Chapitre II. La villanelle
p. 103-108
Texte intégral
1Ce poème a été bien moins usité que le Sonnet, et donnera lieu à des développements beaucoup moins longs. Lui aussi est d'origine italienne. Il est né à Naples à la fin du xve siècle et fut la chanson populaire napolitaine par excellence jusqu'aux premières années du xviie. La Villanelle, d'abord écrite en dialecte, puis dans la langue littéraire, hésite à ses débuts entre deux types différents. Ou bien elle se compose de distiques à rimes plates, ou bien chacun de ses distiques est précédé ou suivi d'un vers libre. Quoique divers mètres puissent lui convenir, c'est surtout de l'hendécasyllabe qu'elle se sert. Peu à peu cependant elle évolue et présente d'assez nombreuses variétés de strophes liées entre elles ou indépendantes. Elle se répand dans toute l'Europe grâce à la musique qui l'accompagne, car ce poème est fait pour être chanté : « Es un género de copia que solamente se compone para ser cantado » dit un critique espagnol que citera plus tard le Dictionnaire de Richelet. Comme la villanelle a été aussi cultivée de l'autre côté des Pyrénées, quelques métriciens français se sont demandé si elle ne nous était pas venue d'Espagne : opinion fausse assurément, mais assez accréditée pour que A.-Ph. de la Croix en ait fait mention au xviie siècle1. Elle a toujours un caractère rustique, galant et volontiers élégiaque; elle ne comporte qu'une style simple, dépourvu de recherche et d'ornements.
2En France, elle n'a pas de forme fixe, mais possède généralement un refrain. La première en date paraît être celle que Du Bellay a introduite dans ses Jeux rustiques2. Elle est de quatre strophes de huit heptasyllabes, sur les rimes ABABBCBC, les mêmes dans toutes les strophes, avec un refrain de deux vers. De plus le troisième et le quatrième vers de la troisième strophe reparaissent à la même place dans la quatrième, et ce quatrième vers est répété comme cinquième vers de la troisième :
En ce moys delicieux,
Qu'amour toute chose incite,
Un chacun à qui mieulx mieulx
La douleur du temps imite,
Mais une rigueur despite
Me faict pleurer mon malheur.
Belle et franche Marguerite,
Pour vous j'ay ceste douleur.
Dedans vostre œil gracieux,
Toute douleur est escritte,
Mais la douleur de vos yeulx
En amertume est confite.
Souvent la couleuvre habite
Dessoubs une belle fleur.
Belle et franche Marguerite,
Pour vous j'ay ceste douleur.
Or puisque je deviens vieux.
Et que rien ne me profite,
Desesperé d'avoir mieulx,
Je m'en irai rendre hermite.
Je m'en irai rendre hermite
Pour mieulx pleurer mon malheur.
Belle et franche Marguerite,
Pour vous j'ay ceste douleur.
Mais si la faveur des Dieux
Au bois vous avoit conduitte,
Où, desperé d'avoir mieulx,
Je m'en iray rendre hermite,
Peult estre que ma poursuitte
Vous ferait changer de couleur.
Belle et franche Marguerite,
Pour vous j'ay ceste douleur.
3En voici une autre de Desportes, en quatre strophes de huit octosyllabes, sur les rimes ABABCDCD, différentes dans toutes les strophes, sauf que le refrain, qui est également de deux vers, dont le premier varie légèrement tandis que le second reste immuable, ramène les rimes D du premier couplet à la sixième place et à la huitième de chaque strophe, et les rimes C du même couplet à la cinquième place et à la septième de la troisième strophe3. La pièce est très gracieuse :
Rosette, pour un peu d'absence,
Vostre cœur vous avez changé,
Et moy, sçachant cette inconstance,
Le mien autre part j'ay rangé.
Jamais plus beauté si légère
Sur moy tant de pouvoir n'aura :
Nous verrons, légère bergère,
Qui premier s'en repentira.
Tandis qu'en pleurs je me consume,
Maudissant cest esloignement,
Vous qui n'aimez que par coustume,
Caressiez un nouvel amant.
Jamais legere girouette
Au vent si tost ne se vira :
Noms verrons, légère Rosette,
Qui premier s'en repentira.
