Chapitre IV. Le lycée professionnel aujourd’hui : des indicateurs objectifs à l’expérience des acteurs
p. 107-149
Texte intégral
1AU TERME DU DÉVELOPPEMENT précédent, doit-on conclure à l’idée que le lycée professionnel serait condamné à n’avoir pour mission que la réhabilitation d’élèves que l’on dit fâchés avec l’école, et à assumer une fonction de restauration d’une image positive chez un public laminé par le collège ? Peut-on soutenir que le LP, parce qu’il prépare davantage à des emplois de service, ne peut plus être considéré comme « l’école des ouvriers » ? Quelle est la place occupée par cette institution à l’heure de la massification qui, paradoxalement, conduit à exacerber chez les élèves le sentiment d’être scolarisés dans une filière de relégation ? Comment s’effectue alors l’affiliation des élèves au LP ? Ces questionnements préalables nous ont amené dans un second temps à scruter l’expérience scolaire en interrogeant ce qui la définit en premier lieu : le sens des études en tant qu’expression d’un rapport spécifique aux savoirs enseignés. Si la question du sens est existentielle, elle s’élabore au travers des interactions sociales et du procès de socialisation à l’épreuve de différents contextes (Charlot, 1997). Or et peut-être plus qu’ailleurs, ce sont les interactions avec les professeurs de lycée professionnel (PLP) qui nous sont apparues fortement influentes sur la mobilisation scolaire des élèves.
Le LP cesse-t-il d’être l’école des ouvriers ?
2La massification et son corollaire, la relégation de l’enseignement professionnel, les transformations du mode de recrutement des professeurs de LP, le déclin du monde ouvrier sur fond de recomposition des classes populaires et d’accroissement du taux de chômage, permettent d’appréhender le changement affectant le LP aujourd’hui. Celui-ci accueille certes des élèves issus massivement de milieu populaire, mais sa mission évolue parce qu’il ne s’agit plus exactement du même public qu’auparavant. Les élèves de CAP et une part de ceux de BEP n’atteignaient pas ce niveau d’enseignement lors des générations précédentes. Cela explique pourquoi les enseignants de LP dénoncent la baisse du niveau, même si leurs arguments oscillent entre « difficultés intellectuelles » et « problèmes de motivation ».
3Les changements structurels ayant affecté le LP, et plus particulièrement sa dévalorisation dans un système scolaire qui ne définit la réussite qu’à partir du parcours effectué dans les filières générales, restent lourds de conséquence, tant les élèves orientés vers l’enseignement professionnel entretiennent une amertume envers le collège et ses enseignants. Ils savent qu’il y a loin entre les déclarations de principe soutenant que la « voie des métiers » est une réussite, et la réalité des faits qui veut que les critères de sélection et d’orientation restent foncièrement scolaires. Les doutes, les espoirs des élèves, leur plus ou moins grande capacité à s’affranchir du stigmate (Goffman, 1975) afin de se mobiliser sur les savoirs, nous ont progressivement amené à explorer une autre dimension : celle des interactions avec les enseignants. En effet, c’est la spécificité des interactions pédagogiques et des pratiques plus ou moins innovantes par rapport à celles du collège, qui nous a paru la plus déterminante, agissant comme moyen de resocialisation et de réhabilitation des élèves, une réhabilitation qui vise leur réconciliation avec les études. Ce faisant, les pratiques enseignantes dessinent les nouvelles missions du LP : socialiser les jeunes aux savoirs scolaires et professionnels et accompagner leur maturation, en leur donnant également à voir d’autres perspectives que celles de la préparation d’une insertion professionnelle à venir. En même temps et si les PLP parviennent davantage à mobiliser les élèves, c’est aussi parce que les savoirs enseignés se démarquent partiellement de la forme scolaire.
4Bien qu’elle concerne les enseignants de LP, mais sous un autre angle, l’orientation en fin de collège fait souvent l’objet d’un ressentiment chez la plupart des élèves. La chute en LP introduit une discontinuité avec la scolarité antérieure, discontinuité qui peut soit donner lieu à un « nouveau départ » positif, soit enfermer l’élève dans un échec scolaire fonctionnant comme un interdit d’apprendre. Si l’orientation jalonne douloureusement l’arrière-plan de l’expérience scolaire, elle devient aussi son horizon dans la mesure où elle peut être affectée de valeurs positives : en collège, le « travaillez sinon vous serez orientés » (Prost, 1992), devient en LP « travaillez et vous serez orientés ».
Dimensions de l’orientation vers le LP
5L’épreuve sans doute la plus significative que les élèves vivent à l’entrée du LP est celle de l’orientation qui les y a amenés. A elle seule, elle cristallise tout autant les effets négatifs d’une massification ayant précipité la dévalorisation du LP et de son public, que le ressentiment porté par les élèves et les enseignants, ces derniers reprochant à l’institution scolaire l’opacité des procédures d’orientation et le durcissement de leur caractère sélectif.
Les notes contre le projet
6Inégale socialement, soumise à l’influence de l’origine sociale et du contexte scolaire (Duru-Bellat, Mingat, 1993 ; Merle, 1996), l’orientation désigne souvent une expérience dans laquelle la résignation le dispute au sentiment d’injustice. En tant qu’objet discursif, elle est d’ailleurs souvent invoquée pour justifier l’absentéisme, les tensions entre élèves et enseignants, la violence, les ruptures de scolarité, etc. Lorsqu’on interroge les élèves de LP sur les raisons qui les ont amenés à « choisir » le LP, ils invoquent souvent, et ce de manière indissociable, l’apprentissage du métier (« c’est pour apprendre un métier », « pour apprendre à travailler ») et les difficultés scolaires connues au collège (« parce que je ne pouvais pas aller dans la voie générale », « parce que je n’étais pas fait pour les études »…). Cette double référence au niveau scolaire et à l’apprentissage du métier n’est pas indépendante des modes de perception prédominants chez les enseignants de collège et leur hiérarchie administrative.
7Les épreuves subjectives liées à l’orientation sont plus ou moins maîtrisées et, à bien des égards, c’est le sentiment d’être peu écouté davantage que de se « retrouver » dans telle ou telle filière, qui entretient le ressentiment en conduisant certains élèves à l’absence de mobilisation, voire à une rupture de scolarité avec le LP. La question est bien de savoir comment l’orientation en LP peut être « acceptée » au moment où la massification a renforcé la hiérarchie des filières (Dubet, Martuccelli, 1996, a ; Agulhon, 1998), le prestige des unes contrastant avec le mépris des autres ! Le verdict d’une orientation vers le LP, à la probabilité variable d’un collège à l’autre, façonne le regard que les élèves portent sur eux-mêmes et sur leurs compétences scolaires, et ils sont nombreux à partager un sentiment d’humiliation. C’est d’une certaine façon pour contrer le jugement professoral négatif au collège que les enseignants de LP essaient de valoriser les élèves, en leur attribuant « une note qu’ils n’ont jamais eue auparavant » (un enseignant d’électrotechnique).
8L’entrée en LP préfigure deux tensions : la première réfère comme nous l’avons vu plus haut, à la scolarisation des savoirs qui suit de près le développement des BEP. Cette scolarisation met un peu plus les élèves face à des difficultés cognitives potentielles, et exige de la part des enseignants des adaptations pédagogiques plus ou moins subtiles ; la seconde tension est celle qui procède des conséquences de l’élévation des niveaux de qualification : elle renforce d’une part le stigmate affectant les « bas niveaux » de qualification, le CAP en l’occurrence ; elle conduit, d’autre part, à l’émergence d’autres aspirations que l’institution scolaire entretient sans pour autant en garantir la réalisation.
9Les élèves qui entrent en LP ne vivent pas les mêmes épreuves, selon leur trajectoire scolaire, leur histoire et leur « projet ». Dans le meilleur des cas, l’élève peut être porteur d’un projet professionnel précis et être orienté dans une spécialité dont les contenus de formation correspondent à ses aspirations. Dans les cas les plus critiques, l’élève est affecté dans une spécialité qu’il n’a pas demandée et qui est en général peu convoitée. Le rapport de l’Inspection générale relatif à l’orientation des élèves vers le LP est à ce propos explicite : « le résultat de l’affectation, beaucoup plus incertain quant à l’établissement et à la spécialité, place ces élèves qui sont souvent parmi ceux qui rencontrent le plus de difficultés, dans une situation plus anxiogène, favorisant les attitudes de rejet, voire d’abandon » (IGEN, 2002, b, p. 11). Le surinvestissement discursif de la notion de projet ne résiste pas à la hiérarchie des spécialités en LP, une hiérarchie qui tempère le statut globalement dominé de cet ordre d’enseignement.
Hiérarchie des spécialités et statut du projet professionnel
10Il existe de nombreuses spécialités au sein des LP. Néanmoins, certains domaines professionnels restent dominants. Quatre spécialités dominent dans le tertiaire (les services) : le commerce-vente, la comptabilité-gestion, le secrétariat-bureautique, et le sanitaire et social. Dans le domaine industriel, ce sont l’électricité, l’électronique et la mécanique qui scolarisent la majorité des élèves. En 2005, 43 % des élèves sont scolarisés dans le secteur industriel, et 57 % dans les spécialités de services.
11En seconde professionnelle, l’électricité et l’électronique scolarisaient 62 271 élèves en 2004. Les moteurs et mécanique automobile comptaient 21 364 élèves, suivis des spécialités pluritechnologiques mécanique et électricité, avec 20 364 élèves, puis par la mécanique générale, de précision et l’usinage qui scolarisaient 18 486 élèves. Le travail du bois et de l’ameublement, les structures métalliques et l’industrie de l’habillement scolarisaient respectivement 17 595, 16 789 et 15 491 élèves. Avec un effectif relativement important, les formations en énergie et génie climatique, ainsi qu’en industrie agro-alimentaire accueillaient chacune près de 9 900 élèves. En 2004, dans les spécialités de la production, les filles ne constituaient que 13 % de l’effectif total.
12Dans les spécialités de services, ce sont le commerce et la vente qui arrivent en tête avec 65 173 élèves ; suivis de la comptabilité et gestion qui accueillent 56 325 élèves ; le secrétariat et la bureautique suivent de près avec 55 269 élèves. Les formations en carrières sanitaires et sociales scolarisent 42 734 élèves ; l’hôtellerie et le tourisme accueillent 27 773 élèves ; viennent ensuite la coiffure et l’esthétique avec 19 142 élèves.
13Les lycées professionnels connaissent une hiérarchie des filières qui se double d’une hiérarchie des spécialités. À côté des domaines aussi convoités que l’hôtellerie, l’électrotechnique, la coiffure, la restauration, les carrières sanitaires et sociales, d’autres spécialités telles que la mécanique ou la conduite et service routiers conservent un attrait pour les élèves. L’académie de Lille, où le nombre de LP est des plus élevés de France, offre un tableau significatif de la hiérarchie des filières mesurées à partir du « taux de pression » (il s’agit du rapport entre le nombre de premiers vœux et les capacités d’accueil).
