Précédent Suivant

Biomédecine, une science majeure parmi les autres

p. 101-130


Texte intégral

Marcello Malpighi (1628-1694)

Marcelli Malpighii [...] Opera omnia, seu Thesaurus locupletissimus botanico-medico-anatomicus, viginti quatuor tractatus complectens et in duos tomos distributus [...]

Lugduni Batavorum : apud Petrum vander Aa, 1687

R17A0016

1Apanage d’une époque révolue, Marcello Malpighi, né en Italie au début du xviie siècle, fut tout à la fois médecin, biologiste, anatomiste et botaniste. Le « comment » l’intéresse plus que le « pourquoi » et, en véritable précurseur, Malpighi aura l’intelligence d’aller au-delà du visible à l’œil nu : il fonde l’anatomie de structure, en d’autres termes l’histologie.

2Subodorant l’étendue des connaissances à découvrir à l’aide du microscope, il construit et améliore cet instrument, encore rudimentaire en ce début de xviie siècle, et, loin de se contenter de décrire, il insuffle à l’histologie une dynamique fonctionnelle et l’associe de facto à la démarche physiologique.

3C’est en exploitant les ressources du microscope pour examiner du tissu pulmonaire que Malpighi complète les travaux révolutionnaires de William Harvey par une découverte capitale : il établit l’existence du réseau des capillaires, ce réseau qui permet le passage du sang des artères vers les veines.

4Chercheur enthousiaste et inlassable, il laisse son nom à de nombreuses structures : « le corps muqueux de Malpighi » (au niveau de l’épiderme), « les corpuscules de Malpighi » (autour des artérioles de la rate), « les pyramides de Malpighi » (dans la médullaire rénale) en sont des exemples célèbres.

5La qualité de ses travaux attire l’attention de la Royal Society de Londres, dont il devient membre en 1669. Il y publiera une grande partie de son œuvre dont le présent ouvrage, Opera Omnia, publié en 1687, qui collige des travaux d’embryologie, de botanique ainsi que le résultat de diverses investigations anatomiques, notamment dans le domaine de la circulation pulmonaire. Ses publications, outre des observations et les conclusions y relatives, décrivent ses méthodes expérimentales, permettant confrontations et critiques, socles du progrès scientifique.

Image
Image

Johannes Bohn (1640-1718)

D. Johannis Bohnii […] Circulus anatomico-physiologicus, seu Oeconomia corporis animalis, hoc est, cogitata, functionum animalium potissimarum formalitatem & causas concernentia

Lipsiae : sumtibus Joh. Friedrich Gleditsch ; typis Christophori Fleischeri, 1686

R17A0038

Image

6Ce livre très précieux Circulus anatomico physiologicus seu Oeconomia corporis animalis fut rédigé par Johannes Bohn en 1686 sous la forme d’un ensemble « circulaire » anatomo-physiologique de l’organisation (oeconomia) du corps animal et de l’homme. Il s’agit d’une série très complète de lectures sur les différents systèmes physiologiques tels que la circulation artérielle, la digestion, la sudation, le goût, la respiration, le tact, le cycle de l’éveil et du sommeil, la reproduction...

7Johannes Bohn est né le 20 juillet 1640. Il étudia la médecine à l’université de Leipzig et de Iéna. Il occupa la chaire d’anatomie à l’université de Leipzig et publia de nombreux articles sur le métabolisme et la physiologie du système circulatoire, mais il doit surtout sa réputation à ses travaux en médecine légale dont il fut le pionnier. Johannes Bohn décéda le 19 décembre 1718. Étonnamment, il semble d’après les sources que la grande majorité de ses travaux aient été brûlés selon ses dernières volontés à l’exception de deux ouvrages, un traité de médecine médico-légale, De renunciatione vulnerum seu vulnerum lethalium examen publié en 1689, et le traité de physiologie, dont un exemplaire est conservé à la Bibliothèque Universitaire Moretus Plantin, d’où l’intérêt majeur pour son contenu, son ancienneté et sa rareté.

Image

Abraham Trembley (1710-1784)

Mémoires pour servir à l’histoire d’un genre de polypes d’eau douce, à bras en forme de cornes

A Leide : chez Jean & Herman Verbeek, 1744

R18B0021

Pierre Lyonet (1708-1789)

Traité anatomique de la chenille, qui ronge le bois de saule, augmenté d’une explication abrégée des planches, et d’une description de l’instrument et des outils dont l’auteur s’est servi, pour anatomiser à la loupe & au microscope [...] & mechaniquement

A Amsterdam : chez Marc Michel Rey, 1762

A La Haye : chez Pierre Gosse jr & Daniel Pinet, 1762

R18B0022

8Greffes et expérimentation

9L’histoire et le développement des sciences biomédicales se trouvent bien sûr étroitement liés au développement des sciences biologiques. Plus particulièrement, l’avènement de l’expérimentation dans la recherche médicale proposé par la célèbre Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, publiée en 1865 par Claude Bernard, a bénéficié de nombreux travaux et écrits antérieurs qui ont pavé ce cheminement vers une médecine qui ne se limite plus aux dogmes. Les étapes vers cette médecine moderne, que l’on peut qualifier d’éclairée par l’expérimentation, sont bien sûr extrêmement nombreuses, mais les deux ouvrages remarquables qui sont présentés ici en sont des exemples à la fois surprenants et révélateurs des concepts et méthodes au travers desquels s’inscrivent la connaissance médicale actuelle et sa non moins importante communication.

10Le Mémoire pour servir à l’histoire d’un genre de polypes d’eau douce, à bras en forme de cornes d’Abraham Trembley est une de ces publications qui semble d’abord sans lien apparent avec le domaine médical, mais qui pourtant constitue un échelon majeur si on s’accorde à y reconnaître certaines prémices de la biologie expérimentale. En effet, Abraham Trembley doit moins sa célébrité aux trois premières parties de son mémoire, qui ont pour vocation de décrire classiquement en de multiples détails les polypes d’eau douce (hydres), qu’à la quatrième et dernière partie de son ouvrage dans laquelle il relate les « opérations faites sur les polypes et les succès qu’elles ont eus (sic) ». On découvre en effet dans cette partie les descriptions détaillées et de multiples expériences originales. Il s’agit là de décrire comment l’auteur a entrepris de sectionner, mais encore de greffer entre elles les hydres récoltées et de commenter les comportements observés.

