Chapitre II. Un espace organisé : institutions et pouvoirs
p. 45-63
Texte intégral
1La construction administrative de la monarchie française a d’abord pris en compte en le remodelant en partie l’héritage des périodes antérieures à l’intégration à l’espace français – soit les institutions locales, élaborées au cours du Moyen Âge, des éléments de l’organisation comtale et l’instance représentative de la population du comté que constituaient les États de Provence. Les rois des xvie et xviie siècles ont mis en place des juridictions inspirées du modèle français et ont imposé leurs grands représentants, réduit les États à la représentation du Tiers, l’Assemblée générale des communautés. Il en résulte une organisation à certains égards originale en matières politique, judiciaire et fiscale. Rappelons qu’en régime absolu, aucune séparation des pouvoirs n’existe, ce qui explique que des organes administratifs ou de grands serviteurs du roi puissent détenir deux ou trois des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire (Pour tout ce qui suit, P. Masson, dir., Les Bouches-du-Rhône, t. iii, reste essentiel. Pour replacer la Provence dans son contexte : P. Sueur, Histoire du droit public français, t. ii, PUF, 1989 ; F.-X. Emmanuelli, État et pouvoirs dans la France des xvie - xviiie siècles. La métamorphose inachevée, Nathan-université, 1998 ; B. Barbiche, Les institutions de la monarchie française à l’époque moderne, PUF, 1999).
Les grands représentants du roi en Provence
Le gouvernement de Provence
2Le grand sénéchal est au moment de l’union le chef de l’administration comtale et de la justice (voir chap. 7). Dès 1489, Charles VIII tenta de le subordonner à un gouverneur qui serait son représentant direct. Leur coexistence souleva de tels conflits qu’il dut y renoncer en 1493. Le roi ajouta au titre du grand sénéchal celui de gouverneur et ce dernier commence à s’intituler amiral des mers du Levant. En 1572, la charge de gouverneur fut disjointe de celle de grand sénéchal, laquelle, quasiment vidée de pouvoirs, sera définitivement supprimée en 1662.
Le gouverneur
3Depuis 1572 la Provence a donc un gouverneur, représentant personnel du roi, grand noble d’épée, aux pouvoirs imprécis, incluant avant tout les fonctions militaires et navales de protection de la frontière et des côtes (il est aussi jusqu’en 1631 amiral des mers du Levant ; l’escadre est commandée jusqu’en 1635 par un général des galères qui peut porter un autre titre au xvie siècle). Les gouverneurs jouent à la fin du xvie et dans la première moitié du xviie un rôle politique de premier plan qui sera assumé ensuite par l’intendant. Le titre étant devenu honorifique au xviiie siècle, le gouverneur appartient dès lors à la haute noblesse de cour. Il peut être un protecteur pour la province et ses principales villes auprès du roi et des bureaux de Versailles. L’ordonnance du 18 mars 1776 qui réorganisa ces hautes charges comprit celui de Provence parmi les dix-huit gouvernements de première classe qui ne pouvaient être confiés qu’à des princes du sang ou à des maréchaux de France.
Le lieutenant général
4Les gouverneurs souvent absentéistes ont été suppléés par des lieutenants généraux. Le plus célèbre est, de 1669 à 1714, François de Grignan, gendre de madame de Sévigné. Il joua en Provence un rôle politique important à la place du gouverneur absent puis dut l’abandonner progressivement à l’intendant ; il défendit activement malgré son âge la Provence lors des guerres de la fin du règne de Louis XIV (Duchêne, 2008). Le rôle de ses successeurs fut plus réduit, l’intendant se souciant de la protection du territoire et le commandant en chef exerçant le commandement effectif.
Le commandant en chef
5Un commandant en chef, lui-même suppléé si nécessaire par un commandant en second, a en effet remplacé au cours du xviiie siècle dans leurs fonctions à la fois le gouverneur et le lieutenant général qui résident de plus en plus à Versailles. Il s’agit d’une étape du cursus d’un noble d’épée de haut grade.
La généralité-intendance d’Aix
Le Bureau des finances
6Composé des trésoriers généraux de France, il constitue le type même de l’organe administratif qui a correspondu à une étape du quadrillage de la France par la royauté avant d’entrer en déclin. De Louis XI à François Ier, les « provinces » nouvellement réunies à la couronne conservent jusqu’au milieu du xvie leur administration financière. À sa tête, les rois avaient placé un « général » (ordonnateur) et un receveur général (comptable). Puis en 1542, le royaume est partagé entre 16 recettes générales ou généralités (23 en 1635, 27 en 1788), dotées chacune en 1577 d’un bureau des finances – la Provence devient alors le ressort de celui d’Aix. Les fonctions de ses officiers, les trésoriers généraux de France, sont ensuite progressivement définies entre 1552 et 1577. Ils ont alors un rôle important à la fois dans la gestion du domaine royal (biens fonciers et immeubles, mais aussi droits régaliens et seigneuriaux, ces derniers dans les localités dont le roi était seigneur) et celle des routes. Leur compétence ne cesse de s’étendre à la fin du xvie siècle et au début du xviie. Mais dans la seconde moitié de ce siècle, ces officiers sont jugés peu dociles ; on leur préfère l’intendant, qui étend ses compétences à leur détriment : par exemple les nouveaux impôts alors créés sont gérés par lui. De plus, l’Assemblée générale des communautés obtient la direction et le contrôle des réparations des routes et chemins ; à partir de 1736 un intendant est chargé à Versailles des Ponts et chaussées ; enfin de larges aspects du domaine royal sont affermés (ainsi à partir de Louis XIV, les salines et marais salants le sont à la puissante compagnie des Fermiers généraux, société privée créée en 1681).
7La royauté n’a pas supprimé les bureaux des finances, car il aurait fallu rembourser ses offices qui sont recherchés – ils confèrent la noblesse personnelle, transmissible après deux générations d’exercice. Les activités essentielles de leurs membres restent le contentieux du domaine et de la voierie. Ils sont jusqu’à la fin de l’Ancien Régime les « grands voyers » qui autorisent les réfections de façades, les alignements dans les villes (du moins à Aix, car ils ne purent imposer leur pouvoir à Marseille), les réparations des bâtiments communaux, du clergé, des hôpitaux.
