Chapitre VII. De Charles VIII à Henri II : une Renaissance
p. 161-177
Texte intégral
De l’union à l’intégration au royaume de France
1Le dernier comte angevin, Charles III du Maine, neveu du roi René, mourut le 11 décembre 1481. Il avait transmis la veille par testament ses possessions à son lointain cousin le roi de France Louis XI. Ce dernier avait saisi l’occasion de rattacher à ses possessions dynastiques celles d’un membre d’une branche cadette des Capétiens qui n’avait pas d’héritier direct – soit le Maine (l’Anjou avait déjà été réuni à la couronne de France à la mort de René), le comté de Mortain et la Provence. Les possessions des Capétiens aînés s’étaient étendues vers le sud et avaient atteint la Méditerranée dès 1229 avec l’annexion des sénéchaussées de Beaucaire et Carcassonne, suivie en 1271 de celle du restant du Languedoc. Elles avaient déjà franchi le Rhône pour s’établir en terre d’Empire et en région alpestre en intégrant en 1349 le Dauphiné. L’extension vers le sud-est que constituait l’union de la Provence à la France faisait plus que doubler le littoral méditerranéen de cette dernière ; elle offrait à la monarchie française des ports bien abrités au moment où ceux du Languedoc achevaient de s’ensabler – avant tout celui de Marseille, principale ville-port entre Barcelone et Gênes, que les premiers rois-comtes semblent avoir considérée comme la partie la plus précieuse de leur nouvelle possession.
Les premiers temps de l’union
2Les premières années de l’union sont complexes. Louis XI fait d’abord confiance à un notable aixois de noblesse très récente, issu du négoce marseillais, Palamède de Forbin, qui avait été son agent auprès du comte. Il le nomme lieutenant général et gouverneur de Provence. Forbin parvient à lui faire jurer que cette union à la France devait se faire dans le respect des privilèges (les « libertés et franchises ») que les Provençaux avaient obtenus des comtes catalans et angevins et en tenant compte des particularités du « Pays ». En janvier 1482, les États de Provence ratifient ce pacte d’union.
3Forbin ayant joué un rôle trop personnel est écarté dès 1483 et le gouvernement royal a recours à des réunions répétées des États pour préciser les modalités de l’union. À son tour, Charles VIII par lettres patentes d’octobre 1486, ratifiées par les États en avril 1487, jura de respecter le testament de Charles III et les droits spécifiques des Provençaux ; ces lettres déclaraient définitive l’union à la couronne de France du Comté de Provence dans le respect de ses privilèges. Les juristes du xviiie siècle se plurent à donner le nom de « constitution provençale » à l’ensemble de ces textes qui devaient préserver l’autonomie institutionnelle du pays sous la souveraineté du roi-comte.
4Le premier personnage du comté est alors Aymar de Saint-Vallier, nommé en 1483 grand sénéchal, chef de l’administration comtale et de la justice. Lorsque la Provence est réunie à la France, le grand sénéchal a retrouvé au terme d’une évolution complexe la présidence du conseil royal, appelé « conseil éminent », qui juge en dernier ressort (en troisième et dernier appel, après le juge des premières appellations puis le juge mage) et est aussi un conseil politique. Le grand sénéchal y a droit de grâce. Il convoque les États de Provence, reçoit les serments des officiers et peut être considéré comme le défenseur officiel des privilèges de la Provence. Le grand sénéchal n’a guère d’équivalent dans le royaume de France. Après quelques expériences éphémères dans les premières années de l’union – dont une tentative de coexistence du grand sénéchal et d’un gouverneur –, Charles VIII ajoute à son titre celui de gouverneur, qui correspond à une fonction essentiellement militaire exercée dans une région frontière du royaume, lorsqu’il remplace en 1493 Saint-Vallier par Philippe de Hochberg-Rothelin.
La fin des communautés juives provençales
5Les conséquences réelles de l’union de la Provence à la France ne furent sans doute guère perceptibles pour l’essentiel de la population. Elles eurent en revanche dans les décennies qui suivirent des effets directs pour une catégorie de ses membres, les juifs. Les juifs provençaux constituaient sans doute quelques-unes des plus anciennes communautés de l’Occident et tenaient une place de choix dans les études médicales et hébraïques. Après l’union, des violences spoliatrices et meurtrières à leur égard – Arles en 1484, Salon en 1485, Tarascon en 1488-89, à Marseille en 1493, Manosque en 1495 – aboutirent à des expulsions locales (Arles, 1493) et en 1500 à l’application en Provence de la législation antijuive déjà en vigueur dans le royaume de France qui fit disparaître les « juiveries provençales » (D. Iancu-Agou, Juifs et néophytes en Provence, Paris-Louvain, Peeters, 2001). Entre 1488 et 1501, nombre d’entre eux émigrent dans les États pontificaux (Avignon et le Comtat) où s’étaient déjà réfugiés des juifs chassés de Languedoc et Dauphiné, ou bien à Nice, où le duc de Savoie leur est moins défavorable. Les enclaves pontificales deviennent en particulier « le dernier conservatoire du judaïsme français méridional » (Moulinas 1981), très isolé des autres communautés et des grands centres culturels juifs. D’autres familles se convertirent. La plus connue de ces familles de néophytes est celle des Nostredame à cause de la célébrité de son descendant, Michel Nostradamus ; certaines accéderont à la noblesse au terme de promotions parfois rapides, ainsi à Aix les Estienne de Saint-Jean.
