Un Adam américain ?
Les « robinsonnades » de James Fenimore Cooper et la mythologie de la frontier
p. 23-44
Texte intégral
If there was a fictional Adamic hero unambiguously treated – celebrated in his very Adamism – it was the hero of Cooper’s The Deerslayer […].
Richard Lewis1
1Bien que ses romans maritimes aient largement participé à son succès populaire et à sa postérité littéraire2, James Fenimore Cooper, lui-même ancien marin, n’a produit qu’une seule « robinsonnade » au sens strict du terme : The Crater, or Vulcan’s Peak, sous-titré A Tale of the Pacific, qui paraît en 1847, à la fin de sa carrière3. Ce n’est cependant pas à cette robinsonnade « classique » que je voudrais m’intéresser, parce qu’elle ne me semble pas faire justice à la véritable richesse de la création romanesque de Fenimore Cooper : en effet la fortune de Cooper, aux États-Unis comme en Europe, repose sur ses romans de la frontier américaine4 plutôt que sur ses récits d’aventures en mer ; on peut même soutenir, et c’est à ce titre que je la laisse de côté, que la « robinsonnade » de 1847 n’est que la transposition dans une île du Pacifique du thème de la frontier, déjà abondamment traité par Cooper dans ses romans d’aventure « américains ». Parmi ces romans d’aventure, les Leatherstocking Tales – en français le cycle de Bas-de-Cuir – constituent certainement la partie la plus célèbre de l’œuvre de Cooper.
2Construits autour du personnage de Natty Bumppo, dont on suit la destinée tout au long des cinq romans du cycle, les Leatherstocking Tales retracent la lente avancée de la conquête de l’Ouest américain entre 1750 et 1804. Les trois premiers romans du cycle (The Pioneers, 1823, puis The Last of the Mohicans, 1826, et enfin The Prairie, 1827) confèrent à Cooper ses lettres de noblesse comme romancier américain authentique. En revenant aux Leatherstocking Tales pour les compléter, avec The Pathfinder en 1840 et The Deerslayer en 1841, il achève la construction complexe du personnage de Natty Bumppo5, qu’il lègue à la postérité comme une des incarnations les plus populaires du personnage du trappeur solitaire, immergé dans la nature sauvage de l’Ouest. Constituant ainsi, dans son splendide isolement, l’avant-poste de la civilisation, éclaireur d’une société américaine en gésine dont il prépare l’avènement sans jamais parvenir à lui appartenir lui-même pleinement, Natty Bumppo permet de lire les Leatherstocking Tales comme une véritable robinsonnade de terre ferme.
3C’est cette « robinsonnade de terre ferme » que je voudrais d’abord examiner : il est en effet tentant de considérer le personnage du « coureur des bois » (backwoodsman) incarné par Natty Bumppo comme le modèle de l’individu solitaire, pris dans le face-à-face avec la nature vierge qui l’entoure, emblème de l’affrontement vital sur lequel repose la construction de la société américaine. Dans cette perspective, la fiction romanesque des Leatherstocking Tales offrirait les éléments d’une véritable mythologie politique, fournissant à l’individualisme démocratique américain son « récit des origines », dont Natty Bumppo constituerait l’élément atomique primitif.
4Je me propose donc d’examiner dans un premier temps cette « mythologie de la frontier », pour voir en quoi elle constitue bien une « robinsonnade de terre ferme » permettant de rejouer dans l’espace de la fiction la genèse même de la civilisation nouvelle ; il me faudra dans ce but définir précisément ce que j’entends par robinsonnade. Dans un deuxième temps, je m’emploierai au contraire à nuancer cette première lecture, afin de saisir ce par quoi cette mythologie excède en réalité toujours le schéma de la robinsonnade. De ces excès eux-mêmes, je tirerai dans un troisième temps l’hypothèse selon laquelle Cooper ne bâtit pas tant un récit des commencements de la société qu’un récit de ses recommencements perpétuels, ce qui transforme très profondément l’idée de robinsonnade elle-même, me conduisant en conclusion à redéfinir les rapports de la fiction et de la théorie.
Une robinsonnade de terre ferme
Principes formels de la robinsonnade
5Si le personnage de Natty Bumppo se présente comme un des modèles littéraires les plus populaires et les plus diffusés de l’aventurier américain affrontant un espace naturel immense et sauvage pour y introduire la civilisation, et si son fidèle acolyte Chingachgook, le « dernier des Mohicans », semble pouvoir jouer le rôle d’un « Vendredi » indien à ses côtés, peut-on pour autant assimiler ses aventures de trappeur et de pionnier solitaire à des « robinsonnades » ? Pour tenter de répondre à cette question, je commence par définir les trois éléments que je vais considérer comme constitutifs de la « robinsonnade » comme type de fiction6.
6Me semble constitutive de la robinsonnade, au premier chef, la construction d’une situation narrative de solitude dans laquelle il est possible de faire l’expérience, par le moyen de la fiction, des qualités de la nature humaine dans leur état élémentaire. La robinsonnade repose ainsi sur une description des facultés et des principes fondamentaux de la nature humaine tels qu’on peut les saisir, à l’échelle de l’individu, en deçà de toute construction sociale, à laquelle la fiction les soustrait. Le « Robinson » n’est pas un être humain primitif, qui offrirait la possibilité de saisir un hypothétique « état de nature » nécessairement antérieur à toute société possible : c’est un être social que les accidents contingents de l’intrigue placent en dehors de la société afin d’examiner le jeu élémentaire de ses facultés et de ses représentations, artificiellement débarrassées des contraintes et des règles du monde social. On a là ce que l’on pourrait appeler un « principe d’élémentarité », qui me semble constituer le premier fondement de la robinsonnade.
7Cet artifice permet alors d’imaginer une mise en intrigue de la genèse des facultés sensibles, cognitives, morales ou sociales : conjecturalement privé de l’exercice concret des rapports sociaux, de leurs règles et de leurs conventions, le « Robinson » fournit un excellent moyen d’observer le développement libre et non contraint de ses tendances et de ses capacités, de sorte que le déploiement de l’intrigue se présente comme une forme de déduction par l’enchaînement des images – en d’autres termes, la robinsonnade utilise la fiction pour réaliser l’équivalent narratif d’une déduction de la genèse de l’état social à partir de la nature « élémentaire » de l’individu isolé. En mettant en scène un « nouveau départ », la robinsonnade réalise par le biais de la fiction romanesque l’expérience, historiquement et politiquement impossible à reproduire, d’un engendrement ex novo des rapports moraux et sociaux. Le principe d’élémentarité décrit ci-dessus se trouve ainsi complété d’un « principe d’originarité ».
8Ce double principe mimant, dans l’ordre de la fiction, les mouvements successifs d’une analyse (décomposition de la nature humaine sociale ramenée à ses éléments constituants par l’accident de la solitude) et d’une synthèse (genèse des rapports moraux et sociaux par le déroulement même de l’intrigue sur la base de cette élémentarité artificiellement reconquise), il est impossible de ne pas y voir une dissimulation, qu’on la juge délibérée ou naïve, de conceptions lourdement préjudicielles de ces éléments et de leurs développements moraux et sociaux. Ces éléments et ces rapports se trouveraient ainsi indûment naturalisés par le recours à la fiction : en d’autres termes, on est fondé à soupçonner que dans les robinsonnades la fiction « encapsule » des fondements doctrinaux qui ne se donnent pas comme tels, mais qui se trouvent inscrits de manière dogmatique et non réfléchie dans la matière même du récit. La fiction devient alors le véritable substitut d’un argumentaire théorique qui se dérobe, de sorte que l’on pourrait appeler « principe de subsidiarité » ce troisième et dernier fondement de la robinsonnade comme type de récit romanesque.
9Reste alors à vérifier que l’on peut appliquer ces trois principes au personnage de Natty Bumppo dans les cinq romans du cycle de Bas-de-Cuir. Natty Bumppo, l’homme des bois solitaire, sans famille ni attache dans la société des blancs, incarne la rude confrontation avec la nature sauvage. Cependant, en l’inscrivant dans le cadre de la wilderness américaine7, Cooper lui fait simultanément faire l’épreuve de la nature en général et l’expérience de sa nature particulière : l’invocation des lois de la nature est chez Bas-de-Cuir aussi fréquente que la mention de ses « dons » naturels, et sa conduite, ses actions et ses discours semblent se construire au carrefour de ces deux ordres tout aussi naturels l’un que l’autre. Ainsi immergé dans la wilderness, Natty Bumppo affronte au plan romanesque le principal défi de la conquête du continent depuis les débuts de la colonisation : l’instauration de la civilisation qu’il faut imposer pied à pied à une nature démesurée, sauvage, et inconnue. L’esprit individualiste et pragmatique de l’homme des bois nourrit par là la représentation romanesque que l’Amérique du xixe siècle se fait de sa propre construction comme nation démocratique. On peut alors essayer de détailler l’application à la figure de Natty Bumppo des trois principes structurant la « robinsonnade » telle que j’ai tenté de la définir ci-dessus.
Application des principes au cycle de Bas-de-Cuir
10Le principe d’élémentarité semble aisément documentable, s’agissant de Natty Bumppo : il est seul, et il affirme explicitement et régulièrement son goût de la solitude. Cette solitude est construite : comme Robinson, Bas-de-Cuir est un civilisé à qui il advient de vivre dans l’isolement de la wilderness, et sa place dans l’économie romanesque est littéralement celle d’un marginal, en ceci qu’il se tient sur le « bord » même de la société des hommes blancs, observant son avancée avec réticence, tout en conservant précieusement la connaissance, le sentiment et le goût de la nature vierge qu’elle cherche à maîtriser. La wilderness définit pour lui non seulement un cadre de vie, mais aussi un mode de vie, dont le principal effet est la réduction de l’existence à son essence nue : c’est là le dispositif esthétique et moral qui détermine dans les Leatherstocking Tales ce que j’ai appelé l’élémentarité constitutive de la robinsonnade.
