirer : l’achat de la paix et un coup d’arrêt à une conquête territoriale irrésistible, que l’empire n’était plus en état de juguler par ses forces militaires. C’est ainsi que dès 1358, le vainqueur de la guerre civile Jean V Palaiologos fiança sa fille Eirènè (Irène), alors âgée de neuf ans, à Ḫalīl, le quatrième des cinq fils d’Orḫān (union no 2). Bien entendu l’arrangement se révéla un marché de dupes pour Byzance, et Orḫān, comme son fils et successeur Murād Ier (1362/89), ne cessèrent pas pour autant leur politique de conquête systématique.
4L’année 1376 vit un nouveau projet d’union (union no 3). Elle concernait une autre fille de Jean V, Maria, qui fut proposée à Murād Ier, frère du défunt Ḫalīl. Mais cette fois Jean V n’était pour rien dans cette affaire : ce mariage fut décidé par son fils Andronic IV, qui, l’année précédente, s’était rebellé contre lui avec l’aide ottomane et génoise et, une fois maître du pouvoir, avait emprisonné son père. La main de Maria, qui avait été éconduite en 1372 par le jeune roi de Chypre Pierre II de Lusignan, avait été l’une des promesses faites par Andronic à l’émir pour obtenir son alliance, la principale consistant à lui rendre ni plus ni moins que Gallipoli, dont le contrôle retrouvé par les Byzantins entravait quelque peu, depuis 1366, le passage des Ottomans entre l’Asie Mineure et l’Europe. Depuis 1373, Maria était entrée en religion. Son frère Andronic n’eut cependant aucun scrupule à la faire sortir de son monastère pour l’occasion. Mais, lorsqu’au printemps 1377 il se mit en marche vers l’Asie Mineure pour aller rendre à Murād ses obligations de vassal, profitant de l’occasion pour lui remettre enfin sa sœur, cette dernière mourut en chemin, huit jours après son départ de Constantinople.
5L’avènement de Bāyezīd Ier, fils et successeur de Murād, en juin 1389, signa une nette aggravation dans les relations ottomano-byzantines, le jeune émir montrant d’entrée sa détermination à mettre fin à l’Empire byzantin, ce qui explique qu’il ne fut pas question d’une union matrimoniale avec lui. Comme on sait, à partir de 1394 il mit devant Constantinople un siège qui devait durer huit années. Seule l’irruption inopinée du conquérant mongol Timur Leng (Tamerlan), que Bāyezīd avait provoqué inconsidérément, sauva Byzance de l’anéantissement, lui accordant pour l’occasion un demi-siècle d’existence supplémentaire. Le Mongol défit en effet complètement l’Ottoman lors de la bataille d’Ankara, le 20 juillet 1402, entraînant la soudaine dislocation du grand empire qu’il avait réussi à constituer les années précédentes. Dans l’immédiat, cet événement providentiel – et jugé comme tel par les Byzantins – signa pour l’empereur byzantin, en l’occurrence Manuel II, un spectaculaire retournement de situation, puisqu’elle le fit passer subitement de la position humiliante de vassal à celle de protecteur des émirs ottomans. Ceux-ci se déclaraient désormais ses fils obéissants, lui reconnaissant par la même occasion le droit de se poser en arbitre suprême des querelles dynastiques ottomanes qui ne tardèrent pas à se déclencher.
6Capturé à l’issue de la journée d’Ankara et bientôt décédé en captivité, Yıldırım Bāyezīd ne laissait en effet pas moins de sept fils. Trois de ceux qui étaient présents sur le champ de bataille réussirent à s’échapper et furent à même, dès les premières phases de la guerre civile turque, de s’établir à la tête d’une province : Emīr Süleymān en Europe (Roumélie), ‘İsā et Meḥmed en Anatolie. Deux autres, Muṣṭafā et Mūsā, furent capturés par Timur. Mūsā fut libéré dès le printemps de 1403 ; après quoi, il se mit au service de son frère Meḥmed. Quant à Muṣṭafā, dont il va être plus spécialement question ici, envoyé à Samarkande comme otage, il devait rester détenu bien plus longtemps, jusqu’en 1413. Quant aux deux derniers fils de « La Foudre », Yūsūf et Qāṣim, ils servirent eux aussi d’otages, ainsi que leur sœur Faṭma, mais cette fois à Byzance, à l’évidence dès 1403. Aspirant au pouvoir suprême et prêts pour ce faire à éliminer leurs frères concurrents, les fils de Bāyezīd s’en vinrent tous à un moment donné quémander l’appui et l’arbitrage de Manuel II. Bien entendu, ce dernier supporta tour à tour chacun des candidats les uns contre les autres, au gré de ses seuls intérêts. Et c’est de main de maître qu’entre 1403 et 1421 il usa avec un art consommé de l’arme des faibles, une diplomatie extrêmement réactive, déployée dans plusieurs directions à la fois et toujours prompte à tenir compte des rebondissements imprévus d’une lutte dans laquelle les cartes étaient sans cesse rebattues. C’est que la conjoncture ottomane se révéla extrêmement fluctuante dans cette période troublée2. Non seulement le prince sur lequel Manuel II jetait son dévolu, scellant avec lui une alliance assortie d’une union matrimoniale, n’était pas forcément destiné à l’emporter à tous les coups sur ses frères et compétiteurs, mais dans les faits, il était même rare que l’empereur byzantin misât d’emblée sur le bon candidat. L’élimination souvent rapide du gambros (gendre) ottoman du basileus sonnait alors le glas des espérances politiques qu’il avait conçues et qui, seules, lui avaient imposé la conclusion de cette union. Aussi fallait-il au souverain byzantin entrer sans tarder en contact avec un autre candidat à qui proposer une autre infortunée, et remettre sans cesse l’ouvrage sur le métier… Cette politique matrimoniale de Manuel II buta aussi sur un autre obstacle. Les filles qu’il avait eues de son épouse Hélènè Dragasès n’avaient pas vécu, tandis que, contrairement à ce que l’on a longtemps cru, il n’eut jamais aucun enfant bâtard, ni avant, ni après son mariage. Certes digne d’éloge, cette vie personnelle et conjugale impeccable n’en constituait pas moins un lourd handicap pour l’indispensable politique diplomatico-matrimoniale d’un empereur byzantin. Pour continuer à la conduire, Manuel II fut donc contraint d’avoir recours durant son règne aux filles issues de sa parenté immédiate, en priorité ses nièces. Il ne s’en priva pas, comme on verra.
7Emīr Süleymān, le fils aîné de Bāyezīd, s’imposa dans la partie européenne de l’Empire ottoman dès la fin de 1402. L’alliance personnelle qu’il conclut à Constantinople en juin 1403 avec son « père » Manuel II ne fut pas alors assortie d’une union matrimoniale, mais seulement scellée par une remise d’otages : il lui livra à cette occasion ses jeunes frères et sœurs Yūsūf – qui se convertit au christianisme sous le prénom de Dèmètrios à la veille de sa mort de la peste, en 1417, dans la capitale byzantine –, Qāṣim, et Faṭma. Mais en 1410, la menace que faisait peser sur Emīr Süleymān son jeune frère Mūsā, instrumenté au début depuis l’Anatolie par son puiné Meḥmed, devint si prégnante qu’il lui fallut renouveler sur de nouvelles bases l’alliance byzantine3. Reçu à Constantinople en juin 1410, Emīr Süleymān fournit cette fois comme otages à Manuel II ses propres enfants, Orḫān et Faṭma. De son côté, l’empereur lui donna alors une de ses nièces en mariage, une fille bâtarde de son défunt frère, le despote de Morée Théodore Ier (union no 4). Fort de la mise à sa disposition de la flotte byzantine pour faire passer son armée en Europe, Emīr Süleymān commença par avoir le dessus sur Mūsā lors de la bataille de Kosmidion, qui fut livrée à proximité des murailles terrestres de la capitale, en vue du palais impérial des Blachernes (15 juin 1410). Mais le 17 février 1411, abandonné sans troupes à Andrinople, il fut tué par de simples villageois alors que, presque seul et poursuivi par Mūsā, il s’enfuyait vers Constantinople pour s’y réfugier.
8La victoire finale de Mūsā mit fin à la politique conciliante qu’avait menée depuis 1403 son frère Emīr Süleymān vis-à-vis des pouvoirs chrétiens, en premier lieu vis-à-vis de Byzance, Mūsā ayant bien l’intention de reprendre l’œuvre de son père là où le désastre d’Ankara l’avait forcé à la laisser en 1402. Dès le printemps de 1411 il mit simultanément le siège sur Sélymbria et Constantinople, ravageant également la Thessalie. Pour contrer cette menace, Manuel II utilisa deux leviers. Tout d’abord Orḫān, le fils du défunt Süleymān, que ce dernier avait remis entre ses mains. Mais proclamé par les Byzantins son successeur légitime en Roumélie, l’adolescent était dépourvu de soutiens parmi les anciens sujets de son père, et il ne pouvait être question de l’envoyer déjà s’opposer à son oncle. C’est pourquoi Manuel II fit simultanément des ouvertures à un concurrent au trône ottoman autrement plus consistant, Meḥmed, le frère de Mūsā toujours installé en Anatolie. L’empereur lui proposa de mettre à sa disposition sa flotte pour passer en Europe, et de le soutenir militairement contre Mūsā. L’arrangement prévoyait qu’une fois Mūsā éliminé, Meḥmed reconnaîtrait Orḫān comme souverain de Roumélie, acceptant ainsi de souscrire au principe d’un partage du pouvoir entre oncle et neveu. En cela s’exprimait une préoccupation essentielle de Manuel II, qui eut toujours pour premier souci d’éviter à tout prix la reconstitution de l’empire unifié de Bāyezīd Ier. Meḥmed accepta les termes de cet accord dès juillet 1411, soit dès les débuts du siège mis par Mūsā devant Constantinople. Il semble qu’il ait été assorti d’une union matrimoniale : l’empereur aurait proposé à Meḥmed une autre de ses nièces, qui appartenait à la fameuse famille byzantine qui avait donné aux Ottomans leur première amirissa byzantine, Maria Kantakouzènè (union no 5). À moins que la jeune fille – car les sources ne sont pas claires en raison d’une chronologie très resserrée – ait été en réalité promise à Orḫān, le fils de feu Emīr Süleymān.
9Il s’agissait de la seconde fille de Théodôros Palaiologos Kantakouzènos († 1410) « l’oncle » de l’empereur, dont la sœur aînée, Théodôra, était devenue impératrice de Trébizonde en 13954. Moyennant quoi le mariage ne se fit pas : la généalogie inédite des Kantakouzènoi dite de Massarelli, qui nous révèle ce projet matrimonial, rapporte en effet que la promise resta finalement « demoiselle », car, promise au Grand Turc, « elle en creva de douleur ». S’il ne fournit pas à Meḥmed une autre nièce pour la remplacer – la deuxième sœur de Maria, Eirènè, fut finalement mariée en 1414 au futur despote serbe Djuradj Branković –, Manuel II le soutint avec une grande constance, quand bien même Meḥmed, entre 1411 et 1413, essuya pas moins de deux défaites consécutives face à Mūsā, tandis que ce dernier parvenait à éliminer le jeune Orḫān au printemps 1412. Remis en selle à chaque fois par l’empereur byzantin, Meḥmed finit enfin par l’emporter sur Mūsā lors de la bataille de Çamurlu, en Bulgarie, près de Sofia, le 13 juillet 1413. Cette victoire fit de lui le sultan d’un Empire ottoman réunifié, au grand dam de Manuel II, qui eût préféré le voir dirigé par deux souverains entre lesquels jouer le rôle d’arbitre. Cependant le vainqueur désormais sans rival eut l’élégance de respecter le gentlemen’s agreement qu’il avait passé avec le vieil empereur deux ans plus tôt. S’il ne fut plus question pour lui de prendre en mariage une princesse byzantine pour remplacer son ancienne fiancée défunte, Meḥmed Ier se montra déterminé à respecter la paix avec « son bien-aimé père » Manuel II.
10Il est vrai qu’à quelque temps de là, l’empereur sut se réserver un moyen de pression susceptible de maintenir le nouveau sultan dans ces dispositions filiales à son égard. À partir de 1416 il s’assura en effet de la personne de Muṣṭafā, le dernier des fils encore vivants du défunt Bāyezīd Ier, devenu entre-temps rival déclaré de Meḥmed. En vertu des accords passés alors entre Manuel II et Meḥmed, ce Muṣṭafā fut gardé par les Byzantins jusqu’à la mort de Meḥmed, survenue en 1421. Ces derniers décidèrent alors de l’instrumentaliser et d’en faire leur candidat au trône ottoman contre l’héritier légitime Murād II, le fils aîné de Meḥmed. La manœuvre échoua et Muṣṭafā fut éliminé par Murād II dès 1422. Les Byzantins lui opposèrent alors cette fois non pas un oncle, mais un frère. Or ce prince, alors un jeune adolescent, se prénommait malencontreusement, lui aussi, Muṣṭafā. À peine mis en selle, ce jeune Muṣṭafā fut à son tour éliminé par Murād II, en 1423.
11Ce fut à l’un de ces deux princes Muṣṭafā que les Byzantins donnèrent en mariage la princesse byzantino-génoise Zampia Palaiologina Doria, toute la question étant de déterminer qui, de l’oncle ou du neveu, était en cause. Autre point à établir : le lien familial exact entre cette Zampia et Manuel II, qui exige également un nouvel examen. Pour répondre à la première question, un préalable se révèle indispensable : l’examen approfondi des carrières successives de chacun de ces princes à partir des sources contemporaines, afin de les départager.
Les itinéraires successifs des deux Muṣṭafā (1413-1423)
12Meḥmed Ier réussit à mettre un terme à « l’interrègne » ottoman (Fetret Devri : 1402-1413) et à régner seul sur l’Empire ottoman jusqu’à sa mort5. Mais cela ne signifie pas qu’il cessa pour autant d’être contesté. ÀByzance on enregistra avec satisfaction son intention, après sa victoire finale, de maintenir avec l’empereur les accords anciens sur la base filiale, mais Manuel II était trop clairvoyant pour ne pas réaliser que la sécurité de son État ne saurait être bien longtemps assurée par un tel gentleman agreement, qui ne durerait au mieux que le temps de leur vie à tous deux. Certes, Meḥmed Ier démontra sa bonne volonté en concentrant aussitôt ses actions vers l’Anatolie, au détriment de l’Europe. Mais durant les deux années de longues campagnes militaires qu’il mena là-bas pour y restaurer l’autorité ottomane, les succès qu’il y enregistra confirmèrent par trop la fin du statu quo sorti de la bataille d’Ankara : le formidable État bâti par Bāyezīd Ier était en train de renaître. Soucieux de maintenir sa paix avec Meḥmed mais méfiant, Manuel II ne put qu’être attentif à la sourde révolte qui montait des rangs des begs anatoliens, autrefois restaurés dans leur indépendance par Timur et en passe d’être maintenant soumis par Meḥmed. Mais ce n’est pas lui qui chercha à lui susciter un rival : il se contenta de manifester sa vigilance en faisant barrer l’entrée du Péloponnèse par la construction de l’Hexamilion, muraille défensive destinée sans équivoque à empêcher dorénavant les incursions turques, tout en continuant, par une diplomatie active, à exciter l’Occident contre la renaissance du pouvoir ottoman6.
13Le coup vint en fait de Samarkande. Le timuride Shāhrukh s’y considérait comme le souverain légitime de l’Anatolie, l’Ottoman n’étant à ses yeux dans cette région-là qu’un vassal parmi d’autres. Travaillé par les begs spoliés, mais nullement prêt à intervenir directement comme l’avait fait autrefois son père Timur Leng, il opta pour une solution moins radicale, mais qui pouvait se révéler tout aussi efficace que l’intervention directe pour tenter d’abattre la puissance ottomane renaissante. Dès 1413 qui vit le triomphe de Meḥmed, le Timuride relâcha subitement Muṣṭafā, le fils de Bāyezīd Ier prisonnier entre ses mains depuis plus de dix années7, dans le but d’opposer à Meḥmed un challenger pour le trône. La réapparition soudaine sur la scène de ce prince, que tout le monde avait oublié depuis 1402, stupéfia et divisa les contemporains, incapables de trancher la question de l’authenticité de ce frère de Meḥmed. Il est vrai que la propagande de ce dernier s’attacha aussitôt à proclamer que le vrai Muṣṭafā était mort en captivité à Samarkande, et que celui-là n’était qu’un imposteur grossier8. L’historiographie moderne est longtemps restée partagée à son sujet9, avant de trancher : Muṣṭafā était bien celui qu’il prétendait être, à savoir l’un des fils de Bāyezīd Ier10. De fait, la révolte qu’il orchestra contre son frère n’aurait certainement pas bénéficié de si puissants soutiens comme elle ne se serait pas révélée si dangereuse s’il avait été l’imposteur et le « Turc de basse extraction » que les partisans de Meḥmed Ier tentaient de faire accroire. Le sobriquet de « Düzme » (« l’imposteur ») qui accompagne son nom dans l’historiographie est donc injustifié. Aussi, afin de le distinguer de son neveu homonyme fils de Meḥmed Ier, on préférera parler ici de « premier » et de « second » Muṣṭafā.