Un début d’alignement sur le modèle français
Création du parlement d’Aix
6Louis XII crée en 1501 par l’édit de Lyon un parlement à Aix sur le modèle de celui qui existe à Paris. On sait (voir chap. 2) que cette cour de justice juge en dernier ressort (en dernier appel) des procès déjà jugés par des cours subalternes ; elle reçoit donc les attributions judiciaires qui étaient celles du conseil éminent des comtes (sept magistrats du conseil éminent vont d’ailleurs entrer dans la nouvelle institution). Elle est aussi dotée d’un large pouvoir administratif et réglementaire. Elle se superpose à la chambre (future cour) des comptes, qui va être sa rivale. Son organisation est calquée sur celle du parlement de Paris, selon un principe antérieurement appliqué lors de la création des parlements de Toulouse, Bordeaux et Grenoble au cours du xve siècle et qui sera repris pour les autres cours fondées par la suite. Néanmoins la nouvelle cour resta pendant une génération subordonnée au grand sénéchal.
L’édit de Joinville (1535)
7En 1535, François Ier réforma profondément le système administratif et judiciaire provençal par l’édit de Joinville. Le grand sénéchal perdit alors l’essentiel de ses pouvoirs. Il ne put plus réunir les États de sa seule autorité ; il fut exclu du parlement et perdit le droit de grâce. Les États furent mis sous le contrôle des commissaires royaux. Le grand sénéchal fut donc aligné sur les autres gouverneurs du royaume, qui avaient des attributs surtout militaires. En 1572, lorsque la charge de gouverneur sera à nouveau disjointe de celle de grand sénéchal, cette dernière deviendra dès lors strictement judiciaire, et en fait honorifique. Elle sera définitivement supprimée en 1662.
8Le roi commença également à imposer le maillage judiciaire français avec la suppression des deux juges d’appel d’origine comtale et du conseil éminent et la création des sénéchaussées, tribunaux de grande instance subordonnés au parlement d’Aix (voir chap. 2).
L’édit d’Anet (1555)
9Les magistrats de la chambre des comptes, d’origine comtale, déjà en conflit avec le parlement, s’inquiétèrent de voir la création à Aix, à partir de 1552, des offices de trésoriers généraux de France qui empiétaient sur leurs prérogatives financières (ces derniers allaient constituer ultérieurement le bureau des Finances). Ils obtinrent en 1555 par l’édit d’Anet la transformation de leur chambre en cour des comptes, archives et finances, sur le modèle français. Elle deviendra plus tard cour des comptes, aides et finances.
Des résistances limitées à la « francisation » institutionnelle
10Outre une volonté d’intégration de la Provence au royaume, sans doute faut-il voir en ces réformes un effort empirique de rationalisation administrative. Les historiens qui ont dénoncé ces outrages faits aux « vieilles institutions provençales » oublient que l’on ne pouvait fossiliser l’organisation imparfaite léguée par les comtes et négligent de rapprocher le cas provençal de celui des autres entités territoriales entrées au pouvoir de la couronne de France et pareillement mises aux normes de ses possessions antérieures.
11Peut-on pour autant parler de « difficile intégration au royaume », titre du chapitre consacré à la fin du xve et au xvie siècle dans l’Histoire de la Provence naguère dirigée par É. Baratier ? La principale force de résistance à cette francisation des institutions est constituée par les États. Bien qu’elle ait été mise par François Ier sous le contrôle des commissaires royaux et ne soit convoquée qu’une fois par an, l’assemblée représentative « du Pays de Provence » continue de consentir l’impôt direct, le « don gratuit », proteste contre son augmentation et dénonce les atteintes aux privilèges de la Provence. C’est d’ailleurs une tentative de réorganisation de la Procure du Pays entre 1523 et 1534 dont elle prit l’initiative qui a poussé François Ier à organiser une commission parisienne chargée de proposer les réformes de l’administration provençale, dont les travaux servirent à élaborer l’édit de Joinville. Autres instances susceptibles de limiter les empiétements royaux, les principales villes, et en premier lieu Marseille, qui sont dotées de « libertés et franchises » particulières, et sont encore autonomes de fait.
12Néanmoins, ces résistances restent très limitées. La noblesse, les gens de robe et les oligarchies urbaines surent adapter leurs stratégies de pouvoir et de carrière à la nouvelle donne française. Or l’intégration à l’espace français présentait des avantages pour les élites. Le parlement et les sénéchaussées ont un impact économique et social dans les villes où ils ont leur siège et en tout premier lieu à Aix. La capitale du comté est la grande bénéficiaire du développement administratif et judiciaire ; elle ne va pas cesser de rassembler dans son vaste palais comtal les instances mises en place par la royauté. Une partie de l’économie aixoise dépendait de ces gens du bel air et de leurs fonctions, qui faisaient vivre imprimeurs, avocats et avoués, voire aubergistes accueillant les plaideurs. À Aix, comme dans les autres villes chefs-lieux de sénéchaussées, la multiplication de ces offices de judicature offre une promotion à des notables locaux passés par l’université aixoise ou provoque la nomination de magistrats originaires d’autres régions dont certains s’enracinent par alliances matrimoniales. Au cours du siècle allait se dessiner puis se préciser cette nouvelle forme de noblesse que sera au xviie siècle celle de la robe, fondée sur la vénalité et l’hérédité des offices et le caractère anoblissant à terme des principaux offices de magistrature.
