18. Où l’on retrouve sur les monnaies les familles de l’Ab Urbe condita
p. 104-106
Texte intégral
Fulvio Orsini (1529-1600)
Familiae Romanae quae reperiuntur in antiquis numismatibus ab Urbe condita ad tempora divi Augusti ex bibliotheca Fulvi Ursini adiunctis familiis XXX ex libro Antoni Augustini ep[iscopi] Ilerdensis
Romae : curantibus heredib[us] Francisci Tramezini, [1577]
R16C0069
1La fascination de la Renaissance pour l’histoire ancienne ne se limite pas à la recherche des monuments antiques, des inscriptions et des textes des auteurs classiques. Les antiquaires s’attachent à illustrer les noms des rois et des empereurs de l’Antiquité en médailles, dénomination encore usitée jusqu’au xixe siècle pour désigner les monnaies anciennes. Au début du xvie siècle, les premières tentatives de catalogues sont lancées. Ces initiatives se basent sur les collections particulières.
2Fulvio Orsini (Rome, 11/12/1529 – 18/05/1600), bibliothécaire et secrétaire particulier des cardinaux Ranuccio (entre 1558 et 1565), Alexandre (de 1565 à 1589) et Odoacro Farnèse (de 1589 à 1600), consacra sa vie à l’étude et à la collection des témoignages anciens. Minutieux philologue – il édita plusieurs textes de Festus et de Cicéron –, Orsini n’a jamais cessé de chercher et de découvrir inscriptions, gemmes, médailles ou manuscrits afin d’enrichir le fonds naissant de la famille Farnèse ou encore sa propre bibliothèque, qui était l’une des plus réputées de Rome au tournant du xvie siècle.
3Considéré comme le père des études iconographiques, il publie en 1570 à Rome les Imagines et elogia uirorum illustrium et eruditorum ex antiquis lapidibus et nomismatibus expressa (« Portraits et éloges d’hommes illustres et savants représentés à partir de pierres et de monnaies anciennes »). Pour la première fois, un auteur rassemble sous des entrées thématiques les images connues par les monnaies ou les statues anciennes des grandes figures de l’Antiquité et de la mythologie. Orsini met en place un mode de présentation qui se base non seulement sur les représentations iconographiques mais aussi sur les textes littéraires, dont il est un excellent connaisseur.
4En 1577, dans ses Familiae Romanae quae reperiuntur in antiquis numismatibus (« Les familles romaines que l’on trouve dans les monnaies anciennes »), Orsini applique la même méthode. Sur la base de sa fabuleuse collection de monnaies, il entreprend de dresser la description systématique des monnaies romaines de l’époque républicaine, dites « consulaires » (une appellation qui se maintint jusqu’au xixe siècle, bien qu’elle soit abusive, puisque ce n’étaient pas les consuls qui étaient chargés de la frappe de la monnaie). Ce catalogue de monnaies est ordonné, de façon inédite pour l’époque, par gentes, les familles romaines dont des membres avaient signé des émissions monétaires et parfois illustré sur les pièces des épisodes de leurs traditions familiales. Orsini, redoutable connaisseur des monnaies anciennes, n’hésitait pas à rejeter comme fausses ou incertaines plusieurs imitations modernes.
5Orsini dédia l’ouvrage à son protecteur, le cardinal Alexandre Farnèse (1520-1589). Dans l’introduction, l’auteur livre des détails importants quant à la composition de son œuvre. Il cite les notes et renseignements qui lui avaient été transmis par le chanoine de Saint-Jean-de-Latran, Gentile Delphini (1505-1559). Ce dernier avait non seulement protégé Fulvio Orsini, enfant non reconnu, dès ses jeunes années, mais lui avait également transmis la passion des études anciennes qui fit sa gloire. Orsini insiste sur l’empressement de ses amis à le voir publier cet ouvrage, qu’il achève malgré les inconforts de l’âge – il a alors près de cinquante ans – et de la maladie. Enfin, il exhorte Farnèse à continuer à protéger les arts et les lettres et rappelle les richesses de sa collection et de son palais romain « qu’aucun, dans la Ville, ne dépasse par le faste de son architecture ni par l’ornement de ses bibliothèques et du mobilier de toute antiquité » (quibus aedibus in Urbe nullae nec structura magnificentiores nec bibliothecis, omnisque antiquitatis suppellectile ornatiores).
