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Aristote et le soi-même

p. 57-71


Texte intégral

1J’ai résolu de distinguer pour commencer quatre acceptions possibles du soi-même dans le cadre de mon corpus, qui se circonscrit très strictement à l’Éthique à Nicomaque et plus particulièrement au traité de la φιλία, et plus précisément encore de la philautie. J’ai résolu de rechercher le sens du soi-même en écartant d’autres voies que j’indiquerai éventuellement plus loin : j’ai voulu privilégier la piste éthique pour rechercher un soi-même dans ses différentes strates, qui seraient tour à tour la strate vitale, la strate pratique et la strate noétique. Je me plais à pouvoir anticiper en partie sur l’article d’Isabelle Koch sur le soi-même noétique, qui se trouve être une des directions de l’analyse aristotélicienne, en particulier au livre X de l’Éthique à Nicomaque.

2Ces trois strates vitale, pratique et noétique, j’aimerais les soumettre à l’examen de mes quatre acceptions du soi-même, que je vais préciser en me fondant sur Éthique à Nicomaque IX, 4. Il s’agit en effet pour Aristote – je précise le contexte étroit – d’analyser la φιλία, ou l’hétérophilie, à la lumière des standards de l’amitié avec soi-même ou philautie : love of myself1. Dans cette soumission de l’amitié comme hétérophilie au standard de la philautie, Aristote va justement faire apparaître ces quatre acceptions – il est très remarquable qu’il les fasse apparaître ensemble. Je précise. La première, celle qui doit apparaître logiquement dès le début, est l’acception exclusive : être soi-même et non pas un autre. On l’a déjà entrevue, y compris dans le corpus homérique et en partie dans certaines acceptions platoniciennes. Cette acception exclusive, qui est peut-être d’une certaine manière la plus large, fait apparaître une autre acception : être vraiment soi-même, non pas simplement to be myself, mais my true self ou my real self. De fait, cette acception essentielle du soi-même va être mise en corrélation étroite avec le soi noétique, c’est-à-dire dans le langage d’Aristote, et tout particulièrement dans les livres IX et X de Nicomaque, le νους. Le νους figure en effet dans ces analyses d’Aristote le vrai soi-même ou le soi-même essentiel2 – tant en ce qui concerne l’amitié que le plaisir, ou dans l’analyse des genres de vie ou vies, la vie pratique et la vie théorétique. Est-ce à dire qu’il faille identifier l’acception essentielle et l’acception exclusive ? Je ferai une réserve sérieuse et préjudicielle à ce sujet. Faut-il dire – c’est un des problèmes que je voudrais soulever – que l’être réellement soi-même épuise en quelque sorte l’être soi-même ? Tel n’est pas le cas dans le propos d’Aristote.

Le simple soi-même, le soi-même essentiel, le soi-même graduel

3Aristote distingue bien l’être simplement soi-même, to be merely myself, et l’être essentiellement soi-même, qui serait une composante du précédent, mais une composante essentielle au point qu’Aristote pourrait dire : ce que je suis vraiment, c’est mon νους ; ou : ce que chacun de nous est – ce qui convient davantage à la littéralité de ces textes – c’est son νους.

4Devant la nécessité de distinguer ces deux premières acceptions, et si l’on m’accorde cet écart, je dois alors faire une première hypothèse exégétique. N’est-il pas possible, dans la considération de ces passages sur la philautie, au livre IX de Nicomaque, à partir de 4, d’introduire ce que l’on pourrait appeler une conception graduelle du soi-même ? C’est sans doute une première difficulté par rapport à la première acception, j’en conviens, et je vais d’abord en un certain sens l’accuser. Je ne suis pas toujours pleinement moi-même : je ne suis pas toujours à la hauteur de moi-même, je suis en reste par rapport à moi-même. Il est arrivé à Platon de le penser dans certains passages, ne serait-ce que dans des passages de la République : je renvoie à la tripartition de l’âme et à la fonction du θυμός qui peut en quelque sorte rappeler au soi qu’il n’est pas toujours précisément à la hauteur de soi3. Il me semble qu’Aristote va explorer lui-même cette veine d’un soi-même qui aurait le sentiment – et c’est très clair en effet dans le cas de l’analyse de la philautie – qu’il ne serait pas complètement à la hauteur de son vrai soi-même : auquel cas le soi-même essentiel serait le cœur du soi-même exclusif, ou initial. Pour être moi-même, il faudrait que je sois plus que le simple fait de ne pas être un autre que moi-même. Ce qui m’amène, soit dit en passant, à distinguer clairement, en des termes qui sont délibérément anachroniques mais philosophiquement sans doute adéquats, l’ipséité et l’identité. La question que j’aborde n’est pas tant celle de l’identité – même si je ne pourrai évidemment pas, comme ma première acception le laisse entendre, l’écarter complètement – que celle de l’ipséité, qui me retiendra.

5L’ipséité serait-elle donc graduelle ? Aristote nous invite-t-il à faire cette hypothèse d’un soi-même qui serait susceptible de progresser en lui-même, voire de régresser, ce qui est le cas par exemple de ce type d’homme qu’il appelle l’ἀκολαστός, et que je proposerai de rendre par « l’incorrigible4 » ? Il se pourrait bien que certains soi-mêmes n’aient pas été à la hauteur d’eux-mêmes au point de ne plus être eux-mêmes. Le soi-même est-il amissible ou inamissible ? Cela peut sembler étrange, si du moins on en reste à la première acception, à savoir le simple fait de ne pas être autre que soi-même, le sens que j’appelle exclusif et que d’aucuns appellent tautologique. L’identité du soi-même n’est pas tant ce qui intéresse Aristote que la normativité du soi-même, et c’est alors à la lumière de cette normativité qu’il se permet de distinguer des types éthiques, qui seraient respectivement, si je m’en tiens à sa tripartition (parce que ce pourrait être plus complexe) : l’ἀγαθὸς ἀνήρ, l’ἀκρατής et l’ἀκολαστός. Il faut bien que leur ipséité soit susceptible d’être cultivée, faute de quoi je ne vois pas comment on pourrait distinguer des types éthiques et une culture de soi qui a à prendre un τέλος pour point de visée. Or, ce τέλος est précisément le soi-même essentiel et non pas le soi-même exclusif.

