Cultures temporaires et féodalité
Pour une redéfinition des problématiques
p. 7-31
Note de l’éditeur
Ce travail a bénéficié du soutien du programme HAR2010-20763, Ministerio de Economía y Competitividad.
Texte intégral
1Dans les campagnes de l’Europe médiévale et moderne, une grande partie des terres cultivées était régulièrement laissée en friches. Selon les terroirs et les usages, ces parcelles étaient alors mises en herbe une ou plusieurs années, ou bien envahies par la broussaille et les taillis, et parfois même, quand les rotations s’allongeaient, recolonisées par la forêt. Défrichées à nouveau, elles étaient travaillées le temps d’une à trois récoltes, plus rarement quatre ou cinq, avant que de retourner à la friche pour un nouveau cycle. Ces pratiques de cultures temporaires étaient d’une extrême diversité. Les procédés de défrichement, les formes de préparation du sol, la durée des rotations, la succession des espèces cultivées et la gestion de l’enfrichement pouvaient varier du tout au tout. Mais rares furent les régions d’Europe qui ne connurent aucune de ces formes d’agriculture.
2L’historiographie, cependant, n’a manifesté que bien peu d’attention pour ces techniques culturales, ne leur accordant le plus souvent qu’une place tout à fait mineure. Ce désintérêt, quand il est justifié, repose essentiellement sur quatre types de considérations. Il peut être souligné, en premier lieu, que le phénomène est mal documenté, surtout pour les périodes anciennes, et particulièrement difficile à percevoir en raison même de sa périodicité1. La variété des pratiques, ensuite, est fréquemment présentée comme un obstacle à toute analyse globalisante de procédés qui, au contraire, sont interprétés dès lors comme des réponses très locales aux contraintes des sols, du climat ou de la conjoncture. Il est souvent allégué, par ailleurs, que les cultures temporaires ne pouvaient fournir qu’une part tout à fait minime de la production céréalière, et admis par conséquent qu’elles ne pouvaient avoir qu’un rôle négligeable sur l’ensemble des structures sociales et productives. De sorte que, pour finir, ces méthodes agricoles sont généralement considérées comme des pratiques résiduelles, témoignages de stades techniques dépassés qui ne sauraient être liés en aucune manière aux dynamiques de la grande expansion médiévale et moderne.
3Il y a là, sans aucun doute, de quoi décourager les meilleures intentions, et d’autant plus que ces arguments s’organisent en spirale négative. Ainsi, l’idée que les cultures temporaires n’étaient que des pratiques marginales et résiduelles s’alimente de la rareté des traces documentaires et n’incite guère, ce faisant, à la recherche de nouveaux indices2. De même, l’analyse cloisonnée des variantes techniques conduit presque toujours à en minimiser la diffusion, et cette sous-évaluation contribue en retour à masquer la portée générale du phénomène3. Pour inverser le mouvement, il est donc nécessaire de soupeser chacun des arguments, de rassembler les indications dispersées et de discuter les préjugés historiographiques. Mais il importe surtout de construire une approche globale, de justifier une analyse étendue à l’ensemble des cultures temporaires, de fonder l’objet en théorie. C’est à ce prix seulement que l’on peut espérer redécouvrir le rôle joué par le retour régulier des friches dans l’organisation générale de la production agricole et de la reproduction sociale.
4Une telle approche suppose toutefois deux préalables théoriques qu’il faut expliciter d’emblée.
5Dans des sociétés aussi complexes et variées que celles de l’Europe médiévale et moderne, l’importance des cultures temporaires ne peut se comprendre qu’au sein de systèmes agraires composés d’une pluralité de systèmes de culture. L’objectif, dans une telle perspective d’agriculture comparée4, n’est donc pas de valoriser les cultures intermittentes pour minorer le rôle des rotations biennales et triennales ou des cultures permanentes, mais de montrer à quel point elles pouvaient être articulées les unes aux autres, concurrentes et complémentaires5. Il est de plus en plus clair, en effet, que les paysans d’Occident n’étaient pas entièrement contraints par un système agraire forcément unique et immuable ; ils disposaient au contraire d’un assez large répertoire de techniques et d’expériences, et savaient en user pour s’adapter aux circonstances. Or, prenant à rebours une très longue tradition historiographique, l’existence de ces marges de manœuvre est un fait considérable qui implique la possibilité de choix et de déterminations sociales. Car même en admettant que leur contribution à la production agricole globale fut plutôt réduite, c’est ici précisément que s’exprimait toute l’importance des cultures temporaires : sur le terrain des capacités d’adaptation aux variations démographiques6, aux aléas des circuits économiques7 et au changement social en général8. Autant de terrains, en somme, où les variations à la marge pouvaient se révéler profondément structurantes9.
6De façon très similaire, les enjeux noués autour de l’appropriation des terres soumises à des pratiques de culture temporaire ne peuvent guère se décrypter sans faire l’hypothèse de la complexité. De la fin de l’Antiquité jusqu’aux révolutions libérales, les sociétés européennes furent structurées par des systèmes de propriétés multiples et simultanées, des propriétés articulant elles-mêmes des faisceaux de prérogatives et de légitimités diverses10. Dans une optique d’anthropologie juridique, et à l’encontre de réflexes historiens ancrés dans une longue chronique de débats venimeux, l’objectif ne saurait donc être de fonder la primauté originelle ou téléologique de telle ou telle forme de propriété, de reconstituer les étapes d’une marche prédéterminée où les formes de propriété découleraient les unes des autres et se succèderaient comme par nécessité. Au contraire, le fait central qu’il convient d’analyser est précisément constitué par la coexistence sans cesse renouvelée de ces systèmes d’appropriation11. Or, sur ce plan également, les cultures temporaires rejouaient inlassablement une partition cardinale. On sait, en effet, que les propriétés simultanées tendaient à décomposer l’appropriation des choses en fonction des usages, des utilités, des jouissances qui en étaient retirées12. En modifiant régulièrement l’exploitation des sols, les cultures temporaires impliquaient une redistribution des utilités et contribuaient ainsi à une réitération périodique des principes et des légitimités, à une redéfinition toujours en mouvement des cadres juridiques. La succession régulière des friches et des défrichements ne saurait être comprise sans tenir compte de ce contexte social.
7L’usage très répandu des cultures temporaires suffirait sans doute à montrer qu’il ne s’agissait pas de pratiques irrationnelles. Leur utilisation variée et changeante pourrait servir à démontrer qu’elles constituèrent autant de techniques adaptées, renouvelées et pertinentes. Mais la rationalité de leur emploi ne saurait être comprise dans une économie abstraite : elle s’inscrivait au contraire dans des coordonnées sociales précises, dans un système global d’allocation des ressources et des produits. Ce système global d’appropriation est la structure essentielle de ce que l’on a désigné comme féodalisme ou féodalité au sens large. Souvent critiquée, cette appellation a néanmoins l’avantage d’être la seule à désigner les structures d’attribution des ressources et des produits qui prévalurent en Europe pendant près d’un millénaire. C’est en ce sens, en tout cas, que cultures temporaires et féodalité méritent d’être étudiées conjointement.
La diversité des pratiques
8Une relecture attentive des premières grandes synthèses d’histoire agraire permet de constater que l’importance théorique des cultures temporaires fut largement pressentie avant que d’être progressivement oubliée. Pour Marc Bloch, par exemple, les cultures intermittentes étaient une pratique essentielle du haut Moyen Âge, première étape vers les grands défrichements et matrice des parcellaires modernes13. Reprenant son discours, Georges Duby les évoquait également comme une phase fondatrice14 ; il n’en tenait guère compte, cependant, à l’heure d’évoquer les mécanismes de la grande croissance médiévale. De la même façon, Emilio Sereni, qui a pourtant consacré une longue étude aux cultures temporaires, en traitait comme d’un phénomène marginal dans son étude pionnière sur la formation des paysages italiens15. Dans son interprétation des systèmes agraires britanniques, Howard Gray accordait au contraire un rôle déterminant à la pratique des cultures temporaires. Il scindait cependant leur analyse en deux groupes situés aux deux extrémités d’un progrès linéaire : les cultures intermittentes de l’outfield écossais représentaient le stade le plus archaïque de l’agriculture, alors que l’alternance des prés et des cultures dans le système de convertible husbandry constituait la quintessence de la modernité16. C’est la leçon que reprenait Slicker van Bath : considérant que l’alternance des cultures et des friches était le premier des moyens permettant la régénération des sols, il décrivait d’abord les longues périodes sans labours comme des techniques très primitives dont il relevait néanmoins l’usage jusqu’au xviiie siècle dans certaines régions d’Écosse, d’Irlande, d’Angleterre, des Pays-Bas et de Suède17. Néanmoins, il notait aussi parmi les trois façons de sortir des blocages de l’agriculture traditionnelle, et sans y voir de contradiction, le rôle de la succession des pâtures et des labours, caractéristique de la convertible husbandry. Fernand Braudel, pour donner un dernier exemple, considérait également les cultures temporaires avec beaucoup d’attention mais pour en donner une interprétation géographique et non plus chronologique, distinguant une Europe des emblavures et une Europe des herbages : dans cette dernière, la vraie richesse était l’élevage, et les labours, le plus souvent temporaires, ne servaient guère qu’à renouveler la qualité des pâtures tout en répondant aux besoins de l’auto-consommation paysanne18.