L’intendant
8Depuis la fin du xvie siècle, les rois envoient en Provence des « commissaires départis », qui y viennent « en chevauchée » temporairement dotés de larges pouvoirs et chargés d’une mission précise. Dreux d’Aubray, envoyé en 1630 (voir chap. 9) est le premier à être appelé « intendant ». À partir de 1673 et jusqu’au début de la Révolution, un « intendant de justice, police et finances » est établi à demeure à Aix. Le roi lui a conféré par une lettre de commission des fonctions dont les limites sont fixées par sa volonté ; il peut le révoquer à tout moment. L’intendant symbolise « le roi présent dans sa province » et est doté de « compétences nombreuses et vagues » (F.-X. Emmanuelli), mais de moyens d’action fort réduits – il a au xviiie siècle sous ses ordres directs une dizaine de subordonnés. On peut énumérer :
- l’exercice personnel de la justice pour des affaires qui lui sont exceptionnellement confiées sur une longue durée : ainsi le contentieux des fermes d’intérêt public de Marseille (voir chap. 3) et celui de la fiscalité indirecte ;
- la police (maintien de l’ordre avec la maréchaussée), la surveillance des conseils de communauté et de l’économie (en particulier le ravitaillement des grandes villes) ; l’intendant a aussi des attributions d’administration militaire, telles l’organisation de la milice, armée de réserve territoriale constituée de célibataires ruraux, créée en 1688, et la gestion des « étapes » pour loger et ravitailler les troupes de passage ;
- les finances : répartition des impôts directs avec les représentants des États et tutelle financière des communautés d’habitants ;
- la surveillance de la généralité : il informait les ministères de ce qui se passait en Provence et fournissait les renseignements que les bureaux de Versailles lui demandaient.
9Au xviiie siècle, l’intendant de Provence exerce la fonction et a le titre de premier président du parlement d’Aix (sauf entre 1771 et 1775). De plus, l’inspection du commerce du Levant (Méditerranée orientale) est ordinairement alors une autre de ses prérogatives. Il surveille ainsi la chambre de commerce de Marseille, et se retrouve protecteur de fait du négoce marseillais. Enfin l’intendant administre directement les terres adjacentes, qui ne sont pas représentées à l’Assemblée générale des communautés et ne relèvent pas de cette dernière. En conséquence, l’intendant séjourne une bonne partie de l’année à Marseille à cause de l’importance économique de la ville ; il y loue un hôtel particulier.
Les subdélégués
10À partir du règne personnel de Louis XIV, les intendants délivrent eux-mêmes des commissions à des agents particuliers qu’ils subdélèguent dans une ville provençale, son terroir et un groupe de communautés des alentours. Les intendants avaient toute latitude pour le choix du destinataire et la durée de la « fonction », sauf entre 1704 et 1715 où les subdélégations devinrent des offices vendus par le roi (Ricommard, Prov. hist., 1964 : 57-58). Les bureaux de Versailles feignaient d’ignorer les subdélégués pour ne pas avoir à les rémunérer.
11Le subdélégué est d’abord pour l’intendant un agent de renseignements qui l’informe de ce qui se passe dans la subdélégation, y compris sur le plan économique. Homme de confiance et parfois peut-être d’influence, le subdélégué représente l’intendant dans la tutelle des communautés. Il exerce une action politique – il a parfois pu influencer le choix des consuls –, et est l’intermédiaire des communautés très endettées avec le contrôle des finances. Le subdélégué exerce aussi localement la plupart des autres pouvoirs de l’intendant, sauf en matière de justice, en en rendant compte à celui-ci et sous sa direction.
12La carte des subdélégations se met en place en Provence vers 1726 et connaît ensuite des retouches (Emmanuelli, Prov. hist., 102, 1975, carte de 1726 ; Emmanuelli, 1974, carte de 1782. Voir carte 3). Il y en avait en 1782 entre 61 et 63, ce qui classe la Provence parmi les parties du royaume où ces circonscriptions ont été les plus réduites, en particulier en comparaison avec celles du Languedoc et du Dauphiné. Le subdélégué est assez fréquemment un notable local, excellent connaisseur de sa petite région ; il peut exercer par ailleurs un office, et surtout être avocat (portrait de l’un d’eux, Desorgues, dans Vovelle, 2003). Parmi les 80 subdélégués de la seconde moitié du xviiie siècle dont la profession est connue, on compte 51 avocats, 13 officiers de sénéchaussée et 6 magistrats (Emmanuelli, 1974).
Carte 3 - Subdélégations

Les circonscriptions judiciaires
13Après l’édit de Joinville en 1535, par lequel François Ier réforma le système administratif provençal (chap. 7), les degrés de juridiction royale sont, outre les justices seigneuriales et municipales :
- le tribunal de la viguerie, des juges ordinaires et royaux ;
- la sénéchaussée et son tribunal, qui juge « en première appellation » (appel) les sentences des juges seigneuriaux (à moins qu’elles n’aillent auprès d’une justice seigneuriale d’appeaux) et celles des juges ordinaires et royaux et qui connaît beaucoup d’affaires en première instance ;
- le parlement qui juge en dernier ressort les sentences de la sénéchaussée pour lesquelles il a été fait appel et juge directement des cas graves.
14À noter, donc, l’absence d’une juridiction intermédiaire, les présidiaux, entre les sénéchaussées et le parlement : Richelieu n’est pas parvenu à en imposer l’établissement en Provence.
15Les ressorts des officiers de finance sont la viguerie et la sénéchaussée. La cour des comptes contrôle leurs activités, qui sont principalement fiscales. Depuis 1561, l’ordre du clergé verse au roi une contribution le « don gratuit » (à ne pas confondre avec celui du pays de Provence, voir ci-dessous), formé de décimes levés dans les diocèses. L’assemblée générale du clergé, tenue à Paris, arrête son montant global et le répartit entre les diocèses. Dans chacun de ces derniers, des bureaux diocésains répartissent la somme exigée entre les assujettis et un receveur des décimes se charge de la percevoir.
Carte 4 -Organisation judiciairedela Provenceet du Comtatàla fin de l’Ancien Régime

Justices subalternes
16Juridictions dites « de justice concédée » : les juristes considèrent que le roi en a concédé les droits à leurs détenteurs, qui ne sont pas des officiers royaux.