11En effet, comprise comme mode de vie, la wilderness impose à l’Adam américain sa brutale simplification : elle le dispense des conventions sociales, elle le ramène aux nécessités pratiques de l’existence matérielle, elle « purifie » ses passions et ses sentiments. En le rappelant aux règles fondamentales de la nature, elle lui fournit un certain sens de la mesure. C’est ce sens qui dicte à Bas-de-Cuir son économie de gestes et de paroles ; c’est lui qui fonde sa répugnance devant l’exploitation anarchique des ressources naturelles8 ; c’est encore lui qui lui permet de percevoir instantanément le rapport de convenance entre la conduite d’un personnage et sa nature particulière. L’épreuve de la wilderness conduit Bas-de-Cuir à se réapproprier constamment les règles fondamentales de sa propre nature, et à retrouver les racines des sentiments moraux qu’elle lui enseigne, comme le montre le portrait moral qu’en donne Cooper dans le chapitre ix de Pathfinder :
Toujours semblable à lui-même, d’un esprit simple, fidèle, absolument dépourvu de crainte et cependant prudent […] il offrait le modèle de ce qu’avait dû être Adam avant la chute. […] On remarquait qu’aucun officier ne passait devant lui sans le saluer comme un égal, et que les hommes du rang l’abordaient avec la même confiance et la même franchise qu’un camarade. […] Bref, qui eût douté de la capacité de l’homme à distinguer le bien du mal sans l’aide de l’instruction, eût été ébranlé dans ses convictions par le caractère de cet extraordinaire habitant de la frontier9.
12Trois éléments sont ici remarquables, et tous trois doivent être comptés comme des indices de « l’élémentarité » de Natty Bumppo : d’une part, une « simplicité » de l’esprit et des sentiments qui confère au personnage la moralité d’Adam avant la chute ; d’autre part, une stricte égalité individuelle qui en fait par nature un « semblable » universel (de sorte que c’est sa nature même d’isolato10 qui, parce qu’elle est assumée, lui permet de rencontrer chaque homme comme un égal et un camarade : c’est là un élément crucial du rôle théorique que la fiction peut jouer dans la construction d’une mythologie fondatrice de l’individualisme démocratique américain) ; enfin, un sens moral qui paraît inné, puisque l’absence d’instruction est une des caractéristiques constamment rappelées de l’éducation de Natty Bumppo (sa moralité ne lui est donc dictée que par l’expérience « pure » de sa nature, que lui fournit constamment la nature « pure » de la frontier).
13La vie sur la frontier, c’est-à-dire en marge de la société, conditionne ainsi « l’élémentarité » de Natty Bumppo comme « Robinson de la wilderness », tout en dessinant le cadre de son « originarité ». En effet, s’il a choisi de se tenir sur le « bord » de la civilisation, il la voit pourtant s’avancer, et les différents romans du cycle mettent en scène l’arrivée progressive des colons qui occupent l’espace sauvage et le domestiquent : aux petits groupes d’intrépides squatters conduits par Ismael Bush dans La Prairie, qui évoquent très directement les images des pionniers passant le Cumberland Gap sous la conduite de Daniel Boone en 1775, succèdent les colons, les agriculteurs et les défricheurs qui entament le processus de transformation matérielle du paysage ; puis viennent enfin les bâtisseurs de villes, qui construisent des routes et des ponts, et imposent une organisation politique aux communautés qui se sont constituées sur la frontier. C’est à ces derniers que Natty a affaire dans Les Pionniers, et la querelle qui l’oppose au juge Marmaduke Temple au sujet d’un daim tué en dehors de la période légale de chasse constitue le véritable emblème de la double incompréhension qui gouverne les rapports de la loi de la cité avec la mesure de la wilderness. Si Natty refuse de respecter les décisions conventionnelles qui tentent de circonscrire son usage des ressources naturelles, c’est aussi parce qu’il voit les mêmes communautés qui adoptent ces conventions gâcher le gibier, et puiser sans mesure ni besoin réel dans les réserves de la faune locale11 : si la robinsonnade permet de décrire l’avènement de la société des hommes, cet avènement est saisi depuis le point de vue de Robinson lui-même, et permet de décrire du dehors l’avancement de la civilisation, en comptabilisant ses bienfaits comme ses ravages.
14Il faut enfin ajouter au principe d’élémentarité et au principe d’originarité le principe de subsidiarité : or la mythologie de la frontier a effectivement joué un rôle matriciel dans la production des représentations de la naissance des États-Unis à partir de l’individualisme démocratique du pionnier. C’est par exemple le cas dans les Letters from an American Farmer de Crèvecœur, dont en 1782 le célèbre chapitre iv, « What is an American ? », décrit la société américaine naissante sous les traits d’une utopie agraire dans laquelle les classes sociales sont pour ainsi dire abolies, l’espace américain et ses dimensions propres contribuant très directement à la construction de cette société pastorale et libérale :
Les riches et les pauvres ne se trouvent pas si éloignés les uns des autres qu’ils ne le sont en Europe. Quelques rares villes mises à part, nous travaillons tous la terre, de la Nova Scotia à la Floride Occidentale. Nous sommes un peuple de cultivateurs, éparpillés sur un immense territoire, communiquant les uns avec les autres par le moyen de bonnes routes et de rivières navigables, unis par les liens de soie d’un gouvernement modéré, dont nous respectons tous les lois, sans craindre leur pouvoir, parce qu’elles sont équitables12.
15En donnant avec les Leatherstocking Tales une forme populaire et durable à cette utopie agraire, dans laquelle l’individualisme pragmatique et le bon sens du fermier se marient à un gouvernement représentatif respectueux des libertés individuelles, Fenimore Cooper contribue lui aussi à fournir à la jeune démocratie américaine un grand récit des origines. La doctrine de la signification historique de la frontier est développée à la fin du xixe siècle par l’historien Frederick Jackson Turner : dans une conférence prononcée lors de la World Columbian Exposition de Chicago en 1893, intitulée « The Significance of the Frontier in the American History », F. J. Turner fait de la frontier le fait multiple et mobile, mais sans cesse renouvelé, qui constitue la matrice même de la société américaine. Retrouvant des accents qui rappellent aussi bien les Letters from an American Farmer de Crèvecœur que les Leatherstocking Tales de Cooper, F. J. Turner décrit la frontier comme le véritable agent de l’américanisation des immigrants européens, que seule la confrontation avec la wilderness par la grâce de l’élan pionnier transforme en authentiques américains :
La frontier est le vecteur d’américanisation le plus rapide et le plus efficace. La wilderness s’impose au colon. Elle accueille un homme qui est européen par ses vêtements, ses activités, ses outils, ses façons de voyager et de penser. Elle le prend dans le wagon de chemin de fer et l’installe dans le canoë d’écorce. Elle le dépouille des oripeaux de la civilisation et lui fait enfiler la tunique de chasse et les mocassins. Elle le loge dans la cabane de rondins des Cherokees et des Iroquois, et dresse autour de lui une palissade indienne. Bientôt le colon sème le maïs indien, laboure avec un bâton pointu, et il ne tarde pas à pousser le cri de guerre et à scalper de la façon la plus orthodoxe. Bref, l’environnement de la frontier est d’abord trop rude pour l’homme. Il doit en accepter les conditions ou périr : il s’installe donc dans les clairières indiennes et suit les pistes indiennes. Peu à peu il transforme la wilderness, mais il n’en fait pas la vieille Europe […]. De fait, il y a là un produit nouveau, qui est Américain13.
16Je reviendrai sur cette curieuse dialectique qui oblige l’Européen à se transformer en Indien pour parvenir à devenir un Américain ; dans l’immédiat, il me semble frappant que les véritables agents de cette transformation soient, indissociablement, la frontier et la wilderness elles-mêmes. Ce sont elles qui déterminent le puissant individualisme du colon, de sorte que F. J. Turner peut affirmer que « l’effet le plus important de la frontier, c’est la promotion de la démocratie », ou encore que « depuis les origines l’individualisme de la frontier a promu la démocratie14 » : les nouveaux comtés et les nouveaux États, au fur et à mesure de la progression du front pionnier, ont imposé leur individualisme libéral et démocratique aux institutions politiques américaines. Turner décrit cette évolution dans des termes qui ne sont pas très éloignés de ceux de Crèvecœur, pour conclure que « c’est à la frontier que l’intellect américain doit ses traits les plus frappants15 ». Cette thèse, défendue par Turner tout au long de sa carrière16, est rapidement devenue sous le nom de « Frontier Thesis » un des principes fondateurs de l’historiographie américaine de l’Ouest, qu’il a dominée jusque dans le dernier quart du xxe siècle.
17L’épreuve semble donc concluante : Fenimore Cooper, en forgeant avec les Leatherstocking Tales un des plus célèbres modèles de coureur des bois américains, paraît bien produire une fiction à la fois élémentaire et originelle à partir de laquelle l’historiographie politique des États-Unis, désormais lestée d’une mythologie des origines, peut édifier ses analyses. Cependant, je voudrais maintenant approfondir et discuter cette interprétation qui ne prend pas pleinement la mesure de l’objet auquel elle s’applique. Je vais donc tâcher de montrer tout d’abord que ces trois principes qui me semblent gouverner la robinsonnade ne peuvent pas s’appliquer sans réserve à Cooper, et qu’il faut profondément en nuancer le sens.