Où sont tant de promesses saintes,
Tant de pleurs versés en partant ?
Est-il vray que ces tristes plaintes
Sortissent d'un cœur inconstant ?
Dieux ! que vous estes mensongère !
Maudit soit qui plus vous croira !
Noms verrons, volage bergère,
Qui premier s'en repentira.
Celuy qui a gaigné ma place
Ne peut vous aimer tant que moy,
Et celle que j'aime vous passe
De beauté, d'amour et de foy.
Cardez bien vostre amitié neufve,
La mienne plus ne varira,
Et puis nous verrons à l'épreuve
Qui premier s'en repentira. (Bergeries)
4La villanelle de Passerat que citent tous les traités de versification, et que C. Tisseur considère à tort comme le premier exemple du genre, est construite d'une autre manière. Elle se compose de six strophes dont les quatre premières sont des tercets et la dernière un quatrain d'octosyllabes. Les tercets sont sur deux rimes ABA, les mêmes pour tous; chacun d'eux s'achève alternativement par le premier et par le troisième vers du premier couplet, et le quatrain se termine par ces deux vers réunis :
J'ai perdu ma tourterelle
Est-ce point elle que j'oy ?
Je veux aller après elle.
Tu regrettes ta femelle,
Helas ! aussi fais-je moi.
J'ai perdu ma tourterelle.
Si ton amour est fidelle,
Aussi est ferme ma foy;
Je veux aller après elle.
Ta plainte se renouvelle,
Toujours plaindre je me doy;
J'ai perdu ma tourterelle.
En ne voyant plus la belle,
Plus rien de beau je ne voy;
Je veux aller après elle.
Mort que tant de fois j'appelle,
Prends ce qui se donne à toy !
J'ai perdu ma tourterelle,
Je veux aller après elle.
5La Villanelle d'Amidor, d'Honoré d'Urfé, se rapproche de celle de Desportes, sans présenter cependant tout à fait la même structure. Elle est faite de quatre strophes d'heptasyllabes sur les rimes ABABCC; les quatre premières rimes changent de couplet en couplet : mais les deux dernières ne varient pas, car elles appartiennent au refrain qui, légèrement modifié, termine toutes les strophes. Voici cette pièce :
De ce cœur cent fois volage,
Plus que le vent animé,
Qui peut croire d'être aimé
Ne doit pas être cru sage.
Car enfin celui l'aura,
Qui dernier la servira.
A tous vents la girouette
Sur le faîte d'une tour,
Elle aussi, vers toute Amour
Tourne le cœur et la tête.
A la fin celui l'aura
Qui dernier la servira.
Le chasseur jamais ne prise
Ce qu'à la fin il a pris;
L'inconstante fait bien pis,
Méprisant qui la tient prise.
Mais enfin celui l'aura
Qui dernier la servira.
Ainsi qu'un clou l'autre chasse,
Dedans mon cœur, le dernier
De celui qui fut premier
Soudain usurpe la place.
C'est pourquoi celui l'aura
Qui dernier la servira. (Auth., M. Allem, T. I, p. 47)
6Enfin une dernière villanelle, d'une époque un peu plus tardive et dont l'auteur est Sarasin4, repose sur une combinaison encore différente. Elle consiste en huit quatrains de vers hexasyllabiques, selon les rimes ABAB, qui changent dans toutes les strophes, et elle ne possède pas de refrain :
O beauté sans seconde,
Seule semblable à toi,
Soleil pour tout le monde
Mais comète pour moi.
De ces lèvres écloses
On découvre en riant
Sous des feuilles de roses
Des perles d'Orient.
Ces beaux sourcils d'ébène
Semblent porter le deuil
De ceux que l'inhumaine
A mis dans le cercueil.
Pour soulager ma flamme,
Amour feroit bien mieux
S'il étoit dans ton ame
Comme il est dans tes yeux.
Dieux ! que la terre est belle,
Depuis que le soleil
A pris pour l'amour d'elle
Son visage vermeil.
Là-haut, dans ce bocage,
On entend chaque jour
Le rossignol sauvage
Se plaindre de l'amour.