Image

11Vraisemblablement, nous avons ici affaire aux premières communications d’expériences, assez simples bien sûr, de biologie animale, mais pour la première fois probablement une publication démontre combien l’expérimentation permet d’accroître la connaissance et la compréhension des organismes vivants bien au-delà des simples descriptions effectuées dans les ouvrages antérieurs.

12Aujourd’hui reconnu comme marquant les débuts de la biologie expérimentale, cet ouvrage s’est vu traduit en langue anglaise en 1986, pour satisfaire notamment la curiosité des chercheurs et lecteurs du monde entier qui ne peuvent lire l’original en langue française. Notons ainsi que cet auteur, suisse d’origine, mais qui a migré aux Pays-Bas où il a effectué ses observations, les rédige et les publie à La Haye en langue française.

13Un intérêt supplémentaire à accorder à cet ouvrage, en lien avec la médecine, provient aussi du fait que les expériences sur les hydres qui y sont relatées représentent, selon toute vraisemblance, les premiers exemples de greffes réalisées entre des tissus animaux. Ces expériences restent simples bien sûr, mais leur aspect précurseur et donc leur originalité feront à jamais la renommée d’Abraham Trembley.

14Qualité de l’illustration et langue véhiculaire

15L’ouvrage d’Abraham Trembley est tout à fait remarquable aussi par l’historique qu’y fait l’auteur, dans la préface du Mémoire, de sa rencontre avec le sieur Pierre Lyonet, hollandais, comme son nom ne l’indique pas, dont on peut lire notamment les fonctions d’avocat, d’interprète, et de maître des patentes à La Haye sur la page de titre de l’ouvrage qu’il a signé : Traité anatomique de la chenille qui ronge le bois de saule, publié en version française une vingtaine d’années plus tard, toujours aux Pays-Bas.

Image
Image

16Excellent observateur et dessinateur, il vient à l’époque d’illustrer la Théologie des insectes, ou Démonstration des perfections de Dieu dans tout ce qui concerne les insectes (1742) de Friedrich Christian Lesser (1692-1754). Pierre Lyonet s’est ensuite retrouvé invité par Abraham Trembley à illustrer l’ensemble des quatre parties de son Mémoire. Lyonet a dès lors dessiné avec délicatesse toutes les planches de la première partie du mémoire de Trembley, confiant la gravure de ces planches à un spécialiste de ces techniques. Ce graveur cependant s’est retrouvé à ce point épaté par les talents de dessinateur de Lyonet, qu’il s’est attelé à lui apprendre son art. Par la suite, Pierre Lyonet a pu totalement exercer son talent et dès lors dessiner et graver entièrement les planches des trois autres parties, y compris celles qui décrivent les fameuses expérimentations sur les hydres, réalisées par Trembley.

17Fort de cette expérience et de son talent révélé grâce à Trembley et à son graveur, Pierre Lyonet a ensuite réalisé pour son propre compte l’observation et la description de la chenille des saules, y compris sa dissection et son observation microscopique. Dans l’ouvrage Traité anatomique de la chenille qui ronge le bois de saule, Lyonet a réalisé une série de gravures impressionnantes, à la fois riches de détails et de grande qualité visuelle, pour illustrer ses observations. Pour la première fois ou presque, un adepte de la biologie sortait de la collection d’individus d’espèces diverses pour se consacrer à l’étude en extrême profondeur d’une seule espèce d’invertébré, à l’un de ses stades de développement.

18Ces gravures et le texte précis qu’elles illustrent furent d’abord publiés en néerlandais. Cependant, la multitude des descriptions et surtout leurs richesses en précisions jamais égalées auparavant ont alors suscité un énorme scepticisme auprès des scientifiques contemporains de Lyonet. Un scepticisme auquel l’auteur a voulu répondre d’une part par sa propre traduction du texte original en français, une langue beaucoup plus répandue dans la communauté scientifique de l’époque que le néerlandais, mais aussi par la description dans l’édition ici présentée des instruments et des méthodes utilisés pour ses observations, une pratique aujourd’hui indissociable de toute publication scientifique !

19La relative opposition rencontrée par Lyonet lors de la première édition de son étude est certainement révélatrice des spécificités de la communication scientifique. En effet, la science étant par essence même une activité humaine, certes particulière dans sa créativité d’observation et de déduction, il faut malheureusement constater que le manque d’intégrité scientifique existe parfois et justifie dès lors un besoin de compréhension maximale et d’adoption des méthodes par les pairs quand tout nouveau savoir ose franchir les limites de l’habituel déjà, mais davantage encore lorsqu’il s’agit de l’inconnu. Bien sûr, alors qu’une section décrivant les « matériaux et méthodes » est dorénavant requise pour toute publication primaire, on constate aussi qu’après les langues française et allemande, c’est aujourd’hui la langue anglaise qui est requise comme principal véhicule de communication scientifique.

20Pour conclure cette présentation de deux ouvrages devenus « classiques », constatons que nous bénéficions au xxie siècle de technologies remarquables telles que la photographie numérique qui remplace avantageusement la gravure et les défauts éventuels du dessinateur. Toutefois, on ne peut que rester admiratif devant la multiplicité des talents de scientifiques tels qu’Abraham Trembley et Pierre Lyonet, devant leur patience et leur obstination, mais aussi devant leur audace à imaginer comment dépasser les limites du savoir et les partager élégamment et donc agréablement avec les lettrés de leur époque.

Image

Planche issue de : Lesser, F. Ch., Théologie des insectes, ou Démonstration des perfections de Dieu dans tout ce qui concerne les insectes, La Haye, 1742 (R18A0059/02)

Lazzaro Spallanzani (1729-1799)

Expériences pour servir à l’histoire de la génération des animaux et des plantes

A Genève : chez Barthelemi Chirol, 1785

R18A0036

21Les vedettes incontestées de ce livre de l’abbé Lazzaro Spallanzani sont nos amis les batraciens. Les grenouilles vertes aquatiques, les grenouilles des arbres, les crapauds terrestres à yeux roux et tubercules dorsaux et autres crapauds terrestres puants nous y dévoilent quelques petits secrets d’alcôves.

22Au travers d’expériences inédites et âprement détaillées, Lazzaro Spallanzani cherche à percer les mystères du « suc de testicules » durant les ébats amoureux de ses chers amphibiens. Pour démontrer l’importance de la « liqueur fécondante », il conçoit, entre autres, de petits caleçons contraceptifs pour grenouille mâle empêchant ainsi le « fluide nourricier » d’animer les œufs libérés par la femelle au moment suprême de l’accouplement. Bien plus, en récoltant le précieux liquide dans lesdits caleçons, il arrive à imiter la nature au sein d’un « vase », réalisant ainsi la première fécondation in vitro.

