Giovani di lingua, drogmans auprès du baile de Venise et la Porte ottomane au XVIe siècle
p. 33-56
Texte intégral
1À la fin du xve siècle, un Vénitien de culture moyenne ne peut guère se faire une idée de la jeune nation turque, gens scythica. C’est incidemment qu’Andrea Dandolo, un siècle et demi auparavant, avait mentionné l’existence de cette peuplade des steppes désolées d’Asie1. Après la paix de 1503, « les Vénitiens qui ne redoutent aucune autre puissance chrétienne ont peur de la puissance du Turc, parce qu’en vérité le Seigneur Turc peut commander à l’État vénitien2 ». Quelques années plus tard, les travaux d’Andrea Cambini, Bartolomeo Georgijević, Johannes Cuspinianus, Paolo Giovo, Giovantonio Menavino, Teodor Spandugino…, vont connaître une exceptionnelle diffusion auprès de leurs contemporains, si l’on en juge par le nombre des éditions parues. En 1573, le baile Marc’Antonio Barbaro faisait part au Sénat de sa conviction que l’Empire ottoman était désormais sur le seuil de « la monarchie universelle3 ».
2Au cours du xve siècle, les Vénitiens ont déjà perdu de nombreuses places en Albanie, en Dalmatie, dans la mer Égée, en Morée ; leurs privilèges commerciaux subissent en même temps de sévères épreuves. Au siècle suivant, les deux grandes guerres qu’ils livrent (1537-1540 et 1570-1573) et qui se soldent par de nouvelles pertes, restreignent encore leur sphère d’influence, d’autant plus qu’ils semblent peu conscients du nouvel élargissement du monde : les yeux fixés sur le Moyen Orient et le « Golfo », ils n’observent guère la véritable révolution qui est en train de se développer dans l’Atlantique et le Nord de l’Europe.
3Au xvie siècle, la République de Venise, mal soudée à cet archipel de villes et de campagnes qu’est la Terre Ferme, qui ne suffit pas, de loin, à lui fournir les grains dont sa nombreuse population manque, cherche à tout prix à se maintenir sur le marché turc. Malgré les crises, les signes de fatigue provoqués en grande partie par la concurrence avec le commerce ragusain et avec celui des Anglais, des Hollandais, des Français, malgré les contrecoups de la guerre de course, elle y parviendra jusqu’à la fin du siècle. Les raisons sont sans doute sa supériorité technique commerciale encore bien établie et surtout la prudence extrême dont elle fait preuve dans ses rapports avec Constantinople, où elle entretient un représentant diplomatique permanent. De 1507 à 1598, elle fut en effet représentée auprès des sultans par trente-trois bailes et de 1502 à 1595, elle eut vingt-sept fois l’occasion de procéder à l’élection d’ambassadeurs extraordinaires4.
4Dans le cadre de cette contribution, nous nous attacherons à mettre en évidence l’importance du rôle du baile, et à travers lui, de celui des drogmans, des giovani di lingua, dans la gestion des affaires commerciales, notamment pour le bassin oriental de la Méditerranée. L’accent sera également mis sur l’apprentissage des instruments documentaires, des outils livresques, qui ont servi à leur formation.
Le bailo, chef de la colonie vénitienne
5En 1261, après le rétablissement de l’Empire byzantin, le chef de la colonie vénitienne est appelé « bailo, ossia prottetore o difensore », ou encore « rector5 ». Tous les officiers que la République entretenait en Orient (le consul de Thessalonique, le baile de Négrepont, le duc de Crète, les châtelains de Coron et Modon, le baile de Tyr…) recevaient les instructions du baile de Venise et lui rendaient compte de leur administration. Celui-ci avait même, pour les procès criminels, le droit d’exercer son action dans la circonscription de ces gouverneurs.
6Le premier baile rétabli par la Porte fut Bartolomeo Marcello6. Par le traité du 26 janvier 1479, le sultan autorisait la présence à Constantinople d’un baile résidant dans la capitale et ayant droit de juridiction sur ses nationaux. En 1503, l’ambassadeur Andrea Gritti obtenait que le baile puisse rester trois ans consécutifs à Constantinople, « comme par le passé », au lieu d’être remplacé tous les ans7. Ce fut au tour de l’ambassadeur Antonio Giustinian de parvenir à ce que le baile ne pût être poursuivi pour dettes d’autrui. Il fut conclu également, en 1521, que le baile ne pourrait être conduit devant le qadi pour les litiges qui surviendraient avec un ressortissant de l’Empire ottoman : ces litiges devraient être débattus devant le Divan, en présence du sultan, ou de l’un de ses représentants8. Par ailleurs, les drogmans étaient admis à comparaître devant les tribunaux. Les traités du 11 décembre 1521 et du 2 octobre 1540 confirmaient les avantages acquis9.
Les giovani di lingua
7Nous savons qu’à l’origine, les commerçants venus d’Europe, puis les diplomates prirent l’habitude de recruter leurs interprètes parmi les renégats et parmi les familles latines de Galata : les Navoni, les Grillo, les Olivieri, les Fornetti10… Nicolas Vatin a également souligné le rôle des interprètes grecs dans la capitale ottomane et celui du démotique dans la langue écrite en usage11. Marie-Christine Gomez-Géraud12 a quant à elle évoqué la figure du truchement juif polyglotte. Bien souvent, « ils servent de Dragomans ou Interprètes » signale Nicolas de Nicolay. Ces exilés permanents subissent, comme les autres truchements, une sorte d’exil initiatique, prélude à l’état d’interprète.
8En contrepartie, ces familles de renégats et de chrétiens bénéficiaient de privilèges, les fameux berât, qui les soustrayaient aux impôts. Mais sujets du Grand Seigneur, leur loyauté est parfois sujette à caution. Pour pallier ces inconvénients, les puissances européennes entreprennent de recourir à une méthode : recruter de jeunes enfants pour leur enseigner très tôt les langues orientales13. Depuis 1551, Venise envoie étudier à Constantinople de jeunes citoyens, les giovani di lingua, que le Sénat destine à la profession de drogman. Cette initiative est poursuivie en 1566 par la République de Raguse, puis par la Pologne et par la France au xviie siècle14.
9L’origine de la scuola veneziana provient donc d’une demande du baile Alviso Reniero en janvier 1551 ; celle-ci fut suivie, le 22 février de la même année, par un décret du Sénat, portant sur la désignation de deux Vénitiens, âgés d’au moins 20 ans, appartenant, soit à la chancellerie du baile, soit simples ressortissants vénitiens, pour apprendre les langues orientales à Constantinople. Si, après cinq années, ils sont jugés aptes à tenir l’emploi d’interprètes, ils feront partie du personnel du baile et seront remplacés par deux autres giovani.
