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Des lieux de sépultures conformes aux prescriptions de l’Église ?

Les cimetières du diocèse de Poitiers aux xviie et xviiie siècles

p. 143-155


Texte intégral

1À partir du milieu du xvie siècle, les campagnes de plusieurs provinces françaises – comme la Normandie, le Poitou, l’Aunis, la Saintonge, la Guyenne, le Béarn, le Languedoc, le Dauphiné ou encore une partie de la Provence – voient leur « paysage » religieux se modifier, avec l’apparition de communautés protestantes qui se mettent à concurrencer les vieilles structures ecclésiastiques apostoliques et romaines. Au niveau de chacune de ces Églises réformées, cela se traduit très concrètement par l’arrivée de nouveaux officiants (des pasteurs formés à l’académie de Genève) et la mise en place de nouveaux lieux de culte (les temples) avec un décorum beaucoup plus simple et dépouillé que les sanctuaires catholiques1. Très vite, on voit aussi s’instaurer des lieux de sépultures propres aux calvinistes. Ceux-ci se distinguent, généralement, sur deux points importants des anciens cimetières paroissiaux : ils jouxtent rarement les bâtiments cultuels et ne comprennent aucune croix monumentale en leur sein2.

2Une fois les guerres de Religion terminées, l’Église de France – toujours très liée au pouvoir royal et qui a su conserver l’essentiel de ses institutions et prérogatives – s’efforce de contrer les progrès et les positions du protestantisme français. C’est le cas notamment dans le diocèse de Poitiers, qui constitue un champ d’observation intéressant dans ce domaine pour les xviie et xviiie siècles. En effet, cette circonscription religieuse, à la fois très vaste (plus de 750 paroisses) et très rurale (près de 90 % de ruraux), compte sur son territoire une importante minorité réformée qui représente aux alentours de 10 % de sa population au début du règne de Louis XIII3. Comme dans beaucoup d’autres régions françaises, les autorités diocésaines se montrent, dès les premières années du xviie siècle, plus volontaires et offensives à l’encontre des calvinistes. Cette politique de « Contre-Réforme » – qui a déjà fait l’objet de plusieurs enquêtes historiques – semble avoir des effets concrets à l’échelon très local, au cours des décennies suivantes4. Tout d’abord, le pouvoir épiscopal s’efforce alors de surveiller plus assidûment les lieux de culte, en multipliant les inspections et visites pastorales durant les deux derniers siècles de l’Ancien Régime, afin de voir si ceux-ci sont en bon état et dotés d’un matériel liturgique satisfaisant5. De même, l’Église poitevine s’emploie à mettre en place un clergé paroissial de meilleure qualité : pour cela, elle fonde dans les années 1680 deux séminaires à Poitiers, qui ont en charge la formation des ecclésiastiques6.

3À l’inverse des bâtiments et des personnels religieux, les cimetières catholiques villageois n’ont pas vraiment été étudiés jusqu’à présent dans le contexte poitevin de la « Contre-Réforme ». À défaut d’exhaustivité, cette contribution se fixe donc comme objectif de combler très modestement cette lacune, en essayant de répondre successivement aux trois questions suivantes : quel discours tiennent exactement l’Église et le pouvoir royal à propos des lieux de sépultures au xviie et dans la première moitié du xviiie siècle ? Les visites pastorales – qui sont relativement nombreuses dans le diocèse de Poitiers – s’intéressent-elles alors beaucoup aux cimetières ? Enfin, au vu de ces documents, que peut-on dire de l’état des cimetières poitevins au cours des deux siècles qui précédent la Révolution française ?

Les exigences des autorités catholiques et royales

4Entre le milieu du xvie siècle et le siècle des Lumières, de très nombreuses dispositions sont prises par les autorités en place – l’Église, mais aussi l’État royal et l’administration judiciaire – à propos des cimetières catholiques. Il en est question, en effet, dans au moins trois types de textes de référence.