23Fort de ses expériences sur les grenouilles et désireux de généralisation, il s’intéresse aux animaux à fécondation interne et à la pollinisation de plusieurs plantes à fleurs. Il réalise, avec succès, des inséminations artificielles chez le chien et tente, avec moins de succès, l’obtention de « mulets » (des hybrides) grâce à des inséminations croisées entre espèces animales différentes.

24Cette quête de l’ultime secret des amours, ô combien délicate pour l’époque, est bien vite rattrapée par de nombreuses digressions philosophique et religieuse. Les commentaires des pairs, par lettres interposées, et l’ébauche introductive par le ministre du Saint-Évangile, éclairent le texte de considérations existentielles censées étayer une des « vérités physiques » de cette fin du xviiie siècle : « Les fœtus des corps organisés préexistent à la fécondation, et ils préexistent dans les femelles ». Labbé Spallanzani est, en effet, un adepte d’une théorie selon laquelle les ovules des femelles contiennent, depuis les origines, un minuscule être organisé, préformé et complet, qu’il suffit d’animer, lors de la fécondation, grâce à l’aura seminalis, l’insaisissable « vapeur spermatique ». Malgré toutes les prouesses expérimentales mises en œuvre et un sens inné de l’observation, notre cher abbé se laissera malgré tout enfermer dans ce courant de pensée et ne dévoilera aucunement l’ultime secret.

Image

Planche issue de : de Lacépède, Bernard-Germain, Histoire naturelle de Lacépède comprenant les cétacées, les quadrupèdes ovipares, les serpents et les poissons, Paris, 1839 (R19B0041/01)

25Il faudra encore patienter plus de soixante ans avant d’observer l’acte cellulaire de la fécondation chez une algue, à savoir la fusion effective de deux cellules sexuelles, mâle et femelle, qui combinent leur matériel génétique au sein d’une nouvelle cellule, la cellule-œuf. Et c’est cette union qui est à l’origine de l’extraordinaire et fulgurante métamorphose qui, cellule après cellule, donnera naissance à un être vivant organisé.

Charles Bonnet (1720-1793)

Considérations sur les corps organisés

À Neuchâtel : de l’imprimerie de Samuel Fauche, 1779

R18B0029/03

26Considérations sur les corps organisés représente le troisième tome des Œuvres d’histoire naturelle et de philosophie de Charles Bonnet.

27L’auteur, naturaliste et philosophe né en 1720, est juriste de formation. Il est surtout connu pour ses travaux sur la reproduction des pucerons et la découverte qu’il a faite de la parthénogenèse, décrite dans son Traité d’insectologie.

28Dans Considérations sur les corps organisés, un ouvrage de 579 pages paru pour la première fois en 1762, l’auteur ne se contente plus d’observer et de déduire. Sa passion pour les sciences naturelles le pousse vers un travail de conjecture et l’élaboration d’un modèle de biologie de la reproduction qu’il intitule théorie des « germes ». Charles Bonnet y relate avec une minutie extrême ses multiples observations sur la reproduction, aussi bien dans le règne animal que végétal. Celles-ci sont présentées comme autant de démonstrations de la validité de sa « théorie des germes » selon laquelle la mère abriterait ses enfants à naître, minuscules et entièrement formés. Ces derniers renfermeraient eux-mêmes les enfants à naître de la génération suivante et par « emboîtements » successifs toutes les générations suivantes. C’est ce que l’auteur qualifie de « théorie des emboîtements ». Charles Bonnet décrit également les résultats de diverses expériences, comme des greffes, animales et végétales, dont les résultats soutiennent, selon lui, sa théorie. Il laisse enfin libre cours à son imagination pour aborder certaines questions métaphysiques comme celle de savoir où se trouve le « moi » du ver coupé en deux.

29Cet ouvrage représente le fruit d’un travail colossal paru quarante ans avant la première utilisation du terme « biologie ». Il pourra passionner ceux que l’histoire de cette science intéresse. Sa lecture est néanmoins rendue fort ardue par le caractère désordonné des observations, et surtout par l’absence de schémas qui soutiendraient avantageusement les descriptions minutieuses faites par l’auteur.

Image

Joseph Izarn (1766-1847)

Manuel du galvanisme, ou Description et usage des divers appareils galvaniques employés jusqu’à ce jour tant pour les recherches physiques et chimiques, que pour les applications médicales

A Paris : chez J.-F. Barrau ; chez Dumotiez, An XII – 1804

SJA.7.704B.13

30Quelle belle aventure que de répondre à l’invitation de Joseph Izarn (1766-1847), professeur de physique, qui nous entraîne dans l’épopée scientifique du développement du galvanisme, inscrit dans l’histoire de l’électricité et du magnétisme. À cet égard, Galvani donna une impulsion déterminante à cette science par les expériences nombreuses et variées qu’il fit sur la grenouille, relatives à l’induction des contractions musculaires. Aujourd’hui, le galvanisme est toujours d’actualité et ce, dans divers domaines : ses principes sont notamment exploités dans nombre d’applications médicales, comme l’électrostimulation ou l’électrothérapie, ainsi que dans la conception d’instruments de mesure.

31À la lecture de cet ouvrage, il est d’entrée de jeu particulièrement intéressant de noter que l’auteur, dans son discours préliminaire, souligne l’importance de l’émergence de la démarche scientifique, à savoir « l’art d’interroger la nature par l’expérience », où l’observation prend la place de l’aveugle et confiante crédulité. Cette approche détermina ainsi « la grande impulsion donnée à tous les esprits vers l’étude des sciences naturelles ». Il ressort également de ses propos que « l’homme, toujours disposé à s’élancer dans l’avenir, ne peut néanmoins souffrir ni lenteur ni incertitude… » au risque d’abandonner un projet dont les résultats se font attendre ! Cette observation ne serait-elle pas toujours d’actualité ?

32Quid de la genèse du Manuel du galvanisme ? Confronté à des difficultés rencontrées en cherchant à répéter les principales expériences galvaniques, Joseph Izarn a conçu cet ouvrage de référence afin de mettre à disposition du lecteur la trajectoire scientifique du galvanisme « pas à pas, d’expérience en expérience, de découverte en découverte ». La physiologiste que je suis, enseignant notamment les principes de l’électrophysiologie à nos chers étudiants, ne peut que s’émerveiller au fil des pages des succès engrangés par ces explorateurs du vivant, éclairés et passionnés, à une époque où les approches expérimentales en étaient à leurs balbutiements.