Frayeurs et profits : les guerres d’Italie
13La Provence n’avait tenu avec les derniers Angevins dans l’échiquier européen que le rôle très secondaire d’une principauté jouant le rôle d’état-tampon entre le royaume de France et le duché de Savoie. Ces deux États se trouvent désormais directement en contact depuis les Alpes dauphinoises jusqu’à l’embouchure du Var. À la suite de l’union de la Provence à la France, le roi de France Charles VIII de Valois hérite des prétentions sur le royaume de Naples de ses lointains cousins les Angevins, descendants de Charles d’Anjou, comte de Provence et roi de Naples – mais ses descendants et héritiers ont achevé de perdre définitivement ce dernier royaume en 1442.
14Les guerres d’Italie confèrent ainsi à la Provence maritime une position stratégique. Les premières opérations menées par Charles VIII et Louis XII enrichissent la Provence côtière. Des galères sont construites à Marseille, qui retrouve une fonction de port de guerre, et à Toulon. Les marchands marseillais se livrent à des opérations de liaison et conduisent une guerre de course active. Marseille devient ainsi le principal port de guerre et de commerce du royaume de France en Méditerranée, double fonction qu’elle conservera jusqu’en 1748, date du transfert des galères à Toulon.
15Sous François Ier, au début du règne, en revanche, l’armée royale passe en 1515-1516 par la Provence pour se rendre en Italie puis pour en revenir après la victoire de Marignan. Elle fait dans les deux cas des dégâts en vivant « sur l’habitant ».
16La conquête par François Ier du Milanais soulève la riposte des Impériaux – les troupes de Charles Quint de Habsbourg, empereur du Saint Empire et souverain des États espagnols. Elles sont commandées par le connétable Charles de Bourbon, passé au service de Charles Quint qui lui a promis de reconstituer à son profit le royaume d’Arles, et par le marquis de Pescaïre (Fernando Francesco de Àvalos, marquis de Pescara, 1489-1525). Dès 1522 les Français doivent retraverser les Alpes. Les Impériaux traversent le Comté de Nice et franchissent le Var le 7 juillet 1524. Ils s’emparent d’Antibes, Grasse, Fréjus, Toulon. À Aix, un notable, Honoré Puget (qui aurait été prévôt du chapitre et non viguier ou prévôt général de la maréchaussée comme l’affirme la tradition érudite), leur apporte les clefs de la capitale de la Provence – François Ier le fera exécuter mais il avait ainsi préservé la ville. En revanche, ils assiègent vainement du 19 août au 28 septembre Marseille, hâtivement garnie de troupes et maintenue en état de défense en dépit du bombardement des Impériaux – toute la population s’y serait employée aux côtés des soldats. Les Impériaux sont arrêtés par l’artillerie marseillaise et Bourbon renonce à donner l’assaut. Le maréchal Jacques de La Palice arrive par la vallée du Rhône avec des renforts et les Impériaux préfèrent lever le siège et repasser le Var après une retraite qui aurait été difficile à cause de l’hostilité des populations, mobilisées par les nobles locaux.
17En janvier 1536, François Ier, qui revendique l’héritage de sa mère, Louise de Savoie, et qui veut s’assurer un passage vers le Milanais, fait occuper l’essentiel des terres savoyardes, la vallée de Barcelonnette comprise. Il ne reste guère au duc Charles III que le Val d’Aoste, six villes de Piémont et le comté de Nice. La Provence est à nouveau au cœur du conflit. Les Impériaux franchissent le Var le 26 juillet 1536. Le roi ne dispose pas sur le moment de troupes suffisantes pour les arrêter ; on aurait décidé de ne défendre qu’Arles et Marseille et de tenter d’opposer un désert humain dans les campagnes, les villageois se réfugiant dans les bois. Charles Quint et le duc de Savoie occupent dès lors Aix. L’empereur s’y fait proclamer roi d’Arles, puisque la Provence relevait théoriquement du Saint Empire. Il met vainement le siège devant Arles et Marseille et doit faire retraite, car l’armée française progresse sur la Durance depuis Avignon, que le roi occupe pour le campement de ses troupes. Les Impériaux affrontent peut-être alors la guérilla des paysans, plus sûrement la dysenterie. Ils repassent le Var le 24 septembre. Ces incursions ont été l’occasion de pillages des bourgs et du ravage des campagnes de la part de l’armée des Impériaux comme des mercenaires du roi de France. En 1538, le pape Paul III obtient que François Ier et Charles Quint viennent à Nice négocier sous son égide une trêve de dix ans.
18La paix fut rompue en 1542. Les armées françaises aidées par la flotte turque, commandée par Kerredin Barberousse (François Ier avait fait alliance avec le sultan Soliman II), prennent en 1543 Nice (mais non son château), avant de se retirer devant l’arrivée d’un renfort de troupes savoyardes. La flotte turque hiverne ensuite à Toulon, dont une partie de la population s’est retirée. Détail sans doute révélateur du rôle naval secondaire que les rois de France assignent encore à cette date à la ville.
19En 1559, le traité du Cateau-Cambrésis met fin aux guerres d’Italie. Henri II restitue alors à la couronne de Savoie ses possessions, dont Barcelonnette.
