Avant-propos
Texte intégral
1Ce volume intitulé Impératrices, princesses, aristocrates et saintes souveraines de l’Orient chrétien et musulman au Moyen Âge et au début des Temps Modernes est issu des deux journées d’études du 29 mars et du 25 octobre 2010 organisées par Andréas Nicolaïdès et moi-même grâce au soutien du LA3M (UMR 7298) et à la collaboration de l’ex-UFR Civilisations et Humanités et de l’INHA. Elles ont permis aux chercheurs et universitaires français et étrangers qui y ont participé d’enrichir l’histoire des femmes1, entreprise déjà ancienne mais toujours d’actualité, et d’apporter un regard nouveau aussi bien par les champs d’études envisagés que par les approches pluridisciplinaires.
2Depuis plusieurs décennies, en effet, les médiévistes occidentalistes ont porté un intérêt soutenu à l’étude des femmes comme « genre ». Il suffit d’évoquer les séminaires de Georges Duby dans les années 70 du siècle dernier sur la question ainsi que la monumentale Histoire des femmes depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, dirigée par Michelle Perrot et Georges Duby2. Pour l’histoire des femmes à Byzance l’apport des articles d’Évelyne Patlagean dès le début des années 1980 sur la parenté peut être considéré comme pionnier3. Plus récemment les travaux d’Angeliki Laiou sur les liens de parenté, le rôle des femmes dans la vie économique, le mariage, le divorce et le sexe et sur la représentation qu’avaient les contemporains de la femme ont marqué une grande avancée dans l’histoire sociale4. Enfin, il faut citer les études de Liz James dans le cadre de ces nouvelles problématiques ouvertes par ce que l’on appelle habituellement les gender studies5.
3L’ouvrage que nous présentons traite des aristocrates et des souveraines qui ont marqué leur temps et par conséquent nous ne prétendons pas reconstituer l’histoire des femmes à partir de ces femmes d’exception. Sur ce point, nous renvoyons aux articles publiés dans Clio 8, 1998 Georges Duby et l’histoire des femmes, qui soulignent le piège qui serait de considérer l’histoire des femmes à partir des élites féminines. En même temps, nous n’ignorons pas la réflexion des historiens et des anthropologues sur les prérogatives de ces « femmes d’élite » qui seraient limitées socialement et culturellement par leur sexe6. On rappellera néanmoins que les sources de cette période ne permettent guère une approche plus globalisante, car aussi bien les chroniques que les documents d’archives ou les représentations iconographiques non seulement font peu de place aux femmes, mais encore sont sélectives au niveau social. Notre ouvrage s’inscrit dans une perspective historique où l’analyse est à la fois politique, artistique et sociale avec un regard historiographique ou (et) anthropologique et une approche littéraire ou archéologique. Les articles s’organisent autour de cinq thèmes : l’image de l’impératrice byzantine et du gynécée, le pouvoir et l’influence politique des impératrices byzantines à travers trois portraits, les mariages à la cour ottomane, la fortune des aristocrates byzantines, la piété et le mécénat artistique des princesses d’Orient. Ce volume s’inscrit naturellement dans la suite de travaux récents portant sur des thèmes voisins, ainsi en est-il du colloque organisé à Bruxelles en 1996 sur « Femmes et pouvoirs des femmes à Byzance et en Occident (vie-xie s) », qui a donné lieu à publication7. Nous avons privilégié Byzance médiévale avec une fenêtre ouverte sur l’Orient chrétien et musulman dans une perspective souvent comparatiste.
4Le volume s’ouvre sur l’iconographie des saintes représentées dans les fresques des églises médiévales de Chypre sous le costume et la parure des impératrices byzantines de l’époque. La sainte image de l’impératrice se substitue désormais aux vertus allégoriques païennes de la Fondation (Ktisis), de la Prospérité (Tychè) et de la Victoire (Nikè) qui étaient associées à la représentation de l’impératrice de l’Antiquité tardive. Le modèle par excellence est celui de sainte Hélène, mère de Constantin, la première impératrice chrétienne qui patronna les fondations religieuses à la suite de sa découverte de la vraie Croix lors d’un pèlerinage à Jérusalem en 326 et qui fut honorée du titre d’Augousta8. Cette identification n’est pas anodine. Les images des saintes femmes ont leur place dans la décoration des églises byzantines des siècles post-iconoclastes jusqu’à l’époque moderne. Le système architectural et iconographique qui évoque un monde entre ciel et terre intègre désormais aux images des Pères de l’Église et des saints hommes celles des saintes femmes : impératrices et martyres. Se pose la question de la représentation spécifique du genre et de la relation des saintes femmes avec le public des fidèles. Leur choix n’est pas dû au hasard, mais correspond exactement à ce que les contemporains attendaient, telle sainte Hélène, qui apparaît alors fréquemment avec son fils Constantin Ier. On les voit représentés dans la très célèbre église d’Hosios Loukas en Phocide (1011-1048 ?), habillés de vêtements impériaux avec leurs loros ornés de pierres précieuses et leurs couronnes impériales, tenant une grande croix patriarcale à double traverse. Dans la même église figurent les saintes Thècle, Anastasie Marine, Agathe, Fébronie, Eugénie et encore Irène, Catherine et Barbe, grandes aristocrates et princesses martyres des persécutions du ive siècle9. On découvre des représentations de saintes femmes avec Hélène et Constantin aussi en Cappadoce, sur les fresques des chapelles rupestres, et surtout à Chypre, qui révèle un véritable trésor d’églises peintes de figures de saintes. Les femmes – qui à cette époque fréquentaient les églises pour prier les saintes de leur accorder un enfant, en particulier sainte Hélène, ce qui était le vœu le plus répandu –, étaient familiarisées avec l’image des impératrices. Aussi nombre de ces saintes femmes portent-elles les vêtements et la couronne à larges boucles d’oreille de l’impératrice, telle sainte Hélène de la Panagia d’Asinou à Chypre datée de 1105-1106 que l’on découvre parée à l’image de l’impératrice Irène Doukaina. Il s’agit tout à la fois de portraits « idéalisés » de l’impératrice et de saintes « incarnées » dans les impératrices et princesses du temps. À Chypre, on constate que l’image impériale byzantine a résisté longtemps dans les églises orthodoxes sous le règne des Lusignans mais, après la conquête de Constantinople et l’établissement des Vénitiens, d’autres modèles princiers se sont imposés, en particulier italiens.
