Lire des œuvres littéraires à l’aide des genres : l’exemple de la Belgique francophone
p. 153-170
Texte intégral
1À l’instar de l’éditorial, du billet d’humeur ou encore de la lettre de motivation, les genres littéraires peuvent être considérés, à partir du moment où ils sont abordés en classe de français, comme des « genres scolaires » (Dolz & Schneuwly, 1997), parfois aussi appelés « didactiques » (Reuter, 2007 : 13). Pour rappel, ces notions désignent des classes de textes répondant à deux conditions : elles ont une existence extrascolaire, par opposition aux genres « créés1 » au sein de l’école ; elles y font l’objet d’une « scolarisation » (Denizot, 2010 : 213), c’est-à-dire d’une série de transformations plus ou moins contrôlées, plus ou moins explicites, dues à différents acteurs (des concepteurs de programme aux enseignants en passant par les inspecteurs, les conseillers pédagogiques, les didacticiens, etc.) et aboutissant à la constitution d’un « objet à enseigner » (de Pietro & Schneuwly, 2003 : 29). Celui-ci différera plus ou moins fortement de son « modèle » extrascolaire – même s’il porte, la plupart du temps, la même appellation –, ne serait-ce que parce qu’il « fonde une pratique langagière qui est nécessairement en partie fictive puisqu’elle est instaurée à des fins d’apprentissage » (Dolz & Schneuwly, 1997 : 30).
2Les genres littéraires en classe de français répondent bien à ces critères. Souvent plus anciens que l’école, ils régissent hors de celle-ci les pratiques d’écriture et de réception littéraires. Leurs rôles et leur efficacité sont variables, dépendant notamment des objectifs de leurs utilisateurs, écrivains et lecteurs, comme de l’attention et du respect que ceux-ci leur accordent2. Scolarisés, ils voient leurs rôles et leurs caractéristiques se modifier plus ou moins intensément « pour atteindre des objectifs didactiques de transformation des modes de penser et de parler des élèves » (de Pietro & Schneuwly, 2003 : 49). La plupart du temps, ils servent principalement d’outils de guidage de la lecture. De nombreux didacticiens ont déjà souligné les bénéfices que l’on peut attendre de cette fonction scolaire des genres. Karl Canvat, notamment, estime que « c’est précisément le rôle des genres littéraires d’établir des conventions qui fondent des expectatives mutuelles, garantissent une certaine stabilité dans les échanges langagiers et assurent ainsi un contrôle plus strict du décodage du texte en réduisant son incertitude » (1999 : 114). Jean-Louis Dumortier considère lui aussi que les genres (littéraires ou non) sont des « régulateurs de la communication scripturale » ; à ce titre, ils déterminent en partie « la qualité de la compréhension » (2004 : 135). En effet, c’est en comprenant à quel genre il a à faire qu’un élève ajuste sa façon de lire en vue de la tâche à accomplir.
3C’est donc aux genres littéraires, conçus comme genres scolaires ou didactiques, que ce propos est consacré. Inscrit dans le cadre d’une « approche didactique de la littérature » (Daunay, 2007) et dans le prolongement de travaux récents (Vrydaghs, 2012 et 2014), il vise à mettre en évidence les effets positifs comme négatifs, sur le plan didactique, de la scolarisation des genres littéraires en Belgique francophone. Dans ce but, cette contribution adoptera une double attitude : « abstentionniste » (Reuter, 2013 : 68), lorsqu’il s’agira de décrire les aspects de cette scolarisation ; « interventionniste » (Reuter, 2013 : 68 ; Vrydaghs, 2014 : 261-266) lorsqu’il s’agira de proposer des solutions aux problèmes rencontrés. Deux sources principales seront mobilisées : les recherches en didactique sur la scolarisation des genres littéraires ; les instructions officielles3 qui régissent l’enseignement du français en Fédération Wallonie-Bruxelles (ci-après FWB) au secondaire supérieur des Humanités générales (l’équivalent du lycée français). Le choix de s’en tenir à ce niveau d’enseignement se justifie par le fait que c’est celui qui prend en charge, le plus nettement, l’enseignement de la littérature et, par conséquent, des genres littéraires.