9Ce trop rapide aperçu suggère à quel point les cultures temporaires ont pu servir de références dans la construction des interprétations historiques, et montre, en contrepoint, combien la question a été marginalisée depuis lors. Mais il révèle aussi le flou qui a toujours entouré ces pratiques, leurs classifications changeantes et l’absence de définition stricte. Quelques exemples peuvent donner une image plus nette et moins stéréotypée de la diversité des pratiques à considérer.
10Particulièrement étonnant, le cas des étangs de Sologne est une bonne entrée en matière. Aménagés aux xive et xve siècles, ces étangs permettaient de concentrer l’humidité de plaines marécageuses et servaient à la pratique de la pêche. Empoissonnés artificiellement, ils étaient vidés tous les ans parfois, mais plus souvent tous les deux ou trois ans. Fertilisé par l’eau et les dépôts d’humus, le fond de ces étangs pouvait alors être travaillé à la herse et donnait des moissons d’avoine si substantielles que les seigneuries en tenaient un compte scrupuleux. En retour, ces périodes d’assèchement et de culture favorisaient le développement d’une faune et d’une flore propices à l’élevage piscicole19. Dans un contexte bien différent, l’alnoculture des montagnes ligures aux xviiie et xixe siècles manifestait le même souci d’activation alternée des ressources naturelles20. Ici, en effet, la culture des aulnes blancs permettait l’enrichissement en azote des sols d’altitude. L’émondage des arbres et la combustion des branches servaient alors à l’épandage de cendres et autorisaient deux ou trois années d’ensemencement en avoine, seigle et méteil. Les terres étaient ensuite rendues au pâturage jusqu’à régénération de l’aulnaie.
11Il ne faudrait pas croire pour autant que les cultures temporaires étaient toujours organisées dans un tel souci de gestion durable. La mise en culture des tourbières pratiquée sur les côtes frisonnes à partir du xvie siècle, en Hanovre et Oldenbourg un peu plus tard, pouvait conduire très vite au tarissement de leur ressource. Le procédé employé dans ce cas consistait à découper d’épaisses couches de tourbes, à les faire sécher et brûler, dégageant de lourds nuages de fumées noires dont l’effet pouvait être ressenti des centaines de kilomètres plus loin21. Après quelques moissons, ces sols devaient être abandonnés pour plusieurs dizaines d’années, et la réitération trop fréquente de ces prélèvements entraînait l’épuisement des couches inférieures, les unes après les autres. À l’opposé de ces usages destructeurs, cependant, les lazy-beds d’Irlande ou d’Écosse représentaient un lourd travail d’amendement, voire de construction des sols lorsqu’ils étaient aménagés sur des rochers. Il s’agissait en effet de superposer deux couches de sol naturel gazon contre gazon, en insérant parfois une couche de goémon entre elles. Principalement utilisés pour la production des pommes de terre jusqu’au xixe siècle, les lazy-beds permettaient depuis longtemps la culture intermittente de céréales sur des sols parmi les plus ingrats22.
12Les cultures temporaires ne sauraient néanmoins être caractérisées par un ensemble de techniques qui seraient forcément très différentes des procédés utilisés sur les terroirs en rotation biennale ou triennale. En Bretagne, par exemple, les défrichements temporaires des rares landes communales n’étaient à l’Époque moderne que la pointe extrême d’un système pratiqué sur la grande majorité des terres privées. Ici, en effet, les cycles triennaux étaient interrompus plus ou moins régulièrement par des friches de durées variables23. À proximité des exploitations agricoles, les périodes sans labours n’intervenaient qu’après plusieurs rotations et ne duraient que quelques années ; plus loin, les temps de pâtis se multipliaient et s’allongeaient. Cette insertion des friches dans les procédés habituels de culture n’était donc pas la spécificité d’un outfield en l’occurrence indéterminable. Pas plus d’ailleurs qu’elle n’était réservée aux climats atlantiques. À la fin du Moyen Âge et à l’Époque moderne, sur les vastes dehesas d’Estrémadure comme sur les demani d’Italie du Sud, le cycle le plus habituel des cultures faisait se succéder, sur une base de rotation biennale, d’abord une année consacrée aux labours de jachère, puis une année de mise en culture, et finalement une ou deux années de friches24.
13Ces quelques exemples suggèrent amplement une diversité des pratiques qui se laisse difficilement enfermer dans les représentations schématiques associées d’ordinaire à la notion de culture temporaire. Les techniques étaient si différentes qu’il n’est pas question de les considérer simplement comme le témoignage d’un même fond de pratiques archaïques, et d’autant moins que leur introduction apparaît parfois très récente. Elles pouvaient ne nécessiter qu’un outillage sommaire ou au contraire une lourde charrue et de puissants attelages. Exiger relativement peu d’efforts ou un travail des plus harassants. Être limitées à des niches écologiques très spécifiques ou déployées sur des terroirs entiers. Elles pouvaient épuiser des sols fragiles, mais constituaient le plus souvent une gestion très pertinente de leur régénération et parfois même des formes d’amendements ingénieux. Elles pouvaient être principalement motivées par la production de céréales ou, au contraire, par les profits que procurait l’exploitation des herbages, des étangs et des boisements qu’elles contribuaient à entretenir.
14Pour saisir cette diversité, l’expression « cultures temporaires » n’est bien évidemment qu’un pis-aller. La formule, en effet, est peu explicite : si elle suggère bien l’espacement des cultures, elle ne dit rien de leur temporalité, de leur périodicité, de leur récurrence, de leur régularité ou irrégularité. Reste que de toutes les expressions employées par les historiens ou les agronomes25, c’est assurément la seule qui permette de regrouper sous une même appellation l’ensemble des successions culturales incluant des années de friches. Pourtant, cette dénomination englobante n’a été en définitive que fort peu utilisée. Les historiens, au contraire, ont privilégié des classifications plus spécifiques, qui sans doute s’appliquaient mieux aux particularités régionales, techniques ou chronologiques, mais qui contribuaient à découper leur objet selon des lignes de discrimination rarement explicitées.
Les logiques de la terminologie
15Le vocabulaire utilisé dans la description des cultures temporaires renvoie principalement à trois formes de caractérisations : le défrichement par le feu, la longue durée des friches et la qualification des terres ainsi mises en culture. Chacune tend à trancher dans l’unité du phénomène, à en marginaliser la portée et à l’inscrire dans un discours préconstruit.
16Les cultures temporaires, en premier lieu, sont fréquemment assimilées aux seules techniques du défrichement par le feu : essartages, écobuages, slash-and-burn, swidden, debbio, etc. Les mots utilisés, toutefois, sont principalement ceux que livrent les textes anciens : ils décrivent l’éradication de la végétation et le défonçage des sols, mais en général rien de plus. Hors de tout contexte, en effet, personne ne saurait dire à quels systèmes de culture ou formes de défrichement correspondaient les sarti, exsarti, les artigas et taillados, les boïgues, bouzas et bouzigas, les roturas, rompudes, ronchi, rozas et autres rodungen. Cette indistinction justifie assurément la position de prudence méthodologique qui considère l’essartage comme un vaste spectre de pratiques allant de la culture intermittente sur abattis-brûlis jusqu’à la création de champs permanents. Mais il faut avouer aussi que cette interprétation insinue implicitement une sorte de progression dans laquelle les usages du feu et des cultures temporaires seraient nécessairement parmi les premières étapes de la colonisation agricole des sols, et une étape non indispensable au demeurant. Elle conduit à ne valoriser dans les essartages médiévaux et modernes que la part correspondant à la création ou la consolidation de terroirs agricoles permanents. L’historiographie, ce faisant, incline à considérer par défaut toute mention d’essart comme un indice de défrichement permanent et à n’accepter l’idée d’emblavures intermittentes que lorsque celles-ci sont dûment avérées. Ce traitement différencié, faut-il le souligner, ne peut qu’entraîner une grave sous-estimation des pratiques de cultures temporaires.