5Les impératrices byzantines ont suscité l’intérêt des historiographes, mais à la différence des peintres et des mosaïstes ou des enlumineurs de manuscrits, ils n’hésitaient pas à quitter le registre de la sainte comme modèle d’impératrice pour mettre en avant le « genre » féminin qui allié au pouvoir devient la cause d’événements souvent catastrophiques. De l’impératrice Théophanô, « femme » avant d’être impératrice couronnée et désignée régente à la mort de son époux Romain II au nom de ses deux fils mineurs Basile et Constantin, Léon le Diacre décrit la beauté relevée par tous les contemporains, l’éloquence persuasive, la fourberie dissimulée jusqu’à l’ensorcellement. Les stratégies de pouvoir de la femme à Byzance étaient naturellement liées à sa beauté. On évoquera ce passage célèbre d’Anne Comnène sur la beauté de l’impératrice Marie d’Alanie, l’épouse successive de Michel Doukas et de Nicéphore Botaneiatès et qui faillit être celle d’Alexis Ier :
Elle avait la taille élancée comme un cyprès, la peau blanche comme neige, un visage ovale et vraiment le teint d’une fleur printanière ou d’une rose. Quant à l’éclat de son regard, qui le décrira jamais… lorsque quelqu’un avait vu celle-ci s’avancer ou soudain apparaître, il en était stupéfait10.
6L’attachement des Byzantins à la beauté, vertu féminine par excellence, devenait exigence quand il s’agissait de leur impératrice. Cet élément constitutif de l’image de l’impératrice a été étudié par Lynda Garland dans un très long article où elle relève les canons de la beauté de la future impératrice11. On rappellera qu’aux viiie et ixe siècle un concours de beauté ouvert à toutes les jeunes filles de l’empire était à l’origine du choix de la fiancée impériale, même si bien évidemment les candidates étaient toutes choisies au sein de la noblesse12.
7Autre image conventionnelle des impératrices sous la plume des contemporains, celle du gynécée. Sphère privée qui était comme une introduction à la sphère politique, le gynécée du palais avec ses nombreux serviteurs attachés à l’impératrice était ouvert à toutes les ambitions. C’est là que bien souvent se nouaient les intrigues les plus sordides. Imaginer le gynécée byzantin, c’est imaginer un monde à part où la hiérarchie était parfois remise en cause par les concurrences entre augoustai. Tous les auteurs de l’époque tombent d’accord sur la présence nécessaire d’une augousta à la cour pour assurer la bonne marche du palais. Quand on sait l’importance des banquets – qui étaient le nœud hiérarchique du cérémonial – pour les dignitaires de l’empire et pour les étrangers reçus à la cour, les uns et les autres prenant alors connaissance de l’intimité dont ils jouissaient ou de la désaffection dont ils souffraient, on comprend le sens des mesures prises par les empereurs quand une augousta – celle qui jouissait des privilèges délégués par l’empereur – mourait. Il fallait absolument la remplacer par une fille, une sœur, une petite-fille ou une nouvelle épouse. Ce que l’on sait moins, c’est la complexité des situations engendrées par de telles solutions qui conduisaient parfois à la présence simultanée de plusieurs impératrices, qui, chacune avait sa suite, ses servantes, ses eunuques, ses enfants, ses proches. La vie au gynécée impérial pouvait alors s’avérer une épreuve violente, d’autant plus si l’on ajoute cette autre donnée du genre, le sexe, qui faisait de l’impératrice une épouse délaissée, quand l’empereur s’éprenait d’une des innombrables femmes au service de l’impératrice et des enfants impériaux.
8On s’interroge alors sur le pouvoir et l’influence des impératrices byzantines. Dans quelle mesure influençaient-elles la marche du gouvernement, que ce fût à l’intérieur ou à l’extérieur du gynécée ? Léon le Diacre avait-il quelque raison d’attribuer à l’impératrice Théophanô un rôle si influent qu’elle fit et défit plusieurs empereurs ? Quel est aujourd’hui le point sur la question ? À quelles conclusions les dernières études ont-elles abouti ? Les impératrices de l’époque protobyzantine et médiobyzantine ont donné lieu à de nombreuses études dont nous citerons celle, déjà mentionnée, de Judith Herrin pour les viiie-ixe siècles, celle de Lynda Garland pour de nombreuses et célèbres impératrices13, auxquelles on n’oubliera pas d’ajouter l’étude pionnière de Charles Diehl14. Pour l’époque des Paléologues, il faut citer l’essai de Donald M. Nicol qui comprend des portraits de grandes dames dont quelques impératrices15, l’article d’Alice-Mary Talbot sur Théodora, l’épouse de Michel VIII16, l’ouvrage de Sandra Origone sur Anne de Savoie épouse d’Andronic III et régente au nom de son fils Jean V17. Cette impératrice ambiguë méritait à plus d’un titre d’être revisitée.