10La casa bailaggia, située très anciennement à Galata, et dans un deuxième temps, dans la localité dénommée « Vignes de Pera », constituait un important, actif et délicat microcosme vénitien sur les rives du Bosphore. En ce qui concerne les interprètes, le personnel de la maison du baile comprenait : le dragomanno grande, dit « du Palais », interprète dans les plus délicates questions diplomatiques ; le dragomanno piccolo, aux fonctions commerciales ; et le dragomanno di strada, qui accompagne le baile dans ses déplacements. Bernardo Lorenzo l’appelle protogero delle navi et évoque son rôle : il sert à l’expédition des navires, à défendre les marchands contre les avanies, à procéder aux libérations des esclaves et « autres choses similaires ».
11Des travaux anciens, comme ceux d’Alberi15, de Bertelé16, d’Hammer17, de Gökbilgin18, de Preto19, et ceux plus récents réunis par Frédéric Hitzel, rendent compte des vicissitudes qu’ont connues bailes, drogmans et la scuola degli giovani di lingua tout au long du xvie siècle20. Le baile Carlo Ruzzini trace une image suggestive du rôle du drogman : « il est la langue qui parle, l’oreille qui écoute, l’œil qui voit, la main qui donne, l’esprit qui agit et dont peut dépendre la vie et la destruction de tout commerce21 ». Au cours des xvie et xviie siècles, les bailes vont se plaindre du petit nombre de drogmans (qui ne connaissent pas une vie facile à Constantinople). Leur indiscipline, les désordres avec les femmes turques, voire leur passage à l’Islam, ou encore les trahisons (telle celle de Michel Cernojević, dragomanno grande en 1562 du baile Andrea Dandolo) sont autant de sujets de mécontentement de la part du Sénat. Mais on leur reproche surtout leur connaissance superficielle de la langue turque. Il faut noter aussi des faits héroïques : pendant la guerre de Chypre (1570), le drogman Lodovico Marucini, fut le premier giovane di lingua à payer de sa vie sa fidélité à Venise.
12Pour illustrer l’activité du baile et de son entourage en relation avec les langues du commerce pour le xvie siècle, nous avons choisi de faire l’analyse de trois types de documents dans lesquels intervient l’opération « traduisante » ou « déchiffrante », relative en grande partie aux affaires du négoce : d’une part la traduction vénitienne établie par les drogmans d’une série de firmans émis par le Grand Turc et couvrant tout le xvie siècle ; d’autre part les lettres chiffrées transmises par le baile Vettore Bragadin, pendant deux années de 1564 à 1566 ; et, enfin, les vocabulaires et nomenclateurs, bilingues et plurilingues (avec les langues turque et italienne), d’activité éditoriale récente, mettant en évidence cette catégorie de vocabulaire qui nous intéresse, celle des termes de relations qui est déjà bien présente, avant de trouver sa définition chez Furetière en 1690.
La langue des drogmans à travers le ms. turc ancien de la BnF
13Le manuscrit 83 du fonds turc ancien de la Bibliothèque nationale de France22 renferme des copies de firmans émis par Süleyman Qanuni, Selim II et Murad III, ainsi que des lettres adressées par Murad III au doge. Les dates extrêmes d’émission de ces soixante-six pièces sont 1527 et 1592.
14Les traductions en vénitien de ces firmans23 qui figurent en regard du texte turc sont presque toutes signées du nom du traducteur-drogman. La confrontation avec le texte turc, écrit en langue osmanli, permet d’apprécier l’exactitude de telle ou telle traduction. Marco Antonio Borisso, « huomo della Signoria di Venetia » qui a traduit les actes de 1528 à 1591, s’avère être un traducteur assez médiocre (le texte turc a suppléé). Girolamo Alberti est le meilleur traducteur (actes de 1590 à 1591). Zan Antonio Billo et Girolamo Mutio qui interviennent respectivement en 1590 et 1591 sont des traducteurs corrects. Il apparaît donc qu’en 1590, nous sommes en présence de quatre drogmans (En 1592, le baile Lorenzo Bernardo sera entouré de six drogmans). On peut dire qu’en général les traductions respectent le contenu des actes. Toutefois, il faut noter que la transformation de l’Hégire (et notamment des décades eva’il, evasit, evakhir) en ère chrétienne, relève souvent du domaine de la fantaisie. Quant aux toponymes, ils sont souvent déformés. Mais les lieux d’émission des documents sont bien précisés : Constantinople, Alep, Silivri, Andrinople et le camp de la circonscription militaire de Çorum.
15L’objet de ces firmans − qui ont le mérite de nous exposer le point de vue ottoman, trop souvent négligé faute d’analyses du matériel en cette langue − consiste en la réponse du législateur aux requêtes du baile. Celui-ci reçoit des plaintes concernant des transactions commerciales, qu’il transmet au Divan et il en recueille les réponses. Il portera celles-ci à la connaissance des intéressés. Ces requêtes peuvent être regroupées analytiquement.
16Une série de requêtes concerne les prérogatives du baile et de sa charge. Le baile n’est pas tenu reponsable des dettes contractées par d’autres membres de la nation vénitienne. Si des différends naissent entre marchands vénitiens, c’est au baile de trancher, et si un ressortissant vénitien vient à mourir dans les limites de l’Empire, son corps et ses biens doivent être remis au consul (firman de 1530 : 116 vo, 118 ro, 120 ro ; firmans de 1592 : 8 vo, 10 ro, 13 ro). C’est l’écrivain du baile qui tient le livre sur lequel sont notées les taxes perçues sur les marchandises en provenance de Venise ou des places qui lui sont soumises (firman de 1527 : 136 vo, 139 ro). Les litiges entre Vénitiens et Ottomans doivent être portés devant le qadi24 en présence du drogman. Mais les litiges qui surviennent entre chrétiens soumis au kharadj25 et Vénitiens ne doivent pas être examinés d’après les seuls témoignages des Vénitiens (firman de 1530 : 11 vo, 118 ro, 120 ro ; 1592 : 8 vo, 10 ro, 13 ro). Les emin26 ne doivent pas prélever de taxes sur le vin qu’importe le baile pour son usage personnel (1546 : 128 vo, 130 ro ; 1564 : 107 ro ; 1587 : 95 vo). Lorsqu’un baile a terminé l’exercice de sa charge, le nouveau baile doit être accompagné, lors de son arrivée dans le sandjaq de Scutari, par un voïvode27 qui assurera sa protection jusqu’à son arrivée à Constantinople (1566 : 99vo, 101 ro). Enfin, les ressortissants vénitiens − qui seront protégés de la même manière − ne devront pas prendre prétexte de cette facilité pour importer ou exporter des marchandises prohibées (1583 : 86 vo ; 1592 : 34 ro).