6Je prendrai donc le soi-même exclusif, le simple soi-même, le « ne pas être un autre », pour basse continue de cette analyse, je le supposerai existant comme le fait Aristote (il n’y a pas de paradoxes de l’identité), pour me diriger plutôt vers une exploration de la profondeur du soi-même. Par là, je n’entends pas l’intériorité, mais une profondeur pratique du soi-même, une vie du soi-même, qui serait susceptible non pas tant de strates (et à cet égard la comparaison avec Plotin pourrait être intéressante, mais je la laisse en pointillés) mais de points d’arrêt dans une progression possible. Pour que je ne sois pas suspect d’une plotinisation hyperbolique ou indue d’Aristote, je précise que je ne suis pas d’avis qu’il faille faire tendre Aristote vers une problématique de la simplification au sens du Traité 1 de Plotin : l’ἁπλῶσις5. En effet, je ne crois pas qu’Aristote ait pu tenir pour possible l’absolue simplification, même si – et de fait ces deux dossiers ne sont pas déconnectés – il tient par ailleurs le soi essentiel pour simple. Que le soi essentiel, pour Aristote, soit simple, cela est démontré par le fait qu’il puisse dire par ailleurs que notre nature (qui alors excède le νους) n’est pas simple. Notre nature en tant qu’homme, c’est-à-dire en tant que composé âme-corps6, n’est pas simple, mais le νους, lui, l’est. Nous avons donc déjà à nous mouvoir entre cette non-simplicité, cette multiplicité qui est une limite pour nous, et cette simplicité qui serait alors celle d’un τέλος. Le soi noétique serait la direction d’une tendance de celui que j’appellerai malgré tout le « sujet ». Je vais préciser ce qu’il est possible d’entendre par là. Ce serait en un certain sens l’idéal du sujet, plutôt que la possibilité de s’accomplir pleinement. C’est une plénitude visée, ce n’est sans doute pas une plénitude possible, du moins pour l’homme pris en tant qu’homme si l’on peut dire. On pourrait peut-être parler de simplification, mais alors il faudrait l’entendre dans un sens purement tendanciel. Il ne faudrait pas lui prêter le caractère que l’on prête parfois à l’ἁπλῶσις plotinienne, celui d’une réalisation. Ce soi-même doit se voir attribuer une vie, et je me suis interrogé sur la possibilité de le faire échapper à la pure introversion. Je suis assez sensible aux remarques présentées à propos d’Homère qui écartent justement la fausse piste de l’intériorité, pour mieux insister sur la façon dont le soi devient soi-même, puisque être soi-même n’est sans doute pas une condition, mais sans doute bien plutôt une acquisition. Quelles médiations faut-il supposer entre soi et soi-même ?

Le rapport de soi à soi-même

7Essayons d’identifier le concept de soi en termes aristotéliciens pour mieux saisir la différence qui pourrait être celle du soi-même. Le rapport de soi à soi-même, Aristote sans ambages le conçoit comme un rapport de distance, de telle sorte qu’il faille que le soi soit actif pour pouvoir se prévaloir d’un soi-même. Il n’a pas d’emblée par nature un soi-même, ce soi. Il faut donc s’interroger sur αὐτός pour dégager la figure d’un soi-même dans la vie même de cet αὐτός.

8Que pourra-t-on tout d’abord entendre par αὐτός ? Il faut reconnaître que le dossier n’est pas extraordinairement circonstancié, hormis bien entendu les questions d’origine de la perception. Or, ce n’est pas tellement la question de la perception (j’en parlerai mais de manière plus fugitive, il en est question en effet en Éthique à Nicomaque IX7) mais plutôt la question de la πρᾶξις qui nous intéresse. Αὐτός est l’ἀρχὴ πραξέως dont il est question dans l’Éthique à Eudème lorsqu’il s’agit de définir les hommes comme des agents. Ils sont définis comme principes contingents d’actions contingentes8. Il est bien évident que le soi qui est l’origine d’une action sans être nécessairement le principe exclusif de cette action, le soi comme origine putative d’une action, a à entrer en rapport avec soi-même par une sorte de perception intime du fait qu’il est cette origine. Il faut s’éprouver agissant pour pouvoir se percevoir comme soi-même – et c’est là que la question devient délicate : y a-t-il effectivement une autonomie de la sphère pratique à l’intérieur de la délinéation de la sphère du soi, dans l’éthique d’Aristote ? Le fait que nous nous trouvions dans un registre éthique ne suffit pas à le prouver. Pourquoi me suis-je posé cette question précisément ? Parce que, dans la sphère même de l’action, le νους est investi, comme on le sait à la lecture du livre VI de l’Éthique à Nicomaque9. C’est comme si, dans la sphère de l’action, le νους, c’est-à-dire le soi-même essentiel, était investi, mais en surplomb. Ce qui veut dire que le νους n’est nullement absent de l’initiative de l’action, comme on le sait justement en lisant Éthique à Nicomaque VI, mais encore que le sujet agissant (ou, pour être plus déflationniste, l’agent) est conçu comme un νους, mais comme un νους qui n’est pas à l’état pur : car il y a le célèbre principe, formulé en De anima III et Éthique à Nicomaque VI, selon lequel le νους ne meut rien par lui-même, autrement dit n’est pas πρακτικός10. L’expression νους πρακτικός n’est pas analytique chez Aristote.

9Il faut donc nous demander ce qu’est cet αὐτός agissant, et dans quelle mesure il implique bien le νους qu’il n’est pas complètement, mais qu’il est pourtant aussi. Quelle différence alors faudrait-il postuler entre cet αὐτός et, si l’on peut dire, sa composante essentielle qui serait le νους, son essence agissante mais qui n’épuise pas son ipséité ? S’il y avait quelque chose qui ne puisse pas être versé au compte du soi essentiel dans la description de cet αὐτός, ce serait l’ὄρεξις, puisque la définition complète de l’agent serait d’être un intellect désirant – c’est ce qui apparaît précisément dans le chiasme de Éthique à Nicomaque VI : un intellect désirant ou un désir pensant, tel est l’agent. Mais alors, pour passer du soi au soi-même, ne faut-il pas déjà envisager de décoller légèrement du plan purement pratique ? Ou plutôt, parce que ce serait un faux problème alors que de vouloir que nous ne soyons plus dans la πρᾶξις (nous ne sommes pas encore dans la θεωρία que je sache), il s’agirait d’isoler à même la πρᾶξις ce νους qui s’investit en elle, mais en le lestant de l’ὄρεξις, qui n’appartient pas à son régime naturel d’exercice, comme nous le dit le De anima. Le soi serait le plus souvent un intellect désirant, et c’est l’orectique qui lui interdirait d’être son soi essentiel, d’être seulement son soi essentiel ; ce par quoi le soi est soi-même ne pourrait pas être strictement identifié à ce qui est essentiellement soi en lui-même. L’écart entre l’exclusif et l’essentiel serait donc d’une certaine manière le moteur de cette analyse. Cet écart entre les deux acceptions m’amène à préciser la gradualité que je recherche pour le concept du soi-même.

10Ne pas être toujours soi-même, qu’est-ce à dire ? Est-ce parce que le νους n’a pas réussi à être déterminant dans toutes les actions, est-ce parce que son ascendant est bafoué dans nos actions, ce qui est, je le rappelle, le cas de l’ἀκρατής et, à plus forte raison, de l’ἀκολαστός ? L’ἀκρασία est un excellent contre-exemple au livre VII de l’Éthique à Nicomaque11 précisément parce qu’elle met en évidence une sorte d’échec de l’ascendant du νους sur les actions, et par là-même un défaut de simplicité, comme l’attesteraient certaines analyses du De caelo lorsqu’il est question de la πρᾶξις12. Il est clair en effet que pour Aristote – et c’est peut-être là que la connexion Plotin-Aristote se ferait avec le plus de précision et de pertinence –, à mesure que l’on monte dans l’échelle de la πρᾶξις, et cela jusqu’au premier moteur, jusqu’au dieu (puisqu’alors la πρᾶξις est prise dans son sens le plus large), on va de l’errant vers le nécessaire, et du multiple vers le simple.