9Le rôle ordinaire de l’impératrice, philanthropique, religieux, familial et cérémoniel prenait une tout autre dimension quand elle devait assumer la régence à la mort prématurée de son époux : elle devait alors, assistée d’un conseil, assurer le gouvernement de l’empire au nom de son fils. Enfin, il est des cas certes exceptionnels où l’impératrice gouverna en son nom comme basilis et basileus, telle Irène l’Athénienne, quand elle eut aveuglé son fils, ou comme basilis et despoina telle Zoé la Macédonienne et même autokratôr avec sa sœur Théodora en 1042, ou encore comme megalè basilis telle Théodora, seule souveraine, en 105618. Une historiographie misogyne accompagne depuis longtemps ces deux princesses macédoniennes du xie siècle depuis le temps où Edward Gibbon ne voyait dans le Bas-Empire que le triomphe de la barbarie et de la religion et dans le règne des deux princesses « une période honteuse et destructrice de vingt-huit ans pendant lesquels les Grecs tombés au plus bas de la servitude étaient conduits comme un troupeau de bétail par le caprice de deux vieilles impératrices19 ». Si les préjugés vis-à-vis de l’empire byzantin se sont estompés au milieu du xixe siècle, en revanche, comme nous le verrons, ils subsistent encore vis-à-vis de ces deux princesses, en particulier Zoé qui contracta son premier mariage à l’âge de cinquante ans avec un noble vénérable persuadé qu’elle pouvait lui donner un fils et héritier, tomba dans le piège du fol amour à cinquante-cinq, accepta la présence au Palais de la maîtresse attitrée de son troisième mari, mais restait aux yeux de tous la détentrice légitime du trône : n’est-elle pas pour les gender studies une étude de cas idéal20 ? Quand Psellos lui-même plutôt favorable aux deux princesses Zoé et Théodora et à leur prise de pouvoir en 1042 après la tyrannie affichée de Michel V nuance néanmoins son éloge par cette petite phrase : « elles ne savaient ni administrer, ni raisonner avec solidité sur les affaires de l’État ; la plupart du temps elles mêlaient les bagatelles du gynécée aux choses sérieuses de la royauté »21, il faut, au-delà des images, une analyse littérale des écrits contemporains pour mettre en évidence les enjeux politiques après 1028. Une étude historiographique conduit naturellement à l’étude des réseaux et de l’entourage. L’impératrice était la représentante d’un lignage, d’un groupe aristocratique ou le gage d’une alliance avec un souverain étranger.
10Les unions matrimoniales impériales étaient toujours une affaire d’État. Jusqu’au xiie siècle, elles servaient à consolider le trône en associant les provinces à la capitale22, puis les grandes familles au sommet de l’empire, système pleinement réalisé sous les Comnènes, mais dont on peut noter les prémices à une époque bien antérieure23. Le cas des unions matrimoniales de Zoé la Macédonienne est dans ce contexte particulièrement intéressant à étudier. Contrairement à l’habitude qui réservait à l’empereur le choix d’une épouse, il s’agit d’alliances matrimoniales à négocier pour la princesse impériale, seule descendante avec sa sœur Théodora de l’une des plus grandes lignées de l’empire à laquelle étaient attachés les Byzantins, et l’on se demande avec intérêt les critères du choix de ses trois maris successifs. On découvre que ce fut un moment crucial dans la lutte des partis à Constantinople de 1028 à 1056, entre les tenants d’une politique héritée de Basile II et les familles aristocratiques qui en furent les victimes.
11À Byzance il n’était donc pas exceptionnel d’assurer par une impératrice la légitimité au trône des prétendants : il s’agit par conséquent d’une transmission de pouvoir par la femme à son époux. Nous avons mentionné Théophanô qui, après la mort de Romain II, assura la légitimité du trône à Nicéphore Phôkas et aida Jean Tzimiskès à se hisser à la fonction suprême24. Les princesses porphyrogénètes eurent un rôle particulier à jouer en tant qu’héritières du trône de plein droit en l’absence de porphyrogénète mâle. Longtemps avant Zoé la Macédonienne, qui légitima quatre empereurs, Pulchérie, sœur de Théodose II, augousta dès l’âge de quinze ans, s’était unie par un mariage fictif à Marcien avant de le couronner à la mort de son frère (451) et longtemps après Zoé, Irène, fille de Théodore Laskaris, fut mariée à Jean III Doukas Vatatzès pour pouvoir imposer ce dernier à la succession de son père (1222) : les cas certes sont chaque fois distincts, mais il ne fait aucun doute que la continuité dynastique peut être assurée par les princesses byzantines. D’ailleurs Anne Comnène, la fille de l’empereur Alexis Ier, pensait bien être celle qui permettrait à son époux Nicéphore Bryennios de monter sur le trône et elle paya le prix de son complot contre son frère Jean II par la réclusion au monastère. À ce point, l’approche comparative avec des États voisins est du plus grand intérêt : on notera immédiatement la différence avec les princesses ottomanes qui furent toujours écartées du trône et de la succession, la patrilinéarité étant le mode exclusif de succession dans l’État/Empire ottoman.
12Une orientation nouvelle se dessine à partir du xiie siècle avec le choix par les empereurs byzantins d’épouses venues de l’étranger pour eux-mêmes ou leurs fils. Jean II Comnène, marié à une princesse hongroise, Irène Piroska, choisit pour Alexis, le successeur désigné, une princesse russe, Dobrodjeda Eudokia25. Andronic, le second fils, fut marié à Irène la sebastocratorissa qui eut une grande célébrité à la cour comme patronne des arts et qu’on soupçonne d’avoir une origine occidentale26. Enfin Manuel Ier, qui était le quatrième fils de l’empereur et, contre toute attente, succéda à son père en 1143 du fait de la mort subite de ses deux frères aînés, avait reçu une fiancée allemande, Berthe Irène de Sulzbach27. Il choisit à la mort de cette dernière une épouse latine issue des États Croisés, Marie d’Antioche, et, bien des années après, pour son fils mineur Alexis, Agnès de France, fille du roi de France Louis VII28. On ne peut pas nier qu’avant le xiie siècle, il y eût des unions avec des princesses étrangères, mais elles furent rares et souvent critiquées, comme au viiie siècle celle de Constantin V avec une princesse khazare ou au xe siècle celle de Romain II avec Irène-Berthe venue d’Italie et morte prématurément29. Il y eut un réel tournant sous les Comnènes. L’objectif pouvait être de se faire un allié d’un ennemi potentiel comme il en fut des Hongrois ou de l’empereur