14Sitôt libéré, le « premier » Muṣṭafā entra donc en action. Le 28 novembre 1413, le Sénat de Raguse se faisait l’écho de ce « qu’un certain frère de Meḥmed Ier s’était récemment soulevé contre lui dans les régions de la Turquie11 ». Quelques mois auparavant, alors qu’en Europe Meḥmed se préparait pour la dernière bataille contre Mūsā, vers le début de l’été 1413 le Grand Karaman avait pillé et brûlé Bursa, la vieille capitale ottomane. Certes, il s’était retiré au bout d’un mois, une fois qu’il eût appris la victoire finale de Meḥmed contre son frère12, mais cet émir ne s’était nullement soumis ; au contraire, il poursuivait la lutte. Il est donc évident que les événements de l’automne suivant n’étaient que de nouveaux développements de sa guerre contre Meḥmed : entre-temps, le Karamanide s’était tout simplement allié à Muṣṭafā, le concurrent au trône ottoman que venait fort à propos de lui procurer son protecteur, le Timuride Shāhrukh. Il semble que Meḥmed Ier n’ait pas été en mesure de s’opposer efficacement à ces révoltes avant le milieu de 1415.
15Le 15 janvier 1415, on apprenait à Venise l’étrange odyssée d’un agent turc de Muṣṭafā. Dans les environs « des deux châteaux » – les deux Hiéron du détroit du Bosphore, soit Rumeli-Kavak et Anadolu-Kavak ? –, le personnage s’était fait admettre sur une galère vénitienne qui se dirigeait vers Constantinople, en prétextant vouloir se rendre dans la capitale byzantine afin de s’y faire soigner pour une maladie des yeux. Mais une fois la galère arrivée à Constantinople, apprenant que Manuel II ne s’y trouvait pas – l’empereur avait en effet quitté sa capitale le 25 juillet pour Thessalonique puis pour la Morée –, il refusa de descendre à terre, révélant alors au patron qu’il était venu en réalité dans l’intention de s’entretenir avec l’empereur de la part de son maître Muṣṭafā. Une fois au fait de la véritable identité du voyageur turc, le patron refusa de le garder à bord et informa de toute l’affaire le baile vénitien – alors Francesco Foscarini –, qui jugea plus habile de laisser le Turc embarquer, à condition que le patron n’ait pas à dévier de sa route pour l’amener où il voudrait. Moyennant quoi, l’envoyé de Muṣṭafā se trouvait maintenant à Venise, destination finale de la galère, et réclamait instamment une audience auprès d’un Sénat très embarrassé par toute cette affaire13. Trois jours plus tard – on apprend à cette occasion que l’envoyé turc avait à ses côtés un collègue d’ambassade grec –, la nécessité d’entendre et d’examiner ses propositions fut discutée. Muṣṭafā réclamait en effet que les Vénitiens mettent à sa disposition une galère pour passer « dans les parties de la Grèce parce qu’il disposait là-bas de nombreux appuis contre son frère », et surtout proposait ni plus ni moins à Venise la conclusion d’une ligue offensive contre ce dernier. Les sénateurs se dérobèrent adroitement14, mais réalisèrent combien, pour faciliter leurs tractations en cours avec Meḥmed Ier et les intérêts de leurs marchands dans ses territoires, il pourrait s’avérer profitable de lui communiquer la nouvelle de la venue à Venise des ambassadeurs de son frère, ainsi que les raisons de leur démarche15. Le 20 janvier suivant, les deux ambassadeurs étaient revenus à la charge. S’il advenait que leur maître Muṣṭafā parvînt « à se rendre maître des terres de son défunt père », il voulait pouvoir compter sur la faveur et l’amitié vénitienne ; leur intention présente était de se rendre aussitôt à Senj (Segna, en Croatie, sur la côte adriatique) afin de passer de là en Valachie pour aller trouver le voïvode Mircea. En conséquence, ils réclamaient de pouvoir accoster dans cette ville et de bénéficier de lettres d’introduction de la Sérénissime adressées au seigneur de Senj – Nikola IV Frankopan (Frangipane) – en leur faveur. Venise répliqua qu’elle ne voyait aucun inconvénient à ce qu’ils aillent à Senj. Cependant, le seigneur de cette ville étant sujet du roi de Hongrie avec lequel la République n’était pas en paix, quoiqu’elle eût signé une trêve avec lui, il ne pouvait être question de leur fournir pareil document. En raison de sa paix avec Meḥmed Ier, la République refusait de faire conduire elle-même les deux ambassadeurs jusqu’à Senj pour aller de là trouver le voïvode de Valachie. Tout au plus consentait-elle, par égard pour leur maître Muṣṭafā, à les reconduire à ses frais en Anatolie sur un territoire qui fût ami tant de Venise que de Muṣṭafā, par exemple à Theologo (Éphèse) ou Palatia (Milet), comme il plairait aux ambassadeurs16.
16Jamais signalée17, cette délibération du 20 janvier 1415 prouve combien, dès les débuts de sa réapparition, la lutte de Muṣṭafā contre Meḥmed apparut très dangereuse pour ce dernier. En Anatolie, Muṣṭafā était l’allié tant du Grand Karaman que, à l’évidence, de l’émir de Kastamonu. Mais il pouvait déjà compter aussi sur l’appui des seigneurs de Menteshe (Palatia) et d’Aydin (Altoluogo), puisque Venise jugeait ces territoires tant amis d’elle-même que de Muṣṭafā, au point de pouvoir y débarquer sans risque ses ambassadeurs dans une Anatolie en principe soumise à Meḥmed. Le maître d’Aydin, soit de Smyrne et d’Éphèse, n’était autre que le très remuant Djunayd, qui trouvait en Muṣṭafā un candidat lui permettant de défier Meḥmed Ier tout aussi efficacement qu’il avait, par le passé, appuyé puis défié tour à tour ses prédécesseurs Emīr Süleymān comme Mūsā, en jouant les uns contre les autres, pour garder sa chère Smyrne. À l’automne 1414, donc bien plus tôt qu’on ne le croyait, il était déjà de mèche avec Muṣṭafā18. Mais le plus surprenant de l’affaire est que Muṣṭafā ait décidé dès cette époque de renforcer sa coalition anatolienne en recherchant en Europe l’appui de Manuel II et de Mircea de Valachie. Le contact avec l’empereur byzantin n’ayant pu être établi, pour cause d’absence du souverain de sa capitale19, les ambassadeurs de Muṣṭafā, après avoir sans succès tenté d’obtenir l’alliance de Venise, s’apprêtaient à aller trouver le souverain valaque. Muṣṭafā se proposait donc de réitérer très exactement l’itinéraire suivi par son défunt frère Mūsā six ans plus tôt20…
17La suite est connue. Au printemps 1415, Meḥmed Ier obtenait la soumission de l’émir de Kastamonu, subjuguait le Grand Karaman et forçait Elias de Menteshe à reconnaître son autorité, tandis qu’il reprenait Smyrne à Djunaid, l’envoyant en relégation en Roumélie21. Il ne restait plus à Muṣṭafā, qui l’avait combattu au printemps 1415 dans les environs de Trébizonde22, qu’à chercher refuge en Europe auprès de son allié Mircea de Valachie. Le souverain valaque accepta de rééditer avec lui l’aventure vécue avec Mūsā en 1409/10. Dès le mois de juillet 1415 il le reçut dans son royaume – avec 300 hommes si l’on en croit Chalkokondylès –, lui promettant son aide pour recouvrer le trône. Aussitôt Muṣṭafā approcha plusieurs dignitaires de son frère en Europe pour les gagner à sa cause, « les rencontrant un à un ». Le chroniqueur grec déclare qu’il eut peu de succès dans ces tentatives de débauchage23, mais ce n’est pas ce que nous dit la documentation contemporaine. Dès le mois d’août suivant, on savait à Raguse que « deux barons de l’empereur des Turcs avaient déserté pour passer à son frère Muṣṭafā qui demeurait en Valachie, et que ce dernier en était sorti avec ces barons pour ravager les régions de Bulgarie24 ». Or, on connaît au moins un de ces barons : l’ancien maître de Smyrne, Djunayd, qui s’empressa d’accourir de Nikopolis, où Meḥmed Ier l’avait relégué, pour se mettre au service du prétendant. Résolu de briser au plus vite une conspiration qui menaçait maintenant son pouvoir en Europe après avoir embrasé l’Anatolie, Meḥmed Ier passa sans tarder les détroits et rallia immédiatement sa capitale Andrinople. Il y parvint dès le 31 août, et commença aussitôt « à rassembler autant de troupes qu’il pouvait, et cela n’importe où il le pouvait25 ».
18Et Manuel II dans cette affaire ? Bien entendu Muṣṭafā n’avait pas manqué de solliciter également le soutien de l’empereur byzantin, mais ce dernier avait décliné ses offres, l’obligeant à se rabattre, en termes de complicités balkaniques actives, sur le seul Mircea de Valachie. Ce qui ne signifie pas pour autant que Manuel II, certes désireux de maintenir sa paix avec Meḥmed Ier, ait refusé net tout contact avec Muṣṭafā et ses alliés. Comme il le révélait le 8 février 1416 depuis la Morée au Sénat vénitien, par l’intermédiaire d’un ambassadeur, l’empereur « entretenait de loin en loin des négociations avec Muṣṭafā, le frère de Kyritzès [= Meḥmed], ainsi qu’avec le despote de Serbie et le Karaman », signalant à la République que si cette dernière désirait riposter sur mer aux dommages infligés à ses sujets par les Turcs, ces souverains étaient prêts à se lever avec leurs forces contre les Turcs sur terre, comme le prouvaient certaines lettres26. Tout en éludant, car elle n’avait pas perdu complètement espoir de s’accorder avec Meḥmed Ier, Venise, qui lui adressa un nouvel ambassadeur le 2 avril 1416, donnait à ce dernier pour instruction, au cas où le sultan ne consentirait pas à conclure sa paix avec elle selon les termes proposés, d’en rester là avec lui, et d’étudier sur place les moyens de porter atteinte aux territoires turcs tant sur terre que sur mer, « et tout particulièrement par le moyen du Karaman, de Muṣṭafā et des Valaques ». Cette dernière initiative était cependant laissée à l’appréciation de l’envoyé, l’essentiel étant de veiller à ne pas engager Venise sur rien de précis vis-à-vis d’eux, seulement leur donner l’espérance que la République étudiait elle aussi tous les moyens possibles de nuire à Meḥmed Ier par terre comme sur mer27. La position suivie par Manuel II dans cette affaire devait être assez similaire à celle de la Sérénissime. Si Byzance n’avait aucun intérêt, elle, à ce que cette conspiration se soldât par l’élimination complète de Meḥmed Ier, elle pouvait trouver avantage à l’affaiblissement de ce dernier qu’elle était susceptible de procurer. Mais cela réclamait un certain doigté de la part de l’empereur : encourager mollement les conjurés au moyen de messages secrets et garder le contact avec eux « de temps en temps », tout cela, bien entendu, sans s’engager plus avant.
19Profitant du retour de Meḥmed Ier en Europe après sa campagne victorieuse, le Grand Karaman renia les engagements à son égard et ne tarda pas à reprendre les hostilités en Anatolie, entre le printemps et l’été 1416. Pénétrant dans les territoires ottomans, il les ravagea jusqu’à Bursa, la riposte étant organisée par le vizir Bāyezīd et le jeune Murād, fils aîné de Meḥmed Ier, alors âgé d’à peine douze ans. Meḥmed Ier était en effet occupé en Europe à combattre Muṣṭafā et Mircea de Valachie, qui, de leur côté, ravageaient la Bulgarie ottomane de manière systématique28. Les développements imprévus de leur affrontement forcèrent Manuel II, jusqu’ici dans une position d’observateur, à intervenir directement.
20En effet, vers la fin d’octobre 1416 ou au début du mois de novembre suivant, complètement défait par les troupes de son frère, Muṣṭafā fut mis en fuite et ne trouva rien de mieux que de se diriger vers la Thrace, avec son complice Djunayd. Poursuivis par Meḥmed Ier, ils se présentèrent devant Thessalonique et réclamèrent l’asile aux autorités de la ville, qui le leur accordèrent. Parvenu à son tour devant les murs de la ville avec ses troupes, Meḥmed Ier exigea que Muṣṭafā et Djunayd lui fussent remis, en vertu de son alliance avec Byzance. Le jeune co-empereur Jean VIII, qui se trouvait alors à Thessalonique, envoya aussitôt des messagers à Constantinople pour consulter Manuel II sur la conduite à tenir29. L’empereur senior comprit aussitôt l’avantage qu’il pouvait retirer de cette situation. Tout en proclamant bien haut son attachement pour les accords passés avec Meḥmed Ier, il prétexta de ce qu’il était dans l’impossibilité morale de lui livrer Muṣṭafā, sachant quel mauvais sort Meḥmed lui réservait, pour imposer à « son fils » un nouveau gentlemen’s agreement. Il lui promit de garder prisonniers Muṣṭafā et son complice Djunayd, et de ne les relâcher sous aucun prétexte tant que durerait le règne de Meḥmed. En s’assurant de la personne de Muṣṭafā, Manuel II se réservait surtout un formidable moyen de pression sur le sultan s’il prenait quelque jour à ce dernier l’envie de se délier de ses obligations « filiales » à son égard. Pesant le pour et le contre, non seulement Meḥmed agréa les termes de l’accord, mais il souscrivit aussi au volet financier que Manuel II lui avait assorti, acceptant de financer le coût de la détention des deux prisonniers, évalué chaque année à 300 000 aspres d’argent. L’historien Doukas, qui rapporte le fait, ajoute que ces accords stipulaient aussi qu’en cas de mort de Meḥmed, Manuel II serait libre d’agir selon ses intérêts, sur la base du comportement qui serait celui des successeurs de Meḥmed à son égard30.
21Tandis que Meḥmed Ier relâchait sa pression sur Thessalonique et se retirait à Andrinople, « désormais libéré de tous les soucis et anxiétés dont son esprit avait été assailli depuis l’apparition de Muṣṭafā31 », Jean VIII embarquait sans tarder Muṣṭafā depuis la capitale de Macédoine afin de le conduire dans le lieu de relégation qui lui avait été assigné, l’île de Lemnos, avant de décider finalement de le transférer à Mistra, dans le Péloponnèse, dès la fin de décembre 141632. Quant à Djunayd, il fut conduit à Constantinople, et détenu là-bas dans le monastère de la Pammakaristos33. Ainsi séparés, les deux anciens complices allaient connaître plus de quatre années de réclusion. On ignore tout des conditions de leur détention, mais la captivité dut être particulièrement insupportable à Muṣṭafā, qui avait déjà passé dix années de sa vie reclus à Samarkande. Son ressentiment vis-à-vis des Byzantins ne fait en conséquence guère de doute. Aussi les espoirs d’alliance que ces derniers mirent plus tard en lui apparaissent-ils bien illusoires.