11Je ferai donc une seconde hypothèse. Notre rapport à nous-mêmes ne peut pas être un rapport de pure intériorité. Je le qualifierais volontiers de rapport extatique, dans la mesure même où, non seulement en Éthique à Nicomaque X où le point est le plus évident, à propos de la vie théorétique, mais encore en Éthique à Nicomaque IX où on l’attendrait moins, dans le rapport de soi à soi dans la philautie, le soi essentiel est qualifié de divin par Aristote. Il est qualifié de divin sans être pour autant identifié avec le dieu : le dieu n’épuise pas le divin aristotélicien. Il n’en figure pas moins quelque chose que je ne dirais pas, pour adopter une formule qui sera plus tard célèbre sous la plume d’Augustin, être « plus intérieur à moi que moi-même »13 – parce que je pense que dans le cadre aristotélicien ce n’est pas cela – mais que je formulerais plutôt ainsi : être en quelque sorte plus moi que moi-même. Et cet arrimage de soi au νους comme le vrai soi-même suscite un paradoxe considérable, qui a d’ailleurs été relevé dans la littérature : d’une certaine façon, il n’est pas certain qu’en étant vraiment soi-même on soit vraiment singulier, et à cet égard le passage de l’acception exclusive à l’acception essentielle fait vraiment problème. Si vous accentuez l’essentialité du νους, il se peut que vous perdiez en singularité. Mais si vous vous bornez à l’acception plus triviale qui est l’acception exclusive, mais qui n’en est pas moins importante, alors vous avez peut-être gagné tautologiquement en singularité, mais vous avez perdu en simplicité. Le simple et le singulier – en cela nos intuitions sémantiques de modernes sont déjouées – ne coïncident pas dans la pensée d’Aristote. Si je vais vers le simple, il se peut (je ne m’y attends pas en effet naturellement) que le soi-même ne me fasse pas ultimement percevoir son acception de singularité. Et il n’importe peut-être pas tant à Aristote que nous allions vers la singularisation qu’il ne lui importe que nous allions vers la stabilisation.

12Je partirai donc du principe contingent d’actions contingentes – je reprends la formule de l’Éthique à Eudème, plus claire que le premier chapitre de l’Éthique à Nicomaque VI qui se pose la même question14 – pour m’interroger sur la façon dont la culture de soi-même peut, peu à peu, faire décroître cette contingence de l’agent. J’interprète l’éthique d’Aristote comme une sorte de trajectoire vers l’épuisement de la contingence de l’agent qui culminerait dans le νους, dans un effort qui ne pourrait avoir pour terme une parfaite coïncidence. La stabilisation de l’agent contingent ne pourrait pas être achevée, mais elle n’en est pas moins effectivement poursuivie. L’éthique ne peut pas se contenter de ratifier sans autre effort la pure contingence de l’agent contingent, sinon elle ne serait même pas ce qu’elle doit être d’après son nom.

13J’insisterai sur deux directions à présent, qui en un certain sens sont inverses, pour qualifier ou décrire cette vie du soi-même, qui part d’un singulier contingent pour se diriger vers un principe essentiel, qui ne serait ni intime ni extérieur, mais qui serait une normativité immanente du soi-même. Ces deux directions sont celles de la philautie et de l’hétérophilie. La première suppose un rapport de moi à moi-même comme autre, la seconde15 tend vers un rapport de moi à l’autre comme autre moi-même.

14Si, d’une part, j’insiste sur la philautie, il faut en effet à Aristote justifier ce qui pourrait sembler très étrange de prime abord dans la façon qu’il a de penser la φιλία. Étrange, dans la mesure où il se permet, allant au rebours d’antithèses trop triviales à ses yeux, de concevoir l’hétérophilie sur le standard de la philautie, ce qu’il fait à deux reprises au moins dans le livre IX de l’Éthique à Nicomaque, c’est-à-dire dans le second livre de ce qui est un seul et même traité sur la φιλία, aux livres VIII et IX de Nicomaque. Aristote de dire : y a-t-il une impossibilité à concevoir la philautie, l’amour de soi-même, comme le modèle ou le paradigme de l’amitié ? N’y a-t-il pas une difficulté qui tienne à ce que le soi-même soit un bloc, et que de fait je n’y apercevrai pas cette relation qu’il est nécessaire de postuler pour faire de la philautie le modèle de toutes les φιλίαι ? C’est alors qu’il a cet argument, très intéressant, sur lequel je ferai un arrêt sur image – je ne m’intéresse pas à la démonstration dans son ensemble, je me focalise sur cet argument parce que je le verse au compte de ma discussion sur le soi-même et sa culture. Cet argument est le suivant : en fait nous ne sommes pas un. Il faut nécessairement concevoir entre soi et soi-même un rapport de dualité qui n’est pas un rapport de connaissance (nous ne sommes pas ici dans les poncifs sur la connaissance de soi et la dualité qu’elle comporte). La dualité présente un tout autre visage, parce que les deux termes ne sont pas de même niveau dans l’argument qu’apporte Aristote. Moi et moi-même, si je prends moi-même au sens essentiel cette fois-ci, nous ne sommes pas de même niveau : à cet égard on est plutôt du côté de Marc Aurèle et de Plotin. Il y a des concordances patentes, non pas au point qu’on puisse parler d’un culte de soi-même comme ce sera le cas dans les Pensées de Marc Aurèle, ou de son propre génie ; mais le soi essentiel est perçu par le soi de premier niveau comme plus élevé que lui, ayant plus de valeur que lui, de telle sorte que les égards que, dans la philautie, on a pour soi-même puissent servir de modèle aux égards qu’on aura pour l’ami, puisque précisément l’amitié consiste à agir dans l’intérêt de l’autre. Donc agir ἑαυτου ἕνεκα dans le cadre de la philautie, c’est précisément agir dans l’intérêt de l’autre que le soi-même est pour le soi. C’est très clairement ainsi qu’Aristote présente les choses : il faut bien qu’il y ait, au sein de l’acception exclusive qui ferait de chaque soi-même l’autre de tous les autres, une altérité inclusive, ou incluse, qui, creusant l’écart ou accusant la distance entre le soi et le soi-même, permettrait de penser dans la vie errante de l’agent contingent un point fixe qui serait précisément my true self, my real self, c’est-à-dire le νους, en termes aristotéliciens, ou, comme il le dit, la partie par laquelle nous pensons16. Ce qui ne veut pas nécessairement dire : la partie par laquelle nous pensons et ne faisons que cela, puisque j’ai insisté sur le fait que le νους est impliqué aussi dans la πρᾶξις, dont il est un des principes et sans doute le principe dominant. C’est effectivement une hypothèse plus forte. Au point que c’est l’agent lui-même qui, d’une certaine manière, se dirigerait vers un principe qui dépasserait le plan de son action. Si le soi se vise lui-même comme νους dans l’action, dans la vie pratique, alors il a la perception de ce qui, en lui, transcende dans l’immanence le fait qu’il soit un agent, mais aussi ce qui lui permet de l’être. C’est ce qui, dans l’ordre de l’action, le dépasse, mais en même temps ce qui, en le dépassant, l’autorise. Ce qui veut dire que la culture de soi consisterait précisément à se viser hors de l’action dans l’action. On ne peut décidément pas s’en tenir à l’acception exclusive.

15On voit à présent, et c’est tout le prix de l’analyse de la philautie, que le rapport de soi à soi-même n’est pas un rapport en quelque sorte d’un seul bloc, comme une identité déjà donnée, mais qu’au contraire Aristote est intéressé par la suraltérité du soi-même par rapport au soi, suraltérité qui m’oblige. On retrouverait peut-être une des acceptions ultimes de ce qui était déjà présent chez Homère – et je vais peut-être, non pas en digression mais en m’autorisant une petite parenthèse, insister sur ce point.