1. De la définition des genres littéraires
4La première question à se poser lorsqu’on observe la scolarisation de genres est celle de la définition, par l’école, de la généricité. Reprend-elle une définition existante ? En propose-t-elle une nouvelle, adaptée à ses usages ? Les pratiques varient souvent en ce domaine, comme le notait Nathalie Denizot dans l’introduction de son étude sur la scolarisation des genres littéraires en France. L’école a en effet produit, selon elle, plusieurs formes scolaires du genre et, partant, plusieurs définitions de la généricité au fil de son histoire comme en synchronie :
[…] il n’y a pas une mais des formes scolaires du genre : si l’on suit la notion dans les programmes et les manuels depuis le début du xixe siècle, elle prend des statuts assez différents et apparait nettement comme n’étant pas un objet disciplinaire stable ni homogène – et ce d’autant plus que le terme ne renvoie pas nécessairement toujours aux mêmes réalités, ni ne s’ancre dans les mêmes fondements théoriques. (2013 : 19)
5Cette variété dans les définitions de la généricité s’explique certes par les différents usages et finalités visés par l’école, ou encore par les fondements théoriques divers dans lesquels celle-ci ancre ses réflexions. Elle tient aussi au fait que la notion de généricité n’est guère plus stable hors de l’école. Les théories de la littérature multiplient en effet, depuis des décennies, les essais de définition, en fonction de leurs postulats de départ et des débats qui les opposent. Ainsi, pour se limiter à des exemples récents, les sociologues de la littérature considèrent que les genres littéraires sont avant tout des classes de textes porteuses d’un capital symbolique variable selon les cas (Dubois & Durand, 1980 ; Bourdieu, 1992 ; Glinoer, 2009) quand les tenants d’une approche pragmatique de la généricité insistent surtout sur leur « valeur d’usage » (Compagnon, 2001 ; Macé, 2004, 2007 ; Baroni & Macé, 2006 ; Baroni, 2009), les poéticiens sur leurs régularités formelles et thématiques (Schaeffer, 1989 ; Rastier, 2001) et les analystes du discours sur l’articulation entre une norme générique collective et un traitement énonciatif singulier (Bahktine, 1984 ; Maingueneau, 2004, 2006, 2007). Les différences entre conceptions théoriques subsistent aussi lorsque l’on compare les définitions données d’un même genre littéraire (ainsi, par exemple, de l’autofiction). Sur ce point, il faut aussi compter avec les définitions que produisent les écrivains lorsqu’ils se saisissent d’un genre. Pensons par exemple à ce propos de Jean-Patrick Manchette : « Je décrète que le polar ne signifie nullement roman policier. Polar signifie roman noir violent. Tandis que le roman policier à énigmes de l’école anglaise voit le mal dans la nature humaine, le polar voit le mal dans l’organisation sociale transitoire. » (1979) Ces propositions d’auteurs emportent souvent l’adhésion d’une partie de leurs pairs, mais font rarement consensus. Dès lors, diverses définitions d’un même genre coexistent chez les écrivains. Pour prolonger l’exemple donné, il suffira de mentionner l’intervention d’un autre auteur contemporain de polar, Fred Vargas, qui préfère quant à elle parler de « rompol » en signalant qu’il s’agit d’un roman plus « nocturne » que « noir » et plus « symbolique » que « politique4 ».
6En FWB, les textes officiels se prononcent à première vue majoritairement en faveur d’une conception pragmatique des genres littéraires (et, plus largement, des genres de discours). Les pratiques langagières, littéraires ou non, envisagées dans le cadre d’activités d’apprentissage de la lecture, de l’écriture, de l’écoute et de la parole sont, dans cette perspective, corrélées à une valeur d’usage : il s’agit d’écrire dans un genre pour…, de lire à l’aide d’indices génériques pour…, etc. Le genre est ainsi perçu comme un élément cadrant et codifiant toute prise de parole, toute activité d’écriture et toute forme d’interprétation.
7Toutefois, ce primat accordé à la conception pragmatique de la généricité reste principalement implicite. En effet, seule la lecture croisée des documents qui régissent l’enseignement du français en FWB le donne à voir. Conséquence de cet inexprimé, la généricité n’est jamais définie précisément5. De ce fait, il n’est pas certain que la forme scolaire des genres (littéraires ou non) privilégiée par la FWB soit perçue par les enseignants. En l’absence d’études qualitatives et quantitatives sur cette question, il est impossible de l’affirmer ; mais on peut faire l’hypothèse qu’une absence de définition ne facilite pas la lecture et la compréhension de ces instructions par des enseignants qui ne sont pas tous pourvus des cadres théoriques nécessaires à la perception de ces fondements théoriques implicites6.