6Après un aperçu retraçant les différentes étapes du monnayage de la République romaine, chaque page présente une tabella nummorum, gravée sur cuivre, sorte de cadre ou de petit tiroir, présentant les monnaies de chacune de ces prestigieuses familles, ordonnées selon l’ordre alphabétique de leur nom latin (qui figure sur un petit titulus). Nous ne connaissons pas l’auteur des représentations monétaires, qui visent à la lisibilité du motif et qui suggèrent grossièrement le contour des pièces. En dessous des gravures, le commentaire érudit cherche à détailler l’histoire de la famille à laquelle appartiennent les magistrats monétaires et de ses plus illustres membres – qu’ils soient ou non représentés directement sur les monnaies. Dans ce commentaire, Orsini déploie ses vastes connaissances des textes anciens mais convie également l’étude d’inscriptions (datant majoritairement de l’époque impériale) afin d’inscrire ces protagonistes républicains dans une vision plus large de l’histoire romaine.
7Orsini fréquentait intimement les auteurs latins et grecs qui alimentent son « explication des médailles et les notes sur les familles ». Les textes en grec – en majorité ceux des historiens Appien et Dion Cassius – sont largement cités et traduits en latin. Les poètes, notamment Virgile, Ovide et Catulle, sont mis en évidence dès que le propos s’y prête. Les décades de Tite-Live occupent une place importante dans les sources d’Orsini. Grâce à l’inventaire de sa bibliothèque personnelle1, nous savons qu’il possédait plusieurs manuscrits contenant une partie de l’œuvre de Tite-Live. Avant 1570, Orsini avait acquis une partie de la bibliothèque de la famille Bembo, dont un splendide manuscrit des troisième et quatrième décades de Tite-Live, œuvre de l’humaniste florentin Poggio Bracciolini, dit Le Pogge (1380-1459)2. Réalisés en 1453 et 1455 sur parchemin, ces magnifiques volumes sont déjà considérés comme des ueteres codices par Orsini. Celui-ci les cite d’ailleurs dans l’édition des Fragmenta historicorum collecta ab Antonio Agustino qu’il fera publier à Anvers en 1595. Ce recueil rassemble les notes de son ami et correspondant Antonio Agustín (1517-1586) qui avait séjourné à la cour pontificale de Rome entre 1544 et 1564. Les deux hommes partageaient la passion des lettres anciennes, mais aussi des monnaies. En effet, comme l’indique la page de titre, notre ouvrage des Familiae romanae publie également les monnaies républicaines d’Agustín, devenu évêque de Lérida, avant d’être nommé archevêque de Tarragone.


8Tout en demeurant au service des Farnèse, Orsini, au bout de longues négociations, légua sa bibliothèque au Pape. En 1581, après que Grégoire XIII eut accepté son don, il devint correcteur de langue grecque auprès de la bibliothèque vaticane pour un salaire de dix ducats d’or par mois. Ainsi, sa bibliothèque, dont il conservait l’usufruit, fut pour Orsini une sorte de rente viagère jusqu’à son décès. Quant à sa splendide collection de monnaies, elle intégra les médailliers des Farnèse, d’abord à Rome, avant de suivre le destin de cette famille à Parme et à Naples.
Bibliographie
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Orientation bibliographique
10.3406/mefr.1884.5872 :P. de Nolhac, « Les collections d’antiquités de Fulvio Orsini », dans Mélanges d’archéologie et d’histoire, 4, 1884, pp. 139-231.
P. de Nolhac, La bibliothèque de Fulvio Orsini. Contributions à l’histoire des collections d’Italie et à l’étude de la Renaissance, Paris, 1887.
C. E. Dekesel, A Bibliography of 16th Century Numismatic Books, Londres, 1997, pp. 675-676.
F. Matteini, « Orsini, Fulvio », dans Dizionario Biografico degli Italiani, 79, 2013 (http://www.treccani.it/enciclopedia/fulvio-orsini_(Dizionario-Biografico)/, consulté le 29/03/2017).
Notes de bas de page
1 Fulvio Orsini légua sa bibliothèque aux collections pontificales. À cette fin, il réalisa de son vivant un précieux inventaire manuscrit.
2 Orsini était aussi entré en possession d’un manuscrit de la première décade appartenant à la bibliothèque Bembo ; en outre, il était propriétaire d’un autre manuscrit livien, qu’il avait prêté à l’humaniste français Claude Dupuy, lequel lui avait promis (sans s’exécuter) le Puteaneus, un manuscrit contenant des parties de la troisième décade, retranscrit en « lettres majuscules » et remontant au ve siècle.
Auteur
Cabinet des médailles, Musée national d’histoire et d’art,
Luxembourg
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