16Le soi-même a manifestement un statut qui n’est pas strictement métaphysique ou ontologique, mais c’est un concept axiologique. Si je peux me revendiquer de moi-même, ou tendre à être à la hauteur de moi-même, tout en percevant que ce n’est pas le cas, c’est parce que je vise en moi-même ce qui vaut le mieux, d’où la qualification de divin qui alors va être appliquée à ce soi-même. Ce n’est pas tant la précision d’une condition que la précision d’un prix. C’est un qualificatif axiologique et non pas la description d’un être dans le monde. Le soi-même n’a pas à être recherché comme un être qui ferait exception en moi, ce n’est pas de cela qu’il s’agit ; il s’agit plutôt de la fine pointe d’un accomplissement qui devrait alors me faire perdre non pas tant, de manière absolue, ma singularité, que ma singularité contingente. Il faut bien sûr que je revienne ici sur cette difficulté du singulier et de l’essentiel que j’ai soulevée. Il me semble que ce qui est le plus directement visé par Aristote, c’est la contingence bien plus que la singularité pure ou prise en elle-même, αὐτὴ καθ᾿ αὑτήν. Je vois dans le travail d’Aristote sur l’ipséité – travail très remarquable, très condensé dans ses textes mais très remarquable quand on le déploie – une réflexion qui détrivialise le soi-même en ce sens que je ne peux pas me contenter d’être autre que tous les autres, sur le mode d’une expérience qui ne pourrait être attestée par personne, ni par moi ni par un autre ; mais il y a intrusion dans le soi-même d’une multiplicité féconde, en ce sens qu’elle crée une tension au sein du soi-même, non pas pour que cette multiplicité soit in fine annulée par une sorte de sacrifice de soi dans la culture de soi, mais plutôt comme une sorte de fondation de la multiplicité dans le soi-même. Aristote prend acte, même si c’est dans certains passages pour la déplorer (après tout Plotin aura les deux mêmes gestes), de cette multiplicité qui est en effet synonyme d’impureté. Si je n’étais que νους, je serais purement et essentiellement moi-même ; mais il n’y a pas de séparatisme du νους, et on ne peut sans doute pas prêter à Aristote ce que j’appellerais un pur essentialisme du soi-même noétique. Il a au contraire le sens de l’expérience, mais sans doute aussi le sens de l’exhaustivité. L’expérience de soi n’est pas d’abord et ne sera peut-être jamais celle d’une transparence à soi-même par l’absolu ascendant du νους sur tous les états du soi ; et par « états du soi », je ne parle pas d’états mentaux, mais des états pratiques du soi, de la façon dont il s’affecte lui-même dans l’action.

17Je vais insister un peu sur ce point : qu’est-ce pour le soi que de faire l’expérience de soi-même, de faire l’épreuve de soi-même ? J’emploierais volontiers les deux concepts sans les confondre complètement, même si sémantiquement ils sont évidemment proches. Quand on dit qu’on s’éprouve soi-même, on se demande si on est toujours à la hauteur de soi-même. Après tout, c’est déjà une question homérique, avant d’être une question aristotélicienne ou platonicienne. Mais je laisse très provisoirement de côté – je vais y venir – l’acception de l’épreuve de soi dans l’action, un peu comme le fait le héros, et en particulier le héros épique, que parfois le sujet aristotélicien se trouve être, dont il est le lointain écho, et peut-être pas si lointain. Je m’intéresse d’abord à l’attestation de soi par soi, à l’expérience de soi dans un sens plus phénoménologique qu’éthique. Il est bien évident que cette phénoménologie n’est pas pure, et le propos sera de toute façon éthique, mais j’isole, avec un certain arbitraire que je ne me dissimule pas, ce nucleus phénoménologique, avant la lettre bien entendu, dans l’analyse d’Aristote. Quelles sont les modalités possibles – je ne serai pas exhaustif – de l’expérience de soi ? Pour le dire autrement, comment le sujet se perçoit-il comme soi-même ? Y a-t-il un rapport de soi à soi-même qui puisse être immédiat ? Manifestement non. C’est ce que montre, en particulier, l’analyse plus précise de la philautie qui va être donnée par Aristote, puisqu’il va avoir à la préciser pour tenter de justifier non seulement la légitimité de la philautie mais aussi le fait d’en faire le paradigme de toute φιλία. Dans ce contexte, il est patent qu’il va avoir à s’interroger sur la manière dont le soi se met en rapport avec soi-même, fait l’expérience de soi-même comme un autre pour soi-même, expérience qui pourrait retentir – et c’est cela qui est très intéressant – sur le soi : puisque je fais l’hypothèse que je ne serai pas dans l’action celui que j’étais, si l’on peut dire, au départ, c’est-à-dire cet agent singulier contingent, en un certain sens hypothétiquement absolument contingent, que j’ai pris comme origine.

18J’en viens à présent à mon concept un peu élusif d’expérience ou d’ipséité vitale. Aristote en effet recherche, sans pouvoir l’atteindre jamais, un plan où le soi aurait la perception de lui-même. Je n’emploie pas le terme de conscience, délibérément, je le trouve surchargé, et lorsqu’Aristote dit αἰσθάνεσθαι j’essaie de le rendre par « ressentir » ou « percevoir ». Je ne rendrai donc pas, comme le font certains traducteurs ou commentateurs, le terme de συναίσθησις par « conscience », je parlerai de sens interne ou de sens intime ; éventuellement je parlerai de perception interne, d’attestation interne, mais pas de conscience, d’autant que συναίσθησις n’est justement pas employé dans ce sens-là dans le contexte : c’est la co-perception, ce n’est pas la conscience intime.

19L’attestation de son propre être, εἶναι, ne peut jamais se faire directement, me semble-t-il ; il faut des filtres pour que cette expérience de soi-même soit possible pour le Stagirite, et le plan du ζῆν est déjà en quelque sorte le premier filtre. C’est sa vie que le soi-même perçoit, et par voie de conséquence son εἶναι ; c’est son ζῆν qui va médiatiser à soi-même l’existence de son εἶναι. Son existence lui est d’abord attestée par son vivre, et son vivre est lui-même une activité. Il faudra donc que l’auto-attestation de soi-même dans son existence se fasse par le truchement d’un acte qui pourra lui-même revêtir plusieurs modalités. En tout cas, le soi-même serait le surplomb d’un acte dont le soi s’attesterait l’existence à soi-même. Il serait l’idéal toujours en train de se réaliser, mais jamais réalisé, de son acte. Ce qui permettrait au soi la philautie – et j’en viens maintenant au deuxième plan, plus important que l’expérience : l’épreuve, la peirastique de soi.

20Il faudrait cette fois-ci, c’est ce que dit Aristote, que je puisse m’aimer moi-même ; mais s’aimer soi-même requiert des conditions. Je ne m’aime pas moi-même sans autre condition, nûment. Cela me permet de revenir à un argument fort qui opère, non pas l’éviction, mais la subalternation de la première acception : je ne peux pas m’aimer moi-même simplement parce que je suis moi-même. Cela n’aurait strictement pas d’intérêt aux yeux d’Aristote puisque que cela rendrait la philautie, prise au sens propre, indiscernable de n’importe quel amour de soi, de n’importe quelle autre philautie qui serait une imposture, qui n’aurait pas de fondement. Cela rendrait toute philautie en quelque sorte inconditionnelle, alors que la philautie proprement dite, selon Aristote, doit être conditionnelle. Elle n’est pas ἁπλῶς, elle est ἐξ ὑποθέσεως17. En effet, pour s’aimer soi-même il faut que l’on puisse s’estimer soi-même ou se priser soi-même, il faut que le soi-même ait un prix aux yeux du soi. Cette condition va permettre d’introduire un autre objet intéressant, qui ne serait ni le soi exclusif, ni le soi essentiel, mais qui (puisqu’après tout j’ai parlé de culture de soi-même, il faut bien maintenant que je justifie mon hypothèse) serait l’œuvre de soi-même. Et, en effet, je pense que c’est à cela qu’Aristote veut arriver.