22Le 21 mai 1421 Meḥmed Ier mourut prématurément, de maladie. Durant ses derniers jours, il tenta d’assurer à son fils aîné Murād une passation de pouvoir sans contestation vis-à-vis de Manuel II, en proposant à l’empereur byzantin de recevoir comme otages à Constantinople ses deux fils encore enfants, dont l’un se prénommait malencontreusement, on l’a dit, Muṣṭafā. Non seulement ces derniers, ainsi à l’abri, ne pourraient être instrumentalisés au lendemain de sa mort par les magnats turcs comme autant de « contre-candidats » vis-à-vis de Murād, mais en les livrant ainsi à Manuel II, Meḥmed Ier fournissait à l’empereur byzantin de nouveaux gages susceptibles de le dissuader de lâcher contre Murād son oncle Muṣṭafā, qui pourrait se révéler autrement plus dangereux que les jeunes frères de Murād34. Manuel II s’empressa d’accepter, et les arrangements étaient pris en ce sens lorsque, au lendemain de la mort de son père, Murād, s’il proposa à l’empereur le renouvellement de la paix sur les mêmes bases, refusa de lui remettre ses deux frères35. Au contraire il chercha aussitôt à les éliminer. Il réussit à mettre la main sur le premier, qu’il fit étrangler, mais ne put s’emparer du second, soit Muṣṭafā, qu’un serviteur désireux de lui épargner ce sort avait eu le temps d’aller cacher en Paphlagonie36.
23Byzance devait-elle malgré tout entériner l’arrivée au pouvoir de Murād, ou bien saisir l’occasion pour provoquer dans l’Empire ottoman une crise dynastique qui pouvait lui être fatale ? On vit s’affronter alors à Constantinople, en un conflit de générations des plus classiques, un parti belliqueux et un parti pacifiste. Le premier, conduit par le jeune co-empereur Jean VIII, était l’expression d’une génération qui n’avait connu que les belles années post Ankara et qui, intrépide, voulait en découdre. Tandis que le second, incarné par son père Manuel II, était enclin à la prudence par l’expérience d’un temps où l’Empire avait été à deux doigts de sa perte. Le vieux basileus prêchait le respect des traités, d’autant que Murād II, inquiet de la duplicité byzantine, faisait après tout d’avantageuses propositions. Au contraire, les jeunes « faucons » voulaient saisir l’occasion de ce décès pour détruire l’œuvre de restauration de l’unité de l’Empire ottoman patiemment menée par le défunt Meḥmed. Pour ce faire, ils se proposaient de jouer contre Murād la carte de son oncle Muṣṭafā, afin de couper l’Empire ottoman en deux en mettant ce dernier à la tête de sa partie européenne, non sans avoir au préalable négocié avec lui la remise de territoires, en particulier du seul lieu susceptible de leur garantir enfin la sécurité : le port de Gallipoli, éternelle obsession byzantine depuis 1376, puisque son contrôle assurerait à son propriétaire le verrouillage des détroits et empêcherait les contacts entre la partie européenne et asiatique de l’Empire ottoman. De nouveau maîtresse de la clef des Dardanelles, Byzance redeviendrait ainsi libre de son destin. Le pari était hardi, très risqué même, mais il valait certes la peine d’être tenté au vu de l’enjeu : la liberté de Byzance. Cependant, il revenait à jouer le destin de l’Empire byzantin à pile ou face, et cela en une seule partie ; et il reposait sur la conviction qu’en dépit de quatre années de captivité de leur fait, Muṣṭafā accepterait de n’être qu’un jouet docile entre les mains des Byzantins…
24Jean VIII, dont l’opinion prévalut en la circonstance sur la prudence paternelle37, fit en conséquence revenir Muṣṭafā depuis Mistra et, sans le conduire au préalable à Constantinople, le fit exhiber au mois d’août ou septembre 1421 comme le souverain de la Roumélie devant Gallipoli38. En combinant les récits de Chalkokondylès et de Doukas – ce dernier beaucoup moins fiable –, il ressort que Dèmètrios Laskaris Léontarios aurait été dépêché dans un premier temps par Jean VIII pour mener Muṣṭafā depuis la Morée jusqu’à Lemnos39, une île dont on se rappelle qu’elle avait été son premier lieu de relégation. C’est là que Léontarios aurait conclu avec Muṣṭafā l’accord aux termes desquels ce dernier « fit serment de ne jamais désobéir aux volontés de l’empereur, mais au contraire de lui être soumis tel un fils à l’égard de son père40 ». Ayant pris Djunayd à bord de sa flotte partie de Constantinople, Jean VIII avait escompté aller ensuite quérir lui-même Muṣṭafā à Lemnos, mais des vents contraires l’empêchèrent de traverser les Dardanelles, et il fut convenu que le jeune empereur s’arrêterait devant Gallipoli, où Muṣṭafā viendrait le rejoindre ensuite, les Byzantins et Djunayd entamant sans lui le siège de la forteresse. Effectivement, Muṣṭafā vint peu après de Lemnos les épauler, et s’étant présenté à la garnison comme fils de Bāyezīd Ier, il obtint la reddition de la forteresse41.
25Les Byzantins en furent cependant pour leurs frais, car Muṣṭafā refusa de leur remettre Gallipoli comme promis. Au reste, une fois qu’après ce succès il eut réussi à se faire reconnaître souverain de Roumélie en s’emparant d’Andrinople, il ne tint aucun compte des engagements qu’il avait pris vis-à-vis d’eux. Comprenant un peu tard qu’ils s’étaient fait berner, les Byzantins tentèrent alors de raccommoder les choses avec Murād II. Mais il n’était plus temps, et la suite est connue42. Dès l’automne 1421 Murād II était prêt à passer avec son armée en Europe, grâce à la flotte mise à sa disposition par le Génois Giovanni Adorno, gouverneur de Nouvelle Phocée. Mais ce fut Muṣṭafā, bien décidé à ne pas attendre que son neveu passât en Roumélie, qui vint le premier le trouver en Anatolie, débarquant depuis Gallipoli – lui aussi sur des vaisseaux génois – à Lampsakos, le 20 janvier 1422. Les deux armées se firent face à Ulubad (Lopadion), mais Djunayd, pressé de se rétablir à Smyrne, déserta subrepticement le camp de Muṣṭafā avec ses troupes, à la veille du combat. Ce dernier, persuadé que son ancien complice était passé avec son armée à Murād, s’enfuit aussitôt et repassa en Europe, plantant là son armée. Grâce aux navires d’Adorno, Murād vint l’y poursuivre dès le mois de février suivant43, et les événements se précipitèrent alors. Retiré à Andrinople, Muṣṭafā constata qu’il n’y disposait plus d’appuis, et prit la fuite à l’approche de Murād. Selon Doukas, le fuyard fut appréhendé par les hommes de Murād
quelque part à proximité des berges du Danube. Il avait bien pensé aller trouver refuge à Constantinople, mais songeant aux événements passés, sa conscience l’en avait empêché. Ils l’amenèrent devant Murād, qui décida de le faire mourir sur un gibet sur une place publique tel un malfaiteur, afin que la populace, sinon dans sa totalité du moins dans sa majeure partie, fût persuadée qu’il n’était pas le fils de Bāyezīd l’Ottoman, mais un simple imposteur fabriqué par l’empereur Manuel. Mais en vérité il s’agissait bien d’un fils de Bāyezīd44.
26Pour Chalkokondylès, Muṣṭafā fut appréhendé « dans la montagne appelée Ganos45 ». De leur côté, les sources ottomanes identifient l’endroit avec une localité européenne connue en turc sous le nom de Yenice Kızıl Aǧaç46. Quoi qu’il en soit de l’endroit exact où il fut pris, Muṣṭafā fut ramené à Andrinople pour y subir publiquement, comme le rapporte Doukas, le supplice de la pendaison, autour de février 1422.
27Pour Murād, l’heure des règlements de comptes avec Byzance avait sonné. Thessalonique fut attaquée au tout début de juin 1422 tandis que le 10, l’armée ottomane forte de 25 000 hommes commençait à encercler Constantinople. Le sultan arriva le 20 juin suivant pour mettre en personne le siège devant la ville impériale. C’est alors que Manuel II reprit la main. Il entra en contact épistolaire avec le seul frère que Murād II n’avait pu éliminer après la mort de son père, le tout jeune Muṣṭafā, qui avait trouvé refuge auprès du Grand Karaman. Par l’intermédiaire de son lala (précepteur) Ilyas, il lui proposa une alliance, ainsi qu’à son protecteur le Karaman, toujours prêt à se rallier à un nouveau prétendant ottoman pour donner un vernis légitimiste à ses tendances séparatistes47. S’ensuivit une révolte dans les régions de Nicée et de Nicomédie, Bursa étant même menacée, ce qui obligea Murād à lever le siège de Constantinople pour repasser en Anatolie réprimer ces troubles dès les débuts du mois de septembre. Le 30 septembre 1422 le jeune Muṣṭafā, flanqué de son lala, fit très officiellement son entrée dans Constantinople, où il fut logé toutefois hors de l’enceinte des palais impériaux. Le lendemain 1er octobre, il alla faire sa proskynèse devant les empereurs48. Mais le même jour, après le repas de midi, une attaque d’hémiplégie priva momentanément Manuel II de l’usage de la parole et de presque tous ses membres. L’événement retarda les pourparlers avec le jeune prince, l’obligeant à demeurer dans la capitale byzantine plusieurs jours inactif. En attendant le rétablissement de l’empereur senior, on l’envoya passer quelque temps à Sélymbria, puis il fut autorisé à regagner Constantinople, où les accords définitifs furent enfin pris avec lui49. Après quoi, officiellement intronisé par les empereurs comme le successeur de Meḥmed Ier agréé par Byzance, il fut transbordé sur la côte anatolienne par la flotte impériale, mettant notamment avec les Byzantins le siège devant la forteresse d’Hiéron (Anadolu-Kavak). Il n’enregistra au début que des succès, « les Turcs d’Anatolie venant se ranger sous ses ordres comme un fils de roi50 ». Il parvint même à entrer dans Nicée et à y installer sa domination sur la région51. Mais sur ces entrefaites, Murād II, ayant à son tour traversé les détroits avec ses troupes dès le 24 janvier 1423, approcha de Nicée, dont la population se déclara finalement en sa faveur. Trahi par son propre lala, le jeune Muṣṭafā fut alors livré à Murād II, qui le fit étrangler moins d’une semaine plus tard52. Après quoi il le fit honorablement enterrer à Bursa, aux côtés du corps de leur père Meḥmed.
28Pas plus Doukas que Sphrantzès ou Chalkokondylès ne mentionnent dans leurs relations un mariage byzantin pour le premier comme pour le second Muṣṭafā. Seules s’en sont fait l’écho des chroniques du xvie siècle, si confuses que l’on a toujours quelque réticence à leur accorder foi. Mais il y a un fait troublant. Une fois n’est pas coutume, ces chroniques tardives rapportent non seulement que la promise fut une fille du noble génois [Ilario] Doria, un renseignement plausible et inédit, mais elles ajoutent d’autres détails sur l’identité de cette princesse qui rendent quasi assuré que leur auteur ou leurs auteurs disposaient d’une source contemporaine qui ne nous est pas parvenue. Ces relations poseraient toutefois un problème de taille : elles présenteraient le marié comme le jeune Muṣṭafā fils de Meḥmed Ier alors que les aventures et le destin final qu’elles rapportent ensuite sur lui ne seraient pas les siens, mais ceux de Muṣṭafā fils de Bāyezīd Ier. Mais est-ce si sûr ? Cette affirmation, récurrente dans l’historiographie, impose d’examiner attentivement leurs témoignages.
Zampia Palaiologina Doria et les chroniques patriarcales
29Les trois chroniques tardives en question sont toutes les trois apparentées, ayant été produites dans le milieu du Patriarcat. La première, celle dont dérivent les deux autres, est l’Ekthésis chronikè, rédigée vers 1510-20, dont voici le témoignage :
À cette époque mourut le sultan Meḥmed, fils du sultan Bāyezīd Yıldırım ; prit alors le pouvoir son fils, le sultan Murād. Ce dernier avait toutefois un frère, appelé Muṣṭafā, qui s’enfuit et vint dans la Ville. Les Constantinopolitains le reçurent comme s’il s’était agi d’un objet de grand prix, et ils lui donnèrent comme épouse la fille de Doria, un noble génois. En effet, l’empereur kyr Manuel avait eu une bâtarde nommée Zampia Palaiologina, qu’il avait mariée à ce Doria, et c’est la fille de cette dernière qu’ils donnèrent pour femme au sultan Muṣṭafā, l’appelant dès lors « souveraine de l’Anatolie », un titre vide. Ensuite les habitants de la Ville lui firent traverser les détroits jusqu’en Anatolie avec des soldats et des gardes du corps, et tous se soumirent à lui. À partir de Bursa il s’empara des forteresses et des territoires de presque toute l’Anatolie. Alors le sultan Murād traversa en secret les détroits à Gallipoli avec une partie de son armée, et vint à Bursa. Muṣṭafā passait alors son temps à boire et à fréquenter les bains. Ne sachant ce qui se passait, il fut trouvé dans un bain en train de se laver. Soudain ils se jetèrent sur lui et l’étranglèrent ; et c’est ainsi que passa sa vie, sans gloire, tandis qu’il [Murād] s’emparait de tout le pouvoir sur l’Europe et l’Asie53.
30La version de l’Historia politikè est une simple glose de la précédente, légèrement résumée, si bien qu’elle ne mérite pas une traduction spécifique. Les seules modifications qu’elle a apportées à l’Ekthésis chronikè sont insignifiantes. Son auteur a tenu à expliciter le lien familial entre Manuel II et la mariée : si cette dernière est toujours signalée comme une fille de Zampia, bâtarde de cet empereur mariée au noble génois Doria, elle est dite plus clairement – mais à tort comme on verra – « petite-fille » (ἐγγόνη) de Manuel II. L’auteur a également jugé plus approprié de qualifier le titre de « souveraine de l’Anatolie » qui lui fut donné, non pas de « vide », mais « d’étrange et de misérable »54. Rien donc de vraiment significatif.
31Il en va autrement de la version donnée par la chronique métrique attribuée, vers 1596, au grand logothète Hiérax55, qui n’a, à ma connaissance, jamais été portée au débat sur ce point :
Alors mourut Meḥmed, le sultan des Turcs, laissant son fils Murād comme successeur au trône. Ce Murād avait, de son père, un frère nommé Muṣṭafā qui s’était enfui à Byzance pour y trouver de l’aide, un concours et une alliance, afin de faire la guerre à Murād, lui enlever l’Empire et le spectre des Turcs, et être le soutien et l’ami des Rhômaioi. Auprès de ceux-ci, il eut la satisfaction de trouver des espérances, car ils lui firent une réception plus honorable qu’il ne s’y attendait, les Rhômaioi ayant toujours pris plaisir à voir s’entre-déchirer les Turcs avec leurs propres dents. Voilà pourquoi ils lui donnèrent pour femme Zampia, la fille d’un archonte de parmi les Génois, issue de la race des Paléologues, que de manière inappropriée on nomma souveraine de l’Asie. Ils la lui accouplèrent, malgré sa religion différente, n’ayant aucun souci du divin David, qui avait chanté dans les Psaumes, les vers sacrés : « Quand, dit-il, ce n’est pas le Seigneur qui bâtit la maison, c’est en vain que l’architecte construit une telle habitation, et de plus, quand le Seigneur ne protège pas une ville ou un État, c’est en vain que la garde veille sur elle. Quand, pour la gloire, apparaît un ennemi de l’Empire, pour les frères et toute la nation d’une religion différente, comment peut-il se montrer, par le fait, ami des chrétiens et de l’Empire ? Il sera la verge qui punira l’un et l’autre ». Ainsi donc Muṣṭafā ayant, avec une armée pas peu nombreuse et l’épée des Rhômaioi ainsi que des lanciers hellènes à ses côtés, traversé pour se rendre à Bursa, les villes de l’Asie se courbèrent sous son joug. Il passait son temps dans la mollesse et l’inaction, à boire et à manger, alors qu’il avait été proclamé comme seul souverain, monarque et roi. Lorsqu’à Andrinople son frère Murād fut informé de ce qui se passait, il eut recours à un stratagème pour prendre son frère comme un oiseau dans les filets. Il se hâta jusqu’à Bursa déguisé en homme du commun, et pénétra dans le palais en méditant le meurtre de son frère, non pas de manière claire et manifeste, mais secrète. Il avait avec lui quelques hommes courageux, entreprenants et téméraires, sur lesquels il pouvait compter. Après avoir constaté que Muṣṭafā s’adonnait avec insouciance aux bains et aux plaisirs, entouré d’une foule de flatteurs et de parasites – comme il arrive aux personnes qui occupent un rang élevé –, il se jeta à l’improviste sur son frère et l’assassina, s’emparant ainsi du pouvoir suprême56.