5C’est le cas, en premier lieu, dans les écrits de droit canonique. Ceux-ci comprennent à la fois les œuvres des Pères de l’Église, les décrétales des souverains pontifes, ou encore les décisions des divers conciles. Compilés durant tout le Moyen Âge, ils font l’objet d’une monumentale édition dans le Corpus juris canonici à la fin du xvie siècle, avant de voir leur contenu largement diffusé dans de nombreux dictionnaires durant les deux siècles suivants7. Or, que disent précisément ces ouvrages de droit canon sur les lieux de sépultures8 ? L’article « cimetière » du Dictionnaire de droit canonique et de pratique bénéficiale (1761) résume assez bien les positions de l’Église en la matière9. Par définition, il s’agit d’un « lieu […] où l’on enterre les corps des fidèles », qui doit être considéré comme un « accessoire de l’église ». Pour certains canonistes, « il n’est [d’ailleurs] permis qu’aux paroisses d’avoir des cimetières », et seuls les évêques diocésains ont le « pouvoir de les consacrer ». Enfin, conformément aux souhaits des conciles provinciaux de Bourges (en 1528 et 1584) et de Bordeaux (en 1624), ces endroits doivent absolument avoir « clôture et […] enceinte » et il est interdit d’y tenir des « assemblées profanes, foires et marchés ». Dans la mesure où le diocèse de Poitiers fait alors partie de la province ecclésiastique de Bordeaux, ces prescriptions lui sont donc directement applicables.

6Parallèlement, plusieurs décisions de justice et de police sont prises à propos de ces mêmes cimetières poitevins. Les Grands Jours de Poitiers, qui se tiennent dans la cité des bords du Clain au cours des derniers mois de l’année 1634, s’y intéressent tout particulièrement10. En effet, entre septembre et décembre 1634, ces sessions « délocalisées » du Parlement de Paris prononcent des sentences sur les procès en retard dans la province, mais promulguent aussi de très nombreux arrêts de police. Or, parmi ces derniers, plusieurs concernent directement les lieux de sépultures. Le 16 septembre 1634, à la suite d’une supplique du lieutenant général de la sénéchaussée et du siège présidial, il est fait « deffences générales aux Religionnaires d’enterrer leurs morts ès Cimetières des Catholiques à peine d’estre déterrés et de mil livres d’amende » : on désire ainsi voir observer strictement une disposition prévue par « l’Article 28 de l’Édit de Nantes »11. Dans les semaines qui suivent, les Grands Jours promulguent d’ailleurs plusieurs arrêtés plus précis, qui entendent faire appliquer cet interdit à onze petites villes et bourgades du Poitou. Ils ont trait aux localités d’Exoudun, Mougon, Genouillé, Chef-Boutonne, Lusignan, La Mothe-Saint-Héray, La Trimouille, Vieux Ruffec, Saint-Maixent, Cherveux et Melle, et sont tous datés du 29 novembre 163412. On espère, de la sorte, mettre fin à la très singulière situation poitevine, où communautés papistes et protestantes semblent se partager les cimetières paroissiaux en maints endroits jusque dans les années 162013.

7Enfin, un troisième type de textes plus récents fait référence aux lieux de sépultures. Il s’agit des instructions qui émanent des pouvoirs royaux et épiscopaux. L’édit royal le plus explicite dans ce domaine est assurément celui du mois d’avril 1695 « concernant la juridiction ecclésiastique ». Son article XXII – qui a force de loi jusqu’à la Révolution française – exige des « habitans d [es] paroisses d’entretenir et de réparer […] la clôture des cimetières14 ». Quant aux évêques français, ils s’emploient à insister sur le caractère sacré de ces lieux d’inhumations dans leurs circonscriptions tout au long du xviiie siècle. Telle est l’intention, par exemple, de Mgr Beaupoil de Saint-Aulaire dans son Rituel du diocèse de Poitiers de 1766. Il y rappelle à son clergé paroissial que tout cimetière « doit être entouré de murs […], et son entrée doit être fermée d’une porte ou d’un fossé profond […] de manière que les animaux ne puissent y entrer15 ». Par ailleurs, il est impératif qu’il y ait « une Croix dans l’endroit le plus éminent ». Enfin, « les Curés veilleront à ce qu’on […] respecte [ces lieux] comme une terre sainte, et empêcheront qu’on y tienne des foires et des marchés, qu’on y vende des marchandises de quelque espèce que ce soit, et qu’on y fasse paître aucuns animaux, ni qu’on s’y assemble pour danser ou jouer ; et s’opposeront même à ce qu’on le laboure, et qu’on s’en serve comme d’un lieu profane ou d’une place publique pour y travailler, ou pour aller ailleurs qu’à l’Église ».