Une robinsonnade paradoxale
Limites de l’« élémentarité » de Natty Bumppo
18Premièrement, ce que j’ai défini comme le principe d’élémentarité vole en éclats quand on examine en détail la figure de Natty Bumppo : on constate en effet que, loin d’offrir l’image d’une nature humaine saisie dans son état élémentaire, le personnage résulte d’une composition très complexe de caractéristiques socialement construites et très hétérogènes, leur hétérogénéité même définissant leur puissance narrative. En d’autres termes, les aventures de Natty Bumppo constituent un artefact romanesque dans lequel la fiction enregistre un certain nombre de tensions tour à tour historiques, poétiques, sociales, raciales, ou sexuelles. On a ainsi pu souligner l’ambivalence des personnages féminins, dont les plus marquants sont aussi les plus curieusement virilisés, tandis que les plus traditionnels sont caricaturés au point de paraître tourner en dérision l’idéal de « true womanhood » élaboré à l’occasion du Second Great Awakening17 ; et ce phénomène est d’autant plus marqué que les personnages féminins de Cooper fonctionnent fréquemment par paires18. Mais cette ambivalence, que l’on peut également remarquer dans le traitement des rapports entre les colons et la nature de l’Ouest qu’ils asservissent, touche aussi le personnage de Natty Bumppo lui-même : proclamant simultanément qu’il est de pure ascendance blanche et qu’il a les mœurs et les usages d’un Indien, Natty incarne une mise en crise permanente de l’identité raciale qui lui permet d’osciller constamment entre les deux pôles de l’affrontement entre les pionniers anglo-américains et les forces de la wilderness – on pourrait analyser dans le même sens les déclarations parfois très équivoques, ou franchement contradictoires, que Cooper place dans la bouche de son héros au sujet de la religion, de l’égalité des hommes, ou de la nature même du progrès que constitue la colonisation de l’Ouest par la civilisation occidentale19.
19Ainsi la force de la fiction coopérienne, c’est sa capacité à mettre en débat, sous forme de questions non résolues, ouvertes, disputées, les problèmes qui traversent la société américaine des années 1820-1840 – en particulier sur la question du rôle et de la place des femmes dans cette société ou sur celle de la conception des barrières raciales. Sur tous ces sujets, Cooper adopte non seulement des positions progressistes20, mais aussi et surtout, des positions problématiques : le statut même de la fiction romanesque permet à Cooper de tenir ensemble des positions équivoques sans chercher à en résoudre les tensions ou les contradictions21. Il faudra en conclusion revenir sur ce point qui oblige à s’interroger sur la manière dont la transmission et la réception du récit coopérien ont produit une « univocation » artificielle et forcée d’une fiction qui travaillait au contraire constamment à construire l’équivocité de ses positions.
Limites de la généalogie fictionnelle de la civilisation
20Deuxièmement, si cette équivocité constante fragilise largement la valeur « élémentaire » du Robinson de la frontier qu’est Natty Bumppo, il faut également reconnaître que sa valeur « originelle » doit elle aussi être sérieusement nuancée. Natty Bumppo est certes un isolato, mais il ne constitue pas pour autant l’« atome anthropologique » à partir duquel on pourrait envisager de rejouer fictivement l’expérience de la genèse de la société. Au contraire, en se tenant précisément sur la marge de la civilisation, Bas-de-Cuir occupe l’endroit précis où elle ne cesse de se détruire et de se trouver remise en cause : la civilisation avance par saccades et Natty Bumppo recule devant elle, en même temps que recule la wilderness toute entière. Cependant ce processus n’est pas linéaire : la construction de la société américaine qui investit et transforme l’Ouest et ses espaces ne peut pas faire l’objet d’un récit simplement génétique parce que sa genèse est brisée, multiple, et sans cesse recommencée. En d’autres termes, Natty Bumppo n’incarne pas un commencement, mais un perpétuel recommencement. Turner lui-même, en 1893, avait parfaitement senti et décrit ce rythme, et notait dès les premières phrases de son analyse que « le développement social américain n’a pas cessé de recommencer depuis le début (has been continually beginning over again) sur la frontier22 ». La « genèse » que propose la robinsonnade coopérienne s’en trouve profondément transformée.
21Le personnage de Natty Bumppo est ainsi un Robinson plus complexe et moins typique qu’il n’y paraissait au premier abord. On ne peut donc pas se contenter de considérer qu’il assume, dans le cadre de la fiction, ce que la théorie de l’individualisme démocratique américain voudrait se dispenser de démontrer ou de fonder. Mais alors, comment comprendre cette mythologie de la frontier ? Peut-on encore soutenir qu’elle nourrit l’historiographie politique américaine ?
La fiction et les critiques de l’historiographie de la frontier
22Pour répondre à cette question, il faut examiner brièvement la postérité de la thèse « turnérienne ». On l’a noté, cette thèse formulée dès 1893 a joué un rôle déterminant, et occupé une position dominante, dans l’historiographie américaine de l’Ouest, tout au long du xxe siècle. Cependant, elle a été soumise à une critique presque constante : un certain nombre de travaux la remettent en cause dès la fin des années 193023 ; puis, autour de la création de la Western History Association en 1961, un nouveau courant historique entreprend de réexaminer l’histoire de l’Ouest et « commence lentement à concevoir l’Ouest dans des termes post-turnériens24 », pour reprendre l’expression de Donald Worster. Durant la décennie suivante, la diffusion de l’épistémologie marxiste et les bouleversements provoqués dans les sciences sociales et historiques par la guerre du Vietnam provoquent une révision très profonde des piliers idéologiques de l’histoire américaine, en remettant en particulier brutalement en cause la dissimulation de la violence impérialiste de la conquête de l’Ouest sous les oripeaux d’une mythologie dont l’historiographie turnérienne fournit à son corps défendant la vulgate25. Mais ce n’est cependant qu’à la fin des années 1980 que cette révision porte tous ses fruits26 avec le courant de la New Western History qui remet en cause en profondeur la « Frontier Thesis » héritée de Turner. C’est aux motifs de cette remise en cause qu’il faut s’intéresser pour comprendre, pour ainsi dire par ricochet, les enjeux de la mythologie coopérienne de la frontier.
23La New Western History commence par considérer, et c’est là une décision méthodologique extrêmement importante, que l’historiographie turnérienne relève du « mythe »27 : elle se donne donc pour tâche de dissiper ce mythe. Pour cela, elle entreprend de combattre la linéarité de la Frontier Thesis turnérienne : cela passe, par exemple, par la remise en cause du caractère « démocratique » de l’esprit de la frontier, par la restitution de la voix des Indiens eux-mêmes, par la construction de la polyphonie des acteurs de la conquête, par la mise en évidence du lien conservé entre les pionniers et les États de l’Est, ou les cultures européennes dont ils sont issus. D’une manière générale, la New Western History restitue à l’historiographie de la frontier ses contradictions, ses conflits, ses clivages, afin de dessiner plus soigneusement la complexité sociale et culturelle de ces multiples processus rassemblés sous un nom unique. Rien d’étonnant à ce que la recherche se concentre alors, comme le notent les éditeurs du volume Trails : Toward a New Western History, sur trois questions autour desquelles tensions et oppositions se nouent : la question des clivages sexuels, celle des tensions raciales et celle du conflit entre l’homme et son environnement naturel28. C’est alors l’univocité même du phénomène de la frontier qui se trouve bouleversée :
[…] la New Western History offre une vision plus équilibrée de l’Ouest du passé. Elle comprend l’échec comme le succès ; la défaite comme la victoire ; la sympathie, la grâce, la méchanceté et le désespoir aussi bien que le danger, le courage et l’héroïsme ; les femmes aussi bien que les hommes ; les groupes ethniques variés et leurs différents points de vue aussi bien que les Anglo-saxons blancs protestants ; un environnement qui est contraignant, réactif, et parfois détruit, aussi bien que dominé et cultivé ; une économie paroissiale tantôt nourrie et tantôt délaissée par un ordre à la fois national et mondial ; et, enfin, une identité régionale aussi bien qu’une éthique de la frontier29.
24On le voit, cet effort pour déconstruire une historiographie turnérienne trop univoque et trop linéaire fait émerger un faisceau de paradoxes et de clivages qui rappellent précisément ceux dont j’ai avancé ci-dessus qu’ils structuraient en réalité la fiction romanesque que construit Cooper dans les Leatherstocking Tales : ce qui chez Cooper résistait à la grille de lecture trop schématique de la « robinsonnade » rejoindrait ainsi ce que la New Western History invoque pour remettre en cause la grille de lecture trop schématique de la Frontier Thesis. Cette convergence inattendue offre peut-être un élément de réponse à la question que je posais plus haut : quel sens donner à la fiction de la frontier que bâtit Cooper, et comment peut-elle encore nourrir l’historiographie américaine ? En d’autres termes, quelles nuances exactes faut-il apporter à ce troisième principe que j’ai imaginé pour définir les robinsonnades, c’est-à-dire le « principe de subsidiarité » qui détermine la fonction propre de la fiction relativement à la constitution d’un corps de doctrine théorique ?
25Il faut remarquer que, dans sa grande majorité, la New Western History porte sur la fiction, et tout particulièrement sur la fiction populaire, un regard embarrassé : en critiquant le caractère « mythologique » de la Frontier Thesis de Turner, elle est amenée à souligner la prégnance de cette même thèse comme motif culturel fabuleux pour la fiction populaire30. Affirmant que la thèse turnérienne ne mérite pas la puissance scientifique qu’on lui a trop longtemps reconnue, elle reconnaît dans le même mouvement que cette puissance repose en revanche sur l’efficacité narrative de cette thèse dès lors qu’on la saisit comme fiction : c’est en effet une représentation « turnérienne » de la conquête de l’Ouest qui triomphe dans le western véhiculé par les pulp magazines du début du siècle puis dans les fictions romanesques, télévisuelles ou cinématographiques qui ne cessent d’alimenter l’engouement du public américain pour la mythologie de la frontier. Dès lors, si certains des historiens de la New Western History entendent purement et simplement évacuer la fiction historiographique et avec elle la mythologie de la frontier et son besoin de héros comme autant d’illusions faisant obstacle à la vérité31, d’autres soulignent au contraire que la nature même de cette fiction interdit absolument de la laisser de côté : les récits, malgré leur standardisation par la culture de masse, malgré leurs implications historiographiques et idéologiques indûment soustraites à l’examen critique, font intégralement partie du fait qu’il s’agit de constituer32. L’épistémologie même des cultural studies, qui accompagnent le mouvement de la New Western History, commande de ne surtout pas les négliger : il est alors nécessaire, pour réformer la Western History, d’y intégrer l’histoire des récits de l’Ouest eux-mêmes33.