33En parcourant ce manuel, mon attention a été attirée par une controverse rapportée par Joseph Izarn, qui nous dresse en inventaire l’état des lieux d’une « guerre scientifique » qui opposa les partisans de Volta à ceux de Galvani. À l’époque, les premières expériences sur « l’électricité animale » se basaient sur l’analogie entre le fluide électrique et le fluide nerveux, piste qu’exploreront parallèlement physiciens et physiologistes, en particulier Galvani, lui-même médecin et anatomiste, et Volta, physicien. Pour un même sujet d’étude, les approches des protagonistes sont évidemment différentes : les médecins soutiennent que le fonctionnement des êtres vivants ne peut se réduire à de simples phénomènes physiques ou chimiques, ce que cherchent précisément à prouver certains physiciens a contrario. Cette divergence se répercutera non seulement sur les interprétations, mais également sur les techniques expérimentales mises en œuvre, chacun cherchant à amener la controverse sur son propre domaine d’expertise. Ici interviennent donc les concepts et les outils de la physique, de la médecine, de la physiologie et de la chimie. Mais il est surtout intéressant de noter que des acteurs sortent du cadre étroit de leur discipline : ainsi le médecin Galvani recourt aux principes et instruments de la science électrique tandis que le physicien Volta pratiquera la dissection, chacun apportant le regard et les méthodes de son domaine sur l’objet commun d’étude.

Image
Image

34Joseph Izarn nous a ainsi transmis, en ses qualités de professeur, une analyse exhaustive du galvanisme depuis son origine, relatant avec minutie expériences et découvertes, tout en évoquant les « pierres d’attente qu’ont laissées nos prédécesseurs dans plusieurs points de l’édifice, à l’achèvement duquel chacun est appelé ». Retenons également, sur base de cet exemple historique, qu’une controverse pousse les protagonistes à expliciter et à affiner leurs arguments, à privilégier les éléments qui leur sont favorables et, pour certains d’entre eux, à négliger, voire cacher ceux qui leur sont opposés. Dans un contexte scientifique, une controverse historique ou contemporaine place le chercheur devant une science en marche plutôt que devant une certitude établie et sert sans nul doute de catalyseur au débat. Dans une telle discussion, chacun est invité à formuler des hypothèses et à développer, pour les soutenir, des arguments théoriques ou expérimentaux, la rivalité suscitant l’émulation...

René-Théophile-Hyacinthe Laennec (1781-1826)

De l’auscultation médiate ou Traité du diagnostic des maladies des poumons et du coeur fondé principalement sur ce nouveau moyen d’exploration

Bruxelles : Culture et civilisation, 1968 (reproduction de l’édition de 1819)

SJA.8.1021-1022 (2 volumes)

35Au début du xixe siècle, la médecine est un art plus qu’une science et le diagnostic des maladies respiratoires est parmi les plus difficiles. Un des contemporains de Laennec en parle en ces termes : « O quantaum difficile pulmonum morbos curare. O quanto difficilius eosdem dignoscere ».

36Né en 1781, Laennec commence à apprendre la médecine dès l’âge de 14 ans, alors que les écoles de médecine françaises ont disparu suite à la Révolution. Il émigre à Paris où Corvisart, médecin de Napoléon et spécialiste de la percussion thoracique, devient son maître.

37Les médecins pratiquent alors l’art de guérir en maniant l’anamnèse et l’examen clinique, celui-ci étant guidé par deux de leurs cinq sens : la vision, permettant l’inspection, et le toucher, la palpation. Quant à l’ouïe, même si l’auscultation directe ou immédiate a été pratiquée dès l’époque d’Hippocrate, la pudeur et les règles de l’hygiène sont des freins à son développement. Il n’est pas acceptable pour le plus grand nombre qu’un médecin pose son oreille sur la poitrine ou l’abdomen d’un patient dit malheureux (pour ne pas dire indigent) et encore moins d’une patiente.

38Dans son traité intitulé L’auscultation médiate, paru en 1819, Laennec présente ses études fondées sur les observations qu’il a pu faire avec ses élèves à l’hôpital Necker, grâce à un nouveau mode d’auscultation. Celui-ci est basé sur un instrument qui sera plus tard à la base du développement du stéthoscope biauriculaire par l’école anglaise.

39Dans cet ouvrage, Laennec décrit de multiples sons qu’il met en relation avec des lésions anatomopathologiques, dans une démarche scientifique remarquable. En particulier, il décrit la pectoriloquie. Celle-ci correspond à la transmission nettement articulée de la voix haute à la paroi thoracique, qui devient plus distincte et prend un timbre grave à tonalité renforcée en présence de grandes cavités liées à la tuberculose, les cavernes qu’elle occasionne fréquemment dans les poumons de ses contemporains. Il décrit également les « râles crépitants » associés à ce qu’on appelle à l’époque la péripneumonie, notre pneumonie, mais aussi les signes et les lésions des bronchectasies, de l’emphysème, de l’infarctus pulmonaire, du pneumothorax, des tumeurs malignes pulmonaires qu’il distingue de la tuberculose. À l’époque cette dernière fait des ravages et malgré sa perspicacité, Laennec ne comprit, pas plus que ses contemporains, son caractère contagieux. Cette maladie l’emporta comme nombre de ces confrères de l’époque, à l’âge de 45 ans.

Image

40La nomenclature utilisée par Laennec pour décrire les bruits auscultatoires respiratoires a longtemps perduré. Elle a maintenant laissé place à une classification beaucoup moins riche, basée sur une analyse acoustique physique des sons les plus fréquents qui ont pu faire l’objet d’une analyse à large échelle. Les auteurs modernes justifient l’appauvrissement de la nomenclature par des problèmes de concordance entre les écoles et de traduction des termes utilisés.

41Force est toutefois de constater que certains signes décrits par Laennec comme l’égophonie (transmission de la voix haute selon un mode chevrotant et nasillard, traduisant l’existence d’un épanchement pleural liquidien), ou la pectoriloquie ont disparu de la plupart des traités de médecine surtout parce qu’ils n’ont pas trouvé de traduction anglo-saxonne. Il s’agit de signes plus rares et donc plus difficiles à reconnaître et à caractériser sur le plan stéthacoustique que des sibilances ou des crépitants. Ces signes pourraient toutefois encore trouver place dans l’enseignement des écoles de médecine.