germanique Conrad III sous le règne des deux premiers empereurs Comnènes ou bien encore de jouer un rôle important dans le nouvel échiquier des États latins croisés en Méditerranée orientale, comme il en fut pour Manuel Ier. Sous les Anges à la fin du xiie siècle, on constate encore le choix d’Isaac pour une princesse latine, quand, laissé veuf et ayant accédé au trône, il épousa Marguerite-Marie de Hongrie, alors que son frère, Alexis III, qui usurpa son trône en 1195, avait épousé quant à lui une représentante d’une grande famille byzantine, les Kamatéroi, renouant donc avec la tradition des unions au sein des grands lignages aristocratiques à une époque où le trône constantinopolitain était contesté par l’aristocratie provinciale. Pendant le règne des Laskarides à Nicée, la situation fut plus contrastée : comme il s’agissait de consolider un empire transféré en Asie Mineure devant faire face aux appétits concurrents de l’Épire et même de Trébizonde après la conquête de Constantinople par les Latins en 1204, le trône se souda par des alliances matrimoniales au sein de grandes familles byzantines quoiqu’il y eût des dérogations. Ainsi Marie de Courtenay, troisième épouse de Théodore Ier Laskaris, avait été puisée dans l’empire latin de Constantinople et Anne-Constance, seconde épouse de Jean III Vatatzès, était la fille illégitime de Frédéric II Hohenstaufen. De même, Théodore II Laskaris reçut comme épouse la fille du tsar bulgare Jean II Asen. Le choix de ces unions témoignait des relations plus ou moins tendues de l’empire de Nicée avec l’empire latin de Constantinople. Quand Michel VIII Paléologue prit le pouvoir en 1258, il était marié avec une aristocrate Théodora, liée aux plus grandes familles et d’une grande fortune, mais le mariage fut compromis au lendemain de la reconquête de Constantinople (printemps 1261) par le désir de Michel VIII de s’allier par amour, dit-on, et sans doute aussi par calcul politique à Constance, la veuve de Jean Vatatzès, dans le but de former une alliance avec son frère Manfred contre les appétits de conquête de Charles d’Anjou30. Cette tentative avortée témoigne de la situation désormais irrémédiable d’un empire qui a besoin pour survivre de se lier aux puissances « amies » que furent à partir du xiiie siècle les ennemis de la papauté et de ses alliés guelfes. C’est dans cette optique qu’il faut envisager les deux mariages d’Andronic II, son successeur, en particulier son union avec Irène de Montferrat dont la famille était gibeline31. Le second mariage d’Andronic III, son petit-fils, avec Anne de Savoie s’inscrit très précisément dans cette tradition. Concernant Hélène Dragaš mariée à Manuel II en 1392, il est loin d’être anodin d’avoir été chercher une princesse issue des grandes familles serbes établies aux marges de l’empire après la dislocation de l’empire de Dušan après des siècles où l’on avait plutôt aspiré à des alliances avec des princesses latines. Le poids de l’orthodoxie dans la politique impériale et les conséquences plus lointaines de ce choix matrimonial à l’approche de l’Union des Églises devaient être relevés. Que dire alors des mariages des princesses byzantines avec les Ottomans, de chrétiennes avec des musulmans ?
13Il fut un temps où l’empire envoyait ses jeunes princesses dans les cours européennes de souverains fort flattés de ces unions, comme Otton Ier qui négocia pour son fils Otton II le mariage en 972 avec Théophanô qui n’était pourtant pas une porphyrogénète, mais une nièce de Jean Tzimiskès32. Certes, sous les Paléologues, les raisons d’État avaient parfois abouti à des mariages forcés, comme celui de la petite Simonide, une Porphyrogénète, âgée de moins de six ans, avec le kralj serbe Milutin âgé de quarante ans, qui, dit-on, n’avait pas attendu que la fillette fût pubère pour la mettre dans son lit33. L’empereur Andronic II son père avait dû s’y résoudre car en 1299 la frontière balkanique cédait de toute part. Les contraintes géopolitiques l’emportaient toujours. Néanmoins il s’agissait jusque-là de donner des princesses à des chrétiens et non à des musulmans, même si l’on sait que Michel VIII donna l’une de ses bâtardes en mariage à Hulagu le Mongol en 1265 et une autre à Nogai le chef de la Horde d’Or en 1270, car il était important de protéger l’empire d’un anneau sûr contre les appétits des Turcs d’Asie. Le premier à avoir proposé sa fille en mariage à un Ottoman, Orhan, fut Jean Cantacuzène quand il négocia le mariage de Théodora. Il s’agissait pour lui de s’allier un des émirats turcs d’Asie Mineure, alors que la guerre civile où il s’était engagé avec les représentants de la dynastie Paléologue, le jeune Jean V et sa mère, Anne de Savoie, faisait rage. Du côté ottoman c’était un grand honneur que d’avoir pour beau-père un empereur, même s’il ne régnait pas sur Constantinople. Par la suite, la situation se renversa, la puissance grandissante des Ottomans obligeant les Byzantins à saisir toutes les occasions possibles de sceller la paix par des alliances matrimoniales. Et l’on vit plusieurs mariages ou promesses de mariage pendant la seconde moitié du xive siècle et le début du xve siècle : filles ou bâtardes d’empereurs byzantins s’unissaient à l’émir/sultan ou à l’un de ses fils. Souvent Byzance jouait de ces mariages comme d’une partie d’échec en mettant son dévolu sur un candidat au trône ottoman qu’elle appuyait par tous les moyens. La complexité de ces stratégies est bien illustrée par Zampia Palaiologina Doria dont la lignée restait à tracer et le promis à identifier au terme d’intrigues multiples à la cour ottomane. Au harem de la cour ottomane les princesses chrétiennes, byzantines et serbes, côtoyaient les princesses musulmanes qui, quant à elles, étaient selon la législation islamique toujours unies à des musulmans. Ainsi sans possibilité de transmettre à leurs enfants la succession et ne pouvant jamais prétendre à quitter la terre musulmane, contrairement aux épouses chrétiennes qui à la mort du sultan pouvaient revenir dans leur foyer, il était légitime de s’interroger sur la qualité de leur mari : étaient-ils de lignée princière ? Et d’où venaient-ils ? Les stratégies matrimoniales nouées autour des mariages des princesses ottomanes furent également l’objet de calculs politiques élaborés et les deux premiers siècles de l’histoire de la dynastie (du xive au début du xvie siècle) montrent comment elles permirent le développement d’un petit État frontalier en un vaste empire d’Asie Mineure.