17Le baile veille à ce que la Porte n’outrepasse pas les limites de l’Empire au détriment des Vénitiens. Ainsi, il s’insurge contre le fait que le beylerbey28 de Bosnie ait rassemblé des troupes « contre la bonne paix et promesse » (1591 : 84 vo). Dans un litige entre la République et l’Empire au sujet de la forteresse de Verpolie, il promet des preuves écrites qui confirmeront que cette forteresse s’élève bien dans les confins du territoire de Sebenico, soumis à Venise (1591 : 80 ro-82 ro).
18Le baile doit également protéger les ressortissants de sa nation et chercher à régler les différends en rapport avec le commerce. Et concernant les échanges commerciaux, on voit à travers les textes que Venise n’a pas encore, au milieu du xvie siècle, entièrement perdu le contrôle de la mer Noire. En effet, un firman du mois de novembre 1549 (fol. 116) évoquent la présence de « vaisseaux vénitiens qui vont faire le commerce en Mer Noire pour acheter du caviar, des poissons et autres marchandises ». La situation sera irrémédiablement compromise à la fin du siècle. La perte de Chypre compromet les échanges et les échelles de Syrie connaissent les plus grandes difficultés. Elles conserveront pourtant une certaine activité durant les deux dernières décennies du Seicento. À la même période, l’attention de la République et de la Porte va se porter − l’abondance des firmans émis à ce sujet le confirme − sur un autre front : celui très étiré des pays de la Dalmatie et de sa fonction d’intermédiaire, surtout après la guerre de Chypre. Le pavillon vénitien n’est plus respecté par les corsaires européens d’abord, barbaresques ensuite. La complicité entre les corsaires et sandjakbey29 de Dulcigno, de la Valona et de Durrës est une évidence. Les Vénitiens en sont les premières victimes. Les firmans de ce manuscrit 83 retentissent des mêmes plaintes cent fois répétées : exactions de la part des fonctionnaires de la Porte (emin, amil30, qadi, beylerbey, defterdar31, nisangi32…) ; augmentation du coût des marchandises ; diminution du volume des achats de la Porte ; non-respect des Capitulations en relation avec le commerce ; intrusion des Juifs dans la pratique du commerce. Et pourtant, malgré les difficultés soulignées, il faut noter que le nombre des marchands de la Sérénissime et que le volume de leurs transactions sont encore supérieurs à ceux des autres nations. L’obsession de Venise a été de se maintenir à tout prix sur le marché turc. La République représente en effet un poids de 400 000 habitants à la fin du siècle, population qu’il faut nourrir. Elle doit donc importer ses ressources des pays appartenant à la Porte « au flanc desquels elle vit comme accrochée33 ». Par ailleurs, si ces achats de grains devaient cesser, l’économie de l’Empire ottoman, déjà en proie à une grave crise financière et monétaire, subirait de grands dommages. L’interdépendance est évidente.
19À la fin du siècle, le nombre des exactions et avanies de toute sorte va encore augmenter et le baile va s’insurger, notamment contre les méfaits de la guerre de course dans le Golfe de Venise en 1590-1592. Donnons quelques exemples : à Castel Novo, un corps de galéotes a attaqué et emmené en esclavage un certain nombre de marchands vénitiens et pillé leurs marchandises (fol. 67 vo- 69 ro) ; quinze corps de frégates et une galéote ont été armés à Qarli-Eli, Santa Maura et Preveza (70 vo) ; un corsaire venu d’Algérie a capturé un navire vénitien et emmené les marchands en esclavage, hors des limites du sandjak de Klis (25 ro-27 ro) ; quatre corps de caïques ont abordé à l’escale de Liecena, assailli les places de Bogomoglie et de Saint-Georges et commis de nombreux assassinats (21 ro-23 ro) ; dans le sandjak de Scutari les « marines » vénitiennes sont attaquées (15 vo-17 ro) ; des corsaires de la Valona et de Durrës auxquels se sont joints des vaisseaux de Barbarie ont causé de nombreux méfaits (17) ; dans le sandjak d’Herzégovine, trois caïques ont fait esclaves leurs « ennemis chrétiens » et saccagé leurs entrepôts de marchandises (6), etc.
20Ces vexations, ne l’oublions pas, s’inscrivent dans un mouvement spontané de xénophobie à l’égard de tous les chrétiens. L’approche de l’An Mil hégirien (années 1592-1593) suscita nombre de mouvements d’ordre eschatologique. Pour faire face à ces vagues d’hostilité, il fallait, si on ne voulait pas recourir aux armes, toute l’habilité des représentants consulaires. À cet égard, Venise était bien pourvue.
21À travers cette série de firmans contenus dans ce manuscrit, les fonctions du baile se précisent. Il est l’agent diplomatique de la République et il remplit en même temps une charge consulaire : c’est-à-dire qu’il a la responsabilité du commerce (« La charge principale d’un baile de Constantinople est la défense du commerce de la nation » écrivait Navagero en 155334). Le baile − les textes le confirment − doit veiller au bon fonctionnement des escales, surveiller l’entretien des magasins, le chargement des navires, la nature des marchandises transportées, la façon dont sont perçues les taxes dans les échelles. Il doit veiller à l’approvisionnement en blé de la République et conclure les marchés avec la Porte à ce sujet. Dans le cadre de sa fonction consulaire, il a le devoir de protéger les ressortissants de la Sérénissime.
22Il apparaît aussi comme le protecteur attitré de tous les Vénitiens résidant au Levant. Il ressort également qu’il parle au nom de tous les « Frenks » (Génois, Florentins, Ragusains, Provençaux…). Dans cette série de firmans, il est souvent choisi en particulier par les ambassadeurs français pour régler leurs différends : « In civile concorrono tutte l’altre nazioni, anco i Francesi… ed a questa autorità non apportano i Turchi pur un minimo pregiudizio.35 »
Les dépêches chiffrées de la chancellerie du baile de Venise
23Pour illustrer le niveau de technicité de la diplomatie de la Sérénissime, toujours en relation avec des documents relatifs au commerce, nous procédons à l’analyse des dispacci in ciffra, lettres chiffrées de Vettore Bragadin, baile du 12 juillet 1564 au 15 juin 1566.