42Pour remarquables qu’ils furent, les travaux de Laennec nous rappellent aussi qu’être pionnier et entreprendre sur le plan scientifique expose aussi à l’erreur, on devrait dire donne droit à l’erreur. Ainsi, dans Lauscultation médiate, Laennec interprète les deux bruits audibles au cours du cycle cardiaque comme ceux émis lors de la systole auriculaire d’une part et la systole ventriculaire d’autre part. On comprendra plus tard qu’ils sont en fait liés à la fermeture des valves auriculo-ventriculaires et des valves aortique et pulmonaire.

43Mais l’histoire retiendra à juste titre que les travaux précurseurs de Laennec, en munissant le médecin d’un 3e sens et en servant de base à l’auscultation moderne, ont permis de faire des progrès considérables dans le diagnostic des maladies broncho-pulmonaires. Ces progrès furent menés grâce à des corrélations anatomopathologiques dans une démarche scientifique novatrice pour l’époque qui a ouvert la voie aux pères de la démarche expérimentale en médecine que furent Claude Bernard et Louis Pasteur.

Image

44Encore aujourd’hui, comme je l’enseigne à mes étudiants, le diagnostic de pneumonie est le plus souvent posé grâce à la présence à l’auscultation de « râles crépitants », de nos jours simplement appelés crépitants. Tenant compte de la gravité d’une telle affection sans traitement antibiotique, on comprend aisément l’importance des avancées qu’ont permis les travaux de Laennec.

Pierre-Marie-Jean Flourens (1794-1867)

Histoire de la découverte de la circulation du sang

Paris : Garnier, 1857

R19A0982

Image

45Fraîchement élu à siéger dans le 29e fauteuil de l’Académie française, l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf élaborait le projet de se documenter sur les personnages qui l’avaient précédé à cette place depuis 1631.

46Est né de ses recherches, Un fauteuil sur la Seine, quatre siècles d’histoire de France… Le onzième chapitre est consacré à Pierre Flourens, médecin et physiologiste du système nerveux, pratiquement tombé dans l’oubli aujourd’hui, dont il exhume des tranches de vie riches et palpitantes.

47Effectivement, Pierre Flourens fut l’un de ces « immortels ». Il occupa le fameux fauteuil de 1840 à 1867.

48Ce qui nous étonne le plus, c’est qu’il fut élu contre le grand Victor Hugo… pour de sombres raisons « politiques ». (Rassurez-vous, le poète fut élu dix mois plus tard au 14e fauteuil.)

49Mais, à ses détracteurs qui le fustigeaient ainsi : « Ce n’est pas à l’Académie française qu’on extrait des racines cubiques et Richelieu n’a nullement songé dans sa création, aux cornues et à tous les appareils de laboratoire », Flourens s’attacha à légitimer l’élection d’un scientifique, en démontrant avec passion – dans son discours de réception – l’influence de la science sur la philosophie (« c’est un géomètre qui a fondé la philosophie nouvelle… et qui a écrit le Discours de la méthode, c’est-à-dire le premier ouvrage où notre langue a pris sa nouvelle forme… ») ou sur l’histoire.

50En ce milieu du xixe siècle, un monde nouveau était en train de poindre, dans lequel, comme le souligne Amin Maalouf : « la science, son esprit, ses méthodes et ses applications (…), la généralisation des machines, allaient produire de nouvelles relations entre les hommes, (…) transformant à la fois l’existence matérielle et la vie intellectuelle de la population entière ».

51Dans l’ouvrage intitulé Histoire de la découverte de la circulation du sang, paru en 1854 (pour la première édition), Pierre Flourens, en véritable historien des sciences, met son esprit méthodique au service de la description des faits, des expériences et des hypothèses qui se sont succédé depuis quelques siècles et qui ont été autant de pièces à la construction de la théorie de la circulation sanguine actuelle.

« La découverte de la circulation du sang n’appartient pas et ne pouvait guère appartenir, en effet, à un seul homme, ni même à une seule époque. Il a fallu détruire plusieurs erreurs ; à chacune de ses erreurs, il a fallu substituer une vérité. Or cela s’est fait successivement, lentement, peu à peu » nous dit-il.

52Ainsi, les erreurs firent tomber les masques grâce à la perspicacité d’esprits curieux…

53Galien (iie siècle après J.-C.) prouva que les artères contenaient du sang et non pas de l’air comme le croyait Erasistrate (iiie siècle avant J.-C.)... Vésale (vers 1540) démontra que la cloison entre les ventricules du cœur était pleine et non pas percée comme le pensait Galien… Une quantité de petites découvertes s’additionnèrent, s’escamotèrent, se renforcèrent (existence de valvules orientées dans les veines, démonstration que les veines ramènent le sang des organes au cœur et non l’inverse ; ou que le sang qui part du cœur droit passe par les poumons avant de revenir au cœur, d’où la notion de circuit etc.). Puis, William Harvey (vers 1616) eut le génie d’intégrer toutes ces découvertes, de les approfondir personnellement pour nous offrir « le spectacle complet d’un grand mécanisme ». Non sans subir les moqueries et rejets de ses collègues attachés à la tradition.

54Emporté dans ce fleuve, Flourens embraie sur les découvertes des vaisseaux chylifères, de la circulation lymphatique et de la circulation fœtale avec autant de précision et de brio.

55Mais loin d’être seulement un compilateur, Pierre Flourens eut l’occasion de mettre la main à la pâte. Médecin et passionné d’histoire naturelle, c’est pourtant vers la recherche et l’enseignement qu’il se tourna.

56À partir de 1825, il étudia les effets des lésions chirurgicales ciblées au niveau du cerveau (des lapins) sur le comportement, la motricité ou la sensibilité. Il n’est pas étonnant qu’on le considère comme l’un des fondateurs des neurosciences expérimentales.

Image

57Son expertise le conduisit à se prononcer dans le débat portant sur la, très en vogue, phrénologie de Franz Gall (théorie selon laquelle les « bosses » du crâne d’un humain révèlent son caractère). Il démontra que cette « pseudoscience » était infondée scientifiquement, et s’insurgea contre le danger du déterminisme qu’elle sous-entendait.

58Il contribua également à développer un outil majeur de la médecine moderne : l’anesthésie, en étudiant l’effet de l’éther et du chloroforme sur les animaux de laboratoire.

