Du rituel verbal au rituel judiciaire
L’injure et les femmes à Marseille au XVIIIe siècle
p. 243-257
Texte intégral
La femme timide et faible par sa nature, intéressante par ses agréments, fut douée de la Pudeur, cette fierté douce, candide, ce sentiment délicat de l’Honneur, le Charme de sa beauté, la Défense de sa vertu1.
1Pour en imposer en justice et parvenir à obtenir gain de cause devant les autorités, il faut être capable d’incarner l’innocence, mais aussi de témoigner d’une parfaite intégrité. Pour quelle raison ? Parce que, quel que soit notre capital de vertu et de moralité, ce qui importe c’est de donner à voir une image totalement opposée à celui ou celle que l’on accuse et que l’on défie devant la justice. L’examen du rituel, qu’il soit verbal ou physique, exprimé sur la scène du différend ou exposé en justice, mis en œuvre par les femmes qui doivent comparaître à la sénéchaussée de Marseille au xviiie siècle, contribue à éclairer le fonctionnement des rapports sociaux dans le monde urbain et à cerner le discours que celles-ci tiennent, un discours destiné à légitimer ou à délégitimer l’acte violent, ritualisé, qu’il soit verbal et/ou physique2. Il existe peu de travaux sur les sénéchaussées qui, pourtant, constituent l’instance judiciaire la plus encline à permettre d’étudier la vie des catégories populaires. Si les fonds parlementaires sont, en règle générale, les plus étudiés par les historiens, ces documents ne sont pas suffisamment représentatifs de l’implication des femmes en justice, dans la mesure où les Parlements jugent des types de délits précis, comme la prostitution et des crimes de sang3. En revanche, la sénéchaussée juge tous conflits de la vie quotidienne, figure comme l’instance du règlement des discordes et des violences les plus immédiates, celles qui font verser parfois le sang, mais n’ôtent pas, en théorie, la vie4. La visibilité des femmes en justice émerge ainsi grâce aux plaintes déposées et aux témoignages dans lesquels elles s’illustrent : aussi la sénéchaussée paraît-elle comme le théâtre des dissensions, parfois violentes, qui surgissent dans la ville de Marseille au xviiie siècle et met au jour les différentes modalités du rituel de l’agression, verbale ou physique.
2Les violences féminines permettent de dégager et de délimiter un espace ou une scène spécifique, une temporalité, voire une musicalité du conflit, qui trouvent naissance dans un quotidien immédiat et qui, la plupart du temps, se poursuivent sur la scène judiciaire. Ce passage en justice ritualisé n’a d’autre objet que celui de châtier autrui dans un but précis : rétablir l’honneur et la bonne réputation, la fama publica, ou mettre un terme à un conflit d’intérêts. Les violences, en particulier celles des femmes, s’intègrent dans l’espace urbain et dans la vie quotidienne, et agissent sur cette fama malléable. François Dareau5 ne manque pas d’ailleurs d’indiquer qu’
il arrive quelques fois que les personnes du sexe ne sont pas les premières à se ménager entre elles autant qu’elles le devroient. Les chroniques scandaleuses, les récits malins les amusent singulièrement les unes contre les autres ; il n’est même pas rare de les voir s’injurier face à face ouvertement ; aussi ne nous seroit-il pas difficile de rapporter nombre d’exemples de réparations ordonnées suivant les circonstances. […] Mais ce qu’il y a de singulier, c’est que les femmes ne se bornent pas toujours à la malignité de leur langue ; les voies de fait s’ensuivent quelques fois. Il s’est même vu des Dames de qualité s’y livrer avec plaisir6.
3La femme serait-elle naturellement portée à la violence ? Afin de caractériser au plus près cette mise en scène judiciaire orchestrée par les femmes pour obtenir gain de cause, motivées par le besoin de prouver leur innocence ou d’accabler la partie adverse, il semble pertinent de saisir le sujet comme une pièce de théâtre, dans laquelle se dégage un rituel, des règles tant langagières que corporelles, soumises à une temporalité et à une mise en scène que suscite le procès.
4 Il s’agit d’abord d’envisager la place et la visibilité des femmes en justice au xviiie siècle ; puis, de montrer comment s’esquissent le rituel du conflit et la violence provoquée. Une fois le conflit amorcé, il convient enfin de comprendre de quelle manière, tant du point de vue des mots que des actes, les femmes œuvrent, afin d’obtenir une réparation du tort qui leur a été fait, en considérant tour à tour les différentes incarnations de la femme en justice.
L’incapacité juridique des femmes
5Il semble nécessaire de souligner la part des femmes en justice, parce que sans cela il serait difficile d’envisager pleinement la manière dont les femmes instrumentalisent la scène judiciaire. Les femmes en justice peuvent être étudiées en qualité de plaignantes, d’accusées ou de témoins7. À ses différents « rôles » envisagés sont associées une capacité et une façon d’agir en justice.
6La question de l’incapacité juridique des femmes fait débat chez les historiens. Catherine Denys, étudiant les registres d’écouages8 lillois au xviiie siècle, souligne la surreprésentation des témoins masculins et la relative implication des femmes (21,5 % pour la période 1713-1787). Elle en déduit que
cette faible représentativité des femmes dans les procès-verbaux d’écouages renvoie naturellement à leur incapacité juridique sous l’Ancien Régime et à leur participation limitée dans les procédures9.
7S’intéressant à un type de source précis, Catherine Denys généralise de façon quelque peu abusive à l’ensemble des actions féminines en justice qui sont complètement minorées. C’est la nature du délit jugé, la juridiction considérée et la qualité des plaignants qui font varier la représentation des femmes en justice. Les femmes ne sont ni absentes, ni muettes, elles le prouvent et se font entendre.