8Ces instructions officielles ne définissent pas davantage les genres spécifiques qu’elles citent régulièrement comme exemples de classes de textes à lire, à écrire et, plus largement, à exploiter dans le cadre de différentes activités didactiques. Seules figurent en effet les dénominations de ces genres – le « récit policier » (FWB, 1999 : 11), « le discours politique » (FESEC, 2000 : 18), « le roman à thèse » (FWB, 2000 : 37), etc. –, auxquelles sont parfois associés – le procédé n’a rien de systématique – quelques traits caractéristiques de ces différentes catégories. En l’absence de définitions précises dans le référentiel de la FWB et les programmes des différents réseaux, mais aussi de manuels propres à un réseau ou un niveau d’enseignement7, les enseignants se tournent vraisemblablement – là encore, des études précises manquent pour le confirmer – vers divers ouvrages, plus ou moins théoriques, plus ou moins didactiques, consacrés à ces genres particuliers. Plusieurs définitions d’un même genre peuvent donc coexister à l’école, en fonction des sources critiques exploitées par les enseignants. De ce fait, il est possible que certaines conceptions de certains genres littéraires entrent en conflit avec le modèle de généricité d’obédience pragmatique prôné implicitement par les instructions officielles.
9Il n’y a donc pas, en Belgique francophone, une forme scolaire dominante de la généricité et des différents genres littéraires, contrôlée en grande partie par les instructions officielles, mais plusieurs formes, d’origines diverses. Un travail de définition explicite est attendu à ce niveau dans les futures instructions officielles (le référentiel et les programmes actuels sont en cours de révision).
2. De la reconnaissance des genres littéraires
10Pour que les genres littéraires puissent être des outils de guidage de la lecture – ce que présupposent les instructions officielles en FWB –, permettant notamment « de saisir l’intention [auctoriale] et de s’y adapter » (Dumortier, 2004 : 139), il convient que les élèves puissent les repérer au fil de leur découverte du texte.
11Dans un premier temps, lors de la découverte d’un genre en classe comme lors des premières années d’apprentissage, il sera utile de partir de critères de définition stables, essentiellement thématiques et formels, en nombre fini. Le référentiel de la FWB y incite, en caractérisant les genres dont il parle par quelques traits de ce type. Toutefois, il conviendrait d’insister, dans la formation des futurs enseignants, sur le fait que cette opération ne se déroule pas sans difficultés. Caroline Masseron avait déjà souligné ce problème, en observant la difficulté de « faire admettre [aux élèves] la relativité des critères » de reconnaissance d’un genre :
[L]a disparition d’un seul critère ne suffit pas forcément à rejeter le texte concerné comme n’appartenant plus au genre. Inversement, la manifestation, dans un texte, d’un seul critère ne suffit pas non plus pour caractériser ce texte dans un genre : une histoire d’animaux n’est pas, en tant que telle, une fable. (1988 : 22)
12La didacticienne identifie également d’autres difficultés dans ce domaine, comme la tendance des élèves à restreindre leur investigation aux critères thématiques ou encore à se focaliser sur certains passages du texte au détriment d’une vision plus globale de l’œuvre.
13Dans un second temps, lorsque les éléments les plus caractéristiques d’un genre ont été acquis comme lors des dernières années d’apprentissage, les élèves pourront se familiariser avec d’autres critères, plus variés et adaptés aux particularités des œuvres abordées en classe de français. À l’heure actuelle, une progression spiralaire de ce type n’est pas présente dans les instructions officielles de la FWB. Pourtant, plusieurs recherches en didactique ont montré son utilité. Par exemple, Sylviane Ahr (2007) a proposé que l’on accorde plus d’attention à la diversité des stratégies d’écriture (en particulier les stratégies narratives et pragmatiques) dans le roman français contemporain, caractérisé par un traitement plus souple et plus complexe des références génériques. Cette didacticienne invite notamment les enseignants à partir des postures de lecture appelées par ces stratégies et non plus à se fonder uniquement sur des critères formels et thématiques en nombre réduit.
