Les territoires de l’herbe en Cerdagne du xiiie au xixe siècle
D’une communauté d’usage à une fermeture socio-spatiale
p. 151-168
Note de l’auteur
Que Christine Rendu trouve ici l’expression de toute notre gratitude.
Texte intégral
« Personne ne fait l’histoire, on ne la voit pas, pas plus qu’on ne voit l’herbe pousser2 »
1Bien que partageant une fonction commune, nourrir le bétail, les prés et les estives ont été souvent opposés en raison d’antagonismes apparents fondés sur des différences de localisation (fond de vallée / montagne), de statut juridique (terres privées / biens collectifs), voire de cadre spatial d’exploitation (parcelle / parcours), de type de cheptel (bovin / ovin) ou de structure sociale (gros / petits propriétaires). En Cerdagne (Pyrénées de l’Est), ces oppositions devraient être d’autant plus visibles qu’elles s’inscriraient dans l’opposition entre une plaine d’altitude portant prairies et champs et les vastes massifs pastoraux la ceinturant.
2Néanmoins, la distinction entre prés et estives n’apparaît pas aussi nette dans le détail des textes. Ni réellement privés s’ils sont l’objet d’un usage collectif, ni totalement publics à partir du moment où leur exploitation est d’abord une affaire familiale ou individuelle, ces espaces semblent devoir être interrogés dans ce rapport entre la dimension collective et l’appropriation privée3 qui permet une continuité des formes d’exploitation de l’herbe tout au long de l’année, des zones de terroirs aux aires pastorales.
3Dans cette perspective, quatre points seront successivement abordés. D’abord, si les différents espaces de l’herbe peuvent être réunis dans une même catégorie, il conviendra de définir plus précisément les prés du point de vue lexical et sémantique, mais aussi spatial. Ensuite, l’examen des conditions de gestion de l’eau en relation avec les prés offre un terrain de compréhension du rapport entre ressource et communauté et de ses enjeux politiques et territoriaux. En outre, si les espaces de l’herbe paraissent relever d’un calendrier agraire communautaire, progressivement, et sous des modalités variées, des prés et des pâtures, du quartier à la parcelle, sont soustraits aux usages collectifs. Cette dynamique de fermeture spatiale accompagne enfin un processus de concentration foncière menée par une oligarchie de grandes maisons.
Le pré : un périmètre herbager au cœur du finage ?
4Notre propos suppose, au préalable, de cerner les caractères de l’unité spatiale que les notaires nomment, tout au long de la période, pratum, prat ou pré, puis d’appréhender la place qu’elle occupe au sein du finage.
Définir les prés : les mots et les choses
5Le pré est généralement défini par les géo-ruralistes comme une prairie artificielle par opposition à la prairie naturelle4. Or, si le vocable pré semble avoir traversé les siècles, l’approche lexicale et sémantique menée à partir des sources des xiiie-xixe siècles atteste d’une complexité plus grande que ne le laisserait suggérer cette définition générique. Le lexique relatif à la parcelle herbagée s’avère assez restreint. Au bas Moyen Âge comme à l’époque moderne, les notaires usent concurremment de deux termes, pratum et pastural, sans que cette distinction apparente entre pré de fauche5 et pré à pâturer soit toujours bien tranchée6.
6En revanche, ceux-ci s’appliquent, par l’adjonction d’un substantif ou d’un adjectif, à en spécifier le statut juridique ou la forme d’exploitation. Au pré privé (pratum) ils opposent le pré « commun » (pratum tutorium, pratum comunali, pratum ville7) ; au pré ouvert, le pré mis en défens (pratum defensorum8). Commun, ouvert, fermé, les trois mots sont repris en 1769, par le viguier de Travy dans un mémoire destiné à réfuter l’utilité des enclosures en soulignant leur portée négative9. Il y décrit un système où les prés sont classés en trois catégories :
« sçavoir Preds clos, où il est prohibé à tout particulier d’y faire pâturer aucun de ses bestiaux à la réserve de son propriétaire ; Preds en devois qui ne sont point fermés de murailles, et où il est également prohibé à tout particulier d’y faire paître ses bestiaux à la réserve de son propriétaire ; Et enfin Prairie commune où il est permis à tout particulier de leur communauté respective d’y faire dépaître ses bestiaux après qu’on en a tiré le premier foin jusqu’à la Saint Michel du mois de May. »
7Le statut de prairie commune montre toute l’ambiguïté de ces espaces : n’est-elle pas composée de la somme des prés privés une fois passé le temps de la fenaison ? Par ailleurs, ni cette alternance des usages, ni cette classification ne peuvent être considérées comme définitives car nombreux sont les actes qui mentionnent des associations entre pré et champ10, pré et verger11 ou pré et moulin12, ce qui témoigne d’une imbrication de paysages et de pratiques culturales au sein des quartiers de prés, mais aussi de structures pouvant relever de formes d’appropriation différentes.
8Cette première recension suffit à prendre la mesure de la complexité du système. Un élément distingue cependant les prés des champs, des vignes ou des jardins : parcelle relevant de l’appropriation privée, le pré n’en a pas moins vocation à s’ouvrir au bétail d’autres exploitants, une fois le foin enlevé. Et c’est précisément cette imbrication d’utilisateurs qui place le pré à la croisée des usages domestiques, intra-communautaires et inter-communautaires.
L’inscription spatiale des prés
9À grande échelle, les prés prennent la forme de parcelles identifiées de manière systématique dans la documentation postérieure au xve siècle par leurs confronts et leur superficie. Contrairement aux champs, ces parcelles de prés apparaissent comme des éléments pérennes qui résistent plus fortement aux fusions ou aux divisions parcellaires13. À l’opposé, les estives sont découpées en une série de parcours qui se déploient à partir des cabanes et dont les territoires peuvent varier en fonction d’une multiplicité de facteurs conjugués14.