8Jean-Pierre Lethuillier, qui a analysé les cahiers d’information bas-normands, constate une représentativité de plus en plus remarquable des femmes en tant que témoins. Il note qu’en 1659, à la ville, 100 témoins de sexe masculin équivalent à 27,7 témoins féminins, et en 1722, de façon analogue, s’il y a 100 témoins hommes, l’on compte alors 89,1 témoins de sexe féminin. Dans les bourgs et les campagnes, il observe des progressions similaires. Jusqu’en 1788 pour 100 témoins masculins, l’on en recense 65 qui sont des femmes10. Il souligne
qu’à coup sûr, ces évolutions renvoient à la place de la femme dans la société normande, mais il est difficile, dans le cadre de cette étude d’aller plus loin dans l’explication. Bornons-nous à souligner la forte dissymétrie des échantillons de témoins. À coup sûr, pour la justice normande, le témoin idéal est un homme11.
9Comment justifier alors cette prépondérance du féminin ?
10Se fondant sur les travaux de Jean-Claude Perrot pour Caen12 et de Mohamed El Kordi pour Bayeux13, Jean-Pierre Lethuillier propose d’expliquer la surreprésentation féminine en justice par l’importance numérique des femmes, due à l’apport des servantes et autres, venues trouver du travail à la ville. Il est vrai que la ville joue un rôle de catalyseur dotal, la ville étant l’espace de prédilection des jeunes filles soucieuses de se constituer un pécule en vue d’un mariage. Cette prépondérance du féminin dans les témoignages pourrait plus simplement s’expliquer, par le fait qu’en journée, les hommes sont au travail, tandis que les femmes, plus mobiles que leurs époux, s’adonnent à toutes sortes d’occupations. Si, de façon générale, les hommes se veulent les garants de la subsistance, il semblerait que les femmes, quant à elles, aient la lourde charge d’assurer la régulation (ou l’envenimement) des conflits susceptibles d’enflammer le quotidien. Outre leurs fonctions domestiques, qui, par conséquent, les conduisent à intervenir à tous les niveaux de la sociabilité, les femmes sont investies d’une mission sociale et morale. L’activité féminine peut être envisagée comme une action de conservation, par l’entretien du ménage, mais aussi comme une forme d’aménagement des rapports à autrui dans un but précis : maintenir la renommée du « feu » et de la maisonnée. Continuellement en mouvement en raison de la nécessaire obligation de faire fonctionner leur ménage, les femmes vont et viennent, font le marché, lavent leur linge au lavoir, espaces de sociabilité féminine par excellence, se rendent parfois au cabaret et composent en même temps avec l’idée qu’une femme trop en vue est une femme perdue. Confinés dans leurs ateliers ou leurs boutiques, les hommes disposent d’une mobilité beaucoup plus réduite. Les femmes sont donc plus présentes sur la scène judiciaire, parce que la nécessité du quotidien les y pousse.
11Il est également nécessaire de rappeler qu’il existe un domaine dans lequel les femmes n’ont nullement besoin de leur mari14 pour se produire sur la scène judiciaire : ce domaine est celui de l’injure. Plus de 80 % des affaires instruites devant la sénéchaussée de Marseille, par ou contre une femme, impliquent les griefs, l’injure, une telle liberté d’action permise par la loi expliquant l’importance numérique des femmes en justice15. L’injure est le cheval de Troie employé par les femmes pour accéder à la justice, prendre la parole et régler leurs comptes.
L’usage ritualisé d’un outil judiciaire : la plainte
12Cette prise de parole s’exprime dans la plainte qui restitue l’objet, ainsi que la logique, du litige. Pour être efficace, la plainte doit être le reflet d’une réalité la plus juste possible, doit établir rigoureusement la scène du litige, sur laquelle se joue le premier acte. Les lieux retenus sont toujours utilisés dans la mise en scène de la plainte. Muyart de Vouglans16, dans sa glose de l’ordonnance de 1670, indique que « le lieu sert à augmenter ou diminuer le crime », notamment s’il se produit « dans une place publique ». Il y a en effet dans la présentation du lieu du conflit une mise en perspective nécessaire, dont l’objectif est d’accentuer le vice de celle que l’on accuse, ou de mettre en avant les occupations honnêtes de celle qui se plaint. En règle générale, les femmes se présentent occupées par leur travail, telles Marie Golard veuve de Pierre Calene et Marie-Anne Calene sa fille, qui « représentent que ce jourd’huy sur environ les dix heures du matin se trouvant à travailler dans leur boutique située à la rüe de la fontaine neuve, elles auroient vû approcher veres elles, Claire Lion épouse du nomé Arnoux maçon, qui sans aucun sujet, les auroit traité de mauvaises femmes »17.
13Elles se présentent aussi simplement à « prendre le frais sur la porte »18, toujours dans l’exercice d’une activité honnête. Les lieux évoqués dans les plaintes jouent ainsi un rôle dans la démonstration de la culpabilité de l’autre. Il s’agit de mettre en scène le naturel du quotidien, perturbé dans son rythme ordinaire par une tierce personne. Quel que soit le lieu ou l’activité en cours au moment où le litige éclate, c’est le caractère public de l’affront et son intensité qui nécessitent le recours à la justice. Les expressions telles que « lui dit à cette occasion publiquement »19, « pareille diffamation calomnies attroces publiquement faites et réitérées »20, « qu’elle vouloit faire repandre ce bruit publiquement »21 sont récurrentes et soulignent la proximité que le public et le quotidien entretiennent dans une société où l’intime n’a pas sa place22. Cette publicité du conflit est d’autant plus grande qu’elle est accompagnée d’une sonorité, celle des cris23, et aussi celle des objets instrumentalisés pour frapper et détruire l’adversaire, tant au sens propre qu’au sens figuré.
14La rue joue donc un rôle social de premier ordre qu’a étudié Arlette Farge24. Si la rue constitue la scène quasi naturelle du conflit, et a fortiori des conflits féminins, celle-ci, pourtant, n’est pas la seule à accueillir les rixes : de la cave au grenier, en passant par l’atelier et les degrés, tout espace est propice à l’altercation. Ce qui importe surtout dans la mise en scène des lieux, c’est de voir comment une rixe est rendue publique, exposée aux yeux des passants de façon plus ou moins violente afin d’instaurer des liens nécessaires avec ce public. En effet, ce public spectateur constitue le vivier des témoins potentiels dans lequel les parties aux prises iront puiser les dépositions qui serviront leur cause.