26Il est peut-être alors possible de relire Cooper en y cherchant précisément ce par quoi sa fiction nourrit l’historiographie américaine tout en l’assimilant – autrement dit, ce en quoi la puissance propre de la fiction ne réside pas seulement dans son rôle de pseudo-fondement théorique dissimulé dans des illusions romanesques, mais bien au contraire dans sa capacité à déterminer la théorie elle-même, à l’anticiper, et à l’excéder constamment dans un « entrelacs constant du fait et de la fiction34 ». Pour entamer cette relecture, il me semble possible de prendre appui sur une remarque des éditeurs du volume Under an Open Sky, qui soulignent que « la thèse la plus irréfutable de Turner à propos de la frontier, c’est qu’elle se répète elle-même35 ». Cette idée, dont j’ai déjà rappelé l’importance chez Turner, me semble converger avec l’idée coopérienne d’un perpétuel « nouveau départ » de la conquête de l’Ouest : je voudrais ainsi proposer une relecture de la « mythologie de la frontier » que construisent les Leatherstocking Tales en ne la considérant pas comme un « récit des commencements », mais plutôt comme un « récit des recommencements ».
Un récit des recommencements
27Les Leatherstocking Tales se présentent comme un « récit des recommencements » sous trois points de vue différents, mais articulés entre eux : la place de Cooper dans l’histoire de la conscience que la littérature américaine a d’elle-même ; l’ordre singulier dans lequel Cooper a choisi d’écrire et de publier les cinq romans qui composent le cycle ; et enfin le thème même du recommencement tel qu’il s’incarne dans le personnage de Natty Bumppo. Je voudrais montrer, à partir de ces trois facettes du récit des recommencements, que ce dernier peut bien se lire comme une mythologie des origines, à condition de préciser que ces origines doivent être conçues comme disparues, enfouies, perpétuellement abolies dans le mouvement même de leur mise en intrigue romanesque et historiographique.
Le recommencement littéraire : Cooper et la littérature américaine
28Loin d’engendrer ex nihilo une thématique ou une forme nouvelle, la construction littéraire de Fenimore Cooper se présente comme une entreprise de récollection et de synthèse des pistes ouvertes par ses prédécesseurs : le récit de l’Ouest qui se déploie dans les Leatherstocking Tales hérite en effet de très nombreuses sources. La construction du récit coopérien reprend tout d’abord les topoi littéraires installés par les premiers colons puritains du xviie siècle : d’une part le personal narrative, qui fait de l’itinéraire spirituel le squelette du récit, dont le temps fort est la conversion et la rédemption de l’émigrant dans sa confrontation périlleuse avec la nature sauvage américaine, le « Nouveau Monde » se trouvant ainsi intériorisé dans une fiction du « Nouvel Homme » ; et d’autre part le captivity narrative, qui dès le xviie siècle est constitué en proto-genre36. Mais les Leatherstocking Tales héritent également de la littérature du xviiie siècle qui propose les premiers modèles du « récit pionnier » – par exemple avec les Letters from an American Farmer de Crèvecœur, ou avec l’épopée de Daniel Boone, qui va fournir un des principaux modèles du personnage du trappeur grâce à la biographie romancée, « The Adventures of Col. Daniel Boone », que John Filson publie en 1784 en annexe de The Discovery, Settlement and Present State of Kentuckie.
29Filson a créé un personnage qui devait devenir l’archétype du héros de la frontier américaine, copié par des imitateurs et des plagiaires, et qui allait réapparaître un nombre incalculable de fois sous d’autres noms et d’autres visages – dans la littérature, les arts populaires, ou le folklore – comme l’homme qui avait préparé la frontier à la démocratie. Le roman-Boone (the Boone narrative) constituait en réalité la première construction nationale viable d’un mythe de la frontier37.
30Aux formes narratives héritées des récits puritains du xviie et des récits pionniers du xviiie siècle, il faut ajouter deux récits moins directement romanesques, mais explicitement revendiqués par Cooper comme sources de son inspiration : il s’agit d’une part de Cadwallader Colden, The History of the Five Indian Nations Depending of the Province of New-York in America, publié en deux parties en 1727 et 174738, et de John Heckewelder, Account of the History, Manners, and Customs of the Indian Nations who once inhabited Pennsylvania and the Neighboring States, publié en 181839. Ces deux textes sont d’autant plus intéressants qu’ils proposent sur la frontier le point de vue des Indiens eux-mêmes : Colden et Heckewelder, à quelques décennies de distance, s’efforcent de rassembler les connaissances historiques et anthropologiques de leur époque sur les nations indiennes.
31Ainsi l’entreprise de Fenimore Cooper constitue un véritable carrefour littéraire, une reprise composite de l’ensemble des récits de la frontier qu’a développé la littérature américaine, du début du xviie siècle au début du xixe. Toutes les pistes littéraires du récit américain convergent dans les Leatherstocking Tales, et se recomposent sans pour autant se dépouiller de leurs contradictions. Natty Bumppo est bien, du point de vue de l’histoire de la littérature américaine, un perpétuel recommencement : une reprise réflexive des traditions narratives de la Frontier, amalgamant un ensemble de tensions et de clivages sur lesquels la littérature de l’Ouest ne va cesser de redéployer ses trajectoires romanesques et idéologiques divergentes. Mais ce recommencement peut aussi être lu dans la genèse chronologique des Leatherstocking Tales.
Le recommencement des livres : chronologie éditoriale et chronologie romanesque
32Les cinq romans de Bas-de-Cuir sont publiés par Cooper en deux temps : les trois premiers paraissent entre 1823 et 1827, au tout début de la carrière littéraire de leur auteur, les deux derniers en 1840 et 1841, dix ans avant sa mort. Or, non seulement ces deux « séquences » éditoriales ne correspondent pas à un ordre de succession des aventures qu’elles retracent, mais encore chacune d’elle bouscule à son tour cet ordre.
33Les trois premiers récits du cycle, respectivement publiés en 1823, en 1826 et en 1827, ne se suivent pas de manière linéaire : The Pioneers raconte l’établissement d’un village de pionniers dans la haute vallée de la Susquehanna en 1793 ; le village en question, Templeton, est très directement inspiré de Cooperstown, le village dans lequel Fenimore Cooper a grandi, et le juge Marmaduke Temple qui l’administre doit beaucoup au juge William Cooper, père de James, et fondateur de Cooperstown en 1791. Natty Bumppo, alors septuagénaire, observe les progrès de la civilisation tout en refusant de s’y adapter, et la fin du roman le voit quitter le village pour retourner vivre dans la forêt avec son fusil et ses deux chiens. Le second roman, The Last of the Mohicans, introduit une rupture et ramène le lecteur en 1757, pendant un épisode de la Guerre de Sept Ans : Natty Bumppo s’y trouve pris dans le siège du fort William Henry par les troupes françaises de Montcalm ; son compagnon indien Chingachgook, qui n’était dans The Pioneers qu’un vieil indien assommé par le rhum, est cette fois un chef de guerre au sommet de sa puissance, qui aide Bumppo à délivrer les filles du commandant du fort anglais, enlevées par de fourbes Hurons. Enfin le troisième roman du cycle, The Prairie, raconte le dernier épisode de la vie de Natty Bumppo qui, dix ans après avoir quitté Templeton, guide un groupe de colons à travers les plaines du Kansas, avant de s’éteindre, à plus de quatre-vingt ans, dans une tribu indienne qui l’a accueilli.
34Cette étrange construction, qui intercale entre deux épisodes successifs de la vieillesse de Natty Bumppo le récit de sa jeunesse de coureur des bois, contribue à fournir à la saga du trappeur un « supplément d’antiquité » qui produit un double effet : d’une part un effet élégiaque, dans la mesure où The Last of the Mohicans, en décrivant les jeunes années de Hawkeye dans un Ouest encore jeune, renforce encore la mélancolie des deux autres romans, dans lesquels se trouve esquissé un monde qui disparaît, au début du xixe siècle, avec son principal témoin ; et d’autre part un effet exactement inverse de rénovation et de renaissance. Revenant à la peinture de la wilderness « authentique » des années 1750, The Last of the Mohicans offre la vision d’un âge d’or de la conquête qui contraste brutalement avec le désappointement de Natty Bumppo vieillissant devant le progrès de la civilisation, qui a remplacé les trappeurs par les pionniers et la communion avec la wilderness par sa mise en coupe réglée.
35Le double effet contrasté que produit cet « aller-retour » inattendu se retrouve dans la seconde séquence de publication des romans de Bas-de-Cuir : le même procédé se retrouve en effet en 1840-1841, puisque l’intrigue de The Pathfinder, publié en 1840, se situe quelques années après les événements de The Last of the Mohicans, tandis que The Deerslayer, en 1841, raconte un épisode de la première jeunesse de Natty dans la première moitié du xviiie siècle. Fenimore Cooper semble donc avoir délibérément choisi de composer la série à « rebrousse-temps », puisque l’ordre même des cinq romans produit une impression de perpétuel retour aux origines. Dans ce retour aux origines, c’est le caractère épique de la mythologie de la frontier qui se trouve affirmé.