24Les écritures chiffrées ont eu au xvie siècle la faveur de toutes les chancelleries européennes, mais nulle part comme à Venise. Une culture cryptographique avancée, nourrie d’expériences autant que de théories, y fut en vigueur dès l’institution de représentants et d’ambassadeurs auprès de chaque cour européenne. La surveillance des écritures chiffrées, le soin de leur invention et le personnel qui y était attaché, « les secrétaires députés aux chiffres », étaient du ressort du Consiglio dei Dieci36.
25Ce sont dans les « dépêches » adressées au Doge par les ambassadeurs vénitiens − et dont les séries ne sont régulières qu’à partir de l’année 1554 − que l’on rencontre le plus grand nombre de documents chiffrés. À côté de la grande série des « Délibérations », qui renferme le mouvement général des affaires du Sénat, et de celle des « Relations » données par les ambassadeurs devant le Sénat, à leur retour de mission, c’est la série des Dispacci qui fournit la meilleure moisson de faits et d’opinions. Écrites pratiquement chaque jour par des témoins sagaces, dont l’entraînement et l’éducation politique ont fait d’eux des observateurs pénétrants et bien placés pour ne rien ignorer du mobile des faits, les « dépêches » constituent un ensemble unique d’informations.
26Ce fut à un moment où le monde turc allait se révéler particulièrement agressif, tant par mer où l’on se préparait à l’attaque de Malte, comme le long de la frontière balkanique où la Porte menaçait la Hongrie et Vienne, que Vettore Bragadin fut élu baile, le 18 février 1564, succédant dans cette charge au baile Daniele Barbarigo. La « commission » qui lui fut confiée le 21 avril lui donnait expressément mission de raffermir les bons rapports avec la Porte, mais aussi d’intervenir énergiquement pour que celle-ci cesse de protéger les activités des corsaires de Durazzo et de la Valona. Le voyage vers Constantinople se passa mal et c’est gravement malade qu’il parvint à destination pour remplacer Daniele Barbarigo. Son successeur, Giacomo Soranzo, sera élu le 2 juin 1565, mais ne parviendra à Pera qu’un an plus tard, accueilli avec un plaisir évident par Bragadin. Nommé à un poste de grande responsabilité pour la politique extérieure vénitienne, Vettore Bragadin a déployé une activité remarquable et appréciée, malgré les mauvaises conditions évoquées et au moment même où la peste sévissait dans la capitale et où le pays connaissait des inondations catastrophiques.
27Ces lettres chiffrées appartiennent au fonds de l’Archivio di Stato di Venezia. Nous avons effectué un relevé des dépêches ordinaires (ce sont celles adressées au Sénat) et extraordinaires, et procédé à des sondages moins exhaustifs dans les Archives du Palais de Topkapi (TopkapI SarayI) à Istanbul37. Pour les deux années en question, 141 lettres chiffrées, totalement ou partiellement, ont été dénombrées, ce qui donne un tableau de répartition de cinq à six lettres émises en moyenne chaque mois par le baile : ce chiffre est normal. Au mois de septembre et d’octobre 1565, respectivement, deux et trois lettres sont parvenues au siège de la Seigneurie : c’est le moment de la levée du siège de Malte. Certaines lettres sont des replicat et même des triplicat : doubles ou triples du message original, envoyés par une autre voie.
28On relève dans les dépêches quatre types de chiffres38. L’un est avec exposants de lettres. C’est le chiffre le plus couramment employé par Bragadin, utilisé également par les ambassadeurs vénitiens en Espagne et en Angleterre. On obtient : aa = de ; ab = e ; ac= r ; ad=ra ; ae= che ; af= Orator, Ambasciator ; ah=Spagnoli ; ai= per, etc. (nous avons publié le fac-similé de la dépêche du 30 novembre 1565 adressée au Sénat, interceptée par la Porte et conservée aux Archives de TopkapI SarayI d’Istanbul. Elle rend compte de la libération des hommes de la galera prise à Zante39). Le deuxième chiffre, avec exposants numériques n’apparaît que dans une seule lettre de Bragadin, du 15 juin 1566, clé également utilisée en Espagne par l’ambassadeur Giovanni Soranzo. On obtient : a = e1, o36 ; b= o6 ; c = f2 ; d= c2 ; e= l1, t2, etc.40. Le troisième chiffre est l’un des deux chiffres comportant en exposants des signes de fantaisie. Il apparaît dans les premières dépêches de Bragadin, qui utilise en fait le chiffre de son prédécesseur Daniele Barbarigo (nous avons publié le fac-similé de la dépêche du 29 juillet 1564, adressée au Sénat et signée Daniele Barbarigo et Vettore Bragadin. L’essentiel de son contenu est le suivant : un certain Sala raïs a envoyé 100 000 ducats au Pacha, somme qui n’est pas parvenue à son destinataire41). Le quatrième et dernier chiffre, également avec des exposants comportant des signes de fantaisie, différents de ceux évoqués plus haut, Bragadin, en fait usage à partir du 3 février 1565, simultanément avec le chiffre comportant des exposants en lettres. Nous donnons en annexe, le fac-similé de la lettre chiffrée du 8 janvier 1566 (elle concerne une commande de blé en Bogdanie), la clé du chiffre et le déchiffrement de cette dépêche.
29Dans l’ensemble de ces écritures chiffrées, la substitution du chiffrement est dite « simple » car elle ne subit aucun autre chiffrement, appelé surchiffrement. Elle est à représentations multiples car à une même unité de chiffrement peuvent correspondre plusieurs unités cryptographiques. Ainsi, pour les exposants en chiffres, on a : a = e1, o36 ; e = l1, t2, etc. (en général les lettres a, e, i, o, u, et le signe & sont représentés par deux ou plusieurs signes conventionnels).
30Un répertoire peut comporter trois catégories d’unités de chiffrement : les lettres de l’alphabet ; les nombres cardinaux de 0 à 9, des syllabes, sous la forme de bigrammes, trigrammes ou polygrammes qui peuvent être des mots composés ou tronqués (tels Imperator, Signor, Consiglio di X ou nostr, il, quant, tant, clarissim…). En dehors de ces trois catégories, il peut y avoir des signes sans aucune signification, simplement mêlés aux autres pour dérouter le déchiffreur et que l’on appelle « nulles42 ».