15La dissension rendue publique appelle une réponse, la passivité équivalant à accepter comme des vérités, ou du moins comme de sérieux doutes, les injures dont on a été l’objet25. Il est dès lors impératif d’adopter une réponse à l’affront subi et d’incarner le mieux possible en justice l’image antinomique de celle que l’injure a élaborée. Lorsque les femmes viennent se plaindre en justice, celles-ci ont défini au préalable un plan d’attaque et élaboré une stratégie argumentative essentielle à l’efficacité de leur plainte. Cette stratégie mise en scène dans la plainte par la forme et par le style partage avec le théâtre certaines similitudes. Dans la plainte, la théâtralité évoquée emprunte à plusieurs registres et permet de visualiser la dramatisation du conflit.
16Ainsi en est-il de Pierre Pellegrin qui travaille à la fabrique d’indienne d’un certain George Santon. Il entend du bruit, se met à la fenêtre. On crie : « au secours ! On m’assassine ! » Il voit que Marie Ferry est maltraitée par le couple Allard et que Thérèse Touche lui donne des coups de bâton. Marie Ferry tente de s’enfuir, frappe à la porte de la fabrique, mais elle est poursuivie par Thérèse munie de son bâton, qui s’obstine à l’insulter26. N’imagine-t-on pas une scène du théâtre de Molière ? Les cris, les coups de bâton, la situation, la course-poursuite, les insultes : l’ensemble glisse vers le comique de farce – à cela près que la rixe n’a rien d’une fiction, et que la malheureuse Marie Ferry a réellement reçu un coup très grave sur la tête, ce dont témoigne Pierre Pellegrin, spectateur de la scène. Par ailleurs, de nombreuses archives exploitent aussi les registres pathétique et tragique. Grâce à l’emploi d’un vocabulaire affectif, la plainte, outil juridique ritualisé, peut susciter une impression de terreur et de pitié ou, par le lexique de la douleur, de la mort, de la souffrance et de l’émotion, frapper l’imagination du lecteur de la déposition. Le pathos permet de jouer sur sa sensibilité et d’orienter le jugement.
17Le rôle du greffier s’avère essentiel. Il ne se contente pas d’être le rédacteur passif des maux, il est celui qui adapte, filtre et formalise un discours destiné au juge27. Aussi, en faisant appel aux sentiments, la plainte s’inscrit-elle dans une logique de persuasion. À l’instar des témoignages28, la plainte partage la narration des gestes et des mots, des occasions et des lieux du conflit, des formes ritualisées de la violence et de la parole qui est exprimée en justice. Le conflit est scénarisé à la fois par l’évocation des lieux et par le récit.
18Aussi le dépôt d’une plainte demeure-t-il un acte fort qui permet aux victimes d’envisager l’ouverture d’une procédure, dans la logique interne de la plainte elle-même, c’est-à-dire dans son fonctionnement rhétorique, socialement pragmatique. Il contribue aussi à « augmenter » la chance pour la femme d’être entendue et comprise par le juge. La force illocutoire et perlocutoire de la plainte est désormais manifeste : dans le contexte juridique, avec une efficacité certaine, les mots servent à dénoncer les maux, dont la plaignante cherche réparation. L’intrigue de la plainte se noue autour de l’objet du litige qui insuffle à l’action sa dynamique, met en scène les personnages et distribue les rôles qui sont ainsi ritualisés. La mise en scène de la dissension passe par la mise en scène de l’objet du litige, celui-ci, dans la grande majorité des cas, relevant de l’injure. Porter plainte sous l’Ancien Régime revient avant tout à dénoncer l’offense qui place l’autre dans le rôle de victime. Il y a ainsi, naturellement, une très forte collusion entre la plainte et l’injure, lesquelles se nourrissent réciproquement. D’ailleurs, Muyart de Vouglans ne les dissocie pas dans la définition qu’il donne de la plainte : « C’est une déclaration qui se fait au juge par un particulier au sujet d’une injure qu’il prétend avoir reçue, soit directement dans sa personne, soit indirectement dans celles de ses proches ou de ceux qu’il a en puissance ; & de laquelle il demande qu’il soit informé, afin d’en obtenir réparation »29. Qu’elle soit verbale ou physique30, l’injure est souvent le début de litiges portés en justice. La mise en scène de l’autre se construit autour de ce recours à l’injure qui, avant que de conduire en justice, attribue à l’adversaire un rôle véritable ou le lui refuse. C’est la vérité de ce rôle que l’on souhaite éprouver en justice. Par l’injure, la calomnie ou la diffamation, on introduit dans le quotidien de nouvelles données qui remettent en cause l’autre dans sa vérité. Une telle remise en cause justifie du coup le recours à la justice et la nécessité d’incarner au mieux sur la scène judiciaire un contre-rôle. Pour incarner une fonction de façon efficace, il faut non seulement le maîtriser, mais aussi parvenir à la maîtrise de soi.
Incarner un rôle de gré ou de force
19Les femmes, lorsqu’elles déposent en qualité de plaignante, empruntent différents registres pour donner corps à leur plainte, celui de la colère, du pathos, de la douceur, de la patience etc., tout en nourrissant leur présentation par le récit des vertus ou des vices qui sont prêtés à leur sexe. Quel que soit le visage de la femme en justice, il y a toujours une habile utilisation des représentations de la prétendue « nature féminine », tant dans ses aspects les meilleurs que dans ses prétendus excès. On instruit une plainte en tenant compte des clichés, dont les femmes jouent, aussi bien à leur profit qu’au détriment de leur adversaire. L’investissement de la scène judiciaire ne peut être réalisé différemment. Cette pratique de la scène judiciaire n’est pas le seul apanage des Marseillaises, puisque Jean Renard31 à Baugé en Anjou, et Joël Hautebert32 pour Nantes, font un constat similaire, celui d’une culture de la justice largement partagée, une culture qui permet la mise en scène des femmes. Elles savent comment instruire et infléchir leur discours pour espérer triompher, et maîtriser l’art de se peindre elles-mêmes : ainsi, le rituel de la violence du geste et du mot, douloureusement vécu lors du différend, est opposé au rituel des mots réalisé en justice.