14La reconnaissance par les élèves des traits génériques présents dans les œuvres littéraires se heurte aussi souvent à l’hétérogénéité générique de celles-ci. Il n’est pas rare en effet qu’une œuvre, quelle que soit sa complexité8, participe de plusieurs genres, comme l’ont montré des théoriciens de la littérature (Schaeffer, 1989) et des didacticiens (Privat & Pinson, 1988 ; Reuter, 2007). Les problèmes en la matière surviennent principalement lorsque des dispositifs didactiques oublient cette dimension de la généricité alors qu’ils ont pour objectif principal ou secondaire la reconnaissance de traits génériques par les élèves et qu’ils proposent à ces derniers de travailler à partir d’œuvres manifestant cette hétérogénéité. Rosine Galluzzo-Dafflon (2013) a ainsi montré récemment, à partir d’une enquête sur plusieurs manuels scolaires destinés à des classes de 4e en France, que le traitement didactique des Misérables proposé par ces derniers était inadapté, dans la mesure où il invitait les élèves à le lire à travers le prisme des genres tout en ignorant que ce récit est autant un roman historique (soumis pour cette raison à une obligation de réalisme) qu’un roman d’aventures (autorisé par là à contester la mimèsis). À l’inverse, lorsque cette hétérogénéité générique est intégrée au dispositif de reconnaissance mis en place par l’enseignant, elle devient pensable par l’élève. Jean-Marie Privat et Marie-Christine Vinson montraient ainsi, dès 1988, l’utilité de placer l’élève au centre de l’interrogation générique, en en faisant l’acteur principal de la catégorisation : celui-ci ne doit plus lire en fonction d’un protocole connu à priori mais crée lui-même les critères dont il a besoin pour une tâche d’écriture ou de lecture donnée en comparant des textes de genres divers. Il s’ouvre ainsi plus évidemment et plus efficacement à l’hétérogénéité générique et se montre capable de repérer des références génériques diverses au sein d’une même œuvre.
15En FWB, cette dimension fait partie de la forme scolaire de la généricité, puisque les élèves du secondaire supérieur doivent être capables, en fin de scolarité, de « repérer la présence dans un même texte de différents […] genres » (1999 : 11). Toutefois, en l’absence d’une progression spiralaire dans l’apprentissage de la reconnaissance générique, cet objectif est plus difficilement réalisable. L’absence de définition de la généricité, constatée dans le point précédent, constitue aussi un défi pour cet apprentissage, dans la mesure où celle-ci ne permet pas que l’hétérogénéité des genres apparaisse comme un élément fondamental de leur forme scolaire. Dès lors, seuls les enseignants les plus perspicaces, ou les mieux formés à reconnaitre cette hétérogénéité, seront à même de prendre la mesure de cet objectif de la formation en français. À nouveau, une définition plus explicite de la généricité dans les instructions de la FWB serait bénéfique, de même qu’une inscription plus détaillée des progressions attendues tout au long de la scolarité dans sa maitrise et son exploitation.
3. Des autres médiations
16À l’instar d’autres objets littéraires, les genres peuvent être pensés comme des médiations. Par « médiation », on entend, avec Marielle Macé, toute catégorie littéraire qui « occup[e] une place médiane entre plusieurs échelles : entre la Littérature et les œuvres, entre un texte et une règle, entre plusieurs œuvres qu’associent [sic] un trait de ressemblance, de dérivation, de contrepoint, entre l’œuvre et le public, entre l’auteur et le lecteur, entre la diachronie et la synchronie, entre la mémoire et la perception, entre l’histoire et la théorie… » (2004 : 15). Le rôle des genres comme médiations a surtout été souligné dans le cadre des perspectives pragmatiques ; dans celles-ci, en effet, la généricité est une modalisation intervenant entre la littérature et une œuvre donnée, lors de la production de celle-ci (le genre sert alors de « modèle » de référence ou de contre-modèle à l’écrivain) comme lors de ses réceptions successives par les lecteurs (qui vont alors se servir de la médiation générique pour adapter leur lecture à l’œuvre choisie) (Compagnon, 2001 ; Macé, 2004 ; Baroni & Macé, 2006 ; Maingueneau, 2004, 2006 et 2007).
17Comme la perspective pragmatique est celle qu’adopte majoritairement la FWB dans ses textes officiels, il est logique de se demander si ces derniers conçoivent le rôle des genres en ce sens, sans préjuger pour autant qu’ils doivent le faire9. La réponse à cette question sera à la fois positive et négative : négative, car la notion de « médiation » n’apparait jamais dans ces écrits ; positive, car le fait que les genres soient mobilisés pour « orienter sa lecture en fonction de la situation de communication » (1999 : 9) ou pour « orienter son écrit » (1999 : 12) dans les mêmes circonstances laisse penser que cette fonction fait bien partie, au moins implicitement, de la forme scolaire des genres littéraires dans ce système d’enseignement.