10À petite échelle, deux cas de figure paraissent s’opposer. D’un côté on trouve des prés disjoints de l’espace cultivé et insérés dans les communs à une altitude de 1600-1800 m dans des structures appelées cortals15. La dépaissance des troupeaux peut alors s’effectuer à partir de ces postes avancés implantés dans l’espace collectif : ces prés constituent dans ce cas une zone relais dans la montée puis la descente des troupeaux à l’avant comme à l’arrière-saison. Surtout, ces îlots appropriés au milieu des pâtures communes montrent que la différenciation des espaces de l’herbe n’est pas ici une question d’altitude, mais relève d’autres facteurs, comme les formes d’appropriation ou d’exploitation possibles d’un même type d’espace.
11Contrairement à ces structures isolées, l’existence de quartiers compacts de prés intégrés dans les terroirs paraît s’expliquer par un rapport à la distance, aux cours d’eau d’abord, aux habitats ensuite. À Estavar, l’analyse des plans et des matrices cadastrales de 1829 à l’intérieur d’un Système d’Information Géographique montre que les prés constituent 97 % des parcelles dans une zone tampon de 100 mètres autour du réseau hydrographique alors qu’ils ne représentent que 12 % du nombre total des espaces cadastrés. De même, ils sont situés à moins de 0,5 km des habitats16. Cette structure spatiale s’explique par la fréquence des opérations qui jalonnent l’exploitation des prés d’une part17 et par l’impératif d’arrosage d’autre part. Les cortals ne dérogent pas à la règle, situés également à proximité d’un point d’eau. Si pour faire un pré, il faut de l’eau, celle-ci n’est pas une ressource disponible et mobilisable en tout point d’un terroir. Avant l’édification des grands canaux d’irrigation à l’époque contemporaine, comment les relations entre ces deux ressources forment-elles un espace spécifique ?
La part de l’eau, l’espace des prés
12Les prés présentent une stabilité spatiale apparente. En effet, l’analyse d’une série de capbreus (terriers) de l’époque moderne pour Estavar montre que l’espace des prés change peu entre le xvie et le xixe siècle. Il est essentiellement constitué de parcelles de même nature, qui confrontent au réseau hydrographique. Dans ce terroir, le nombre de parcelles de prés est stable, autour de 70, ce qui ne s’explique que par la faible extension d’un réseau hydrographique entravé par de fortes contraintes de pente et de débit. Comment construire de nouveaux prés, sans disposer d’un accès à l’eau ?
13Néanmoins, un examen plus approfondi de la documentation montre que la superficie totale des prés a augmenté de 10 ha entre le xvie et le xviiie siècle. Si le nombre de prés est sensiblement équivalent, cet accroissement de la surface en herbe ne s’explique que par l’extension des parcelles : d’une superficie moyenne de 0,44 ha en 1564, elles s’étendent sur 0,58 ha en 1782. La mixité culturale de certaines parcelles, comme le voisinage des terres arables voire des chemins et des vacants offrent des possibilités de mises en herbage de ces espaces, après construction de canaux et de rigoles. De nombreuses mentions attestent que des portions de lits de rivière ont été converties en prés, ce qui accentue encore plus les risques d’inondation18 comme les conflits avec les communautés limitrophes19. Les prés ne peuvent se multiplier que dans le sillage de l’eau. Le déblocage de cette situation intervient progressivement, entre 1800 et 1860, lorsque de grands canaux d’irrigation sont construits à travers la Cerdagne, parfois sur plus d’une dizaine de km. Puisant dans cette nouvelle manne aquifère, de jeunes prés sont construits, disjoints des quartiers de vieux prés. L’ensemble, fermé de murets, constitue un surprenant bocage pyrénéen20. Intrigante, cette fermeture des prés est aussi contemporaine de l’accélération de l’exode rural en direction des villes et des plaines21.
14Ouverts ou fermés, au cœur des terroirs ou à leur marge, les prés paraissent se distinguer des autres territoires de l’herbe par la conjonction de deux facteurs : une appropriation privée à mettre en relation avec les lourds procédés de construction et de production pour faire de l’herbe ; et un indispensable recours à l’eau, qui tend à « naturaliser » les prés pour les intégrer pleinement aux cycles végétaux. Or, la question de l’eau, gérée collectivement mais indispensable individuellement, ne permet-elle pas de penser ce qui relève de l’appropriation d’un seul avec les prétentions de tous ? Un texte de l’époque révolutionnaire permet de saisir les enjeux de l’usage d’une même ressource, tantôt en terme politique, tantôt en terme de contrôle social, enjeux qui apparaissent d’autant plus forts que le nombre de prés demeure faible jusqu’au milieu du xixe siècle. En 1802 un homme de Nahuja est accusé d’abuser de l’arrosage pour un pré qu’il tient en afferme22. Plusieurs habitants du lieu témoignent en sa faveur dans un document notarial, dont l’objectif est, semble-t-il, d’influer sur la tenue d’un procès public en intimidant l’accusateur par le nombre de ses contradicteurs. Cet état de tension apparent qui s’empare du village pour un problème de voisinage pourrait surprendre sauf à considérer la portée réelle des enjeux. D’abord, l’adduction d’eau relève d’une structure collective puisqu’un même canal dessert cinq prés différents appartenant à autant de propriétaires. Ensuite, les témoins affirment avoir vu le fermier incriminé utiliser l’eau « aux jours indiqués par le règlement de la commune » qui organise la répartition de tours d’eau entre les différents propriétaires de parcelles. À travers les témoignages recueillis, le texte donne donc à voir ce partage et cette visibilité de la gestion de l’eau dans l’espace de tous et les propriétés de chacun. Ce jeu de regards constitue, dès lors, une sorte de système panoptique qui favorise son efficacité et son autorégulation, en rendant la contrainte acceptable par sa visibilité et sa réciprocité. Par ailleurs, si ce règlement s’énonce localement, les conflits peuvent être institués à l’extérieur de la communauté, par le recours à la justice ou à l’autorité étatique, ce qui permet d’une part d’éviter les affrontements paroxystiques dans le village, et d’autre part d’affirmer le caractère public de la ressource. À la manière d’une loupe grossissante, la gestion de l’eau permet d’appréhender la structuration des usages collectifs en fonction des rapports sociaux, des pouvoirs ou des territoires. Si, au Moyen Âge, le captage des eaux courantes s’inscrit dans les cadres de la seigneurie23, à l’époque moderne, l’appartenance territoriale et l’accès à ses ressources dépendent de la résidence24. Au xixe siècle, le débat porte plutôt sur les limites à donner à la propriété foncière, qui s’étend même, pour la cour d’appel de Montpellier, aux canaux mitoyens25. Ces tensions nées des usages en partage d’une même ressource remettent sans cesse en jeu le statut des espaces, accessibles ou non à l’appropriation individuelle. Concrètement, contrôle de l’eau et fermeture de l’accès à l’herbe fonctionnent, dans des tonalités différentes, en miroir.