Des visites pastorales assez peu intéressées par les lieux d’inhumations

8À défaut d’être aussi bien pourvu que le sud-est du royaume16, le diocèse de Poitiers a la chance de disposer d’un nombre substantiel de visites pastorales datant des xviie et xviiie siècles. On en comptabilise, en effet, un peu plus de deux milliers (très exactement 2 032), qui se répartissent entre six grandes collections d’archives différentes. Très prisés des spécialistes d’histoire ecclésiastique, ces documents sont de véritables rapports d’inspections effectuées sous l’Ancien Régime, qui s’avèrent extrêmement révélateurs des priorités religieuses établies par les différents évêques diocésains au sein de leur circonscription. Il est, par conséquent, intéressant de savoir si les différentes séries de visites de paroisses conservées se sont intéressées à l’état des cimetières poitevins au cours des deux siècles qui précédent la Révolution française.

9De manière générale, les six collections d’archives de ce type sont assez peu dissertes à propos des lieux de sépultures catholiques (voir tableau 1) :

10C’est le cas, en premier lieu, de l’inspection réalisée à la fin de l’année 1634 à l’instigation des Grands Jours de Poitiers. Menée et dirigée conjointement par un représentant de l’évêque (Denys Guilloteau, théologal) et un représentant du pouvoir royal (Jean Filleau, avocat du roi au présidial), cette enquête a alors pour mission d’établir un bilan complet de l’état du diocèse. Dans leurs comptes rendus, les enquêteurs s’intéressent avant tout à la situation matérielle des églises (bâtiments, objets cultuels), à la tenue régulière des messes et à la bonne administration des sacrements, ou encore aux revenus et aux statuts de chaque bénéfice ecclésiastique. Deux de leurs rapports seulement font ainsi explicitement référence aux cimetières paroissiaux : on y déplore notamment que le seigneur de Saulgé y ait « fait mettre un lit funèbre autour de l’église », pendant que celui de Journet – pourtant huguenot – s’est « approprié une chapelle au fond du cimetière où il a fait construire un lit funèbre portant ses armes17 ».

Tableau 1 : Les cimetières paroissiaux dans les visites pastorales du diocèse de Poitiers aux xviie et xviiie siècles

Années

Secteurs du diocèse visités

Nombre de paroisses visitées

Nombre de visites pastorales faisant état du cimetière paroissial

1634

Sud du diocèse

123

2

1652-1668

Archidiaconé de Thouars

936

5

1598-1742

Archiprêtré de Parthenay

518

64

1695-1696

Grand archidiaconé de Poitiers

143

3

1703-1755

Sud et ouest du diocèse

55

55

1769-1773

Sud-ouest du diocèse

257

5

Total

2 032

134

11Les lieux d’inhumations ne sont guère plus présents dans les nombreuses visites effectuées par l’archidiacre de Thouars dans le nord-ouest du diocèse au milieu du xviie siècle. En effet, le précieux manuscrit, dans lequel figurent pas moins de 936 rapports d’inspections entre 1652 et 1667, ne donne qu’à cinq reprises des informations à ce sujet18. À Notre-Dame-du-Chillou (30 août 1653) et à Maulais (23 mai 1666), il est fait simplement mention de revenus de la fabrique ayant trait au cimetière19. À Thouars, on dénonce le 16 septembre 1659 qu’il s’y tient « assemblée et jeux de bouliers le tout par manque de clôture ». Le visiteur indique, par ailleurs, que l’on se sert « de la terre du cimetière pour faire des baptêmes » à Saint-Jouin-de-Marnes (13 novembre 1659). Enfin, il regrette que « les huguenots » continuent d’enterrer leurs morts dans le cimetière paroissial de Sainte-Radegonde-des-Pommiers le 13 novembre 1661.