La convalescence économique et démographique
20La lourde crise démographique de la seconde moitié du xive siècle et du début du xve a fortement frappé la Provence et multiplié les « lieux inhabités », certains étant entièrement désertés et « dirupts » (ruinés), d’autres peuplés d’une population trop faible et surtout trop diffuse pour continuer à former une communauté d’habitants. Ils sont en particulier nombreux dans l’ancien comté de Forcalquier, les Préalpes de Digne et Castellane. Une remontée du niveau de la population a été mise en évidence par É. Baratier dans la seconde moitié du xve siècle et les premières décennies du xvie : entre 1471 et 1540, « en moyenne la population a triplé dans l’ensemble du pays » (Baratier, 1961). La Provence s’intègre ainsi dans la reprise économique et démographique (« phase A » des économistes) qui marque le « beau xvie siècle », celui des premières décennies, à travers la France et l’Europe occidentale. Elle compte peut-être 400 000 hab. vers 1550 selon F.-X. Emmanuelli.
Repeuplement et croissance démographique
21Au sortir des calamités de la fin du Moyen Âge, la Provence est, selon l’expression de N. Coulet, une « zone de basse pression démographique » en comparaison de plusieurs régions voisines auxquelles elle sert de terre d’immigration. C’est le cas de Savoyards, Piémontais et surtout de Ligures (originaires de la république de Gênes) dans la seconde moitié du xve siècle. Des colonies ligures en particulier repeuplent plusieurs localités de Provence orientale dont les seigneurs passent avec ces groupes d’étrangers des « actes d’habitation », concession collective d’un terroir « inhabité », qui règlent les rapports de ces communautés reconstituées avec le seigneur. Il y en eut quarante-six, pour la plupart entre 1461 et 1525. Ainsi à Vallauris, Valbonne ou Biot. Saint-Tropez est repeuplée en 1470 par une soixantaine de familles, la plupart génoises. Un autre exemple de cet appel de population venue d’au-delà des limites du Comté est fourni par les Vaudois, adeptes clandestins d’une dissidence médiévale – une « hérésie » aux yeux des autorités de l’Église –, qui descendent de leurs vallées refuges des Alpes dauphinoises et piémontaises et s’établissent entre 1460 et 1520 sur les terres vacantes du Luberon, en formant un peuplement modeste de hameaux et de fermes isolées (« granges »), voire de « cabanes », parfois de « bastides » autour d’un domaine (Audisio, 1984). Les habitants d’un village voisin peuvent aussi repeupler un terroir inhabité contigu : ceux de Mouans pour Sartoux, de Villeneuve pour Loubet. Sont repeuplés de façon spontanée des lieux des vigueries de Provence orientale, autour de Grasse, et aussi des vigueries d’Aix, Tarascon, Apt, Forcalquier, où se reconstitue un noyau villageois – ainsi le Tholonet, Beaurecueil puis Roques Hautes. Il en est de même des terroirs de certains villages des Préalpes de Digne, repeuplés en général par des habitants de localités voisines (Malijay par ceux de La Salle, Chénérilles et Mirabeau).
22Cette croissance concerne essentiellement la Basse-Provence. Dans l’ensemble de la viguerie d’Aix, la population aurait « au moins doublé » (Baratier, 1961) entre 1471 et 1540. Fuveau passe de 26 foyers en 1471 à 45 en 1540, Le Puy-Sainte-Réparade de 35 à 100, Istres de 92 à 200, La Roque-d’Anthéron et Venelles, « inhabitées » en 1471, ont respectivement 45 et 7 foyers en 1540. Près de Marseille, Allauch passe de 17 foyers subsistants en 1471 à 70 en 1540. Avec 2020 chefs de famille en 1545, soit peut-être plus de 15 000 hab., Aix aurait à cette date retrouvé sa population d’avant la peste noire. La conséquence des calamités de la fin du Moyen Âge est l’inégale répartition de la population à travers la Provence, qui ne cessera de s’accentuer. Au début du xive siècle, la Provence occidentale aurait renfermé 29 % de la population provençale, la Provence centrale et orientale (le futur comté de Nice non compris) 28 % et la Haute-Provence 42 %. Cette répartition presque équilibrée est désormais définitivement rompue au profit de la Basse-Provence. La Haute-Provence a été comme la Basse atteinte par les calamités de la fin du Moyen Âge. Mais elle se relève lentement et très incomplètement au xvie siècle. Aux pertes démographiques dues au mouvement annuel (différence entre naissances et décès) se joint en effet un solde migratoire vraisemblablement très négatif, une partie de la population subsistante allant repeupler la Basse-Provence.
23Les principales villes de Basse-Provence attirent des populations venues des villages voisins ou bien de la Haute-Provence ou encore d’origine plus lointaine. Elles jouent un rôle dans la remise en valeur de leur terroir et des zones qui constituent leur bassin alimentaire et commercial, soit par les initiatives de leurs notables qui font des placements fonciers, soit par l’appel des marchés qu’elles constituent et qui stimule la paysannerie. Les plaines d’Arles produisent un blé dont l’exportation constitue jusqu’au milieu du xviie siècle une part importante de l’activité portuaire de la ville, (Payn-Échalier, 2007). Le Salonais Adam de Craponne (1526 ?-1576) aménage le canal de dérivation des eaux de la Durance qui perpétue son nom. Il s’agit de la réalisation hydraulique la plus ambitieuse en Provence depuis l’Antiquité romaine, la première au second millénaire à dériver les eaux d’une rivière hors de son bassin versant. Le projet est autorisé en 1554 par la chambre des comptes. La branche-mère, entre la prise de Saint-Estève-Janson et Salon, est achevée en 1559. Dans les dix années suivantes sont réalisées les branches d’Eyguières-Istres et celles de Grans et Pélissanne-Lançon. Le canal apporte leur force motrice à des moulins à blé, à huile ou à parer le drap et peut irriguer environ 3 400 ha selon les calculs de Michel Jean. Il permet en particulier de compenser si nécessaire par des arrosages une sécheresse printanière au moment où les oliviers sont en fleurs et de les arroser pendant l’été pour attacher le fruit et le faire grossir. Mais A. de Craponne n’a pas su gérer l’ouvrage et sera évincé de son exploitation, prise en charge, ainsi que son entretien, par ses principaux utilisateurs. A. de Craponne a contribué aussi à assainir la basse vallée de l’Argens et à y établir des moulins (Soma-Bonfillon, 2007 ; Jean, 2011).