Au bas Moyen Âge : limitation des droits et fermeture des herbages
15Au bas Moyen Âge, la dépaissance s’organise sur la base d’un calendrier mettant en relation terrains de parcours et prairies et dont l’équilibre repose sur un dosage d’ouvertures et de fermetures des différents herbages dans le cadre de co-spatialités. En instrumentant les ressorts juridiques de la seigneurie et de la communauté, une élite de maisons verrouille progressivement l’accès aux pâturages et aux prés.
Les prés, parcelles privées ouvertes à l’appropriation collective
16La production de fourrage repose sur un calendrier fixé par le cycle végétal qui voit se succéder première herbe, regain et herbes d’hiver. Chaque cycle, selon qu’il s’agisse de pâture ou de fauche, détermine l’ouverture ou la fermeture du pré de chacun à l’usage collectif suivant des modalités fort souples et déclinées à différentes échelles26. À Greixèr, le règlement s’effectue entre deux communautés : des calendes de mars au quinzième jour après la Saint Michel de septembre les prés demeurent à l’usage exclusif des hommes du lieu ; puis, jusqu’aux calendes de mars suivantes, ils s’ouvrent au cheptel du village voisin d’All pour le regain puis l’herbe sèche27.
17Les prés sont donc des périmètres d’appropriation mixte dotés d’une puissante dimension intégrative : parcelles soumises à l’appropriation privée, elles n’en ont pas moins vocation à s’ouvrir, une partie de l’année, à des cycles d’exploitation communautaire contraignants, qu’il s’agisse de pâture ou d’irrigation28. Cette ouverture à une cascade d’ayant droits, personnes privées ou communautés, explique que les prés soient placés au centre d’enjeux qui mobilisent les cadres seigneuriaux, communautaires et domestiques.
18« Chose commune », pour reprendre l’expression de Marc Bloch29, les espaces de l’herbe peuvent s’ouvrir aux habitants de plusieurs villages ce qui donne jour à des dynamiques spatiales mobilisant plusieurs échelons d’appartenances communautaires. Sur le haut du versant, l’exploitation des estives relève de communautés d’habitants emboîtées sur plusieurs niveaux, de la vallée au hameau30. Sur le terrain, l’accès s’effectue sur la base d’un faisceau de droits sans cesse mobilisés et redéfinis31.
19Pour les prés, les possibilités d’ouverture s’inscrivent à différents degrés. À l’échelon intra-communautaire, l’accès à l’herbe repose sur des vecteurs à la fois privés et collectifs. Une palette de transactions (ventes de parcelles ou de charges d’herbes, location ad tempus) construit un véritable circuit de l’herbe entre les maisons32 En outre, chaque finage semble disposer d’un périmètre herbager ouvert au bétail de l’ensemble de la communauté, pâture que les notaires de Puigcerdà nomment pratum tutorium33. Si l’association pratum tutorium / nom de village invite à le définir comme un pré commun, les modalités concrètes qui en règlent l’accès, en terme de droits et de type de bétail, ne font guère l’objet d’explicitation34.
20À l’échelon inter-communautaire, des dynamiques spatiales originales sont à l’œuvre. Certains quartiers de prés peuvent ainsi s’ouvrir au bétail du village voisin35. D’autres dessinent des agencements de pâtures plus complexes. Dans le finage des Angles, les habitants des Angles et des villages voisins de Matemale et de Conangle travaillent plusieurs prés au lieu-dit Les Toltes36. Dans le terroir de Ripparia, aux confins des paroisses d’Ur, d’Hix et d’Enveig, un pré mis en défens en 1265 est limité par un chemin, une rivière, les prés appartenant à Pere de Brangolí et à Examini de Ur, le prato comuni quod dicitur de Feners37 et le prato tutori de Ur38. Au xiiie siècle, ces prairies constituent donc un quartier de dépaissance intercommunautaire dont l’exploitation repose sur l’appropriation privée sur les prés communs des habitants du finage (la todorià d’Ur) et sur ceux d’une communauté installée plus haut sur le versant, Feners39. Au bas Moyen Âge, des organisations spatiales d’une grande souplesse (construction de nouveaux prés40, imbrication des usagers) s’entrecroisent donc, à différentes échelles, pour assurer l’entretien du cheptel de chaque communauté d’habitants. Toutefois, une tendance à la limitation des droits des utilisateurs et à la délimitation plus stricte de certains herbages se fait jour.
Limitation des droits des utilisateurs et délimitation des périmètres herbagers
21Dans un contexte d’essor pastoral s’esquisse un puissant mouvement de contrôle de l’accès aux herbages, communs et privés, au bénéfice d’un groupe de maisons cossues. Sur les estives, une cascade d’arbitrages impliquant différents ressorts communautaires réorganisent la dépaissance des troupeaux en (re)définissant zones d’exclusivité villageoise et zones de compascuité intercommunautaires. D’un bout à l’autre de la Cerdagne, les estives sont donc progressivement découpées en quartiers aux conditions d’accès différenciées41. Sur le port du Puymorens par exemple, un accord passé en 1297 entre la communauté des habitants de la vallée du Carol et les consuls de Puigcerdà définit le Campcardós, la soulane du Puymorens et la soulane de Salit comme devèses des habitants de la vallée. En revanche, le reste des vacants conserve le statut de zone de compascuité entre les deux communautés, modulé toutefois : les habitants de la vallée se réservent, pendant quinze jours, l’exclusivité de l’herbe qu’ils faucheraient.