Les justices seigneuriales
17Plus de six cents justices seigneuriales existent jusqu’à la Révolution ; elles constituent une instance de proximité dans la Provence rurale, de compétence variable – certaines sont de « haute justice » au criminel (pénal) et peuvent en théorie prononcer une peine capitale (qui doit être confirmée par le parlement). En fait, leur lieutenant de juge, choisi et rémunéré par le seigneur, ne peut se saisir des « cas royaux », affaires définies très largement comme « crimes qui donnent directement atteinte à l’autorité royale et qui offensent la personne du roi comme roi », qu’elles mettent en cause son autorité, sa majesté, la religion qu’il professe ou l’ordre public, lesquelles étaient réservées aux magistrats ayant délégation royale de justice de la sénéchaussée et du parlement. Toutes leurs sentences étaient susceptibles d’appel auprès des tribunaux royaux. Cependant, bien que l’on puisse faire appel des jugements seigneuriaux à la sénéchaussée, subsistent huit justices seigneuriales « d’appeaux » (Grignan, Sault, Les Baux, Grimaud, Carcès, Boulbon, Martigues, Le Bar), où les affaires une première fois jugées pouvaient être rejugées en appel ; on pouvait ensuite faire appel de leurs sentences au parlement. Au xviie siècle, les appels de justice des marquisats et comtés sembleraient relever directement du parlement.
Tribunaux d’arbitrage, ecclésiastiques et municipaux
18Instances d’exception étroitement spécialisées dans l’arbitrage de problèmes techniques propres à une profession qui en a obtenu le privilège dans une ville. Leurs juges sont élus parmi ses membres. Ces tribunaux ne furent pas supprimés par l’Assemblée constituante et existent toujours.
19Le tribunal des marchands, ou du commerce, de Marseille, définitivement organisé en 1474, est une juridiction compétente pour les « faits de marchandise » héritée de l’époque comtale. Puis de telles juridictions consulaires furent officiellement établies dans le royaume en 1569 et redéfinies par l’ordonnance de 1673 dite « Code du commerce ». Une déclaration de 1715 leur attribua aussi la connaissance des faillites et banqueroutes. Les juges-consuls de Marseille étaient membres de la chambre de commerce. L’édit de mars 1710 créa le tribunal de commerce d’Arles.
20Autre héritage de l’époque comtale, la prud’homie des patrons-pêcheurs de Marseille était un tribunal qui se disait « souverain » (parce que sans appel possible), compétent en matière de litiges entre pêcheurs ; son originalité était l’emploi (uniquement oral) du provençal.
21Les autres tribunaux de justice concédée sont d’abord les officialités, tribunaux diocésains, qui ne sont plus guère compétents au xviie siècle, au terme d’un « lent déclin aménagé par les juristes royaux », selon P. Sueur, que dans les causes d’administration des sacrements et de validité canonique des mariages – encore pouvait-on faire « appel comme d’abus » auprès du parlement.
22On doit ajouter des justices municipales, les tribunaux ou « bureaux » de police, découlant du pouvoir de police des consuls, parfois antérieurs à l’union au royaume ou bien mis en place pendant les guerres de religion. À Marseille, les deux juges à compétence civile, dits depuis le xve siècle « de Saint-Louis » et « de Saint-Lazare », et le « juge du Palais », qui jugeait au criminel, sont remplacés par un tribunal de police, créé en 1700, dont la juridiction est exercée par les échevins.
Justices inférieures
23Il s’agit des premiers degrés de la « justice déléguée », le roi déléguant son pouvoir judicaire à des juges qui le représentent et sont des officiers royaux.
L’héritage comtal, les vigueries
24Le Pays de Provence (comté) était lors de son union à la France divisé en sept vigueries et quatorze bailies (ces dernières francisées à partir du xvie siècle en « bailliages », à tort car ce mot correspondait dans la France du Nord à une sénéchaussée), auxquelles s’ajoutait le Val d’Annot, partie restée provençale de la viguerie de Puget-Théniers, passée pour l’essentiel avec son chef-lieu à la couronne de Savoie en 1388. Ces noms désignaient une instance représentative de la population, qui a conservé jusqu’à la Révolution une assemblée générale (formée d’un député – ordinairement le premier consul –, des principales, puis, à partir de la fin du xviie, de toutes les communautés de la viguerie). Et surtout une circonscription judiciaire, administrative et financière autour d’une ville comtale, où est un baile, ou viguier (à partir de 1542, tous ces officiers sont dits « viguiers »), qui a des pouvoirs de police et de justice. Le tribunal du viguier est l’équivalent de celui de la « prévôté » des pays d’oïl. Ce siège était doté d’un « juge ordinaire » pour rendre en permanence une justice de première instance. Certaines villes situées dans une viguerie sans en être le chef-lieu avaient également un « juge royal ». Arles et Marseille, bien que terres adjacentes, avaient un viguier. Les vigueries servent de base à la collecte des impôts directs (voir ci-dessous) par le receveur de viguerie, nommé par les chefs de viguerie (consuls du chef-lieu), puis au début du xviiie par l’assemblée générale de la viguerie – ces dernières figurent dans les cartes des atlas de la France d’Ancien Régime sous cette fonction de « recette des finances ». En 1760, le nombre des vigueries du comté fut réduit à 21 à la suite de la cession de Guillaumes et de sa vallée au roi de Sardaigne (voir carte 4). M. Derlange a souligné que le territoire des plus vastes « ne tenait aucun compte des réalités naturelles », à la différence de celui des plus réduites, qui pouvaient correspondre en Haute-Provence à un « val » et, dans le cas de Barrême, Lorgues et Aups, au territoire d’une communauté (Bry, 1910).
25Ces circonscriptions et leurs officiers subsistèrent avec un rôle réduit jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. De 1542 à 1553, puis à partir de 1572, les viguiers ont des « offices perpétuels » héréditaires et vénaux. À partir du xviie siècle, ils perdent pratiquement tout pouvoir au profit d’organes judiciaires (les sénéchaussées pour la justice pénale qu’ils avaient pu exercer ; les juges ordinaires et les juges royaux conservent la justice civile) ou de corps (les prévôts de la maréchaussée) communs aux autres provinces du royaume et leur rôle devient plutôt honorifique. D’autant qu’ils n’administraient pas la viguerie – c’était le fait des consuls de son chef-lieu, qui portaient pour cela le titre de chefs de viguerie. L’édit d’avril 1749 supprime par simplification administrative dans l’ensemble du royaume les offices de viguiers et de juges ordinaires ou royaux dans toutes les villes qui étaient à la fois chef-lieu de viguerie et siège de sénéchaussée. L’exception est Marseille, où de 1660 à la Révolution la charge de viguier est dans la famille de Fortia de Pilles : le règlement imposé à la ville par le roi en 1660 prévoyait explicitement que le conseil de ville ne pourrait siéger qu’en présence du viguier, « tenant le bâton du roi ».