24Une preuve de l’extension de la surface cultivée par essartage est la reprise de l’érosion qui marque la fin de la progression de la forêt, due à la déprise démographique de la fin du Moyen Âge, et le début de son recul devant les « affars », les défrichements et aussi les meules des charbonniers et les déboisements des verriers. En juillet 1492, à la suite du défrichement imprudent des schistes de sa vallée, le Mardaric en crue semble former un barrage naturel de boue et rochers qui se rompt ; une vague « de 15 à 16 mètres de haut » submerge Bayons, détruisant les bâtiments et faisant plusieurs morts. En 1527, Le Fugeret et Annot sont pareillement ravagés par la Vaïre (Sclafert, 1959).
25Autre indice de la remise en valeur des terroirs, l’exploitation parfois intermittente des gisements minéraux. En général, on se borne à tirer parti des affleurements ou des couches dégagées par l’érosion. Mais sont alors signalées les premières « descenteries » (puits de mines) du gisement de lignite situé entre Aix et Marseille, à Fuveau, Gréasque et Valdonne. Mentionnons aussi les papeteries et les tanneries, éparpillées le long des cours d’eaux, dont il est en général difficile de mesurer l’activité. Néanmoins les tanneries de Grasse prennent un nouvel essor en se spécialisant dans les peaux longuement traitées à la poudre de feuille de myrte, ce qui les rend vertes et imperméables. Leur réputation sera durable jusqu’à la Révolution. L’eau de myrte est avec l’eau de fleur d’oranger le plus ancien produit de la parfumerie grassoise, qui restera très liée jusqu’au xviiie siècle à la préparation des cuirs. Marseille est un centre de redistribution des peaux brutes, issues du bétail abattu pour la consommation urbaine et de l’importation depuis l’Afrique du Nord.
26La culture spéculative du mûrier est stimulée dans la région d’Aix et Salon par le tissage de la soie, dont le centre principal est Avignon. Le conseil de la communauté y a fait venir en 1514 des spécialistes génois qui ont créé des ateliers de damas, satin, et surtout de velours.
Expansion du commerce marseillais
27Depuis l’union, Marseille figure par sa population parmi les principales villes françaises. Selon J Billioud qui a tenté d’évaluer son poids démographique à partir des statistiques du ravitaillement, sa population agglomérée serait vers 1520 de 14 000 à 15 000 hab., d’environ 26 000 vers 1544, de 30 000 vers 1554. Elle est devenue la ville la plus peuplée du Sud-Est, devançant Avignon (qui n’est pas française et aurait 15 340 hab. selon un dénombrement de 1539) et Aix. L’écart ne va plus dès lors cesser de se creuser au profit de Marseille jusqu’au xxe siècle. Marseille se situe loin cependant après Paris (400 000 hab. vers 1550 ?), Lyon (70 000 à 80 000 hab. au milieu du xvie siècle ?), Rouen (60 000 hab.?), Bordeaux (50 000 hab.?) et Toulouse (40 000 hab.?).
28Marseille est devenue avec l’union le premier port méditerranéen d’un puissant royaume, au moment où la création par Charles VIII et Louis XI des grandes foires de Lyon fait à nouveau de la vallée du Rhône une voie de commerce internationale. « Lyon apparaît alors comme une grande place financière dont Marseille est le port » (Rambert, 1951, t. iii). La fonction de transit de Marseille bénéficie du rapide essor lyonnais et les deux villes attirent de grands marchands étrangers qui s’y établissent parfois à demeure, suisses et allemands ou italiens, (Remesan et Vento de Gênes, Altovitis de Florence), aux côtés de Provençaux qui font fortune (Albertas venu d’Apt, Riquetti sans doute de Seyne). Les guerres d’Italie accentuent les fonctions du port de guerre et de son arsenal. Une fonderie établie au cœur de la ville fabrique des canons. L’avitaillement de la flotte est un débouché pour les pêcheurs. Avec les cotons bruts importés du Levant, des ateliers commencent à tisser la cotonine (toile forte à chaîne de chanvre et trame de coton), destinée aux voiles des galères et des navires marchands. Les Marseillais tirent également profit des relations établies dans un but politique par François Ier avec l’Empire ottoman. Les « Capitulations » (traités avec l’Empire ottoman) conclues en 1536 et 1569 les autorisent à établir des « échelles » (comptoirs) dans certains des ports du Levant (Méditerranée orientale) placés sous l’autorité du sultan, en particulier Beyrouth, Tripoli et Alexandrie. Le commerce avec le Levant aurait doublé en valeur dans la décennie suivante. Les Marseillais ne contrôlent pas encore réellement ces échanges et en particulier le commerce des tissus et des épices : ils jouent surtout un rôle de transitaires et de courtiers et restent dominés par les grandes compagnies génoises ou vénitiennes présentes à Lyon et rompues à ces transactions délicates en Orient, qui vont privilégier longtemps la route des cols alpestres contre celle de la vallée du Rhône. Le négoce marseillais maîtrisait davantage le commerce avec la Barbarie (le Maghreb), où la grande Compagnie du corail des mers de Bône, fondée en 1552 par Thomas Lenche, exploitait le monopole de la pêche au corail et trafiquait sur les cuirs et les blés. La gabelle du port rapportait 400 livres à la fin du xve siècle, 1 300 en 1519-1520, 3 000 en 1542, 8 000 en 1550. Le terroir marseillais semble connaître une nette remise en valeur : des terres y sont concédées en acaptes (emphytéoses) et défrichées, des hameaux se créent, indice vraisemblable d’une montée de la population et aussi de la croissance de la demande urbaine en légumes, céréales et surtout en vin, les viticulteurs du terroir de Marseille ayant le monopole de sa vente dans la ville-port.