22Au pied des estives, les communautés s’appliquent aussi à restreindre voire à interdire l’usage collectif de certains herbages. Les versants se couvrent de vastes devèses communautaires où l’accès des forains est subordonné à l’universitas du lieu42. Parallèlement, nombre de prés sont mis en défens c’est-à-dire soustraits aux cycles d’utilisation communautaires43 ce qui offre aux propriétaires l’exclusivité du regain qu’ils peuvent faucher44 ou parfois louer45. Cependant, ces fermetures ne vont pas de soi et les chartes ne manquent pas qui dénoncent ce type de pratique, obligeant dès lors à un artifice notarial46. En qualifiant de devesa antiqua ces nouveaux défens, les notaires parent cette fermeture, qui trouble les cadres anciens, du sceau de la légitimité conférée à l’immémorial.
23À cette restriction de l’usage collectif fait écho une volonté de contrôle des surfaces mises en prés dont la dimension sociale affleure dans deux chartes des années 1290 et 1390 qui s’inscrivent dans un contexte socio-juridique marqué par la forte hiérarchisation des rapports sociaux entre maisons47 et les différences d’intégration de ces maisons dans les cadres de la seigneurie. Autour d’une strate de maisons cossues contrôlant la terre et l’accès aux vacants (les tenants-manses) gravite, au bas Moyen Âge, un tissu de cellules domestiques plus modestes et subordonnées à ces grandes maisons. Dans une situation de pression démographique et économique, les enjeux concernant les herbages, et surtout les prés, se placent dès lors à la croisée de la volonté de statu quo des élites villageoises et du désir d’ascension sociale d’une strate intermédiaire de maisons qui aspirent au statut de vicini de plein droit48. En 1291, les représentants de Guils-de-Cerdanya font enregistrer devant notaire une réglementation sur la mise en culture de nouveaux prés49 : les habitants du village qui possèdent au moins un pré ne peuvent en mettre en culture d’autres ; il s’agit sans doute de limiter la faim d’extension de certains exploitants. En revanche, les individus n’en possédant pas sont autorisés à en ouvrir un seul et non plusieurs. Ce fragile équilibre cache mal le véritable enjeu de l’acte qui semble de freiner l’ascension des maisons moyennes en leur interdisant la mise en prés de nouvelles terres. L’acte fixerait donc, au profit de quelques puissantes maisons, la répartition des prés. Le second texte, postérieur, concerne le paiement au roi des redevances dues pour certains prés situés à Alp50. Le premier item porte sur la redistribution de l’abonnement annuel. Les hommes « non acensés » s’engagent à verser « à ceux qui font le cens » dix florins pour leurs prés51. Dans le même ordre d’idée, le second item porte sur la partition du cens dû au roi pour les prés non mis en défens : celui-ci doit être partagé entre les « asençats » (2/3) et les « non acensés » (1/3). L’acte laisse donc entrevoir de fortes tensions qui paraissent liées aux différences de statut juridictionnel des maisons. Bien que nous ne disposions pas de tous les tenants et aboutissants, il semble bien que ces dispositions obligent les « non acensés » à intégrer les cadres de la seigneurie royale ce qui, en retour, légitime leur droit d’accès aux prés.
24Le lien entre ce verrouillage des prés et l’organisation de la dépaissance sur l’ensemble du finage transparaît à la lumière de trois éléments qui font système. Dans une région marquée par l’implantation de lignages puissants, l’espace des prés apparaît étroitement canalisé par la seigneurie. En acceptant que la mise en culture de l’herbe relève de l’autorisation du seigneur, les maisons trouvent là un canal idoine pour légitimer la fermeture de certains prés mais aussi pour canaliser une possible augmentation de leur nombre52. Par ailleurs, le ballet des prés et de l’herbe cache mal la rigidité du système. Le contrôle de la construction des prés, le recentrage du circuit de l’herbe sur les grandes maisons possédant plusieurs prés53, voilà autant de pratiques mises en œuvre par un groupe de maisons cossues pour contrôler l’extension des prés et leur ouverture. Enfin, comme la taille du cheptel de chaque exploitation dépend largement des ressources en pâture et en foin, le partage social des périmètres herbagers repose de facto sur l’articulation entre le volume de bétail possédé, la surface en pré d’une exploitation et les modes d’accès aux estives. En s’assurant l’exclusivité d’une partie de l’herbe cultivée, les maisons les plus puissantes restreignent dès lors l’accès des petits patrimoines aux estives54.
Renversement de situation : l’affirmation du régime de la propriété sur l’herbe à l’époque moderne et contemporaine
25À l’époque moderne, l’appropriation restreinte des prés dans un cercle de plus en plus étroit redouble d’intensité grâce à deux procédés associés. Le premier est la fermeture juridique des prés à l’usage commun sans qu’il y ait de sanctions de la part de la communauté55. Significativement, ces fermetures apparaissent encore comme des nouveautés en 1700 lorsque le viguier de Travy les dénonce vivement56, preuve qu’on assiste à un changement très progressif (les mises en défens sont attestées dès le xiiie siècle) qui est encore ramené à ce qui est toujours perçu comme la norme : l’ouverture des prés après la fenaison. Le second procédé est la concentration foncière dont les effets sont d’autant plus forts que le nombre de prés paraît faible et que leur utilisation se restreint. La documentation, du xvie au xixe siècle, permet d’éclairer ces deux processus, d’en livrer la mesure et d’en esquisser les conséquences sur le plan social.
26Déterminer le nombre de prés permet d’abord de prendre la mesure d’une rareté qui renforce ensuite les effets de leur concentration par un petit groupe de maisons. D’une manière générale, les différents types de sources montrent que les prés constituent de 10 à 20 % des parcelles, parfois moins, rarement plus, contre 80 % pour les terres labourables. Impressionniste, cette première pesée se précise avec l’enquête systématique de 1730 dans les communautés de Cerdagne française qui souligne les faibles superficies de prés par rapport au cheptel dénombré. En effet, celles-ci paraissent très insuffisantes par rapport au nombre d’animaux recensés. Le nombre de bêtes grosses, celles qui restent durant l’hiver et se nourrissent en grande partie de l’herbe fauchée, est de plus de 6 par ha de pré, alors que ce rapport, d’un strict point de vue agronomique, doit être de 157. Voici donc un véritable déficit en fourrage en l’absence d’une gestion fine des ressources disponibles ou de remues animales vers d’autres régions58. Il y a d’autant moins de prés que leur utilisation se restreint de plus en plus au régime de la propriété. Or, celle-ci tend à se concentrer entre les mains d’un petit nombre de grandes maisons.