18Si les genres constituent assurément une médiation « entre les œuvres et la littérature » (Compagnon, 2001), d’autres catégories remplissent aussi cette fonction. Pensons par exemple aux registres, que l’on peut définir comme des « catégories de représentation et de perception du monde que la littérature exprime, et qui correspondent à des attitudes en face de l’existence, à des émotions fondamentales » (Viala, 2002/2008 : 529). Ces registres proviennent certes le plus souvent de genres identifiés (ainsi, le tragique découle de la tragédie), mais ils se sont affranchis de ces derniers, puisqu’ils peuvent apparaitre dans n’importe quel genre (il y a ainsi des romans tragiques, des nouvelles tragiques, des biographies tragiques, etc.)10. Citons encore d’autres médiations, comme le romanesque ou la romance, qui définissent plutôt des types de fiction : le romanesque désigne généralement une histoire où les péripéties abondent, où les actions des protagonistes paraissent invraisemblables et dans laquelle se déroule un affrontement entre deux valeurs, incarnées par des personnages antagonistes (Schaeffer, 2004) ; la romance qualifie une histoire d’amour où la représentation des passions l’emporte sur l’analyse psychologique (Arcuri & Reffait, 2011). Là encore, il ne s’agit pas de genres à proprement parler, dans la mesure où ces catégories sont transgénériques (c’est-à-dire qu’elles ne sont pas liées à un genre précis, mais peuvent se rencontrer dans divers genres) et transmédiatiques (c’est-à-dire qu’elles apparaissent dans différents langages artistiques : la littérature, bien sûr, mais aussi le cinéma, la bande dessinée, les séries télévisées, etc.). Ce ne sont pas non plus des registres, puisqu’elles ne correspondent pas, pour reprendre la définition de Viala, « à des attitudes en face de l’existence, à des émotions fondamentales ». La liste de ces médiations pourrait aussi inclure les courants esthétiques11, voire les auteurs eux-mêmes (dans le sens où les obsessions thématiques et les traits stylistiques dominants chez un écrivain peuvent être des guides de lecture très efficaces).
19En termes de guidage de la lecture, les effets de ces médiations recouvrent ceux des genres, mais aussi, selon les œuvres qui s’en inspirent, les nuancent, les contrarient, voire les annulent. En somme, de telles catégories peuvent jouer un rôle essentiel dans la saisie de certaines intentions esthétiques12. On doit dès lors se demander si de telles médiations apparaissent dans les programmes et le référentiel de la Belgique francophone, sans réclamer pour autant leur présence13.
20La plupart des médiations envisagées ci-dessus n’apparaissent tout simplement pas dans ces textes. Les seules exceptions concernent l’auteur et les courants littéraires. Ces deux éléments y sont considérés comme des médiations, sans que ce terme apparaisse explicitement. En fait, ce qui nous permet de dire qu’ils fonctionnent de la sorte tient à la façon dont ils sont présentés dans ces instructions. La notion d’auteur est ainsi citée, en compagnie de celle de genre, lorsqu’il s’agit de former l’élève à « orienter sa lecture en fonction de la situation de communication » (1999 : 9). C’est donc par un phénomène d’« amphitextualité14 » que les programmes font de l’auteur une médiation semblable à celle des genres. Quant aux courants, ils apparaissent comme des médiations de semblable nature à travers la manière dont leur rôle dans l’enseignement est décrit dans le référentiel de la FWB : il s’agit en effet, à travers l’appropriation de ces courants comme outils de lecture, « de donner de manière vivante aux élèves la maitrise des références culturelles qui ont influencé durablement la pensée et l’écriture occidentales et/ou s’avèrent les plus utiles pour décoder les productions culturelles contemporaines » (1999 : 9 ; nous soulignons).
21Ces éléments d’analyse permettent de confirmer l’orientation pragmatique donnée à l’étude de la généricité dans l’enseignement secondaire belge francophone tout en soulignant à nouveau le caractère majoritairement implicite de la formulation des instructions. En somme, la forme scolaire de la généricité, pour repérable qu’elle soit, ne fait pas l’objet d’une explicitation dans les textes officiels, ce qui pose la question de sa reconnaissance par les enseignants – question à laquelle nous ne pouvons pas apporter de réponse dans l’immédiat, en l’absence d’études précises sur le sujet.