Les sénéchaussées
26Au Moyen Âge, toute la Provence ne forme qu’une seule sénéchaussée dont le siège est à Aix. L’édit de Joinville crée en 1535 six sièges de lieutenance de sénéchaussée (Aix, Arles, Marseille, Draguignan, Digne et Forcalquier). Les sénéchaussées sont douze à partir de 1664 (créations successives par démembrement de certaines des précédentes de celles d’Hyères, Grasse, Brignoles, Sisteron, Castellane, Toulon), auxquelles s’ajoute la « préfecture » de Barcelonnette, créée par le duc de Savoie, dont le régime est aligné, après le retour de la vallée de l’Ubaye à la Provence en 1713, sur celui des sénéchaussées (voir carte 4).
27La sénéchaussée est dès lors le siège d’un tribunal présidé par un lieutenant-général, assisté de lieutenants particuliers. On y juge en appel les sentences des juges seigneuriaux et royaux et en première instance les litiges importants : problèmes des « soumissions » (contrats), des débiteurs insolvables, etc. Au criminel, les « cas royaux », soit les procès où le procureur du roi est partie principale (fausse monnaie, sédition, assemblées illicites, etc.). On y juge aussi toutes les causes concernant les nobles et plus généralement les causes des privilégiés, celles qui concernent les bénéfices ecclésiastiques et le domaine royal.
28L’édit de Joinville a créé dans chaque siège de sénéchaussée un procureur fiscal et un receveur particulier en remplacement des « clavaires » de la Provence comtale.
Les deux cours souveraines
29Les cours dites « souveraines » (Louis XIV leur ordonnera de se dire « supérieures », lui seul étant souverain) jugent en dernier ressort, sans autre recours possible que la justice directe du roi, qui peut gracier. La chambre, puis cour des comptes, est une institution d’origine comtale, réaménagée selon l’organisation des cours françaises de finances. Le parlement a été institué par l’édit de Lyon en juillet 1501, sur le modèle de celui de Paris. Toutes deux ont pour magistrats des officiers (le parquet excepté) de grande robe (noire pour « Messieurs des comptes », noire, ou rouge pour les occasions solennelles, pour « Messieurs du parlement »). Les deux cours ont été rivales jusqu’à la Révolution pour des conflits de préséance et de compétences, presque toujours gagnés par le parlement, qui n’empêchaient nullement l’intermariage entre les familles de leurs membres.
Le parlement
30Comme les douze autres parlements du royaume, celui d’Aix (au septième rang par ordre chronologique), constitue d’abord le sommet de la hiérarchie des tribunaux provençaux, une grande cour judiciaire qui juge en dernier ressort les causes parvenues jusqu’à lui et donc remontées en appel soit des justices d’appeaux (et, semble-t-il, au xviie siècle, des grands fiefs titrés signalés plus haut), soit en général des sénéchaussées. Il juge en première instance (directement) les « affaires majeures » concernant le domaine royal, les communautés d’habitants, les établissements (universités, collèges, hôpitaux généraux), les corps et personnes « placés sous la sauvegarde du roi » (ainsi tous les procès criminels instruits à l’encontre des officiers royaux de son ressort) et aussi les « cas royaux » les plus graves, relevant du sacrilège ou de la lèse-majesté.
31Il avait aussi un pouvoir plus général de réglementation des communautés d’habitants et des corps de métiers. Le parlement a pris ou autorisé beaucoup de mesures de police générale réglementant les marchés, les métiers et les villes. À l’occasion d’un procès qui avait paru soulever un problème de plus large intérêt ou posait une question délicate d’interprétation des textes de loi, le parlement pouvait prendre avec quelque solennité (les chambres assemblées et les magistrats en robe rouge), souvent sur réquisition du ministère public, un « arrêt de règlement » de portée générale, qui faisait dès lors jurisprudence pour la résolution de situations du même type dans son ressort. Des arrêtistes ont recueilli ces « arrêts notables » dans les archives du parlement et les ont publiés au cours des xviie-xviiie siècles. Le recueil le plus important est celui d’Hyacinthe de Boniface (1670, 2 vol., 3e éd., 1708, 5 vol.), qui a eu ensuite divers continuateurs.
32Comme les autres parlements, celui de Provence avait le droit d’enregistrement et de remontrance. Les lois de la royauté ne devenaient effectives en Provence qu’après enregistrement, soit copie officielle de leur texte dans les registres du parlement. Celui-ci pouvait les interpréter ou les infléchir quelque peu en fonction des nécessités régionales par l’arrêt d’enregistrement qui précisait les clauses techniques de leur application dans le ressort de la cour. Le parlement pouvait refuser l’enregistrement et présenter au roi des remontrances, demander que la loi soit montrée à nouveau au roi avec les objections soulevées par les parlementaires (voir chap. 11).
33Le parlement d’Aix était le seul à avoir le « droit d’annexe », droit d’examiner et enregistrer tous les actes émanant du pouvoir pontifical et d’en autoriser l’exécution ; il s’agit d’un héritage de l’ancien conseil éminent des comtes.
34Enfin ses greffiers n’ont cessé d’enregistrer « à titre gracieux », dans leurs registres dits de « lettres royaux », toutes sortes d’actes émanant de corps de métier, confréries, communautés d’habitants ou communautés religieuses, voire de particuliers. Ces actes excédaient les limites de son pouvoir de vérification (au sens strict, les « lettres royaux » sont des lettres de grâce ou de justice accordées par le roi à des individus, leur accordant des faveurs ou les soustrayant à la loi commune), mais leur enregistrement était sollicité afin d’en garantir la bonne conservation et d’en obtenir en cas de besoin des copies officielles.