27Trois capbreus et deux documents fiscaux ont été utilisés dans le graphique de la page 168, où les exploitations ont été classées selon la superficie. Le recours aux pourcentages s’est imposé pour rendre comparables des documents, fiscaux et seigneuriaux, qui abordent différemment les mêmes espaces. D’une manière générale, entre le xvie et le xixe siècle, un triple processus est à l’œuvre. Il associe une progressive concentration foncière entre les mains d’un petit nombre de grandes maisons, parallèlement à la multiplication des petits exploitants et à l’effondrement voire à la quasi-disparition des moyennes propriétés. Les prés jouent le rôle de pivot dans la constitution de cette hiérarchie foncière, puisqu’en permettant l’entretien des bêtes grosses indispensables au travail aratoire, ils déterminent les superficies de terres qui peuvent être labourées. Cette dynamique de concentration foncière connaît deux phases. D’abord, du bas Moyen Âge au xviie siècle, le marché de la terre apparaît relativement fluide, les prés circulent et se vendent, jusqu’à ce qu’ils soient captés et fixés par une grande maison. À Estavar, si les propriétaires de plus de 10 ha possèdent 49 % des superficies de prés en 1568, ils en détiennent près de 80 % en 1682.
28Ensuite, les prés deviennent captifs d’un marché restreint où les grands propriétaires s’échangent leurs parcelles faute de pouvoir en acquérir de nouvelles59. La situation constitue alors une sorte d’équilibre des puissances et des pouvoirs au village, où la volonté d’acquisition d’un grand propriétaire se heurte à celle de ses égaux.
29Par ailleurs, cette concentration foncière accentue les inégalités d’accès aux terres communes. Pour l’élevage, le nombre d’ovins autorisés à pacager est calculé pour chaque propriétaire en fonction des terres cultivées tandis que le nombre de bovins est estimé au prorata des superficies en prés60. Cette intégration de l’élevage dans un rapport aux surfaces possédées renforce le régime de la propriété qui devient désormais le principe permettant l’utilisation des terres communes. Il y a là un renversement complet avec les modalités d’accès observées au Moyen Âge. De plus, cette règle qui consiste à délivrer un accès privilégié aux estives aux gros propriétaires prive les habitants les plus humbles des revenus complémentaires de l’élevage. La meilleure analyse des enjeux de ces changements est sans doute celle qu’expose alors le viguier de la Cerdagne à propos des cultures temporaires, pratiquées sur les hermes et les vacants61 :
« il est à observer que les habitans de cette basse classe s’occupent ordinairement à cultiver des terres communes au pied des montagnes et ne les sèment que par deux fois seulement, les abandonnant après, pour l’engrais desquelles ils ont besoin de toute nécessité de quelques bêtes, soit à corne ou à laine. Ces habitans qui se trouvent sans un pan de pred à leur propre ny de terre champ en la plaine profitent de l’usage à eux permis d’introduire leurs bestiaux dans ces prairies communes pour y depaître pendant l’espace de temps ci-dessus marqué ce qui serait les priver d’en nourrir totalement et que par concéquent ne pouvant fumer ces terres qui sont de la dernière qualité les voilà réduits à décamper ou à vivre très misérablement62.»
30Posséder et enclore : à laisser filer les mots du viguier de Travy, ces termes restent ancrés dans les territoires cerdans comme les deux principaux procédés de transformation des différentes formes d’appropriation possibles du sol en un seul et même rapport au territoire : celui que fonde la propriété triomphante du xixe siècle.
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31Si le terme paraît porteur de continuité voire d’immobilisme, le pré du xiiie siècle n’est pas celui du xviiie siècle finissant tant il a fait l’objet de recompositions spatiales et sociales. Parcelle délimitée, il s’articule avec les estives et les landes dans la construction d’un pastoralisme générateur de dynamiques spatiales complexes puisque bâties sur une gamme de statuts allant de l’ouverture à la fermeture, du temporaire au permanent. Les prés sont au centre d’un faisceau d’enjeux reposant sur deux logiques. D’un côté, les communautés insistent sur les droits de l’habitant à assurer l’entretien de son cheptel. En apparence égalitaire, le système fonctionne cependant de manière très inégalitaire, les grandes maisons cherchant à s’arroger le monopole de l’herbe pour capter les bénéfices d’un pastoralisme florissant. Entre le xiiie et le xixe siècle, le processus de restriction des usages communautaires et de limitation du nombre de prés constitue la clef de voûte d’une transformation du statut des prés et, au-delà de l’herbe, au profit d’un petit nombre de propriétaires. En maîtrisant les accès à l’herbe privée et commune, les oligarchies villageoises contrôlent les différents ressorts de la production économique et de la reproduction sociale. À l’époque moderne, les plus humbles n’ont dès lors d’autre possibilité que de s’employer dans la dépendance d’un grand propriétaire, de développer un élevage ovin sur d’autres espaces et d’autres lieux ou d’émigrer.
Notes de bas de page
2 Boris Pasternak cité par Claude Simon, L’herbe, Paris, 1958, p. 7.
3 Cette question a été défrichée et problématisée par Roland Viader, L’Andorre du ixe au xive siècle. Montagne, féodalité et communautés, Toulouse, 2004.
4 Marcel Lachiver, Dictionnaire du monde rural. Les mots du passé, Paris, 1997. Les auteurs apportent souvent un surcroît de précisions relatives à leur formation végétale, à leur forme d’exploitation (fauche ou pâture) ou à leur statut juridique (pré privé ou communal, ouvert ou mis en défens).