4. Stéréotypie et subjectivité
22Le référentiel de la FWB, commun à tous les réseaux d’enseignement en Belgique francophone, n’énonce jamais précisément quel type de lecteur il entend former ; tout au plus signale-t-il que les élèves devront être familiarisés, via la lecture notamment, avec « la langue et la culture » pensées dans « leur diversité, leur souplesse, leur devenir, leur utilité, leur inventivité » afin qu’ils puissent en faire « usage en vue de projets personnels et collectifs » (1999 : 8). Dans le programme du réseau libre, le type de lecteur attendu au terme de l’enseignement secondaire est davantage précisé :
Il convient donc moins d’amener les élèves du troisième degré à adopter une lecture critique et distanciée que de les exercer à cette compétence complexe de lecture que tend à mettre en jeu la fiche consacrée à la lecture littéraire et qui suppose le développement conjoint du sens critique, de la sensibilité et de l’imaginaire. (FESEC, 2000 : 11)
23Dans le programme de l’officiel également, le rôle de la lecture (et, par conséquent, du lecteur) est défini avec plus de netteté : cette dernière « est, avant tout, une production de sens. L’apprentissage de la lecture visera donc à faire construire du sens et à faire réagir, de manière cognitive et affective, à celui-ci » (FWB, 2000 : 33). Autrement dit, dans ces deux programmes, la lecture apparait comme une activité complexe mêlant sensibilité et analyse, immersion (dans la lecture) et distanciation (critique). Dans cette perspective, il peut être intéressant de se demander quels sont les rôles que peuvent (ou ne peuvent pas) jouer les genres littéraires. On précisera immédiatement cette question de la façon suivante : définis essentiellement comme outils de cadrage de la lecture dans les documents officiels, les genres littéraires peuvent-ils être également au service d’un apprentissage centré sur la subjectivité des lecteurs ?
24Sur le plan théorique, les deux options semblent à première vue incompatibles, les genres littéraires apparaissant aux yeux des didacticiens comme des catégories très stéréotypées – donc très peu conciliables avec une lecture subjective. Jean-Louis Dufays soulignait ainsi le caractère « inéluctable » de la stéréotypie générique : « […] s’il est souvent possible de comprendre un texte sans recourir aux intertextes, aux hypotextes, ni aux métatextes particuliers qui lui sont attachés, aucune compréhension n’est possible si l’on fait abstraction des stéréotypes génériques. » (1994 : 73) La raison avancée par ce didacticien pour justifier le statut d’exception des genres en cette matière est la suivante : ce sont eux « qui fourni[ssen]t au lecteur la grande masse des structures sémantiques qui lui permettront de développer des hypothèses de lecture » (73). Cette stéréotypie des genres est également remarquée par divers didacticiens faisant de ceux-ci des outils de cadrage de la lecture en classe de français (voir notamment les travaux de Canvat, 1999 et Dumortier, 2004). Les didacticiens partisans d’un enseignement de la lecture centré sur la subjectivité du sujet lecteur « ordinaire » (Rouxel & Langlade, 2004) notent également le degré élevé de stéréotypie des catégories génériques, mais pour en faire un obstacle à une approche centrée sur « les troubles, les émotions, les rêveries, les associations d’idées voire les rapprochements impromptus, qui puisent leurs racines dans la personnalité profonde, l’histoire personnelle [du sujet lecteur] » (Langlade, 2004 : 81). Ces éléments se situent en effet, pour ce didacticien, « [a]ux antipodes des grandes catégories génériques, rhétoriques ou esthétiques qui irriguent les constructions interprétatives des lecteurs dits “experts” » (ibid.). Porter l’attention sur ces manifestations de la lecture semble dès lors difficilement compatible avec un mode de lecture cadré par les genres.
25Certes, plusieurs chercheurs, en Belgique francophone notamment, ont tenté d’articuler ces deux dimensions, soit au sein du concept de « lecture littéraire » (Dufays, Gemenne & Ledur, 1996/2005), soit au sein du concept d’« amateur éclairé » (Dumortier, 2001 et 200515). Dans les deux cas, il s’est agi de reconnaitre le fait que la lecture est faite de la combinaison, toujours dynamique, d’une démarche participative (d’immersion dans l’univers fictionnel ou poétique) et d’une démarche analytique (de réflexion sur les moyens utilisés et les effets produits par ceux-ci). Ces modèles visent aussi l’enrichissement de la lecture participative par la distanciation, celle-ci étant supposée apporter un supplément de connaissance (sur ses propres gouts, sur les types de littérature – genres, styles, modes, etc. – susceptibles d’emporter l’adhésion, etc.) et d’expérience. Autrement dit, il est moins question, dans ces conceptions, de faire droit à une approche centrée sur la subjectivité16 que de reconnaitre une dimension subjective dans toute lecture littéraire17. Ces théories didactiques ne résolvent donc pas l’antinomie entre une approche analytique et une approche subjectiviste : elles proposent plus exactement une troisième voie, fondée sur un va-et-vient entre ces deux attitudes.