17L’usage d’un vocabulaire imprécis contribue ainsi à écarter plus généralement l’hypothèse de systèmes de culture différenciés, dotés de leurs logiques propres et de leurs chronologies particulières. L’utilisation du feu, en effet, ne saurait être associée exclusivement à l’essartage sans grave contresens. À des degrés divers, le feu avait partout les mêmes vertus de fertilisation, de préparation du sol et de destruction sélective de la végétation et des insectes parasites. Mais il faut souligner que l’incendie servait également à l’ouverture et à l’entretien des pâturages26. Rappeler aussi que le brûlage des chaumes après récolte était pratiqué pour favoriser l’installation de prairies mais aussi pour restoubler, c’est-à-dire pour enchaîner les années d’emblavures sans jachère27. Et surtout, fermement distinguer les systèmes d’essartage et d’écobuage.
18Pour éviter les confusions, mieux vaudrait d’ailleurs ne pas employer le mot d’essartage et parler d’abattis-brûlis ou de slash-and-burn. Ces systèmes, pratiqués aux xviiie et xixe siècles encore dans les massifs forestiers des Pyrénées, des Alpes, des Ardennes et de l’Eiffel, mais aussi en Suède, en Russie ou en Finlande, consistaient effectivement à mettre à feu un espace forestier après abattage des arbres – total ou partiel –, et la production simultanée de charbon, de tan, de bois de chauffage ou de bois d’œuvre n’était pas le moindre intérêt de ces pratiques. Le terrain dégagé, mais non dessouché, était alors ensemencé une à trois années consécutives et travaillé manuellement ou à l’aide d’instruments aratoires légers (araire, sokkha…). Les périodes de cultures étaient forcément espacées par le temps que prenait la reconstitution du couvert forestier, soit de 10 à 30 ans en règle générale. Parce qu’elles furent pratiquées avec un outillage sommaire et par des populations jugées primitives (en Europe, mais plus encore hors d’Europe), ces techniques sont presque toujours considérées comme des usages archaïques. Pourtant, le présupposé est discuté en archéologie comme en anthropologie28, et le cas du swidden en Suède montre que les enseignements de l’histoire sont tout aussi complexes : on sait en effet que le feu y était utilisé de longue date pour ouvrir des pâturages mais que la technique de l’abattis-brûlis n’y fut développée qu’aux xvie et xviie siècles par l’entremise de colons finnois29.
19Le mot écobuage est également source de quiproquo : utilisé aujourd’hui pour désigner le brûlage à feu courant de terrains embroussaillés, il a perdu sa signification originelle que traduit mieux l’expression anglaise paring-and-burning30. Il s’agissait, en effet, de peler le sol aux prix d’un travail particulièrement pénible, d’en arracher la couche superficielle avec sa végétation (gazon ou broussailles) et de constituer des fourneaux avec ce matériau. Les terres ainsi défrichées étaient ensuite recouvertes par les cendres et labourées quelques années consécutives avant que d’être rendues aux friches pour une durée de trois à cinq ans au moins, mais jusqu’à vingt ou trente ans parfois. Entre abattis-brûlis et écobuage, il existait évidemment toute une gamme de pratiques intermédiaires : essartages à feux couverts et courtes révolutions, parfois mêmes précédés par le défonçage d’une partie des sols et la formation de billons31. Il n’en reste pas moins cette différence à tous égards fondamentale : ce n’est pas le feu qui caractérisait l’écobuage mais le très difficile travail de décapage des sols et de découpage des gazons en particulier. De ce point de vue, en effet, l’écobuage était le proche parent du labour des terres lourdes et de la convertible husbandry et ne ressemblait en rien aux brûlages sommaires et aux scarifications superficielles du sol pratiqués dans les forêts alpines ou finnoises. À tel point d’ailleurs que les procédés d’écobue et d’étrépage pouvaient être utilisés sans mise à feu aucune, pour cultiver directement les terres ainsi ouvertes ou pour produire un engrais répandu sur des lopins de culture permanente. Sous cet angle, les techniques du paringand-burning sont étroitement associées à l’agriculture des systèmes herbagers et apparaissent souvent comme des innovations récentes, modernes souvent, et médiévales tout au mieux.
20Ces reconsidérations sur l’écobuage disent suffisamment combien il serait réducteur de n’envisager les cultures temporaires qu’à travers les pratiques du feu. Mais elles permettent également de souligner que la durée des friches n’est pas, comme on l’image souvent et intuitivement, un critère simple et indiscuté de définition des cultures temporaires.
21L’idée s’est en effet imposée depuis le xviiie siècle que ces formes agricoles étaient caractérisées par de longues périodes de repos, périodes improductives que l’on souhaitait supprimer et que l’on assimilait à tort aux jachères : depuis, les cultures temporaires sont souvent improprement définies comme des systèmes à longue jachère ou long-term fallow32. À la même époque, cependant, l’alternance des prairies et des labours apparaissait dans les discours agronomiques et réformateurs comme une figure fondamentale des méthodes nouvelles d’agriculture. La convertible husbandry, connue aussi sous les appellations de up-and-down husbandry ou ley farming, consistait essentiellement en une succession ininterrompue d’années de cultures (c’est-à-dire sans année de jachère intermédiaire) suivie d’une période de quelques années également pendant laquelle les champs étaient convertis en prairies. Le procédé, il est vrai, rompait frontalement avec les anciens systèmes de rotations biennales et triennales et se trouve de fait plus ou moins associé aux systèmes de cultures permanentes. Pourtant, en quoi différait-il des anciens systèmes de cultures temporaires ? Et de ceux notamment qui, comme l’écobuage, alternaient labours et pâturages selon des rythmes identiques ?
22Le côté factice de cette révolution est aujourd’hui en partie dénoncé par les historiens qui ont souligné les progrès de la convertible husbandry dès le Moyen Âge33. Mais – ce qui est plus significatif encore – l’affaire pouvait sembler absurde à l’époque même ou se répandait le discours des réformateurs. Rougier de La Bergerie, par exemple, ricanait de cette pseudo-nouveauté et considérait qu’à l’exception d’un large Bassin parisien, l’ensemble de la France pratiquait depuis toujours l’alternance d’une série d’années d’emblavures et d’une série d’années de pâtis34. On objecterait avec raison qu’il n’avait pas saisi l’intérêt de l’ensemble des nouveautés proposées par les réformateurs, de la culture des légumineuses et des plantes fourragères en particulier. Il serait erroné, en revanche, d’en conclure que les méthodes « traditionnelles » de cultures temporaires n’accordaient aucune importance à la végétation des friches. Il est frappant au contraire de voir la place que tenaient dans ces systèmes l’ajonc, le genêt, la bruyère ou l’aulne dont on sait les capacités à fixer l’azote35. Le feu, en outre, permettait une sélection des espèces, et l’ajonc, le genêt ou le plantain pouvaient au besoin être semés. Quant à l’utilité de la végétation produite par les friches, toutes les études traitant des cultures temporaires insistent sur son importance cardinale, qu’elle ait servi au pâturage, au fourrage, à la litière, à la production d’engrais et à l’amélioration de la texture des terres, ou à tout autre utilisation36.
23Il n’est donc guère possible de sortir de cette contradiction en considérant que les prairies (artificielles, semées, productives) seraient fondamentalement différentes des friches (spontanées et laissées à l’abandon).
24Ce serait d’autant plus malheureux que les friches, les fridd, les terres froides semblent avoir désigné précisément les prairies, pâtis, pâturaux, et qu’au sens strict le défrichement devrait sans doute être entendu comme le retournement desdites prairies37. Aussi est-il souvent proposé, pour éviter de voir basculer ces pratiques « modernes » du côté des cultures temporaires, de ne considérer comme temporaires que les systèmes dans lesquels les temps de friche étaient plus longs que les périodes de labour38. La proposition a toute l’élégance d’une formule mathématique, mais n’en est pas moins dépourvue de fondement agronomique. Saurait-on dire, en effet, en quoi l’alternance de cinq années de culture et de trois ans d’herbage serait fondamentalement différente de la succession de trois années d’emblavures et de cinq ans de prairies ? Il s’agissait de toute évidence du même type d’agriculture généralement pratiqué dans un subtil dégradé de successions culturales. Pourquoi donc établir cette différence ?