20Aussi a-t-on très souvent, dans la structure de la plainte, recours à une présentation liminaire de soi éminemment vertueuse, afin de mettre en abyme la noirceur de celle que l’on accuse. Parmi les vertus intrinsèquement liées à la féminité, on peut relever, par exemple, la douceur. Ainsi, est-il fréquent de trouver des expressions comme « remontre que bien qu’elle n’aye jamais donné aucun sujet de plainte a personne »33, « bien loin de s’adresser à la suppliante avec la même douceur »34, « la supliante a exercé à son égard tout ce que la charité chrétienne peut faire »35 : il s’agit d’amorcer son récit par un trait de personnalité positif annonçant la sincérité de la déposition qui va suivre. L’image de la femme charitable, soucieuse de son prochain est soulignée. Il s’agit de montrer ce que l’autre n’est pas. Le cycle des vertus personnelles parachève la plainte et prend en étau les vices de l’adversaire qui se trouve symboliquement prisonnière des vertus mises en avant par la plaignante comme le souligne par exemple la conclusion de la plainte de Rose Vachier
que pareilles injures et voyes de faits sont des plus repréhenssibles et qu’elles méritent punition exemplaire si l’on considère la grieveté d’icelles vis-à-vis d’une personne d’honneur et de probité irréprochables dans sa conduite36.
21Cette relative théâtralité tient compte de la spécificité des femmes, de leur « nature » et de leur condition. Il est possible de distinguer trois archétypes de la femme en justice : la mère, à laquelle sont opposées la présumée « putain publique » et la martyre, chacune ayant une moralité spécifique dans les procédures. C’est la façon de les présenter et le rituel utilisé, propre à chacune de ces figures, qui ont retenu notre attention.
22Le premier scénario auquel les femmes peuvent recourir est celui qui met en avant leur rôle de mère. Sur la scène judiciaire, lorsqu’on est femme, la dénonciation de la mise en péril de la maternité constitue un point d’ancrage fort dans la démonstration de la culpabilité de l’autre. En effet, étant perçue comme une attribution naturelle de la femme, la maternité, surtout au xviiie siècle jouit d’une revalorisation et d’une nouvelle perception37. La maternité bafouée ou malmenée dégrade la femme de sa fonction naturelle. La thématique de l’avortement suscité par des violences est un topos tant judiciaire que littéraire38. Dans les plaintes qui font référence à l’avortement par violence, il est à remarquer que cet argument constitue la clef de voûte de la plainte, comme paroxysme de la violence exercée sur une femme par une femme. Le cas de Jeanne Mappelle est particulièrement éclairant39. Elle
remontre que dans le mois de may derniers […] ayant été insultée de la part de la nommée Amphoux la suppliante pour la contenir fit informer de votre autorité et ladite Amphoux fut décrétée d’ajournement personnel, sur lequel elle n’a point répondu mais au lieu de laisser la suppliante tranquille, non seulement elle mais encore sa fille et Théreze Boulle samedi treize du courant, l’ayant vue à la fenêtre luy jetèrent des pierres et la traitèrent de putain, de garce et de maquerelle, la suppliante crut en être quitte pour ce tissu d’injures mais elle a été trompée dans ses espérances, car un moment après ayant été sur sa porte, ces trois furieuses se lancèrent sur elle et sans avoir aucun égard à sa grossesse luy donnèrent divers soufflets, coups de pied et de poings sur le ventre, c’est ce qui a obligé la suppliantte qui se trouvoit enceinte de neuf mois de s’accoucher d’un enfant mort, et comme pareilles injures, soufflets, coups de pieds et de poings méritent punition la suppliante pour l’obtenir à recours à votre justice.
23Les conséquences sont tragiques, et la violence de la scène palpable. Le récit bien mené rend la plainte efficace. Dénonçant le meurtre de son enfant, Jeanne stigmatise l’affront fait à sa fonction maternelle et aux desseins divins, mis en péril par la violence dont Elizabeth s’est rendue coupable. Elle a porté préjudice à la mère en devenir. Par la même occasion, Jeanne accuse aussi ses agresseurs d’avoir porté atteinte à l’autorité monarchique en bafouant ses lois. La violence exercée sur le corps maternel doit donc faire l’objet d’une lecture symbolique. L’appareil monarchique à travers ses lois et l’autorité divine, dont il se veut investi, a la responsabilité de rétablir le statu quo en imposant une sanction pour le meurtre de l’enfant et pour l’affront commis contre ses lois. La valeur exemplaire de la sanction prend alors ici tout son sens. La femme qui porte atteinte à la vie en maltraitant la maternité nie d’une certaine manière sa fonction maternelle imposée par la société. C’est l’acte éminemment libertaire d’Amphoux qui est sanctionné plus que son crime en tant que tel. Présumant le refus de ses fonctions maternelles par la destruction de la vie de l’enfant qui devait naître, les autorités de la sénéchaussée et la procédure judiciaire dégradent la coupable de son statut de mère pour la juger en tant que femme, la plainte ayant la finalité de brosser le portrait de la moralité.
24Pour renforcer l’efficacité de la plainte et sa dynamique, il faut opposer à la mère un anti-modèle. C’est ainsi que les plaignantes puisent dans les prétendus vices féminins et, en premier lieu, dans ceux ayant trait aux mœurs et à la moralité. Cela nous conduit à considérer la deuxième figure de la femme en justice, celle qui dans la plainte donne la réplique à la femme de bien et qui constitue l’anti-modèle de la mère : la « putain ». Contrairement à la maternité mise en avant par les plaignantes, le rôle de la putain est, quant à lui, imposé à l’autre de façon péremptoire. La plainte met en scène de façon très manichéenne les parties en dissension.