14En dehors de ces critères de choix représentatifs des deux sociétés, chrétienne et musulmane, concernant les mariages dynastiques où la géopolitique jouait un rôle majeur, l’intérêt se porte alors sur l’arrivée à Constantinople d’une princesse étrangère mariée à l’empereur byzantin, sa vie au palais, sa fonction d’impératrice au regard de ses contemporains, son rôle politique et son statut de régente au nom de son fils mineur. Anne de Savoie passa quinze ans à la cour de Byzance aux côtés de son époux : quelle était alors sa place, son rôle au palais ? Quels furent ses pouvoirs après la mort de son époux ? Quelle était alors sa fonction, celle d’une régente au nom de son fils ou celle d’une impératrice souveraine ? Pourquoi fut-elle entraînée dans une guerre civile sans merci avec Jean Cantacuzène qui avait été une sorte de premier ministre d’Andronic III lié à lui par une amitié indéfectible ? Anne de Savoie qui débarqua sur le Bosphore pour devenir l’impératrice Anna Palaiologina est un exemple remarquable de ces impératrices byzantines qui durent assumer le pouvoir impérial comme bien d’autres avant elle34. Sans doute eut-elle par rapport à ses homologues de souche byzantine des difficultés à s’imposer dans une société où elle était une étrangère. Et pourtant il paraît que les sénateurs allèrent la trouver pour la prier de refuser la proposition de Jean Cantacuzène de donner sa fille Hélène en mariage à l’héritier Jean V disant « qu’il était d’ancienne coutume pour une future mariée d’être choisie pour l’empereur des Romains non parmi ses sujets, mais parmi les Allemands et les Français, de sorte que ces gens puissent donner un successeur et venir en aide en cas de besoin35 ». Si cette sortie est authentique, on voit le chemin parcouru depuis Théophanô… Une autre étrangère, venue de Serbie, a marqué son temps à une époque où l’empire n’est plus qu’un petit État balkanique survivant. Le rôle de la reine mère Hélène Dragaš et son influence à partir de 1425 éclairent d’un jour nouveau les tensions dans la société de cette époque et les partis en présence. Le cas d’Hélène Dragaš, épouse serbe de Manuel II et mère des empereurs Jean VIII et Constantin XI, tiraillée entre les ambitions concurrentes de ses fils, n’est pas sans rappeler celui de la fameuse Jéléna, reine de Serbie de la seconde moitié du xiiie siècle, épouse d’Uroš et mère de Dragutin et Milutin, qui eut une influence considérable sur les décisions de ses fils rivaux. Hélène Dragaš semble avoir eu une latitude considérable en matière politique et religieuse : quel fut exactement son rôle ? Fut-elle à l’intérieur du palais le chef d’un parti opposé à la politique d’union des Églises menée par Jean VIII ? S’y rallia-t-elle finalement ? Comment expliquer sa conduite ? Des fils emmêlés à souhait qu’il convenait de démêler.
15La fortune des femmes à Byzance est illustrée ici par deux articles sur des veuves, car l’on appréhende le plus souvent la fortune des femmes lors de la mort du conjoint. Deux cas se présentent. Ou bien le défunt est mort sans enfant et alors la veuve reçoit en dehors de sa dot et de la contre-dot (hypobolon) établies par contrat de mariage, son héritage patrimonial et les legs éventuels que lui a faits son mari par testament. Ou bien le défunt laisse une descendance et il s’agit alors d’estimer la dot et éventuellement les biens privés de l’épouse qui jusque-là étaient administrés par le mari et doivent revenir dans leur intégralité à la veuve. C’est souvent le temps d’un examen extrêmement minutieux, car la dot a pu changer de nature, ainsi être convertie en d’autres biens que ceux qui constituaient primitivement la dot, et être en partie aliénée même si théoriquement le mari ne pouvait que « gérer » les biens de la dot. Il fallait en ce cas restituer à la veuve ce qui manquait au montant de la dot et de son héritage patrimonial éventuel par une « compensation » prise sur les biens du mari. Il était de plus important que les biens de l’épouse et ceux du mari fussent enregistrés par un acte juridique dans le cas où la veuve viendrait à se remarier : elle devait donner aux enfants les biens paternels, s’ils étaient majeurs ou les laisser intacts en cas de minorité. Sinon, elle pouvait gérer l’ensemble des biens à sa guise. C’était certainement le cas le plus délicat, car il n’était pas rare qu’à leur majorité, les enfants réclament l’ensemble des biens paternels, or il se pouvait qu’ils aient été en partie vendus, d’où le rappel dans les actes de procédure de l’inaliénabilité des biens paternels36. Nous avons la chance de pouvoir présenter ces deux cas de figure pour les aristocrates byzantines. Il s’agit d’abord de l’oikos – la maisonnée – de Kalè Pakourianè, riche veuve, sans progéniture, issue de l’aristocratie constantinopolitaine de la fin du xie siècle, à travers l’étude minutieuse de son testament. Cette étude est d’autant plus fondamentale que c’est l’un des deux uniques testaments féminins qui subsistent pour Byzance. Les legs permettent aussi d’examiner la société d’une maisonnée aristocratique avec ses parents, serviteurs et affranchis en même temps qu’ils nous informent sur le devenir des femmes aristocrates après la mort de leur époux. Enfin, ils sont une source unique d’information sur les biens meubles de cette grande dame : vêtements, vaisselle, livres, icônes. Il s’agit en suite de la fortune d’une veuve de Thessalonique à la fin du xive siècle, Maria Deblitzénè, à partir d’une estimation donnée par le tribunal ecclésiastique en été 1384, à la suite de la mort de son époux au cours de la bataille de Chortaïtès alors que Thessalonique se trouve sous la menace immédiate des Ottomans. L’acte de justice se concentre ici sur la dot, car Maria Déblitzénè avait des enfants dont on connaît au moins une fille. L’inventaire précis de sa dot n’est pas sans rappeler dans un tout autre contexte au début du xiie siècle celui d’Eudocie, fille du patrice Bouriôn, également à Thessalonique, qui dut justifier la vente partielle de sa dot alors que son époux était encore vivant37. Leur origine aristocratique provinciale les rapproche, certainement d’un milieu plus élevé pour Maria D., quoique les circonstances politiques aient certainement amoindri de beaucoup la fortune de cette famille enracinée en Macédoine.