25Implicitement, la formule permet de réduire les cultures temporaires à celles seulement qui étaient les plus rares et de vérifier ainsi qu’elles furent marginales et peu productives comme il était présupposé. Elle rétablit de la sorte, et contre la logique des pratiques, l’opposition des champs régulièrement cultivés et des incultes exceptionnellement labourés, et renvoie donc au troisième grand type de classification.
26Les cultures temporaires, en effet, ont souvent été définies comme des formes d’exploitation agricole des terres précisément réputées incultes : landes, hermes, pâquis, pâtures, bois, forêts, montes, baldios, terre salvatiche, terres gastes, waste ou outfield. De prime abord, ces déterminations peuvent sembler purement géographiques et découler de la nature même des emblavures intermittentes. En réalité, ces appellations avaient une forte connotation juridique qui supposait des combinaisons très particulières d’appropriations collectives et privées. Or l’Europe médiévale et moderne était d’une telle complexité en la matière qu’il serait malvenu de réduire cette diversité à une simple opposition entre biens privés et biens publics, communaux ou collectifs. D’autant que ce fut, au contraire, la distinction qui, partout en Occident, des enclosures aux réformes libérales, fut imposée pour liquider les anciens équilibres et drastiquement réduire la part des communaux39. Dans ce contexte, évidemment, caractériser les cultures temporaires comme une exploitation des biens soumis à usage collectif n’était pas neutre. C’était, au contraire, une façon d’affirmer qu’il s’agissait de pratiques à proscrire puisqu’il était entendu qu’un propriétaire privé en aurait tiré un meilleur profit40.
27Dans une telle perspective, en somme, le caractère temporaire des pratiques ainsi caractérisées est subrepticement déplacé : il ne qualifie plus des techniques culturales mais un mode d’appropriation du sol. Or une analyse rigoureuse ne peut évidemment se fonder sur une telle confusion, qui conduit à trancher dans l’unité des faits et à les déformer comme à loisir. Sur ce point, il suffirait de rappeler l’exemple de la Bretagne et des pays de l’Ouest où les communaux étaient rares et peu étendus et où les cultures temporaires dominaient largement sur des terres en très grande majorité privées. Symétriquement, il n’est pas inutile de souligner également que les grands openfields anglais des Middlands et de l’ensemble des régions centrales – principalement soumis à des rotations biennales et triennales – étaient aussi des régimes de common fields combinant appropriations privées et collectives41.
28La caractérisation des cultures temporaires comme systèmes d’outfield est de ce point de vue très révélatrice42. Le terme, en effet, est employé avec d’importantes variations de sens et le modèle de référence que constituent les campagnes écossaises de l’Époque moderne n’est pas toujours suffisamment pris en compte43. Sur le plan des techniques agricoles, ces régions, on le sait, se singularisaient par la coexistence d’un infield abondamment fumé en hiver et cultivé tous les ans, et d’un outfield où se mêlaient emblavures et prairies. Dans cette seconde partie du terroir, une parcelle différente était enclose chaque été pour recueillir les déjections nocturnes du bétail : elle était ensuite semée en avoine pendant quelques printemps successifs, puis laissée en prairie pendant un nombre d’années assez variable. Si l’on ajoute à cela que les parcs de fumature préalables n’étaient pas pratiqués partout, que les temps de prairies pouvaient être assez longs et que l’outfield est parfois interprété comme l’ensemble des terres communes, on comprendra aisément que ces usages aient été considérés comme un modèle des cultures temporaires, des appropriations intermittentes et de l’usage extensif des sols. Les mêmes faits, pourtant, sont passibles d’une lecture bien différente. L’outfield, en effet, est souvent distingué des commons, waste ou autres muirs, et situé à l’intérieur des murs de clôtures (head dykes) qui séparaient ces espaces incultes des champs cultivés44. Dans cette logique, en somme, l’outfield n’était pas une zone en dehors des champs, mais correspondait plutôt à la partie des champs situés vers l’extérieur du terroir. La nuance est importante. Car si la partie de l’outfield défrichée chaque printemps ne représentait qu’une petite part du terroir, la répétition des semis, en définitive, pouvait signifier que près de la moitié de l’outfield se trouvait en moyenne emblavée tous les ans45. Partout ailleurs, des fréquences d’emblavement de cet ordre classeraient l’outfield parmi les terres arables et régulièrement cultivées.
29S’il est inutile ici d’entrer plus avant dans les détails de l’histoire de l’outfield écossais, il est important de noter que sa caractérisation semble historiquement bien plus liée à des formes juridiques d’appropriation du sol (runrig) qu’à un souci de décrire les modes de culture auxquels il était lié. Il n’en reste pas moins que le terme a fait fortune dans l’historiographie et continue de véhiculer une grande part de confusions. Selon les sources et les auteurs, désigne-t-il un territoire au statut juridique identifié, une forme d’appropriation, un type d’agriculture ou l’ensemble des incultes ? Il est souvent fort difficile de trancher. C’est dire, une nouvelle fois, combien la catégorisation des cultures temporaires est souvent tranchée a priori et difficile à fonder en dehors de ces ambiguïtés.
Deux réductions paradigmatiques
30Si l’on compare la diversité des techniques et des contextes, les insuffisances et les contradictions du vocabulaire utilisé pour en rendre compte, il apparaît assez clairement que l’image traditionnelle des cultures temporaires n’est pas simplement construite sur un certain nombre de préjugés qu’il suffirait de dénoncer pour rendre au sujet toute son envergure et sa complexité. Cette interprétation réductrice, au contraire, s’enracine au plus profond des schémas fondamentaux qui ont structuré l’analyse des sociétés rurales depuis plus de deux siècles : la croissance agricole et le développement de la propriété privée.
31L’analyse des cultures temporaires, en effet, a été largement déterminée par l’idée que la productivité des agricultures anciennes pourrait s’évaluer en fonction de la fréquence des récoltes. Dans cette logique, l’essartage (une ou deux récoltes tous les vingt à trente ans) apparaît de fait comme un mode d’exploitation très extensif des sols puisqu’il ne permettait d’ensemencer chaque année que 3 à 10 % des sols disponibles. Or, au prix de quelques simplifications, il est possible de classer sur le même modèle l’écobuage (une ou deux récoltes tous les dix ans environ, soit 10 à 20 % du terroir mis en culture), les systèmes herbagers (une à deux récoltes tous les quatre à six ans, soit 15 à 50 % du terroir ensemencé chaque année), les rotations biennales (50 % du terroir ensemencé chaque année) les rotations triennales (66 %), les cultures permanentes (100 %) et même les systèmes permettant plusieurs récoltes annuelles (200 % et plus). D’un simple point de vue descriptif, soulignons-le, cette schématisation est totalement biaisée au moins pour deux raisons : d’abord parce qu’elle affecte aux pratiques d’écobuage et aux systèmes herbagers des rythmes qui sous-estiment la fréquence des emblavures ; ensuite parce qu’elle comptabilise comme récolte les productions fourragères des cultures permanentes alors que l’exploitation des friches n’est pas prise en compte dans les cultures dites temporaires. Il n’en reste pas moins qu’elle s’est largement imposée dans l’historiographie.
32Le succès de ce schéma de lecture est évidemment lié à l’importance des thèses évolutionnistes et aux représentations de l’histoire comme un lent et continuel progrès des techniques. Parce que les cultures permanentes étaient le mot d’ordre des réformateurs du xviiie siècle, parce que les indices de rotations triennales apparaissent dès le haut Moyen Âge, parce que les jachères sont attestées dès l’Antiquité et parce que les essartages semblent à cet aune plus archaïques encore, il en fut déduit ce scénario classique qui associe l’essartage et les cultures temporaires aux premiers stades de l’agriculture, le biennal à l’Antiquité, le triennal au Moyen Âge et les cultures permanentes à la naissance des sociétés contemporaines.