32Cet auteur a tout d’abord sensiblement modifié le pedigree de la mariée. Elle n’est plus dite issue de l’union d’un Doria avec une fille bâtarde de Manuel II nommée Zampia : c’est elle-même qui se prénommait Zampia, elle était fille d’un noble génois, et aucune référence n’est plus donnée sur sa mère, la bâtarde impériale. Son illustre extraction maternelle est simplement sous-entendue, du fait cette Zampia était « issue de la race des Paléologues ». Hiérax a également poussé plus loin la critique de cette union. Si le titre donné par les Byzantins à Zampia, l’épouse de Muṣṭafā, était certes dérisoire, ce mariage était surtout scandaleux, compte tenu de ce qu’il unissait une chrétienne à un musulman ennemi. Bafouant les préceptes chrétiens, il ne pouvait en conséquence que susciter le châtiment divin, justifiant de la part du grand logothète de la Grande Église l’ajout d’un long paragraphe moralisateur tiré de la Bible. Mais si Hiérax s’est démarqué très nettement de l’Ekthésis chronikè à propos de l’identité réelle de l’épouse byzantine de Muṣṭafā comme de son lien familial avec Manuel II, s’il a dramatisé et romancé de manière invraisemblable et même naïve les circonstances de l’assassinat de Muṣṭafā par Murād II, la trame générale de son récit reste rigoureusement la même.
33Or, la validité historique de cette trame, proposée par l’Ekthésis chronikè et répercutée tant par l’Historia politikè que par la chronique de Hiérax, a été considérée par l’historiographie comme absolument irrecevable. En effet, elle confondrait comme on l’a dit deux Muṣṭafā, présentant le héros comme Muṣṭafā b. Meḥmed alors qu’elle narrerait une geste qui correspondrait à celle de Muṣṭafā b. Bāyezīd. Ce jugement, exprimé très tôt par une tradition venue de Du Cange57, a été repris par John W. Barker58, grand spécialiste de la période, si bien que les byzantinistes qui se sont occupés de la question par la suite l’on suivi aveuglément sur ce point – l’auteur de ces lignes figurant aussi dans cette liste59 –, sans s’astreindre à une relecture attentive des sources relatives aux itinéraires des deux Muṣṭafā pour vérifier la justesse de ce jugement.
34De manière générale, l’information sur ce mariage ne figurant pas dans une chronique contemporaine, l’historiographie est restée partagée à ce propos, et pour tout dire embarrassée. Il est au reste compréhensible que l’on ait pu postuler de la part de ces chroniques tardives une confusion entre les deux Muṣṭafā ; après tout, ces princes homonymes furent l’un et l’autre instrumentalisés par Manuel II avant d’être vaincus et pareillement tués par Murād II, qui plus est dans l’intervalle d’à peine un an. Mais de l’oncle ou du neveu, à qui a-t-on vraiment affaire ? Prenant parti pour le premier, John W. Barker ne niait donc pas l’historicité de ce mariage d’une fille d’Ilario Doria avec l’un des deux Muṣṭafā, quoique véhiculé par des chroniques seulement tardives60. C’est que Chalkokondylès, chroniqueur du xve siècle, mentionnait lui aussi l’union d’une fille d’Ilario Doria avec un prince ottoman, même s’il s’est trompé de candidat en la donnant à Emīr Süleymān en 141061. Or l’auteur des chroniques patriarcales, l’Ekthésis chronikè comme les suivantes qui s’inspirent d’elle, n’avait manifestement pas utilisé l’œuvre de Chalkokondylès ; c’est donc qu’elles tenaient cette information d’une source distincte, ce qui lui donnait un crédit certain. L’hésitation des spécialistes n’a cependant pas manqué d’embarrasser les rédacteurs du Prosopographisches Lexikon der Palaiologenzeit. On ne trouve mention de ce mariage ni dans l’entrée consacrée au premier Muṣṭafā, ni dans celle du second62, et rien non plus dans celle consacrée à Zampia Palaiologina63 ; c’est seulement dans celle d’Ilario Doria qu’il est signalé qu’il fut beau-père du prétendant au trône ottoman Muṣṭafā « (1422-1423)64 » : soit du second Muṣṭafā.
35En 2008, dans une étude consacrée à un gendre supplémentaire d’Ilario Doria, Giourgès Izaoul, fils du despote de Ioannina Esau Buondelmonti, j’ai suivi l’opinion de John W. Barker, qui disposait d’une belle tradition, en postulant que le Muṣṭafā incriminé devait être le premier Muṣṭafā65. À la lumière de l’examen plus approfondi de la geste des deux Muṣṭafā conduit plus haut, j’en suis beaucoup moins convaincu.
36Les doutes de Barker relatifs à la candidature du second Muṣṭafā venaient surtout de ce qu’il considérait que ce dernier aurait été trop jeune à l’époque, présentant en particulier une différence d’âge trop importante avec sa promise, issue d’un mariage célébré en 139266. Mais quel âge avait exactement le second Muṣṭafā à l’époque des faits ? Pour Barker, suivant en cela Chalkokondylès, le seul, d’après lui, à nous renseigner sur ce point67, il avait treize ans en 1422. C’est oublier cependant le témoignage de Doukas, qui a également fourni des données en ce sens, il est vrai contradictoires et franchement invraisemblables. D’après ce chroniqueur, les deux fils mineurs de Meḥmed Ier que ce dernier comptait remettre à Manuel II en 1421 étaient âgés respectivement de huit et sept ans68. Mais, lorsqu’il rapporte l’assassinat par Murād II, en janvier 1423, du jeune Muṣṭafā, alors le seul survivant, il déclare de manière inconséquente qu’il avait six ans69 ! Comme on l’a vu plus haut, Chalkokondylès paraît infiniment mieux renseigné que Doukas sur la trajectoire du second Muṣṭafā, si bien qu’il convient de lui accorder également la préférence sur l’âge de ce prince, soit treize ans en 1422, qui correspond au reste beaucoup mieux à ce qu’il narre de ses faits et gestes. C’est donc à juste titre que le PLP a postulé pour sa date de naissance celle de « ca. 140970 ».
37En revanche, en ce qui concerne l’âge que pouvait avoir la fille d’Ilario Doria en 1421 ou en 1422 – selon que l’on postule que son mari fut le premier ou le second Muṣṭafā –, il faudrait en savoir plus sur les dates de naissance des filles de ce dernier pour juger si, oui ou non, celle en question aurait été trop âgée pour être donnée au second Muṣṭafā en 1422. Marié en 1392 à Constantinople à sa princesse impériale, Ilario Doria demeura sans sa femme en Italie, où l’avait conduit une ambassade byzantine, de la fin de 1397 à la mi-140371. Or rien ne dit que ses filles soient nées entre 1392 et 1397 plutôt qu’après son retour à Constantinople, à partir de 1403 ; d’autant qu’en ces temps d’importante mortalité infantile, celles éventuellement nées durant la première période de son mariage – on ne connaît en effet pas de fils au couple –, pourraient de toute façon n’avoir pas vécu. Comme l’indique la notice d’Ilario dans le PLP, le nombre exact comme les prénoms de ces dernières sont même loin d’être fixées72. Avant son mariage impérial, il avait eu en tout cas en Italie une fille, Manfredina, issue soit d’une première union, soit d’une liaison illégitime. Comme on sait, il la maria à Iôannès Chrysolôras, neveu du célèbre Manouèl Chrysolôras, autour de 1400, peut-être à Pise73. En définitive, de son union impériale seules deux filles sont formellement connues, celle donnée à Muṣṭafā, et celle épousée par le dynaste Giourgès Izaoul. Ce dernier, également marié soit en 1421 soit en 1422, était né ca. 1403/0474, ce qui permet de postuler que son épouse devait sensiblement avoir le même âge. Or, si à l’époque Ilario Doria avait une fille à marier, pourquoi n’en aurait-il pas eu une autre à proposer à un jeune Muṣṭafā, né pour sa part ca. 1409 ? Le prénom de l’épouse de Giourgès Izaoul n’est pas donnée par Sphrantzès, seul chroniqueur à évoquer son mari75. Celui de l’épouse de Muṣṭafā ne l’est pas non plus, du moins si l’on s’en tient à l’historiographie traditionnelle, puisque l’Ekthésis chronikè comme l’Historia politikè disent simplement qu’il s’agissait d’une fille, anonyme, de Zampia Palaiologina, la bâtarde de Manuel II mariée au Génois installé à Byzance [Ilario] Doria. Or ce n’est pas ce que nous dit la chronique du grand logothète Hiérax, pour lequel cette princesse, « fille d’un archonte génois tout en étant de la race des Paléologues », ne serait autre que cette Zampia elle-même.
38En pratiquant cette correction, la chronique de Hiérax viendrait confirmer la conclusion que j’avais tirée en 2008 d’une étude consacrée au lien familial véritable entre Ilario Doria et Manuel II76. La documentation latine contemporaine parlant unanimement d’Ilario Doria comme d’un beau-frère de Manuel II (cognatus, sororius, levir), il en résultait que l’information donnée par les sources grecques, selon lesquelles il se serait agi d’un gendre de Manuel II, était erronée. Leurs auteurs, soit Chalkokondylès et ceux de l’Ekthésis chronikè et de l’Historia politikè, s’étaient tout simplement trouvés confrontés à des données disant simplement Ilario gambros de ce souverain, un mot qui pour les Byzantins désignait à la fois le gendre et le beau-frère ; et ces chroniqueurs trop tardifs, bien incapables de trancher de manière assurée entre ces deux sens, avaient malencontreusement choisi de l’expliciter en gendre – un sens en effet plus usité – alors qu’il s’était agi de celui de beau-frère. En conséquence, Ilario Doria avait épousé en 1392 non pas une fille bâtarde de Manuel II, mais une bâtarde de Jean V, père de ce basileus77 ; ce faisant, l’épouse de Muṣṭafā n’était pas une petite-fille de Manuel II, mais une nièce de ce dernier. Or cette découverte invitait à s’interroger sérieusement sur la pertinence de ce prénom de Zampia donnée par l’Ekthésis chronikè à cette bâtarde de Jean V épouse d’Ilario Doria. Comment expliquer que cet empereur, et un Byzantin en général, ait pu choisir pour sa fille un prénom aussi exotique à Byzance que celui de Ζαμπέα / Zampia, puisqu’il n’était que la transcription grecque du prénom occidental Isabella ? Comment admettre surtout qu’Ilario Doria ait pu avoir à la fois une épouse byzantine répondant à ce prénom d’Isabella, si insolite à Byzance, et une mère génoise prénommée Isabella ? Comme il ressort de la documentation archivistique génoise, Ilario était en effet le fils d’une Isabella Salvago78, une information jusque-là inédite dont il convient de tirer les conséquences anthroponymiques ; car selon les usages onomastiques en vigueur à l’époque et compte tenu de ce que c’était là le prénom de sa propre mère, Ilario devait nommer l’une de ses filles Isabella – en priorité sa fille aînée –, et il est sûr que, puisqu’on lui prête au moins trois filles, l’une d’elles a forcément répondu à ce prénom… Moyennant quoi, si l’auteur anonyme de l’Ekthésis chronikè a donné par erreur à l’épouse d’Ilario un prénom qui était celui de sa fille79, il n’en reste pas moins qu’il l’a appelée Zampia sans savoir qu’Ilario Doria avait eu pour mère une Isabella.
39Or un tel prénom ne s’invente pas. Il trahit le fait que cet auteur a forcément eu accès à un document qu’il n’a pas totalement compris et qui n’est pas parvenu jusqu’à nous. Mais s’agissait-il d’un acte contemporain conservé dans les archives patriarcales, ou d’une information tirée, par exemple, d’une chronique brève ? Il est impossible de répondre à cette question de manière assurée. La version donnée par le grand logothète Hiérax, très différente, vient appuyer en tout cas cette hypothèse de l’existence d’un texte initial distinct, aujourd’hui disparu. Manifestement, il en avait comparé la teneur avec la version qu’en avait donnée l’auteur de l’Ekthésis, et s’apercevant des méprises commises par ce dernier, les a corrigées : l’épouse donnée à Muṣṭafā n’était pas la fille anonyme d’une Zampia bâtarde de Manuel II, mais cette Zampia elle-même ; quant au lien de parenté de cette dernière avec ce basileus, ce texte fondateur ne permettait manifestement pas de le restituer aussi clairement qu’un lien de grand-père à petite-fille. Or la recherche historique a entre-temps confirmé l’exactitude de ces deux points sur d’autres bases80. Ceci établi, il devient évidemment intéressant d’examiner les principales données que Hiérax a, en revanche, conservées telles quelles. S’il a choisi de ne pas les modifier, c’est en effet très certainement parce qu’elles devaient figurer dans ce texte initial perdu. Elles sont au nombre de trois :
- le Muṣṭafā en question était un fils de Meḥmed Ier et un frère de Murād II ;
- il fut reçu à Constantinople « comme un objet de grand prix » ;
- à l’occasion de son mariage avec lui, les Byzantins donnèrent à son épouse Zampia Palaiologina fille de Doria le titre de « souveraine de l’Anatolie ». Ils le renvoyèrent sur ces entrefaites pourvu de troupes en Anatolie, où il fut reconnu souverain dans un premier temps par la population, avant de finir étranglé sur l’ordre de Murād II.
40Si l’on compare les trajectoires de chacun des deux Muṣṭafā, retracées en détail plus haut, force est de reconnaître que les trois points ci-dessus ne peuvent en aucun cas s’appliquer à Muṣṭafā b. Bāyezīd. Le futur époux de Zampia aurait été reçu à Constantinople « comme un objet de grand prix ». Ce fut le cas du second Muṣṭafā, tandis que le premier Muṣṭafā ne fut, lui, jamais reçu à Constantinople. En effet, en décembre 1416 Muṣṭafā b. Bāyezīd fut envoyé directement de Thessalonique en Morée, où il demeura plus de quatre années. En août-septembre 1421, il fut convoyé de Morée à Lemnos, où il souscrivit aux termes du traité qui lui était proposé par les Byzantins, puis mené devant Gallipoli où il retrouva Jean VIII. Sans doute ratifia-t-il alors devant les murs de la forteresse ce traité avec le co-empereur. Mais il ne mit pas les pieds à Constantinople à cette occasion, et à plus forte raison par la suite, puisqu’une fois maître de Gallipoli, il refusa de respecter ledit traité. En revanche les chroniques contemporaines (Sphrantzès, Doukas, Chalkokondylès) comme tardives (Ekthésis Chronikè, Historia politikè, chronique de Hiérax) mentionnent toutes la réception officielle qui fut ménagée à Muṣṭafā fils de Meḥmed Ier à Constantinople ainsi que le séjour de plusieurs jours qu’il fit pour conclure son alliance avec Manuel II à partir du 30 septembre 142281. Il y a aussi ce titre étrange de « souveraine de l’Anatolie » (ϰυρά τῆς Ἀνατολῆς82) qui fut manifestement donné par les Byzantins à Zampia Palaiologina Doria au moment de son mariage avec Muṣṭafā. On eût attendu celui de « femme de l’émir » (amirissa / ἀμήρισσα). À ceci près toutefois que ce titre s’appliquait chez les Byzantins à l’épouse d’un souverain ottoman régnant à la fois sur les parties européenne et anatolienne de l’Empire, non à la femme d’un prince ottoman dominant effectivement, ou prétendant uniquement à la domination d’une seule des deux parties de cet Empire. Moyennant quoi, ce titre de ϰυρά τῆς Ἀνατολῆς rend compte en premier lieu du titre dont les Byzantins affublèrent son époux, soit celui d’αὐθέντης [πάσης] τῆς Ἀνατολῆς. Or si son mari avait été le premier Muṣṭafā, ce n’est pas ce titre-là qu’ils lui auraient donné, mais bien celui de « souveraine de la Roumélie », soit de la partie européenne de l’Empire ottoman. En effet, lorsqu’en 1421 les Byzantins firent du premier Muṣṭafā leur candidat au trône ottoman, ils le qualifièrent d’αὐθέντης [πάσης] τῆς Δύσεως, comme le rapportent unanimement les chroniques du temps83. Ce titre s’imposait évidemment de lui-même, puisque c’est de la Roumélie qu’ils lui permirent de se rendre maître. Mais cette titulature-là ne pouvait être décernée au second Muṣṭafā en 1422 : la Roumélie était alors fermement tenue par Murād II, et les Byzantins ne pouvaient raisonnablement espérer que son jeune frère serait à même de lui en disputer le contrôle. En revanche, ils escomptaient imposer à Murād une partition de son empire et le contenir dans sa partie européenne en tant que « maître de toute l’Europe », tandis qu’avec leur complicité, celle du Grand Karaman et des autres émirs toujours prompts à saisir l’occasion de secouer le joug ottoman, son frère Muṣṭafā lui enlèverait la partie asiatique et deviendrait « maître de toute l’Anatolie ». C’est bien au reste là-bas que les Byzantins, après l’avoir reçu à Constantinople, le renvoyèrent, sitôt l’alliance conclue avec lui. Le choix de cette titulature ne faisait d’ailleurs que rendre compte d’une constante politique chez Manuel II durant tout son règne : tout faire pour éviter l’unification de l’Empire ottoman sous le pouvoir d’un seul souverain. Avec un Murād II désormais réduit au statut d’αὐθέντης τῆς Δύσεως et un Muṣṭafā αὐθέντης τῆς Ἀνατολῆς et client de Byzance, l’empereur de Constantinople retrouverait une marge de manœuvre appréciable ; soit, une fois de plus, un rôle d’arbitre dans la lutte qui ne manquerait pas d’éclater entre les deux souverains ottomans rivaux.