16Le dernier thème développé dans cet ouvrage ouvre une large fenêtre sur la piété et le mécénat artistique des princesses d’Orient. Le mécénat que l’on peut définir comme « générosité à mobiles culturels » a toujours existé38. Aider les écrivains, rhéteurs et poètes en leur fournissant des moyens de subsister soit par une pension, soit en leur commandant mainte copie de manuscrit ou en leur offrant une chaire d’enseignement était fort répandu à la cour byzantine quitte à attendre des bénéficiaires les éloges à l’empereur, à l’impératrice ou à tels prince et princesse comme il y en eut à foison. Au Moyen Âge le mécénat œuvrait souvent de conserve avec la piété du donateur. Il se définit alors non plus seulement comme un acte de générosité envers les hommes mais comme une attente du pardon de ses péchés et de la récompense dans les cieux, ce qu’en grec, le terme psychikon signifiait à lui seul. Mais l’acte de mécénat, qu’il fût pieux ou non, s’accompagnait toujours de la nécessité de faire paraître aux yeux de tous le prestige du détenteur du pouvoir et de la richesse. Le patronage reposait, en effet, sur la richesse et c’est sans doute avec cette première approche qu’il faut considérer les femmes mécènes d’Orient : elles avaient les moyens de leur générosité, quoique l’origine de leurs fortunes fût assez différente selon les sociétés et les milieux étudiés. L’aristocrate byzantine acquérait lors de son veuvage une grande aisance, l’impératrice jouissait avec ses filles du droit de disposer des revenus des biens de la couronne, les princesses timourides pouvaient hériter des immenses richesses de leur père selon la loi coranique tout comme les princesses arméniennes de l’époque bagratide qui jouissaient à la fois de l’héritage de leur père et de leur statut de veuve.
17Le mécénat artistique féminin est une thématique « en vogue », dont le colloque international organisé à Vienne en 2008 sur les « female founders » à Byzance et dans sa périphérie s’est fait l’écho39. Il s’agissait de mettre en valeur le rôle des femmes comme fondatrices d’églises et de monastères, mais aussi de commanditaires de manuscrits ou d’icônes, en somme toute espèce de patronage. De même, à l’INHA, un colloque organisé en décembre 2008 par Sabine Frommel et Flaminia Bardati traitait l’un des points forts de ce mécénat cette fois aussi bien masculin que féminin concernant les bâtisseurs dans l’histoire en Orient et en Occident pendant le Moyen Âge et à l’époque moderne40. Dans les murs de notre université une journée des doctorants sur les femmes mécènes au Moyen Âge en Occident et en Orient a été organisée en novembre 2008 grâce à une convention passée entre l’INHA et l’université de Provence, et un peu plus tard à Lille la même convention permettait à l’université de Lille de tenir une journée similaire sur les « Femmes mécènes d’Orient et d’Occident41 ». On aurait envie que cet ouvrage apporte sa contribution à ces études grâce aux regards croisés sur les princesses d’Orient chrétien et musulman à Constantinople, Ani, dans les châteaux de Cilicie, à Samarkand et Harat.
18Fonder un monument, une chapelle, une église, un monastère, un mausolée funéraire, commander un manuscrit richement enluminé – tels les évangéliaires somptueux des princesses arméniennes de Cilicie du xiiie siècle qui ajoutaient à la piété l’enchantement des images –, faire réaliser un reliquaire travaillé en or et argent et orné de pierres précieuses – abritant les reliques de la Passion recherchées par la chrétienté entière –, relevaient le plus souvent, si ce n’est exclusivement du fait princier, parfois, il est vrai, des évêques ou des saints hommes grâce à l’aide pécuniaire des fidèles ou des souverains. Les femmes, aristocrates ou princesses, de l’Orient chrétien furent animées par un profond sentiment de piété et le mécénat était certainement pour elles un moyen d’extérioriser leur dévotion. Il n’y a qu’à considérer les admirables textes qui ornent les reliques ou les reliquaires des princesses byzantines exprimant une ferveur religieuse inégalée, textes dus aux plus grands poètes de l’époque, ou les inscriptions des princesses arméniennes dans leurs fondations dépourvues de leur image, mais pleines de leur piété. Il ne faut pas pour autant négliger des préoccupations d’ordre politique ou social quand, à l’instar des hommes, elles offraient en cadeau des reliquaires aux princesses étrangères ou aux aristocrates de leur entourage et, quand elles érigeaient des monuments, ornaient leurs murs de fresques, d’icônes ou d’inscriptions, elles exaltaient le lignage dont elles étaient issues ou auquel elles s’étaient alliées par mariage. C’était un moyen d’asseoir l’autorité de la dynastie et l’influence politique des femmes se faisait aussi par le biais artistique. Il faut également rappeler qu’elles faisaient travailler orfèvres, architectes, peintres, enlumineurs, tisseurs, brodeurs, poètes et que toutes ces commandes étaient œuvres de mécénat au sens actuel du terme, stimulant une économie au service des élites mais aussi reflétant le goût de l’art et de la beauté dans les différentes cours d’Orient.
19En Arménie comme en Asie centrale le mécénat architectural promu par les femmes a permis la multiplication de monuments. Les princesses et les grandes aristocrates arméniennes ont construit des églises et enrichi des fondations monastiques en créant de réels pôles économiques dans les domaines princiers. Alors que le monachisme leur est refusé, elles n’ont pas hésité à s’associer à leurs époux et à leurs fils et, comme à Byzance, la vocation d’intercession de l’édifice religieux les unissait. Leur mécénat permit à l’art d’évoluer dans le temps, de se parfaire par de multiples innovations et raffinements, et aux constructions d’adopter de nouveaux plans. En même temps il inscrit dans l’espace la légitimité du pouvoir et du patrimoine des fondatrices. Alors que les sociétés musulmanes laissent peu de place aux femmes dans le mécénat architectural, les œuvres de patronage féminin sont la caractéristique majeure de la période timouride. Ces monuments sont à la fois œuvre de piété et démonstration du pouvoir des princesses timourides, héritières des femmes des sociétés mongoles préislamiques. Ces femmes, toutes parentes de Timour (sœurs, épouses, belles-filles) furent avant tout des souveraines immensément riches qui marquèrent les grandes métropoles de l’empire de leurs œuvres avec l’érection de splendides complexes comprenant mausolées, mosquées et madrasa et l’épanouissement sans égal dans le monde médiéval de la céramique émaillée.