Taux de pression des premiers vœux en CAP recrutant essentiellement des élèves de 3e générale et technologique
Spécialités de CAP | Capacité d’accueil | Nombre de 1ers vœux | Taux de pression |
Coiffure | 105 | 516 | 4,91 |
Esthétique-cosmétique | 99 | 248 | 2,51 |
Fleuriste | 58 | 76 | 1,31 |
Conduite d’engins de travaux publics | 60 | 72 | 1,2 |
Agent de prévention et de sécurité | 32 | 65 | 2,03 |
Dessinateur exécution graphisme | 15 | 49 | 3,27 |
Photographe | 15 | 41 | 2,73 |
Conduite des systèmes industriels | 90 | 62 | 0,69 |
Taux de pression des premiers vœux en CAP (dits aussi « post-cycle ») recrutant essentiellement des élèves de l’enseignement spécialisé et adapté
Spécialités de CAP | Capacité d’accueil | Nombre de 1 ers vœux | Taux de pression |
Employé technique des collectivités | 464 | 611 | 1,32 |
Employé commerce multispécialités | 281 | 429 | 1,53 |
Carrosserie-réparation | 70 | 200 | 2,86 |
Cuisine | 72 | 170 | 2,36 |
Construction d’ensembles chaudronnés | 238 | 171 | 0,72 |
Menuiserie option fabrication | 236 | 243 | 1,03 |
Installation équipement électrique | 330 | 266 | 0,81 |
Maintenance et hygiène des locaux | 240 | 154 | 0,64 |
Les BEP les plus sélectifs par ordre décroissant
Spécialités de seconde professionnelle | Capacité d’accueil | Nombre de premiers vœux | Taux de pression |
Alimentation | 59 | 145 | 2,46 |
Maintenance véh. Auto, opt. Moto | 30 | 71 | 2,37 |
Carrières sanitaires et sociales | 1 304 | 2 692 | 2,07 |
Maintenance véh. Auto | 240 | 427 | 1,78 |
Installations sanitaires et thermiques | 615 | 1 006 | 1,64 |
Conduite et service routier | 150 | 219 | 1,46 |
Vente-action marchande | 2 222 | 2 982 | 1,34 |
Techn. gros œuvre bâtiment | 300 | 372 | 1,24 |
Optique lunetterie | 24 | 29 | 1,21 |
Restauration hôtellerie | 691 | 829 | 1,20 |
Techn. Froid condition. Air | 113 | 135 | 1,19 |
Bois et matériaux associés | 475 | 500 | 1,05 |
Logistique et commercialisation | 62 | 63 | 1,01 |
Métiers de l’électronique | 390 | 394 | 1,01 |
14En 2004, dans l’académie de Lille, l’orientation vers les LP concernait 39,8 % des effectifs en fin de 3e (alors que la moyenne nationale était de l’ordre de 31 %), avec un écart de 8,5 points entre les garçons et les filles (42,2 % des garçons et 35,7 % des filles ont été orientés en LP). Sur 37 BEP préparés dans l’académie, certaines spécialités sont très sélectives. Ainsi, le BEP « carrières sanitaires et sociales » compte deux fois plus de demandes par place (2 692 demandes pour 1 304 places), le BEP « installations sanitaires et thermiques » est également très convoité (plus de 1 000 demandes pour 615 places) et le BEP « vente action marchande », malgré l’importance de son implantation, n’accueille pas tous les candidats (2 982 demandes pour 2 222 places). À l’inverse, d’autres BEP sont peu demandés, eu égard aux capacités d’accueil. C’est le cas du BEP « métiers de la comptabilité » où le taux de pression est de 0,69 (soit à peine deux demandes pour trois places), du BEP « métiers du secrétariat » qui enregistre 0,73 demande pour une place (1475 candidats en premier vœu pour un peu plus de 2 000 places), du BEP « métiers de la productique mécanique informatisée » avec à peine 8 demandes pour 10 places existantes, du BEP « maintenance des systèmes mécaniques automatisés » avec un taux de pression de 0,77, etc.
15À côté des BEP, certains CAP sont encore plus sélectifs, notamment lorsqu’ils recrutent des élèves issus de classe de 3e générale. C’est le cas du CAP « coiffure » qui enregistre près de 5 demandes pour une place, du CAP « esthétique-cosmétique » avec 248 demandes pour 99 places (soit un taux de pression de 2,5) et du CAP « agent de prévention et de sécurité » (plus de deux demandes pour une place). À l’inverse, les spécialités de CAP telles que « conduite des systèmes industriels » et « vente magasinier pièces automobile » sont moins convoitées. Les élèves se détournent ainsi des formations industrielles au profit des services, des métiers « relationnels ». S’agissant des CAP dits « post-cycle » (en fait, des CAP accueillant en priorité les élèves issus de l’enseignement spécialisé ou adapté), il existe également des spécialités plus sélectives que d’autres. Toujours au sein de l’académie de Lille, le CAP « carrosserie-réparation » enregistre un taux de pression de 2,86, celui de « cuisine » un taux de 2,36, et « employé technique des collectivités » un taux de 1,32. Tandis que les CAP « installation et équipement électrique », « construction d’ensembles chaudronnés » et « maintenance et hygiène des locaux » enregistrent respectivement des taux de pression de 0,81, 0,72 et 0,64. Ces différences entre spécialités convoitées et celles qui sont délaissées laissent présager des rapports différenciés au LP et aux études. En réalité, et si cette variable « premier vœu » reste opérante dans la perception qu’ont les élèves de leur scolarité, elle ne constitue pas un déterminant en soi de la réussite ou de l’échec scolaire26.
16Enfin, s’agissant de l’orientation à l’issue du BEP, et éventuellement du CAP, l’académie de Lille enregistre 51,9 % d’entrants en première professionnelle, et 16,6 % en première d’adaptation (ce taux étant supérieur à la moyenne nationale qui est de 14 %).
17On voit ainsi que les spécialités choisies ne constituent le lot que d’une partie des élèves, puisque la majorité du public est scolarisée dans une spécialité non choisie. Des domaines tels que le secrétariat, les structures métalliques, la couture, la maintenance des systèmes mécaniques automatisés ou la productique mécanique, sont délaissés par les élèves, à tel point que les PLP disent souvent appréhender la rentrée scolaire, « parce qu’on sait qu’il n’y a pas beaucoup d’élèves qui ont choisi notre domaine » (enseignant en productique). Cette appréhension est sous-tendue par le postulat que les élèves n’ayant pas choisi leur spécialité ont souvent un niveau scolaire plus faible. Des enquêtes que nous avons menées auprès des élèves et des enseignants de LP, il nous est apparu que ce sont surtout les spécialités industrielles qui sont le moins convoitées, et dans lesquelles les élèves se sentent le plus souvent marginalisés, voire relégués, sans que cela n’augure d’une résignation généralisée. Et tout se passe comme si la place prise par le projet de l’élève et son surinvestissement institutionnel étaient d’autant plus manifestes qu’il s’agit justement de publics n’ayant guère de projet (Jellab, 1999). Sans doute le déclin d’une société dans laquelle les destins individuels étaient pris en charge collectivement a-t-il précipité l’injonction faite aux individus de construire par eux-mêmes leur projet, variante de l’obligation de chacun de construire son rôle. Cela déplace l’interprétation sociale des difficultés scolaires, perçues davantage comme émanant du manque de projet et non de la structure même des rapports sociaux de domination (Careil, 2002). Le projet professionnel chez les élèves de LP, dans une « société sans projet » (Jobert, 1989), apparaît bien souvent comme un projet du renoncement (Dubet, Martuccelli, 1996). L’analyse sociologique de l’affiliation des élèves au LP révèle que leur rapport aux études prend comme point de départ la saisie d’opportunités pour donner lieu, dans un second moment, à l’élaboration de projets professionnels et ce, via la confrontation à des savoirs, à des activités et à de nouveaux contextes, notamment les entreprises dans lesquelles ils effectuent des stages. Ainsi, ce ne sont pas les représentations qui précèdent l’action ou l’investissement de soi (comme pourrait le supposer l’existence d’un projet professionnel préalable), mais c’est dans la confrontation avec des situations que prend sens et consistance l’expérience subjective, en ouvrant les sujets sur de nouveaux possibles (Castra, 2003).
18La hiérarchie des spécialités dans les LP ne réfère pas uniquement à un prestige scolaire qui leur est associé. Elle procède aussi des chances d’insertion sur le marché du travail et de la dignité du métier à exercer. Le déclin des métiers qui ont traditionnellement désigné le travail ouvrier – tels celui d’ajusteur, de tourneur et de fraiseur – amplifie chez les élèves le sentiment d’être relégué dans des spécialités peu convoitées désormais. Par extension, les PLP formant à ces métiers ont le sentiment d’être un peu plus relégués, ce qui renforce la proximité de condition les rapprochant de leur public.
19L’orientation désigne une épreuve dont la maîtrise procède d’une pluralité d’éléments, tels la rationalisation de son expérience, la découverte de savoirs mobilisateurs, la construction d’une identité scolaire étayée sur des interactions spécifiques avec les enseignants, les camarades et la famille. Si des variations existent entre les élèves selon qu’ils aient ou non été affectés sur leur premier vœu, c’est l’orientation vers le LP qui concentre l’essentiel du ressentiment. En même temps, et dans la mesure où la scolarité de chaque élève laisse toujours apparaître la marque d’une histoire sociale (Charlot, 1999), le LP donne à voir une répartition sexuelle des effectifs, témoignant de la persistance de modèles collectifs associant le genre aux métiers (Guichard, 1993).
Filles et garçons en lycée professionnel : évolution de la répartition de genre dans les spécialités
20Filles et garçons se répartissent différemment dans les LP. En 2004, les premières représentent 46 % des effectifs de CAP et de BEP. Elles sont plus nombreuses dans le secteur des services (71 % en 2004), et peu présentes dans les spécialités de la production (hormis en matériaux souples où elles composent 94 % de l’effectif).
21La part des élèves de spécialités tertiaires dépasse désormais celle des élèves scolarisés dans les spécialités industrielles. Cette évolution conduit à brouiller les identités de genre historiquement associées aux formations : si les garçons continuent à être majoritaires dans les spécialités industrielles, leur part parmi les élèves des spécialités tertiaires augmente (près de 28 % de l’effectif). Plus nombreux que les filles dans les LP, toutes spécialités confondues, les garçons tendent à délaisser les formations industrielles, ce qui atteste de l’affaiblissement du « modèle ouvrier » dans leurs projets sociaux.
22La répartition de genre en LP a connu des changements sensibles depuis le début des années soixante-dix, en particulier dans les BEP. Ainsi, en 1970, on relevait 57,7 % des filles scolarisées en BEP, 44,9 % en 1990 et 44,4 % en 2003. En CAP, la part des filles semble plus stable. Elles sont légèrement majoritaires dans cette filière (elles constituaient 51,9 % des élèves de CAP en 2003). En baccalauréat professionnel, le pourcentage des filles était de 46,5 % en 2001 et de 45,2 % en 2003. On peut déduire de ces évolutions que la baisse de la part des filles dans les LP tient au déclin de la part des CAP qui y sont préparés (même si elles sont majoritaires en CAP), et à leur meilleure réussite scolaire qui les conduit davantage vers les filières générales et technologiques de lycée, même si les spécialités tertiaires y sont moins valorisées que les spécialités industrielles.
23Lorsqu’on examine finement les spécialités dans lesquelles se répartissent majoritairement les élèves de LP, on observe une faible part des filles dans les domaines industriels (13 % en CAP et BEP et 10 % en baccalauréat professionnel). Ces chiffres varient selon les spécialités. Ainsi, en 2003 au niveau CAP et BEP, la part des filles atteignait 95 % en habillement, 58 % en productions végétales et cultures spécialisées et 51 % en agroalimentaire.
24Tandis que dans des spécialités telles que mécanique générale et usinage, électricité / électronique, et moteurs et mécanique automobile, la part des filles n’était respectivement que de 3, 3,2 et 1 %.
25Comparée aux filles dans les spécialités industrielles, la part des garçons est plus élevée dans les spécialités tertiaires (28 % des garçons en CAP et BEP, 30 % en baccalauréat professionnel). Dans des spécialités telles que le secrétariat et la bureautique, les spécialités plurivalentes sanitaires et sociales et la coiffure/esthétique, la part des filles approche les 100 %, tandis qu’elle décline en vente, comptabilité et gestion (respectivement 62 et 55 %), pour avoisiner les 50 % dans les domaines de l’accueil, de l’hôtellerie et du tourisme.