36Le procédé n’est pas sans exemple : ainsi Rabelais, en composant les cinq livres de ses chroniques pantagruélines, avait lui aussi choisi de publier d’abord les aventures du fils (Pantagruel, 1532) avant de revenir à celles du père (Gargantua, 1534), pour reprendre ensuite le cours initial de son histoire (Le Tiers Livre des faicts et dicts héroïques du noble Pantagruel, 1546), dotant ainsi son héros d’un « supplément d’antiquité » indispensable pour que la fiction puisse pleinement se déployer40. Ce détour par Rabelais comporte peut-être un autre enseignement : si Rabelais choisit de doter ses géants de ce « supplément d’antiquité », c’est aussi pour les ancrer dans une matière épique qui appartient au récit populaire. En effet, en publiant le Gargantua après le Pantagruel, Rabelais « annexe », pour ainsi dire, à ses « chronicques gigantales » le matériau des Grandes et inestimables chronicques de l’énorme géant Gargantua, qui constituent un appendice romanesque purement français de la Geste arthurienne, en circulation dans les dernières décennies du xve siècle et les premières décennies du xvie siècle : Rabelais, en remontant dans la généalogie de son héros, le rattache à une figure sanctionnée par la fiction populaire et le dote en même temps d’une vénérable antiquité et d’une dimension épique immédiatement comprise par le lecteur.
37Le procédé de Fenimore Cooper entretient une ressemblance frappante avec le choix opéré par Rabelais : en logeant au cœur des Leatherstocking Tales, apparemment installées dans les années 1790-1805, l’évocation rétrospective de la mythologie de la « première » frontier, celle de l’Old West des années 1740-1750, Cooper dote son personnage d’une antiquité qui lui permet d’assumer toutes les époques du récit de la frontier à la fois. Cet ancrage de la saga de Natty Bumppo dans l’ensemble des formes « classiques » de la mythologie de la frontier nourrit une conception épique de la conquête de l’Ouest, conception qui est explicitement théorisée dans le premier chapitre de The Deerslayer :
Les événements produisent les mêmes effets que le temps sur l’imagination des hommes. Ainsi celui qui a fait de longs voyages et qui a vu beaucoup de choses est porté à se figurer qu’il a vécu longtemps, et l’histoire qui offre le plus grand nombre d’incidents importants est celle qui prend le plus vite l’aspect de l’antiquité. On ne peut expliquer d’une autre manière l’air vénérable que prennent déjà les annales de l’Amérique (American annals). Quand l’esprit se reporte aux premiers jours de l’histoire coloniale, l’époque en semble éloignée et obscure, parce que les mille changements qui s’accumulent tout au long de la chaîne des souvenirs rejettent l’origine de la nation à une date si éloignée qu’elle semble se perdre dans les brumes du temps ; et cependant quatre vies d’une durée ordinaire suffiraient à transmettre, de bouche à oreille, sous forme de tradition, tout ce que l’homme civilisé a accompli dans les limites de la république41.
38The Deerslayer, qui donne à la saga sa conclusion (selon la chronologie éditoriale) en même temps que son origine (selon la chronologie romanesque), s’ouvre ainsi sur une déclaration qui définit la plasticité temporelle du personnage de Natty Bumppo : parcourant par la vertu de sa longévité toutes les époques de la frontier, il est conçu pour en incarner le recommencement permanent, récapitulant l’épopée en retraversant toutes les formes sous lesquelles elle peut être racontée. Cependant, si Natty Bumppo ne cesse ainsi de renaître, parce que l’ordre de la saga le ramène sans cesse vers ses origines, il faut dans un troisième temps remarquer que le « recommencement » fonctionne également comme motif narratif à l’intérieur même de la fiction.
Le recommencement comme thème et structure de la fiction
39En couvrant sept décennies de conquête de l’Ouest américain, du premier tiers du xviiie siècle au tout début du xixe siècle, l’épopée de Leatherstocking récapitule l’ensemble des figures de la conquête, depuis les premiers contacts avec les tribus des Cinq Nations dans la région des Grands Lacs, jusqu’à la construction des villes sur les terres défrichées et déboisées d’un Ouest désormais domestiqué. Dans un désordre savamment orchestré, les épisodes de la vie de Natty Bumppo font littéralement remonter le lecteur jusqu’à l’âge d’or de la wilderness, jusqu’à cet impossible « premier » commencement qui, précisément parce que le lecteur le découvre au terme du feuilletage épars de ses duplications variées, semble toujours advenir comme un recommencement.
40Cette séquence constitue une des clefs structurelles de la mythologie de la frontier : en nous ramenant vers le commencement, Cooper ne cherche pas à saisir l’origine de la société américaine, mais bien à la reconduire sans cesse, à rebours, vers la sauvagerie première qui ne cesse de l’accompagner. Richard Crèvecœur donnait dès 1782 une image frappante de ce « retour » permanent vers la wilderness, en décrivant, dans la quatrième de ses Letters from an American Farmer, le mouvement même de la conquête, dont le moteur est à ses yeux le geste d’une classe de réprouvés acceptant de s’enfouir dans la wilderness et d’y déchoir de la société pour préparer son avènement même :
Celui qui désirerait voir l’Amérique dans sa vraie lumière, afin de se faire une idée juste de ses pauvres commencements, et de ses prémisses barbares, celui-là devrait visiter toute l’étendue de notre ligne de frontiers, qu’occupent les colons les plus récemment établis : là, il verrait sous toutes leurs facettes différentes les premiers travaux de l’établissement même, et la manière dont le terrain est préparé. […] Dans ces régions, la prospérité en policera certains, mais le vice et la loi chasseront les autres, qui se regrouperont avec leurs semblables et s’en iront plus loin encore, faisant place à une population plus industrieuse. Elle achèvera leurs améliorations, elle convertira la cabane de rondins en demeure convenable et, se réjouissant de trouver déjà accompli le premier labeur le plus lourd, elle transformera en quelques années cette contrée jusqu’alors barbare en un district bien tenu, fertile, et beau. Tel est notre progrès, telle est la marche des Européens vers les contrées intérieures de ce continent. Toute société a ses réprouvés. Cette caste impure nous sert de précurseurs ou de pionniers42.
41Ainsi dès 1782 Crèvecœur saisit-il parfaitement le cycle du perpétuel recommencement de la colonisation ; cependant ce portrait du pathfinder en « réprouvé (off-cast) » de la société américaine naissante oblige à transférer le rôle de fondateur du trappeur au colon, et à substituer ainsi au Trappeur mythique une sorte de Premier Fermier, un « Abraham américain » plutôt qu’un « Adam américain » : cette lecture de Cooper, qui tente de montrer que le « patriarche de la frontier » est probablement la véritable figure du fondateur de la société américaine que Cooper entend construire, a été tentée43.
42Cependant on n’a plus du tout affaire alors à une robinsonnade, mais à une mise en récit de l’imposition de la loi sur le territoire des pionniers, d’Ismael Bush (The Prairie) à Marmaduke Temple (The Pioneers) : le prix à payer pour fabriquer cette figure de la société naissante, c’est justement l’abolition du pathfinder, de l’éclaireur, du trappeur, puisque ce dernier n’est que l’icône d’une époque non seulement disparue mais intrinsèquement destinée à disparaître. Natty Bumppo n’est pas seulement l’homme des recommencements : c’est l’homme qui disparaît, qui est sans descendance, qui tourne le dos à la civilisation. Conformément à l’analyse de Crèvecœur, le backwoodsman est si proche de la wilderness qu’il déchoit de la civilisation elle-même ; il ne la prépare qu’en y renonçant, parce qu’en se frottant de trop près à la nature sauvage il est condamné à s’abolir comme elle. Ce processus moral est déjà au cœur des fictions puritaines, qui racontent dès le début du xviie siècle le drame de l’émigrant venu chercher un nouvel Éden, lorsqu’il affrontait une nature dont la virginité toujours ambivalente comportait autant de pureté que de barbarie : comme le montre, par exemple, le récit de la première colonisation de la Nouvelle-Angleterre par Cotton Mather, dans le premier livre de ses Magnalia Christi Americana (1702)44, le colon affronte sans cesse un ennemi intérieur en même temps qu’un ennemi extérieur, et les tentations du Malin qui menacent la pureté du Nouvel Adam font écho, jusqu’à se confondre avec elles, aux menaces plus palpables que font peser sur lui l’omniprésence de la wilderness et des Indiens qui la peuplent45.
43L’Abraham américain et l’Adam américain, la figure de l’établissement et la figure de l’ensauvagement, fonctionneraient alors chez Cooper comme les deux facettes du même personnage. En effet l’ensauvagement de Natty Bumppo, qu’illustre de manière emblématique le dernier chapitre de The Pioneers, est une possibilité toujours ouverte pour le fermier lui-même. Le « patriarche de la frontier » conserve la possibilité toujours ouverte de suivre les traces du pathfinder et de retourner lui aussi se perdre dans la wilderness. C’est même précisément ce que fait le fermier de Crèvecœur, dans la dernière de ses Letters, lorsque la révolution vient bouleverser son mode de vie : incapable de choisir entre l’indépendance et la fidélité à l’Angleterre, il annonce son intention de fuir les colonies avec femme et enfants, pour rejoindre un village indien parce que la wilderness lui semble préférable aux guerres des blancs46.
44Ainsi Natty, fuyant devant l’avancée de la civilisation et brûlant sans cesse de retrouver la wilderness et de s’éloigner « des clairières » et du « bruit du marteau47 », dessine la possibilité d’un recommencement radical, retour à la nature dans laquelle la société qu’il s’agissait de fonder s’abolit au contraire. Or, si le civilisé lui-même, le patriarche de la frontier, conserve toujours la possibilité de suivre cette voie et d’abandonner, lui aussi, à tout moment, la société qu’il était censé fonder, alors la robinsonnade est tout simplement renversée. On rencontre en effet là une figure dont Richard Lewis souligne l’ancienneté et la continuité dans l’histoire de la fiction américaine, lorsqu’il évoque
[…] la thèse, implicite chez de nombreux écrivains américains, de Poe et Cooper à Anderson et Hemingway, selon laquelle le rite initiatique qui vaut pour l’individu du nouveau monde ne constitue pas une initiation pour entrer en société, mais, étant donné la nature de la société, une initiation pour en sortir : c’est là ce que je voudrais qu’il soit possible d’appeler une « désinitiation »48.