33Critiquée mais toujours très présente dans les travaux historiques, cette grille d’analyse est entachée d’un certain nombre de défauts majeurs. En premier lieu, elle suppose une loi de progression en paliers homogènes que nos connaissances historiques démentent absolument. Les cultures permanentes sont anciennes alors que le développement des essartages fut parfois récent, les systèmes herbagers et les écobuages ont pu remplacer ou compléter des systèmes à jachères annuelles, les rotations triennales sont loin d’avoir succédé partout aux assolements biennaux, et de façon plus générale, ces successions culturales furent souvent employées de façon complémentaire. Par ailleurs, cette classification des systèmes culturaux admet que la plus grande fréquence des emblavures équivaut à une plus grande production par unité de surface, et présuppose en outre que la productivité à l’hectare constitue la mesure pertinente de la productivité de l’agriculture. De ce point de vue, le passage du biennal au triennal représenterait par exemple un gain de 16 % (de 50 % à 66 % de terres semées chaque année). Or il a été relevé, d’une part, que la chute des rendements obtenus en seconde année annulait complètement ce gain de productivité à l’hectare, et d’autre part, que la juxtaposition de semailles d’hiver et de semailles de printemps permettait en revanche un étalement des travaux agricoles tout au long de l’année46. Le gain que constituait l’adoption d’une rotation triennale n’affectait donc pas la productivité de la terre mais la productivité du travail.
34Le contresens produit ici par le dogme d’un progrès exclusivement assimilé à l’augmentation des rendements par surface montre à quel point le classement des systèmes culturaux en fonction de la fréquence des semis est porteur de préjugés. Il rappelle opportunément que la pertinence des techniques développées dépendait aussi de la qualité et de la quantité des terres disponibles, de la productivité du travail et de celle des semences. Quatre points qui auraient dû mener à une tout autre analyse des cultures temporaires.
35Il faut, en effet, relever tout d’abord que le rendement des semences sur cultures temporaires était nettement supérieur à ceux que permettaient les rotations biennales ou triennales47. À travail équivalent, et dans la mesure des terres disponibles, mieux valait donc étendre d’abord la surface des semis intermittents. Si l’on ajoute que les aléas des récoltes et le poids des prélèvements rendaient particulièrement sensible l’utilisation des semences, la pertinence des cultures temporaires s’en trouvait encore renforcée. En ce qui concerne la quantité des terres utilisables, il suffira ici de noter qu’elle était importante en périodes de creux démographiques et que les cultures temporaires furent néanmoins très répandues alors même que les populations atteignaient leurs maxima. S’agissant de la qualité des terres exploitées, on soulignera évidemment que les cultures temporaires permettaient l’exploitation des sols les plus défavorisés et que, de ce point de vue, elles constituèrent souvent l’ultime expansion des terroirs agricoles bien plus que leur origine première. Enfin et surtout, il convient d’insister sur le fait que ces techniques impliquaient des quantités de travail très variables et souvent très importantes.
36Le schéma évolutionniste qui a classé les cultures temporaires comme les formes les plus archaïques de l’agriculture s’appuyait en effet sur l’idée sous-jacente d’une intensification du travail. Dans cette optique, il est encore très fréquemment admis que l’essartage ou les cultures d’outfield exigeaient relativement peu de travail. Pourtant, aucun fait ne paraît justifier cette opinion. Il semble au contraire que les travaux d’essartages étaient aussi lourds que les trois labours d’une jachère48, et il est certain que l’ouverture des friches herbeuses était beaucoup plus difficile encore, qu’il s’agisse de décapages manuels à la bêche, à la houe, l’écobue ou l’étrèpe, ou des défonçages attelés qui nécessitaient l’emploi des grandes charrues à roues, coutre et versoir, et des trains de labours les plus imposants49. En somme, et à l’inverse de ce qu’avance la théorie classique, tout semble indiquer que les cultures temporaires n’étaient pertinentes qu’à partir du moment où les cultures permanentes ou semi permanentes ne l’étaient plus. Autrement dit, il y a quelques fortes raisons d’avancer que ce n’est pas en tant que stade primitif que devraient être envisagées les cultures temporaires, mais bien au contraire, comme l’une des voies de l’intensification de la production, particulièrement importante dès lors que les rendements des cultures permanentes diminuaient ou que les techniques du défrichement s’amélioraient.
37Le second paradigme clef dans la construction, réduction et déformation de la question des cultures temporaires s’inscrivait dans la même logique évolutionniste mais a connu un sort bien différent. Dans la seconde moitié du xixe siècle, en effet, un important courant de savants défendit l’hypothèse d’une évolution générale des formes d’appropriation du sol par les sociétés humaines allant de l’appropriation collective vers la propriété privée50. Cette démarche d’anthropologie générale se nourrissait d’un corpus de comparaisons ethnologiques que l’on souhaitait confronter aux données de l’histoire européenne. La découverte du mir russe ou la redécouverte du runrig écossais alimentèrent ainsi l’idée que les communautés rurales de l’Occident médiéval et moderne étaient les lointaines héritières de communautés primitives et que les droits communaux étaient comme le reliquat de leur originelle propriété collective51. Dans ce schéma, les cultures temporaires constituaient évidemment le premier stade de l’agriculture : ces techniques qui s’accompagnaient souvent de travaux collectifs de défrichements, d’allotissements temporaires et du retour régulier des friches à l’usage des communautés, illustraient comme à merveille des formes d’appropriations privées encore très limitées par rapport aux droits des collectivités52.
38Ces propositions furent perçues comme une grave atteinte à la légitimité ontologique de la propriété privée. La querelle était idéologique et les répliques furent cinglantes53. S’il n’est guère possible d’en retracer les contours ici, il est important en revanche de noter que les détracteurs de ces thèses pouvaient s’appuyer sur une documentation attestant de la pratique ancienne de rotations biennales et triennales, sur des centaines de milliers d’actes montrant la possession individuelle de lopins fermement délimités, sur la faiblesse des indices d’allotissements temporaires et sur l’absence totale de textes témoignant sans ambiguïté d’une propriété collective exempte de toute forme de suprématie seigneuriale. La théorie domaniale, en effet, fut d’abord un argument de combat54 qui permettait de réduire les formes d’appropriations paysannes à deux catégories : les lopins concédés et les usages octroyés sur le restant des propriétés seigneuriales. La logique de l’articulation paysanne des formes d’appropriation était ainsi occultée au profit du seul rapport entre seigneur et dépendants.
39Or, si l’on veut bien écarter la question fallacieuse des origines de la propriété, force est de reconnaître que le véritable objet de la recherche historique devrait être ici le fonctionnement concret de ces combinaisons d’appropriations privées et collectives. Et de ce point de vue, le large comparatisme auquel invitaient Émile de Lavelaye, Paul Vinogradoff ou Joaquín Costa retrouve assurément toute sa pertinence, de même que l’attention qu’ils portaient aux cultures temporaires55. L’intérêt nouveau des économistes pour la gestion des biens communs et l’écho de leurs problématiques parmi les historiens en témoignent abondamment. Les formes de coopération, les pratiques d’allotissements renouvelés, les possessions précaires n’ont pas besoin d’être analysées à tort comme la marque d’un stade archaïque et uniforme d’exploitation du sol ; partielles et tardives, variées à l’extrême et pleines de contradictions, elles n’en constituent pas moins une dimension essentielle des campagnes de l’Europe médiévale et moderne. Et un terrain de recherche d’autant plus prometteur qu’il a été peu parcouru.
Pour la construction d’un objet théorique
40De ce trop rapide parcours historiographique, il se dégage assurément des conclusions quelque peu paradoxales. Les cultures temporaires n’ont jamais fait l’objet d’une construction théorique. La notion est floue : selon les auteurs, elle recouvre des pratiques différentes ou exclut des réalités fort semblables. Mais elle est en même temps surdéterminée par l’idée qu’il s’agit de modes d’exploitation du sol extensifs et archaïques d’une part, communautaires et primitifs d’autre part. En outre, ce qui ne facilite rien, elle est peu employée de façon explicite ; et néanmoins omniprésente dès lors que l’on jauge l’efficacité des techniques culturales ou des modes d’appropriation du sol. Dans ces conditions, bien évidemment, se contenter d’éviter l’expression ne saurait être une solution satisfaisante. Cela ne pourrait conduire qu’à perpétuer les vieux préjugés sans examiner sur le fond ce qui est susceptible de radicalement distinguer les cultures temporaires. Or il n’en continuera pas moins d’apparaître évident à chacun qu’il y a, par exemple, quelque chose de fondamentalement différent entre les cultures temporaires et les rotations biennales et triennales : une différence que les catégories traditionnelles de l’historiographie ont rendue incompréhensible et sur laquelle il convient donc de braquer tous les feux de l’analyse.
41Le critère de la fréquence des récoltes, en effet, masque la nature des années sans emblavure. Assimilées à des périodes de repos, ces années étaient pourtant dévolues à des pratiques radicalement opposées : la jachère et la friche, deux notions dont les sens anciens ont été complètement détournés par les usages contemporains. De quoi s’agissait-il ?