26On observe, de façon générale, que les effectifs scolarisés dans les spécialités des services dépassaient en 2003 ceux des spécialités industrielles (399 575 contre 301 066 élèves, ce qui représente respectivement 57 % et 43 %). Ces données qui incluent les élèves scolarisés dans les LP du privé, montrent bien que l’identité de ces établissements a connu deux évolutions majeures : la première est que la part des filles y a enregistré une baisse au profit de celle des garçons, notamment dans les spécialités des services (l’effectif des filles en industrie est de 30 358, tandis que celui des garçons est de 116 921 dans les spécialités tertiaires) ; la seconde réfère au déclin de la part des formations industrielles qui éloigne de l’image d’un LP formant les futurs ouvriers d’usine. La part des garçons, plus élevée que celle des filles dans les LP, s’explique à la fois par l’offre de formation – notamment dans les LP industriels, puisque malgré une évolution de la mixité dans l’enseignement, les élèves continuent à choisir en fonction de l’identité sexuée des métiers –, et par un déplacement de leurs préférences vers les activités qui éloignent des emplois ouvriers, du fait du déclin et de la crise qu’a connus la classe ouvrière (Chauvel, 2004). Si les spécialités industrielles se sont peu « ouvertes » aux filles, les spécialités tertiaires accueillent davantage de garçons par rapport aux générations antérieures. On peut y voir un élément contribuant à favoriser la rupture avec les anciennes générations pour lesquelles le travail ouvrier en usine a longtemps constitué la référence.
27Le rapport aux savoirs et les modes de relations aux enseignants en LP différencient les filles et les garçons ; cela livre à sa manière les clés d’une autre compréhension de l’expérience scolaire. Cette expérience prend une autre configuration dans certains LP, avec l’ethnicisation du public scolaire.
L’ethnicité en LP, une ségrégation dans la ségrégation ?
28Quelles que soient les spécialités, les LP accueillent des élèves issus pour la plupart de milieu populaire. Mais cela est d’autant plus vrai lorsque les spécialités sont le moins convoitées, où la part des élèves issus de milieux ouvriers et employés se renforce, doublée d’une concentration significative d’un public issu de l’immigration. Tout se passe comme si la question de l’ethnicité à l’école relevait d’un tabou parce que conduisant à « naturaliser » des différences et à faire passer au second plan d’autres modèles conceptuels jugés plus pertinents. Cela au risque de rendre plus opaques les dimensions socioculturelles subsumant l’expérience scolaire. Le recours notamment au concept de « classes populaires » dans lequel on regroupe régulièrement « ouvriers » et « ouvriers immigrés », ne permet pas de distinguer ce qui est de l’ordre de la position sociale, de ce qui appartient à la culture, quand on sait que celle-ci participe d’une vision du monde et des « stratégies » d’adaptation mises en œuvre (Sayad, 1999). Sur un plan plus institutionnel, la difficulté à disposer de données statistiques ministérielles ou académiques sur les élèves étrangers ou issus de l’immigration est symptomatique d’une hésitation sous-tendue par la référence au modèle “républicain” et “laïc” de l’école à la française. Il existe également une autre difficulté : celle de l’incapacité à distinguer les élèves étrangers de ceux dits « nationaux », mais qui sont issus de l’immigration. Pour le ministère de l’Éducation nationale, « Est Français, par filiation, tout enfant dont l’un des parents au moins est Français (ce qui revient à dire que les enfants de couples dits “mixtes” sont Français). Est Français, par la naissance, tout enfant né en France lorsque l’un au moins de ses parents y est né. Tous les résultats présentés font référence à la population des élèves recensés comme étrangers par les chefs d’établissement : cette population est différente de la population des immigrés (des élèves étrangers peuvent être nés en France par exemple) et de la population d’origine étrangère » (cf. Repères et références statistiques, 2003, p. 120). En 2002-2003, les élèves de nationalité étrangère constituaient 4,4 % de l’ensemble des effectifs du secondaire (public et privé). Ces élèves sont sur-représentés dans l’enseignement adapté et dans l’enseignement professionnel. Ainsi, dans les SEGPA et les EREA, ils constituaient respectivement 7 % et 5,8 % des effectifs. Dans l’enseignement professionnel, et alors qu’ils constituaient 5,1 % des collégiens (du public), les élèves étrangers représentaient 7 % des effectifs de LP. La concentration des minorités dans les LP conduit bien souvent au sentiment d’être non seulement relégué dans une école de « seconde zone » (propos d’un élève), mais aussi d’être victime d’un racisme institutionnel. On pourrait dire que les décisions d’orientation ne trouvent que rarement une résistance de la part des familles immigrées, moins promptes à faire appel de ces décisions que ne le sont les autres familles. La crainte de l’inconnu participe dans de nombreux cas du « choix » du LP le plus proche de chez soi. Enfin, les stratégies familiales d’évitement de l’établissement, bien connues des recherches sociologiques (Léger, Tripier, 1986 ; Van Zanten, 2001), conduisent à renforcer la « visibilité ethnique » dans certains LP. La question des minorités scolarisées en France, à l’exception de quelques enquêtes récentes (Felouzis & al. 2005), constitue un objet insuffisamment interrogé en sociologie, ce qui contraste avec les enquêtes anglo-saxonnes, plus promptes à parler ouvertement de la question (Ogbu, 1978 ; Labov, 1978 ; Payet, Sicot, 1997). L’ouvrage de Stéphane Beaud et Michel Pialoux (1999) fait à plusieurs reprises référence au cas de jeunes d’origine maghrébine ou turque, scolarisés dans des spécialités en déclin tant dans les LP que sur le marché du travail. La massification a contribué à soutenir des espoirs familiaux qui, dans les cas heureux, favorisent une réussite scolaire (Caillé, Vallet, 1996) mais dans de nombreux cas, débouchent sur une désillusion et un désenchantement. Dans quelques LP, notamment dans l’académie de Lille, on observe une forte concentration (ou sur-représentation) d’élèves issus de l’immigration. Mais c’est souvent dans des spécialités spécifiques que leur concentration est des plus manifestes : c’est le cas dans le bâtiment, l’industrie métallurgique et le commerce.
29À cela s’ajoute un autre phénomène, relevé dans certains LP, à savoir une part non négligeable d’enseignants issus eux-mêmes de l’immigration. Il n’est guère difficile d’y voir l’expression d’une sorte d’ethnicisation tant de l’affectation du public scolaire que des modes de recrutement et de nomination des enseignants. Mais deux facteurs peuvent expliquer cette évolution : l’environnement social et urbain immédiat (les élèves proviennent souvent des quartiers alentours, et par extension, des cités situées dans le voisinage) ; l’orientation en fin de collège qui voit souvent les établissements à recrutement populaire affecter davantage d’élèves vers le LP que vers le lycée général.
30La difficulté à donner du sens aux études devient d’autant plus prégnante que les élèves issus de l’immigration ont souvent – comparés aux autres élèves – des parents faisant ou ayant fait l’expérience d’un chômage durable. Cela conduit une partie d’entre eux à désinvestir des études jugées peu efficaces, d’autant plus que le stigmate le plus significatif dont ils sont victimes s’observe dans la difficulté à trouver des entreprises d’accueil pour y effectuer leur stage. La difficulté à trouver une entreprise d’accueil ne constitue-t-elle pas un avant-goût des difficultés à venir lorsqu’il s’agira de trouver un emploi stable ? L’accès à des diplômes plus élevés et l’amélioration du marché du travail contribuent à augmenter les chances d’insertion professionnelle. Mais cela semble plus que douteux lorsqu’il est question des jeunes issus de l’immigration, maghrébine et africaine notamment. Alors que la conjoncture économique s’est améliorée à la fin des années quatre-vingt-dix, on observe le maintien des difficultés d’insertion chez les élèves, garçons et filles, issus de l’immigration maghrébine. « Les jeunes d’origine maghrébine ayant quitté le système éducatif en 1992 avec un CAP ou un BEP en poche ont en effet une probabilité 1,6 fois plus forte d’être au chômage au bout de trois ans de vie active que leurs homologues d’origine française. Et cette pénalité perdure d’une génération à l’autre puisque leur probabilité d’être chômeurs reste 1,6 fois plus forte au sein de la Génération 98 »27. L’entrée en LP des jeunes issus de l’immigration est vécue non seulement comme une chute scolaire mais aussi comme l’effet d’une ségrégation « raciale », au sens où des traits culturels « expliqueraient » cette chute. Ainsi, Raouf, élève de BEP structures métalliques, nous dit : « quand j’étais en 3e, le prof de maths ne pouvait pas me sentir… c’était un raciste, il me disait que mon travail était toujours mal fait, un travail d’arabe [...] comme c’était mon prof principal, il a tout fait pour que je sois dans ce BEP poubelle ». Le sentiment d’avoir subi une double ségrégation – scolaire et ethnique – n’est pas rare chez les élèves d’origine immigrée et si l’on peut y voir les effets d’une justification de sa condition scolaire (Dubet, 1994), le sentiment d’être victime de racisme trouve dans la hiérarchie des spécialités le motif d’être renforcé.
31Dans de nombreux cas, et en particulier dans l’un des LP étudiés, les PLP nous font part du sentiment d’être méprisé que vivent ces élèves, doublé parfois d’un ressentiment à l’égard d’une société dans laquelle ils se sentent exclus et « perdus d’avance ». On peut alors s’interroger sur les effets d’une telle évolution des rapports avec le système scolaire et les études, lorsque l’horizon social et professionnel apparaît compromis. Ce questionnement prend davantage d’acuité lorsqu’on sait qu’une bonne part des discours dominants (médiatiques notamment) tendent à penser les « problèmes sociaux » en termes de « problèmes ethniques », et à substituer à la catégorie « classes populaires » celle de population « immigrée » (Payet, Sicot, 1997 ; Dubet, 2001).
32Quel rapport aux études, au travail et quels projets permettent de soutenir l’expérience de ces élèves, chez lesquels peut parfois s’installer une logique « communautaire », ou de « quartier » et qui prend la forme d’une opposition entre le « eux » et le « nous » ? Cette question ne s’est véritablement imposée à nous qu’à la rencontre de LP dans lesquels à la forte concentration d’élèves issus de l’immigration faisait face une sur-représentation de PLP issus à leur tour du Maghreb et de manière moins importante, d’Afrique Noire.
Ethnicité des enseignants
33La dimension ethnique de l’expérience scolaire dans les LP se renforce aujourd’hui par la proximité de condition rapprochant les enseignants de leurs élèves. Nous avons dit plus haut que cette proximité, tenant à l’origine souvent populaire des PLP, mais aussi à leur position dominée dans l’institution scolaire, comme à leur parcours scolaire plus ou moins contrarié, peut rendre compte de la spécificité de leurs pratiques pédagogiques, comme de leur identité professionnelle. Mais à cette proximité de condition se conjugue dans certains LP une « proximité ethnique ». Deux éléments peuvent expliquer cette proximité ethnique – au sens de l’existence de traits culturellement proches du point de vue de l’origine sociale et culturelle – entre une partie des PLP et une partie des élèves. Le premier est d’ordre « stratégique » : de nombreux enseignants choisissent d’exercer dans un établissement à forte concentration ethnique parce que portés par le projet d’aider leurs élèves à s’en sortir, à s’émanciper de leur vie sociale dominée. Comme le dit Younès, PLP de vente : « moi, j’ai vraiment choisi d’enseigner ici, je suis issu de R., je connais les quartiers comme ma poche […] pour moi, c’est un challenge que d’aider les jeunes de la cité à s’en sortir… je n’étais pas un brillant élève, il y a des choses dont je n’ai pris conscience que plus tard, mais là, j’essaie d’aider comme je peux les gars de R., sans l’école, c’est la galère ». Titulaire de son poste, Younès a raisonnablement choisi d’enseigner dans un LP accueillant près de 40 % d’élèves issus de l’immigration (maghrébine et africaine essentiellement). Mais on peut aussi supposer que ce choix exprime, au-delà de l’engagement et de l’éthique personnelle, une stratégie pour réduire la distance entre le statut et le rôle (Hughes, 1996). Les PLP d’origine immigrée choisiraient d’enseigner dans un établissement à forte composante d’élèves issus de l’immigration afin de réduire l’écart possible entre le modèle dominant qualifiant le groupe professionnel enseignant (Chapoulie, 1987), et les attentes sociales identifiant tel ou tel type de professionnel à tel type de public. Ainsi, le dilemme de statut – qui peut également procéder du sentiment subjectif d’être mal accepté par les collègues – peut favoriser le choix d’exercer dans un LP, ou de manière plus générale, dans des établissements à forte concentration ethnique (Legendre, 2004).