5 Les historiens ruralistes identifient communément le pratum au pré de fauche (Henri Falque-Vert, Les hommes et la montagne en Dauphiné au xiiie siècle, Grenoble, 1997, p. 67-68, Nicolas Carrier, La vie montagnarde en Faucigny à la fin du Moyen Âge. Économie et société fin xiiie-début xve siècle, Paris, 2001, p. 186). Dans leur travail sur des vallées du Pallars et de Cerdagne, Clara Arbuès et Jaume Oliver différencient eux le prat dallador (pré de fauche) du prat de pastura (pré à pâturer) dans « Pocs prats i tant masos. Els prats en els espais agraris feudals de muntanya : els casos de Sorre (Vall d’Assuà : Pallars Sobirà) i Mùsser (Bàrida-Cerdanya) », dans M. T. Ferrer Maillol (dir.), El mas català durant l’Edat Mitjana i la moderna (s. IX-XVIII). Aspectes arqueólogics, histórics, geogràfics, arquitectónics i antropológics, 2001, p. 3-4.
6 Arxiu Comarcal de Cerdanya (acc), Liber Manualis 1424, R. Maurí et F. Planella, fo 68 : à Quer Seneyllat (dans la vallée de Carol) des prés confrontent un pastural. Jaume Martí Sanjaume, Dietari de Puigcerdà amb sa vegueria de Cerdanya i sots vegueria de Vall de Ribes, Ripoll, 1926, vol. 2, p. 745-750 : en 1294, un accord entre les universités de Bellver et de Pí porte sur les tutoria seu salidosa et pasturalia des bords du Sègre. À Mùsser, en 1575, le notaire établit une différence subtile entre les jardins, les champs semés, les ferratges sembrats (les fourrages semés), les prats (les prés), les deffensories (les défens) et les pasturals (C. Arbuès, Els espais agraris feudals de muntanya. L’exemple de Músser (Bàrida), Memoria de recerca, Universitat Autonoma de Barcelona, 1998, p. 108-110).
7 En catalan la todoria, le prat del comú ou le prat de la vila.
8 En catalan la devesa.
9 Arch. départ. Pyr. Orient., 1C1501, mémoire du Sieur de Travy.
10 Les mentions sont fort nombreuses, dans les registres des notaires de Puigcerdà, de pratum cum terra ou de terra cum prati.
11 acc, Liber Firmitatis et Extraneorum 1402-1404, Ramon Maurí, fo 44 : mention d’un prato cum arboribus aquariis et aliis suis juribus à Sant Martí d’Aravó. Dans un terrier de 1682, un pré est, à trois reprises, associé à une saulée quandam pratum cum quandam salita (Estavar-Bajanda, Vicomté d’Evol : Arch. départ. Pyr. Orient., 3E88 / 15, fo 19r° ; 37r° ; 51 r°), d’autres sont même construits en terrasse (fo 34v° : Item, quandam feixam terra prati tenuta unius jugeris).
12 Élisabeth Bille, Seigneurs, maisons et vacants. La Cerdagne du xe au xive siècle, thèse, Université Toulouse-Le-Mirail, 2004, vol. II, dactyl., p. 298.
13 Marc Conesa, « Capbreus et paysages. Remarques sur l’utilisation d’une source seigneuriale dans l’étude des paysages des Pyrénées de l’Est (Cerdagne, xvie-xviiie siècle) », liame, no 14, Cadastres et paysages, 2007, p. 87-124.
14 Mélanie Le Couédic, « Les pratiques de l’espace pastoral dans la longue durée : modélisation des parcours de troupeaux dans la haute montagne pyrénéenne », rtp Modys, 8-9/nov. 2006, http://www.univ-tours.fr/isa/modys/download/rd06_lecouedic.pdf.
15 Élisabeth Bille, Marc Conesa, Roland Viader, « L’appropriation des espaces communautaires dans l’est des Pyrénées médiévales et modernes : enquête sur les cortals », dans Les espaces collectifs dans les campagnes, xie-xxie s., Clermont-Ferrand, 2007, p. 177-194. Ces cortals s’apparentent aux cellae du haut Dauphiné (H. Falque Vert, Les hommes et la montagne…, p. 71-72) et aux chalets du Faucigny (N. Carrier, La vie montagnarde en Faucigny…, p. 186). Pour l’époque moderne, M. Chevalier, La vie humaine dans les Pyrénées ariégeoises, Paris, 1956, p. 136.
16 Cette configuration spatiale est à rapprocher des descriptions classiques de finages, comme à Saint-Martin en Vésubie vers 1490, où les prés se distribuent tout autour du village : Jean-Paul Boyer, Hommes et communautés du haut pays niçois médiéval. La Vésubie (xiiie-xve siècles), Nice, 1990, p. 164-166.
17 Les prés sont des espaces cultivés, le terme apparaît chez plusieurs agronomes, qui nécessitent plusieurs opérations techniques de production. La fumure régulière, l’arrosage, la sélection de types d’herbe au détriment d’autres, les fauches régulières ; l’entretien des rigoles et des canaux et même la chasse qu’il faut donner aux taupes sont autant d’interventions indissociables de cette culture. Voir Olivier de Serres, Le Théâtre d’Agriculture et Mesnage des Champs d’Olivier de Serres seigneur du Pradel dans lequel est représenté tout ce qui est requis et nécessaire pour bien dresser, gouverner, enrichir et embellir la Maison Rustique, 1600, p. 261-270.
18 Une supplique de 1667 fait par exemple état « que en lo dit lloch de Estava estan los prats contigos a las Riberas las quals moltas vegadas per las grans inondations de aigua sen aporta aquelles y resta sen hierba » (Arch. départ. Pyr. Orient., 9B, p710, suplica del Magnifich Lluis Coder) ; en 1789 « notre terroir environné de deux rivières et une au milieu par les inondations causent des dommages irréparables […] » : Étienne Frenay, Cahiers de doléances de la province de Roussillon (1789), Perpignan, 1979, p. 304.
19 À Estavar, l’incertaine ligne de partage des eaux et les risques d’inondation poussent aux conflits ouverts entre les villageois et la population du village voisin, l’enclave espagnole de Llivia (Arch. départ. Pyr. Orient., 60EDT13, registre de la commune d’Estavar, compte rendu du 21-5-1807).
20 Nous renvoyons à Daniel Faucher, « Le bocage pyrénéen », Revue Géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, 1931, p. 362-365 et à M. Chevalier, La vie humaine…, p. 209 sq.