La Renaissance en Provence
29Il est très difficile d’étudier aujourd’hui l’impact de la Renaissance en Provence. Une large partie des réalisations architecturales a été modernisée ou détruite aux siècles suivants et la plupart des œuvres d’art a sans doute disparu. Les cicatrices de fenêtres à meneaux murées aux moulurations bûchées qui apparaissent lorsque sont décroûtés les murs de nombre de bâtiments civils, restructurés en général au xviiie siècle, suffisent à suggérer que la conservation jusqu’à nos jours de décors du xvie siècle est soit volontariste (et les motivations des propriétaires mériteraient d’être cernées : noblesse d’épée ? ordre de Malte ?), soit l’indication d’un déclin économique et social dont témoignent amplement Riez ou Les Baux. Par ailleurs, la Provence n’est plus désormais lieu de résidence monarchique. La cour n’y séjourne que le temps de rares voyages et l’on ne saurait s’étonner de ne guère y retrouver l’équivalent des châteaux régaliens des bords de Loire ou des palais et villas de l’aristocratie aulique italienne. En revanche, jusqu’à la constitution d’une cour sédentaire par Louis XIV, deux grands représentants directs d’un souverain résident dans la région, le vice-légat d’Avignon et le gouverneur de Provence. Ils logent significativement au palais des Papes et dans le palais comtal d’Aix, réunissent autour d’eux une cour et ont une action culturelle. De grands nobles tiennent aussi à marquer leur rang par leurs châteaux familiaux – les Agoult à Lourmarin, Simiane à Gordes, Adhémar à Grignan, Bouliers de Cental à La Tour-d’Aigues. Autant de grandes réalisations qui font directement et sans retard référence aux recherches architecturales de leur temps.
Les fortifications
30Les réalisations royales les plus ambitieuses et les plus onéreuses du xvie siècle provençal furent sans doute les fortifications, désormais confrontées aux progrès de l’artillerie. Ainsi l’énorme tour royale de Toulon, construite de 1514 à 1524 par l’ingénieur italien Della Porta, destinée à commander l’entrée de la petite rade, ou celles ordonnées par François Ier à Marseille. Le château d’If, élevé en un temps record, vraisemblablement entre 1527 et 1529, sur un îlot stérile de la rade est une des dernières forteresses construites sur le modèle médiéval du grand château à tours rondes ; mais son couronnement unifié est adapté à l’artillerie. En revanche, le fort de Notre-Dame de la Garde pourrait être la première forteresse bastionnée construite en France, sur le modèle mis au point en Italie vers 1535. Saint-Paul-de-Vence a de même reçu une enceinte bastionnée à la suite de la venue de François Ier, lors de la trêve de Nice en 1538.
31Le renforcement des enceintes urbaines par l’ajout de bastions (« platesformes ») qui flanquent leurs angles les plus exposés à une attaque terrestre se poursuivra pendant le temps des troubles de la seconde moitié du siècle, mais a laissé en général peu de traces.

La monumentale Descente de croix en bois sculpté polychrome, installée après la Révolution dans la chapelle des pénitents gris bourras d’Aix, a été rendue par Jean Boyer à J. Guiramand dont elle constitue une œuvre majeure.

Portes de la cathédrale Saint-Sauveur d’Aix sculptées par J. Guiramand. En 1508, les vantaux du portail gothique de la cathédrale reçoivent le premier grand décor inspiré de la Renaissance de la ville. Selon la volonté des chanoines, il représente les sibylles, devineresses antiques qui, aux yeux des humanistes, auraient annoncé la venue et la vie du Christ.

Triptyque de Notre-Dame de Consolation entre saint Roch et saint Sébastien, église de Pertuis, vers 1500 (cadre du xviie siècle). De part et d’autre de la Vierge absorbée dans la contemplation de l’Enfant, deux saints majestueux, isolés dans leur compartiment, parés de vêtements somptueux, regardent le fidèle qui venait les prier d’intercéder auprès d’elle contre la peste.