34Le second élément expliquant l’importance de la part de PLP issus de l’immigration dans certains LP réfère aux politiques d’affectation rectorales, politiques dont nous supposons l’existence informelle. La part des PLP contractuels dans les LP diminue depuis quelques années, du fait d’une intégration progressive des contractuels (maîtres auxiliaires et intérimaires), via des concours et examens de titularisation. Il reste néanmoins des PLP contractuels affectés le plus souvent dans des établissements réputés « difficiles ». Or si le rectorat a peu de pouvoir sur l’affectation des enseignants titulaires (ceux-ci peuvent davantage choisir leur établissement et les règles du jeu sont relativement codifiées), il dispose d’une grande marge de manœuvre dans la nomination des contractuels. L’affectation de PLP issus de l’immigration à des LP accueillant de nombreux élèves, issus également de l’immigration, traduit un déplacement des enjeux éducatifs : ceux-ci ne s’appuient plus sur les seules considérations tenant à la qualification scolaire des enseignants, mais procèdent également d’appréciations « culturelles » et « ethniques ». Il s’agit de nommer des enseignants pouvant « parler le langage » de leurs élèves et être à même de les « comprendre ». L’effet de miroir peut conduire à une déstabilisation des rapports entre les élèves et l’institution, générant des malentendus, comme a pu le montrer une recherche menée sur les aides-éducateurs exerçant dans des collèges de banlieue (Charlot, de Peretti, Emin, 2002). Ainsi, la logique scolaire de formation se double-t-elle d’une logique sociale faisant en quelque sorte « entrer » le quartier dans l’école et partant, assignant aux enseignants une fonction assez proche des « grands-frères » dans les cités (Duret, 1996). La socialisation à la forme scolaire est contrebalancée par une socialisation de type communautaire. Les épreuves subjectives rapprochant les élèves des PLP prennent un autre sens lorsque ceux-ci sont issus de l’immigration. Nous avons relevé que de nombreux PLP sont assez critiques à l’égard des entreprises (elles « exploitent les gamins », elles « les débauchent du LP pour les employer à bas prix »…), et que leur critique procède, dans de nombreux cas, d’une expérience personnelle douloureuse en milieu professionnel. Cela les conduit ainsi à renforcer la clôture symbolique d’un LP perçu comme salutaire pour leur public. Mais là où la critique des conditions de travail et de la hiérarchie plus ou moins pesante est avancée par certains PLP pour dire les raisons du « choix » d’enseigner, les enseignants issus de l’immigration avancent davantage l’argument de la discrimination à l’embauche dont ils ont été victimes, tout comme peuvent l’être leurs élèves lorsqu’ils cherchent une entreprise d’accueil pour effectuer leurs stages. Ainsi, la clôture symbolique que les PLP tentent d’instaurer en posant que le LP constitue un « nouveau départ » et une « deuxième chance » pour leurs élèves, peut conduire au (ou être renforcée par le) doute quant à leurs possibilités d’insertion professionnelle et d’émancipation sociale.
Le lycée professionnel, une diversité de configurations
35Le terme générique de « lycée professionnel » au singulier peut prêter à confusion si l’on ne précise pas d’emblée qu’il existe une hétérogénéité remarquable entre les établissements scolaires, ce qui pose pour le moins la question de la manière dont on peut appréhender cet ordre d’enseignement, et du degré de généralité auquel l’analyse sociologique peut prétendre. Nous posons que le travail du sociologue aujourd’hui, face à la diversité des contextes auxquels correspondraient autant de réalités non moins hétérogènes, vise d’abord à construire des schémas analytiques susceptibles de devenir, a posteriori, une grille de lecture mettant en lumière la variété des expériences et des processus sociaux.
36Ils sont aujourd’hui plus de 700 000 élèves à fréquenter les lycées professionnels (publics et privés). Si l’on y ajoute les apprentis ainsi que les élèves scolarisés dans l’enseignement agricole, la population concernée par l’enseignement professionnel secondaire dépasse le million. Les LP préparent à plus de 450 spécialités que recouvrent 213 CAP, 35 BEP et 69 baccalauréats professionnels. En 2004, les lycées professionnels du public sont dans 76 % des cas (n = 1 078) des établissements autonomes, tandis que 24 % (n = 490) font partie de lycées polyvalents. Le déclin du CAP au profit du BEP et la progression de la part des formations préparant au baccalauréat professionnel ont introduit des variations entre les différents LP. Pendant que le BEP connaît une bonne implantation dans la plupart des LP, le CAP décline pour ne concerner qu’à peine la moitié des établissements. Si le LP reste une institution dominée dans l’Éducation nationale, il comporte en lui-même une hiérarchie interne, hiérarchie qui oppose, grosso modo, les spécialités les plus convoitées à celles qui le sont moins, ainsi que le BEP et le baccalauréat professionnel au CAP. À côté des élèves de LP, il existe deux autres publics préparant des CAP, BEP et baccalauréats professionnels, mais dans d’autres contextes et sous d’autres statuts : il s’agit des élèves de l’enseignement agricole28 et des apprentis dans les CFA (Centres de formation d’apprentis). Depuis plus de vingt ans, l’apprentissage en alternance a connu des évolutions importantes. La réforme Séguin (1987) a élargi les domaines et les niveaux de qualification pouvant être préparés en alternance : on peut selon cette réforme préparer un diplôme de niveau V (CAP, BEP), de niveau IV (baccalauréat professionnel, brevet de maîtrise et brevet professionnel) et de niveau III (DUT, BTS). En 1992, Edith Cresson élargit encore plus les niveaux de qualification en y incluant les diplômes de niveau II et de niveau I (Bac + 3, 4, 5 et diplômes d’ingénieur). Le salaire de l’apprenti est revalorisé (il reste inférieur au SMIC et dépend de l’âge et de l’année de formation). Dans le cadre de la Loi quinquennale pour l’emploi (Décembre 1993), les maîtres d’apprentissage ne sont plus obligés d’avoir un agrément pour recruter un apprenti. Les aides financières pour les entreprises embauchant des apprentis sont augmentées (cela a été confirmé récemment avec la Loi sur l’Egalité des chances, votée en Avril 2006, dans son volet relatif aux jeunes sans qualification). L’incapacité de l’enseignement professionnel à former massivement et rapidement une main-d’œuvre qualifiée a conduit dès 1971 à la promotion de l’apprentissage en alternance (dans le cadre de la loi relative à la formation professionnelle continue) (Moreau, 2003). Les effectifs des apprentis se sont accrus : 205 000 en 1992, 276 000 en 1995. En 2002, les apprentis sont au nombre de 365 000 (y compris les apprentis agricoles). Les niveaux CAP et BEP restent dominants (67 % de l’effectif), mais ils déclinent néanmoins (en 1995, leur part était de 79 %), au profit des niveaux IV (19 %), III (10 %) et II-I (4 %). Comme en LP, la part des CAP dans l’apprentissage décline (même si le nombre d’apprentis en CAP est deux fois plus élevé qu’en LP) puisqu’elle représente 52 % en 2003, après avoir constitué 63 % en 1996. Dans les formations post-bac, entre 1995 et 2001, les apprentis sont passés de 20 000 à 50 000. Mais comme le souligne Gilles Moreau (2005), le fait que la plupart des apprentis du supérieur proviennent de la voie scolaire (plus de 80 %) montre que l’on ne peut véritablement parler de « filière apprentissage », comme si les employeurs privilégiaient les « scolaires » plutôt que les « professionnels » dès qu’il s’agit d’un niveau supérieur au baccalauréat. Faire une sociologie des lycées professionnels peut s’avérer une entreprise difficile tant la diversité des contextes, des filières et des spécialités semble condamner à l’échec toute tentative qui en scruterait les régularités et le caractère commun. Ainsi, peu de chose rapproche un élève d’une section hôtelière, entré en LP à l’issue d’une sélection sur dossier et entretien, et un élève, orienté en chaudronnerie ou en couture, le plus souvent sur son troisième vœu ! Par ailleurs, l’expérience dans un LP n’accueillant pas plus de 300 élèves dans des spécialités très convoitées ne saurait donner lieu aux mêmes épreuves, que s’il s’agit d’un LP industriel faisant partie d’un lycée polyvalent, où cohabitent différentes filières, différents niveaux de formation, et sans doute où prédomine davantage le sentiment d’être dominé à mesure que l’on fréquente ce que les élèves et les enseignants appellent des « classes poubelles ». La diversité des LP devient plus complexe lorsqu’on essaie de combiner différentes variables : le lieu géographique (LP urbains versus LP ruraux, LP préparant aux métiers du tourisme selon qu’il est situé ou non dans une ville maritime…), les domaines professionnels, l’histoire locale (par exemple, être scolarisé en LP dans le Nord Pas-de-Calais ou en Lorraine n’admet pas le même sens que dans une région telle que le Poitou-Charentes ou l’Alsace), la structure de l’établissement (établissement autonome ou intégré dans un LEGT, présence ou non au sein du LP d’un centre de formation d’apprentis, présence ou non de formations post-BEP, post-Bac…), la nature de l’établissement (LP publics versus LP privés). Enfin, on ne saurait parler des lycées professionnels de manière générique si l’on n’inclut pas l’enseignement agricole – il dépend du ministère de l’Agriculture – qui fut également pionnier en matière d’innovation pédagogique, et dont les règles de gestion diffèrent sensiblement de celles des établissements relevant de l’Éducation nationale.
37On voit ainsi qu’il est difficile de dresser un tableau sociologique exhaustif de l’expérience scolaire dans les LP. Cependant, et si l’on s’en tient aux formations et aux spécialités les plus répandues, ainsi qu’aux configurations les plus courantes, nos investigations de terrain, sans être représentatives de tous les LP, admettent un caractère de généralité. La généralité réfère d’abord au fait que les élèves comme les enseignants interrogés, sont confrontés aux spécialités les plus courantes dans les LP. Le choix des interlocuteurs s’est effectué en tenant compte de la diversité et de l’importance quantitative des filières et des domaines professionnels. La spécificité des LP et l’existence de configurations contextuelles variées n’empêchent pas la présence de points communs, qu’il s’agisse de l’épreuve de l’orientation vécue par les élèves, du sentiment d’être dominé qu’éprouvent les enseignants ou encore de la dualité entre les savoirs généraux et les savoirs professionnels. C’est donc l’expérience, en tant que rencontre entre un contexte scolaire spécifique – couvrant une forme scolaire et une forme professionnelle – et des épreuves subjectives, qui nous apparaît comme analyseur des évolutions affectant le lycée professionnel et ses missions.
38Les interactions confrontant les élèves et les enseignants en LP sont largement tributaires des savoirs et de la spécificité de leur forme. Saisir l’expérience dans les LP aujourd’hui implique de distinguer la « forme scolaire » de la « forme professionnelle », sans pour autant les poser comme foncièrement antinomiques.