35Le parlement de Provence était divisé depuis le xvie siècle en trois chambres :
- la Grand’chambre, la seule où l’on plaidait (les autres statuaient sur dossier),
- la Tournelle (nom repris de celle du parlement de Paris), chambre criminelle,
- la chambre des Enquêtes, qui jugeait des causes sommaires selon une procédure simplifiée, jugeait aussi en première instance des affaires qui pouvaient aller en appel devant la Grand’chambre, instruisait les dossiers et préparait les arrêts pris par la Grand’chambre.
36Après la tentative de création d’une chambre des Requêtes en 1641 qui fut à l’origine de la « guerre du Semestre » (voir chap. 9), la royauté recommença à créer de nouvelles chambres au cours de la guerre de Succession d’Espagne, pour des raisons financières, afin de mettre sur le marché de nouveaux offices. Elle eut soin de leur donner une spécialisation étroite. Soit en 1704, la chambre des Eaux et forêts et en 1705, celle des Requêtes, qui se bornait à recevoir les requêtes pour les causes des personnes et corps privilégiés. Les officiers en place rachetèrent les offices mis en vente pour ces deux chambres – ce que le roi espérait d’ailleurs –, et elles furent intégrées à celle des Enquêtes, à laquelle la première fut officiellement réunie en 1746.
37Une chambre des Vacations était formée pour assurer l’interim pendant les vacances (du 1er juillet au 30 septembre).
38Les magistrats du siège sont à partir du début du xviie siècle des officiers propriétaires de leurs charges, à l’exception du premier président, qui était à la nomination du roi, lequel à partir de 1700 a confié cette charge, on le sait, à l’intendant. Chaque chambre avait plusieurs présidents qui les présidaient par roulement. Les neuf présidents « à mortier » (appelés ainsi à cause de la forme évasée de leur bonnet de velours qui faisait penser au mortier de bronze des apothicaires) présidaient la Grand’chambre et la Tournelle et avaient seuls droit au titre de « président du parlement ». Les trois présidents des Enquêtes n’avaient pas le mortier et étaient « présidents au parlement » ; ils disparurent en 1746.
39Les conseillers étaient 11 selon l’édit de 1501, 14 en 1523, des « crues » (créations de charges nouvelles) à partir de 1541 permettent d’atteindre 45 conseillers à la fin du siècle et une cinquantaine ensuite : 57 (1698), 51 (1700), 57 (1758) et 54 (1783). Parmi eux, un ou deux conseillers-clercs étaient membres du clergé – le plus célèbre est l’abbé Honoré-Gaspard de Coriolis, l’auteur du Traité sur l’administration du Comté de Provence (Coriolis, 1786-1788 et 1867). Le roi nommait parfois des « conseillers d’honneur ».
40La magistrature debout (le ministère public) était constituée par les « gens du roi », soit deux procureurs généraux, quelques avocats généraux (ne pas confondre avec les « avocats au parlement », qui défendent leurs clients) et des substituts. Les gens du roi étaient à la nomination royale, mais la pratique des « brevets de retenue », par laquelle le roi concédait à leurs fils le privilège de leur succéder, les avait rapprochés des officiers.
41Faisaient encore partie de la cour les greffiers, les officiers de sa chancellerie et les huissiers, qui étaient également des officiers.
La cour des comptes, aides et finances
42L’organe administratif central du comté était la chambre des comptes, établie en 1288. À la demande de ses membres, elle fut transformée en 1555 par l’édit d’Anet en cour des comptes, archives et finances, puis devint plus tard cour des comptes, aides et finances ; elle regroupait donc deux institutions ordinairement distinctes ailleurs en France, la cour des comptes et celle des aides (ces dernières étant des impôts indirects). Par cette double compétence, elle n’avait d’équivalent que les cours de Rouen, Montpellier et Dôle.
43En tant que cour des comptes, elle « conservait » le domaine royal et transmettait sur ce point toutes les prescriptions venues de Paris, puis Versailles, au bureau des finances, qui le gérait effectivement depuis 1640 ; elle jugeait les comptes des officiers qui maniaient l’argent du roi, au prix de vérifications lentes et longues ; elle examinait les comptabilités des villes et a ainsi laissé un ensemble considérable d’archives.
44En tant que cour des aides, elle enregistrait les édits fiscaux, autorisait les impositions indirectes et avait surtout pour compétence le contentieux des impôts.
45En tant qu’héritière de la cour des comptes du comté de Provence, elle en a reçu et gardé les archives (et en particulier le « trésor des chartes », les actes comtaux) et a continué de recevoir et d’enregistrer jusqu’en 1790 les hommages vassaliques prêtés au roi-comte par les nouveaux seigneurs entrant en possession d’un fief ainsi que les « dénombrements » (descriptions) de ces fiefs.
46Messieurs des comptes étaient moins nombreux que ceux du parlement. Au xviiie siècle, le premier président était un officier, de même que les cinq présidents et les trente-sept conseillers. Il y avait quelques « gens du roi » formant le ministère public.
Juridictions particulières
Les amirautés
47L’édit de Joinville avait étendu au grand sénéchal en tant que gouverneur la connaissance des affaires maritimes – avec le titre d’amiral des mers du Levant –, mais des offices de lieutenance de l’amirauté avaient aussi été institués à Marseille et à Hyères (ce dernier siège semble supprimé dès 1551). En août 1555, l’édit de Saint-Germain réforme l’amirauté de Provence. Une lieutenance d’amirauté est créée dans tous les ports de quelque importance et y exerce la juridiction de l’amiral, soit la police maritime et le règlement des litiges de la mer en matière de commerce. Outre Marseille, à Arles, Martigues, Toulon, Fréjus, Antibes, puis en 1649 La Ciotat et Saint-Tropez (cette dernière commune avec Fréjus). En fait, Marseille mise à part, ces sièges ne seront pourvus de lieutenants titulaires qu’au début du xviie siècle. À partir de 1631, la charge d’amiral du Levant ne sera plus pourvue. À Marseille, un long conflit de compétence avec le tribunal de commerce sera tranché sous Louis XIV au profit de l’amirauté.