41Seul le nom de la ville d’Anatolie où le second Muṣṭafā s’établit et mourut diverge de celui rapporté par les sources byzantines et ottomanes contemporaines. En effet il ne fut pas exécuté à Bursa, comme le dit l’Ekthésis et le répètent ses épigones, mais à Iznik (Nicée), la ville où il avait réussi à installer le centre de son pouvoir sur la région. Mais l’erreur est vénielle, et, pour le reste, le récit de l’Ekthésis Chronikè est en tout point conforme à ceux livrés par Doukas, Chalkokondylès, ainsi que par le fonctionnaire de la métropole de Thessalonique, un exact contemporain : pourvu de troupes par les Byzantins le second Muṣṭafā passa en Anatolie à partir de Constantinople, et fut reconnu souverain par les Turcs de la région. Mais très vite son frère Murād II traversa à son tour les détroits pour le combattre, réussit à s’assurer de sa personne et le fit discrètement étrangler.
42Or cette fin ne correspond pas du tout à celle du premier Muṣṭafā ! On l’a vu, ce dernier fut appréhendé par Murād II non pas en Anatolie, mais en Europe. De plus, il ne fut pas étranglé mais pendu, et cela à Andrinople, en public…
43Contrairement à ce que l’historiographie a longtemps véhiculé, il n’y a donc pas confusion, dans les chroniques patriarcales apparentées, entre les deux Muṣṭafā. L’Ekthésis Chronikè, dont dépendent les deux suivantes, présente Muṣṭafā époux de Zampia Palaiologina comme le fils de Meḥmed Ier, et c’est bien son destin qu’elle rapporte par la suite, nullement celui du premier Muṣṭafā. Au reste, on n’a guère été attentif à un autre fait d’importance : l’auteur de l’Ekthésis Chronikè pouvait en fait difficilement confondre les deux Muṣṭafā, pour la bonne raison qu’il ignorait complètement l’existence du premier ! En effet l’existence de Muṣṭafā b. Bāyezīd comme son parcours sont complètement passés sous silence dans sa chronique, de même que dans l’Historia politikè et dans l’œuvre de Hiérax qui s’inspirent d’elle84.
44Uniquement intéressé par la trajectoire de Muṣṭafā b. Meḥmed, l’auteur de l’Ekthésis a cependant cru bon de l’enrichir de quelques détails pour le moins malheureux qui ne se retrouvent pas dans les chroniques byzantines et ottomanes contemporaines, et qu’il ne trouvait assurément pas non plus dans la source dont il s’inspirait : ainsi du fait que le jeune Muṣṭafā aurait passé en Anatolie le plus clair de son temps à boire et à fréquenter les bains. Manifestement, l’auteur de l’Ekthésis ne savait pas l’âge qu’avait le second Muṣṭafā, pour la simple raison que sa source ne lui donnait pas ce renseignement. En effet, s’il avait su qu’il n’avait alors que treize ans, sans doute n’aurait-il pas jugé opportun de se laisser aller à de telles considérations négatives sur son mode de vie, très peu vraisemblable chez un prince aussi jeune, surtout en ce qui concerne l’ivrognerie, un poncif éculé. Il faut en conclure aussi que l’auteur de l’Ekthésis ne trouvait pas non plus dans ce texte mention de la trahison du lala du jeune prince en faveur de Murād II, qui le lui livra. Non seulement parce qu’il ne fait pas allusion au rôle décisif de ce personnage dans son récit, mais parce que cette seule mention d’un παιδαγωγός de Muṣṭafā l’aurait précisément amené à réaliser que l’âge de son héros était peu compatible avec les vices qu’il avait choisi de lui prêter. Ce faisant, il cédait tout simplement à ses penchants moralisateurs, dont on trouve par ailleurs un indice supplémentaire lorsqu’il juge que le titre de « souveraine de l’Anatolie » décerné à Zampia à l’occasion de son mariage était « un titre vide », assurément une appréciation toute personnelle. Pour un Grec de la Turcocratie, il fallait que le candidat des Byzantins, finalement éliminé, eût perdu la partie en raison de ses vices, afin d’expliquer pourquoi Dieu avait permis son échec. Selon la conception mentale de ces Grecs vivant sous la domination ottomane, Dieu avait en effet décrété depuis longtemps l’anéantissement final des Byzantins, en raison de leurs péchés. Or ces écrivains grecs tardifs considéraient, sur la foi de ce que leur enseignaient les chroniques anciennes, qu’au lieu de s’amender et dans l’espoir insensé d’échapper à leur juste châtiment – la chute de l’Empire –, les empereurs s’étaient acharnés à redoubler encore leurs péchés en donnant en mariage des chrétiennes à des princes musulmans dont ils avaient fait leurs champions, alors qu’ils se trouvaient eux-mêmes perclus de vices. Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce que ces initiatives byzantines aient été systématiquement sanctionnées par la divinité.
45Entre les deux Muṣṭafā envisageables, c’est bien en tout cas le second, le fils de Meḥmed Ier, qu’il convient de retenir comme l’époux de la princesse byzantino-génoise Zampia Palaiologina Doria, contrairement à ce que l’on a cru jusqu’ici. Une analyse serrée des circonstances historiques vient en effet confirmer l’identification avancée par les chroniques patriarcales tardives, que leurs auteurs auront manifestement trouvée dans un document contemporain aujourd’hui perdu. Celui de l’Ekthésis Chronikè n’a toutefois pas compris l’information donnée par ce texte sur l’identité de la princesse en question. Suivi en cela par l’auteur de l’Historia politikè, il a vu en elle la fille, anonyme, d’une bâtarde de Manuel II appelée Zampia, mariée au Génois Doria. Mais le grand logothète Hiérax, revenant sur ce texte pour élaborer sa chronique rimée, s’est aperçu de la méprise et l’a rectifiée. Zampia était en réalité le prénom de la fille de ce Génois mariée à Muṣṭafā fils de Meḥmed. En effet sa mère, l’épouse impériale d’Ilario Doria, n’était pas une fille illégitime de Manuel II, mais une bâtarde du père de ce dernier, l’empereur Jean V. Autrement dit, Zampia était une nièce de Manuel II, et non une petite-fille.
46Comme on l’a vu précédemment, Manuel II, dépourvu de filles de son cru, ne s’était pas privé auparavant de puiser dans le vivier de ses nièces pour assurer sa politique matrimoniale, en particulier avec les Ottomans : une fille bâtarde de son frère Théodore Ier de Morée pour Emīr Süleymān en 1410, une fille de son « oncle » Théodôros Palaiologos Kantakouzènos, Maria, pour – semble-t-il – Meḥmed Ier en 1411, tandis qu’il en avait respectivement marié les sœurs, avec un empereur de Trébizonde en 1395, avec un dynaste serbe en 1414. Ces deux viviers de nièces s’étant taris dans l’intervalle, il était naturel qu’au début des années 1420, alors qu’aucun de ses nombreux fils ne lui avait encore donné de postérité, il se fût tourné vers celui, désormais disponible, des filles de sa sœur naturelle et du mari génois de cette dernière. À cette époque, soit quelque part entre 1421 et 1422, il avait recueilli à Constantinople Giourgès Izaoul, un jeune dynaste dépossédé de Ioannina depuis 1409, ainsi que sa mère Eudokia Balšić, une cousine germaine de sa femme, l’impératrice Hélènè Dragaš85. Il le maria à une sœur anonyme de Zampia Palaiologina Doria, un mariage signalé par Sphrantzès dans le cadre d’événements de juillet 142386. Comme cet historien n’aurait pas qualifié Izaoul de gendre d’Ilario Doria s’il n’avait été tel à cette date87, ce mariage était forcément antérieur ; mais il l’était à l’évidence de quelques mois à peine. En effet, l’intérêt que recherchait Giourgès Izaoul n’était certainement pas de renforcer encore sa parenté avec Manuel II en épousant une nièce de ce dernier, mais bien de devenir le beau-frère du prince ottoman Muṣṭafā, dans l’espoir que, devenu sultan, ce dernier le réinstallerait dans ses possessions perdues. Doit-on en conclure que furent célébrées simultanément à Constantinople, à l’automne de 1422, les noces des deux filles d’Ilario Doria88 ?
47Quoi qu’il en soit, Muṣṭafā fils de Meḥmed Ier fut, on l’a vu, éliminé dès janvier 1423. Il n’avait alors que quatorze ans. Il est assez improbable que lorsque, à peine trois mois plus tôt, il était passé en Anatolie avec la bénédiction byzantine pour y disputer le pouvoir à son frère, il ait emmené avec lui son épouse. Cette dernière était certainement restée à Constantinople, le temps que son mari adolescent affermît sa position en Asie. Quel fut son sort à partir du moment où parvint dans la capitale la tragique nouvelle qui faisait d’elle une veuve, et signifiait pour les Byzantins, une nouvelle fois, l’échec de leurs manœuvres sur le front ottoman ? Les sources byzantines ne le disent pas, et on n’a pas trouvé jusqu’ici dans les archives génoises de mention ultérieure sur elle. On peut supposer qu’elle fut remariée, soit par son père – encore en vie en 1433 –, qui l’aurait donnée peut-être à quelque Génois, soit par son oncle Manuel II, qui aurait pu la « réutiliser » pour sa politique matrimoniale internationale. Tout ce que l’on sait, c’est qu’en 1453, sa demi-sœur Manfredina Doria, depuis longtemps veuve du lettré Iôannès Chrysolôras, fut réduite en esclavage avec deux de ses filles, dont l’une se prénommait aussi Zampia89. Le silence obstiné de nos sources à propos de l’épouse de Muṣṭafā b. Meḥmed n’est pas exceptionnel ; il enveloppe aussi le destin de chacune de ces princesses byzantines qui l’avaient précédée, une fois mariées avec des princes ottomans souvent météorites. De manière générale, leur sort n’a guère intéressé leurs compatriotes : elles n’étaient visiblement pour eux que les instruments désincarnés de la raison d’État, sans individualité propre.
48Si Zampia fut la dernière à être mariée à un dynaste ottoman, alors qu’il restait tout de même trente années encore à vivre pour l’Empire byzantin, c’est que l’Empire ottoman concurrent, désormais unifié sous le joug de souverains incontestés, ne permit plus aux empereurs de tenter de profiter, voire de susciter, des luttes dynastiques en son sein. En février 1424, Murād II accepta finalement de signer la paix avec Manuel II et Jean VIII, mais il leur imposa des conditions si dures, en terme de tribut annuel et de pertes territoriales, que les bénéfices que Byzance avait retirés au lendemain d’Ankara vingt-deux ans plus tôt s’évanouirent, et avec eux sa capacité de nuire efficacement, désormais, à l’État ottoman, sinon d’espérer raisonnablement échapper à la destruction de son fait. Les deux affaires Muṣṭafā, survenues coup sur coup alors que le jeune Murād II avait déjà à faire face en interne à de fortes contestations pour stabiliser son pouvoir, prévinrent durablement ce dernier contre les Byzantins. Durant son long règne (1421-1451), les relations entre les deux États furent celles d’une coexistence hostile, empreinte d’une réciproque méfiance. Dans ces conditions, il ne fut pas question pour Murād de souscrire à une alliance matrimoniale avec leur empereur, ni pour lui, ni pour ses héritiers. S’il épousa une princesse chrétienne, la célèbre Mara Branković, en 1433, il s’agissait d’une Serbe, quoique Byzantine par sa mère. Bien entendu, pour tenter d’abattre l’Empire ottoman, Constantinople continua jusqu’au bout à manier l’arme de la diplomatie – la seule qui lui restait désormais –, notamment en direction de l’Occident, au moyen de l’organisation de croisades. Jusqu’au bout aussi la capitale byzantine accueillit avec empressement des prétendants ottomans pour intimider les sultans. C’est ainsi qu’en 1445, au lendemain de la croisade de Varna dont l’échec cinglant signait le glas des dernières espérances byzantines, Jean VIII en prêta aimablement un, un certain Davud, au croisé bourguignon Valeran de Wavrin afin que ce dernier allât le montrer aux populations turques, déguisé pour l’occasion en sultan, devant les villes des côtes de la mer Noire. Mais l’affaire se solda par un échec lamentable. Il fallut chaque fois, sous les huées et les quolibets, et même parfois sous un déluge de flèches, faire rembarquer en catastrophe le prince en question et le ramener piteusement à Constantinople90. Comme on sait, lorsque Meḥmed II entra en vainqueur dans la capitale byzantine le 29 mai 1453, il y trouva un autre prétendant, Orḫān, un petit-fils d’Emīr Süleymān, qu’il fit exécuter91.
49Ce qu’il faut retenir surtout pour finir, c’est la façon très négative dont, avec le recul du temps, les chroniques patriarcales jugeaient l’action politique des derniers empereurs byzantins. Les efforts déployés par les Paléologues, dès l’apparition des Ottomans sur la scène, pour endiguer leur expansion aux dépens de Byzance, étaient jugés parfaitement dérisoires par ces écrivains grecs de la Turcocratie. En effet ils considéraient que la chute de l’Empire chrétien d’Orient en 1453 avait été voulue par Dieu pour punir les Byzantins de leurs péchés, les Turcs, pourtant infidèles, n’étant que les instruments de la colère divine à leur égard. Aussi ces clercs qui œuvraient au sein du patriarcat, déjà soumis aux Ottomans depuis un demi-siècle pour les premiers d’entre eux, ne pouvaient-ils que fustiger avec vigueur l’aveuglement de ces anciens empereurs : au lieu de s’amender, ces derniers n’avaient fait que susciter plus encore le courroux divin, puisqu’ils avaient redoublé leurs péchés en donnant leurs parentes chrétiennes à des princes musulmans, dans l’espoir insensé d’en faire des clients et des alliés durables. Dans l’unique but de sauver l’Empire – avec pour seul souci celui du temporel aux dépens du spirituel –, les basileis avaient obstinément usé de moyens impies pour tenter, sacrilège suprême, de s’opposer à ce qui était en fait un plan du divin. À ce titre, ils portaient au premier chef la responsabilité de l’esclavage présent des chrétiens.
Fig. 1. Constantinople vue de Scutari Miss Pardoe, The Beauties of the Bosphorus, Londres, 1838, à consulter sur https://archive.org/details/beautiesofbospho00parduoft

Fig. 2. Échelle à Scutari Miss Pardoe, The Beauties of the Bosphorus, Londres, 1838, à consulter sur https://archive.org/details/beautiesofbospho00parduoft 169

Fig. 3. Constantinople et Péra vues de Scutari Miss Pardoe, The Beauties of the Bosphorus, Londres, 1838, à consulter sur https://archive.org/details/beautiesofbospho00parduoft

Notes de bas de page
1 Ce chapitre est dépourvu de notes justificatives : il s’agit en effet d’un simple résumé de l’étude complète à paraître, à laquelle on renvoie le lecteur pour les démonstrations ainsi que les sources sur lesquelles elles reposent.
2 Ondisposemaintenantd’unemonographiequifaitréférencesurcettepériodeparticulièrement confuse de l’Empire ottoman : Dimitris J. Kastritsis, The Sons of Bayezid. Empire Building and Representation in the Ottoman Civil War of 1402-1413, Leiden-Boston, 2007.