21Ne puis-je pas être ma propre œuvre ? D’aucuns l’ont pensé, même si cela nous fait prendre un chemin de traverse, médiat, par exemple Michel Foucault, dans L’herméneutique du sujet18, et il est loin d’être le seul. Ne puis-je pas considérer que la culture de soi-même donne au soi-même non pas seulement une gradualité, mais d’une certaine façon une capacité de déplacement, sinon une mutabilité, du moins une mobilité à l’intérieur d’une échelle ascendante ou descendante ? On peut se détériorer soi-même, c’est le cas de l’ἀκολαστός ; on peut aussi se perfectionner soi-même, et le prix qu’on peut s’accorder à soi-même vient de ce qu’on a pu faire de soi-même. Dans ce cas il faudrait s’interroger, pour affiner l’analyse, sur le rapport entre le soi essentiel et le soi comme œuvre de soi. Le soi essentiel n’est pas mon œuvre, il est mon τέλος. Il a précisément cette fonction ou cette vertu de ne pas dépendre de ce que je fais de moi-même. Il est – risquons le mot – l’horizon de ma propre vie, l’horizon de la vie du soi-même. Cet arrimage au soi essentiel permet de penser le perfectionnisme aristotélicien en des termes qui ne soient pas infinitistes, et cela est sans doute important dans l’analyse d’Aristote. La culture de soi-même n’ira pas εἰς ἄπειρον. Si j’ai besoin d’un ἀναγκὴ στῆναι, c’est précisément dans le νους que je le trouverai. Ce repos dans le νους me permettra précisément d’asseoir cette conception d’un perfectionnisme éthique : c’est un perfectionnisme éthique qui est finitiste au moins en ce sens qu’il pose un τέλος, qui est le soi essentiel. Aristote adhère donc au concept d’un soi-même essentiel. Il ne commet pas l’erreur de le confondre avec le soi-même exclusif, et il introduit entre les deux un terme flottant ou en tout cas déplaçable, comme un curseur le serait – le soi comme œuvre de soi. Auquel cas je suis capable de progresser dans l’épreuve de moi-même et dans le prix que je m’accorde. L’attestation de soi-même à soi serait donc réalisée non pas seulement dans le sentiment de son activité, mais aussi dans le sentiment de sa valeur. De sa valeur comme agent qui, alors, se rapprochant toujours du soi-même stable qu’est le νους, cesserait de se considérer lui-même comme contingent.

22On peut faire une hypothèse, à partir de là, sur l’origine de l’ἀκολαστός, par ailleurs un peu énigmatique dans l’éthique d’Aristote. Si je prends ma contingence comme principe, si je l’adopte pour politique ou pour maxime – j’utilise le terme de Kant dans La religion dans les limites de la simple raison –, alors je deviendrai un « incorrigible ». Il ne faut pas faire de sa contingence une règle, il s’agit plutôt de la dépasser. À cet égard, le soi-même essentiel figure le point de visée parce que lui n’est susceptible d’aucune culture qui le rendrait en quelque sorte plus parfait qu’il n’est. Le soi-même dans le soi est bien ce τέλος qui, tout d’abord, permet à Aristote de penser la philautie comme dualité, mais aussi qui en fonde la possibilité pratique, c’est-à-dire la culture de soi. Je ne me perfectionne pas sans avoir un point de visée, je sais ce vers quoi je tends sans pouvoir en tant qu’homme, c’est-à-dire en tant que principe contingent, coïncider parfaitement avec cela. Et le fait de ne pas coïncider parfaitement avec cela n’interdit en aucune façon de le prendre précisément comme point de visée.

Le rapport de soi à l’autre : l’amitié

23J’aimerais maintenant aborder ma seconde direction, qui, en un certain sens, va inverser le rapport qui tout à l’heure attachait le soi à soi-même comme à un autre. J’aimerais m’interroger maintenant sur l’amitié, de manière malheureusement succincte, mais pour souligner un point central. C’est là effectivement qu’on retrouve Achille et Patrocle, en filigrane. L’ami, l’autre soi-même19 – mais qu’est-ce à dire, si ce n’est pas une clause de style ? – pourra-t-il être conçu comme un alter ipse, et n’est-ce pas une contradiction dans les termes ? Ou comme un alter ego ? Et faut-il distinguer les deux choses ? En faire un alter ipse risquerait d’être fort difficile pour nous, si du moins nous nous en tenions à la première acception de l’ipséité, parce qu’alors ce serait plus qu’un oxymore, ce serait une contradictio in adjecto. Essayons de voir plutôt comment il serait possible de passer de la première à la seconde direction : de moi par rapport à moi-même comme autre, je pourrais, dit Aristote (c’est en tout cas le mouvement de son argumentation), passer de moi à l’autre comme autre moi-même. Comment serait-il pertinent – c’est le moment le plus risqué de son argumentation – de passer du rapport de dualité de moi à moi-même au rapport de dualité de moi à l’autre comme autre moi-même ? Ce ne serait pas possible si l’acception exclusive de l’ipséité était tenue précisément pour exclusive, si elle devait évincer toutes les autres (c’est un autre argument en faveur de notre hypothèse) ; mais, par delà la conception trop purement évidente de l’ipséité comme exclusive, et qui n’est pas foncièrement la plus intéressante pour Aristote, ce serait possible sans doute si on s’attachait plutôt à ce que j’appelle l’acception optimale de l’ipséité. Dans l’ami je pourrais trouver tout d’abord le miroir de mon ipséité, en ce sens que, outre le fait que l’ami collabore à mon action (toute φιλία est une συνέργεɩα) et participe à mon existence (toute φιλία véritablement digne de ce nom est un συζῆν), il est aussi un miroir éthique de moi-même, et c’est peut-être le sens le plus précis de « l’autre soi-même ». Par là, l’altérité des deux ipséités exclusives n’est pas abolie par Aristote – et ce n’est pas ce qu’indique la formule – mais l’ipséité qui fait l’épreuve de soi-même et qui donne un prix à soi-même peut se prolonger dans l’expérience de la φιλία. Il s’agit pour l’ami de prendre part à l’épreuve que je fais de moi-même en tant que je peux me priser moi-même. Il faut qu’en un certain sens l’ami participe à mon auto-attestation, et c’est ce que veut dire sans doute la συναίσθησις réciproque de la φιλία. L’amitié accède non pas tant à l’ipséité essentielle, au cœur de l’ipséité, mais plutôt à ce que j’appellerai la dramatique de l’ipséité, plutôt que son essentialité. C’est-à-dire que l’ami participe à la culture du soi-même, il est le collaborateur le plus proche et strictement indispensable du perfectionnement de soi, et pas simplement parce qu’il en est le miroir. Aristote envisage un rapprochement des ipséités, mais qui ne va jamais jusqu’à la fusion, puisqu’il a une formule de réserve célèbre, qui sera d’ailleurs reprise dans le commentaire de saint Thomas qui n’a pas raté ce point, à savoir que j’attache à l’existence de mon ami autant de prix qu’à la mienne, ou peu s’en faut20. C’est ce « ou peu s’en faut » bien sûr – comme un coup de pistolet dans un concert – qui attire nécessairement l’attention, c’est cette réserve qui ne peut pas être tenue pour contingente ni pour épisodique. Elle vient en quelque sorte tracer dans l’intimité même de l’expérience de la φιλία comme une limite, qui est sans doute indépassable : il ne faut pas le prendre trop facilement en mauvaise part, et faire à Aristote un procès en moralisation qui ne serait pas de saison, comme certains seraient sans doute tentés de le faire en le versant au compte de son paganisme. Le point n’est pas que je sois dans l’impossibilité de faire prévaloir le prix que j’attache à l’existence de l’ami par rapport à la mienne, le point n’est pas la prévalence ou la prépondérance dans une espèce de balance au demeurant imaginaire. Le problème serait plutôt que je ne puisse pas étendre aussi loin que d’aucuns le souhaiteraient l’auto-attestation de l’existence et de l’expérience. La φιλία est une tentative de prolongement de cette attestation qui se heurte à une limite. Il faudrait s’interroger justement, par delà la discussion purement morale, sur l’origine de cette limite qui plonge peut-être ses racines – je ne plaide pas pour Aristote, je ne fais pas une apologétique d’Aristote, j’essaie de voir ici le point – dans le fait que, même pour moi-même, je ne suis pas transparent. L’auto-attestation de soi à soi-même ne peut pas aller jusqu’à la pure transparence précisément parce que l’acception essentielle ne peut pas épuiser l’acception exclusive, i. e. être purement soi-même. Dans cette mesure même, l’aspect – faut-il dire résiduel ? – de ce qui en moi-même n’est pas purement le νοῦς n’introduitil pas ce défaut de transparence pour moi-même, de moi-même pour moi-même, qui alors ne pourrait d’une certaine façon que retentir dans la tentative de prolonger cette auto-attestation dans la συναίσθησις, de la pousser jusqu’à la perception de l’existence de l’ami comme tel ? Qu’il y ait un pont jeté, par delà l’altérité, d’ipséité à ipséité – sans doute. Mais cela n’ira pas jusqu’à me procurer une impossible transparence dans la relation, alors même que je n’en dispose même pas, si l’on peut dire, dans ma propre maison. Il y aurait beaucoup de présupposés dans le grief moral qui serait alors adressé à Aristote à propos de cette limite, parce que ce serait considérer que, chez celui qui entretient cette amitié la plus étroite avec un autre ipse, il n’y a pas que l’action qui soit partagée, il y a aussi l’attestation. Or l’amitié élective la plus étroite ne saurait aller jusqu’à l’absolu prolongement de l’auto-attestation dans la συναίσθησις, c’est-à-dire d’une certaine manière dans l’attestation d’ipséité partagée. Si l’amitié est une action partagée, ce qui est le cas, et partagée au plus haut point, de manière élective et étroite, elle ne va pas jusqu’à la fusion des αὐτοί ; qui plus est, elle ne va pas jusqu’à la fusion des attestations ou des expériences de soi-même, elle est l’expérience la plus proche de cette impossible fusion. J’insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un échec moral, mais qu’il s’agit sans doute plutôt d’une impossibilité ontologique. Il se peut que dans l’amitié, aussi haut qu’elle puisse aller – on est dans le champ de ce qu’Aristote appelle l’amitié parfaite ou l’amitié la plus élective, Achille et Patrocle –, aucun des deux sujets engagés ne dispose de la possibilité de cette attestation transparente qui culminerait alors dans la φιλία. Il ne faut donc pas prendre à la lettre des expressions comme “une même âme en deux corps”, qui sont des hyperboles de la rhétorique de la φιλία plutôt que de véritables descriptions de la φιλία.