20Cet ouvrage n’a pas la prétention d’être exhaustif sur aucun des thèmes abordés. Ses actrices sont de très grandes dames, impératrices, princesses, grandes aristocrates, qui vivaient ensemble, passant d’ailleurs d’un statut à l’autre, le plus souvent au hasard des événements. En revanche, leur condition témoigne d’un milieu remarquablement homogène, car lié au pouvoir et à la richesse. Certaines eurent un pouvoir politique réel quoique contesté, aboutissant parfois au pouvoir suprême (impératrices de Byzance, princesses arméniennes ou timourides). Elles ont contribué par leurs actions et leurs œuvres à la commémoraison et à la légitimation de leurs lignées. Si différentes que fussent les cultures de cet Orient médiéval, les femmes de la haute société partageaient ce qui ressortit à l’élite aristocratique et princière internationale autant (et sans doute plus) qu’au genre, car elles étaient avant tout des êtres d’exception qui évoluaient dans un même milieu privilégié, la cour. Les regards des historiens de l’art, des archéologues et des historiens convergent pour souligner un milieu culturel sinon identique, du moins proche, une volonté pour les princesses d’Orient étudiées ici d’affirmer leur pouvoir – et même la tentative parfois pour l’impératrice de Byzance d’assimiler son pouvoir à celui de l’empereur –, une homogamie de cour en cour symbolique de leur statut social. Il n’est donc pas étonnant que cet ouvrage s’achève par le mécénat qui fut une caractéristique spécifique des femmes nobles à l’époque médiévale.
Notes de bas de page
1 Nous n’exposerons pas dans cet avant-propos les études du courant historiographique plus large de l’histoire des femmes et du genre, initiées par Michelle Perrot et Françoise Thébaud, mais nous nous limiterons à un bref aperçu de cette approche à Byzance dans le contexte médiéval.
2 Histoire des femmes, sous la dir. de Michelle Perrot et Georges Duby, 5 vol., Paris, Plon, 1990- 1991. Le tome II est consacré au Moyen Âge. Des années pionnières pour l’histoire des femmes au Moyen Âge, nous pouvons mentionner l’étude de C. Erickson et K. Casey, « Women in the Middle Ages : a Working Bibliography », Medieval Studies, no 37, 1975, p. 340-359.
3 Évelyne Patlagean, Structure sociale, famille, chrétienté à Byzance, ive-xie siècles, Variorum Reprints, Londres, Great Yarmouth Norfolk, 1981. On n’oubliera pas de mentionner l’étude un peu vieillie, mais toujours utile, en particulier dans le domaine de la vie quotidienne, de José Grosdidier de Matons, « La femme dans l’empire byzantin », dans Grimal Pierre, Histoire mondiale de la Femme, t. 3, Paris, 1967, p. 11-43. Pour une synthèse de l’apport de l’historiographie byzantine dans le domaine du genre jusqu’en 2008, voir Georges Sidéris, « Approches sur l’historiographie du genre à Byzance », Genre et Histoire, no 3, automne 2008.
4 Une partie des études d’Angeliki Laiou sur ce thème ont été rassemblées dans Angeliki Laiou, Gender, Society and Economic Life in Byzantium, Variorum, Ashgate, 1992, réimp. 2005. Voir aussi du même auteur, Mariage, amour et parenté à Byzance aux xie-xiie siècles, Paris, Travaux et Mémoires du centre de recherche d’histoire et civilisation de Byzance, Monographies, 7, Paris, 1992 et encore « Sex, Consent and Coercion in Byzantium » dans Laiou A.E., Consent and Coercion to Sex and Marriage in Ancient and Medieval Societies, Washington D.C., 1993, p. 109-121.
5 Liz James, Women, Men and Eunuchs, Gender in Byzantium, Londres, 1997. Pour une bibliographie extensive sur les femmes à Byzance, voir http://www.doaks.org/research/byzantine/resources/bibliography-on-gender-in-byzantium.
6 Voir la bibliographie donnée par Sylvie Joye pour le haut Moyen Âge occidental : lamop. univ-paris1.fr/IMG/pdf/joye.pdf
7 Femmes et pouvoirs des femmes à Byzance et en Occident (VIe-XIe siècles), Colloque organisé les 28, 29 et 30 mars 1996 à Bruxelles et Villeneuve d’Ascq, avec le soutien de l’Université libre de Bruxelles, Section d’Histoire, du Centre de Recherche sur l’Histoire de l’Europe du Nord-Ouest, de l’Université Charles-de-Gaulle-Lille 3 de l’Université de Hainaut-Cambrésis (Valenciennes), éd. Stéphane Lebecq, Alain Dierkens, Régine Le Jan et Jean-Marie Sansterre, Centre de Recherche sur l’Histoire de l’Europe du Nord-Ouest, 1999.
8 Voir à ce sujet les articles d’Elizabeth A. Gittings, « Women in the Visual Record of Byzantium » et « Dignity, Power and Piety » dans Kalavrezou Ioli, Byzantine Women and their World, Cambridge Mass., Harvard University Art Museum, New Haven Londres, Yale University Press, 2003, p. 35-66 et p. 67-112.
9 Voir Carolyn N. Connor, « Women in Art : The Byzantine Image of Female Sanctity : Helena » dans Ead., Women of Byzantium, New Haven-Londres, Yale University Press, 2004, p. 182-206.
10 Anne Comnène III, 2, 4.
11 Lynda Garland, « ‘The eye of the Beholder’ : Byzantine Imperial Women and their Public Image from Zoe Porphyrogenita to Euphrosyne Kamaterissa Doukaina (1028-1203) », Byzantion, no 64, 1994, p. 19-39, 278-281.
12 Voir à ce sujet Judith Herrin, Women in Purple, Rulers of Medieval Byzantium, Londres, Phoenix Press, 2002, p. 136-138.