42Comme l’a rappelé François Sigaut, la jachère n’avait rien à voir avec une période de repos pendant laquelle les sols auraient été abandonnés à une reprise de la végétation naturelle56. Le terme désignait au contraire les labours successifs qui, pendant toute une année, servaient à la préparation du champ avant les semis. Une terre en jachère était donc une terre labourée attendant d’être ensemencée. Non pas une terre abandonnée après culture, mais une terre préparée pour la culture. Ces labours, qui commençaient généralement au printemps, pouvaient avoir pour objet d’ameublir le sol et d’en gérer l’humidité. Mais leur fonction essentielle était d’éliminer les mauvaises herbes en les enfouissant profondément ou en faisant brûler leurs racines au soleil de l’été. La jachère véritable (jachère nue, bare fallow, barbecho ou maggese) était donc caractérisée non pas par une recolonisation végétale mais, au contraire, par l’éradication de toute végétation.
43À maints égards, la jachère était par conséquent l’exact opposé de la friche. Parce qu’il est hors de doute que celle-ci n’était pas une terre labourée et qu’elle était au contraire caractérisée par une reprise du couvert végétal, par recolonisation naturelle le plus souvent, mais parfois aussi par semis de prairies artificielles, d’ajoncs ou de genêts. La friche, en effet, n’était pas un état « primitif » du sol mais le résultat de l’arrêt des cultures : il n’y avait donc de friche qu’après les cultures, comme il n’y avait de jachère qu’avant les cultures. En outre, la friche pouvait durer plusieurs années voire dizaines d’années, alors que la jachère était forcément limitée : on ne labourait pas une terre pour la laisser à nu plusieurs années consécutives sans l’ensemencer. Parler de longues jachères n’a donc absolument aucun sens. Techniquement, les pratiques désignées à tort comme longues jachères (appelées aussi jachère verte, green fallow ou eriazo) ne correspondaient absolument pas à des années de jachère véritable, mais à des années de friche.
44Or, examinées à la lumière de cette distinction, les rotations biennales et triennales avouent une particularité qui les distingue radicalement des cultures temporaires. Dans les rotations biennales et triennales, en effet, les années de cultures alternaient avec les années de jachère, mais il n’y avait aucune année qui fût dévolue aux friches. Certes, après la moisson, les chaumes pouvaient être pâturés avant que d’être labourés pour une nouvelle année de jachère ou une culture de printemps ; de la dernière moisson jusqu’aux nouveaux labours, la terre était laissée sans travail pendant quelques mois. Mais si l’on considère les saisons végétatives, il est évident que ces rotations ne laissaient aucune place au développement d’un vrai couvert végétal. Au printemps, les terres étaient soit ensemencées, soit en jachère : mais aucune n’était en herbe (dans l’hypothèse de terroirs soumis entièrement à ces rotations, bien évidemment). Dans ces systèmes, les quelques mois d’automne et d’hiver pendant lesquels la terre n’était pas travaillée ne sauraient donc être considérés comme de véritables temps de friche : ils n’en assumaient pas les fonctions essentielles pour la production de fourrage ou la régénération des sols.
45De ce point de vue, la césure qui semblait graduelle se révèle donc franche et radicale. Il y avait d’un côté les systèmes faisant place aux friches, c’est-à-dire les cultures temporaires, et de l’autre les rotations qui ne leur accordaient aucune place et que l’on pourrait à ce titre considérer toutes comme des cultures permanentes puisque la terre y était travaillée, c’est-à-dire labourée et/ou semée, tous les ans. De même qu’il y avait des rotations avec friche, des cultures temporaires où les semis étaient plus ou moins fréquents, il suffirait donc de définir les cultures permanentes comme des rotations sans friche où les semis pouvaient intervenir un an sur deux, deux ans sur trois, tous les ans ou plusieurs fois par an.
46Cette distinction peut sembler discutable, notamment pour les agricultures contemporaines. Mais pour l’analyse des agricultures anciennes, en soulignant le rôle des friches et des défrichements, elle met en évidence deux questions absolument centrales.
47En premier lieu, insister sur la distinction entre friche et jachère permet de poser le problème crucial des modes de renouvellement de la fertilité des sols. La vieille image du repos des terres continue en effet d’accréditer l’idée que les jachères avaient cette fonction, et d’autant plus facilement que l’on confond jachère et friche. Or, si les labours de jachère permettaient de lutter contre les mauvaises herbes, il est évident que ces sols laissés à nu pendant une année végétative ne pouvaient se régénérer seuls. Sur ce plan, il n’y a aucune différence entre cultures permanentes avec ou sans jachère : sans apport extérieur, sans fumure ou sans engrais végétal, le système ne pouvait être viable que sur des sols exceptionnellement fertiles, et l’on sait que même sur les tchernozioms des plaines russes les rendements étaient dans ces conditions très limités57. C’est un point à la fois bien connu et peu mis en valeur. Bien connu parce qu’il est fréquemment remarqué que l’extension des espaces cultivés en biennal et triennal butait sur la restriction des incultes qu’elle impliquait (et d’où provenaient nécessairement les apports de fertilité). Mais peu mis en valeur parce qu’on ne souligne pas suffisamment que cette extension signifiait certes un agrandissement des surfaces cultivées mais surtout une expansion des jachères au détriment des incultes, expansion qui contribuait donc à affaiblir d’autant plus la fertilité des sols. Les friches, au contraire, permettaient de résoudre le problème constant du manque d’engrais : elles assuraient une reproduction interne de la fertilité des sols sans imposer de réduire drastiquement la production de fourrage, ni exiger de répartir les quantités de fumures sur une quantité plus grande de terres. Autrement dit, elles permettaient d’étendre les emblavures sans réduire la productivité des secteurs de culture permanente. La supériorité des cultures temporaires est de ce point de vue incontestable, et il n’est qu’à voir le succès des systèmes herbagers à l’Époque moderne et contemporaine pour s’en convaincre. Dès lors, et le renversement est d’importance, la question qui se pose n’est plus de savoir pourquoi les systèmes à jachère ont succédé aux cultures intermittentes (ce qui semble relever du préjugé), mais au contraire de comprendre pourquoi les cultures temporaires ne se sont pas imposées plus largement et plus précocement comme une solution aux problèmes d’engraissement des terres. Et c’est ici précisément qu’il est important de revenir sur les problèmes du défrichement.
48Distinguer au sein des agricultures anciennes les successions culturales qui incluaient des friches de celles qui n’en incluaient pas est, en effet, crucial pour une seconde raison : c’est une manière de souligner qu’il y avait d’une part des systèmes culturaux où le défrichement était une exception et une conquête, et d’autre part des systèmes culturaux pour lesquels, au contraire, le défrichement était un fait de structure banal et inlassablement répété. Avec ou sans jachère, les systèmes de culture biennale, triennale ou annuelle impliquaient un constant travail du sol mais dispensaient des opérations de défrichement. C’était un avantage majeur et c’est probablement ce qui explique, en partie sinon principalement, pourquoi les cultures permanentes ont souvent, non pas succédé aux cultures temporaires, mais précédé lesdites cultures. Les cultures temporaires impliquaient en effet une maîtrise technique des défrichements et un investissement en travail qui n’avait pas grand-chose de « primitif ». Or sur ce point, l’historiographie traditionnelle est notoirement contradictoire, considérant comme un lourd travail la conquête des terroirs permanents et comme une exploitation extensive les défrichements réguliers des cultures temporaires. S’il n’est pas question de discuter la lourdeur des aménagements qui ont pu être réalisés pour créer des terroirs de culture permanente, l’idée que les défrichements temporaires constituaient un mode d’exploitation archaïque et quelque peu paresseux est de toute évidence un contresens historique dont les conséquences n’ont pas été mesurées. L’ouverture des sols, il faut le répéter, était dans tous les cas un travail difficile, et le défonçage des gazons ne pouvait être réalisé qu’au prix d’un épuisant travail manuel ou par l’emploi des trains de labours les plus puissants. La lourde charrue d’Ukraine ou le vesadoiro de Galice n’étaient pas utilisés sur les champs de culture permanente mais pour retourner les prairies58. François Sigaut, au demeurant, a fort intelligemment souligné à quel point les traits caractéristiques de la charrue – coutre, versoir et roues – étaient techniquement liés au défonçage des friches herbeuses59. Quant aux équipes de défricheurs mobilisées pour retourner à la houe, la bêche, l’étrêpe ou l’écobue, les landes de Bretagne ou les montes de León, force est de reconnaître qu’elles n’étaient pas sollicitées pour la culture des lopins permanents60. Examinée sous cet angle, la question des défrichements médiévaux et modernes semblerait donc bien nécessiter un réexamen très soigneux – et quand on sait l’importance historiographique du thème, ce n’est pas peu dire.