31Parallèlement à l’évolution du système de répertoire, existait déjà tout un ensemble de procédés, d’artifices qui ne trouveront qu’exceptionnellement leur application dans la pratique des bureaux de chiffre des chancelleries. À Venise, Giovanni Soro fut l’un des trois ordinari de la chancellerie ducale43. Francesco Marin, segretario cifrista de la fin du xvie siècle, enseigna « l’art de déchiffrer les chiffres étrangers sans clé44 ». Citons aussi le traité de 1588 d’Agostino Amadi45. Le fossé est certes profond entre les chiffres brillants de ces théoriciens (songeons par exemple au procédé de la « grille à fenêtre » que l’on voit diffuser dans les travaux de Pietro Partenio à la fin du Seicento46) et le système de répertoire dont il s’agit ici.
32Le décryptement des répertoires est facile dès qu’ils ont un certain temps de service. Celui de Bragadin n’offre pas d’obstacle majeur, d’autant plus que le système est appliqué avec une négligence assez inconcevable. Dans les lettres chiffrées de Bragadin, les lettres sont pourvues d’en-têtes, trahissant la langue dans laquelle est rédigée la dépêche ; elles sont datées en clair, trahissant le lieu de provenance et signées. Autre défaut grave : le chiffre n’est pas continu dans le corps de la dépêche, portions de clair et portions de chiffres alternant le plus souvent. Dans certains cas, le secrétaire chargé de faire l’expédition des dépêches d’après les minutes de Bragadin fait preuve de légèreté : ainsi dans une lettre datée du 27 février 1566, le déchiffrement est indiqué au-dessus du chiffre.
33En revanche, le groupement des chiffres en mot n’est jamais apparent ; il n’y a pas d’apostrophes, ni de parenthèses. Le texte n’est pas morcelé en alinéa. Par ailleurs, si le chiffre avec exposants en lettres comporte peu d’homophones et de nulles, le chiffre en caractères sténographiques est riche en ces signes ; cinq signes différents pour le a, le e, le i, le o et le u, quatre pour le zéro, trois pour le b, le c, le d, etc., ainsi que huit superflus.
34Mais on peut imaginer que la Porte, experte en cet art, ne connut pas de difficultés pour « lever » les chiffres de Bragadin. Dans la lettre chiffrée qu’il adresse, le 13 mars 1566, au Conseil des Dix, celui-ci s’en plaint. Une série de dispositions doit alors être prise. Par le décret du 27 septembre 1577 du Conseil des Dix, la garde la plus jalouse du chiffre est expressément recommandée. Le décret du 18 août 1578 préconise quant à lui l’emploi d’un chiffre commun élaboré à partir des meilleurs chiffres. Ce décret donne des consignes précises : il faut utiliser des signes pour remplacer les syllabes, les locutions ; quand on a affaire à des lettres simples, il est nécessaire de multiplier les homophones, notamment pour les voyelles ; il est recommandé d’user de nulles entre les consonnes et notamment après le q, le s, le t, le l et le p. Ce n’est que tardivement, après le premier quart du xviie siècle, qu’on interdira de mélanger texte clair et texte chiffré et de porter la traduction au-dessus du cryptogramme !
35Cette analyse du système cryptographique permet d’apprécier le niveau de préparation culturelle et professionnelle de ceux qui le mirent au point et l’appliquèrent. Par ailleurs, sur le plan de la sémantique, pour une étude des « termes de relations » dans cette Méditerranée orientale du xvie siècle, une analyse approfondie des expressions apparaissant dans les nomenclateurs, vocabulaires bilingues ou multilingues serait utile (parallèlement à l’analyse des vocables relevés dans les manuels des drogmans ou des jeunes de langue).
Vocabulaires, nomenclateurs
36Ces nomenclateurs − qui ne prétendent jamais être exhaustifs −proposent un découpage du sens et du monde de part et d’autre de la ligne qui sépare des terres étrangères47. Cette source sera très utile pour notre propos, car, ainsi que l’a déjà noté Pierre Jeannin, pour le xvie siècle, peu de documents s’adressent expressément aux marchands48.
37Concernant les vocabulaires et les nomenclateurs, on attend toujours un répertoire satisfaisant inventoriant les différentes sources à l’échelle européenne. Annie Berthier a procédé à cette recension pour le xviie siècle, pour les langues françaises et turque49. Pour le xvie siècle, relevons quelques exemples concernant les langues italienne et turque.
38Lems.it.980delaBnF, « Vocaboli italiani eturcheschi di Francesco Boro Veneto e Tommaso di Vicenzo Fiorentino », daté de 1564, renferme 61 folios. Après les invocations d’usage à Dieu et à la Vierge Marie, il se divise en plusieurs sections, comprenant à chaque fois une entrée italienne et en regard la traduction en turc, écrite en caractères latins. On y relève : les chiffres en caractères arabes (jusqu’à 1 000), les chiffres cardinaux, les signes du zodiaque, les jours de la semaine, les mois de l’année, les déclinaisons, les conjugaisons. À partir du folio 47 ro, le Vocabulario di nomi déroule par ordre alphabétique des entrées italiennes. Par exemple : adesso, aiuto, adirato, a ogni modo, adolescente… agua, agua cosa, agua salsa, agua di mare, etc. Les folios 58 vo et 59 ro-vo contiennent des exemples de phrases de conversation, le plus souvent relatives aux échanges, commerciaux notamment. Le folio 60 ro contient les traductions d’italien en grec ; et le folio suivant, du latin en grec. Enfin, le folio 61 ro est consacré à des entrées turques traduites en italien.
39On peut le rapprocher (avec l’ordre en nomenclateur, les plagiats sont fréquents) du manuscrit turc ancien 219, copie anonyme à Constantinople (seconde moitié du xvie siècle, 66 folios). Sa disposition est la même dans ses grandes lignes mais le vocabulaire est regroupé à la fois alphabétiquement et analogiquement. Ainsi, pour la section concernant le monde maritime, on a : barcha =perme ; barcharuolo = permidj ; brighatino = chaich ; fortuna di mare = fortuna… ; ghalea = chatergha ; ghalea grossa = maona ; ghomito = dirsech, etc. Ces répertoires plurilingues se limitent en principe à l’établissement d’une simple correspondance entre deux mots, l’un traduisant l’autre plus qu’il ne le décrit. Les deux termes sont considérés comme deux synonymes plus ou moins parfaits. En tout cas, le mot vedette n’est pratiquement jamais suivi d’éléments phraséologiques.