3 La trajectoire de Mūsā dans ces années-là, parce qu’elle sera adoptée scrupuleusement par son frère Muṣṭafā à partir de 1413, mérite toutefois d’être rappelée. Entre 1404 et 1409, Emīr Süleymān mena plusieurs campagnes victorieuses en Anatolie contre son cadet Meḥmed. Son triomphe imminent – l’Anatolie presqu’entièrement soumise à son autorité et Meḥmed au bord de l’élimination – inquiéta Manuel II au plus haut point : son « allié » Emīr Süleymān était en passe de reconstituer à son profit l’unité de l’Empire ottoman, ce qu’il fallait empêcher à tout prix. C’est pourquoi l’empereur ne vit au départ que des avantages à favoriser l’installation en Europe d’un troisième protagoniste ottoman, le jeune Mūsā, que Meḥmed au bord de l’anéantissement avait résolu d’envoyer là-bas en 1409 pour qu’il y menace directement Süleymān, afin de faire diversion. Bien entendu, son alliance avec ce dernier l’empêchant d’apparaître en première ligne, le souverain byzantin sous-traita l’affaire à son voisin, le voïvode de Valachie Mircea. Mais Manuel n’enregistra bientôt que des désillusions : le voïvode valaque joua sa propre partition, en lançant aussitôt son nouveau protégé non pas contre Süleymān, mais contre les territoires byzantins limitrophes de ses États, si bien que l’empereur, tout autant menacé par ce nouvel intrus qu’Emīr Süleymān, se résolut à renouveler en urgence avec ce dernier l’alliance de 1403. Voir Dimitris J. Kastritsis, The Sons, op. cit., p. 130-134, 136-140, 143-144 et 149, et Şerban Papacostea, « La Valachie et la crise de structure de l’Empire ottoman (1402-1413) », Revue roumaine d’histoire, no 25, 1986, p. 29-30. La carrière ultérieure de Mūsa, qui se révéla un ennemi implacable de l’Empire byzantin, montre surtout qu’en mettant en selle ce troisième prétendant au trône ottoman, Manuel II avait pris un gros risque.
4 Thierry Ganchou, « Une Kantakouzènè, impératrice de Trébizonde : Théodôra ou Héléna ? », Revue des Études Byzantines, no 58, 2000, p. 215-229.
5 Halil İnalcik, « Meḥemmed Ier », Encyclopédie de l’Islam, 6, Paris, 19912, p. 966-970.
6 John W. Barker, Manuel II Palaeologus (1391-1425). A Study in Late Byzantine Statesmanship, New Brunswick, New Jersey, 1969, p. xxxii, et p. 310-318.
7 L’épisode de la délivrance de Muṣṭafā par Shāhrukh outrepasse les limites chronologiques de Dimitris Kastritsis, The Sons, op. cit. ; aussi s’y trouve-t-elle évoquée sans référence précise. Cependant, à chaque occurrence (p. 2, p. 42, p. 47 n. 19), la date fournie est celle, trop tardive, de 1415. Cette erreur vient de ce que le premier document mentionnant nommément Muṣṭafā est un acte du Sénat vénitien du 15 janvier 1415. Mais ce document (sur lequel voir infra, n. 13) impose déjà que cette délivrance ait eu lieu au plus tôt en 1414 ! Et il se trouve qu’un document ragusain invite à dater l’événement au minimum de 1413 (voir infra, n. 11). L’erreur de Kastritsis est passée dans une étude spécifiquement centrée sur les prémices des relations entre Muṣṭafā et Manuel ΙΙ : Ferhan Karlidökme Mollaoğlu, « “Düzmece” olarak anilan Mustafa Çelebi ve Bisans (1415-1416/17) », Ankara Üniversitesi Dil ve Tarih-Coğrafya Fakülesi Dergisi, no 49/2, 2009, p. 173-185, ici p. 178.
8 Doukas s’est fait à plusieurs reprises dans sa chronique l’écho de cette propagande ottomane visant à faire passer Muṣṭafā pour un imposteur (Doukas : Ducas, Istoria Turco-Bizantină (1341- 1462), éd. Vasile Grecu, Bucarest, 1958, p. 17515-21, p. 1896-11, p. 2178-10). Pour lui il s’agissait bien en effet d’un authentique fils de Bāyezīd Ier (voir ibid., p. 18113, et surtout p. 2299 : Ἡ δὲ ἀλήθεια οὕτος ἔχει, ὡς τοῦ Παγιαζὴτ ὑπῆρχεν υἱός). Laonikos Chalkokondylès (Laonici Chalcocandylae Historiarum demonstrationes, éd. Eugen Darkó, Budapest, 1922, I, p. 19021-1915) partageait la même opinion. Seul Sphrantzès (Giorgio Sfranze, Cronaca, éd. Riccardo Maisano, Rome, 1990, p. 1013-17) le considérait comme un imposteur (πλαστός), ce qui étonne de la part d’un chroniqueur d’habitude si bien renseigné. Il est probable toutefois qu’il le confondait avec le Muṣṭafā ultérieur qui s’illustra à Thessalonique de 1425 à 1430 au service des Vénitiens, et qui se proclamait lui aussi fils de Bāyezīd Ier . Or celui-là était clairement un imposteur ; voir à son propos Prosopographisches Lexikon der Palaiologenzeit, éd. Erich Trapp et alii, Vienne, 1976-1995 (Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften [désormais PLP]), no 19572 et l’étude, cependant très confuse, de John R. Melville-Jones, « Three Mustafas (1402- 1430) », Annuario. Istituto Romeno di cultura e ricerca umanistica, no 5, 2004, p. 255-276.
9 Alors qu’il était au moins d’usage de rester circonspect quant à son authenticité, John W. Barker, Manuel II, p. 340, persuadé en outre de la « disappearance of the eldest [son of Bayazid], Mustafa, at the Battle of Ancyra », a décrété que si ses « actual origins and background […] have never been clearly established […] there is little doubt of his falseness » (ibid., p. 247). Dans son article « Muṣṭafā Čelebi, Düzme », Encyclopédie de l’Islam, 7, Paris, 19932, p. 711-713, l’opinion de Colin J. Heywood est plus difficile à suivre, ne serait-ce que parce que cet auteur présente d’abord Muṣṭafā comme un « fils aîné de Bāyezīd Ier », puis, deux lignes plus bas, comme « le dernier des six fils de Bāyezīd Ier ». Il est vrai que, de manière étonnante, il postule également qu’il pourrait ne faire qu’un avec le Muṣṭafā actif à Thessalonique entre 1425 et 1430 (voir note précédente), en dépit de ce que la majorité des sources disent ce premier Muṣṭafā pendu en 1422 à Andrinople, ce qu’il admet par ailleurs dans cette même étude. Cette identification est de fait absurde. Cependant, il souligne que toutes les sources turques ne considèrent pas comme un imposteur le premier Muṣṭafā : « comme cela paraît presque certain, il était un fils de Bāyezīd » (ibid., p. 711). Le PLP lui a consacré deux entrées distinctes, l’une (PLP 19570) pour un Μουσταφᾶς fils de Bāyezīd qui « starb in jungen Jahren (?) » – à l’évidence en raison des confusions de Barker –, l’autre (PLP 19575) pour notre Μουσταφᾶς / « Mustafa Düzme (Pseudo-Mustafa) […] Thronprätendent d. Osmanen, 1415-1422 […] Gab sich als S[ohn] d. Παϊαζίτης ». Il est toutefois précisé en conclusion de cette dernière entrée : « Er war vielleicht tatsächlich ein Sohn Bajezids I. Dukas und Chalkokondyles betrachten ihn als solchen, Sph[rantzes] 6 und die osmanischen Historiker bezeichnen ihn als falschen. »
10 Comme l’a relevé Colin J. Heywood (voir note précédente), toutes les sources ottomanes contemporaines ne le disent pas « faux », et si elles le font dans leur grande majorité, c’est qu’elles reproduisent seulement la version officielle propagée par le régime de Meḥmed Ier, qui y avait intérêt. De là le qualificatif de « Düzme » (« faux ») qui accompagne toujours le nom de ce Muṣṭafā Čelebi dans l’historiographie turque traditionnelle. Se faisant l’interprète de la tendance historique actuelle, Dimitris J. Kastritsis, The Sons, p. 2, considère Muṣṭafā, sans hésitation et sans même évoquer le vieux débat à son sujet, comme un fils authentique de Bāyezīd Ier.
11 József Gelcich, Lajos Thallóczy, Diplomatarium relationum Reipublicae Ragusanae cum Regno Hungariae, Budapest, 1887, doc. 154, p. 234-235 : Audivimus insuper quemdam fratrem domini Crispie in Turchie partibus nuper surrexisse, potencius illus ut fratris hostem ad libitum dominantem. Citant ce document, Barker, Manuel II, p. 341, n. 80, se demandait si ce frère anonyme de Meḥmed Ier pouvait, à une date aussi haute, être Muṣṭafā, soulignant que « by then, at any rate all of the known brothers of Mechmed (“Crispia”) were eliminated ». C’est précisément pour cette raison que cette identification ne fait pas l’ombre d’un doute. Il est d’ailleurs assez logique que, si vite après sa libération surprenante par Shāhrukh, le prénom de ce « nouveau » fils de Bāyezīd Ier oublié depuis si longtemps n’ait pas encore été fixé par les contemporains.
12 Halil İnalcik, « Meḥemmed Ier », op. cit., p. 968 ; Anthony Luttrell, Elizabeth A. Zachariadou, Sources for Turkish History in the Hospitallers’ Rhodian Archive 1389-1422, Athènes, 2008, p. 76.
13 Archivio di Stato di Venezia (désormais ASV), Senato, Secreta, reg. 6, f. 31v. L’acte est très correctement résumé dans Nicolas Iorga, Notes et extraits pour servir à l’histoire à l’histoire des croisades au xve siècle, I, Bucarest, 1915 (= Revue de l’Orient Latin [désormais cité ROL] 4, 1896, p. 540), mais très insuffisamment dans Freddy Thiriet, Régestes des délibérations du Sénat de Venise concernant la Romanie, II, Paris, 1959, no 1563, p. 131-132. Pour la galère du voyage de Trébizonde de 1414/15, voir Sergej P. Karpov, L’impero di Trebizonda, Venezia, Genova e Roma, 1204-1461, Rome, 1986, p. 138, n. 226.
14 ASV, Senato, Secreta, reg. 6, f. 32r. Voir Nicolas Iorga, Notes et extraits, op. cit., I, p. 226 (= ROL 4, p. 541), et, dans une moindre mesure, Freddy Thiriet, Régestes des délibérations du Sénat, op. cit., II, no 1564, p. 132. Le Sénat commença par répliquer que la République avait toujours respecté la paix qu’elle avait signée tant avec ses ancêtres Murad Ier et Bāyezīd Ier que dernièrement avec ses frères, et que, parce qu’elle venait d’envoyer un ambassadeur confirmer cette paix avec son frère Meḥmed Ier, il ne pouvait être question d’accorder à Muṣṭafā l’aide qu’il réclamait, ni s’entendre avec lui contre ce dernier. Bien entendu, attentive à ne pas insulter l’avenir, la Sérénissime déclarait qu’elle serait toujours contente de son élévation éventuelle, sa politique consistant à être en paix avec les souverains ottomans quels qu’ils soient.
15 ASV, Senato, Secreta, reg. 6, f. 32r. Voir Nicolas Iorga, Notes et extraits, op. cit., I, p. 226 (= ROL 4, p. 541) ; aucune mention n’est faite par Freddy Thiriet de la proposition de communiquer le tout à Meḥmed Ier.
16 ASV, Senato, Secreta, reg. 6, f. 32v : … Ad id autem quod requirunt de eundo Segniam, ut inde possint ire in Valachiam ad presentiam Mirse Voivode, et quod nobis placeat eos recommendare per literas nostras domino Segnie, etc., respondemus quod sicut pridie sibi diximus, nos sumus in bona pace et amicitia cum Cierizi, et videtur nobis quod, cum honore nostro non possumus eis dare transitum ut vadant ad partes Segnie, sed propter contemplationem domini sui Mustafe, offerimus nos paratos eos conduci facere ad illas partes Turchie que sint amice Domini sui et nostro Dominio habiles, vel ad partes Theologi et Palatie, sicut dictis ambaxiatoribus placebit, cum primo passagio quod habiliter habebimus, etc. De parte 11 ; de non 4 ; nonsinceri 8.
17 Pas plus Nicolas Iorga que Freddy Thiriet ne l’ont en effet évoquée. Aussi les informations qu’elles recèlent n’ont-elles pu être mises à profit par John W. Barker, Manuel II, op. cit., p. 340, n. 80 – qui a exploité sur les débuts de Muṣṭafā les documents cités supra à partir de József Gelcich et Lajos Thallóczy, Nicolas Iorga et Freddy Thiriet –, et par les spécialistes des relations diplomatiques entre l’Anatolie et l’Occident tels Elizabeth A. Zachariadou, Trade and Crusade. Venetian Crete and the Emirates of Menteshe and Aydin (1300-1415), Venise, 1983, p. 88, et Anthony Luttrell, Elizabeth A. Zachariadou, Sources for Turkish History, op. cit., p. 79 (où il est signalé que Muṣṭafā proposa à Venise une alliance « as early as February 1416 »).
18 Que Djunayd ait été toujours maître de Smyrne et d’Éphèse/Theologo à l’époque est établi par Anthony Luttrell, Elizabeth A. Zachariadou, Sources for Turkish History, op. cit., p. 75-77.
19 Manuel II avait quitté Constantinople le 25 juillet 1414. Il n’y rentrera qu’au mois de mars 1416. Voir John W. Barker, Manuel II, op. cit., p. xxxii-xxxiii, p. 298-318.
20 La similitude de l’itinéraire de ces deux prétendants ottomans frappa l’historien Laonikos Chalkokondylès (éd. Darkó, I, p. 19015). On se souvient que lorsqu’il s’était déclaré contre son frère Emīr Süleymān, Mūsā avait obtenu la protection de Mircea de Valachie, qui l’avait accueilli en 1409, lui offrant une bâtarde en mariage en même temps que son appui militaire. Voir supra, p. 134-135, n. 3.
21 Anthony Luttrell, Elizabeth A. Zachariadou, Sources for Turkish History, op. cit., p. 77-78.
22 József Gelcich, Lajos Thallóczy, Diplomatarium, op. cit., doc. 167, p. 249-250, ici p. 249 (Raguse, 28 juin 1415).
23 Laonikos Chalkokondylès, éd. Darkó, I, p. 19014-23.
24 József Gelcich, Lajos Thallóczy, Diplomatarium, doc. 168 (18 août 1415), p. 250-251, ici p. 251.
25 Ibid., doc. 169 (1er octobre 1415), p. 252.
26 ASV, Senato, Secreta, reg. 6, f. 84v-85r : 85r : dictus ambaxiator […] significavit dictum dominum Imperatorem tenuisse de tempore in tempus praticam cum Amustafa, fratre Chierizi, et cum Despoto Servie et domino Caramano, et quod si nostra Dominatio, propter damna attentata per Turchos contra subditos nostros, velet se movere contra Turchos, predicti domini se etiam moverent a parte terre cum suis potentiis contra Turchos predictos, et ob hoc dictus ambaxiator habet literas directivas dictis dominis, etc.
27 Ibid., f. 92v : … debeatis sumere omnem informationem possibile in partibus illis de viis et modis quibus posset damnificari dictus Chirici ac eius loca et subditi, tam per terram quam per aquam, et specialiter per viam Charamani, Mustafe et Vlachi. La crise entre Venise et Meḥmed Ier dégénéra à peu de temps de là, à l’occasion de la bataille navale de Gallipoli où le 29 mai 1416 Pietro Loredan détruisit la flotte ottomane.
28 J. Gelcich, L. Thallóczy, Diplomatarium, doc. 173, p. 261 (12 octobre 1416). Doukas, éd. Grecu, p. 1531-3, confirme l’information concernant l’implication du futur Murād II.