Les savoirs enseignés, entre la forme scolaire et la forme professionnelle
39Tout comme pour les autres ordres d’enseignement, les savoirs enseignés en LP peuvent être soumis à une approche curriculaire s’interrogeant sur leurs finalités politiques et idéologiques. Dans les années soixante-dix, en Grande-Bretagne, des recherches sociologiques ont soumis à examen critique les savoirs enseignés à l’École. Cette sociologie du curriculum part du postulat que tout savoir (scolaire, social, technique…) est une construction sociale – exprimant des intérêts, des luttes, des enjeux et des rapports de domination – et qu’il traduit aussi un travail de légitimation ayant pour finalité le contrôle social. Ainsi, l’ouvrage collectif, édité par Michael Young, et illustrant une telle conception, a pour titre : Knowledge and Control (1971). « Il s’agit […] de saisir les savoirs, les contenus symboliques et les critères de jugement véhiculés par l’enseignement comme des produits sociaux ou des “constructions sociales”, comme le résultat instable d’interactions et d’interprétations “négociées” entre des partenaires placés dans des positions sociales différentes et porteurs de ce fait de “perspectives” divergentes » (Forquin, 1997, p. 29). Si au LP, le référentiel des activités professionnelles ainsi que le référentiel de certification offrent un tableau rationnel des savoirs à maîtriser – même si ces savoirs expriment souvent le poids des branches professionnelles les plus influentes (Tanguy, 2000) –, les « programmes » de l’enseignement général comportent des enjeux politiques visant à former à un certain type de pensée, d’autant plus qu’ils partent de présupposés que l’analyse sociologique peut étudier en tant que tels. Par exemple, les finalités de l’enseignement du français et de l’histoire-géographie varient selon les filières. Dans le cadre du programme du « nouveau CAP », l’enseignement du français vise d’abord la maîtrise littéraire et fonctionnelle de la langue. Mais quatre finalités sont fixées à cet enseignement : amener les élèves (ou les candidats) à « se construire » ou à « se reconstruire », à travers un travail sur leur identité, leur avenir… et ce, en s’appuyant sur des supports écrits comme sur l’image ; favoriser l’insertion des élèves dans le groupe de pairs via les situations de communication, le dialogue, l’écoute et la « construction d’une opinion raisonnée » ; favoriser l’insertion dans l’univers professionnel : cela passe par une réflexion sur la fonction du langage dans les milieux professionnels, l’ouverture sur la culture des métiers, la compréhension des enjeux sociaux et économiques des discours professionnels ; contribuer à l’insertion dans la cité. Le programme d’histoire-géographie en première et en terminale de baccalauréat professionnel a pour notions centrales l’État-Nation et la Mondialisation. Autour de ces notions, les élèves doivent aborder les thèmes de la démocratie, des régimes politiques, de la régionalisation, de la culture et de la société ainsi que de la démographie. La période historique étudiée s’étend du milieu du xixe siècle à l’époque actuelle. L’épreuve est affectée d’un coefficient 2 en baccalauréat professionnel et elle dure deux heures. Le BO No 34 du 2/10/1997 précise que le candidat « doit faire la preuve de ses capacités de comprendre et d’analyser une situation historique ou géographique en s’appuyant sur l’étude d’un dossier de trois à cinq documents de nature variée ».
40Les savoirs réfèrent aussi à ce qui est réellement mis en évidence en classe ou en atelier (ou en pratique), voire en stage, et si les programmes, à quelques exceptions près, ne se focalisent pas sur le « savoir-être », celui-ci devient une catégorie discursive surinvestie dans les LP, dont il convient d’analyser la signification sociologique. Les élèves associent fortement leur expérience à l’apprentissage du métier, et ils considèrent que les savoirs généraux ne servent qu’à l’obtention du diplôme, à la sélection scolaire, ou éventuellement à la vie sociale. La tension majeure traversant l’expérience des élèves réfère à cette distinction, voire à l’opposition perçue entre l’enseignement général et l’enseignement professionnel. Cette tension procède en réalité d’une pluralité de causes. D’abord, celle plus historique qui a longtemps divisé le monde professionnel en l’affectant de caractéristiques intellectuelles ou manuelles. On ne saurait penser cette opposition indépendamment de la division sociale du travail qui distingue les professions selon une échelle allant des emplois d’exécution à ceux de la conception et, d’une certaine manière, les savoirs scolaires sont à leur tour hiérarchisés selon le principe qui va de la culture « pratique » à la culture « générale », dite universelle et légitime. De fait, et si l’opposition – au moins idéologique – entre l’enseignement général et l’enseignement professionnel procède de l’histoire de l’industrialisation, elle couvre une réalité dans laquelle les savoirs ouverts sur la pratique, plus en phase avec l’action sur le réel, se trouvent subordonnés aux savoirs décontextualisés. Cette subordination est largement entretenue par le statut de l’enseignement de la technologie au collège, un enseignement qui reste largement minoré.
41En outre, et sur un plan plus contextuel, la structure même des LP comme la dichotomie disciplinaire des PLP, donnent à voir cette distinction : hormis dans certains LP tertiaires, la plupart des LP, notamment industriels, sont organisés de manière telle que les ateliers sont éloignés des salles de cours et les enseignants – ceux des disciplines générales et ceux des disciplines professionnelles – ne s’y côtoient guère. Il y a d’ailleurs entre les PLP un certain désaccord autour des finalités de l’enseignement général. Pour les PLP de matières générales, les savoirs doivent ouvrir sur la vie et contribuer à structurer la pensée, et ne pas se réduire à leur composante utilitaire et pragmatique. Tandis que les PLP de matières technologiques et professionnelles considèrent que les savoirs généraux ne devraient pas être trop théoriques ou abstraits, mais répondre à des préoccupations professionnelles. L’anti-intellectualisme rapproche les élèves d’une partie des PLP. La dualité des savoirs nous a amené à considérer que les savoirs enseignés appartiennent à deux formes, même si le cadre institutionnel reste soumis à la forme scolaire. La pertinence sociologique de cette distinction est corroborée par le rapport même des élèves aux savoirs, puisqu’ils opposent souvent le dire (ou les savoirs sur) et le faire (ou les savoirs d’action).
42L’ouverture du LP sur les milieux professionnels donne aux savoirs une spécificité plus que scolaire car la « coupure avec le réel » (Demailly, 1990) y est relative. Si l’on s’en tient à la définition proposée par Guy Vincent, Bernard Lahire et Daniel Thin pour qualifier la forme scolaire, « l’école et la pédagogisation des relations sociales d’apprentissage sont liées à la constitution de savoirs scripturaux formalisés, savoirs objectivés, délimités, codifiés, concernant aussi bien ce qui est enseigné que la manière de l’enseigner, les pratiques des élèves autant que la pratique des maîtres […] Il s’agit de faire intérioriser par les élèves des savoirs qui ont conquis leur cohérence dans/par l’écriture (à travers un travail de classification, de découpage, d’articulation, de mise en relation, de comparaison, de hiérarchisation, etc.) » (1994, p. 30). Le fait que le LP dispense des savoirs professionnels, qu’il soit ouvert sur le monde du travail et qu’il use de techniques dont le caractère productif est proche de l’activité professionnelle réelle, donne à voir l’existence de deux formes : l’une, scolaire, réfère surtout aux savoirs généraux décontextualisés ayant une finalité culturelle (à vocation universelle) ; l’autre forme est « professionnelle » puisque les savoirs qu’elle couvre se veulent proches de leur application, voire concrètement utilisables. Dans cette perspective, l’apprentissage détaché de la pratique qui a fondé l’histoire de la scolarisation ne suffit pas pour qualifier l’enseignement professionnel en milieu scolaire.
43Comment les élèves de LP se socialisent-ils professionnellement et quels rapports peut-on établir entre la socialisation professionnelle et la socialisation scolaire ? Pour l’élève de LP, l’alternance entre l’enseignement général et l’enseignement technologique et professionnel est tout autant affaire de scolarité – c’est-à-dire de quotidien scolaire au sein du LP –, que de passage ponctuel entre l’univers scolaire et les milieux professionnels à l’occasion des stages en entreprise. De fait, l’expérience de l’élève implique un travail subjectif de mise en cohérence entre des contenus variés et aux finalités hétérogènes. L’alternance entre les savoirs décontextualisés et les savoirs « pratiques », et de manière plus générale, entre « l’école » et « l’entreprise » constitue depuis plusieurs décennies un enjeu de débats et de controverses politiques et pédagogiques (Monaco, 1993). Pensée à partir de l’expérience scolaire des élèves, elle soulève la question du sens et de l’articulation entre les différentes expériences. « Séparation et articulation : toute problématique de l’alternance est là. Conscients par profession de la nécessité du détour de l’apprentissage, c’est sur l’articulation que les pédagogues mettent l’accent et les auteurs des années 1970 parlent de vrai ou de fausse alternance selon qu’il existe ou non des liens explicites entre les moments passés à l’école et ceux passés hors de l’école » (Malglaive, Weber, 1982, p. 18). Ces « liens » s’apprécient dans leur visée concrète – apprendre en LP à soigner les personnes, c’est pouvoir mettre en application des savoirs paramédicaux en situation professionnelle ou non – mais aussi dans leur finalité formative de soi – maîtriser des éléments de l’Histoire, c’est aussi pouvoir s’interroger sur son identité de sujet appartenant à une société, porteur d’une culture. L’articulation entre les deux formes désignant l’expérience scolaire en LP procède du lien établi entre les « savoirs sur » et « l’action sur » le réel. « Nous réservons, quant à nous, le terme de théorie ou de savoirs théoriques à ceux des savoirs qui portent sur la connaissance du réel et de son mouvement, et nous parlerons de savoirs pratiques lorsqu’il s’agira de connaissances relatives à l’action sur le réel » (Malglaive, Weber, op. cit., p. 19). Si l’on retient l’idée que le sens d’un apprentissage, sur fond d’alternance, concerne d’abord l’élève puisqu’il est au centre du processus de formation (Chaix, 1993), on peut proposer une lecture de l’expérience scolaire en recourant à la notion de forme de rapport aux savoirs (Jellab, 2001, b ; Jellab, 2003). La distinction entre l’enseignement général et l’enseignement professionnel réfère, du point de vue des élèves, à deux réalités plus ou moins maîtrisées. Si le français ou l’histoire restent davantage des « discours » à effet cognitif ou mnémonique, l’activité de mécanique ou de soudure relève plutôt de l’action dont l’effet « productif » reste évaluable empiriquement. C’est ainsi que les élèves diront préférer la pratique parce qu’ils en mesurent concrètement les apprentissages, tandis que les savoirs généraux restent soumis à l’appréciation des enseignants qui « savent si on a réussi ou pas ». Cette perception des savoirs procède bien de la spécificité de leurs contenus, d’autant plus que l’enseignement professionnel – tout comme l’enseignement technique – ont vu se structurer, dès le début, leurs curricula de manière rationnelle et positiviste. De fait, le référentiel de diplôme ou de certification définit « les compétences attendues pour exercer une activité dans le secteur professionnel concerné et les conditions dans lesquelles elles doivent être évaluées »29. Aussi, les référentiels se calquent-ils désormais sur une définition générique des compétences mesurables en situation de travail et évaluables scolairement en termes de compétence globale (être capable de), de capacités générales (ou transversales, telles que savoir s’informer, organiser, réaliser et communiquer), de capacités et de compétences terminales et de savoirs et savoir-faire complémentaires (ou associés, il s’agit des savoirs technologiques et transversaux notamment). Ce référentiel permet aux enseignants de mieux cerner les objectifs professionnels du diplôme. Des rubriques similaires structurent les référentiels des activités professionnelles : on trouve le nom du diplôme, le champ d’activités (leur contexte professionnel) et une description des fonctions, des tâches ainsi que des conditions d’exercice.