45Les Leatherstocking Tales semblent bien s’inscrire dans la perspective d’une telle « désinitiation », de sorte qu’elles ne composent pas tant une robinsonnade qu’une « anti-robinsonnade » dans laquelle la fiction ne se concentre pas sur l’origine de la société, mais au contraire sur la manière dont cette origine ne cesse de s’abolir, et cette société de se trouver remise en jeu. Si la fiction de Cooper propose une mythologie des origines de la civilisation américaine, ces origines semblent donc saisies par le biais étrange de leur permanente disparition, de leur abolition, de leur ensevelissement dans la wilderness elle-même. Cooper, au fond, construit le personnage de Natty précisément comme l’emblème même de cette abolition.
La mythologie des origines et la précarité de la société
46Loin de fournir à l’individualisme démocratique américain un fondement romanesque commode, simplifié, univoque, que son univocité même viendrait opportunément soustraire au raisonnement, Cooper, en écrivant une page importante et durablement influente de la mythologie de la frontier, vient placer dans les fondations mêmes de la civilisation américaine naissante une équivocité inamissible : la représentation de sa propre mortalité, la possibilité toujours ouverte pour celui qui l’incarne de la fuir, de s’en dégager, et de s’en aller s’enfouir dans la wilderness.
47En décembre 1823, l’année même de la publication des Pioneers, le président républicain James Monroe prononce son célèbre discours devant le Congrès. L’élaboration de la « doctrine Monroe », qui clôt définitivement toute possibilité de colonisation non-américaine du continent et qui se désengage officiellement de toute solidarité politique et diplomatique avec l’Europe, ferme le Nouveau Monde sur lui-même tout en le coupant de l’Ancien. Monroe veut graver dans le marbre, fixer des limites, définir – il veut conjurer la précarité, la mortalité que la fiction coopérienne de la frontier installe dans les fondements de la mythologie américaine. De même en 1845, le mysticisme belliqueux et grotesque de la Manifest Destiny, élaboré par les éditorialistes et les politiciens à l’occasion de l’annexion du Texas, essaye naïvement de conjurer l’ambivalence de la naissance de la civilisation américaine que la fiction accueille au contraire.
48Natty Bumppo est en effet conçu, comme Chingachgook, pour s’abolir, pour s’ensevelir dans l’Ouest, et pour y ensevelir avec lui la fondation même de la démocratie américaine. Il est l’incarnation de cette ambivalence dans laquelle le recommencement permanent se double d’une inquiétude permanente, installant au cœur de la représentation romanesque de l’origine de l’Amérique le sentiment aigu de son équivocité et de sa précarité. De Fenimore Cooper à Russell Banks via Jack London ou Jack Kerouac, tous se demandent sans cesse : que signifions-nous vraiment ? Et ne sommes-nous pas déjà en train de mourir ? Natty Bumppo est donc bien le héros d’une anti-robinsonnade : ni simple, ni simplement naturel, il ne propose pas la fiction d’un commencement, mais le programme poétique et moral d’une perpétuelle oscillation entre l’abolition et le recommencement, l’enfouissement et le nouveau départ.
Conclusion : les effets de l’univocation
49C’est sur l’influence des thèmes de la fiction coopérienne de la frontier sur la littérature américaine que je voudrais revenir en conclusion. On connaît en effet l’importance de Cooper pour la littérature américaine49 et son influence sur la littérature européenne même : on sait que Balzac s’inspire de Bas-de-Cuir pour écrire Les Chouans, qu’Eugène Sue lui rend hommage, que George Sand reconnaît son génie50. Or ce génie semble tout d’abord lié à l’équivocité même de la fiction coopérienne de la frontier : c’est parce qu’il fait de la fiction romanesque l’espace littéraire dans lequel s’inscrivent les questions ouvertes qui travaillent la société américaine naissante que Cooper accède à la dignité du mythe51. George Sand, consacrant à Cooper en 1856 un chapitre de son recueil d’essais critiques, note ainsi :
Cette admirable placidité du désert au milieu duquel s’est implantée la société des États-Unis l’avait envahi par moments, et, malgré lui, les conquêtes de l’agriculture et du commerce sur ces domaines vierges de pas humains avaient fait entrer dans son âme une solennelle tristesse. […] Il fallait au poëte des efforts de raisonnement social et de volonté patriotique pour ne pas maudire la victoire de l’homme blanc, pour ne pas pleurer sur la destruction cruelle de l’homme rouge et sur la spoliation de son domaine naturel : la forêt et la prairie livrées à la cognée et à la charrue. […] Par la voix tranquille mais retentissante du romancier, l’Amérique a laissé échapper de son sein ce cri de la conscience : « Pour être ce que nous sommes, il nous a fallu tuer une grande race et ravager une grande nature. » […] [Malgré] le calme de son organisation et de son talent, [Cooper] a exhalé comme un chant de mort sur les restes épars et mutilés des grandes familles et des grandes forêts du sol envahi52.
50George Sand se montre ainsi sensible, quelques années à peine après la mort de Fenimore Cooper, au sentiment aigu de l’équivocité et de la précarité de l’origine de la civilisation américaine, que Cooper inscrit au cœur de sa fiction romanesque. Cependant l’héritage de Cooper ne s’est pas montré totalement fidèle à ce « sentiment aigu » : au contraire, sa notoriété et sa popularité ont contribué à simplifier, à schématiser et à stériliser les équivocités fécondes de la fiction coopérienne, en procédant en quelque sorte à une brutale réduction de cette fiction à des catégories platement univoques.
51Cette réduction accompagne ce que l’on pourrait appeler la « popularisation » de l’œuvre de Cooper, c’est-à-dire son adaptation forcée aux normes romanesques et éditoriales de la littérature populaire dans la seconde moitié du xixe siècle. J’ai évoqué, en commençant, la manière dont les éditeurs français, qui ont publié l’œuvre de Fenimore Cooper au xixe siècle, n’ont pas hésité à modifier titres et sous-titres, en particulier dans le cas de cette « robinsonnade » authentique qu’est The Crater : mais le procédé est plus général encore, et la diffusion de la saga de Bas-de-Cuir en France passe par une série de traductions qui sont aussi des adaptations, des remaniements parfois très importants, voire de pures et simples réécritures. Tangi Villerbu montre ainsi de quelle manière l’édition Barbou, publiée à Limoges à la fin du xixe siècle, découpe arbitrairement les volumes de la saga, les renomme, les expurge, les allège et les recompose allègrement : au fil de ces interventions éditoriales très lourdes, la fiction coopérienne, qui avait dès les années 1840 constitué un des principaux vecteurs littéraires de la représentation de l’Ouest américain en France, se trouve progressivement cantonnée au secteur de la littérature pour enfants :
À travers cette édition des romans de Cooper se lit la forme que prend la circulation de son œuvre en France en ce troisième tiers du xixe siècle. Elle est d’abord le fait presque exclusivement d’éditeurs catholiques de province, qui intègrent Cooper à leur corpus de littérature édifiante, en en modifiant lourdement le texte et le message : Barbou, Ardant, Mame réduisent Cooper au pittoresque indien, à des paysages exotiques, ou à l’expression de saines vertus morales dignes des petits catholiques, à travers surtout Le Tueur de Daims, Le Dernier des Mohicans et La Prairie53.
52Le triomphe de cette matrice coopérienne simplifiée et orientée vers les lectures enfantines est un des vecteurs de « l’univocation » de la fiction coopérienne. On peut analyser un autre de ses vecteurs, en Amérique même : les Leatherstocking Tales constituent en effet le point de départ d’une longue série de réinterprétations, d’imitations, de pastiches et de reprises. La mythologie de la frontier construite par Cooper se trouve ainsi fondue dans le vaste répertoire de thèmes et de situations que le roman populaire américain va exploiter et user jusqu’à la corde à partir de 1860, dans les dime novels puis dans les pulp magazines54.
53Le premier Dime Novel, publié en 1860 par Beadle & Adams, est Maleaska, the Indian Wife of the White Hunter, un récit de Ann Stephens qui reprend le thème ancien du captivity narrative des Puritains : à partir de ce coup d’essai, le Dime Novel va populariser le thème de la conquête de l’Ouest, de ses aventures et de ses exploits héroïques, faisant ainsi du « western » un genre à part entière, qui se retrouvera à partir de la fin du siècle dans les récits des Pulp Magazines, avant de se trouver transposé sans effort, dès les premières décennies du xxe siècle, dans l’industrie cinématographique. Cependant, la très grande fortune des récits du Far West dans la littérature populaire correspond également à une très forte standardisation : le roman populaire, en particulier sous la forme du roman d’aventures, représente une dramatique « clôture » de la puissance fictionnelle de Cooper. Qu’il s’agisse de simplifier et de moraliser Cooper à travers ses traductions-adaptations françaises, ou de standardiser le récit de l’Ouest dans le Dime Novel et le Pulp américain, tout se passe comme si, percevant le pouvoir équivoque de la fiction romanesque, l’industrie culturelle de masse s’efforçait de le réduire et de le régir.
54Ainsi Matthieu Letourneux, retraçant l’histoire du roman d’aventures à partir de 1870, analyse l’univocité et la stéréotypie qui président au développement du genre à la fin du xixe siècle. Évoquant le personnage ambigu de Magua, le « Renard Subtil55 » de The Last of Mohicans, Matthieu Letourneux met en garde :
On pourrait croire qu’un tel personnage met en cause l’univocité du roman d’aventures. En réalité, il n’en est rien : la plupart du temps, le traître ne manipule que les personnages, et le lecteur s’attend par avance à sa trahison, car le récit le désigne à travers un certain nombre d’indices comme un stéréotype de traître (le nom de Renard Subtil est d’ailleurs transparent)56.