40C’est à la fin des récits de voyageurs qu’apparaissent les premiers dictionnaires de langue orientale, notamment en turc sous forme de vocabulaires utiles au voyageur. Ainsi, le chapitre IV de l’opuscule De Turcorum ritu et ceremoniis de Georgievitz, d’origine dalmate, est publié pour la première fois à Anvers en 1544, et traduit aussitôt en allemand, français et néerlandais. Stefan Yerasimos50 a bien mis en évidence le découpage en douze regroupements analogiques du vocabulaire : nomina coelestia, nomina temporum, nomina hominum, nomina animalium, nomina arborum et fructum, etc., ainsi que les dialogues qui présentent les langues « en situation », « tant en faict de marchandise, qu’aux voiages et aultres traffiques », comme le souligne Berlaimont en 1551 à propos de l’utilité des dictionnaires multilingues51. « En attendant les grandes grammaires et dictionnaires du xviie siècle, les voyageurs des xve-xvie siècles nous transmettent un turc familier, quotidien, lequel loin du langage érudit de la cour et des lettrés que nous connaissons par les textes ottomans, nous paraît extrêmement proche52 ».
41Citons aussi le Vocabulario nuovo, réédité par Milan Adamović53, œuvre anonyme de 1574 publiée pour la première fois à Venise sous le titre Vocabulario nuovo con il quale da se stessi si puo benissimo imparare diversi linguaggi, cioè italiano e greco, italiano e turco, italiano e tedesco. Il renferme 33 folios. Au xvie siècle, cet ouvrage a été réédité en 1580, 1587 et 1599. Le vocabulaire est précédé d’un manuel de conversation : exemple au folio 8 ro « ... Io vorria comprare del panno e veluto/Volete di questo/Ottanta aspri il brazzo/Egli è troppo/Quanti aspri mi volete dare, etc. ». Nous retrouvons ensuite les termes par rubriques analogiques : noms de lieux, de métiers, d’animaux, de plantes, de métaux, etc.
42Ces vocabulaires représentant la formule lexicographique la plus succincte et trouvant leur origine dans les premières sommes médiévales des glossaires bilingues, telles celles de Cassiodore ou d’Isidore de Séville, ont pour critère l’utilisation immédiate et limitée, puisqu’on a affaire à des listes de quelques mots fondamentaux, des répertoires de mots usuels. Ils consignent le lexique pratique. Le critère d’utilité immédiate et limité restera la caractéristique dominante et constante de cette catégorie (qui appartient en fait à la catégorie des dictionnaires hétéroglosses54). La multiplicité des langues qu’ils enregistrent les a condamnés à réduire au minimum les développements sémantiques55. Dans ces ouvrages, se présentant aux xvie et xviie siècles sous forme de simples listes d’items, juxtapositions d’équivalences traduisant mots ou périphrases, la détermination des unités lexicographiques se trouve donc conforme à la définition du signe proposée par notre linguistique contemporaine, puisqu’elle se fonde sur l’association univoque d’une expression (forme) et d’un contenu (sens). Ignorant ou délaissant toute perspective historique et les problèmes de dérivation qui y sont attachés, tout « mot » est ainsi tenu pour monosémique. Plus tard, le découpage des significations explicitera les polysémies, par un synonyme ou un tour explicatif, par l’inclusion du mot dans un syntagme fonctionnel (complément de nom, de verbe…).
43Ces vocabulaires56 nous intéressent au premier chef car ils enregistrent cette catégorie de vocabulaire, les « termes de relations », définie par Furetière en 1690 qui fut le premier à faire état dans le titre de son Dictionnaire de « plusieurs termes de Relations d’Orient et d’Occident » et à expliquer dans l’article correspondant qu’il les enregistre dans le but de faciliter l’intelligence des relations de voyage. Ainsi par exemple, l’article dragomant : « t. de relation, qui signifie truchement. Le mot est presque général en Orient pour signifier un interprète ». Pour le xvie siècle, ces termes seraient à classer de manière à faire apparaître les différentes stratifications lexicales, les emprunts simultanés entre l’Occident et le monde ottoman, par le cheminement de cette zone de passage que sont les Balkans, ainsi que le mécanisme de ces emprunts. Une telle recherche pourrait se réaliser, en grande partie, à partir de l’étude des récits de voyageurs, de celle de la correspondance des bailes de Venise, des séries de manuels établis à l’usage des drogmans et des « jeunes de langue ». Quels que soient les différents modes d’expression, les supports écrits57 sur lesquels ils s’appuient, les uns et les autres, témoignent en tout cas de l’outillage verbal de ces hommes du xvie siècle, et mettent en évidence certains courants commerciaux ou intellectuels, ainsi que des faits de culture et de civilisation.
Annexe
Annexe

Fac-similés de la dépêche du 8 janvier 1566 (n.s.), adressée au Conseil des Dix (A.S.V. Capi
del Consiglio dei Dieci. Lettere di Ambasciatori Costantinopoli, 1563-1570, Busta no 3,
fos 48 ro-vo, 48 bis ro).
Clé de chiffres n° III A. Clé pour le chiffrement — B. Clé pour le déchiffrement.