Savoirs savants et pratiques sociales de référence en LP
44Les savoirs enseignés en LP ne procèdent pas seulement des savoirs universitaires ou savants. Ils relèvent aussi des pratiques sociales de référence qui jalonnent souvent les exemples que les PLP invoquent pour rendre « parlants » les contenus enseignés (voir plus loin). La « transposition didactique » n’est pas simple traduction des savoirs savants (ou universitaires) en savoirs à enseigner au LP, puisqu’elle recouvre aussi le passage de pratiques sociales de référence ou expérientielles (Martinand, 1982), notamment celles qui ont cours dans les entreprises. Yves Chevallard considère que « la transposition didactique désigne donc le passage du savoir savant au savoir enseigné » (1985, p. 18). Mais l’on peut se poser la question, avec Michel Caillot (1996), de savoir si cette définition issue de la didactique des mathématiques est transposable à d’autres champs de savoir, si elle est universelle ? Car le savoir savant auquel se réfère Chevallard ne couvre pas tous les savoirs puisqu’il existe également des savoirs qui relèvent de pratiques sociales, comme par exemple les pratiques langagières, les pratiques professionnelles, etc. Par ailleurs, le passage d’un savoir savant à un savoir enseigné implique un travail dans lequel différents acteurs (occupant différentes positions) produisent des contenus supposés être légitimes à enseigner. Ainsi, la noosphère (expression qui qualifie les milieux qui vont concourir à la transposition d’un savoir scientifique vers un savoir enseigné à l’école) intéresse à la fois le didacticien (dans la mesure où elle lui permet de suivre le cheminement et les enjeux sociaux et scientifiques intervenant dans la construction des programmes) et le sociologue qui s’interroge sur le processus de sélection et de justification d’un savoir considéré comme légitime à enseigner.
45Ce questionnement concerne directement l’enseignement technique et professionnel dont l’ouverture sur les activités professionnelles (de production et de service), sur les entreprises industrielles et de service, participe des négociations et des arrangements intervenant dans la définition des référentiels. De même, les savoirs relevant de « l’enseignement général » sont élaborés en référence à des contenus savants (par exemple le travail sur l’argumentation et sur le schéma narratif en français) mais aussi en fonction de finalités sociales (les savoirs doivent aider les élèves à se « construire », à « communiquer » autour de leur réalisation professionnelle, à maîtriser un « savoir-être » en tant que compétence transversale…). Mais les pratiques sociales de référence participent aussi de la légitimation professorale des savoirs à enseigner, ce qui implique que l’on distingue i) ce qui participe de leur élaboration (sous forme de « programmes ») de ii) ce qui participe de leur légitimation lors des interactions pédagogiques maître/élèves. Le savoir universitaire ou savant n’est donc pas la seule source du enseigné puisqu’« il existe des savoirs liés aux pratiques sociales, y compris langagières, qui n’appartiennent pas forcément au savoir académique élaboré par la communauté scientifique » (Caillot, 1996, p. 23).
46Dans l’enseignement technique et professionnel, les programmes d’enseignement sont élaborés à partir de négociations engageant plusieurs acteurs, les universitaires et les scientifiques ne constituant pas la seule entité influente. Le rôle des représentants des métiers est aussi déterminant dans l’élaboration des curricula, d’autant plus que les contenus sont fortement liés aux exigences et aux mutations des activités professionnelles – celles-ci contribuant à instituer de nouveaux savoirs de référence –, sur fond de lutte et de lobbying engageant différents groupes professionnels. Les programmes de l’enseignement technique et professionnel obéissent, depuis les années cinquante, et de manière plus systématisée, à partir des années quatre-vingt, à un travail d’élaboration « conjoint », associant les représentants de l’Éducation nationale et ceux des entreprises, dans le cadre des CPC (commissions professionnelles consultatives). Ce rapprochement, légitimé par une volonté politique et économique d’articuler la formation avec l’emploi, doit déboucher sur la définition d’un référentiel d’emploi (devenu référentiel des activités professionnelles) qui donne lieu ensuite à un référentiel de diplôme (ou de certification). Ce second référentiel permet d’élaborer un référentiel de formation, en tant que support pédagogique servant à construire des enseignements et à les évaluer. Le référentiel des activités professionnelles désigne les compétences construites par l’élève et devant être immédiatement opérationnelles en situation professionnelle. Tandis que le référentiel de certification (ou de diplôme) désigne les savoirs que l’élève doit maîtriser et sur lesquels il est interrogé lors des épreuves scolaires en vue de l’obtention du diplôme. Dans la mesure où les savoirs techniques et professionnels sont en lien direct avec les activités professionnelles, ils combinent plusieurs savoirs de référence : des savoirs savants (dans le cadre de l’enseignement de la technologie par exemple, mais aussi s’agissant des liens qui existent entre la technologie et d’autres disciplines telles que les sciences physiques, les sciences de la vie, les mathématiques…), des savoirs professionnels (qui procèdent du rôle joué par certains représentants professionnels influents au sein des CPC, qui relèvent aussi de ce que l’Éducation nationale juge « utile » à enseigner selon les niveaux de qualification, les publics scolaires, etc.) et des savoirs « sociaux » (les compétences à acquérir ne relèvent pas du seul savoir « technique » ou procédural ; elles intègrent aussi des savoirs « relationnels » qui désignent l’appropriation des relations sociales en situation professionnelle, comme la « communication », le « savoir argumenter »). La spécificité des curricula de l’enseignement professionnel, combinée au rapport des élèves à ces curricula (ou aux savoirs en tant que rapport à l’apprendre) nous a amené à proposer la notion de « forme professionnelle » pour qualifier la nature des savoirs professionnels enseignés en LP. Non seulement la « coupure avec le réel » est relative (par rapport aux autres contextes d’enseignement, au collège ou au lycée notamment, hormis dans les filières technologiques) mais aussi, les savoirs ne sont pas légitimés par leur seule dimension intellectuelle (ou cognitive). Ils le sont aussi par leur utilité professionnelle et « pratique ». Un savoir professionnel maîtrisé est celui que l’élève est capable de déployer en situation « professionnelle » ou « hors scolaire » (réparer une machine, faire une installation électrique chez un particulier, servir des clients dans un restaurant, soigner une personne dépendante, construire une chape de béton…).
47En proposant la notion de « forme professionnelle », nous insistons sur le relâchement relatif de la forme scolaire au sein des LP dans la mesure où les savoirs ne sont pas légitimés par leur seule portée cognitive, mais aussi parce qu’ils relèvent bien de pratiques sociales de référence. Ainsi, il y a loin entre l’enseignement de l’histoire, qui peut éventuellement référer à une expérience vécue par les élèves mais qui reste le plus souvent perçue comme un discours « sur » le monde, et l’enseignement des procédures techniques et professionnelles pour apprendre à transformer et à cuisiner des aliments ou à démonter et réparer un moteur à explosion. De fait, la culture scolaire en LP combine différents savoirs qui sont plus ou moins en « dialogue » et dont les modes d’enseignement et d’appropriation impliquent des adaptations permanentes. Revisitant le concept de « forme scolaire », Elsie Rockwell (1999) montre, par exemple, comment l’histoire culturelle – saisie à partir du concept de « longue durée » utilisé par Fernand Braudel – traverse les interactions pédagogiques et comment enseignants et élèves puisent dans leur environnement social des ressources pour réinventer (ou réélaborer) les savoirs à acquérir. La co-construction des savoirs est tout autant affaire d’appropriation d’un patrimoine culturel que mise en relation avec l’expérience sociale des sujets. L’expérience scolaire en LP est plus qu’ailleurs « ouverte » sur l’expérience sociale puisque les savoirs enseignés valent moins en eux-mêmes mais plutôt par leur portée « professionnelle », « pratique », « utile », etc. Mais le paradoxe, comme nous le verrons, c’est que bien que les pratiques sociales de référence subsument la légitimité des savoirs – et surtout la justification professorale de leur enseignement –, la scolarisation des contenus scolaires introduit une tension que les PLP renforcent en posant que le LP est une école de la « deuxième chance ». Autrement dit, la forme professionnelle ne paraît soutenir la légitimation des savoirs à enseigner que parce qu’elle constitue un détour (ou une ruse) pédagogique afin de mieux réaffirmer l’importance de l’affiliation à la forme scolaire. Ce qui n’atténue pas la tension entre la « culture » et le « métier ».
Institution et contexte : Au-delà d’une sociologie des LP comme établissements
48Le passage de l’enseignement professionnel en tant qu’institution au LP en tant que contexte, suppose que l’on se situe avec l’établissement scolaire comme entité en soi, même s’il est, davantage que le collège et le lycée, « ouvert » sur les milieux professionnels. La spécificité de l’enseignement professionnel – mais également de l’enseignement technique – réside bien dans son ouverture sur le marché du travail que consacre son curriculum, ce qui oblige à de constants remaniements au rythme de l’évolution des techniques et des exigences des emplois. Néanmoins, peu de recherches sociologiques traitant de l’enseignement professionnel ont pris pour objet d’étude les LP et ce qui s’y vit au quotidien. Ce sont surtout d’autres contextes de formation et d’autres problématiques qui ont été travaillés ces dernières années : l’alternance dans l’enseignement agricole (Chaix, 1993), les écoles d’entreprise (Quenson, 1999), la formation dans des institutions revendiquant une forte légitimité, notamment au plan de la formation des adultes telle que l’AFPA (Bonnet, 1999) ainsi que l’apprentissage en alternance et ses désillusions (Moreau, 2003).
49Plutôt que de s’attacher au LP comme établissement ou organisation, notre choix empirique s’est focalisé sur le rapport aux savoirs chez les élèves, pour penser par la suite les pratiques pédagogiques des enseignants. Le risque est bien évidemment de réduire l’affiliation au LP à des dynamiques microsociologiques qui deviendraient le « déterminant en soi » du matériau recueilli et analysé. En même temps, cette approche se démarque de la sociologie classique qu’elle soit d’inspiration durkheimienne ou marxiste, qui n’a guère laissé de place à la diversité des expériences, et encore moins à la subjectivité socialement construite des individus. Depuis la fin des années quatre-vingt-dix en France, la sociologie de l’éducation s’est emparée d’un nouvel objet, celui de « l’établissement scolaire » (Bressoux, 1994). En France, une recherche menée en 1988 sur des collèges montrait comment l’établissement fréquenté influait sur les acquisitions des élèves, davantage en mathématiques qu’en français (Duru-Bellat, Mingat, 1988). S. Heyneman (1986) rapporte ainsi quelques éléments expliquant les performances des établissements scolaires. Parmi les éléments retenus, on trouve le rôle du chef d’établissement (en particulier pour ce qui est de la construction, de la définition d’objectifs éducatifs à améliorer, et de la mobilisation des enseignants), les attentes de réussite à l’égard des élèves, portées par les enseignants et les équipes éducatives, l’évaluation régulière des progrès réalisés par les élèves, le « climat » apaisé, et enfin le degré de valorisation par les élèves des normes d’excellence scolaire, à travers également la comparaison avec le groupe de pairs.
50S’agissant des LP, l’effet-établissement nous semble davantage se jouer dans les interactions entre les élèves et les enseignants, tout en renvoyant à des configurations interactionnelles plus larges. Cela signifie que d’autres dimensions plus organisationnelles et institutionnelles interagissent sur le fonctionnement du LP. En tant qu’établissement public local d’enseignement (EPLE), le LP a à articuler trois niveaux : le niveau local, où le projet d’établissement est « négocié » avec le bassin de formation et d’emploi environnant ; le niveau régional, en tenant compte du Plan régional de la formation professionnelle des jeunes ; le niveau national, notamment l’évolution des référentiels de formation et de certification. La réussite scolaire, comme l’absentéisme et les ruptures de scolarité, affecte différemment les LP alors qu’ils accueillent un public objectivement similaire et dans les mêmes spécialités. C’est pourquoi, et sans négliger la composante organisationnelle des LP – par exemple, dans les LP industriels, et eu égard à la division du travail entre les différents acteurs, le rôle du chef de travaux chargé de superviser les moyens techniques et pédagogiques comme les relations avec les entreprises, ce rôle donc façonne le travail des enseignants –, c’est davantage vers les interactions entre les PLP et leurs élèves que la recherche sociologique gagnerait à s’orienter.