29 Les récits de Doukas (ibid., p. 15527-1613) et de Laonikos Chalkokondylès (éd. Darkó, I, p. 1915- 1926) sur cet épisode ne sont pas fiables – or c’est le témoignage de ces deux chroniqueurs qu’a privilégié John W. Barker, Manuel II, p. 342-343 –, car ils passent sous silence la présence de Jean VIII à Thessalonique à l’époque, et ignorent la part que joua le jeune co-empereur dans cette affaire. Or, l’une comme l’autre sont rapportées par nombre de relations contemporaines, ainsi Géôrgios Sphrantzès (éd. Maisano, p. 1013-17), Syméon de Thessalonique (David Balfour, Politico-historical Works of Symeon, Archbishop of Thessalonica, Vienne, 1979, p. 39-69), et Isidore de Kiev dans un panégyrique (éd. Spyridon P. Lampros, Παλαιολόγεια καὶ Πελοποννησιακά, ΙΙΙ, Athènes, 1926, p. 133-199, ici p. 17316-1745). Ces témoignages sont également confirmés par un acte athonite, un prostagma de Jean VIII établi à Thessalonique, jusqu’ici mal daté et désormais fixé à décembre 1416 par Raul Estangüi Gómez, « Un prostagma de Jean VIII Palaiologos mal daté : l’acte de Kutlumus, no 47 : décembre 1432, 1447 ou 1416 ? », Jahrbuch der Österreichischen Byzantinistik, no 60, 2010, p. 78-79. Si Ivan Djurić, Le crépuscule de Byzance, Paris, 1996, p. 176-178, s’est fait l’écho du rôle joué alors à Thessalonique par Jean VIII, il va sans doute trop loin lorsqu’il avance que si le fuyard Muṣṭafā se dirigea vers Thessalonique, c’est parce qu’il y bénéficiait de la complicité du jeune co-empereur, qui se serait allié à lui contre l’avis de son père. La chronologie est si serrée qu’il n’est en tout cas pas concevable que Jean VIII ait pu être dépêché par Manuel II depuis Constantinople dans la capitale de Macédoine pour résoudre la crise (John W. Barker, Manuel II, p. 343, n. 83) : le co-empereur s’y trouvait visiblement depuis quelque temps, peut-être pour entériner la transmission officielle de l’administration de Thessalonique entre les mains de son frère le despote Andronikos, désormais en âge de l’assumer seul.
30 Doukas, éd. Grecu, p. 15934-1612.
31 Ibid., p. 15924-25.
32 Géôrgios Sphrantzès, éd. Maisano, p. 1013-17.
33 Doukas, éd. Grecu, p. 15928-29.
34 Ibid., p. 16713-23. Doukas avance toutefois que le premier souci de Meḥmed dans cette affaire était d’assurer la survie de ses deux derniers fils, redoutant que Murād ne les fasse étrangler sitôt après sa mort. Si cette motivation a pu également jouer, elle ne fut certainement pas prépondérante dans ses calculs. Voir à ce propos Dimitris J. Kastritsis, The Sons, op. cit., p. 3.
35 Doukas, éd. Grecu, p. 1731-20.
36 Ibid., p. 23520-26.
37 Le meilleur compte rendu de ces dissensions entre Manuel II et Jean VIII sur la stratégie à adopter vis-à-vis de Murād n’est pas donné par Doukas (ibid., p. 17321-17521), qui ignore une fois de plus la part jouée par Jean VIII dans ces événements. Il émane de Laonikos Chalkokondylès (éd. Darkó, II, p. 215-318), dont le récit est par ailleurs confirmé par le contemporain Géôrgios Sphrantzès (éd. Maisano, p. 1815-26). Pour la bibliographie, volumineuse, sur l’épisode : John W. Barker, Manuel II, p. 355-356 ; Ivan Djurić, Le crépuscule de Byzance, p. 210-211 ; Robert Mantran, Histoire de l’Empire ottoman, Paris, 1989, p. 67-68 (chap. de Nicolas Vatin).
38 Elpidio Mioni, « Una inedita cronaca bizantina (dal Marc. gr. 595) », Miscellanea Agostino Pertusi, Rivista di studi bizantini e slavi, no 1, 1981, § 37, p. 76 : Περὶ τὸ τέλος τοῦ μαίου μηνὸς τοῦ ͵ςϡκθ´ ἔτους ἀπέθανεν ὁ κυριτζῆς. Κατὰ δὲ τὸν αὔγουστον τοῦ αὐτοῦ ἔτους ἔφερεν ὁ βασιλεὺς τὸν Μουσταφᾶν ἐκ τοῦ Πελοποννήσου εἰς τὴν Καλλιούπολιν, ὃς καὶ ἐξελθῶν ἐγένετο αὐθέντης τῆς Δύσεως ; Géôrgios Sphrantzès, éd. Maisano, IX, § 1, p. 211-4 : Καὶ ἐν μηνὶ σεπτεμβρίῳ τοῦ κθ-ου ἔτους μετὰ κατέργων ἀπελθόντος εἰς τὴν Καλλίπολιν τοῦ βασιλέως κῦρ Ἰωάννου, ἀμηρᾶν τὸν Μουσταφᾶν φέρων ἀπὸ τοῦ Μορέως αὐθέντην ἐξέβαλεν εἰς τὴν Δύσιν· καὶ ἡ Καλλίπολις αὐτὸν προσεκύνησε. Voir aussi Sokratès Kugéas, « Notizbuch eines Beamtes der Metropolis in Thessalonike aus dem Anfang des XV. Jahrhunderts », Byzantinische Zeitschrift, no 23, 1914/19, § 81, p. 152 : Μηνὶ αὐγούστῳ ιε´ καὶ ἔτει τῷ ἄνωθεν ἀποκατέστησεν ὁ εὐσε[βέστατος βασιλεὺς… Παλ]αιολόγος ἀναλώμασι καὶ ἐπιμελεία καὶ ναυσὶν αὐτοῦ […] Καλλιούπολιν αὐθέντης πάσης τῆς Δύσεως.
39 Doukas, éd. Grecu, p. 17512-18. Si Doukas, qui ignore que Muṣṭafā était détenu à Mistra, se trompe certainement en disant que Dèmètrios Laskaris Léontarios assura son transport de Lemnos à Gallipoli, il n’en montre pas moins également Muṣṭafā arriver directement à Gallipoli depuis son lieu de détention (ibid., p. 18113-21) sans passer auparavant à Constantinople.
40 Ibid., p. 18115-17.
41 Laonikos Chalkokondylès, éd. Darkó, II, p. 14-17, et p. 318-45.
42 Notamment grâce au long récit de Doukas, qui se révèle cette fois plus fiable que précédemment. Voir Doukas, éd. Grecu, p. 209-229. Voir également Elizabeth A. Zachariadou, « Ottoman Diplomacy and the Danube Frontier (1420-1424) », Okeanos. Essays presented to Ihor Ševčenko on his Sixtieth Birthday by his Colleagues and Students, éd. Cyril Mango et alii, Harvard University Press, 1983, repris dans Eadem, Studies in Pre-Ottoman Turkey and the Ottomans, Aldershot, 2007 (Variorum Reprints, CSS 882), no XIV, p. 687-688.
43 La date du débarquement de Muṣṭafā en Anatolie depuis Gallipoli est donnée par une lettre du baile vénitien de Constantinople Benedetto Emo adressée au duc de Crète, reproduite dans Nicolas Iorga, Notes et extraits, op. cit., I, p. 316 (= ROL 5, 1897, p. 117). Celle du débarquement de Murād II en Europe à Gallipoli sur les navires d’Adorno est fournie par Elpidio Mioni, « Una inedita cronaca bizantina », op. cit., § 38, p. 76. Il n’est toutefois pas sûr que ces dates, celle concernant le débarquement de Muṣṭafā d’Europe en Anatolie comme celle du débarquement de Murād II et Adorno d’Anatolie en Europe, soient exactes. Ainsi le mois de février 1422 donné ici pour ce second événement doit-il concerner plus la date de l’exécution de Muṣṭafā que celle du débarquement précédent de Murād II. On constate ainsi qu’une autre chronique (Sokratès Kugéas, « Notizbuch eines Beamtes der Metropolis in Thessalonike », op. cit., § 78, p. 151, reprod. dans Peter Schreiner, Die byzantinischen Kleinchroniken (Chronica byzantina breviora), II, Vienne, 1977, § 68, p. 617), fixe le débarquement de Murād II et Adorno à Gallipoli au mois de janvier 1422. Ces divergences expliquent les données chronologiques contradictoires fournies dans John W. Barker, Manuel II, op. cit., p. 359, n. 106, et Ivan Djurić, Le crépuscule de Byzance, p. 211-212. Reste qu’il est frustrant de ne pouvoir fixer précisément la date de cet événement si célèbre, en dépit d’une étude basée sur les archives génoises : Enrico Basso, « Genovesi e Turchi nell’Egeo medievale : Murad II e la Societas Folie Nove », Quaderni medievali, no 36/XII, 1993, p. 31-52.
44 Doukas, éd. Grecu, p. 2292-9. La mort ignominieuse réservée à « Düzme » Muṣṭafā implique bien sûr que ce fils de Bāyezīd Ier n’ait pas eu droit à la traditionnelle sépulture royale à Bursa.
45 Laonikos Chalkokondylès, éd. Darkó, II, p. 76-7. Cet auteur rapporte à tort que Murād II le fit étrangler sur place au moyen d’un lacet (ibid., II, p. 710-11) ; que Muṣṭafā b. Bāyezīd ait été pendu en public à Andrinople à des fins de propagande est un fait sûr, comme le rapportent Doukas (voir note précédente) et les sources turques (voir note suivante).
46 Colin J. Heywood, « Muṣṭafā Čelebi, Düzme », Encyclopédie de l’Islam, 7, Paris, 19932, p. 712.
47 L’information concernant la protection accordée alors au jeune Muṣṭafā par le Grand Karaman provient du compte-rendu donné de toute l’affaire par Laonikos Chalkokondylès, éd. Darkó, II, p. 1212-13.
48 Géôrgios Sphrantzès, éd. Maisano, p. 2210-14 : Καὶ τῇ λ-ῇ τοῦ αὐτοῦ μηνὸς ὁ Μουσταφόπουλος καὶ ἀδελφὸς αὐτοῦ δὴ τοῦ Μουράτη καὶ ἐπέρασεν εἰς τὴν Πόλιν καὶ ἔπεσεν ἔξω εἰς τὸ αὐθεντικὸν περιβόλιον. Καὶ ἐπὶ τὴν αὔριον, τῇ α-ῇ ὀκτωβρίου, ἦλθεν εἰς προσκύνησιν τῶν βασιλέων.
49 Ibid., p. 2214-21-241-4.
50 Laonikos Chalkokondylès, éd. Darkó, II, p. 1219-22.
51 Ibid., p. 131-4.
52 Ibid., p. 135-21 ; Géôrgios Sphrantzès, éd. Maisano, p. 244-7 ; Doukas, éd. Grecu, p. 23712-21.
Voir aussi le compte-rendu donné par le fonctionnaire de la métropole de Thessalonique, qui a le mérite de fournir une chronologie : Sokratès Kugéas, « Notizbuch eines Beamtes der Metropolis in Thessalonike », op. cit., § 88, p. 154, reproduit dans Peter Schreiner, Kleinchroniken, II, § 69, p. 618). La biographie du personnage n’est retracée ici qu’à partir des seules sources byzantines, mais l’article consacré par Colin J. Heywood à « Muṣṭafā Čelebi, Küčük Muṣṭafā », Encyclopédie de l’Islam, 7, Paris, 19932, p. 713-714, fait référence à des sources turques qui permettent de la compléter substantiellement. Il n’y est cependant pas fait mention d’un mariage byzantin le concernant.
53 Ecthesis Chronica, éd. Sp. Lambros, Londres, 1902, p. 221-317. Pour une traduction anglaise de cette chronique : Marios Philippides, Emperors, Patriarchs and Sultans of Constantinople, 1373- 1513. An Anonymous Greek Chronicle of the Sixteenth Century, Brookline, Massachussetts, 1990. La traduction du passage καὶ διελύθη ἡ πανήγυρις en « The gathering was then dismissed » est erronée (ibid., p. 29).
54 Historia Politica et patriarchica Constantinopoleos, éd. Immanuel Bekker, Bonn, 1849, p. 419-517.
Christos G. Patrinelis, Πρώιμη νεοελληνική ιστοριογραφία. Περιλήψεις μαθημάτων, Thessalonique, 1990, p. 65-66, a proposé d’identifier son auteur avec Théodosios Zygomalas.
55 Voir la notice sur ce dignitaire grec et écrivain du patriarcat de Constantinople dans Μεγάλη ελληνική εγκυκλοπαίδεια, éd. Paulos Drandakè, vol. 12, Athènes, 1930, p. 864. Sur son œuvre et sa valeur historique, il n’existe que deux courtes études : Gyula Moravscik, « Zur Quellenfrage des historischen Gedichtes von Hierax », Byzantinisch-Neugriechische Jahrbücher, no 10, 1932-1934, p. 413-416 ; Dean Sakel, « A Note on the Value of Hierax as a Historical Source », İstanbul Üniversitesi 550. Yıl Uluslararası Bizans ve Osmanli Sempozyyumu (XV. Yüzyıl), Istanbul, 2004, p. 15-18.
56 Ἱέρακος, Χρονικὸν περὶ τῆς τῶν Τούρκων βασιλείας, éd. Kônstantinos N. Sathas, dans Μεσαιωνική βιβλιοθήκη. Bibliotheca graeca medii aevi, I, Venise, 1873, p. 253269-255315. La traduction est inspirée de celle donnée par Philippe A. Déthier, « Hiérax, le grand logothète. Thrénos, c’est-à-dire complainte, ou Histoire de l’Empire des Turcs, composée vers 1597 », Monumenta Hungariae Historica, 21/2, sine loco et sine anno, c. 1866-1871, § 21-24, p. 393-396.
57 Charles Du Cange, Historia byzantina duplici commentario illustrata, Paris, 1680, p. 245 : Zampia Palaeologina, Manuelis filia notha, Hilario Doriae Nobili Genuensi nuptum data a patre anno MCCCXCIII. ut quidam volunt ; ex quibus nuptiis nata filia, quam idem Manuel Mustapha Bajazathi Gilderuni Sultani filio uxorem dedit (avec, pour référence, « Hist. Polit. p. 2. », soit l’Historia Politica Constantinopoleos publiée dans Martin Crusius, Turcograecia, Bâle 1584). Le père de la byzantinologie a donc opté pour Muṣṭafā fils de Bāyezīd de manière péremptoire, et sans justifier son choix. Mais il n’est pas le seul. Ainsi Guillaume Favre, « Vie de Jean-Marius Philelphe », Mélanges d’histoire littéraire, avec des lettres inédites d’Auguste-Guillaume Schegel et d’Angelo Maï, I, Genève, 1856, p. 30, n. 3, rappelait que « il y eut deux Mustapha que les Grecs opposèrent l’un après l’autre à Amurat II : 1o Mustapha fils de Bajazet-Ilderim […] 2o Mustapha, fils de Mahomet Ier et frère d’Amurat II » […] « c’est le premier des deux Mustapha qui épousa la fille de Zampia, et non pas le dernier, quoi qu’en dise l’Histoire politique publiée par Crusius ». En revanche, le traducteur de la chronique de Hiérax (Philippe A. Déthier, « Hiérax, le grand logothète », op. cit., p. 393, n. 16), a justifié ce choix : « Ce que notre poète raconte ici et dans les vers suivants, sur Moustapha, frère de Mourat II, pèche par la confusion de deux personnages différents, lesquels, l’un après l’autre, ont cherché, au commencement du règne de Mourat II, à lui disputer le trône, ce qui se comprend quand on remarque que tous deux portaient le nom de Moustapha. Le premier de ces compétiteurs, le plus dangereux et qui pour quelque temps réussit à dominer en Asie et en Europe, était un fils de Bayazet et l’oncle de Mourat II ; l’autre, frère de Mourat âgé seulement de 13 ans, ne fit qu’apparaître en Asie et fut étranglé dans Nicée ». Ibid., p. 394, n. 17 : « Ce mariage avec une Zampia Paléologine génoise, malgré nos recherches nombreuses n’a pu être vérifié par nous. Peut-être d’autres seront-ils plus heureux. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que cette alliance ne pouvait avoir eu lieu avec le jeune Moustapha, frère de Mourat. C’est moins encore sa jeunesse (car il arrive qu’à 14 ans les jeunes Mahométans prennent des femmes, quand les pères sont dans une position qui permet de telles dépenses) que la circonstance, que la révolte de ce jeune prince ne fut qu’une promenade du fond de l’Asie jusqu’à Nicée, où il trouva la mort ; tandis que l’autre Moustapha eut le temps, dans sa carrière plus longue, de contracter une telle alliance avec les Paléologues. »
58 John W. Barker, Manuel II, op. cit., p. 368, n. 120 : : « It is possible that they [these texts which relate the supposed marriage] confused the two Mustafas and that the one involved in such a marriage might actually have been the false pretender of 1421-24 ? » Quant à Ivan Djurić, biographe de Jean VIII, il a considéré que ces données étaient « le fruit d’interpétrations embrouillées à partir de renseignements tirés des témoignages antérieurs » (Ivan Djurić, Le crépuscule de Byzance, p. 217), se contentant de relever que « l’historiographie moderne se montre sceptique envers les témoignages sur Moustapha en tant que gendre de Hilarion Doria » (ibid., p. 149, n. 2). Il est vrai que la contribution à ce dossier du spécialiste des Paléologues, Averkios Th. Papadopoulos, Versuch einer Genealogie der Palaiologen, Munich, 1938, n’éclairait guère, puisque ce dernier évoquait simplement le marié ottoman comme s’il n’y en avait pas eu deux en cause à porter le même prénom (ibid., no 104, p. 70) : « … Isabella, die mit Mustapha verheiratet war, und 1422 starb ». En outre, la construction de cette phrase faisait d’Isabella/Zampia le personnage qui mourut en 1422, et non son époux Muṣṭafā, ce qui était pour le moins maladroit. Si, comme il semble, il s’agissait de sa part d’une simple erreur de formulation, il faudrait en conclure que pour lui, c’est le premier Muṣṭafā qui était en cause, comme l’a compris aussi Barker, et manifestement Djurić (voir réf. supra). Nicolas Iorga, Byzance après Byzance, Bucarest, 1935, p. 45, dit, à propos de l’Historia politikè, que s’y trouvent des renseignements concernant « le mariage du prétendant Moustafa avec une fille de Doria “descendante de l’empereur Manuel” par sa mère Zampia ou Zabia, une bâtarde, la nouvelle princesse ottomane recevant le nom de “maîtresse de l’Orient” », se gardant de s’engager plus avant sur l’identité du prétendant Muṣṭafā en question.