21 Christine Rendu, La montagne d’Enveig. Une estive pyrénéenne dans la longue durée, Perpignan, 2003, p. 47-49 ; André Etchelecou, Transition démographique et système coutumier dans les Pyrénées occidentales, Paris, 1991.
22 Arch. départ. Pyr. Orient., 3E56/59, acte no 59 (an X).
23 E. Bille, Seigneurs, maisons et vacants…, vol. II, p. 335.
24 Ce qui est une manière de faire la communauté sans les forains (ou non résidents) : voir les criées de Palau-de-Cerdagne (Arch. départ. Pyr. Orient., 3E56/3, 1759).
25 L. Assier-Andrieu, Le peuple et la loi…, p. 97-101.
26 Henri Cavaillès fait remarquer que l’herbe peut être jusqu’à trois fois fauchée dans l’année (H. Cavaillès, « La haute vallée du Gave de Pau… », p. 523).
27 Élisabeth Bille, « Remarques sur les modes de spatialisation des droits et des pratiques sur les vacants en Cerdagne du xiie au xive siècles », dans Aymat Catafau (dir), Les ressources naturelles des Pyrénées du Moyen Âge à l’époque Moderne. Exploitation, gestion, appropriation, Perpignan, 2005, p. 244-245.
28 De manière théorique, Louis Assier-Andrieu relève l’importance de ces « pratiques liées à l’organisation communautaire de la production » (Le peuple et la loi…, p. 353).
29 Marc Bloch cité dans C. Rendu, La montagne d’Enveig…, p. 462.
30 Roland Viader, « Les communautés montagnardes de la vallée à la maison », Le Moyen Âge dans les Pyrénées catalanes. Études Roussillonnaises, t. XXI, 2005, p. 33.
31 É. Bille, « Remarques sur les modes de spatialisation… », p. 249-252.
32 É. Bille, Seigneurs, maisons, vacants…, vol. II, p. 301.
33 Si la formulation vernaculaire prat de la vila apparaît à quelques reprises dans les actes (Arch. départ. Pyr. Orient., 1B15, fo 95 et fo 96), les notaires de Puigcerdà usent plus volontiers de l’expression pratum tutorium, laquelle s’efface progressivement à partir du xve siècle devant les termes catalans todorià et tudó. Le toponyme est porté dès 1392 par un groupe de prés situés à Matamala (Arch. départ. Pyr. Orient., B. Alart, Cartulaire manuscrit, vol. H, p. 226-227). Plusieurs lieux-dits el Tudó sont mentionnés comme portant des prés dans les cadastres « napoléoniens » du xixe siècle.
34 É. Bille, Seigneurs, maisons, vacants…, vol. II, p. 335. Cette identification à la terre commune est renforcée par le fait que les saulnaies (J. Martí Sanjaume, Dietari…, p. 745-750) ou des étendues sableuses (acc, Liber Extraneorum, 1323-1324, B. de Neva et G. Hualart, fo 4) sont aussi qualifiées de todories. Datées de 1485, les Ordinationes de Puigcerdà précisent que les todories de la ville sont ouvertes aux animaux del comú de la vila mais rien n’est dit sur le type de bétail (gros ou menu), son origine (citadin ou forain) ou le mode de pacage (Salvador Galcerán Vigué, La industria i el comerç a Cerdanya. Estudí ecónomic i polític segons les « Ordinacions del Mustassaph », Barcelone, 1978, p. 185). À l’époque moderne, les todories sont ouvertes au troupeau commun constitué des bêtes des plus petits propriétaires de la communauté d’habitants.
35 Cest le cas des prés du torrent de Riel à Greixèr.
36 Arch. départ. Pyr. Orient., B. Alart, Cartulaire manuscrit, vol. H, p. 227-228.
37 Quelques années plus tard, un prato de Feners est cité aux limites des finages d’Hix et d’Ur (ACC, Liber Extraneorum 1293-1294, fo 96v°).
38 J. Martí Sanjaume, Dietari…, Apendix no XXXVIII. Ces bandes de lourdes terres situées à la confluence du Carol et du Rahur sont des terroirs idoines pour la construction de prés.
39 Sur la rive gauche du Rahur, un vaste plat situé aux limites des communes d’Ur, de Bourg-Madame (Hix) et Llivia est appelé les Empradells. Sans doute dérivé du latin adempramentum, le toponyme pourrait faire référence à une zone d’empriu (« zone de pâturage qu’une communauté partage avec ses voisins par opposition au terme (à son territoire) propre » : C. Rendu, La montagne d’Enveig…, p. 587) des communautés voisines sur le territoire d’Ur.
40 Les registres notariés consignent des conversions de champs ou de terres hermes en prés (acc, Liber Extraneorum 1301-1302, P. d’Ondzes et P. de Coguls, f° 63 et Liber Extraneorum., 1322-1322, Ar. Estève, fo 41). En haut Dauphiné, H. Falque-Vert, Les hommes et la montagne…, p. 68.
41 Pour un positionnement de la question, C. Rendu, La montagne d’Enveig…, et É. Bille, Seigneurs, maisons, vacants…, vol. II, p. 275-283.
42 Idem, p. 333-335.
43 Les mentions de pratum defensorum (que le notaire distingue soigneusement des autres prés) et d’autorisations de mettre en défens des terres, la multiplication des arbitrages dans lesquels il est question de prés qualifiés de devesias et à ce titre fermés aux voisins, sont autant d’indices d’une recherche d’exclusivité voire de fermeture (idem, p. 340-341).
44 Le propriétaire s’assure ainsi la première fauche (le dall) et le regain (le redall). Les mises en défens prononcées s’étalent généralement des calendes de mars à la Saint-Jean, période où adultes et jeunes animaux fréquentent les herbages en train de pousser.
45 En Cerdagne, les ventes d’herbe coupée ou sur pied ont donné lieu à de nombreux contrats notariés au bas Moyen Âge (idem, p. 304-306) comme au xviiie siècle (Marc Conesa, « L’herbe et la terre. Communautés rurales de Cerdagne française au xviiie siècle et accès aux estives : un lien structurant », dans Aymat Catafau (dir), Les ressources naturelles des Pyrénées…, p. 115).