Déchiffrement de la dépêche de Vettore Bragadin, adressée au Conseil des Dix (A.S.V. Capi del Consiglio dei Dieci, Lettere di Ambasciatori Costantinopoli, 1563-1570, Busta no 3)
(les parties non chiffrées sont en italiques)
(48ro) Illustrissimi et Eccellentissimi Signori : è ritornato il messo che espedi missier Leonin Servo in Bodania con la riposta di suo nipote in materia di quanto egli li scrisse di formenti per quella inclita città, il qual dà aviso, che per li molti dani che sono stati da Tartari in quelle parti il paese era cosi esausto et spetialmente per la ruina delli molini, che per l’ano presente non si poteva far dissegno di cavarne una minima quatità, ma chè per un altro anno si attenderà à questa cosa, fra tanto egli prendera tutte quelle informatione che saranno à proposito, et del tuto darà aviso ad esso missier Leonin, el qual potrà andar à concluder con quel signor quanto sarà di magior vantagio della Serenità vostra, ha etiam havuta una lettera dal signor Alessandro, laqual mando con questa, et, perchè è in lengua bogdana non trovando qui persona confidente da poterla far interpretare, la mando à vostre Eccellentissime Signorie acioche de li le possino farla tradure, et vedere in quanto in essa si contienne, in questo mezo non si mancherà di mandar frumenti in quella inclita città come saria diside (48vo)rio mio perchè oltra la carestia ordinaria che è de qui vi si aggionge le molte provisioni che si fano per l’esercita et armata, che non lassano per alcuno ardisca domandar tratta di frumenti, dalle lettere di vostre Eccelentissime Signorie col suo Eccellentissimo Conseglio et Zonta ho inteso quanto mi vien comesso che io habbia fare per presentar il magnificco Bassà dandomi libertà di spender fino cecchini mille con quella occasione che io giudicarò oportuna ; onde havendo già dati essi cecchini mille à sua Magnificentia, si come le scrivo per mie di trenta del passato et in occasione tale che al parer mio non poteva esser più necessario et utile alle cose di vostra Serenità, non le darò altro senza sua espressa comissione, et per questa causa ho tolto à cambio da messer Zorzi di Cristofforo cecchini mille venetiani, che fanno scudi mille ducento ad aspri cinquanta per scudo. Però vostre Eccellentissime saranno contente farli pagar à messer Francesco et Lorenzo Lonaldi secondo che nelle lettere di cambio fatteli (48ro bis) in questo giorno è chiarito. Ho convenuto anco per espedir lettere secretamente, et far altre spese che occorono pigliar à cambio scudi quatrocentocinquanta, quali vostre Eccellentissime Signorie sarano contente far pagar à messer Gabriel di Fantin di Bortolamio per altretanti habuti de qui da sier Zorzi de Cristoforo. Gratia.
Di Pera alli 8. Zener 156558
Notes de bas de page
1 Paolo Preto, Venezia e i Turchi, Florence, G. C. Sansoni, 1975, p. 13.
2 Girolamo Priuli, « I Diarii di Girolamo Priuli, ca. 1494-1512 », in Ludovico Muratori, dir., Rerum italicarum scriptores, Bologne, Zanichelli, 1921, t. XXIV, fasc. 2-3, p. 394-395.
3 Eugenio Alberi, Relazioni degli ambasciatori veneti al Senato, Florence, tip. all’Insegna di Clio, vol. I, 1840, p. 301.
4 Armand Baschet, La diplomatie vénitienne et les princes de l’Europe au xvie siècle, Paris, H. Pion, 1862, p. 215.
5 Augusto Tormene, « Il bailaggio a Costantinopoli di Girolamo Lippomano e la sua tragica fine », Nuovo Archio Veneto, VI, 1903, p. 390.
6 Vincenzo Lazari, « Cenni intorno alle legazioni veneti alla Porta ottomana nel secolo xvi », in Eugenio Alberi, Relazioni degli ambasciatori…, op. cit., vol. III, 1855, p. XIII.
7 Marino Sanuto, I Diarii, Venise, F. Visentini, 1879-1903, t. V, p. 454.
8 Eugenio Alberi, Relazioni degli ambasciatori…, op.cit., vol. III, p. 87-88.
9 Samuele Romanin, Storia documentata di Venezia, Venise, tip. P. Naratovich, 1853-1861, t. VI, p. 63-65.
10 Pour l’ensemble de ces problèmes, cf. Frédéric Hitzel, dir., Istanbul et les langues orientales, Paris, L’Harmattan, 1997, et notamment son article « Les interprètes au service de la propagande », p. 351-364. On se reportera également à sa contribution dans le présent ouvrage : « L’école des jeunes de langues d’Istanbul, un modèle d’apprentissage des langues orientales ».
11 Nicolas Vatin, « L’emploi du grec comme langue diplomatique par les ottomans (fin du xve-début du xvie siècle) », in Frédéric Hitzel, dir., Istanbul et les langues…, op. cit., p. 41-48.
12 Marie-Christine Gomez-Géraud, « La figure de l’interprète dans les récits de voyage français au xvie siècle », in Jean Céard, Jean-Claude Margolin, dir., Voyager à la Renaissance, Paris, Maisonneuve et Larose, 1987, p. 321 et sq.
13 Vincenzo Lazari, « Cenni intorno alle legazioni veneti… », op. cit., p. XVIII.
14 Robert Mantran, « L’École des jeunes de langue : l’exemple vénitien » et Andrei Pippidi, « Drogmans et enfants de langue : la France de Constantinople au xviie siècle », in Frédéric Hitzel, dir., Istanbul et les langues…, op. cit., p. 105-108 et 131-140. Cf. également Robert Mantran, Istanbul dans la seconde moitié du xviie siècle : essai d’histoire institutionnelle, économique et sociale, Paris, Maisonneuve, 1962, p. 558 et sq.
15 Cf. note 3.
16 Tommaso Bertelé, Il palazzo degli ambasciatori di Venezia a Costantinopoli e le sue antiche memorie, Bologne, Apollo, 1932.
17 Joseph von Hammer-Purgstall, Histoire de l’Empire ottoman, Paris, Bellizard, 1835-1843, 17 volumes.
18 Tayyib M. Gökbilgin, « Venedik devlet arsivindeki vesikalar külliyatinda Kanuni Sultan Süleyman devri belgeleri » (« Les documents de l’époque du sultan Süleyman le Législateur dans les collections de documents des archives de Venise »), Belgeler, t. I/2, 1965, p. 121-128.
19 Cf. note 1.
20 Cf. notamment Isabella Palumbo Fossati Casa, « L’École vénitienne des giovani di lingua », in F. Hitzel, dir., Istanbul et les langues…, op. cit., p. 109-122.
21 Paolo Preto, Venezia e i Turchi…, op.cit., p. 101.
22 « Diplomata varia Turciconem Imperatorum ad Venetas res pertinentia Turcice cum Italia interpretatione ».
23 Le texte italien indique toujours « commandamento » pour traduire ferman.
24 Magistrat chargé de la justice. En outre, il supervise et contrôle les agents de sa circonscription judiciaire.
25 Capitation due par les sujets non-musulmans.
26 Fonctionnaire salarié nommé par le sultan ou en son nom pour administrer et surveiller un des services de l’empire.
27 Dans certaines provinces balkaniques, timariote (détenteur du timar, sorte de fief, récompensant les administrateurs ottomans dans les provinces conquises) ayant sous son contrôle l’administration de plusieurs provinces.