55Ce qui se trouve ici mis en évidence, c’est la présence dans la fiction romanesque de Cooper des éléments de stéréotypie narrative, thématique et morale qui seront autant de pierres d’attente pour bâtir, à partir de cette fiction, l’édifice standardisé de la mythologie populaire de l’Ouest. Mais, si la littérature populaire produite par l’industrie culturelle de masse travaille effectivement à l’univocation de la fiction – par la standardisation des schémas narratifs et de la langue romanesque, par la stéréotypie des personnages et de l’axiologie qui leur est associée, par l’accélération du processus même de création, et par la saturation quantitative de la production –, il me semble néanmoins que la fiction de Cooper définit un régime de discursivité qui ne se laisse pas intégralement réduire à l’univocité. Le récit de la frontier que construit Cooper met au travail une puissance romanesque qui est avant tout une puissance de l’équivocité : certes, sa digestion par la littérature populaire américaine et par la littérature de jeunesse en France, et sa dissolution dans la masse des imitations, pastiches, plagiats, adaptations, a « fermé » cette puissance équivoque ; mais il est précisément pour cette raison utile et important, littéralement, de « rouvrir » Cooper.
56La nécessité d’une telle « réouverture » renvoie en dernière analyse à l’évaluation de la nature des relations que la fiction entretient avec la théorie dans le cadre de la robinsonnade. Si la fiction de la frontier a pu être considérée comme une véritable mythologie, offrant à l’individualisme démocratique américain ses fondements en construisant un récit des origines auquel il soit susceptible de se référer, et si l’on peut à ce titre lire les Leatherstocking Tales comme une « robinsonnade de terre ferme », j’ai essayé de montrer à quel point cette idée de « robinsonnade » devait être fortement nuancée et retravaillée pour rendre compte de la complexité du récit des origines que construisait Fenimore Cooper. Récit des recommencements permanents plutôt que récit des commencements, récit traversé d’une puissante et constante équivocité, les Leatherstocking Tales ne peuvent pas simplement fournir à la civilisation américaine naissante l’histoire romancée de ses propres origines : elle exprime et rassemble au contraire les paradoxes et les obscurités qui enveloppent ces origines et qui en concentrent la fragilité et la précarité.
57Ces équivocités, ces paradoxes, ces fragilités sont la marque propre d’une construction de la fiction qui ne se laisse pas réduire au statut de « naturalisation » subreptice de principes théoriques ainsi artificieusement externalisés. En d’autres termes, le récit ne se contente pas d’encapsuler ce que la théorie ne veut pas avoir à déterminer rationnellement, pour aller le fonder dans la fiction : au contraire, la fiction romanesque que produit Cooper n’a de puissance poétique et politique que parce qu’elle enregistre un certain nombre de tensions et de paradoxes sans tenter de les résoudre. Autrement dit, parce qu’elle accueille ces contradictions en leur donnant une expression poétiquement efficace, la fiction saisit les problèmes de son temps avec une acuité que la théorie n’a pas – elle ne fonde pas par défaut les constructions de la théorie politique, elle les déborde et en explore les limites par excès.
Notes de bas de page
1 Richard W. B. Lewis, The American Adam. Innocence, Tragedy and Tradition in the Nineteenth Century, chap. v, Chicago, The University of Chicago Press, 1955, p. 91.
2 Depuis The Pilot (1824) jusqu’aux Sea Lions (1849), Cooper a publié une douzaine de romans d’aventures maritimes, en partie inspirés de sa propre expérience de marin dans les années 1806-1809 ; il est même considéré comme un des créateurs du genre, et certains de ses plus célèbres successeurs, Herman Melville, Robert L. Stevenson ou Joseph Conrad, lui rendent hommage sur ce point précis.
3 Il est amusant de noter que la première traduction de The Crater par A. J. B. Defauconpret (qui a adapté les œuvres de Cooper en français pour Furne & Gosselin entre 1839 et 1854) porte comme sous-titre « Marc dans son île », tandis qu’après la mort de Defauconpret, les éditeurs français qui reprendront le titre (c’est par exemple le cas, dans la seconde moitié du siècle, des éditions Garnier, Vermot, Barba, ou Ardant) lui adjoindront le plus souvent un autre sous-titre, tout aussi peu fidèle à l’original, mais très significatif : « Le Robinson américain ».
4 Je choisis de ne pas traduire le terme de « frontier » qui ne désigne pas une ligne de partage (comme le terme de « frontière » risquerait de le laisser entendre), mais une région, ou plutôt l’ensemble mobile des régions dans lesquelles se joue la progressive conquête de l’Ouest américain, du début du xviie siècle à la fin du xixe siècle. Impossible à assigner à une zone géographique déterminée, la frontier est, comme l’Ouest lui-même, un espace mobile, qui se déplace au fil des décennies : la « réduction spatiale » à laquelle conduit immanquablement le terme français oblitérerait la nature composite, mouvante et très largement fictionnelle de la frontier.
5 L’ordre de publication de ces cinq romans (en français, respectivement : Les Pionniers, Le Dernier des Mohicans, La Prairie, Le Lac Ontario, Le Tueur de Daims) n’est pas du tout celui de la chronologie des événements qu’ils relatent ; je reviendrai ci-dessous sur cette étrange « double chronologie » de la composition des Leatherstocking Tales.
6 Je renonce faute de place à articuler ces trois éléments à un dépouillement scrupuleux des robinsonnades littéraires qui, de Daniel Defoe à Michel Tournier en passant par l’immense production du xixe siècle en la matière, permettraient de donner une chair empirique à ces principes formels – dont j’assume donc le caractère apparemment arbitraire et purement fonctionnel.
7 Je ne traduis pas plus « wilderness » que « frontier » : la wilderness désigne la nature sauvage, en tant qu’elle ne porte pas la marque de l’activité humaine ; saisie en deçà de tout processus de civilisation, la wilderness conjoint un élément de pureté virginale qui tient à la préservation de toute trace de mise en forme anthropique et un élément de sauvagerie qui relève de la brutalité aveugle des lois de la nature non amendées par la culture et les mœurs. Elle constitue donc littéralement une anti-culture, au double sens où elle est préservée de la corruption qu’apporte inévitablement la civilisation et soumise à la violence brute des passions et des instincts non réglés par cette même civilisation : comme on le voit, son ambivalence reflète celle de la civilisation elle-même.
8 Cette répugnance est particulièrement sensible dans Les Pionniers que l’on a pu décrire comme le « premier roman environnemental anticipant par bien des aspects le Walden d’Henry David Thoreau » ; cf. Leland S. Person, éd., A Historical Guide to James Fenimore Cooper, Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 9.
9 James Fenimore Cooper, The Pathfinder, chap. ix, vol. II, p. 139 [Le Lac Ontario, p. 880]. Toutes mes références aux romans du cycle de Bas-de-Cuir renvoient à : James Fenimore Cooper, The Leatherstocking Tales, Blake Nevius, éd., New York, The Library of America, 2 vol., 1985, que je traduis et que je fais suivre de la référence entre crochets au titre français, la pagination renvoyant alors à James Fenimore Cooper, Le Dernier des Mohicans et autres romans du cycle de Bas-de-Cuir, trad. A. Defauconpret revue par M.-H. Fraïssé, Paris, Omnibus, 2003.
10 Le terme est forgé par Melville dans Moby Dick : « Presque tous les hommes du Pequod étaient des insulaires, mais aussi, comme je les appelle, des Isolatos, refusant toute appartenance au continent de la communauté des hommes, chaque Isolato vivant sur son propre continent séparé » (Herman Melville, Moby Dick, trad. Ph. Jaworsky (modifiée), chap. xxvii, dans Herman Melville, Moby Dick, Œuvres, t. III, Paris, Gallimard, 2006, p. 145).
11 En témoigne exemplairement la scène du massacre gratuit des pigeons voyageurs qui plonge Natty Bumppo dans une colère amère (James Fenimore Cooper, The Pioneers, éd. cit., chap. xxii).
12 Hector St. John de Crèvecœur, Letters from an American Farmer (1782), Susan Manning, éd., Oxford, Oxford University Press, 1997, chap. iv, p. 41.
13 Frederick J. Turner, La Frontière dans l’histoire des États-Unis, trad. A. Rambert, Paris, PUF, 1963, chap. i, p. 3-4 ; trad. modifiée (texte original : « The Significance of the Frontier in the American History », 1893, mis en ligne par l’Université de Virginie, http://xroads.virginia.edu/-HYPER/TURNER/).
14 Ibid., p. 26.
15 Ibid., p. 32.
16 Le texte de la conférence de Frederick Jackson Turner constitue le premier chapitre de son maître-ouvrage, The Frontier in American History, New York, Holt, 1921 (dont le livre mentionné ci-dessus en note constitue la traduction tardive en France).
17 On appelle « Second Great Awakening » le mouvement de renouveau spirituel qui se développe aux États-Unis au début du xixe siècle, et qui conduit à redéfinir les missions et les valeurs de la société américaine dans une perspective chrétienne.
18 Ainsi d’Elizabeth et de Louisa dans The Pioneers, ou de Cora et Alice dans The Last of the Mohicans, ou encore de Judith et Hetty dans The Deerslayer.
19 Voir les contributions rassemblées dans le volume dirigé par Leland S. Person, A Historical Guide to James Fenimore Cooper, éd. cit. ; voir notamment, dans le volume, l’article de Dana D. Nelson, « Cooper’s Leatherstocking Conversations. Identity, Friendship and Democracy in the New Nation », p. 123-154. Dana Nelson examine le fonctionnement des personnages féminins de Cooper, et le met en relation avec les débats du début du xixe siècle sur la définition de la « True Womanhood » dans la société américaine ; elle étudie également la construction des amitiés masculines et son rôle politique à la lumière du « sentimentalisme américain » qui commande une certaine distribution des affections individuelles et sociales. Voir également, dans le même volume, l’article de Barbara A. Mann, « Race Traitor. Cooper, His Critics, and Nineteenth-Century Literary Politics », p. 155-185, qui montre la soigneuse équivocité entretenue par Cooper autour de la « pureté raciale » de Natty Bumppo, et met cette équivocité en rapport avec les virulentes attaques politiques dont Cooper est la cible dans les années 1830-1845.