26C’est manifestement cette approche que les programmes de français de la FWB ont décidé de suivre : dès lors, l’apprentissage des stéréotypes génériques y côtoie d’autres attitudes, plus subjectives, afin de permettre aux élèves de devenir des lecteurs capables d’adapter « [leur] mode et [leur] rythme de lecture aux spécificités du texte et aux finalités de la lecture » (1999 : 9). Reste que l’articulation entre ces deux dimensions est peu définie, laissant aux enseignants toute latitude en la matière.
5. Conclusion
27L’analyse de la forme scolaire donnée à la généricité littéraire et aux genres littéraires en Belgique francophone par les dernières instructions – référentiel commun à tous les réseaux et programmes spécifiques à chacun d’entre eux – fait apparaitre la cohérence de celle-ci en même temps que sa labilité. Si cette forme scolaire s’appuie sur des fondements théoriques issus des courants pragmatiques, si elle pense les genres littéraires comme des outils destinés à guider l’apprentissage de la lecture en liant celle-ci à la reconnaissance de traits génériques dominants (voire éventuellement hétérogènes), si elle en fait des médiations similaires à d’autres (comme l’auteur), elle tend aussi, par l’absence de définitions explicites et corrélées entre elles, à laisser du jeu, volontairement ou involontairement. Cet espace d’indétermination offre certes aux enseignants une certaine liberté, mais il peut également être source d’incompréhension. L’absence de relais contrôlés (comme, par exemple, les bulletins officiels français ou des manuels édités par la FWB) entre les instructions officielles et les enseignants renforce ce risque, que vient certes en partie pallier le travail des inspecteurs, des conseillers pédagogiques et des formateurs d’enseignants (en formation continuée plus qu’en formation initiale). La rédaction de nouveaux programmes, en cours actuellement, pourrait modifier cet état de fait à condition qu’un effort d’explicitation soit mené.
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Notes de bas de page
1 Jean-François de Pietro et Bernard Schneuwly soulignent à ce propos « que l’école n’a jamais cessé de “créer” des genres propres » (2003 : 49), donnant notamment l’exemple de la dissertation, du portrait et de la description.
2 Attention et respect également variables selon les époques. À l’âge classique, le respect des normes génériques était presque absolu ; à l’époque moderne, il s’est progressivement perdu, pour laisser la place à des attitudes de plus en plus transgressives, que résume bien ce mot de Michaux : « [L]es genres littéraires sont des ennemis qui ne vous ratent pas, si vous les avez ratés vous au premier coup » (1927/1997 : 106). Aujourd’hui, diverses pratiques coexistent plus franchement, allant du conformisme au rejet – très sensible chez un Chevillard, qui estime que « les grandes œuvres commencent par démolir le genre qui voudrait les contenir et s’érigent sur ses ruines » (2014 : 113-114) – en passant par des hommages non dénués d’ironie (chez un Echenoz, par exemple).
3 Ces instructions officielles se composent, d’une part, du référentiel Compétences terminales et savoirs requis en français : humanités générales et technologiques, édité par la FWB, et, d’autre part, des programmes d’enseignement du français propres à chaque réseau. On compte trois réseaux d’enseignement en Belgique : le réseau de la Communauté française, l’officiel subventionné, le libre subventionné (majoritairement catholique).
4 Voir la présentation de l’auteure sur le site de son éditrice principale, Viviane Hamy : http://www.viviane-hamy.fr/les-auteurs/article/fred-vargas.
5 La définition de la notion de genre ne constitue d’ailleurs pas un savoir disciplinaire à enseigner, contrairement à d’autres pays de la francophonie, dont la France (voir sur ce point Denizot, 2005 : 42).
6 La formation initiale des enseignants en Belgique francophone s’effectue dans les départements de langues et littératures françaises et romanes des universités (pour les enseignants des trois dernières années du secondaire) ou dans les sections pédagogiques des hautes écoles (pour les enseignants des trois premières années du secondaire). Aucun cours n’est intégralement consacré à la généricité, qui peut être abordée dans différentes matières, selon des perspectives spécifiques, mais qui peut aussi être globalement absente des programmes.