59 Thierry Ganchou, « Giourgès Izaoul de Ioannina, fils du despote Esau Buondelmonti, ou les tribulations balkaniques d’un prince dépossédé », Medioevo greco, no 8, 2008, p. 176-178.
60 Barker se déclarait toutefois gêné du fait que le contemporain Géôrgios Sphrantzès ne mentionne pas cette union (John W. Barker, Manuel II, op. cit., p. 368, n. 120), ce chroniqueur étant au cœur des événements – puisqu’il servait alors à la cour de Constantinople – et qu’il montre par ailleurs une certaine prédilection dans ses Mémoires pour ce genre de renseignements. Mais Sphrantzès n’évoque pas toutes les unions matrimoniales tissées par la famille impériale : c’est ainsi par exemple qu’il passe sous silence le mariage byzantin d’Emīr Süleymān, alors que cette union a bien eu lieu (voir supra).
61 Laonikos Chalkokondylès, éd. Darkó, I, p. 1618-13 : Διαβάς τε ἐπι τὸ Βυζάντιον, ὥστε αὐτῷ φίλια εἶναι πρὸς τὸν Βυζαντίου βασιλέα, ἄγεται τὴν βασιλέως υἱιδοῦν Ἰανυΐου τοῦ Ντόρια θυγατέρα. Υἱιδοῦν δὲ τοῦ βασιλέως Ἑλλήνων ἀγόμενος Μουσουλμάνης ὁ Παιαζήτεω παῖς, καὶ ἐς Βυζάντιον διαβὰς ἐστρατεύετο ἐπὶ τὸν ἀδελφόν. En 1410 – car le contexte de l’information fourni par Chalkokondylès impose bien cette année-là, et non celle de 1403, comme il est affirmé dans Thierry Ganchou, « Ilario Doria, le gambros génois », p. 72 (cité infra, n. 76) –, Emīr Süleymān épousa en réalité une bâtarde anonyme de feu Théodore Ier de Morée ; voir supra, p. 135.
62 Voir PLP 19570 et 19575 (voir supra, n. 9), et PLP 19571.
63 PLP 21374. Il est vrai que les rédacteurs font d’elle la bâtarde de Manuel II épouse d’Ilario Doria.
64 PLP 29091.
65 Voir supra, n. 59.
66 John W. Barker, Manuel II, op. cit. p. 368, n. 120 : « there may be some doubt about the statement as a confusion of facts, especially in view of the tender youth of the prince in comparison with the soubtless greater age of Doria’s daughter ». L’âge « tendre » du second Muṣṭafā constituait aussi pour Philippe A. Déthier (voir supra, n. 57) un argument propre à invalider sa candidature.
67 John W. Barker, Manuel II, op. cit., p. 366, n. 117 : « The two latter sources are also the only ones to give at this point the age (thirteen years) of the young prince », avec références à Chalkokondyles et à la Chronique des sultans turcs (« Chron. Barb. 111 »). Voir Laonikos Chalkokondylès, éd. Darkó, II, p. 1214-15 (πρέσβεις δὲ πέμψαντες μετεπέμποντο ἐπὶ Βυζάντιον τὸν παῖδα, γεγονότα ἀμφὶ τὰ τρισκαὶδεκα ἔτη), et Χρονικόν περί των Τούρκων Σουλτάνων : κατά τον Βαρβερινόν Ελληνικόν κώδικα 111, éd. Géôrgios Th. Zoras, Athènes, 1958, p. 6017-18 (νέος δεκατρίων χρονῶν). Mais cette similitude ne doit pas impressionner. En effet, le récit transmis par la Chronique des sultans turcs présente simplement une adaptation très fidèle du récit de Chalkokondylès sur le jeune Muṣṭafā.
68 Doukas, éd. Grecu, p. 16712-14 : τὰ δὲ ἕτερα δύο τέκνα, ἔτυχε καὶ γὰρ ὁ Μουρὰτ τότε τὴν ἔφηβον ἡλικίαν ἐντρέχων, τὰ δὲ δύο ἄνηβα ὀκταετῆ καὶ ἑπταετῆ τυγχάνοντα…
69 Ibid., p. 23719 : ἦν δὲ ὁ Μουσταφᾶς ὡς ἐτῶν ἕξ.
70 Voir PLP 19571.
71 Thierry Ganchou, « Doria, Ilario », Dizionario biografico dei Liguri, vol. 7, 2008, p. 228.
72 PLP 29091 : « V[ater] d[er] Isabella (?) u. d. Manfredina oder Albertina u. d. Phille ». Une fille prénommée « Isabella » est en effet sûre : il s’agit précisément de celle dont il est question ici, comme on verra. En revanche, on ne sait où les rédacteurs du PLP ont été dénicher cette variante « Albertina » de Manfredina. Quant à « Phille », elle résulte d’une méprise singulière. Le renseignement est tiré en effet de Averkios Th. Papadopulos, Versuch einer Genealogie der Palaiologen, op. cit., no 104, p. 70 : « Aus dieser Ehe stammen drei Töchter : Isabella, die mit Mustapha verheiratet war und 1422 starb ; Manfredina […] ; und Phille […] ». Où donc Papadopoulos avait-il découvert cette « Phille » – un prénom pour le moins insolite à Byzance –, dont aucune source ne parle ? Comme indiqué, ses conclusions sont en fait entièrement tirées de Hopf, en particulier du tableau généalogique de ses Chroniques gréco-romanes (Karl Hopf, Chroniques gréco-romanes inédites ou peu connues, Berlin, 1873, table XII, 2, p. 536), où sont données trois filles à Ilario : Isabella, Manfredina, plus une anonyme. Or, dans cet ouvrage rédigé en français, au lieu d’user par exemple des habituels « Na » ou « Y » pour signaler une fille anonyme dans ses tableaux, Hopf a fait le choix du simple mot de « Fille ». Papadopoulos n’a tout simplement pas prêté attention à la langue de l’ouvrage de Hopf… Uniquement concentré sur le tableau concernant la liste des enfants d’Ilario, il a pris malencontreusement ce simple « Fille » pour un prénom, et n’en trouvant pas, apparemment, la graphie assez « grecque », il a tout simplement « grécisé » ce simple « Fille »… en « Phille » !
73 Voir en dernier lieu PLP 31160 (Χρυσολωρᾶς Ἰωάννης).
74 Thierry Ganchou, « Giourgès Izaoul », op. cit., p. 171 et 174 ; PLP 8145-8146.
75 Géôrgios Sphrantzès, éd. Maisano, p. 2413-15: Καὶ τὸ θέρος τοῦ αὐτοῦ ἔτους ἔφυγεν ὁ αὐθεντόπουλος κὺρ Δημήτριος μετὰ Ἰλαρίωνος Ντώρια καὶ Γιούργη Ἰζαοὺλ καὶ γαμβροῦ αὐτοῦ δὴ τοῦ Ντώρια.
76 Thierry Ganchou, « Ilario Doria, le gambros génois de Manuel II Palaiologos : beau-frère ou gendre ? », Revue des Études Byzantines, no 66, 2008, p. 71-94. Je n’avais pas songé alors à consulter cette chronique rimée, ignorant qu’elle mentionnait elle aussi ce mariage. C’est d’autant plus regrettable qu’elle en parlait d’une façon différente de ses consœurs, et précisément dans le sens de la démonstration que je tentais de conduire dans cette étude.
77 On ne connaissait jusqu’ici qu’un bâtard de cet empereur, cet « Emmanouèlos », qui, selon Chalkokondylès, commandait en 1411 la flotte byzantine qui défit devant Constantinople celle de Mūsa (Laonikos Chalkokondylès, éd. Darkó, I, p. 16520-1667).
78 Thierry Ganchou, « Ilario Doria, le gambros génois », op. cit., p. 87.
79 Il en résulte que l’on ignore le prénom de la bâtarde de Jean V épouse d’Ilario Doria. Elle devait cependant porter un prénom byzantin des plus classiques. En tout cas ce ne sont pas moins de quatre entrées du PLP qui sont à modifier : PLP 21374 (Zampia), PLP 29091 (Ilario), PLP 21513 (Manuel II), PLP 21485 (Jean V).
80 Thierry Ganchou, « Ilario Doria, le gambros génois », op. cit., p. 87-88.
81 Glosant Chalkokondylès, la Χρονικόν περί των Τούρκων Σουλτάνων, éd. Zoras, op. cit., p. 6017-21, rapporte de son côté qu’à Constantinople le jeune Muṣṭafā « fut reçu avec grand honneur par le basileus » (Τότε οἱ Ῥωμαῖοι ἐστείλανε μαντατοφόρο εἰς τὸν ἀδελφό τοῦ τὸν Μουσταφᾶ, ὁποὺ εὑρισκέτονε εἰς τὸν ἀφέντη τῆς Καραμανίας, ὁποὺ ἤτονε ὁ μικρότερος καὶ νέος δεκατρίων χρονῶν. Καὶ ἐκάμανε καὶ ἦρθε κοντὰ εἰς τὴν Κωνσταντινούπολι καὶ ἐμπῆκε καὶ μέσα εἰς τὴν χώρα καὶ ἐδέκτη τον ὀ βασιλέας καὶ πολλὴ τιμὴ τοῦ ἔκαμε).
82 La variante τῆς Ἀσίας donnée par Hiérax ne doit cependant pas être considérée comme une meilleure restitution du texte original. Au contraire, dans ce cas précis c’est à l’évidence l’Ekthésis Chronikè et l’Historia Politikè qui ont retranscrit la formule exacte, modifiée par Hiérax uniquement pour des questions de métrique.
83 Voir les extraits donnés supra, n. 38.
84 Il n’en est que plus surprenant que le traducteur de l’Ekthésis Chronikè, Mario Philippides, Emperors, Patriarchs and Sultans of Constantinople, op. cit., p. 144, n. 4, ait identifié ce Muṣṭafā fils de Meḥmed Ier qu’elle met en scène avec « the son of Bayezid I Yildirim (1389-1402) », sans même signaler l’existence de son homonyme, le fils de Meḥmed Ier, alors que cette chronique le présente précisément comme tel !
85 Pour cette parenté, voir Thierry Ganchou, « Giourgès Izaoul », op. cit., p. 168.
86 Voir supra, n. 75 et Peter Schreiner, Die byzantinischen Kleinchroniken (Chronica byzantina breviora), I, Vienne, 1975, Chronik 13, § 8, p. 117 ; Thierry Ganchou, « Giourgès Izaoul », p. 183, n. 85.
87 Il aurait alors immanquablement précisé γεγονότος ὕστερον, comme à son habitude.
88 Parce que le mariage de Zampia a concerné le second Muṣṭafā et non le premier, l’analyse conduite dans Thierry Ganchou, « Giourgès Izaoul », p. 176-178, est à corriger sur ce point. Comme les possessions revendiquées par Giourgès Izaoul se trouvaient toutes en Europe – l’Épire du côté paternel, la Zeta serbe du côté maternel –, cela signifierait qu’on attendait à Byzance d’un Muṣṭafā devenu αὐθέντης τῆς Ἀνατολῆς qu’il parvienne dans un second temps à déloger d’Europe son frère Murād II. Au moins l’attribution désormais claire de Zampia à Muṣṭafā b. Meḥmed en 1422, et non à Muṣṭafā b. Bāyezīd en 1421, permet-elle d’assurer qu’il y eut bien deux filles d’Ilario Doria en cause. En effet, attribuer Zampia au premier Muṣṭafā, éliminé en février 1422, rendait possible son remariage avec Giourgès Izaoul avant juillet 1423 (ibid, n. 75). En revanche, son attribution au second Muṣṭafā, éliminé en janvier 1423, rend non seulement difficile, chronologiquement parlant, son éventuel remariage avec Izaoul, mais il apparaît franchement invraisemblable, puisque le gain politique d’une telle union se révélait désormais nul pour ce dernier.
89 Les vicissitudes de Manfredina Doria – issue d’un premier mariage italien d’Ilario Doria ou bâtarde de ce dernier – et de ses filles après 1453, sont connues par la correspondance de son ex-gendre Francesco Filelfo. Voir Émile Legrand, Cent-dix lettres grecques de François Filelfe, Paris, 1892, p. 66-68.
90 Jean de Wavrin, La campagne des croisés sur le Danube (1445) (extrait des “Anciennes Chroniques d’Angleterre”), éd. Nicolas Iorga, Paris, 1927, p. 5-92, ici p. 45-90. Pour ce Davud, apparemment un petit-fils de Savğī, ce fils que Murād Ier avait fait aveugler en 1377, voir Franz Babinger, « Dâwûd-Čelebi, ein osmanischer Thronwerber des 15. Jahrhunderts », Südost-Forschungen, no 16, 1957, p. 297-311.
91 PLP 21132, entrée Ὀρχάν. En revanche, le conquérant de Constantinople ne réussit pas à mettre la main sur le jeune Bāyezīd, un enfant d’à peine cinq ans qui se trouvait être son frère et qui devait, durant de longues années, défier son pouvoir sous le nom de Calixtus Ottomanus, une fois entre les mains des papes de Rome. D’après ce qu’en disait un envoyé du duc de Milan à Rome en 1456 à son maître, l’enfant aurait été expédié à Constantinople par son père mourant Murād II afin de lui épargner une mort certaine de la part de son successeur Meḥmed II, sitôt lui mort. Voir Franz Babinger, « “Bajezid Osman” (Calixtus Ottomanus), ein Vorlaüfer und Gegenspieler Dschem-Sultans », La Nouvelle Clio, no 3, 1951, p. 349-388. La date de l’envoi de l’enfant dans la capitale byzantine aurait donc été de peu antérieure à 1451. Cette information n’est cependant pas corroborée par une source contemporaine, et elle est curieuse, puisqu’elle reviendrait à admettre qu’à la veille de sa mort, Murād II, oublieux des enseignements de sa difficile accession au trône, aurait agi vis-à-vis des Byzantins aussi inconsidérément que l’avait fait son père mourant Meḥmed Ier en 1421, en leur fournissant lui-même ce moyen de déstabiliser le pouvoir de son successeur.
Auteur
Centre d’histoire et de civilisation de Byzance UMR 8167 Orient et Méditerranée
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