Le soi-même comme œuvre de soi

24Je voudrais, dans un dernier moment, faire le point sur le caractère, qui n’est pas strictement introverti, de l’expérience de soi-même, de la vie du soi-même, auquel je prête plutôt un caractère extatique qu’un caractère introverti. Ce n’est pas un repli sur le for intérieur, au demeurant absent de l’analyse d’Aristote, ce n’est pas ce que l’on appellera plus tard, dans le Scottish Enlightement, une moral psychology. Il s’agit d’une éthique et d’une métaphysique, d’une éthique sous condition métaphysique, dans laquelle on s’interroge – et j’en viens à ma dernière acception du soi, la graduelle, dont je voudrais essayer de montrer les possibilités et les vertus – sur la possibilité pour le soi d’être, par rapport à ce qui est le plus soi-même (c’est-à-dire le νοῦς), lui-même plus à la hauteur de lui-même. Possibilité qui est par ailleurs variable, alors que le soi-même superlatif, qui est le νοῦς, ne l’est pas : je parlerai d’une variabilité sous la condition de ce τέλος qu’est le νοῦς.

25Mais comment peut-on concevoir la possibilité d’être, non pas « le plus soi-même » (ce qui est le cas du νοῦς), mais un « être davantage soi-même » sans être complètement soi-même ? Il existe en grec un comparatif et un superlatif pour αὐτός, et il est possible de retrouver ici leur équivalent – ce qui équivaudrait à αὐτοτάτος serait le νοῦς, et il s’agit maintenant de rechercher un αὐτοτέρος. Un perfectionnisme et non pas un essentialisme, voilà effectivement ce que je voulais vous proposer. Et ce perfectionnisme de soi-même alors nous mettrait, d’aucuns diraient sur la piste d’un platonisme (et même sur ce point je serais réservé – je ne vois pas pourquoi je devrais caricaturer Platon pour mieux rendre justice à Aristote), ou bien encore, pour ne rendre justice ni à l’un ni à l’autre, sur la piste d’une position par exemple naïvement hyper jaegerienne. Cette possibilité d’être plus soi-même montre que l’on est d’une certaine façon toujours plus haut que soi-même dans la πρᾶξις, ou même sans doute dans le ζῆν. Aristote ne trouve pas dans le soi quelque chose comme une morne répétition. L’ἐνέργεɩα déploie des possibilités de perfectionnement : l’ἐνέργεɩα dans son exercice, sous certaines conditions d’auto-évaluation de l’exercice, déploie des possibilités d’être plus soi-même. Le soi-même serait donc un concept mélioriste, graduel et perfectionniste, plutôt qu’un concept essentialiste ou un concept exclusif. Qu’il soit essentialiste ou exclusif, c’est un fait, mais j’ai essayé de montrer qu’à cela le soi-même ne se bornait pas ; et dans le fait même d’assumer les deux premières acceptions, j’ai tenté d’en avancer une troisième, plus importante à mes yeux, et qui serait la gradualiste. Plutôt que de m’interroger sur un soi-même qui ne serait pas un autre, ou sur un soi-même qui serait le vrai soi (bien qu’Aristote assume aussi cela, en particulier au début de l’analyse de la philautie), je me demande dans quelle mesure son analyse de l’action – plutôt sans doute que son analyse de la perception, parce qu’alors on serait sur une autre piste – ne l’amène pas à problématiser le soi-même pour en faire le champ d’une relation qui est objet d’une auto-évaluation. Cette auto-évaluation se ferait tout d’abord sur le mode du « sens interne » (je ne parle pas de conscience, je le disais tout à l’heure), mais aussi sur le mode du prix que ce soi s’attache à lui-même ; ce qui veut dire que ce prix lui-même est susceptible de varier, la culture de soi rendant en quelque sorte ce prix éventuellement de plus en plus grand.