25À l’opposé de la femme qui donne à voir sa maternité et exprime donc sa capacité à donner la vie, la « putain » incarne, dans les plaintes, une forme pervertie de la femme, de la maternité et des mœurs. Elle est la « chie bâtards », auxquels est déniée toute éducation. La mise en scène ritualisée de l’autre, lorsque cet autre est une femme, se caractérise par un recours au registre des mœurs40, forcément scandaleuses. Cet aspect est significatif si l’on considère le type d’injure utilisé pour désigner les « mauvaises femmes ». C’est par ce biais qu’une femme est accusée d’être ou de « faire la putain »41. L’injure est une véritable arme sociale, selon François Dareau lui-même qui indique que les « gens du peuple, parmi lesquels nous comprenons les gens de la campagne, sont encore plus délicats sur les injures qu’on ne le pense communément »42.
26L’analyse des expressions injurieuses permet de caractériser comment l’autre est diabolisé, caricaturé ou moqué. La moralité et les mœurs sont toujours attaquées, en priorité, chez une femme43, la trilogie « putain, maquerelle et gueuse » dominant largement. En injuriant directement leur féminité, on cherche à inspirer le dégoût des corps, voire le dégoût d’elles-mêmes. Dans sa plainte, Anne Couron rapporte ainsi les propos que Marguerite Bonnefoy avait tenus contre elle : « te voilà garce, putain, marriasse, maquerelle, il faut que je te rompe les bras, tu as quitté ton mary pour aller faire la putain avec quantité de personnes, il faut que tu me la payë à présent même »44.
27Le fait que les femmes se réapproprient ces injures, qu’elles s’adressent en public, indique qu’il existe un certain consensus autour de ces termes, d’autant plus efficaces qu’on y adhère. Le recours à la justice pour se départir du poids de l’injure montre à quel point la société rejette et méprise ceux et celles à qui une épithète injurieuse et infamante a été attribuée. La réputation se situe au centre des rapports de société.
28Le cœur du portrait avilissant de la femme attaquée réside dans la stigmatisation de ses mœurs corrompues. Il s’agit de démontrer que la femme folle de son corps est également folle au sens propre. Elle est « furieuse » et l’incarnation de la « furie »45, anthropomorphisée dans la plainte par l’injure, faisant ainsi osciller la féminité entre danger et animalité46. Furetière indique, d’ailleurs, qu’« on dit figurément d’une meschante femme, que c’est une Furie d’Enfer, que c’est une Mégère »47. Dans 42 % des cas, les plaignant(e) s présentent leur adversaire comme une véritable furie, dangereuse pour leur vie. L’image de Messaline se dessine, du reste, en arrière-plan de ces portraits, alliant à la fois l’expression de mœurs scandaleuses et la violence immodérée48. En décrivant ces femmes de la sorte, les plaignants et les plaignantes en font l’incarnation du mal, leur comportement étant infernal. De nos jours, le discours serait médicalisé : d’aucuns n’hésiteraient pas à parler d’hystérie. Mais dans les archives marseillaises, il s’agit plutôt de démontrer à quel point la femme violente est malveillante. Bien entendu, il s’agit aussi de dépeindre la femme comme la victime de ses propres passions. Incapable de se maîtriser, elle laisse libre cours à sa colère. Finalement, son incapacité à se contrôler, comme saurait le faire un homme, son manque d’énergie virile, sa déficience due à son essence féminine la rendent condamnable. On retrouve là, dans ces portraits de femmes furieuses, l’arrière-plan mental, social et culturel qui fait de la femme une mégère, un être emporté par nature. Une fois encore, les clichés dont elles font l’objet sont mis à contribution sur la scène judiciaire où le rituel des mots s’impose à tous. Ces mœurs déréglées et cette violence immodérée placent la plaignante en victime qui dénonce sa féminité martyrisée.
29La troisième figure est celle de la martyre. Il y a un phénomène d’identification indirect au modèle de la martyre exprimée dans les plaintes. En effet, les vertus de cette dernière sont parfois attribuées aux plaignantes. Nous avons retenu le cas des violences conjugales49, subies ou exercées par les femmes. Dans le cadre immédiat de la cellule familiale et des violences conjugales, le martyre est lent et diffus. Il se caractérise sur la longue durée par une série de vexations et de violences multiples. Incarner la martyre est peut-être le rôle le plus difficile, parce que la femme doit composer non seulement avec les clichés dont elle est la proie, mais aussi avec le regard masculin des autorités judiciaires. Hommes avant que d’être juge ou greffier, une part de méfiance évidente intervient. La stratégie argumentative est donc minutieuse. Dans les plaintes pour mauvais traitements, immanquablement le récit s’amorce par le constat funeste du mauvais mariage, source de tous les maux. Ainsi Catherine Boyer, dans sa plainte,
remontre qu’il y a environ seize ans qu’elle eut le malheur de se marier avec ledit Jean François Bernard. Depuis ce temps cet homme n’a cessé de la maltraiter et de l’assomer de coups. La supliante avoit toujours cru que la patience feroit changer son mary mais malheureusement pour elle, elle s’est trompée. Le récit des mauvais traitements qu’elle a essuyé seroit trop long si elle les rapelloit tous, elle se bornera d’en raconter quelqu’uns qui suffiront pour vous convaincre de la méchanceté de son mary50.
30La femme martyrisée par son époux observe une patience digne, preuve d’une âme aimante et respectueuse de l’amour conjugal. La maltraitance, si elle s’inscrit dans la longévité, est également présentée comme une souffrance patiente qui espérait finalement un miracle. Comme le miracle n’intervient pas, on décide alors de se tourner vers la justice. Un arrière-fond religieux sous-tend l’argumentation. L’épouse ne peut pas exiger la fin de son mariage, puisque le divorce n’existe pas. Seule la séparation de corps et de biens peut être prononcée. Afin d’y parvenir, il est important de mettre en scène les violences, dont l’épouse est victime, et d’établir la preuve des mauvais traitements qu’elle a reçus. Toujours en fondant une description de soi en opposition avec l’autre, on distingue, de façon symétrique, vertu féminine et excès, pour ne pas dire vices, masculins. Ces excès sont, par exemple, mis en avant par Hyacinthe Ardisson qui indique qu’elle est mariée
avec le nommé Benoit Me sculpteur […] à peine ce mariage fut consomée que ledit Benoit commença de maltraiter l’exposante tant par des injures que par des coups, l’exposante n’osa se plaindre de tous ces mauvais traitements, elle espéroit que ledit Benoit reconnaitroit le tort qu’il avoit à son égard mais comme son dessein étoit de la pousser à bout, un jour entre autre après l’avoir cruellement maltraitée il luy passa une corde au milieu du corps avec laquelle il l’attacha au pied du lit ou elle resta environ une demy heure et l’ayant mise dans un état à ne pouvoir remuer il l’excéda de coups et la foula sous ses pieds […] l’exposante endura encore tous ses mauvais traitements sans se plaindre à personne51.