La justice du prévôt de la maréchaussée
48Parmi les fonctions anciennes du viguier, on a vu que celle de la sécurité des routes et des campagnes a été confiée au cours du xvie siècle à un corps spécialisé, la maréchaussée, troupe montée dont le prévôt général a hérité des pouvoirs de justice du viguier pour les soldats, vagabonds, bohémiens et autres « gens de grands chemins ». La justice prévôtale est une justice criminelle qui juge les vols, crimes à main armée, révoltes, sans appel possible (la sentence de mort est d’ordinaire exécutée immédiatement). À partir de 1720, deux sièges de prévôtés existent, Aix et Digne. Le 6 février 1791, la maréchaussée deviendra « gendarmerie nationale » et perdra la juridiction prévôtale.
Le tribunal des monnaies d’Aix
49De 1499 à 1504 existe une charge de général des monnaies, contrôleur administratif et juge, dont le ressort va du Beaujolais jusqu’au Languedoc et englobe la Provence ; puis la chambre des monnaies de Paris assure ces fonctions, non sans conflit de compétence avec la chambre, puis cour, des comptes d’Aix. En 1577, l’édit de Chenonceaux crée un général des monnaies dans le ressort de chaque parlement. Son tribunal est chargé de la surveillance des changeurs et orfèvres et de la sanction des fraudes et falsifications sur les monnaies et métaux précieux. Il est lié à l’Hôtel des monnaies où l’on bat le numéraire (les pièces aixoises portent la marque e). Ce dernier est transféré en 1786 à Marseille, mais le tribunal est maintenu à Aix.
L’administration du « pays de Provence »
L’assemblée représentative, les « États de Provence »
50Le comté est en 1481 un « pays d’États », doté d’une assemblée représentative des trois ordres du « pays de Provence ». Les comtes de la seconde maison d’Anjou avaient dû en particulier reconnaître la légitimité du consentement des États en matière d’impôts prélevés sur le « pays ». Le rôle des États avait été important dans les périodes troublées de la fin du xive et du xve siècle.
51Les États ne reflétaient qu’imparfaitement la composition du peuple provençal, les ruraux n’y étant représentés que par leurs seigneurs. Ils étaient constitués pour le premier ordre, par 48 membres du haut clergé, archevêques, évêques, abbés (chefs d’abbayes), dignitaires de chapitres, commandeurs de Malte, plutôt absentéistes. Pour le second ordre, il fut décidé en 1538 et de nouveau en 1622, après le temps des troubles, que seuls les nobles possédants-fief y siégeraient – ce qui achevait d’en éliminer la partie de la noblesse qui n’était pas fieffée. Le tiers état était représenté par les députés des vigueries du comté, ceux des chefs-lieux de vigueries, et d’autre part les maire ou premier consul des principales villes du comté relevant directement du roi (37 en 1632). À noter qu’Aix et Tarascon avaient droit à deux députés (étude de synthèse : Emmanuelli, Prov. hist., 2010 : 239).
52L’archevêque d’Aix en était « président-né » (président de droit) et en son absence l’archevêque d’Arles. En conséquence du caractère politique du siège aixois, le roi proposera au pape la nomination de prélats dont il connaîtra la fidélité à son égard. Ainsi au moment de la période de tensions de la première moitié du xviie siècle, un Richelieu puis un Mazarin, frères des ministres.
53Ces États n’étaient nullement une caractéristique de la Provence comtale. La plupart des entités territoriales qui entouraient le royaume de France avaient aux xive-xve siècles de telles assemblées représentatives (en Espagne les cortes, en Angleterre le parlement). À la suite des annexions françaises, quinze grandes provinces du royaume en ont au xvie siècle. Ces États provinciaux diminueront en nombre au cours du xviie siècle, soit que le roi cesse totalement de les convoquer, soit qu’il parvienne parfois à les supprimer officiellement. Le Dauphiné perd ainsi les siens en 1628 – Louis XIII les suspend alors sine die. À la fin de l’Ancien Régime, si l’on excepte de petites unités territoriales frontalières, cinq grands pays d’États subsistent : outre la Provence, la Bretagne, la Bourgogne, le Languedoc et la Corse. Parmi les États limitrophes, le Comtat et Orange ont aussi des États. À noter que le comté de Nice n’en a pas.
La Procure du Pays, organe permanent
54Charles III du Maine avait accepté qu’existe en dehors des périodes où étaient réunis les États un organe exécutif permanent de « procureurs et défenseurs des privilèges du Pays de Provence », qui allait devenir la Procure du Pays de Provence. Depuis l’édit de Joinville de 1535, la Procure est constituée par l’archevêque d’Aix, « premier procureur-né du pays », par le premier consul, l’assesseur (conseiller juridique) et le second consul d’Aix, qui étaient « procureurs-nés ». Les lettres patentes de 1543 leur ajoutèrent des « procureurs-joints », un puis en 1578 deux du clergé, deux de la noblesse (désignés par les États puis par l’Assemblée générale des communautés à partir du milieu du xviie) et trois – puis à partir de 1568 deux –, des communautés, pris parmi les villes députant aux États selon un tour de rôle. Les procureurs-joints n’étaient appelés par les procureurs-nés que pour préparer ou prendre des décisions importantes. La réunion s’appelait alors l’« assemblée particulière ».
55La Procure occupait à l’hôtel de ville d’Aix l’aile dite « des États ». La ville d’Aix avait grâce à elle un statut privilégié aux États puis à l’Assemblée. Le rôle de l’assesseur, en général un avocat au parlement, souvent dynamique et ambitieux, était très important, en particulier à l’Assemblée générale. Les procureurs devaient faire exécuter les décisions des États puis de l’Assemblée. Véritables chefs de l’administration provinciale, ordonnateurs des dépenses du Pays, ils correspondaient avec les consuls des communautés pour les leur notifier et, si nécessaire, pour les conseiller. Ils nommaient, contrôlaient et destituaient les quelques officiers du Pays (greffiers, acteurs chargés de suivre les procès du Pays, architectes puis ingénieurs du Pays, agents) et l’agent que le Pays entretenait dans la capitale et qui agissait auprès des bureaux de Paris puis Versailles. Les procureurs et le trésorier général du Pays (ce dernier nommé par les États puis l’Assemblée) étaient soumis au contrôle de la cour des comptes.