7 Il existe certes de nombreux manuels sur le marché scolaire belge, mais aucun d’entre eux n’est imposé par un réseau dans tous les établissements qui relèvent de sa responsabilité. Le choix de recourir à un manuel, et à tel manuel plutôt qu’à tel autre, s’effectue par les enseignants eux-mêmes, individuellement, voire par des équipes pédagogiques ou des directions d’écoles. Le recours aux manuels est par ailleurs plus fréquent dans le secondaire inférieur que dans le secondaire supérieur (Simard, Dufays, Dolz & Garcia-Debanc, 2010 : 172-173).
8 Des œuvres réputées accessibles présentent en effet souvent une certaine hétérogénéité générique. Ainsi, une saga romanesque comme Harry Potter, très utilisée par les enseignants ces dernières années, combine des structures issues du roman d’aventures, du roman policier, mais aussi du roman de formation, sans oublier bien sûr les références à la fantasy.
9 Estimer que les instructions officielles devraient reprendre tous les constituants des théories sur lesquelles elles se fondent serait faire preuve d’applicationnisme et consisterait à oublier ce que nous avons dit en commençant des processus de scolarisation, qui ont tendance à produire des formes scolaires des genres largement autonomes par rapport aux théories dont elles procèdent.
10 Le cas du fantastique le montre bien : souvent perçu comme un genre, il gagne à être décrit comme un registre « caractérisé par le renversement des perceptions rationnelles du réel, l’immixtion du doute dans les représentations établies et la proximité d’un supra- ou antinaturel » (Bertrand 2002/2008 : 226). Cela permet en effet de comprendre pourquoi des romans de genres divers (comme le roman à énigmes, le roman de mœurs, le roman d’anticipation, etc.), des nouvelles, des pièces de théâtre, des contes, etc. peuvent être qualifiés de fantastiques.
11 Tout en relevant du même genre, un roman surréaliste (La Liberté ou l’Amour ! de Robert Desnos, par exemple) se distingue fortement des romans réalistes et naturalistes comme des romans symbolistes (Paludes d’André Gide ou Bruges-la-Morte de Georges Rodenbach).
12 Par exemple, une fiction dite romanesque ne prétendra jamais au réalisme, même si elle se déroule dans un univers semblable au nôtre : ses personnages principaux et leurs actions seront, par définition, invraisemblables. C’est que les enjeux de ce type de fiction sont ailleurs : non dans la représentation du réel, mais dans l’affrontement de valeurs opposées. Le romancier et essayiste Martin Winckler l’a bien compris, lui qui fait remarquer, à propos de la série télévisée Dr. House, que son caractère romanesque empêchait qu’on la conçoive comme une série réaliste : « On a beaucoup reproché aux scénarios de House leur manque de réalisme, la rareté des affections en cause et les invraisemblances médicales de la narration. C’est injuste et inapproprié. La série de Shore n’a pas l’ambition de réalisme que les quinze saisons d’Urgences ont déjà brillamment assumée. Et si les maladies abordées dans House sont souvent rares, c’est que justement elles servent le propos : une maladie fréquente est facile à diagnostiquer. Rasoir ! » (2013 : 62 ; c’est Winckler qui souligne).
13 Cela reviendrait à nouveau à verser dans l’applicationnisme.
14 Nathalie Denizot définit l’amphitextualité, sur le modèle genettien des relations transtextuelles, comme la relation « qui relie un texte à un ou plusieurs textes à côté desquels il est posé » (2013 : 148). Celle relation de proximité (dans les manuels, les programmes, etc.) conduit les lecteurs de ces textes (enseignants, élèves, etc.) à établir des relations (d’ordre formel, générique, intellectuel, etc.) entre eux. Nous étendons ici le sens de ce concept à des relations entre notions.
15 Voir aussi Vrydaghs (2014) pour une présentation critique de ce concept.
16 Ce type d’approche poursuit en effet généralement d’autres objectifs : Vincent Jouve l’a bien montré en soulignant qu’elle permet surtout un savoir sur soi (2004).
17 Bertrand Daunay faisait ainsi remarquer que l’intérêt de la lecture littéraire résidait surtout dans le fait « d’interroger l’acte de lecture (scolaire notamment) et de concevoir un enseignable qui ne soit pas seulement le texte (et ses divers contours), mais la relation texte-lecteur » (2007 : 168).
Auteur
Université de Namur, directeur du Cedocef (Centre d’études et de documentation sur l’enseignement du français)
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