Quittez la fleur d'orange,
Agréables zéphirs,
Et portez à mon ange
Quelqu'un de mes soupirs.
Quand je chante à ma dame
Quelque air de ma façon,
Elle oublie ma flamme
Et retient ma chanson. (Auth., M. Allem, T. II, p. 17)
7On peut éliminer cette dernière pièce, qui n'a de la Villanelle que le nom, et qui tranche sur toutes les autres par ce fait qu'elle est dépourvue de refrain. Elle pourrait aussi bien être intitulée Odelette, ou Stances, ou Chanson. Les autres, sans se ressembler en tous points, présentent quelques caractères communs qu'il importe de faire ressortir. Ce sont des poèmes assez courts, qui se composent d'un petit nombre de strophes, et qui sont écrits en mètres légers, les décasyllabes employés une fois par Desportes n'y étant que l'exception. Le couplet, toujours isométrique, n'est astreint à aucune loi qui fixe d'avance la disposition de ses rimes. Le refrain seul est obligatoire, d'un ou deux vers, et ne manque que dans la pièce de Sarasin, composée à un moment où la Villanelle perdait déjà de son crédit, qui n'a jamais été bien grand. Mais les théoriciens, toujours désireux de prescrire et de réglementer, ont fini par lui imposer une forme dont elle n'a plus le droit de s'écarter. Au xviie siècle, personne encore n'y avait songé. Les définitions des Dictionnaires de Richelet et de Furetière sont en effet très vagues. « C'est une sorte de chanson pieuse ou galante, amoureuse et pastorale », dit le premier, et on lit dans le second : « Chanson de village qui a un refrain », ce qui témoigne d'une certaine indifférence pour un genre déjà passé de mode. C'est au xixe siècle que la Villanelle est devenue un poème à forme fixe, auquel les critiques ont arbitrairement imposé comme modèle le petit poème de Passerat ci-dessus transcrit, parce que Banville, Philoxène Boyer, qui s'en était fait une spécialité, J. Boulmier et d'autres poètes en avaient constamment reproduit le dessin. Ils l'ont ainsi stérilisée, car réduite à ce maigre schéma, elle ne pouvait plus rendre que des accords assez monotones, tandis que, s'ils lui avaient laissé sa liberté primitive, elle avait en elle, par sa naïveté charmante, de quoi s'assurer une existence beaucoup plus longue.
Notes de bas de page
1 A.-Ph. de la Croix, 1694, p. 331.
2 L.-E. Kastner a donc commis une erreur quand il a écrit (« Histoire des termes techniques de la versification », dans la Rev. des Lgues rom., 1904) qu'il n'y avait pas d'exemple de ce mot avant l'Art Poétique de Vauquelin de la Fresnaye.
3 Il existe une autre villanelle de Desportes (Diverses Amours, à la suite du sonnet XXV). Elle est écrite en sixains décasyllabiques, selon les rimes ababcc, différentes dans toutes les strophes, avec un refrain d'un seul vers, altéré dans la dernière.
4 Elle figure dans ses Chansons, ainsi qu'une autre pièce qui porte le même titre, mais qui est réduite à un seul quatrain du même mètre. Ces poèmes étaient destinés à être mis en musique.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les métamorphoses de l'artiste
L'esthétique de Jean Giono. De Naissance de l'Odyssée à l'Iris de Suse
Jean-François Durand
2000
Spinoza et les Commentateurs Juifs
Commentaire biblique au Premier Chapitre du Tractus Theologico-Politicus de Spinoza
Philippe Cassuto
1998
Histoire du vers français. Tome VII
Troisième partie : Le XVIIIe siècle. Le vers et les idées littéraires ; la poétique classique du XVIIIe siècle
Georges Lote
1992
Histoire du vers français. Tome III
Première partie : Le Moyen Âge III. La poétique. Le vers et la langue
Georges Lote
1955
Une théorie de l'État esclavagiste
John Caldwell Calhoun
John Caldwell Calhoun et Gérard Hugues Gérard Hugues (éd.)
2004
Le contact franco-vietnamien
Le premier demi-siècle (1858-1911)
Charles Fourniau, Trinh Van Thao, Philippe Le Failler et al.
1999