49En définitive, les avantages de cette redéfinition des cultures temporaires semblent donc simples mais considérables. Alors que les définitions traditionnelles sont floues et changeantes, le critère proposé ici est tranché et sans ambiguïté : l’insertion d’années de friches dans les successions culturales. Alors que les approches anciennes mobilisent un ensemble de sous-entendus évolutionnistes et fort discutables (où la fréquence des récoltes est implicitement associée à une plus grande productivité à l’hectare, une plus grande intensité du travail et une efficacité supérieure de l’appropriation individuelle), l’approche suggérée ici met en valeur une distinction double et essentielle dans la logique des pratiques agricoles anciennes : distinction portant sur les formes de renouvellement de la fertilité du sol (engraissement ou friche) et les formes du travail de la terre (labours permanents ou défrichements réguliers). En outre, si cette distinction ne préjuge en rien de l’ancienneté ou de l’efficacité relative de l’un et l’autre procédé, elle permet de souligner que, pour l’Europe d’entre l’Antiquité et l’Époque contemporaine, il y aurait quelque intérêt à ne pas considérer les cultures temporaires comme un héritage archaïque mais, au contraire, comme l’indice d’une expansion permise par une plus grande maîtrise technique des cycles friche/défrichement (et/ou une nécessité croissante d’intensification du travail). Enfin, et ce n’est pas son moindre intérêt, cette définition ne s’appuie sur aucune considération relative aux formes d’appropriation du sol. Mais précisément, c’est sans doute la meilleure façon de faire apparaître que l’appropriation des terres de cultures temporaires fut formidablement diverse, accompagnant la propriété privée dans les enclosures anglaises comme elle soutenait l’appropriation collective sur les demani de l’Italie du Sud. Désentrelacer les deux sujets paraît en effet nécessaire pour faire apparaître leurs logiques propres d’abord, les formes de leur interaction ensuite.
Notes de bas de page
1 Rares sont, en effet, les documentations qui permettent de saisir les rythmes d’emblavement année après année. Le problème est encore plus complexe pour l’archéologie et les sciences du paléo-environnement. Sur ce point, voir les communications de Christine Rendu, Nicolas Poirier et Aurélie Reinbold dans le présent volume.
2 Les historiens, au contraire, n’ont cessé depuis plus d’un siècle de traquer, accumuler et surinterpréter les moindres indices d’assolements triennaux. On peut penser que si les cultures temporaires avaient bénéficié du même traitement, les données disponibles seraient nettement plus abondantes aujourd’hui.
3 C’est le cas, notamment, des travaux qui ont traité séparément de l’essartage, par exemple : J. Blache, « L’essartage, ancienne pratique culturale dans les Alpes dauphinoises », Revue de géographie alpine, 1923, p. 553-575 ; F. Mouthon, « L’essartage dans les Alpes occidentales au prisme des sources écrites du bas Moyen Âge », Plantes exploitées, plantes cultivées. Cultures techniques et discours. Études offertes à G. Comet, Aix-en-Provence, 2007, p. 109-125.
4 Pour une première approche des notions d’agriculture comparée, de systèmes agraires et de systèmes de culture : H. Cochet, S. Devienne, et M. Dufumier, « L’agriculture comparée, une discipline de synthèse ? » Économie rurale, 2007, p. 99-112.
5 Sans parler de l’élevage ou de l’utilisation des incultes.
6 E. Boserup, The Conditions of Agricultural Growth, Londres, 1965. Si le livre d’Ester Boserup reste malheureusement marqué par la thèse évolutionniste qui associe l’intensification du travail et de la production à une plus grande fréquence des emblavures, sa grande force est, en effet, d’avoir souligné la pluralité des systèmes de culture pratiqués par chaque société et les choix effectués par les populations en fonction des variations démographiques.
7 J.-Y. Grenier, L’économie d’Ancien Régime : un monde de l’échange et de l’incertitude, Paris, 1996, p. 270-272.
8 J. Hatcher, M. Bailey, Modelling the Middle Ages : the History and Theory of England’s Economic Development, Oxford, 2001.
9 M. Bailey, « The concept of the margin in the medieval english economy », The Economic History Review, 1989, vol. 42, p. 1-17.
10 Pour une présentation rapide du seul point de vue juridique : A.-M. Patault, Introduction historique au droit des biens, Paris, 1989, p. 15-132.
11 Voir, par exemple, l’articulation des lectures anthropologiques et juridiques à propos des communautés rurales : L. Assier-Andrieu, « La communauté villageoise, objet historique/enjeu théorique », Ethnologie française, 1986, p. 351-360.
12 P. Grossi, Le situazioni reali nell’esperienza giuridica medievale, Padova, 1968 ; Id., « Un altro modo di possedere » : l’emersione di forme alternative di proprietà alla coscienza giuridica e postunitaria, Milano, 1977.
13 M. Bloch, Les caractères originaux de l’histoire rurale française, Oslo, 1931 (rééd. 2006, p. 70-79, 96-100, 119-120, 135-137).
14 G. Duby, L’économie rurale et la vie des campagnes dans l’Occident médiéval, France, Angleterre, Empire, ixe-xve siècles, Paris, 1962.
15 E. Sereni, Storia del paesaggio agrario italiano, Bari, 1961 ; Id., Terra nuova e buoi rossi : e altri saggi per una storia dell’agricoltura europea, Torino, 1981, p. 3-100. Voir sur ce point l’introduction de Diego Moreno dans le présent volume.
16 H. Gray, English Field Systems, Cambridge, 1915, p. 8.
17 B. Slicher van Bath, The Agrarian History of Western Europe : A.D. 500-1850, Londres, 1963, p. 9-10.
18 F. Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, xve-xviiie siècle, Paris, 1979, p. 120-128.
19 I. Guérin, La vie rurale en Sologne aux xive et xve siècles, Paris, 1960, p. 131-142.
20 Voir, dans le présent volume, l’article de Giulia Beltrametti, Roberta Cevasco, Diego Moreno et Ana Maria Stagno.
21 J. Goldhammer, « Environmental history : European regional smog from peat-swamp burning in Germany », International Forest Fire News, 1998, no 18, p. 59-60 ; F. Sigaut, L’agriculture et le feu…, p. 195-196.
22 Ibid., p. 236-237 ; P. Flatrès, Géographie rurale de quatre contrées celtiques : Irlande, Galles, Cornwall et Man, Rennes, 1957, p. 301-307. Les lazy-beds sont souvent présentés comme la version manuelle des ridges-and-furrows tracés à la charrue, et leur ancienneté est discutée ; voir par exemple : S. Halliday, « Rig-and-Furrow in Scotland », S. Govan (éd.), Medieval or Later Rural Settlement in Scotland : 10 Years On, Edinburgh, 2003, p. 69-79.
23 On relèvera cependant que l’année de jachère précédant les cultures est agrémentée à l’Époque moderne d’un semi de sarrasin. Sur tous ces points, je me permets de renvoyer à la synthèse présentée ici même par Annie Antoine ainsi qu’à la bibliographie qu’elle fournit.
24 S. Carocci, « “Metodo regressivo” e possessi collettivi : i “demani” del Mezzogiorno (sec. XII-XVIII) », Écritures de l’espace social : mélanges d’histoire médiévale offerts à Monique Bourin, Paris, 2010, p. 541-556 (voir également la communication de Sandro Carocci dans le présent volume). J. Costa, Colectivismo agrario en España : Partes I y II, Madrid, 1898, p. 114-115 (voir aussi les descriptions des cycles agraires dans la province de Zamora, p. 100-102).
25 Pour ne donner que deux exemples, on pourra vérifier dans les ouvrages de François Sigaut ou de Marcel Mazoyer et Françoise Roudart que la notion de culture temporaire ne va pas au-delà des propositions contradictoires de Slicker van Bath, elles-mêmes largement issues de l’idéologie des agronomes du xviiie siècle (F. Sigaut, L’agriculture et le feu…, p. 124-125 ; M. Mazoyer, F. Roudart, Histoire des agricultures du monde, Paris, 2002).