28 Gouverneur ayant les pouvoirs civils et militaires dans une région de grande étendue.
29 Fonctionnaire investi de pouvoirs civils et militaires dans le cadre d’une division territoriale (sandjak).
30 Le terme a d’abord désigné un fermier général, puis fut employé par la suite dans le sens de collecteur d’impôts subalterne dans les provinces.
31 Littéralement, le « conservateur des registres », il est en fait le principal fonctionnaire des finances.
32 Celui qui appose la tughra - la marque du sultan - sur les documents pour les officialiser. Il remplit en fait l’office de chancelier.
33 Maurice Aymard, Raguse et le commerce du blé pendant la seconde moitié du xvie siècle, Paris, SEVPEN, 1966, p. 20.
34 E. Alberi, Relazioni degli ambasciatori…, op.cit., vol. III, p. 101.
35 Ibid., p. 443.
36 A. Baschet, La diplomatie vénitienne…, op. cit.
37 Archivio di Stato di Venezia (ASV), Senato, dispacci Ambasciatori, Costantinopoli, filza I, 25 lettres chiffrées datées du 24 mars 1565 au 15 juin 1566 ; Ibidem, filza 4D, 41 lettres chiffrées datées du 12 juillet 1564 au 15 mars 1565 ; A.S.V., Capi del Consiglio del Dieci, Lettere di Ambasciatori Costantinopoli, 1563-1570, busta no 3, 8 lettres datées du 3 décembre 1564 au 25 avril 1566 et 1 lettre, non classée, provenant des fonds d’archives de Topkapı Sarayı à Istanbul, datée du 30 novembre 1565, interceptée par la Porte. Le fac-similé de cette lettre nous a été confié par M. Hayrullah Örs, alors directeur des services d’archives de Topkap1 Saray1.
38 Cf. Christiane Villain-Gandossi, « Les dépêches chiffrées de Vettore Bragadin, baile de Constantinople (12 juillet 1564-15 juin 1566) », Turcica, IX/2-X, Paris, 1978, p. 52-106.
39 Ibid., p. 81-85.
40 Luigi Pasini, « Delle scritture in cifra usate dalla Repubblica di Venezia », in Archivio di Stato di Venezia, dir., Il regio archivio generale di Venezia, Venise, 1873, p. 314-317. Se reporter également au dossier du même Luigi Pasini, sans cote d’archives, déposé à l’Archivio di Stato di Venezia, intitulé « Dispacci dei Baili veneti – Filza 4D ». Il contient certaines clés de chiffres.
41 Christiane Villain-Gandossi, « Les dépêches chiffrées… », art. cit., p. 86-94.
42 En général, les lettres a, e, i, o, n, r et le signe & sont représentés par deux ou plusieurs signes conventionnels. Les chiffres de Vettore Bragadin contiennent peu de nulles.
43 Giovanni Soro, Liber Zifrarum, Venise, 1539. Ce traité écrit à la demande du Conseil des Dix est perdu : L. Pasini, « Delle scritture… », art. cit., p. 301.
44 Giovan Francesco Marin, Del modo di extrazar le cifre, Venise 1578. On trouve des extraits de ses travaux dans ASV Cifre, Busta VI. Cf. L. Pasini, « Delle scritture… », art. cit., p. 308.
45 ASV Inquisitori di Stato, Cifrari d’Agostino Amadi, anno 1588. Cf. L. Pasini, « Delle scritture… », art. cit., p. 323-324.
46 Cf. ASV, Cifre, Busta II : Chiavi e scontri di cifre, qui contient une description du système de languettes mobiles de Pietro Partenio.
47 Marie-Luce Launay-Demonet, « Les mots sauvages », in Jean Céard et Jean-Claude Margolin, dir., Voyager à la Renaissance…, op. cit., p. 497.
48 Pierre Jeannin, « Guides de voyage et manuels pour marchands », in Jean Céard et Jean-Claude Margolin, dir., Voyager à la Renaissance…, op. cit., p. 160 et sq.
49 Annie Berthier, « Turquerie ou turcologie ? L’effort de traduction des jeunes de langue au xviie siècle, d’après la collection de manuscrits conservée à la Bibliothèque nationale de France », in Frédéric Hitzel, dir., Istanbul et les langues…, op. cit., p. 283-317. Cf. également, Annie Berthier, « À l’origine de l’étude de la langue turque en France. Liste de grammaires et dictionnaires manuscrits du fonds turc de la Bibliothèque nationale de Paris », Varia Turcica, t. XIX, 1992, p. 77-86.
50 Stéphane Yerasimos, « Les voyageurs et la connaissance de la langue turque en Europe », in Frédéric Hitzel, dir., Istanbul et les langues…, op. cit., p. 49-66.
51 Bernard Quemada, Les dictionnaires du français moderne (1539-1863). Étude sur leur histoire, leurs types et leurs méthodes, Paris, Didier, 1968, p. 201.
52 Stéphane Yerasimos, « Les voyageurs… », art. cit., p. 65.
53 Milan Adamović, « Vocabulario nuovo mit seinem türkischen Teil », Rocznik orientalistyczny, t. XXXVIII, 1976, p. 42-69.
54 B. Quemada, Les dictionnaires…, op.cit., p. 40.
55 Ibid., p. 467.
56 Ce sont en fait des lexiques, puisqu’il s’agit de répertoires inventoriant des termes accompagnés de leurs équivalents dans une ou plusieurs autres langues, et ne comportant pas de définitions.
57 Au travers de toute notre documentation couvrant le xvie siècle, relative aux échanges commerciaux, à la nature des marchandises, au montant des droits acquittés, aux exactions de la part des fonctionnaires ottomans, aux avanies subies de part et d’autre par les corsaires… autant de facettes des relations économiques et diplomatiques entre la Porte et la Sérénissime, nous n’avons trouvé aucune mention de l’usage du franco ou lingua franca. Pourtant, Jocelyne Dakhlia écrit dans son ouvrage Lingua franca. Histoire d’une langue métissée en Méditerranée, Arles, Actes Sud, 2008, p. 42 : « Le début du xvie siècle figure, grosso modo, ce moment où les locuteurs occidentaux de la langue franque ou leurs contemporains décrivent eux-mêmes ce phénomène sous le vocable de la langue franque ou lingua franca, ou encore langage franc, franco ». Mais la nature de nos documents explique tout à fait cette absence de mention. Cf., du même auteur, l’article contenu dans le présent volume : « La langue franque, langue du marchand en Méditerranée ».
58 Il s’agit du 8 janvier 1566 n. s.
Auteur
CNRS, UMR Telemme - Aix-Marseille Université
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