12La collection de visites réalisées par l’archiprêtre de Parthenay – qui s’étalent de 1598 à 1742 – se montre plus riche d’enseignements. En effet, si l’on n’y trouve aucune information sur les lieux de sépultures catholiques pour les années 1598, 1664-1665, 1696, 1697, 1698 ou encore 1733-1742, il en est en revanche question dans les rapports de 1686 et de 173120. Tout d’abord, les comptes rendus de 1686 les évoquent, mais seulement lorsqu’il y a problème : neuf paroisses sur les trente-trois inspectées sont dans cette situation. C’est le cas, par exemple, de La Chapelle-Bertrand où « le cimmetière est dans les chemins dans le milieu du bourg21 ». Quant aux 55 visites de 1731, elles consistent en un formulaire à remplir comprenant neuf grandes rubriques22. Or, l’une de ces rubriques a trait précisément aux cimetières paroissiaux : le visiteur se doit d’examiner leur « clôture », leur « entrée », leur « porte », leur « croix », et enfin la présence éventuelle de « foires ou marchés » et de « danses » en leur sein.

13Le grand archidiacre de Poitou n’a visiblement pas les mêmes priorités lors de sa tournée d’inspection de 1695-169623. Il prête surtout attention à l’état matériel des églises, à leur couverture, à la qualité des ustensiles liturgiques, et ne mentionne qu’à trois occasions les lieux d’inhumations. C’est le cas, tout d’abord, à Nancré où « la ruine du grand mur » du cimetière porte préjudice aux terres du curé (15 juin 1695). À Poizay-le-Joli, l’endroit a « esté pollué par l’effusion de sang humain respandu violament », si bien que le visiteur en personne se charge aussitôt « d’en faire réconciliation […] selon la formule prescrite par le rituel après avoir assemblé le peuple par le son de la cloche » le 17 juin 1695. Enfin, le 27 août 1695, le grand archidiacre apprend que « le cimetière [de Bouresse] estoit exposé à mille profanations faute de clauture » et ordonne aux habitants « de le claurre » rapidement sous peine de recourir au « procureur du Roy de Montmorillon ».

14Les 55 procès-verbaux de visites datant des années 1703-1755 sont, de loin, ceux qui donnent le plus d’informations sur les sites dédiés aux tombes catholiques dans les communautés villageoises poitevines24. À l’instar des rapports de 1731, ils se présentent sous la forme d’un questionnaire de quatre pages, où apparaissent huit grandes rubriques différentes. L’une d’elle s’intéresse, plus particulièrement, aux cimetières et demande à l’inspecteur de collecter des renseignements sur l’état de leur « clôture », de leur « entrée », de leurs « portes », de leur « croix », ou encore sur l’existence, en leur enceinte, de « chemins », de « danses », de « foires et marchés », voire de « cabarets ».

15Enfin, la dernière – et plus récente – collection d’inspections pastorales s’avère décevante sur le sujet. En effet, les 257 comptes rendus conservés des années 1769-1773 sur le sud-ouest du diocèse ne livrent qu’à cinq reprises des données sur ces lieux de sépultures25. Ainsi, trois cimetières sont alors mal fermés : c’est le cas à Prahecq, Paizay-le-Chapt et Lupsault. Celui de Dampierre n’est indiqué que pour dire que ses revenus dépendent des comptes de la fabrique. Enfin, à Saint-Gelais, « il y a deux cimetières, le plus éloigné est sans clôture, l’autre touche à l’église est bien renfermé et est suffisant pour l’étendue de la paroisse ; M. l’Évêque a interdit l’autre ».