L’architecture civile et religieuse
32L’art du Quattrocento avait ponctuellement atteint la Provence depuis Naples sous les derniers Angevins, avec les sculptures de Francesco Laurana à la cathédrale de Marseille (chapelle Saint-Lazare) et à la collégiale de Tarascon. Sa postérité est perceptible dans l’« italianisme pittoresque » (Gloton, 1980) de l’ancienne porte de la Sainte-Baume (aujourd’hui remontée à l’hôtellerie) et celle de la chapelle de l’hôpital d’Aix, toutes deux attribuées à Jean Guiramand (actif de 1501 à 1557), qui a sculpté les vantaux des portes de la cathédrale d’Aix et des retables pour la plupart disparus (Gallissot-Ortuno, 2001). La diffusion du vocabulaire décoratif de la Renaissance française est ensuite favorisée par l’arrivée de grands commis royaux venus des bords de Seine et de Loire et par les séjours aux mêmes lieux de quelques nobles provençaux. Sans doute est-elle d’abord freinée par l’attachement des élites locales au gothique flamboyant, qui connaît entre 1500 et 1530 son apogée aixoise, selon J.-J. Gloton (façade de Saint-Sauveur d’Aix, 1471-1513, hôtel de Cabre à Marseille). Son influence est sensible dans les châteaux. Les conséquences des progrès de l’artillerie en font des maisons des champs aristocratiques, dont les tours et les créneaux indiquent une résidence nobiliaire et seigneuriale ; ils sont susceptibles de résister à une révolte paysanne mais non à un siège. On suit cette évolution, pour ne citer que les édifices qui nous sont parvenus, d’Allemagne-en-Provence (décor très restauré) et Château-Arnoux jusqu’à Lourmarin, Gordes – avec une grande cheminée inspirée du Val-de-Loire –, puis au château des Adhémar à Grignan, en terre adjacente, et enfin à La Tour-d’Aigues, où un puissant donjon médiéval est entouré à partir de 1550 de corps de bâtiments au parti et au décor inspirés du Louvre et du château d’Écouen – jusqu’aux toitures d’ardoise. L’architecture des maisons de notables a été progressivement marquée au cours du xvie siècle et encore dans les premières décennies du suivant par le vocabulaire décoratif de la Renaissance. Ont subsisté quelques beaux témoins isolés (certains hôtels d’Arles, hôtel de Pontevès à Barjols, de Mistral de Montdragon à Saint-Rémy) et le petit ensemble des Baux. Du décor intérieur subsistent avant tout des cheminées en gypserie (stuc) en Haute-Provence, matériau qui a également servi à orner les cages d’escalier (hôtel de Mazan à Riez) et parfois les façades (château de Sainte-Marguerite à Pierrevert, maisons de Riez). Le mobilier ne peut qu’être entrevu par des inventaires après-décès, au prix d’une rigoureuse analyse sémantique des termes, qui reste à affiner.
Les œuvres d’art
33Hormis quelques plafonds peints, la plupart des œuvres à sujet profane de ce temps ne sont connues que par des textes d’archives. C’est le cas en particulier des décors peints éphémères tels les arcs de triomphe élevés à Aix ou Marseille à l’occasion des entrées des souverains et d’autres grands personnages qui donnaient lieu à des fêtes. Le renouvellement du mobilier liturgique est suggéré par les nombreuses commandes d’autels et de retables par le clergé, des confréries, des fidèles aisés aménageant leur chapelle funéraire ou de riches donateurs. Mais ces œuvres ne sont souvent connues que par leur « prix fait » (contrat de commande), à quelques exceptions près – les retables sculptés de Cabasse et de Notre-Dame de l’Ormeau à Seillans. La peinture sacrée des retables et des vitraux (Apt, Jouques, Pertuis) est lente à se dégager, dans le premier tiers du siècle, d’influences médiévales auxquelles les fidèles restaient sans doute attachés et continue d’aligner sur les retables à panneaux des personnages sacrés hiératiques (Léonelli, Pichou, Vial, 1987 ; Guidini-Raybaud, 2003). Cet essor témoigne de ce « besoin d’images » du Christ, de la Vierge et surtout des saints, protecteurs des individus, des corps de métiers ou des communautés, qui allait faire paraître sacrilège l’iconoclasme protestant. Dans le second tiers du siècle, les « mystères » (représentations de scènes du Nouveau Testament en général) situés dans des paysages se multiplient. Avignon reste un centre artistique important, qui rayonne largement ; mais Aix fixe des peintres. L’influence italo-flamande prédomine, en partie grâce à la venue d’artistes ultramontains, le Vénitien Antoine Ronzen ou le Piémontais Manuel Genovese dit Lomellini, qui épouse la fille du sculpteur Guiramand, et aussi de peintres venus du nord de la Provence, qui s’y arrêtent souvent au retour d’un voyage en Italie. Simon de Châlons, actif à Avignon de 1532 à 1562, est le plus connu. D’autres sont peut-être provençaux d’origine, tels Étienne Peson ou Pierre Bœuf (ou Bovis).
Vie intellectuelle et musicale
34Une université avait été fondée à Aix par Louis II de Naples-Provence en 1409. Seule université provençale, elle est entourée du xvie siècle à la Révolution des universités d’Avignon, Orange, Valence et Montpellier – cette dernière, une des plus anciennes d’Occident, brille particulièrement en médecine et en droit. L’université aixoise est au xve siècle réduite à la théologie et au droit et semble attirer des effectifs discrets d’étudiants. Le renforcement du réseau judiciaire provençal par la royauté, en particulier par la création du parlement puis des sénéchaussées, a pu lui donner un relatif essor : le doctorat de l’université d’Aix sera réputé au siècle suivant théoriquement obligatoire pour être avocat, conseiller de cours souveraines ou juge en Provence. En fait, existera jusqu’au xviie siècle une « nation provençale » organisée à l’université de Toulouse, une des meilleures pour le droit. Les maîtres qui séjournent à Avignon attirent aussi des étudiants – le grand juriste André Alciat y enseigne en 1518-1521. À partir de 1510, selon une évolution qui se retrouve alors dans les autres universités, le recteur n’est plus pris parmi les « écoliers » ; c’est désormais un « docteur ès lois » élu par les docteurs. En 1531, l’élu échange ce titre de recteur contre celui de « primicier » (primus inter pares), emprunté au modèle plus prestigieux de l’université avignonnaise (N. Coulet, Prov. hist., 2009 : 236). Les autres dirigeants sont un « acteur » (habilité à agir au nom de l’université) et un trésorier. L’université est sous l’autorité de l’archevêque.