L’Assemblée générale des communautés
56L’originalité provençale est d’être à partir de Louis XIII « un pays d’États sans États » (F.-X. Emmanuelli), car depuis 1640 et jusqu’en 1787 la monarchie ne réunit plus que la partie des États qui est représentative du tiers état, l’Assemblée générale des communautés (voir chap. 9 et 12). Cette dernière avait pour premier précédent une réunion à Riez, puis Aix en 1528, pour statuer sur une réquisition exceptionnelle de blé pour l’armée, ordonnée par François Ier, peu après la tenue des États. Elle fut sans lendemain immédiat. Puis d’autres réunions occasionnelles eurent lieu à la place des États, à partir de 1572, et surtout en 1578 (cette dernière avec l’autorisation du parlement), puis au cours de la décennie suivante, en particulier à l’initiative des gouverneurs Henri d’Angoulême et Jean-Louis de Nogaret d’Epernon et du lieutenant général Bernard de Nogaret de La Valette (chap. 8). Au sortir des guerres de religion, elles constituent une institution autonome des États avec lesquels elles vont coexister de façon coutumière pendant quarante ans entre leurs sessions, avant d’en tenir lieu (Hildesheimer, 1935).
57L’Assemblée générale des communautés du Pays de Provence regroupe les maires ou premiers consuls des 37 principales villes du comté de Provence qui siégeaient aux États (carte 5), les procureurs-nés et les « procureurs-joints » pour le clergé et la noblesse (ceux du tiers représentaient leurs propre ville). Elle était présidée par l’archevêque d’Aix ou, en son absence, par le doyen des deux évêques procureurs-joints du clergé. Les députés ne devaient pas être officiers de justice, ni receveurs de viguerie, ni subdélégués.
58L’abbé de Coriolis estime, à la fin de l’Ancien Régime, que « ces corps imparfaits ne peuvent représenter que très faiblement le corps national ». L’assemblée ne correspond qu’au comté stricto sensu ; les terres adjacentes en sont exclues, même si les deux villes importantes qui ne sont pas du comté, Arles et Marseille, y délèguent alternativement un « syndic des communautés absentes », observateur sans droit de vote. Jusqu’à sa suppression, par arrêt du conseil de décembre 1713, exista un « syndic des communautés » qui aurait représenté celles qui n’avaient pas droit de députation, avec seulement voix consultative (il fut remplacé par le syndic du Pays, chargé d’en suivre les affaires financières). L’évolution démographique a donné une importance urbaine à d’anciens bourgs ou villages : c’est le cas au xviiie siècle d’Allauch, Aubagne, La Ciotat, La Cadière, qui dépassaient les 3 000 habitants et n’étaient pas représentés à l’Assemblée. La question fut posée lorsque le traité de Turin remit au royaume de Sardaigne en 1760 Guillaumes, qui députait à l’Assemblée. La décision versaillaise de la remplacer par le bourg proche d’Annot, resté provençal, suscita des protestations. En 1774 la communauté d’Aubagne obtint le principe de son entrée à l’assemblée, mais il n’est pas assuré qu’elle ait été effective.
Carte 5 - Villes députant aux États à la fin de l’Ancien Régime

59La composition sociale de l’Assemblée n’excluait pas en fait la noblesse, dès lors que les maire et consuls des villes étaient pris parmi les notables locaux : de Louis XIV à Louis XVI, un gros tiers de nobles y siège, le reste étant constitué par les « métiers à talents » – un tiers de roturiers de robe, avocats pour l’essentiel, 8 à 9 % de médecins – et pour le restant, des « bourgeois » (rentiers).
60L’Assemblée, après s’être réunie dans diverses villes, se tenait depuis 1664 à Lambesc ; elle était convoquée par ordre du roi, entre octobre et décembre. Elle durait, sauf exception, après 1671 (voir chap. 9), une quinzaine de jours, et même moins d’une semaine au xviiie. Les députés étaient astreints à assister à toutes les séances ; ils recevaient une allocation journalière pour indemnité. Ils opinaient de leur place, à voix haute. Le trésorier du Pays et l’agent du Pays assistaient à la tenue de l’Assemblée, mais sans droit de vote. Après chaque assemblée, un cahier de remontrances (vœux, plaintes, défense des privilèges provençaux) était remis au roi. À noter qu’outre ses fonctions fiscales, un des rôles de l’Assemblée, nullement négligeable, fut au xviiie siècle d’emprunter pour le compte du roi.
61Le roi y était représenté par le gouverneur ou le lieutenant-général et ensuite le commandant en chef. Ce dernier se bornait à assister à l’ouverture dès lors qu’un commissaire de robe, presque toujours l’intendant, y était présent et venait y jouer un rôle actif.
Attributions des États et de l’Assemblée générale des communautés
62Un rôle fiscal avant tout. Selon Coriolis, « à la nation seule appartient en Provence le droit de répartir l’impôt : le roi en fait former la demande par les commissaires, la nation l’accorde et le répartit ». En théorie, quand le roi crée un nouvel impôt, l’Assemblée doit en être saisie et peut en proposer le paiement par abonnement ; mais Louis XIV et Louis XV ne respectèrent pas cette règle. Chaque année, le roi demande à l’Assemblée de mettre en délibération et de voter le montant qu’il souhaite pour le « don gratuit » du Pays, lequel correspond à la taille des pays d’élection, augmentée des « vieux droits » médiévaux, hérités des comtes (albergue, cavalcade, queste, leydes, etc.) – pour ces derniers, le Pays a obtenu en 1697 l’abonnement, soit le versement d’une somme fixe – et encore des droits de fouage (contribution extraordinaire en temps de guerre devenue annuelle), de taillon, créé en 1549 pour l’entretien de la maréchaussée, de subside (rachat en 1561 d’une taxe sur les vins), ainsi que divers autres droits sur les huiles et les alcools, qui finirent par être abonnés au xviiie siècle. S’y ajoutent au xviiie siècle les nouveaux impôts directs, la capitation (1695, définitive à partir de 1701) puis le dixième (1710-1717, rétabli annuellement en 1733), remplacé en 1749, puis 1756, puis 1760 par les trois vingtièmes, autant d’impôts dont le parlement et l’Assemblée générale des communautés ont obtenu l’abonnement pour la Provence, soit le versement chaque année d’une somme fixe, perçue par les trésoriers des communautés sous le contrôle de l’intendant avec le concours de la Procure du Pays. L’ensemble forme les « deniers du roi », que Coriolis définit ainsi : « tout ce qui est directement porté au trésor royal ou payé à sa décharge, sans que l’emploi en soit immédiatement réversible à l’utilité du pays ». S’y ajoutaient encore les dépenses que le roi imposait à la province pour sa sécurité, qui ne pouvaient faire l’objet de délibération, soit en particulier les appointements du gouverneur et du lieutenant général. Il en était de même pour les frais de troupes en garnison ou même de passage, imposés aux Provençaux depuis le milieu du xviie siècle – ces derniers en fait étaient inclus dans les « deniers du Pays » car la Procure les remboursait aux communautés qui subissaient la présence de la soldatesque.