46 Arch. départ. Pyr. Orient,. B. Alart, Cartulaire manuscrit, vol. H, p. 230-231 : les représentants de la communauté de La Llagone, mettent en accusation Guillem Jordà pour avoir interdit l’accès a tot bestiar de pasquer o del vesinal sur les prés qu’il posséde à La Redona.
47 Louis Assier-Andrieu, Coutumes et rapports sociaux. Étude anthropologique des communautés rurales de Capcir, Paris, 1981, p. 9-12. B. Cursente, Des maisons et des hommes…
48 Bien que le système n’apparaisse pas avec autant de netteté, il y a fort à parier qu’il s’agit là d’un mouvement semblable à celui qui oppose, en Béarn, casalers et botoys. Sur le manse et la borde, É. Bille, Seigneurs, maisons et vacants…, vol. II, p. 372-373.
49 acc, Liber Extraneorum 1291-1292, M. de Oliana, f° 41.
50 C. Rendu, La montagne d’Enveig…, p. 462 (Arch. départ. Pyr. Orient., 7J45, fonds Salsas).
51 Dix florins est la somme pour laquelle le roi acense les grandes devèses aux communautés du Capcir en 1392. Les hommes dits asençats / que fan lo cens sont sans doute ceux qui tiennent tenure (manse ou borde) pour le roi : ils doivent une redevance dont le montant n’est pas indiqué pour les prés. Les « non acensés » seraient donc les tenants-manses d’autres seigneurs (les Castellbó et les Enveig) et les sous-tenanciers.
52 En Andorre, l’atonie de la seigneurie et son corollaire, la puissance des communautés d’habitants, expliquent que l’exploitation des prés et des hermes soit entièrement du ressort communautaire. Par les accords passés en 1365 avec leurs seigneurs (Roland Viader, « Silences, murmures, clameurs : les communautés pyrénéennes au Moyen Âge », dans La ciutat i els poders. La ville et les pouvoirs, Perpignan, 1999, p. 240-246), les Andorrans, en obtenant le droit d’apradar, adaquar et pratum facere, évitent ainsi que le mécanisme de la tenure soit appliqué à leurs prairies.
53 S’il offre l’emballage d’une ouverture de l’herbe à tous, le ballet des locations d’herbe de fauche (herba dalladayra) ou à pâturer (pastura), et des sous-acensements profite indéniablement à quelques familles qui contrôlent le marché.
54 Pour l’heure, aucun indice concret n’a été découvert dans les sources. La limitation, aux plus petits, de l’accès aux estives peut emprunter des voies diverses suivant les régions. En Auvergne, le volume de bêtes envoyées sur les communaux est proportionnel à la capacité d’entretien, avec « des pailles et des fouins », du bétail en hiver (R. Viader, « Les communautés montagnardes… », p. 42).
55 Cette absence de contrepartie pourrait s’expliquer, du point de vue juridique, par les règles donnant accès aux droits collectifs qui reposent, schématiquement, sur l’appartenance soit à la seigneurie, soit à la communauté d’habitants lorsqu’elle gère ces droits. Ces derniers ne sont donc pas délivrés en fonction d’une règle de réciprocité. Fermer ses prés ne semble donc pas impliquer de perdre son statut d’ayant droit aux biens collectifs. Certes, une communauté, composée d’un ensemble hétérogène d’individus, peut avoir d’autres manières de marquer son hostilité à une fermeture, mais curieusement, elles n’apparaissent pas dans les sources, et d’autant moins que ceux qui ferment les prés sont aussi ceux qui contrôlent, par le jeu des dépendances, ceux qui auraient à s’en plaindre.
56 Arch. départ. Pyr. Orient., 1C1501, « Avant l’année 1700, ou environ l’on n’avoit point clos aucune propriété composant ces prairies communes mais du depuis les propriétaires de ces prairies en ont fait clore beaucoup […] ».
57 Voir M. Gilbert, Traité des prairies artificielles ou recherches sur les espèces de plantes qu’on peut cultiver avec le plus d’avantage en prairies artificielles dans la Généralité de Paris et sur la culture qui leur convient le mieux, Paris, 1789, p. 198-199.
58 La fréquente association des arbres et des prés peut être mise en relation avec l’alimentation des animaux en période de manque de fourrage (de l’herbe et des feuilles) : M. Chevalier, La vie humaine…, p. 324 ; Antoine Paillet, Archéologie de l’agriculture moderne, Paris, 2005, p. 110.
59 Dans le capbreu de Llo rédigé en 1755, le sieur Girvès, principal propriétaire foncier du lieu, possède 19 prés dont la moitié ont été acquis par échange et seulement 5 par achat, le reste étant concédé par le seigneur du lieu, le duc d’Hijar, ou approprié sans titre. Dans la constitution de ce patrimoine, documenté entre 1660 et 1755, les prés représentent moins de 8 % des actes d’achats mais 75 % des échanges, tous postérieurs à 1710 ; l’objectif des échanges est donc de constituer des blocs fonciers là où prime la dispersion des parcelles exploitées (M. Conesa, « Capbreu et paysage… »). Une deuxième solution consisterait à construire de nouveaux prés, mais le poids de l’investissement et surtout l’accès à l’eau constituent des limites difficiles à franchir. Toutefois, les superficies mises en herbage augmentent, 35 % à Estavar entre le xvie et le xviiie siècle contre 7 % pour les terres arables. Cet accroissement ne profite cependant qu’à l’oligarchie foncière dominante.
60 Ces règlements de police rurale, appelés criées dans la province du Roussillon, ont été l’objet d’étude : Michel Brunet, Les pouvoirs au village. Aspects de la vie quotidienne dans le Roussillon du xviiie siècle, Perpignan, 1998.
61 Ces cultures temporaires ont longtemps été considérées comme marginales ; elles furent l’objet d’une profonde réévaluation dans le cadre du séminaire P. Bonnassie 2006-07 (framespa-université Toulouse-Le Mirail) (Roland Viader et Christine Rendu).
62 Arch. départ. Pyr. Orient., 1C1501, Mémoire du viguier de Travy.
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