31La plainte se poursuit et une gradation s’opère dans la narration des faits, mais, celle-ci ne trahit pas le moment de la rupture qui conduit la plaignante à porter l’affaire en justice. C’est l’accumulation des faits et des tensions supportées qui conduisent à l’acte violent, lorsque la pression psychologique devient trop forte, que la fréquence des mauvais traitements devient insupportable et qu’on se défait de la rumeur alimentée par le voisinage. Le mari violent ne se contente pas de battre son épouse, il la quitte « sans luy laisser absolument rien », sinon une enfant de quatre ans à sa charge. On retrouve le cumul des rôles de mère et de martyre, et la gradation des maux. Sans le sou, Hyacinthe est jetée à la rue en n’ayant de quoi payer son loyer. Elle apprend que son mari est à Montpellier où il rencontre une certaine Françoise Forestier avec laquelle il vit en concubinage52, c’est-à-dire en criminel, d’autant que cette Françoise demeura enceinte des œuvres de Benoît qui, à la nouvelle de cette grossesse, s’enfuit de nouveau à Marseille, afin de retrouver sa femme qu’il continue d’exaspérer. La dénonciation du concubinage en tant que crime n’est pas l’argument fort de la plainte, puisqu’il existe en ville une relative tolérance en la matière53. La maîtresse se rend aussi à Marseille, et Hyacinthe doit endurer un ménage à trois, faisant de son époux un concubin coupable du crime de polygamie, lequel est, en revanche, jugé comme intolérable54. L’accumulation des charges contre le mari s’alourdit. La fille adultérine est portée à l’Hôtel Dieu pour y être abandonnée. Son époux décide ensuite de repartir avec sa maîtresse qui a le mal du pays, et Hyacinthe de conclure que son époux est
retourné dimanche dernier pour la dernière fois [chez Hyacinthe] et ayant trouvé l’exposante malade puisqu’elle avoit été saigné le même jour, ledit Benoit sans égard à l’état où elle se trouvoit luy tomba sur le corps, l’excéda de coups, la pris aux cheveux et la traina par terre et la foula sous les pieds luy ayant meurtri le visage et tout son corps par la quantité des coups de pieds qu’il luy donna et ledit Benoit ayant dit “il faut que je la tue” et ayant porté sa main à sa poche pour en sortir un couteau, l’exposante cria au secours comme il accourut un nombre de voisins ledit Benoit prit la fuite mais un moment après étant revenu pour achever de l’assassiner il fut obligé de se retirer ayant trouvé la porte fermée55.
32Le martyre doit se conclure par la mise à mort de la femme-épouse-mère, parachevant le cycle des violences et hissant Hyacinthe au rang, non pas des saintes, mais des vertus cardinales de l’excellence féminine. Le paroxysme de la souffrance est atteint. C’est en faisant reconnaître par le juge que ses fonctions naturelles et spirituelles ont été bafouées qu’elle peut espérer triompher de son époux.
33Le passage en justice des femmes, par l’usage du rite de la plainte, constitue donc un moment essentiel à plus d’un titre. Les femmes peuvent s’y produire avec éclat. La question de la visibilité des femmes, et à plus forte raison des femmes des catégories populaires, mérite d’être revue à l’aune de cette étude. Cette occupation de la scène judiciaire se fait d’autant plus prégnante que les femmes sont impliquées dans une affaire sur deux et qu’elles instrumentalisent avec efficacité leur « nature », afin de se faire entendre et agir. Nous avons vu de quelles façons elles se produisent et déposent par le biais de la plainte, instrument juridique ritualisé. Au-delà, il est remarquable de constater à quel point l’espace public est investi, maîtrisé et ritualisé par les femmes. Une rhétorique féminine de la plainte existe bel et bien. Aussi la maîtrise des mots, des maux, de l’espace public et du public confère-t-elle à la plainte sa force et son pouvoir de persuasion.
34Le temps du passage en justice est un rituel presque initiatique. Les femmes subissent finalement l’épreuve de l’autre dans la bataille judiciaire qu’elles engagent, afin de réparer le tort fait à leur image et à leur réputation. L’enjeu de la plainte est double : d’abord, moral, puisqu’il faut en partager les valeurs pour continuer à appartenir à la sociabilité du voisinage ; puis, social, parce que ce même groupe exige une reconnaissance consensuelle de l’autre qu’il doit avoir acceptée.
Notes de bas de page
1 François Menassier de L’Estre (avocat au Parlement), De l’honneur des deux sexes, et principes généraux sur les différentes espèces de rapts, de séduction, de subordination, et de violence, Paris, Imprimerie de N. H. Nyon, 1784 : « La fierté rêche, dédaigneuse, annonce la Pruderie et non pas la Vertu. Elle est une sorte d’hypocrisie inspirée par l’Orgueil et la Sotise (sic) », p. 2 [note de l’auteur].
2 Le corpus utilisé dans cette analyse est composé de 200 procédures. Elles appartiennent toutes à la seconde moitié du xviiie siècle. Série 2 B 1205-1232 1750-1787 AD BDR Marseille.
3 M. Esmivy, Histoire du parlement de Provence, depuis son institution jusques à la mort de Louis XIV, avec une liste historique de tous les magistrats qui sont entrés dans cette compagnie jusques à aujourd’huy, Aix-en-Provence, 1726. Voir également, Le Parlement de Provence : 1501- 1790. Actes du colloque d’Aix-en-Provence, 6 et 7 avril 2001, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2002.
4 Olivier Chaline, Yves Sassier, dir., Les Parlements et la vie de la cité, xvie-xviie siècle (actes des premières Journées d’études de l’Association du palais du Parlement de Normandie, les 7 et 8 novembre 2002, Rouen), Rouen, Presses universitaires de Rennes, 2004.