16Quoi qu’il en soit, si l’on fait un rapide bilan du contenu de ces différentes séries d’archives, au moins deux constats s’imposent. Tout d’abord, même si on semble s’y intéresser davantage au xviiie qu’au xviie siècle, le cimetière n’est pas le centre d’intérêt premier des inspecteurs diocésains : seulement 134 comptes rendus (sur un total de 2 032) s’en préoccupent, soit seulement 6,6 % de l’ensemble. Dans ces conditions, seules trois petites collections de visites pastorales permettent d’obtenir une description plus précise – mais toujours très partielle – des cimetières poitevins à l’Époque moderne : celles de 1686, de 1731 et des années 1702-1755.

Des cimetières poitevins satisfaisants pour l’église en 1686, 1731 et dans la première moitié du xviiie siècle ?

17À défaut de permettre une étude exhaustive des cimetières du diocèse, les procès-verbaux de visites des années 1686, 1731 et de la période 1702-1755 donnent des informations assez intéressantes – faute de mieux ! – sur les lieux d’inhumations poitevins. Même s’il convient d’être très prudent sur les résultats que l’on peut en tirer (chaque série de documents concerne un corpus restreint de paroisses, dépassant à peine la cinquantaine), ils permettent de voir si la situation des cimetières correspond alors aux exigences des autorités royales et ecclésiastiques.

18Tout d’abord, il a été conservé 33 comptes rendus de la visite de l’archiprêtré de Parthenay de 1686. Réalisée au lendemain de la révocation de l’édit de Nantes, cette inspection effectuée par l’archiprêtre en titre – ayant pour nom Gabriel Voisine – donne des informations sur les bâtiments cultuels, les ornements liturgiques, le personnel clérical, ainsi que sur la présence de nouveaux convertis de chaque communauté paroissiale26. Il s’intéresse également aux lieux de sépulture, mais ne semble les mentionner que lorsqu’ils ne satisfont pas aux souhaits de l’Église. Or, que révèlent exactement ses rapports sur le sujet ? À dire vrai, on peut en tirer deux grands enseignements. En premier lieu, l’état des cimetières ne paraît pas poser de difficultés dans une très large majorité des cas : en effet, l’archiprêtre n’en parle pas pour 24 paroisses sur 33, soit 72 % du corpus27. Il ne s’en soucie, en définitive, que pour 9 communautés villageoises, pour lesquelles il rédige quelques mots, voire une ou deux lignes, dans son compte rendu. Ainsi, pour cinq d’entre elles (Pougnes, Viennay, La Boissière, Adillé, et La Chapelle-Bertrand), le cimetière est traversé de « grands chemins ». Dans deux autres paroisses (Largeasse, La Chapelle-Saint-Étienne), il est en plus « sans aucune fermeture ». Celui de Hérisson est, par ailleurs, « dans le milieu du bourg où passent les grands chemins et où [se] tiennent plusieurs foires ». Quant à celui du Breuil-Bernard, il est exposé à « touttes sortes […] d’indécence ». Malgré tout, au regard de ses seuls documents, le bilan paraît globalement positif, même s’il convient d’être prudent en la matière.

Tableau 2 : Les différents éléments inspectés des cimetières poitevins dans les visites pastorales de 1731 et de 1702-1755

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19La collection de visites de 1731 – qui concerne également le seul archiprêtré de Parthenay – se révèle beaucoup plus riche d’informations. Se présentant sous la forme d’un questionnaire (avec six rubriques bien distinctes sur le sujet), elles offrent en effet la possibilité d’établir quelques statistiques assez probantes à propos des 55 cimetières paroissiaux inspectés, en particulier sur trois éléments importants : la qualité de leur fermeture, la présence d’une croix monumentale et enfin l’existence d’activités profanes en ces lieux (voir tableau 2)28. Sur le premier critère, le visiteur semble plutôt satisfait de l’état général des « clôture[s] », « entrée[s] » et « porte[s] ». Il les considère comme bien fermés dans 35 communautés villageoises (soit 63,6 %), et « assez bien renfermés » dans 7 autres (12,7 %). Il déplore simplement l’absence ou la très mauvaise qualité des enclos dans 12 paroisses (21,8 %) : les pires étant sans doute celles de Massognes, Mazeuil, Moutiers-sous-Chantemerle, Oroux, Pressigny ou Quinçay. D’ailleurs, ces résultats correspondent – à quelques détails près – à ceux de l’inspection précédente de 1686, où plus des deux-tiers des cimetières ne paraissaient pas avoir de problème de ce type. Le rédacteur de ces visites – l’archiprêtre Mathurin Chédevergne – semble cependant encore plus content des deux autres paramètres qu’il examine. Il ne remarque, en effet, l’absence de « croix » au milieu des tombes qu’à La Grimaudière, et signale seulement que celle de Mazeuil « est tombée ». Tous les autres sites d’inhumations (soit 94,6 %) sont, en revanche, convenablement dotés. Enfin, il n’y a qu’à Trayes qu’il note qu’il se « tient une assemblée publique le jour de la St Michel » dans le cimetière. Dans les autres paroisses de l’archiprêtré (soit au moins 92,7 %), il ne s’y déroule apparemment aucune « danse », « foire ou marché ». Il a donc tout lieu de se féliciter de la bonne tenue d’ensemble de sa circonscription sur le sujet.