De la reproduction à l’expérience des sujets
51Si l’on s’en tient à l’étude classique de Claude Grignon (1971), réduire la mission de l’enseignement technique à la « domestication » d’une élite des réprouvés empêche de voir les mécanismes de résistance, les « compromis » et les ambivalences qui animent les enseignants. Ce regard empêche également d’observer une possible prise de distance à l’égard de la domination qui fait que l’on peut porter le bleu de travail, sans adhérer subjectivement aux valeurs de l’institution ! L’étude proposée par C. Grignon constitue, jusqu’à aujourd’hui, la seule véritable enquête sociologique rendant compte des pratiques pédagogiques dans les collèges d’enseignement technique, dans leur lien avec le public scolaire et les finalités sociales de cet enseignement. La description fine des pratiques enseignantes et de l’habitus auquel elles socialisent mettait en exergue les contradictions d’une institution qui, sous couvert de former le futur ouvrier professionnel et citoyen, le prépare en réalité à incorporer la morale bourgeoise nécessaire à la reproduction des conditions sociales de la production. Mais cette étude, bien qu’exhaustive, ne rendait que partiellement compte des modes d’appropriation par les élèves des savoirs. La massification, entamée quelques années avant le travail de C. Grignon, laissait entrevoir une évolution non seulement du public, mais aussi des missions de l’enseignement professionnel. C. Grignon observait, néanmoins, que les élèves résistaient à l’imposition de l’arbitraire culturel, notamment lorsqu’il s’agit de l’enseignement général, incarnation de la culture légitime. Il remarquait qu’« Au pouvoir légitime de l’institution scolaire d’imposer des normes culturelles et morales légitimes, les élèves de CET et leurs parents opposent une résistance passive qui s’exprime par des comportements négatifs plutôt que par des discours. La plupart des apprentis scolarisés refusent de s’intéresser à tout ce qui leur paraît sans rapport avec le métier, l’enseignement général est le plus souvent refusé, et parfois violemment, par des élèves que leur passé scolaire n’incite guère à reconnaître les valeurs traditionnelles de l’école » (op. cit., p. 93).
52Du fait de la domination exercée par la sociologie de la reproduction sur le champ intellectuel, il n’était guère difficile de conclure à l’idée que l’enseignement professionnel, parce qu’accueillant massivement les enfants de milieu populaire, allait assurer l’inculcation d’une idéologie spécifique. Difficilement réfutable, la thèse de la reproduction n’en reste pas moins discutable. Ainsi, si les enfants de milieu ouvrier sont massivement orientés vers le LP, d’un point de vue statistique, l’hypothèse d’une reproduction reste soutenable. Mais si l’on s’interroge sur l’expérience effective des élèves et des enseignants de LP, sur la nature des savoirs enseignés, sur les liens entre l’apprentissage et les modes d’insertion dans la vie professionnelle, ou encore sur le statut des diplômes eu égard à la massification, le raisonnement en terme de reproduction devient insuffisant. De même, si l’on entre aujourd’hui en LP parce que l’on est en échec scolaire au collège et non parce que l’on est issu de milieu ouvrier comme ce fut le cas auparavant, les finalités de la scolarité deviennent tout autres. Par ailleurs, la diversité des expériences socio-subjectives au sein d’une population scolarisée dans une même filière ou une même spécialité, oblige à tout le moins à dépasser les schémas totalisants, compatibles avec une société formant « système », et auxquels la sociologie classique nous a habitués. Bref, à appliquer un modèle théorique généralisant, il devient sans doute plus difficile de penser le terrain en lui-même, alors que justement la théorie sociologique gagnerait à intégrer un éventail varié et complexe de données empiriques. Enfin, ce qui peut paraître sociologiquement comme un agent de domination peut devenir une ressource, dont la maîtrise assure aux sujets un certain pouvoir et une autonomie (Giddens, 1987). C’est d’ailleurs une expérience assez répandue dans les LP que de voir des élèves se mobiliser sur des savoirs qui ont été à l’origine de leur échec en collège, et partant, tenter d’inverser la relation de domination même si les raisons d’un tel changement de posture peuvent être plus instrumentales qu’« idéologiques ». On peut suivre Lucie Tanguy lorsqu’elle observait que « le CET est dans l’école capitaliste actuelle, l’institution la moins défavorable à la classe ouvrière […] la formation des travailleurs instruits et qualifiés est une arme pour leur émancipation » (Tanguy, 1976, p. 183).
53Les LP sont loin de constituer un monde homogène (Baudelot, Establet, 1989) et sauf à scruter de manière phénoménologique toutes leurs composantes – ce qui relèverait tout au plus d’une description peu pertinente –, ou à se focaliser sur une thématique plus large, comme celle travaillée par la « sociologie des établissements scolaires » (Derouet, Dutercq, 1997), on ne saurait rendre compte de « tout » ce qui caractérise ce terrain. Aussi, c’est bien d’une réalité sélective que notre travail veut rendre compte, puisqu’il s’est essentiellement focalisé sur les relations entre les élèves, les enseignants et la nature des contenus enseignés. L’intérêt d’une telle approche vaut dans sa capacité à rendre compte des dynamiques sociales et subjectives qui, bien qu’étant consistantes en elles-mêmes, s’intègrent dans une division sociale et morale du travail (Hughes, 1996 ; Masson, 2000).
Interactions entre élèves et enseignants
54L’expérience des élèves et des enseignants en LP ne peut être saisie qu’à l’aune de ses configurations sociales et subjectives, où le sens des études devient suspendu aux interactions engageant les acteurs, leur histoire ainsi que les objets de savoir que sont les contenus de formation. L’épuisement des modèles explicatifs et épistémologiques classiques a largement été débattu en sociologie (Dubet, 1994) et ce, quels que soient les contextes et les objets de recherche travaillés (Nicole-Drancourt, 1991 ; Dubet, Martuccelli, 1996, b ; de Singly, 2003). La redécouverte de l’acteur, la complexité des expériences et les effets contextuels variables d’un individu à l’autre, nous ont progressivement amené à nous centrer sur le sens que les sujets donnent à leur scolarité, sur ce qui anime leur mobilisation et leurs pratiques… Une approche sociologique au plus près des élèves et des enseignants de LP amène à changer de perspective : le contexte qu’est le LP et ses caractéristiques devient moins explicatif en lui-même que la manière dont les sujets se l’approprient et en « utilisent » les ressources (culturelles, matérielles, symboliques…). Ce contexte, nous l’avons certes saisi à partir de la diversité des pratiques pédagogiques, mais celles-ci disent souvent moins sur les caractéristiques de l’établissement scolaire que sur les modes de mobilisation professorale qui, elles, paraissent procéder de singularités actives et d’histoires socio-subjectives singulières.
55L’affiliation des élèves doit beaucoup aux interactions avec les enseignants. Les interactions en question ne réfèrent pas aux seuls échanges symboliques ou « pratiques » (liés en particulier à la relation pédagogique, aux relations de savoir, d’enseignement et d’apprentissage), mais relèvent aussi de la trajectoire des interactants, ainsi que de leur position dans l’institution scolaire. Si ce sont principalement les entretiens menés avec les élèves et les enseignants qui nous ont permis de proposer une typologie des formes de rapport aux savoirs et d’affiner les modes de mobilisation professorale visant à « réhabiliter » l’expérience scolaire d’un public ayant connu l’échec scolaire, ce sont également nos nombreuses observations effectuées en classe, en atelier (ou en pratique) et lors de conseils de classe qui nous ont permis d’interroger cette expérience, et d’amener nos interlocuteurs à interroger leurs pratiques et « représentations ». C’est guidé par l’expérience vécue et racontée par les élèves que nous en sommes venu à penser les pratiques pédagogiques des enseignants. Par la suite, ces pratiques nous sont apparues cristalliser une proximité de condition entre les PLP et leur public, proximité qui participe de la clôture symbolique associée à la fonction « salutaire » du LP.
L’hypothèse d’une proximité de condition entre enseignants et élèves
56Tout se passe alors comme si l’origine sociale plus populaire, une scolarité marquée par des difficultés, un choix contraint – et parfois contrarié, notamment chez les PLP de matières générales – et l’exercice au sein d’un contexte dévalorisé par le système scolaire concouraient à rapprocher les PLP de leurs élèves. Cette proximité de condition nous permet de postuler qu’elle est constitutive du travail des enseignants, dans la mesure où elle crée un effet de miroir, et explique les contradictions vécues au quotidien, entre croyance en l’émancipation des élèves et doutes quant à l’efficacité sociale et professionnelle de la « voie des métiers ».
57Pour autant, cette proximité ne détermine pas en elle-même de manière unidimensionnelle les pratiques pédagogiques et les interactions construites avec les élèves, puisque plusieurs postures sont observées, entre l’enseignant s’impliquant et recherchant une proximité avec son public, et l’enseignant qui, craignant d’être stigmatisé et identifié à ses élèves, en vient à instaurer une distance, voire du mépris. C’est également la plus ou moins grande maîtrise des effets induits par la proximité qui amène à l’instauration d’une distance symbolique, perçue comme nécessaire pour « survivre » professionnellement. Ainsi, et comme pour les élèves, le choix ou non d’exercer en LP ne détermine pas la réussite ou l’affiliation professionnelle.
58La proximité de condition recouvre également la dimension ethnique, autrement dit, des caractéristiques culturelles rapprochant les PLP de leurs élèves. Cette réalité n’est pas répandue dans tous les LP mais paraît dominer dans certains d’entre eux. Or la proximité ethnique pose pour le moins les questions du mode d’affectation institutionnelle des enseignants dans les LP concernés, ainsi que des modalités de construction de son métier au sein des établissements accueillant une forte proportion d’élèves issus de l’immigration, ou d’origine étrangère. N’assiste-t-on pas in fine à une production sociale de l’ethnicité à travers une affectation et une sur-représentation d’élèves issus de l’immigration dans certains LP – production sociale qui procède aussi bien de l’histoire économique et sociale locale, celle des cités ou quartiers d’origine des élèves, que de l’évitement de l’établissement par certains parents –, qui se renforce institutionnellement par une affectation d’enseignants supposés être à même de réussir avec un public « qu’ils comprennent » et qui « les comprend » ?
59La ressemblance classiquement culturelle entre les enseignants et leurs élèves laisse place à des épreuves partagées, celle des conditions d’étude et d’enseignement. Mais les observations effectuées par Lucie Tanguy sont à nuancer. Elle relevait que la distinction entre le savoir professionnel et le savoir technique correspondait à deux postures pédagogiques différenciant les enseignants issus de l’industrie et ceux provenant de l’enseignement technique supérieur. « Ce recours à la pédagogie comme élément central de la compétence professorale recouvre des acceptions distinctes chez les deux générations : une transmission de maître à élève dans des rapports d’autorité et de convivialité pour les uns et une transmission impersonnelle qui obéit à la formalisation de la science et de la technique pour les autres » (Tanguy, 1991, p. 114). Les épreuves du métier, liées à la résistance des élèves, voire à leurs difficultés cognitives, ne s’accommoderaient pas d’un enseignement impersonnel. Ce que montrent nos observations, c’est combien les PLP sont mis à contribution, innovent et tentent de se rapprocher de leur public pour saisir les difficultés d’appropriation des savoirs. Si la référence à la culture professionnelle ouvrière n’est plus centrale, elle ne laisse pas pour autant place à une relation impersonnelle strictement soumise à la forme scolaire. L’intervention de la catégorie « savoir-être » comme thématique discursive indiquant ce que les PLP doivent enseigner aux élèves, atteste de l’élargissement de leur mission qui devient indissociable d’un travail d’accompagnement de la maturation de leur public.