35En 1543, Aix transforme son école municipale en collège. Il tiendra lieu de faculté des arts (de lettres et sciences, dirions-nous aujourd’hui), l’existence de celle-ci se réduisant au jury qui confère les grades, ce qui n’est pas propre à la ville. Selon le modèle mis au point aux Pays-Bas et à Paris entre le xive et le début du xvie, un cursus hiérarchisé de huit classes, de la grammaire (sixième) à la rhétorique (première) suivi de deux années de philosophie couvre approximativement les champs du trivium et du quadrivium des Arts médiévaux – il correspond aux actuels premier et second cycles de l’enseignement secondaire. Le cursus des arts est un préalable à une spécialisation dans une des autres facultés. La maîtrise ès arts a en tant que telle pour débouché l’enseignement comme « régent » de collège. En 1557, l’art médical est établi et l’université d’Aix est dès lors complète de toutes les facultés.
36Les « petites écoles » municipales où l’on fait l’apprentissage du rudiment (lire, écrire, compter, parfois du latin) ne sont pas systématiquement recensées pour le xvie siècle, mais semblent exister dans la plupart des villes. Celle de Riez, attestée depuis 1381, a été étudiée par E. Pellegrin (Mélanges Busquet, dans Prov. hist., 1956 : hors série). Le maître en est annuellement choisi au concours par les consuls qui le rémunèrent. Il enseigne surtout la grammaire latine, le rudiment étant inculqué par un bachelier ou sous-maître. Marseille transforme en 1543 son école municipale en collège, recrutant dès lors par concours un « recteur » (professeur), qui sera assisté de trois bacheliers. Existent aussi dans la ville des « chambres d’escole » tenues par des maîtres privés.
37Des lettrés de ce temps, trois noms survivent. L’arlésien Pierre Quiqueran de Beaujeu (1522-1550), évêque de Senez, aurait peut-être été un humaniste de renom s’il n’était mort à moins de trente ans. Il a laissé un De laudibus Provinciae, première description publiée de la région par un de ses natifs (Paris, 1551). L’italien Jacques Sadolet (1477-1547), évêque de Carpentras à partir de 1517 (il y réside entre 1527 et 1536), a correspondu avec Érasme et se soucia de la réforme de l’Église (Venard, 1993). Michel de Nostredame dit Nostradamus, né à Saint-Rémy en 1503, mort à Salon en 1566, est le Provençal des Temps modernes qui a suscité la bibliographie la plus importante, par ses Prophéties, constituées de centuries (suite de cent quatrains), dont la première édition parut à Lyon en 1555 et une autre, enrichie, l’année de sa mort. Ces courts poèmes hermétiques semblent significatifs de l’atmosphère inquiète du milieu du siècle, qui promeut la diffusion de nombre de discours prophétiques ou astrologiques. Les multiples rapprochements que les chercheurs actuels ont pu faire entre des vers de Nostradamus et des textes antiques ou contemporains démontrent l’ampleur des lectures et l’importance de la bibliothèque d’un notable de petite ville (D. Crouzet, Nostradamus, Paris, Payot, 2011).
38L’essentiel reste à faire pour reconstituer la vie musicale du xvie siècle en Provence et dans les États pontificaux. Les cathédrales d’Avignon et d’Aix sont dotées, ainsi sans doute que celle de Marseille, de maîtrises canoniales. L’abbaye de Saint-Victor-les-Marseille en a aussi une. Celle d’Aix fut suffisamment réputée pour que Louis XI ait fait venir auprès de lui en 1481 huit de ses membres, « parce qu’il savoit que son défunt oncle [le roi] de Sicile avoit en sa chapelle de meilleurs chantres que l’on sceut trouver ». Certaines églises sont dotées d’orgues, connues par leurs prix faits à l’exception de celles de Solliès-Ville conservées, dont le buffet est daté de 1499 (Sanchez, 2005). L’impression en 1530, sans doute à Lyon, des Canson dau carrateyron a préservé le texte provençal et la musique d’œuvres satiriques pleines de verve, chantées à Aix par les étudiants et le petit personnel judiciaire lors de la Fête-Dieu. Le recueil des cinquante-deux noëls de Notre-Dame-des-Doms d’Avignon avec leur transcription musicale, composé entre 1570 et 1610 permet d’entrevoir une musique plus populaire, sur des paroles occitanes (Y. Esquieu, Prov. hist., 1980 : 121).
39Le principal musicien de l’espace régional est Elzéar Genet, dit en Italie Il Carpentrasso – il était né dans la capitale du Comtat vers 1470, fit carrière à Rome où Jules II le nomma maître-chantre de sa chapelle pontificale en 1508, à Paris, à la cour de Louis XII (il compose alors des chansons profanes et des airs de danse) et de nouveau à Rome de 1514 à 1521, enfin à Avignon, où il mourut en 1548. On a de cette seconde période quatre recueils imprimés à Avignon en 1532-1535, et en particulier cinq messes qui constituent, selon Y. Esquieu, « un retour au répertoire traditionnel (grégorien) de l’Église » (Prov. hist., 1976 : 103 ; P. Avon, Un musicien pour Dieu, Pernes, Études comtadines, 2012).
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