20La situation paraît sensiblement différente dans la dernière collection de 55 procès-verbaux de visites29. À l’inverse des précédents, ceux-ci ont trait à des territoires non groupés du diocèse, qui concernent aussi bien les « pays » mellois, mélusins, ruffecois, gencéens, châtelleraudais ou saint-maixentais. Ils se présentent aussi sous la forme d’un questionnaire mais ont été remplis par plusieurs visiteurs successifs, et sur une période s’étalant sur plus d’un demi-siècle (1702-1755). Même si leurs données se révèlent plus délicates à exploiter, ces documents s’intéressent aux mêmes éléments que la visite de 1731 (voir Tableau 2). Tout d’abord, une majorité des cimetières inspectés (54,5 %) est mal fermée. Ils sont, par exemple, « ouverts de tous côtés » à Caunay, Jaunay, Saint-Macoux, Sainte-Soline, Sommières ou Saint-Georges de Vivonne. Leurs clôtures ne semblent correctes que dans 19 communautés, soit à peine plus d’un tiers du corpus. Une telle statistique, en tout cas, mécontente vivement les inspecteurs qui menacent d’interdire plusieurs sites d’inhumation si les choses ne changent pas (à Alloue, Ambernac, Blanzay, Clussais, Montalembert, Saint-Gaudent, Usson…). Le bilan est, en revanche, un peu meilleur – sans être pour autant extraordinaire – à propos des croix érigées au sein de ces espaces funéraires. On en trouve, en effet, des « bonne[s] » ou convenables dans 37 paroisses (soit 67,4 % du total), la plus « belle [et] ancienne en pyramide » se trouvant à Château-Larcher en 1713. Il n’y en a pas néanmoins en plusieurs endroits (à Ambernac, Saint-Martin de Couhé, Jourdes, Pers, Taizé), tandis que d’autres sont « en mauvais état » : par exemple, celle de Millac est « tombée » et celle de Saint-Barbant a été « rompue par l’orage » en 1711. Quant aux activités profanes, elles ne paraissent exister que dans trois cimetières inspectés. À Prailles, « il y a une balade » un dimanche par an, dit-on en 1703. À Vendeuvre, les tombes sont voisines de « plusieurs » « cabarets » en 1755. Quant au lieu de sépultures de Bussière-Poitevine, des « foires et marchès » « s’y tiennent trois fois [par an] et notamment le jour du patron » écrit-on en 1711. Toutefois, si l’on en croit cet échantillon, presque partout ailleurs (soit au moins 56,4 %) ne se pose pas ce genre de problème, même si les différents visiteurs ont donné beaucoup moins d’informations à ce sujet dans leurs rapports.

***

21Au terme de cette enquête, il convient de tirer quelques enseignements de ces différentes collections de visites pastorales à propos des cimetières poitevins des xviie et xviiie siècles.