59Il est difficile d’énumérer tous les titres honorifiques qu’il obtint, et toutes les sollicitations à professer qu’il honora… Mais, le fait qu’on lui confia les chaires d’Anatomie humaine, puis de Physiologie comparée au Muséum national d’Histoire naturelle, ainsi que la chaire d’Histoire naturelle des corps organisés au prestigieux Collège de France, témoigne de la reconnaissance scientifique de ses pairs pour cet infatigable chercheur.

Casimir-Joseph Davaine (1812-1882)

Traité des entozoaires et des maladies vermineuses de l’homme et des animaux domestiques

Paris : J.-B. Baillière et fils, 1860

R19A0979

60Dans son Traité des entozoaires et des maladies vermineuses de l’homme et des animaux domestiques, Casimir Davaine, livre une synthèse très détaillée des connaissances acquises sur les infections parasitaires. Les entozoaires, terme désuet à l’heure actuelle, désignent les animaux qui vivent dans les organes des autres animaux, et qui n’ont ni organes respiratoires distincts et ni appendices articulés propres à la locomotion.

61Médecin et biologiste doté d’une redoutable capacité d’observation, Davaine présente un recueil qui fait aujourd’hui encore référence dans l’apprentissage de la parasitologie en médecine humaine et vétérinaire. Le propos est ancré dans la dimension historique de la médecine. Les observations des anciens s’articulent avec celles des savants contemporains de Casimir Davaine : Van Beneden, Lieberkühn, Leukart pour ne citer que quelques illustres personnages croisés à la lecture savoureuse de ce traité. Il cite avec rigueur les observations de chacun. Se dégagent alors des hypothèses originales qui font sens et qui formalisent notamment le concept des zoonoses, c’est-à-dire, les maladies infectieuses dont les agents se transmettent naturellement des animaux à l’homme et vice-versa.

62Au xxie siècle, notre planète est devenue un village et les infections circulent d’un hémisphère à l’autre en l’espace d’une demi-journée. L’Organisation Mondiale de la Santé encourage médecins, vétérinaires, biologistes, écologistes et géographes à mettre leur énergie au service d’une seule santé (One Health). Ce concept vise à réconcilier des disciplines qui ont parfois évolué de manière divergente : la médecine humaine, la biologie, la médecine vétérinaire. À cet égard, Casimir Davaine est une figure de proue de ce mouvement puisqu’il unifie, dans ce traité, les connaissances relatives aux parasites infectant l’homme et les animaux. À titre d’exemple, citons l’infection humaine par le ver solitaire suite à la consommation de viande de porc porteuse de larves enkystées. Davaine offre dans son ouvrage une revue systématique des démarches expérimentales et des observations réalisées par divers auteurs (biologistes et médecins en majorité) visant à établir deux liens. « La plupart des helminthologistes admettent d’après l’analogie de la forme et de la constitution de la tête du ténia solium avec celle du cysticerque ladrique (...) que le cysticerque est le premier âge, l’état de larve du ténia solium. » Au travers d’une première synthèse, il décrit la relation entre la consommation de viande de porc contenant la forme kystique du taenia solium (cysticerques) et le développement du ver solitaire intestinal chez l’homme. Dans une deuxième section, il rapporte l’association entre la consommation d’œufs de ver solitaire émis dans les selles humaines et le développement de cysticerques dans la viande de porcs ayant ingéré ces œufs.

63À côté de ce travail de pionnier, les lecteurs que nous sommes aujourd’hui s’amuseront à plusieurs reprises en découvrant les traitements empiriques qui sont proposés pour lutter contre les maladies vermineuses. À titre d’exemple, au détour de la description de la bronchite vermineuse (affection très courante du bovin), ce genre de recette originale est proposé :

Asa fœtida 30 grammes.
Huile empyreumatique de Chabert. 60
Décoction mucilagineuse. 500
Une cuillerée par jour dans un verre de lait.

64Une recherche sur les 3 ingrédients recommandés par Davaine nous apprend que l’ase fétide est une résine séchée extraite d’une plante proche du fenouil poussant en Inde et en Iran. L’huile empyreumatique (du grec ancien μπύρευμα, empúreuma - « braise ») de Chabert était, quant à elle, obtenue par la calcination de la corne et des os des animaux. L’adjectif empyreumatique désigne l’odeur et le goût âcre, désagréable d’une substance organique soumise à l’action d’un feu vif. Enfin, la décoction mucilagineuse est un extrait à texture gélifiée obtenu en solution aqueuse par extraction des mucilages contenus dans certaines plantes (guimauve) ou graines (graines de lin par exemple). Nous sommes bien loin de la pharmacopée actuelle. Des interrogations bien légitimes relatives aux principes actifs et aux modes d’action de ce genre de traitement ne peuvent que nous effleurer l’esprit.

Image

Fig. 33. – Développement de l’œuf de l’ascaride lombricoïde. – Œufs grossis 200 fois. L’ordre des lettres indique la succession du développement. – En a, l’œuf n’est point encore fractionné ; en m, n, o, il contient un embryon ; p, embryon ayant atteint tout le développement dont il est susceptible dans l’œuf, grossi 200 fois.

65Ce livre peut aussi être recommandé pour le voyage qu’il offre au cœur des systèmes visités : de l’arbre respiratoire au système sanguin en passant par les voies digestives. Les parasites deviennent un prétexte à la curiosité. Un livre à la dimension vraiment universelle avec une vision universitaire…

Image

Charles Darwin (1809-1882)

De l’origine des espèces par sélection naturelle ou Des lois de transformation des êtres organisés

Paris : Guillaumin, 1866

SJA.7.312B.3

66Voici une traduction française par Clémence Royer du livre que Charles Darwin publie pour la première fois en 1859 sous le titre plus complet De l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle, ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie.

67Ce livre, qui est considéré aujourd’hui comme le texte fondateur de la théorie moderne de l’évolution, déclencha une véritable révolution scientifique et intellectuelle.

68Darwin s’appuie sur des observations réalisées au cours d’une expédition autour du monde pour présenter la thèse suivant laquelle les espèces vivantes ne sont pas immuables mais se diversifient avec le temps et dérivent les unes des autres, formant une généalogie arborescente.

69Pour expliquer cette « transmutation » des espèces, Darwin se base sur des observations et des inférences que le biologiste Ernst Mayr résume ainsi :

70Toutes les espèces sont suffisamment fertiles pour que la taille de la population augmente si tous les petits survivent et se reproduisent à leur tour (observation).