Maturation et socialisation juvénile
60Si le déclin de la classe ouvrière et la tertiarisation des emplois ont largement remodelé les missions du LP, on peut postuler que le travail des PLP, inscrit dans le prolongement de la fonction « latente » du LP, consiste à accompagner la maturation juvénile des élèves, celle-ci apparaissant tantôt comme finalité princeps de l’action pédagogique, tantôt comme moyen permettant une socialisation aux savoirs et à la « vie » sociale. Même si le LP continue à être posé par les politiques scolaires comme un lieu de formation professionnelle, les transformations de son public sur fond d’allongement de scolarité et de développement du chômage, contribuent à lui assigner une fonction latente, pour reprendre le paradigme de Robert Merton (1997). Cette fonction est celle d’une socialisation d’une jeunesse dite « à risques », à l’image du travail mené dans des dispositifs de socialisation post-scolaire telles les missions locales. Lieu d’une maturation juvénile – y compris par les apprentissages scolaires et professionnels –, le LP apparaît comme un contexte conservant une autonomie relative à l’égard des injonctions institutionnelles. La scolarisation des savoirs, le caractère, aux dires des PLP, ambitieux des référentiels, sont contrebalancés par la nécessité de construire un espace de socialisation dans lequel la qualité des relations avec les enseignants et les personnels d’éducation parait constituer à la fois un atout et un obstacle. Toute la question est bien de savoir comment s’effectuent les allers et retours entre le travail de socialisation – portant notamment sur les postures corporelles, le langage, le respect des différentes contraintes spatio-temporelles, l’adoption d’un vocabulaire « adapté » aux différents contextes et circonstances –, et les apprentissages scolaires et professionnels proprement dits.
61C’est sans doute cette dimension socialisatrice du LP qui amène certains élèves à penser leur scolarité en terme d’expérience ludique, car moins exigeante intellectuellement. Un PLP de lettres-histoire nous dit : « j’ai des élèves qui réussissent très bien aux contrôles mais ils rigolent en me disant qu’en fait, ils n’ont pas fait grand-chose et pourtant, ils ont eu une bonne note, le pire, c’est que je pense que c’est vrai ! ». Ainsi, l’équilibre – toujours instable – de la relation pédagogique peut parfois être contrarié par l’instauration d’une sociabilité juvénile dans la classe ou l’atelier (ou en pratique), ce qui crée une distance critique aux savoirs et à l’enseignant. On peut dire avec François Dubet que « Les lycéens résistent au contrôle scolaire et surtout à tout ce qui peut affaiblir la séparation de la vie privée et de la vie scolaire » (1991, p. 146).
62De tous les éléments susceptibles d’influer sur les pratiques pédagogiques et sur les interactions, celui des caractéristiques scolaires, sociales, culturelles – objectives et/ou perçues – des élèves semble le plus déterminant. Ainsi, les objectifs scolaires et de socialisation portés par les PLP varient selon qu’il s’agisse des élèves de BEP ou de CAP, et les caractéristiques culturelles ou « ethniques » du public qui prédominent dans certains établissements, donnent une autre configuration aux interactions entre les élèves et les enseignants. Le travail des PLP est sous-tendu par deux dimensions complémentaires : l’enseignement à des élèves n’ayant guère choisi le LP pour la plupart d’entre eux, et l’exercice dans une institution qui est dominée, définie négativement par rapport aux critères de l’excellence scolaire. Ces deux dimensions nous ont amené à postuler l’existence d’une proximité de condition qui influe sur le regard et les pratiques des enseignants, dont une partie n’a pas choisi d’enseigner en LP, et a également connu des difficultés scolaires en tant qu’élèves. Mais l’existence d’épreuves subjectives rapprochant les PLP de leur public ne va pas jusqu’à réduire la distance qui les sépare. Ces épreuves peuvent même laisser place à un processus de distanciation, prenant la forme du vouvoiement, d’une faible attention aux difficultés des élèves… ou encore de la mise en exergue (discursive et symbolique) de valeurs opposant la culture scolaire (et sociale) à celle du public. Ainsi, une partie des PLP exerçant dans les établissements à fort recrutement d’élèves issus de l’immigration, invoquent des différences culturelles et rendent compte des conflits en termes de distance aux valeurs de la culture « laïque » et « républicaine ». Certains enseignants font état du fait que les élèves sont « remontés » contre la société française, et donc, « ils ne respectent pas les lois, ni l’autorité de l’école » ; d’autres, et plutôt des enseignantes, parlent de leur difficultés à instaurer un ordre scolaire, « parce qu’il y a des élèves qui n’acceptent pas qu’une femme puisse donner des ordres ».
63Les stratégies pédagogiques engagées par les PLP constituent sans doute une ruse afin de pacifier le rapport à l’institution scolaire. Ce faisant, elles s’identifient à un détour visant à faire « accepter » la forme scolaire par des élèves qui découvrent en LP que leur scolarité les confronte encore aux enseignements généraux et décontextualisés, et que leur survie scolaire dépend largement de la réussite dans les « matières théoriques ». Le détour pédagogique semble ainsi contribuer à donner du sens à des savoirs dont l’appropriation permet aux élèves d’exprimer de nouvelles ambitions scolaires. Les élèves de LP savent que les savoirs généraux exercent une domination sur les savoirs professionnels. Ainsi, ils entendent de manière récurrente que l’entrée en baccalauréat professionnel, à l’issue d’un BEP, nécessite un « très bon niveau dans les matières générales » (Homme, PLP de productique mécanique) et que rejoindre un baccalauréat technologique « exige une grande maîtrise des connaissances scolaires en particulier dans les matières théoriques » (un proviseur). Rien d’étonnant à ce qu’une partie d’entre eux rêvent de rejoindre la « voie normale », et de tenter de prendre une « revanche » sur une institution qui les a relégués (c’est le cas des titulaires du baccalauréat professionnel s’inscrivant à l’université). Il se peut d’ailleurs qu’au-delà de cette revanche, les élèves de LP tentent de se prouver à eux-mêmes qu’ils sont capables de réussir et partant, que leur expérience dans l’enseignement professionnel est moins l’occasion d’apprendre un métier, que d’atteindre un niveau permettant de construire une identité sociale « convenable ».
64Tout se passe alors comme si le LP oscillait entre deux objectifs majeurs et parfois contradictoires : d’un côté, qualifier les élèves et leur faire acquérir des compétences professionnelles ; de l’autre, les socialiser à des savoirs qui relèvent d’un « savoir-être » assurant ainsi une fonction de maturation et d’intégration à des valeurs normatives.
Transmettre et « réparer »
65Les élèves entrant en LP ont souvent fait l’expérience de l’échec scolaire et au moment où plus que jamais, la valeur des diplômes professionnels du secondaire est mise en doute, marquée par l’incertitude du marché et la multiplication d’autres formes de reconnaissance des compétences, ils ne peuvent trouver dans la seule préparation d’une qualification l’argument d’une mobilisation scolaire. De même, les enseignants peu convaincus de l’efficacité des formations ne peuvent trouver dans la seule relation supposée entre qualification et emploi suffisamment de légitimité pour asseoir l’autorité pédagogique. Il s’en suit que le LP ne peut plus être identifié sociologiquement à sa seule mission de formation professionnelle. Sa « vocation » socialisatrice et « réparatrice » d’élèves disqualifiés scolairement n’en devient que plus nécessaire. Le LP contribue largement aujourd’hui à assumer une mission réparatrice, où la resocialisation des élèves s’identifie à un travail d’accompagnement de leur maturation juvénile. De fait, les compétences enseignantes, sans rompre avec celles des anciennes générations – malgré le déclin de la culture professionnelle ouvrière dans les LP –, s’élargissent en englobant tout autant l’enseignement comme « transmission » de connaissances, que l’éducation impliquant une mise à l’épreuve de soi en vue de pacifier les interactions avec un public réfractaire à la forme scolaire. Il serait néanmoins réducteur de penser l’expérience en LP comme une réalité homogène. L’attention portée au rapport aux savoirs chez les élèves laisse apparaître des modes de mobilisation variées, voire contrastées, procédant d’une multitude de « déterminants », et intelligibles à l’aune du sens conféré aux contenus curriculaires. Autour de l’opposition ou de la nette distinction effectuée par les élèves entre l’enseignement général et l’enseignement professionnel, se construisent des formes variées de rapport aux savoirs. Bien souvent, c’est l’enseignement général que les élèves ont du mal à situer tant au plan de ses finalités qu’au niveau de son lien avec l’apprentissage du « métier ». Perdant de leur légitimité et de leur efficacité en matière d’insertion, les diplômes professionnels, notamment ceux de niveau V, ne suffisent plus en eux-mêmes pour mobiliser les élèves. Si l’origine plus populaire des PLP ne les rapproche pas de leurs élèves autant que ne pouvait le faire l’origine sociale des anciens ouvriers devenus enseignants, leur condition institutionnelle et professionnelle crée une proximité avec leur public. A la ressemblance culturelle se substitue une proximité de condition qui, selon les parcours (scolaires et sociaux) et les matières enseignées, favorise des postures professorales variées. En ce sens, la « réhabilitation » des élèves en tant que mission princeps du LP paraît faire écho à la recherche d’une dignité professionnelle et sociale par des PLP, qui vivent leur travail sur le mode d’une expérience dominée.
Notes de bas de page
26 En 2005, en fin de classe de 3e, le taux d’orientation en seconde générale et technologique atteignait 60,56 %, alors que les demandes des familles avoisinaient 64,78 %. 64,84 % des filles et 55,98 % des garçons ont été orientés vers le lycée général et technologique. L’orientation vers la seconde professionnelle concernait 30,8 % des élèves. 27,25 % des élèves ont exprimé un vœu d’orientation vers le LP. Concernant le CAP, ils étaient 3,92 % des élèves à être orientés vers cette voie – non inclus les élèves issus de l’enseignement spécialisé qui sont orientés vers des CAP spécifiques – alors que leurs parents n’étaient que 2,59 % à avoir exprimé ce choix. Au total, et pour la France entière, un peu plus du tiers des élèves, soit 34,72 %, rejoignent la voie professionnelle à l’issue du premier cycle du secondaire. Les garçons étant davantage concernés par cette orientation que les filles (39 % contre 30,74 %). Cf. Bilan de l’orientation dans le second degré public, Direction de l’Enseignement scolaire, 30 juin 2005, paru le 9 Mai 2006.
27 « Jeunes issus de l’immigration. Une pénalité à l’embauche qui perdure », Bref CEREQ, No 226, Janvier 2006, p. 3.
28 À la rentrée 2004, l’enseignement agricole dans le second degré scolarisait 152800 élèves. Près des 2/3 des élèves sont scolarisés dans des établissements privés. Si l’on comptabilise tous les élèves scolarisés dans l’enseignement agricole, notamment en quatrième et troisième technologiques de collège, en lycées agricoles et en maisons familiales rurales, le privé accueillait 99 643 élèves, alors que le public comptait 53 145 élèves. En 2004, le premier cycle du secondaire privé accueillait 29754 élèves, contre 4 816 dans le public. Cet enseignement, à l’histoire pédagogique innovante (Chaix, 1993 ; Cardi, 1997), connaît aussi une évolution de ses effectifs avec un accroissement plus important dans le privé que dans le public, respectivement + 1,6 % et + 0,2 % entre 2003 et 2004). Dans les lycées professionnels agricoles (ils sont souvent intégrés à des lycées agricoles polyvalents), la part de l’enseignement privé et public s’équilibre. Cependant, la structure des formations offertes varie : le secteur public accueille près de 40 % des élèves dans l’enseignement professionnel ; tandis que moins d’un élève sur 6 est scolarisé dans un CAPA ou un BEPA en LP privé.
29 Cf. Le référentiel des activités professionnelles, MEN, Documents méthodologiques, 1991.
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La mobilité sociale dans l’immigration
Itinéraires de réussite des enfants d’origine algérienne
Emmanuelle Santelli
2001