22En premier lieu, force est de constater que les lieux de sépultures ne focalisent pas vraiment la curiosité des différents inspecteurs. Ces derniers s’intéressent avant tout à l’état matériel des églises, des chapelles, des ustensiles liturgiques, voire à la qualité du personnel clérical. Seuls 134 rapports de visites sur un total de 2 032 en disent mot, et encore souvent de manière très succincte et rapide. C’est dire combien l’état des cimetières n’est pas le souci premier des autorités ecclésiastiques en cette période de réforme catholique ou de Contre-Réforme !

23Pourtant, ces documents sont bien souvent les seuls permettant d’avoir quelques données sur les lieux d’inhumations prérévolutionnaires. Ces visites pastorales offrent effectivement la possibilité de voir si ces endroits sont conformes aux exigences de l’Église catholique. Dans les trois petites collections d’archives étudiées (visites de 1698, 1731 et 1702-1755), on a ainsi pu constater que les cimetières rencontrés avaient quasiment tous une croix correcte installée au milieu des tombes, et qu’ils n’étaient que rarement des lieux de rassemblements profanes. En revanche, le problème de leur bonne clôture ne semble pas encore totalement réglé. Si une assez large majorité d’entre eux est très convenablement fermée dans l’archiprêtré de Parthenay à la fin du xviie siècle et encore en 1731, ce n’est visiblement le cas que dans un tiers environ des comptes rendus des années 1702-1755, qui concernent des paroisses très éparses de la province. Dans ces conditions, il est difficile de tirer des conclusions définitives sur ce thème pour l’ensemble du diocèse.

24Quoi qu’il en soit, les cimetières paraissent malgré tout devenir progressivement des lieux qui attisent de plus en plus la curiosité des pouvoirs royaux et cléricaux au cours de l’Époque moderne. Au xviie siècle, ces derniers y prêtent peu attention, sauf pour vérifier qu’aucun protestant ne s’y fait enterrer. À partir du règne personnel de Louis XIV et surtout dans la première moitié du xviiie siècle, ils y portent plus d’intérêt, en particulier pour savoir si ces « lieux saints » sont bien clos, correctement utilisés et non traversés par tous les chemins du village. Ils s’y intéresseront encore davantage dans les dernières années de l’Ancien Régime, après notamment la publication de la déclaration de 1776 qui interdit (ou, du moins, limite fortement) les sépultures dans les églises et encourage le transfert des cimetières en dehors des enceintes urbaines30.

Notes de bas de page

1 P. Cabanel, Histoire des protestants en France, xvie-xxie siècle, Fayard, 2012, p. 15-116 et p. 392-506.

2 R. Bertrand, « Les cimetières protestants en Provence (xviie-xixe siècle) », Provence historique, no 197, t. 49, 1999, p. 669-682, en particulier p. 672.

3 D. Poton, « Géographie du protestantisme et réseau urbain dans le Centre-Ouest à l’époque moderne (xvie-xviie siècle) », P. Guignet et J. Hiernard (dir.), Les réseaux urbains du Centre-Ouest Atlantique de l’Antiquité à nos jours, Poitiers, 1996, p. 213-227.

4 J. Marcade, « Le xviie siècle. Un triomphe difficile », R. Favreau (dir.), Histoire du diocèse de Poitiers, Paris, 1988, p. 135-155.

5 L. Perouas, « Les visites pastorales du diocèse de Poitiers », Répertoire des visites pastorales de la France, Paris, 1983, t. III, p. 387-396.

6 F. Vigier, Les curés du Poitou au siècle des Lumières. Ascension et affirmation d’un groupe social : le clergé paroissial du diocèse de Poitiers de 1681 à 1792, La Crèche, 1999, p. 24-38.

7 P. Sueur, Histoire du droit public français, xve-xviiie siècle, t. 2, Affirmation et crise de l’État sous l’Ancien Régime, Paris, 1989, p. 136-140.

8 Pour davantage de détails, voir A. Bernard, La sépulture en droit canonique du décret de Gratien au concile de Trente, Paris, 1933.

9 Durand de Maillane, Dictionnaire de droit canonique et de pratique bénéficiale, Paris, 1761, t. I, article « Cimetière », p. 282-283.