63À cette exception près, l’Assemblée fixait les « deniers du Pays », correspondant au montant de ses propres frais d’administration et de tenue et à celui des dépenses engagées pour les travaux « d’utilité publique » qui lui incombaient. La Procure du Pays entretenait avec les vigueries depuis 1644 les « grands chemins de la province », définis en 1757 par les routes royales de première catégorie ou classe (de Provence à une autre province et d’une ville importante à une autre) et de seconde catégorie (d’un chef-lieu de viguerie à un autre chef-lieu). On peut citer aussi des contributions aux travaux d’entretien des rives des rivières et d’endiguement de torrents, à la construction de quelques canaux, des secours à des communautés ayant subi des catastrophes naturelles, des subventions et encouragements à des entreprises de manufacture (essentiellement textiles). Enfin, des frais d’assistance correspondant à l’entretien des enfants abandonnés (à partir de 1763). L’assemblée aida à l’impression d’ouvrages et commanda à Jean-Joseph Julien et Jean-Pierre Papon leurs grandes études (chap. 11). En revanche, elle refusa de subventionner la diffusion de la célèbre « machine pour la démonstration des accouchements » de Madame du Coudray.
64L’Assemblée répartissait ensuite entre les vigueries la somme totale à réunir. À l’intérieur de chaque viguerie, la somme que cette dernière devait fournir était répartie par les procureurs du Pays entre les communautés en fonction de leur affouagement, évaluation du nombre de feux fiscaux affecté à chacune d’entre elles. Le feu était une unité de compte mesurant les capacités contributives de chaque communauté en fonction de la valeur de ses biens-fonds roturiers. Cette valeur avait été estimée lors d’une opération d’affouagement, grande enquête économique menée en 1390 puis, après plusieurs révisions, en 1471. En 1540, la cour des comptes la mit à jour pour les terroirs créés ou repeuplés. Des réaffouagements eurent ensuite lieu en 1664-1665, 1698, 1728-1731, et une révision partielle en 1774-1776 (Derlange, Prov. hist., 1982 : 129 et sa thèse, ainsi que celle de Pichard). Le comté totalisait un peu moins de 3 000 feux fiscaux (2 912 en 1471 et 2 954 en 1728) et les terres adjacentes immuablement 284. Marseille n’était pas affouagée : la ville avait le privilège d’être exemptée de la « taille » – mais non des nouveaux impôts directs, abonnés, que les Marseillais durent contribuer à acquitter. Les terres adjacentes versaient directement leur part au receveur général des finances de la généralité. Les nobles devaient également contribuer au paiement de l’abonnement de la capitation et des dixièmes puis vingtièmes ; leur part, perçue directement par les agents du Pays, était appelée l’afflorinement.
65Dans les vigueries, les procureurs du Pays ont pour correspondants les chefs de viguerie (à ne pas confondre avec le viguier, officier du roi), soit le premier consul de chaque chef-lieu, qui siège à l’assemblée des communautés – tous les chefs-lieux de viguerie font partie des 37 villes qui y députent. Jusqu’en 1639, l’assemblée générale de la viguerie désignait son propre député aux États parmi les autres communautés de la viguerie (sauf évidemment Aups, Barrême et Lorgues, dont la viguerie correspondait à une seule communauté d’habitants). Elle conserva ensuite son rôle administratif et fiscal et remettait au chef de viguerie ses plaintes et doléances qu’il présentait à l’Assemblée générale des communautés. Les vigueries sont le cadre de la collecte des impôts directs. Leur receveur reçoit des trésoriers des communautés le contingent que chacune d’entre elles doit verser et il transmet la somme totale imposée à la viguerie au trésorier général des États. Les vigueries financent la lutte contre les loups, systématique à partir du xviie siècle grâce à un système de récompenses (Alleau, Histoire et sociétés rurales, 2009 : 32), elles participent à l’entretien des chemins principaux, et surtout à la construction et l’entretien des chemins secondaires, reliant les communautés entre elles, ainsi que de leurs ponts. C’est devenu au xviiie siècle l’occupation principale de l’Assemblée générale de la viguerie – désormais composée d’un représentant de chacune de ses communautés d’habitants et non uniquement des principales –, qui se réunit en théorie à partir de 1779 chaque année un jour ou deux avec un fort absentéisme – les consuls d’Aix cessèrent de convoquer la leur entre 1730 et 1788.
66Rappelons que l’État royal d’Ancien Régime laisse hors de son champ d’intervention directe de très larges aspects de la vie du royaume, ne dispose que d’un nombre très restreint à nos yeux de « serviteurs », concède des aspects de son pouvoir régalien (la justice seigneuriale, la perception des impôts indirects). L’administration royale d’Ancien Régime a pour tâche essentielle de rendre la justice à un niveau moyen et supérieur, de superviser la perception des impôts directs et la gestion des communautés d’habitants, de protéger la province des incursions ennemies et d’y faire à peu près régner l’ordre.
67Les Provençaux étaient-ils plus ou moins favorisés que les autres habitants du royaume ? La réponse est difficile à apporter, d’autant qu’elle n’a été souvent envisagée que d’un point de vue fiscal. Ils étaient, on le sait, plus favorisés que les habitants du Bassin parisien en ce qui concerne la gabelle. J.-J. Julien définit en 1778 deux atouts de la Provence par rapport aux régions de tailles personnelles et aux pays d’élection :
Le pays de Provence, dans le payement de ses tailles, a deux avantages qui en rendent la charge plus supportable. Le premier est que les tailles y sont réelles. Ce sont les biens qui y sont cotisés, suivant leur juste estimation. Et le second, que la levée en est faite par le pays même, qui est régi par des États.
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