71Malgré des fluctuations périodiques, la taille des populations n’augmente pas de façon infinie (observation).

72Les ressources (telles que la nourriture ou l’espace) sont limitées (observation).

73Il y a donc une lutte pour la survie entre les individus (inférence).

74Les individus d’une même espèce peuvent être différents les uns des autres (observation).

75Ces variations, qui sont dues au hasard, sont (au moins en partie) transmises des parents aux enfants (observation).

76Les individus les mieux adaptés à un environnement (nourriture, prédateurs, climat…) survivent mieux et produisent une descendance viable plus nombreuse que les individus moins bien adaptés. Ils transmettent donc mieux leurs caractéristiques héritables à la génération suivante (observation). Ceci est le processus de sélection naturelle.

77Ce processus lent produit des changements au niveau de la population qui s’adapte à l’environnement. Avec le temps, il peut aboutir à la formation de nouvelles espèces, y compris l’espèce humaine (inférence).

78Cette théorie qui implique la transmutation des espèces a suscité d’intenses controverses car elle était en conflit avec les croyances religieuses de l’époque selon lesquelles toutes les espèces ont été créées par Dieu, et l’homme occupe une place privilégiée qui le distingue des autres animaux.

79Même si elle est admise universellement par les scientifiques, la théorie darwinienne continue aujourd’hui encore à être remise en cause par certains milieux conservateurs. Ainsi, un groupe de pseudo-scientifiques soutient l’idée que la complexité des différentes formes de vie s’explique mieux par un « dessein intelligent » (intelligent design) préexistant que par des processus non dirigés tels que la sélection naturelle.

Wilhelm Friedrich von Gleichen (1717-1783)

Dissertation sur la génération, les animalcules spermatiques et ceux d’infusions, avec des observations microscopiques sur le sperme, et sur différentes infusions

A Paris : de l’imprimerie de Digeon, 1799

R18B0117

Charles Robin (1821-1885)

Traité du microscope : son mode d’emploi ; ses applications à l’étude des injections, à l’anatomie humaine comparée, à la pathologie médico-chirurgicale, à l’histoire naturelle animale et végétale et à l’économie agricole

Paris : J.-B. Baillière et fils, 1871

R19A0981

Image

80Le microscope optique est l’une de ces inventions techniques qui a été à l’origine de changements conceptuels considérables en induisant des transformations d’ampleur dans les paradigmes scientifiques que sont la biologie et la médecine. L’observation au microscope de l’« infiniment petit », a ainsi permis de clarifier l’attribution des causes des maladies que l’on ne savait pas encore infectieuses !

81Le microscope a donné à Louis Pasteur l’occasion d’asseoir les concepts de fermentation et de contagion et plus largement celui de « microbe ». Cet appareil fut tellement décisif dans sa recherche scientifique que lorsque le scientifique est représenté dans son laboratoire, son microscope n’est jamais loin…

82À l’origine du microscope, un compte-fils que les drapiers utilisaient pour déterminer la qualité des tissus par la densité de leur tramage. Il était initialement composé d’une seule lentille, une bille de verre de grande qualité. C’est Antoni van Leeuwenhoek, drapier de Delft, qui à partir de 1676 attira l’attention des biologistes par ses observations et mit en évidence suivant son expression l’existence d’ « animalcules » ; en fait des protozoaires, des spermatozoïdes ou encore des bactéries.

83Le microscope optique tel que nous le connaissons aujourd’hui est constitué de deux groupes de lentilles : un « oculaire » et un « objectif » et… n’a pas d’inventeur bien identifié. De fait, les microscopes sont restés difficiles à mettre au point et il a fallu près de 150 ans pour que ceux-ci ne supplantent la qualité d’image des premiers appareils de van Leeuwenhoek.

84Enfin, la limite de résolution des microscopes optiques, c’est-à-dire leur capacité à observer distinctement deux éléments proches, est d’environ 0,2 µm, ce qui correspond approximativement à la taille des micro-organismes unicellulaires les plus simples que l’on nomme communément « bactéries ». Pour des observations plus fines, il a fallu attendre le xxe siècle avec l’arrivée du microscope électronique.

Image

Charles Darwin (1809-1882)

La descendance de l’homme et la sélection sexuelle

Paris : C. Reinwald, 1872

SJA.7.312A.10-11 (2 volumes)

85Charles Darwin… voilà un nom évoqué tant de fois dans les cours de biologie animale que je donne chaque année aux étudiants de bloc 1 en faculté de médecine ! Qui aurait jamais pensé qu’un jour je parcourrais non pas L’origine des espèces mais bien La descendance de l’homme et la sélection sexuelle du même auteur, ouvrage publié en version française en 1872 ! C’est le tome 2 que j’ai choisi ici, consacré aux vertébrés.

86Je passerai rapidement sur les poissons, en pointant toutefois l’épinoche mâle décrit comme « fou de joie » lorsqu’il aperçoit la femelle sortant de sa cachette ! Darwin évoque aussi certains poissons qui non seulement construisent les nids, mais prennent soin des petits, « faisant toute la besogne » ! Enfin, il évoque les poissons produisant des « sons particuliers, qualifiés par certains de musicaux », comme les ombrines des mers d’Europe produisant un bruit de tambour au moment du frai.

87Le chapitre sur les amphibiens est plein d’humour au second degré. Ils présentent peu de différences sexuelles. « Bien qu’à sang froid, ils ont des passions fortes » au point qu’il n’est pas rare de voir les femelles de crapauds « mortes étouffées, sous les embrassements de 3 ou 4 mâles ».