10 J. Cornette, La mélancolie du pouvoir. Omer Talon et le procès de la raison d’État, Paris, 1998, p. 117-250.

11 J. Filleau, Décisions catholiques ou Recueil général des arrests rendus en toutes les Cours souveraines de France, en exécution ou interprétations des Édits qui concernent l’exercice de la Religion Prétendue Réformée, Poitiers, 1668, p. 270.

12 Ibid., p. 272-278.

13 J. Thibaut-Payen, Les morts, l’Église et l’État dans le ressort du Parlement de Paris aux xviie et xviiie siècles, Paris, 1977, p. 165. Cela semble être aussi le cas en pays rochelais : J. -Cl. Bonnin, « Les anciens cimetières protestants de La Rochelle », C. Treffort (dir.), Mémoires d’hommes. Traditions funéraires et monuments commémoratifs en Poitou-Charentes de la Préhistoire à nos jours, Poitiers, 1997, p. 101-103.

14 Édit du Roy concernant la Juridiction Ecclésiastique […] registré en Parlement le 14 may 1695, Paris, 1695, p. 12.

15 M. L. De Beaupoil de Saint-Aulaire, Rituel du diocèse de Poitiers, Poitiers, 1766, Première Partie, p. 312-313.

16 M. Venard, « Les visites pastorales françaises du xvie au xviiie siècle », Le catholicisme à l’épreuve dans la France du xvie siècle, Paris, 2000, p. 27-63, en particulier p. 33.

17 D. Hickey, « Le rôle de l’État dans la Réforme catholique : une inspection du diocèse de Poitiers lors des Grands Jours de 1634 », Revue historique, 2002, no 624, p. 939-961, en particulier p. 954-955.

18 A. D. Vienne (adv), sao no 4, manuscrit des visites pastorales de l’archidiacre de Thouars au milieu du xviie siècle.

19 E. Damour, Les visites pastorales de l’archidiacre de Thouars au milieu du xviie siècle (1652-1666), Maîtrise (dir. F. Vigier), Poitiers, 2003, p. 75-76.

20 A.D. Deux-Sèvres (adds par la suite), G Suppl. 11, 12, 13, 14 et 15, Archiprêtré de Parthenay.

21 adds, G Suppl. 14, Archiprêtré de Parthenay, visite de La Chapelle-Bertrand du 5 décembre 1686.

22 adds, G Suppl. 16, Archiprêtré de Parthenay.

23 adv, G Suppl. 1, visite des églises du diocèse de Poitiers, 1695-1696.

24 Maison diocésaine de Poitiers (service des archives), X 1-4, Procès-verbaux des visites pastorales (1703-1755).

25 Médiathèque François Mitterrand de Poitiers, manuscrit 383 (192), Visite faite en 1769 de 257 paroisses du diocèse de Poitiers.

26 adds, G Suppl. 14 Archiprêtré de Parthenay, Visite de 1686.

27 Il n’est effectivement fait aucune allusion à l’état du cimetière dans les paroisses de Bouin, Saint-Paul de Parthenay, Saint-Jacques de Parthenay, Châtillon, Saint-Jean de Parthenay, Moutiers, Pugny, Trayes, Neuvy, Azay, Saint-Aubin-le-Cloud, Fénery, Clessé, Saint-Germain-de-Longuechaume, Sainte-Croix de Parthenay, Notre-Dame de la Couldre de Parthenay, Saint-Laurent de Parthenay, Saint-Sépulchre de Parthenay, Pompaire, Le Tallud, Saint-Pierre de Parthenay, La Peyratte, Thénezay, Assay et Lhoumois.

28 adds, G Supplément 16 Archiprêtré de Parthenay, Visites de 1731.

29 Maison diocésaine de Poitiers (service des archives), X 1-4, Procès-verbaux des visites pastorales (1703-1755).

30 J. Thibaut-Payen, Les morts, l’Église et l’État…, p. 246-272, 435-437 ; D. Ligou, « L’évolution des cimetières », Archives des Sciences sociales des Religions, 1975, no 39, p. 61-77, en particulier p. 70-73.

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