5 François Dareau, Traité des injures dans l’ordre judiciaire, ouvrage qui renferme particulièrement la jurisprudence du Petit Criminel, Paris, Prault père, 1775.
6 François Dareau, op. cit., p. 322. Du point de vue de l’histoire des mentalités, notons que l’image de la femme naturellement plus apte à médire est un topos. On retrouve cette idée, par exemple, sous la plume de François Bruys, dans son ouvrage intitulé L’Art de connoitre les femmes, avec une Dissertation sur l’adultere. Par le chevalier Plante-Amour, La Haye, chez Jaques Van den Kieboom, 1730, p. 139 : « Les femmes étant fort envieuses, elles excellent dans l’art de médire. Pourvu qu’on n’use pas de représailles à leur égard ; elles aiment aussi beaucoup à entendre parler mal des autres femmes, et sur tout de celles qui sont en concurrence de beauté ou d’esprit, de crédit ou de rang. »
7 Jean Portemer, « La femme dans la législation royale des deux derniers siècles de l’Ancien Régime », Études d’histoire de droit privé, sl, éditions Montchrestien « Jurisprudence Dalloz », 1959.
8 On consigne à Lille dans les registres d’écouage la description des corps des noyés.
9 Catherine Denys, « Les témoins des écouages lillois au xviiie siècle », Benoît Garnot, dir., Les témoins devant la justice. Une histoire des statuts et des comportements, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003, p. 221-231. Son corpus se compose de 2 404 témoignages, répartis de 1713 à 1791.
10 Jean-Pierre Lethuillier, « Trente mille témoins dans les registres d’information criminelle bas-normands (1650-1850) », Benoît Garnot, dir., op. cit., p. 233-245. Le corpus étudié comme le titre de l’article l’indique se fonde sur l’analyse de 30 000 témoignages échelonnés entre 1650 et 1850. Les chiffres présentés renvoient au nombre de témoins féminins pour cent témoins masculins, en ville, dans les bourgs et à la campagne.
11 Jean-Pierre Lethuillier, « Trente mille témoins… », ibid., p. 237-238.
12 Jean-Claude Perrot, Genèse d’une ville moderne : Caen au xviiie siècle, Paris-La Haye, éd. EHESS, 1975, 2 vol.
13 Mohamed El Kordi, Bayeux aux xviie et xviiie siècles. Contribution à l’histoire urbaine de la France, Paris, éd. Mouton, 1970.
14 François Dareau, op. cit. : « il est bon de remarquer que la personne offensée quand elle-même seroit sous la puissance d’autrui, peut seule agir par elle-même pour une réparation […] la femme elle-même peut le faire sans le consentement de son mari, sans demander même d’être autorisée de son refus », p. 407. Une remarque analogue est formulée par François Muyart de Vouglans et Daniel Jousse.
15 Sur la question des femmes en justice, Danielle Haase-Dubosc, Éliane Viennot, Femmes et pouvoir sous l’Ancien Régime, Paris, Rivages, « Rivages Histoire », 1991.
16 Pierre-François Muyart de Vouglans, Les lois criminelles de France, dans leur ordre naturel, dédiées au roi, Paris, La Société Typographique, 1781, p. 20.
17 AD BDR 2 B 1250 f° 4, 1756. Affaire Claire Lion épouse du sieur Arnoux maçon contre Marie-Anne Calene.
18 AD BDR 2 B 1470 f° 1, 1789. Dame Marie Thérèse Bonfils épouse du Sieur Leon Joseph Girard bourgeois de cette ville contre Sieur Michel Christophle Me voiturier de cette ville tant en son propre que comme père et légitime administrateur de la personne de Dlle Rose Christophle sa fille et la Dlle Christophle son épouse.
19 AD BDR 2 B 1232 f° 13, 1788. Affaire Marguerite Massise épouse de Jacques Niel robeirol contre Antoine André portefaix et Jeanne Raybaud sa femme.
20 AD BDR 2 B 1234 f° 14, 1778. Affaire Marie Louise Lafonade épouse de Michel Gérin sculpteur contre Anne Augler.
21 AD BDR 2 B 1237 f° 23, 1764. Affaire Marie Martin femme de Jean Joseph Arnaud Me maçon de cette ville de Marseille contre Marguerite Amphoux femme d’Antoine Vassal paysan.
22 Annick Pardailhé-Galabrun, La naissance de l’intime. 3 000 foyers parisiens, xviie-xviiie siècles, Paris, PUF, 1988. L’auteur aborde, dans son livre, l’intimité par le biais de la description des foyers sans pour autant envisager la place et l’impact social de l’absence d’intimité.
23 Jean-Pierre Gutton, Bruits et sons dans notre histoire, Paris, PUF, 2000, p. 60 : le bruit est conditionné par « la promiscuité des conditions de vie, et, par voie de conséquence, l’importance de la vie passée dans la rue, à des occupations professionnelles ou autres. »
24 Arlette Farge, La vie fragile, violence, pouvoirs et solidarités à Paris au xviiie siècle, Paris, Hachette, 1986 ; Ead, Vivre dans la rue à Paris au xviiie siècle, Paris, Gallimard, 1992 ; Ead., Le cours ordinaire des choses dans la cité du xviiie, Paris, Seuil, 1994. Voir également les travaux de Nicole Gonthier, Cris de haine et rites d’unité, La violence dans les villes, xiiie-xvie siècle, Turnhout, Brepols, 1992, et ceux de Jean-Pierre Leguay, La rue au Moyen Âge, Rennes, Ouest France, 1984. Dès le Moyen Âge, la rue joue un rôle public et essentiel dans les relations sociales.
25 Erving Goffman, La présentation de soi, Paris, Éd. de Minuit, 1973.
26 AD BDR 2 B 1216 f° 7, 1766.
27 Sur la question du rôle du greffier, J. Renard, op. cit., p. 28. Amédée Combier, Les Plumitifs du grand bailli de Vermandois, Laon, impr. de H. Jacob, 1878.