26Le soi-même pourrait-il être à lui-même sa propre œuvre ? Telle serait la question, si l’on voulait faire droit à l’acception plus proprement gradualiste. Comment puis-je savoir que je suis plus moi-même maintenant qu’avant ? Ou savoir que je pourrai être, dans un futur proche, plus moi-même que maintenant, si je n’ai pas de terme vers lequel me diriger ? C’est en ce sens-là que l’essentialité retrouve une partie de ses droits : je ne peux pas évincer l’essentialité si je veux assumer la gradualité, le perfectionnisme suppose l’optimalité. Le νοῦς n’importe pas tant, me semble-t-il, comme condition que comme ce que je me donne comme point d’arrimage ou d’ancrage précisément pour pouvoir me dire que, par rapport à ce vrai soi-même, je suis plus moi-même21. Mais alors surgit une seconde difficulté, et c’est peut-être là que les terres plotiniennes commencent à ne plus être totalement des terrae incognitae lointaines ; il se peut qu’on atteigne ici les confins de l’éthique métaphysique d’Aristote et de celle de Plotin – on peut au moins le risquer, en tout cas cela n’était pas étranger à Plotin. Le gradualisme d’Aristote suppose l’essentialisme, mais d’une certaine façon il lui donne sa vraie fonction. Il ne s’agit pas – car on pourrait prendre le change ou se diriger vers une fausse piste à cet égard – de rabattre le soi sur le νοῦς. Les énoncés optimalistes d’Aristote ne nous invitent pas à opérer cette réduction, en d’autres termes à dire que nous ne sommes que ce que nous sommes essentiellement. Peut-être d’aucuns seraient-ils tentés de le faire, bien plus tard, cela se discuterait, mais tel n’est pas le propos d’Aristote parce que cela écraserait l’expérience éthique et interdirait le perfectionnisme. Le puritanisme – appelons-le par son nom – que serait l’essentialisme réducteur éliminerait toute possibilité de perfectionnisme et rendrait l’éthique elle-même dépourvue de toute consistance, lui ferait perdre sa substance. Or, il s’agit au contraire de penser une auto-attestation susceptible d’être elle-même amplifiée au prix d’une culture effective de soi. Le soi-même dépend de l’acte, il y a un primat de l’acte sur le soi-même. Il y a en un certain sens une dépendance de l’ipséité à l’égard de l’ἐνέργεɩα, ce qu’en anglais on appellera energy en translittérant le terme grec, ainsi que le fera Cudworth en transcrivant exactement le terme d’Aristote22. L’ipse est le prix qu’il s’accorde, et l’épreuve qu’il fait de lui-même dépend du degré de l’ἐνέργεɩα qui est sans doute son degré de perfection, mais un degré de perfection lui-même variable, par rapport à ce τέλος que constituent à la fois la simplicité et l’essentialité du νοῦς.

27On pourrait donc penser un soi-même qui se dépasse soi-même dans l’immanence par la culture de soi, avec bien entendu maintenant une ultime question : il est patent que, dans l’Éthique à Nicomaque, la question du soi donne lieu in fine chez Aristote (mais c’est une question qui lui importe à un certain égard, et qui lui a importé d’emblée, on le sait) à des types de vie eux-mêmes hiérarchisés. C’est la crux des commentateurs de l’Éthique, dont beaucoup aimeraient que le livre X n’ait pas été conservé, un peu comme le livre V de l’Éthique de Spinoza qui dans certaines éditions pirates avait disparu. Le βίος θεωρητικός figure bien d’une certaine manière le τέλος de toute l’éthique, cela est attesté par le fait – et je suis le dernier à le nier – que la fin du livre VI, qui, lui, n’est pas l’objet d’une athétèse possible (à supposer que le livre X le soit), comporte une indication fugitive mais certaine de la dépendance de la φρόνησις par rapport à la σοφία, et de la πρᾶξις par rapport à la θεωρία de façon corrélative23. C’est la σοφία qui donne d’une certaine façon sa règle à la φρόνησις comme vertu intellectuelle dans le domaine de l’action, qu’on pourrait rendre à cet égard par « sagesse pratique », practical wisdom comme disent certains traducteurs anglais. Si la sagesse commande à la sagesse pratique, faut-il penser que le soi essentiel, dans la même veine ou dans la même visée, se subordonne le soi agissant, en l’entendant au sens étroit de πρᾶξις, et non pas au sens large ? Cette ἐνέργεɩα qu’est la πρᾶξις se voit-elle commandée de l’intérieur, comme certains indices nous le laisseraient entendre, et en particulier la fin de l’Éthique à Nicomaque VI, par un soi noétique qui alors serait bien pour Aristote un soi-même possible sans la πρᾶξις ? Peut-on parler d’un soi-même quand on n’est pas dans l’ordre de l’action, entendue au sens étroit de la plupart des livres de l’Éthique à Nicomaque, à la réserve près de X ? Y a-t-il là une difficulté insurmontable ? Il ne me semble pas, et je voudrais conclure en ce sens. S’il est vrai qu’il y a comme un dépassement, il n’y a pas pour autant de saut, il n’y a pas de salto mortale.

28On pourrait alléguer plusieurs arguments en faveur de ce point, mais en particulier celui-ci, que j’évoquais précédemment : le soi agissant est déjà noétique, comme l’attestent le livre VI ou le livre IX24. En ce sens, si le soi agissant est déjà noétique, mais pas seulement, on peut penser qu’il se vise déjà dans l’ordre de l’action, et c’est un fait : les degrés de soi-même seraient – pardonnez-moi de faire rentrer par la fenêtre ce qui aurait pu paraître expulsé par la porte – des degrés noétiques, et c’est là que le plotinisme d’Aristote, si je puis dire, qui était peut-être une de mes visées secrètes, reviendrait quand même. Il reviendrait en catimini ou, en tout cas, à doses homéopathiques. Les degrés de soi-même seraient noétiques, mais il serait périlleux d’adhérer à l’idée d’un soi-même qui serait purement noétique. Il faut bien distinguer les deux. Que le soi-même ait des degrés noétiques n’implique pas qu’il n’y ait de soi-même que noétique, au contraire d’une certaine façon. L’intérêt de cette conception est d’éviter le discontinuisme qui me paraît entacher bon nombre de commentaires, en particulier récents et anglosaxons, sur l’Éthique à Nicomaque, ou du moins sur l’éthique d’Aristote : où l’on s’interroge, avec une étonnante naïveté dans la sophistication, sur l’étrange existence de ce bloc qui est consacré à la vie théorétique et que, nous dit-on, rien n’annoncerait – ce qui n’est pas le cas. Si je voulais marquer l’un des enjeux de cette étude sur le soi-même aristotélicien, et ce sera my last word, ce serait précisément d’avoir montré, ou tenté de montrer, qu’à cet égard il n’y a nulle discontinuité puisque, le νοῦς s’annonçant peut-être dès le plus humble commencement du soi agissant, la marche au τέλος était en quelque sorte contenue précisément dès le début de l’histoire.

Notes de bas de page

1 Éthique à Nicomaque IX, 4, 1166 a 1-2 : « Les sentiments affectifs que nous ressentons à l’égard de nos amis, et les caractères qui servent à définir les diverses amitiés semblent bien dériver des relations de l’individu avec lui-même (πρὸς ἑαυτόν) » ; ibid., 8, 1168 b 3-6 : « Ces caractères [qui définissent l’amour pour « le meilleur ami »] se rencontrent à leur plus haut degré dans la relation du sujet avec lui-même (μάλιστ᾿ αὐτῷ πρὸς αὑτόν), ainsi que tous les autres attributs par lesquels on définit un ami : nous l’avons dit en effet, c’est en partant de cette relation de soi-même à soi-même (ἀπ᾿ αὐτου) que tous les sentiments qui constituent l’amitié se sont par la suite étendus aux autres hommes (τὰ φιλικὰ καὶ πρὸς τοὺς ἄλλους διήκει) » (trad. J. Tricot).