26 J.-P. Métailié, Le feu pastoral dans les Pyrénées centrales : Barousse, Oueil, Larboust, Paris, 1981.
27 F. Sigaut, L’agriculture et le feu…, p. 30-36.
28 Voir par exemple : O. Évrard, Chronique des cendres. Anthropologie des sociétés Khmou et dynamiques interethniques du Nord Laos, Paris, 2006, p. 21 ; A. Bogaard, « Questioning the relevance of shifting cultivation to Neolithic farming in the loess belt of Europe : Evidence from the Hambach Forest experiment », Vegetation History and Archaeobotany, 2002, 11, p. 155-168.
29 J. Myrdal, M. Morell (éd.), The Agrarian History of Sweden, Stockholm, 2011, p. 103 ; J. Myrdal et J. Söderberg, The Agrarian Economy of Sixteenth-century Sweden, Stockholm, 2002, p. 162-163, 213 ; J. Myrdal, « The agrarian revolution restrained. Swedish agrarian technology in 16th century in a european perspective », B. Liljewall (éd.), Agrarian Systems in Early Modern Europe : Technology, Tools, Trade, Stockholm, 1999, p. 127-129.
30 F. Sigaut, L’agriculture et le feu…, p. 11-17, 55-86 et 172-181.
31 Ibid., p. 29. Sur ce point, voir également la communication de Nicolas Schroeder dans le présent volume.
32 P. Morlon, et F. Sigaut. La troublante histoire de la jachère : pratiques des cultivateurs, concepts de lettrés et enjeux sociaux, Versailles, 2008. On reviendra sur ce point dans la quatrième partie.
33 G. Astill, J. Langdon. Medieval Farming and Technology : The Impact of Agricultural Change in Northwest Europe, Leiden, 1997 ; B.M.S. Campbell, M. Overton, « A new perspective on medieval and early modern agriculture : six centuries of Norfolk farming c 1250-c. 1850 », Past and Present, 1993, p. 38-105.
34 J.-B. Rougiers de la Bergerie, Revue agronomique, ou examen de quelques questions qui intéressent l’agriculture, telles que les jachères, les prairies naturelles, les assolements, etc., Paris, 1830, notamment p. 9-12 et 191-208.
35 Je me permets, sur ce point, de renvoyer aux communications de Pegerto Saavedra, d’Annie Antoine et de Giulia Beltrametti, Roberta Cevasco, Diego Moreno et Ana Maria Stagno.
36 S. Olivier, « Entre infield et outfield : une géographie historique de l’exploitation du genêt d’Espagne en Lodévois (xvie-xixe siècle), Revue de géographie historique, no 3, 2013.
37 P. Morlon, « Friche, défricher », Les mots de l’agronomie, http://mots-agronomie.inra.fr/mots-agronomie.fr/index.php/Friche,_d%C3%A9fricher (mars 2014).
38 C’est, par exemple, la solution que retient F. Sigaut, L’agriculture et le feu…, p. 124-125.
39 M.-D. Demélas, N. Vivier (dir.), Les propriétés collectives face aux attaques libérales, 1750-1914 : Europe occidentale et Amérique latine, Rennes, 2003.
40 Critique tout à fait explicite, par exemple, dans un rapport écossais de 1799 cité par H. Gray, English field systems…, p. 164-165.
41 A. Baker, R. Butlin (éd.), Studies of Field Systems in the British Isles, Cambridge, 1973 ; T. Rowley, The Origin of Open-Field Agriculture, Londres, 1981.
42 À titre d’exemple : G. Eliott, « Field systems of Northwest England », A. Baker, R. Butlin (éd.), Studies of Field Systems in the British Isles, Cambridge, 1973, p. 42-92 (p. 63-67).
43 H. Gray, English Field Systems…, p. 157-205 ; R. Dodgshon, « The nature and development of infield-outfield in Scotland », Transactions of the Institute of British Geographers, 1973, p. 1-23 ; Id., « Towards an understanding and definition of Runrig : the evidence for Roxburghshire and Berwickshire », Transactions of the Institute of British Geographers, 1975, p. 15-33.
44 Par exemple : H. Gray, English Field Systems…, p. 161.
45 I. Whyte, « Infield-outfield farming on a seventeenth-century Scottish estate », Journal of Historical Geography, 1979, p. 391-401 (p. 395) ; R. Dodgshon, « Strategies of farming in western highlands and islands of Scotland prior to crofting and the clearances », The Economic History Review, 1993, p. 679-701.
46 G. Comet, Le paysan et son outil. Essai d’histoire technique des céréales (France, viiie-xve siècle), Rome, 1992, p. 88-91 ; F. Sigaut, « Pour une cartographie des assolements en France au début du xixe siècle », Annales esc, 1976, p. 631-643.
47 F. Sigaut, L’agriculture et le feu…, p. 124-125.
48 Ibid., p. 149-155.
49 Ibid., p. 156-167.
50 Parmi les plus marquants : H.S. Maine, Village Communities in the East and West : Six Lectures Delivered at Oxford, Londres, 1871 ; P. Viollet, « Du caractère collectif des premières propriétés immobilières », Bibliothèque de l’École des Chartes, 1872, p. 455-504 ; E. de Laveleye, De La propriété et de ses formes primitives. Paris, 1874 ; H.L. Morgan, Ancient Society, Londres, 1877 ; F. Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et d’État, Paris, 1893 (trad. de l’édition allemande de 1884) ; M. Kovalevsky, Tableau des origines et de l’évolution de la propriété, Stockholm, 1890 ; P. Vinogradoff, Villainage in England, Essays in English Mediaeval History, Oxford, 1892 ; J. Costa, Colectivismo agrario en España, Madrid, 1898.
51 Sur l’importance des historiens russes dans la formation de l’historiographie anglaise : P. Gatrell, « Historians and peasants : studies of medieval English society in a Russian context », Past and Present, 1982, p. 22-50.
52 « Peu à peu, une partie de la terre est momentanément mise en culture, et le régime agricole s’établit ; mais le territoire que le clan ou la tribu occupe demeure sa propriété indivise. La terre arable, le pâturage et la forêt sont exploités en commun. Plus tard, la terre est divisée en lots, répartis entre les familles, gentibus cognationibusque hominum, par la voie du tirage au sort ; l’usage temporaire est seul attribué ainsi à l’individu. Le fond continue à rester la propriété indivise du clan, à qui il fait retour de temps en temps, afin que l’on puisse procéder à un nouveau partage. C’est le système en vigueur aujourd’hui dans la commune russe ; c’était, au temps de Tacite, celui de la tribu germanique », E. de Laveleye, De la propriété…, p. 4.
53 Les plus frappantes sont les réponses de N.D. Fustel de Coulanges à Viollet, Maurer, Laveleye, Mommsen, tant par leur méthode historique que par leur indifférence au questionnaire anthropologique qu’ils proposaient : N.D. Fustel de Coulanges, Revue des questions historiques, 1889 (repris dans Questions historiques, Paris, 1893, p. 17-103.
54 Il suffit pour s’en convaincre de relire les deux ouvrages fondateurs que sont en la matière : N.D. Fustel de Coulanges, Histoire des institutions politiques de l’ancienne France. L’alleu et le domaine rural, Paris, 1889 (notamment p. 171-238 ; voir déjà, Histoire des institutions politiques de l’ancienne France. L’Empire Romain, Les Germains, la royauté mérovingienne, Paris, 1875, p. 459) et F. Seebohm, The English Village Community, Oxford, 1883 (voir notamment les conclusions, rééd. 1915, p. 437-441).
55 Cf. supra, note 49.
56 P. Morlon, et F. Sigaut, La troublante histoire de la jachère…
57 M. Confino, Systèmes agraires et progrès agricole : l’assolement triennal en Russie aux xviiie-xixe siècles, Paris, 1969.
58 Sur le vesadoiro, voir la communication de Pegerto Saavedra dans le présent volume. Sur la charrue ukrainienne et la sokha russe : M. Confino, Systèmes agraires…, p. 110 (et spécialement la note 92) et p. 308.
59 F. Sigaut, L’agriculture et le feu…, p. 72-86 ; Id, « L’évolution technique des agricultures européennes avant l’époque industrielle », Revue archéologique du Centre de la France, 1988, p. 8-41 (p. 18).
60 P. J. Hélias, Le cheval d’orgueil, Paris, 1975, p. 26-27 ; V. Cabero, « Cultivos marginales, temporales y concejiles en las montañas galaico-leonesas : “Las Bouzas” », Congreso de Historia Rural. Siglos xv al xix. Madrid-Segovia-Toledo 1981, Madrid, 1984, p. 769-780 (p. 775).
Auteur
Chargé de recherches au CNRS.
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