88Je passerai le chapitre sur les reptiles pour aborder les oiseaux car, comme l’évoque Charles Darwin, « les oiseaux paraissent être de tous les animaux, l’homme excepté, ceux qui ont le sentiment esthétique le plus développé et pour le beau presque le même goût que nous ». Mais si les oiseaux sont esthètes, les mâles sont querelleurs, en particulier chez les espèces de petite taille, comme le rouge-gorge de nos régions. Chez certaines espèces, le combat peut être mortel ! « La saison d’amour est celle de la guerre », illustrée par de nombreuses anecdotes, souvent sanglantes ! Mais les femelles sont aussi sensibles au charme de la cour, qui parfois peut être longue… et les chants y jouent un rôle-clé, chants et cris permettent aux oiseaux d’exprimer leurs émotions, de la détresse à la satisfaction. Il suffit d’écouter le chant caractéristique de la poule qui vient de pondre. Quant au chant des mâles, vise-t-il à charmer les femelles ou à attiser la rivalité entre les mâles eux-mêmes ? Sans doute un peu des deux, car dans nos régions, les meilleurs chanteurs sont souvent, à quelques exceptions près comme le bouvreuil ou le chardonneret, de couleur discrète et uniforme, alors que les oiseaux les plus colorés d’Europe tels les guêpiers, rolliers, geais et autres, sont de piètres chanteurs, qui ne produisent que des cris assez rauques. Darwin décrit aussi l’usage des plumes pour produire des sons que ce soit chez le paon ou la bécasse en vol, avec parfois des particularités au niveau de certaines plumes. La cour sophistiquée des oiseaux mâles se trouve également longuement abordée dans ce livre, que ce soit pour chasser ses rivaux, voire pour les tuer. On apprend aussi que les mâles adoptent « des attitudes grotesques » et la cour adressée aux femelles est souvent « longue, délicate et embarrassante » ! Enfin, Darwin évoque le goût du beau, magnifiquement illustré par plusieurs espèces australiennes dont les mâles construisent de véritables jardins ou berceaux, décorés de coquilles ou de baies. La lecture de Darwin m’a naturellement poussée à revoir les capsules vidéo de la BBC commentées par David Attenborough. Comme Darwin aurait apprécié celles sur les oiseaux jardiniers, qui récoltent des objets trouvés (le bleu est privilégié) comme des capsules de bouteilles ou des pinces à linge (au lieu des baies à l’époque de Darwin). Il aurait aussi apprécié les capsules illustrant les parades des oiseaux du paradis !

89Passons aux mammifères et à l’homme. Après les oiseaux, c’est la douche froide ! Selon Darwin, chez les mammifères, « le mâle paraît obtenir la femelle bien plus par l’usage du combat que par l’étalage de ses charmes ».

Image
Image
Image

Fig. 70. – Tête du Semnopithecus rubicundus.
Cette figure et les suivantes, tirées de l’ouvrage du professeur Gervais, montrent l’arrangement bizarre et le développement des poils sur la tête.)

90Un chapitre est naturellement consacré aux « armes » de combat et aux caractères secondaires. Mais Darwin s’interroge longuement aussi sur des caractères d’ornementation, en particulier chez les singes (crinière, barbes, favoris, touffes de poils élégantes etc.), probablement inutiles pour l’usage ordinaire, mais qui auraient été acquis par sélection sexuelle, certains l’emportant sur d’autres et laissant par conséquent une descendance plus abondante.

91Quand Darwin passe à l’homme, on replonge brutalement dans le xixe siècle. « L’homme, dit-il, est plus courageux, belliqueux et énergique et a un génie plus créatif que la femme » et il y est encore question de nations « barbares » et d’individus « sauvages ». Je préfère aussi passer sous silence le paragraphe sur « la différence dans la puissance mentale des deux sexes ». Darwin évoque également les problèmes d’infanticide chez certains peuples ainsi que les fiançailles précoces et l’esclavage des femmes. Dans la fin de l’ouvrage, on peut épingler les phrases étonnantes suivantes à propos des femmes (pages 390-391) : « Elles empruntent aux oiseaux mâles les plumes que la nature leur a fournies pour fasciner leurs femelles » (...) « Les femmes sont donc devenues, comme on l’admet généralement, plus belles que les hommes ». Darwin insiste d’ailleurs sur les critères tout relatifs de la beauté, très variables selon les peuples et les régions, ce qu’il illustre par de nombreux témoignages et observations. Les femmes jouent donc, d’après Darwin, un rôle important dans l’évolution car elles transmettent leur caractère ainsi que la beauté à leur progéniture, filles et garçons, et tendent donc à modifier de la même manière tous les individus des deux sexes.

92Cette longue balade de 494 pages vivantes (index inclus) est plaisante à lire et nous fait voyager à travers le monde animal, sur une bonne partie de la terre, par les observations, anecdotes et témoignages évoqués (dont ceux de Darwin lui-même) – il est d’ailleurs stupéfiant de voir la diversité des régions citées dans l’ouvrage ! –

93Le livre se termine par un vibrant argumentaire en faveur de l’évolution, rappelant que l’homme « descend d’une forme moins parfaitement organisée ». Certes, Darwin avoue les aspects spéculatifs et les nombreuses questions encore restées sans réponse dans l’ouvrage. Il se montre conscient que ses conclusions risquaient à l’époque d’être dénoncées comme irréligieuses.

94En cette époque de « fake news » et « fake data », laissons Darwin parler pour terminer : « Les faits faux sont très nuisibles aux progrès de la science, car ils persistent souvent fort longtemps ; mais les opinions erronées, appuyées sur une certaine évidence, ne font guère de mal, chacun se donnant le plaisir utile d’en démontrer la fausseté ; ce qui en fermant une voie qui conduisait à l’erreur, ouvre souvent en même temps le chemin de la vérité ».

95Merci Charles Darwin !

Image

Claude Bernard (1813-1878)

Introduction à l’étude de la médecine expérimentale

Paris : Delagrave, 1903

R20A0835

96Ce livre est un monument de la littérature médicale. Publié pour la première fois en 1865, il a révolutionné les concepts de la physiologie et de la pathologie humaines.

97Prenons un exemple célèbre : il était admis à l’époque que le glucose, un métabolite majeur pour l’homme, ne pouvait être synthétisé par celui-ci et provenait uniquement de son alimentation en végétaux. Cela d’ailleurs était lié à un concept plus général à l’époque concernant d’autres molécules biologiques que le glucose.

98Claude Bernard démontra magistralement par des expériences sur animaux que ce concept était faux et que le glucose sanguin provenait en partie d’une synthèse de la molécule par le foie. On comprend facilement l’impact qu’une telle découverte a pu avoir sur la compréhension du diabète, une maladie grave et fréquente chez l’homme, qui se traduit en particulier par la présence d’une quantité anormalement élevée de glucose dans le sang.

99Il est peut-être intéressant de noter que Claude Bernard, d’origine modeste, dut d’abord travailler comme petit employé dans une pharmacie. Il avait même envisagé une carrière littéraire.

100C’est seulement plus tard que, monté à Paris, il entreprit ses études de médecine qui le conduisirent à devenir professeur au Collège de France et membre de l’Académie française. Il décède en 1878.

Image
Précédent Suivant

Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.