2 Éth. Nic. IX, 4, 1166 a 22-23 : « Or il apparaîtra que l’intellect constitue l’être même de chaque homme ou du moins sa partie principale » (τὸ νοουν ἕκαστος εἶναι ἢ μάλιστα) ; IX, 8, 1168 b 35-1169 a 3 : « Chacun de nous est son propre intellect. Et les actions qui nous semblent le plus proprement nôtres, nos actions vraiment volontaires, sont celles qui s’accompagnent de raison. Qu’ainsi donc chaque homme soit cette partie dominante même, ou qu’il soit tout au moins principalement cette partie (ὅτι μὲν οὖν τουθ᾿ ἕκαστός ἐστιν ἢ μάλιστα), c’est là une chose qui ne souffre aucune obscurité, comme il est évident aussi que l’homme de bien aime plus que tout cette partie qui est en lui » ; X, 7, 1177 a 19-20 : « L’intellect est la meilleure partie de nous-mêmes » (trad. J. Tricot).

3 République IV, 439 a-441 c.

4 Cf. Éth. Nic. VII, 6-7.

5 Cf. Ennéades I 6 [1] 7, 9 et 9, 6-17 ; on trouve le substantif ἁπλῶσις en VI 9 [8] 11, 23.

6 Au sens du De anima, mais aussi bien sûr du livre X de l’Éthique à Nicomaque ; cf. la fin du premier traité du plaisir, c’est-à-dire du livre VII, 12-15.

7 Cf. Éth. Nic. IX, 9, 1170 a 16-b 12.

8 Éthique à Eudème II, 6, 1222 b 19-20 : « L’homme est clairement le seul des vivants à être principe, en plus, de certaines actions : en effet, nous ne pourrions dire d’aucun autre vivant qu’il agit. » […] Ibid., 1222 b 41-1223 a 9 : « S’il existe des êtres qui admettent des états contraires, il s’ensuivra nécessairement que leurs principes les admettront aussi ; la cause nécessaire produit un effet nécessaire, mais pour ce qui découle à tout le moins de cette autre source-là, il lui est possible d’admettre les contraires, et ce qui dépend des hommes eux-mêmes relève en grande partie de ce type de réalités, et ils en sont eux-mêmes principes. Aussi les actions dont l’homme est le principe et le maître, il est clair qu’elles peuvent se produire ou non, et qu’il est en son pouvoir qu’elles se produisent ou non, celles du moins dont l’existence et la non-existence dépendent de lui » (trad. V. Décary).

9 Éth. Nic. VI, 2, notamment le chiasme en 1139 b 4-5 : « Ainsi peut-on dire indifféremment que le choix préférentiel est un intellect désirant ou un désir raisonnant (ἢ ὀρεκτικὸς νους ἡ προαίρεσις ἢ ὄρεξις διανοητική), et le principe (ἀρχή) qui est de cette sorte est un homme » (trad. J. Tricot).

10 Éth. Nic. VI, 2, 1139 a 35-36 : « La pensée par elle-même cependant n’imprime aucun mouvement » (διάνοια δ’ αὐτὴ οὐθὲν κινεῖ) (trad. J. Tricot) ; De anima III, 10, 433 a 23-26 : « Mais en fait, on le constate, l’intellect ne meut pas sans le désir (ὁ μὲν νους οὐ φαίνεται κινῶν ἄνευ ὀρέξεως) (car la volition est une espèce du désir, et quand on se meut selon le raisonnement, on se meut aussi par volition). En revanche, le désir peut mouvoir contre le raisonnement (παρὰ τὸν λογισμόν), car l’appétit est une espèce de désir » (trad. E. Barbotin).

11 Cf. notamment Éth. Nic. VII, 5.

12 Cf. De caelo II, 12, 292b-293a.

13 Confessions III, 6, 11 : « Mais toi, tu étais plus intime que l’intime de moi-même, et plus élevé que les cimes de moi-même » (tu autem eras interior intimo meo et superior summo meo) (BA 13, trad. Tréhorel-Bouissou).

14 Cf. Éth. Nic. VI, 2.

15 Cf. infra, p. 67 : « 3. Le rapport de soi à l’autre : l’amitié ».

16 Cf. Éth. Nic. IX, 4, 1166 a 14-17 : « [L’homme de bien] se souhaite aussi à lui-même ce qui est bon en réalité et lui semble tel, et il le fait (καὶ πράττει) – car c’est le propre de l’homme bon que de travailler activement pour le bien –, et tout cela en vue de lui-même (καὶ ἑαυτου ἕνεκα) – car il agit en vue de la partie intellective qui est en lui et qui paraît constituer l’intime réalité de chacun de nous (του γὰρ διανοητικου χάριν ὅπερ ἕκαστος εἶναι δοκεῖ) » (trad. J. Tricot).

17 Cf. Éth. Nic. IX, 8, 1169 a 11-15 et 1169 b 1-2.

18 M. Foucault, L’Herméneutique du sujet, Paris, Gallimard/Seuil, 2001.

19 Éth. Nic. IX, 4, 1166 a 31-32 : « L’ami est un autre soi-même (ἔστι γὰρ ὁ φίλος ἄλλος αὐτός) » (trad. J. Tricot).

20 Cf. Saint Thomas, Sententia libri Ethicorum, liber IX, lectio 11, n. 10 : « Il dit que [l’homme] vertueux entretient avec son ami la même relation qu’avec lui-même (ita se habet ad amicum sicut ad seipsum), parce que l’ami est d’une certaine manière un autre soi-même (quia amicus quodammodo est alter ipse). Comme, donc, il est désirable et plaisant à tout [homme] vertueux que lui-même soit, de même il lui est désirable et plaisant que son ami soit. Sinon à égalité, presque cependant (et si non aequaliter, tamen propinque) » (trad. Y. Pelletier).

21 Éth. Nic. X, 7, 1177 b 26-31 : « Mais une vie de ce genre [i. e., théorétique] sera trop élevée pour la condition humaine : car ce n’est pas en tant qu’homme qu’on vivra de cette façon, mais en tant que quelque élément divin est présent en nous. Et autant cet élément est supérieur au composé humain, autant son activité est elle-même supérieure à celle de l’autre sorte de vertu [i.e., pratique]. Si donc l’intellect est quelque chose de divin par comparaison avec l’homme, la vie selon l’intellect est également divine comparée à la vie humaine » (trad. J. Tricot).

22 Cf. R. Cudworth, The True Intellectual System of the Universe, ed. Birch (Andover, Gould and Newman, 1837), t. I, chap. III, 28 : “A Digression concerning the Plastic Life of Nature”, § 16, p. 345, § 17, p. 346 et § 20, p. 353 ; A Treatise Concerning Eternal and Immutable Morality, ed. Birch (1743), t. I, chap. IV, 1, § 3, p. 579.

23 Éth. Nic. VI, 13, 1145 a 6-8 : « Il n’en est pas moins vrai que la prudence ne détient pas la suprématie sur la sagesse théorique, c’est-à-dire sur la partie meilleure de l’intellect, pas plus que l’art médical n’a la suprématie sur la santé ».

24 Cf. Éth. Nic. VI, 2, notamment 1139 b 4-5 ; et IX, 8, 1168 b 25-1169 a 18.

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