28 Lucien Faggion, Laure Verdon, dir., Quête de soi quête de vérité du Moyen Âge à l’époque moderne, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2007.
29 Pierre-François Muyart de Vouglans, Les loix criminelles de France, dans leur ordre naturel, dédiées au roi, Paris, La Société Typographique, 1781, p 126.
30 Sous l’Ancien Régime, l’injure verbale se distingue des « injures par action », c’est-à-dire des violences physiques.
31 Jean Renard, op. cit., p. 72.
32 Joël Hautebert, op. cit., p. 332.
33 AD BDR 2 B 1237 f° 17, 1751. Affaire Anne Rose Arnoux épouse Tourrète marchande contre Jean Joseph Antoine.
34 ADBDR 2 B 1450 f° 11, 1787. Affaire Marie Anne Defsié femme de Louis Chabrand revendeuse de poisson contre Thérèse Trabaud épouse de Victor Jouve.
35 AD BDR 2 B 1330 f° 2, 1754. Affaire Catherine Augier épouse du Sieur Pierre Bousquet ancien changeur de la monnaye du Roy contre la Dlle Benat.
36 AD BDR 2 B 1340 f° 23, 1782. Affaire Demoiselle Rose Vachier épouse de Joseph Latour tonnelier contre la Dlle Elisabeth Poucel femme de Gaspard Sidole, vendeuse de vin.
37 Yvonne Knibiehler, Histoire des mères et de la maternité en Occident, Paris, PUF, 2002.
38 On retrouve cet aspect-là par exemple dans la Nouvelle Héloïse de Rousseau, lorsque Julie apprend à son père qu’elle est enceinte, ce dernier la soufflète elle fait une chute et par la même occasion une fausse couche.
39 AD BDR 2 B 1208 f° 2, 1773.
40 François Bruys, op. cit., p. 143 : « Une personne qui fait métier de parler mal de tout le monde, trouve toujours nouvelle matière pour exercer sa langue, bien souvent aux dépends des gens qu’il ne connoit pas. Tantôt on se jette sur la généalogie, tantôt sur les mœurs, et quelques fois sur les défauts naturels que nous ne pouvons corriger. »
41 AD BDR 2 B 1370 f° 7, 1764. Affaire Anne Couron épouse de Joseph Bonnefoy de cette ville contre Marguerite Bonnefoy.
42 François Dareau, op. cit., p. 291.
43 Nicole Castan, « Les justices urbaines et la répression : le cas languedocien au xviiie siècle » Justice et répression. De 1610 à nos jours, Actes du 107e congrès national des sociétés savantes, Brest 1982, Section d’histoire moderne et contemporaine, Paris, CTHS, 1984, p. 297-310. Nicole Castan relève les mêmes injures pour le Languedoc.
44 AD BDR 2 B 1370 f° 7, 1764, Affaire Anne Couron épouse de Joseph Bonnefoy de cette ville contre Marguerite Bonnefoy.
45 Selon la tradition gréco-romaine, les furies tourmentaient les méchants ; elles avaient pour rôle de poursuivre les criminels et de les tourmenter jusqu’à les perdre totalement. De même, les femmes des catégories populaires s’arrogeaient le droit d’édicter les normes et de poursuivre celles et ceux qui s’écartaient du consensus tacite qui fédérait la sociabilité féminine.
46 L’analyse des injures et les métaphores utilisées par qualifier les femmes est particulièrement significative.
47 Antoine Furetière, Le Dictionnaire Universel, Contenant généralement tous les Mots François tant vieux que modernes, & les Termes de toutes les Sciences & des Arts […] Recueilli & compilé par feu Messire Antoine Furetière, Abbé de Chalivoy, de l’Académie Françoise, La Haye & Rotterdam, chez Arnout & Reinier Leers, 1690.
48 AD BDR 2 B 1250 f° 10, 1772, Claire Francoul contre Thérèse Michel épouse de Félix Arnoux portefaix : « Le monde qui accourut la délivra des mains de ces deux furies qui ne se contenterent pas de l’avoir battue mais qui se répandirent en injures atroces et en la traitant comme la plus infame messaline. »
49 Les fonds de la sénéchaussée ne sont pas représentatifs de la réalité de l’ampleur des violences conjugales qui le plus souvent demeurent tues. En effet, elles ne représentent que 1 % des procédures engagées. Il est évident que la part réelle des violences conjugales est largement plus grande.
50 AD BDR 2 B 1340 f° 20, 1788. Affaire Catherine Boyer épouse du sieur Jean François Bernard naviguant contre son époux.
51 AD BDR 2 B 1330 f° 18, 1760, Affaire Hiacinte Ardisson épouse de Pierre Benoit Me sculpteur contre ledit Pierre Benoît son mari.
52 Pierre-François Muyart de Vouglans, op. cit., p. 187 : « L’on appelle de ce nom le crime de deux personnes de différents sexes qui vivent ensemble, comme s’ils étaient mariés. […]. [Le concubinage est jugé] comme étant contraire à la pureté et à la sainteté de la loi évangélique. [Il est un moyen pour] assouvir par des voies illicites une passion que l’on peut satisfaire légitimement par la voie du sacrement. »
53 François Dareau, op. cit., p. 339 : « Ce délit, dans nos mœurs, n’est point regardé comme un crime public et il est rarement poursuivi, soit parce que les preuves en sont difficiles à acquérir, soit parce que la partie offensée n’ose souvent pas s’en plaindre. […] Jamais un délit ne fut plus universel ni plus fréquent que celui-ci l’est de nos jours. »
54 Pierre-François Muyart de Vouglans, op. cit., p. 202 : « L’on ne peut douter que la bigamie & la polygamie dont nous voulons parler ici, ne forment par elles-mêmes des crimes très graves & très punissables, en ce qu’elles joignent à l’adultère, la profanation du sacrement, & le crime de faux. »
55 AD BDR 2 B 1330 f° 18, 1760, Affaire Hiacinte Ardisson épouse de Pierre Benoit Me sculpteur contre ledit Pierre Benoît son mari.
Auteur
Aix-Marseille Université, UMR Telemme
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