20 Elles le sont, infiniment plus que ne le laissent penser certaines lectures modernes qui lui reprochent son conservatisme social, racial et sexuel – sur ce point, voir l’article de Barbara A. Mann, cité ci-dessus, qui rejette ces lectures modernes en les qualifiant de « Cry-Baby Criticism » (Barbara A. Mann, art. cit., p. 155-156).
21 Cooper confirme ainsi la thèse que formule Richard Lewis au sujet du roman américain du xixe siècle dans son ensemble : « The narrative art inevitably and by nature invests its inherited intellectual content with a quickening duplicity ; it stains ideas with restless ambiguity » (Richard W. B. Lewis, The American Adam, éd. cit., prologue, p. 3).
22 Frederick J. Turner, La Frontière dans l’histoire des États-Unis, éd. cit., p. 2.
23 Voir le panorama proposé par George W. Pierson dans un long article, publié en 1942 : « American Historians and the Frontier Hypothesis in 1941 », Wisconsin Magazine of History, vol. 26, nos 1 et 2, 1942, p. 36-60 et p. 170-185 (respectivement).
24 Donald Worster, « Beyond the Agrarian Myth », dans Patricia Nelson Limerick, Clyde A. Milner II, Charles E. Rankin, éd., Trails. Toward a New Western History, Lawrence, University Press of Kansas, 1991, p. 11.
25 Contribue à cette révision le développement dans les années 1970 du « Red Power », avec à sa tête l’American Indian Movement, fondé en 1968 ; ce courant, qui fédère les revendications politiques, sociales et culturelles des Native Americans, trouve une expression historiographique dans le livre de Dee Brown, Bury my Heart at Wounded Knee. An Indian History of the American West, New York, Holt, Rinehart and Winston, 1970.
26 On considère généralement le livre de Patricia Nelson Limerick (The Legacy of Conquest. The Unbroken Past of the American West, New York, Norton, 1987) comme le coup d’envoi de la New Western History.
27 Elle suit sur ce point les thèses de Henry Nash Smith, qui dès 1950 analysait le discours de l’historiographie turnérienne dans ces termes. Voir Henry Nash Smith, Virgin Land. The American West as Symbol and Myth, Cambridge, Harvard University Press, 1950 (Terres vierges de l’Ouest américain considéré comme symbole et comme mythe, trad. J. Collin Lemercier, Paris, Seghers, 1967). Voir l’hommage (nuancé) que lui rendent par exemple Donald Worster (in op. cit., p. 9) ou Patricia Nelson Limerick, « Making the Most of Words. Verbal Activity and Western America », dans William Cronon, George Miles, Jay Gitlin, éd., Under an Open Sky. Rethinking America’s Western Past, New York, Norton, 1993, p. 167-184.
28 Voir Patricia Nelson Limerick, Clyde A. Milner II, Charles E. Rankin, éd., Trails…, op. cit., « Preface », p. x-xi.
29 Ibid., p. xi-xii.
30 Sur cette question, voir en particulier William Cronon, George Miles, Jay Gitlin, « Becoming West. Toward a New Meaning for Western History », dans William Cronon, George Miles, Jay Gitlin, éd., Under an Open Sky. Rethinking America’s Western Past, éd. cit., p. 3-27.
31 C’est par exemple le cas de Donald Worster dans l’article déjà cité, « Beyond the Agrarian Myth ».
32 Voir en particulier l’effort de Patricia Nelson Limerick pour prendre en charge l’ensemble des usages du discours qui construisent l’Ouest, dans une perspective qui n’est pas sans évoquer Michel Foucault (sans jamais le citer), dans Patricia Nelson Limerick, « Making the Most of Words. Verbal Activity and Western America. », art. cit., p. 167-184 ; voir aussi dans le même volume Ann Fabian, « History for the Masses. Commercializing the Western Past », dans William Cronon, George Miles, Jay Gitlin, éd., Under an Open Sky. Rethinking America’s Western Past, éd. cit., p. 223-238.
33 Une des tentatives les plus ambitieuses dans ce sens est celle de Tangi Villerbu, qui en écrivant cette histoire du point de vue de la France, utilise le décentrage que produit le « regard de l’autre » pour « rend[re] compte de l’absence de linéarité du processus de construction nationale [et] dévoile[r] des conflits pour le contrôle des récits et donc de la nation ». Voir Tangi Villerbu, La Conquête de l’Ouest. Le récit français de la nation américaine au xixe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, p. 15.
34 Ann Fabian, « History for the Masses », art. cit., p. 227.
35 William Cronon, George Miles, Jay Gitlin, « Becoming West », art. cit., p. 7.
36 Le captivity narrative est omniprésent dans quatre des cinq romans des Leatherstocking Tales et demeurera tout au long du xixe siècle, dans les dime novels puis les pulps, un des thèmes canoniques de la fiction populaire de l’Ouest. Sur les racines spécifiquement puritaines de la littérature américaine, voir Richard Ruland et Malcom Bradbury, From Puritanism to Postmodernism. A History of American Literature, New York, Penguin, 1991, p. 10-32.
37 Richard Slotkin, Regeneration through Violence, éd. cit., p. 268-269. Slotkin consacre son chapitre ix (« Narrative into Myth : the Emergence of a Hero », p. 268-312) à la figure de Daniel Boone, et son chapitre x (« Evolution of the National Hero : Farmer to Hunter to Indian (1784-1855) », p. 313-368) à l’étude des différents avatars idéologiques, historiographiques et littéraires du Boone narrative.
38 Cadwallader Colden, The History of the Five Indian Nations Depending of the Province of New-York in America (1727-1747), Ithaca, Cornell University Press, 1958.
39 John Heckewelder, Account of the History, Manners, and Customs of the Indian Nations who once inhabited Pennsylvania and the Neighboring States, Philadelphia, Transactions of the American Philosophical Society, 1818, réimprimé dans Memoirs of the Historical Society of Pennsylvania, vol. XII, 1876.
40 François Rabelais, Œuvres complètes, M. Huchon et al., éd., Paris, Gallimard, 1994.
41 James Fenimore Cooper, The Deerslayer, éd. cit., vol. 2, chap. 1, p. 495 [Le Tueur de Daims, éd. cit., p. 9].
42 Hector St. John de Crèvecœur, Letters from an American Farmer, éd. cit., lettre iv, p. 47.
43 Voir Warren Motley, The American Abraham. James Fenimore Cooper and the Frontier Patriarch, Cambridge, Cambridge University Press, 1987.
44 Cotton Mather, Magnalia Christi Americana : or, the Ecclesiastical history of New-England, from its first planting in the year 1620, unto the year of Our Lord 1698 (1702), Kenneth B. Murdock, éd., Harvard, Harvard University Press, 1977.
45 Cette convergence de la wilderness extérieure et de la déchéance intérieure, l’une menaçant toujours d’entraîner l’autre, est encore au cœur des nouvelles de la frontier que publie Nathaniel Hawthorne dans les années 1830, et joue un rôle décisif dans sa Lettre écarlate en 1850. Sur le traitement de la wilderness dans les nouvelles rassemblées dans les deux volumes des Twice-Told Tales (1837 et 1842), voir Richard Slotkin, Regeneration through Violence, éd. cit., chap. xiii, p. 472-478.
46 Hector St. John de Crèvecœur, Letters from an American Farmer, éd. cit., lettre xii, p. 187-217.
47 James Fenimore Cooper, The Pioneers, éd. cit., vol. I, chap. xii, p. 462 [Les Pionniers, éd. cit., p. 1474].
48 Richard Lewis, The American Adam, éd. cit., p. 115. C’est l’auteur qui souligne.
49 Voir notamment le Memorial of James Fenimore Cooper (New York, Putnam, 1852) qui rassemble les hommages des contemporains de Cooper à l’occasion de sa mort : on y trouve les contributions de Washington Irving, William Cullen Bryant, Melville, Hawthorne, Emerson, Longfellow, etc.
50 Pour un panorama complet de la fortune critique de Fenimore Cooper, voir George Dekker et John P. Williams, éd., Fenimore Cooper : The Critical Heritage, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1973.
51 Comme l’écrit Dana Nelson : « Cette inclination pour les questions ouvertes favorise peut-être les lectures qui confèrent un statut mythique aux Leatherstocking Tales de Cooper : leur ouverture même concourt à les rendre atemporelles » (Dana D. Nelson, « Cooper’s Leatherstocking Conversations », art. cit., p. 144).
52 George Sand, Autour de la table (1856), Paris, Calmann Lévy, nouvelle édition 1876, p. 268-271.
53 Voir Tangi Villerbu, La Conquête de l’Ouest, éd. cit., p. 99.
54 Sur le Dime Novel et la fiction populaire américaine du xixe siècle, voir Paul Bleton, « Industrie, masse et culture médiatique : la paralittérature américaine (1860-1940) », dans Jean-Yves Mollier, Jean-François Sirinelli et François Vallotton, éd., Culture de masse et culture médiatique en Europe et dans les Amériques, 1860-1940, Paris, PUF, 2006, p. 37-50, ainsi que Larry E. Sullivan et Lydia C. Schurman, éd., Pioneers, Passionate Ladies, and Private Eyes : Dime Novels, Series Books, and Paperbacks, New York, Haworth Press, 1996.
55 En français dans le texte de Cooper.
56 Matthieu Letourneux, Le Roman d’aventures, Limoges, Presses universitaires de Limoges et du Limousin, 2010, p. 55.
Auteur
Université de Tours, CESR UMR 7323, 37041, Tours, France
Agrégé de philosophie et maître de conférences en histoire de la philosophie à l’université de Tours. Rattaché au CESR et associé au laboratoire INTRU, ses travaux portent sur la philosophie morale et politique de la Renaissance ainsi que sur les cultures de masse (littérature populaire et récits en images).
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