13 Lynda Garland, Byzantine Empresses, Women and Power in Byzantium ad 527-1204, Londres-New York, 1999.
14 Charles Diehl, Figures Byzantines, 2 vol., Paris, 2e éd., 1938-1939.
15 Donald M. Nicol, The Byzantine Lady, Ten Portraits, 1250-1500, Cambridge University Press 2002.
16 Alice Mary Talbot, « Empress Theodora Palaiologina, Wife of Michel VIII », DOP, no46, p. 295-303.
17 Giovanna di Savoia alias Anna Paleologina Latina a Bisanzio (c. 1306-c. 1365), Milan, Italy : Jaca Book, 1999. La figure d’Anne de Savoie avait déjà été étudiée par D. Muratore, Una principessa sabauda sul trono di Bisanzio : Giovanna di Savoia imperatrice Anna Paleologina, Mémoires de l’Académie des Sciences, Belles lettres et arts de Savoie, ive sér., t. XI, Chambéry 1909, p. 221-475.
18 Élisabeth Bensammar [Malamut], « La titulature de l’impératrice et sa signification, Recherches sur les sources byzantines de la fin du viiie siècle à la fin du xiie siècle », Byzantion, no46/2, 1976, p. 243-291 (voir en part. p. 271, 281-283, 290).
19 Edward Gibbon, The Decline and Fall of the Roman Empire, t. 2, 395-1185 A.D., New York, 1932, p. 904 (trad. de l’auteure).
20 Carolyn L. Connor, « Imperial Women and marriage : Zoe » dans Carolyn L. Connor, Women…, op. cit., p. 207-237.
21 Michel Psellos, Chronographie, éd. E. Renauld, 2 vol., Paris, Les Belles Lettres, 1926-28, I, p. 119.
22 Voir Judith Herrin, Women in Purple…, op. cit.
23 Voir les épouses de Léon VI au Xe siècle, Eudocie Makrembolitissa au XIe, cf. Lynda Garland, Byzantine Empresses…, op. cit., p. 109-125, 168-179.
24 Voir à ce sujet Barbara Hill, Liz James et Dion Smythe, « Zoe : the rhytm method of imperial renewal » dans Magdalino Paul, New Constantines, The Rhythm of Imperial Renewal in Byzantium, 4th-13th Centuries, Variorum, Ashgate, 1994, no 15, p. 215-229.
25 Alexander Kazhdan « Rus-Byzantine Princely marriages in the Eleventh and Twelfth Centuries », Harvard Ukrainian Studies, no 12-13, 1988-9, p. 414-429.
26 Elizabeth Jeffreys, « Western Infiltration of the Byzantine Aristocracy : Some Suggestions », dans Michael Angold, The Byzantine Aristocracy. IX to XIII Centuries, BAR International Series 221, B.A.R. Oxford 1984, p. 202-210 ; ead., Byzantine Aristocracy, JÖB, no 32.3, 1982, p. 202-210 ; « Who was Eirene the Sevastocratorissa ? », Byzantion, no 64, 1994, p. 40-68.
27 Irmscher Johannes, Byzantinische Forschungen, no 22, 1996, p. 279-290.
28 Lynda Garland, Byzantine Empresses…, op. cit., p. 199-209 et voir la bibliographie afférant, p. 286-288.
29 Voir le long exposé de Constantin VII Porphyrogénète sur ce point : Constantine Porphyrogenitus, De administrando Imperio, éd. et trad. G. Moravcsik et R. J. H. Jenkins, 1949 ; réimp. Washington D.C., 1967, ch. 13.
30 Même si les contemporains parlent d’une inclination de l’empereur sans réciprocité aucune, il serait curieux que Michel VIII n’ait pas analysé l’intérêt politique d’un tel mariage précisément à cette époque, voir Alice Mary Talbot, Empress Theodora…, op. cit., p. 295-296.
31 Donald M. Nicol, The Byzantine ladies…, op. cit., p. 48-58 ; Albert Failler, « Le second mariage d’Andronic II Palaiologos », Revue des Etudes Byzantines, no 57, 1999, p. 225-235.
32 Voir la célèbre plaque de reliure en ivoire avec le Christ bénissant Otton II et Théophanô dans Byzance, L’art byzantin dans les collections publiques françaises, catalogue de l’exposition du Musée du Louvre (3 novembre 1992-1er février 1993), no 160, p. 159.
33 Voir à ce sujet Élisabeth Malamut, « Les reines de Milutin », Byzantinische Zeitschrift, no 93/2, 2000, p. 490-507.
34 Sur les différents noms et appellations d’Anne de Savoie, voir ci-dessous le chapitre qui lui est consacré.
35 Decline and Fall of Byzantium to the Ottoman Turks by Doukas, trad. Harry J. Magoulias, Detroit, Wayne University Press, 1975, p. 64.
36 Voir l’acte no 81 de Chomatianos : « Qu’il n’est pas permis à une mère de conclure sur les biens paternels ou de les vendre », cf. Angeliki E. Laiou, Mariage, Amour et Parenté à Byzance aux xie-xiiie siècles, Travaux et Mémoires du cenre de recherche d’Histoire et Civilisation de Byzance, Monographies 7, Paris, de Boccard, 1992, p. 138.
37 Voir l’étude de Michel Kaplan, « L’aristocrate byzantine et sa fortune », Femme et pouvoir des femmes en Orient et en Occident du vie au xie siècle, éd. A. Dierkens, R. Le Jan, S. Lebecq, J.-M. Sansterre, Lille, 1999, p. 205-226.
38 Voir Francis Salet, « Mécénat royal et princier au Moyen Âge », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, vol. 129, 1985, p. 620-629.
39 Female Founders in Byzantium and Beyond, éd. Lioba Theis, Margaret Mullet et Michael Grünbart, Wiener Jahbuch für Kuntsgeschichte, Böhlau 2011/2012. http://www.boehlau-verlag.com/download/162829/978-3-205-78840-9_OpenAccess.pdf
40 Homme bâtisseur et femme bâtisseuse : analogie, ambivalence, antithèse, dir. S. Frommel et F. Bardati, 2-4 déc. 2008, Paris Institut Historique allemand, Paris, INHA.
41 Journée d’études « Femmes mécènes d’Orient et d’Occident. Recherches et nouvelles perspectives », organisée par Anne-Marie Legaré (Université de Lille 3), MESHS, 10 décembre 2009.
Auteur
Aix Marseille Université, CNRS, LA3M UMR 7298, 13094, Aix-en Provence, France
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