II. Il y a cinquante ans, les héritiers
p. 37-62
Texte intégral
À Lille, nous n’avions pas été avisés du projet de publication d’un livre autour des questionnaires. La parution nous a surpris, mais plutôt, je crois, où il nous paraissait singulier qu’un vrai livre ait pu sortir de nos séances de travaux pratiques. Et non seulement un vrai livre, mais un livre dont on s’est mis tout de suite à beaucoup parler.
Yvette Delsaut,
« Sur Les Héritiers », dans Chapoulie J.-M. et al. (dir.), Sociologues et sociologies.
La France des années 60
1Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron ne pensaient sans doute pas que leur premier livre écrit en commun rencontrerait un succès aussi exceptionnel et si durable qu’il est encore présenté en nombre dans les librairies universitaires. Passeron l’a d’ailleurs qualifié de long-seller. Bourdieu reconnaissait pourtant, vingt-cinq ans plus tard, au cours d’un entretien à Tokyo en 1989, que cet ouvrage ne révélait rien de bien nouveau :
Rétrospectivement, il m’apparaît que Les Héritiers, le premier livre où étaient exposés les résultats des travaux sur l’éducation, a été une sorte de coup de tonnerre dans le ciel politique. Le livre a eu beaucoup de succès. Il a été lu par toute une génération et il a fait l’effet d’une révélation alors qu’il ne disait rien de très extraordinaire : les faits étaient assez bien connus de la communauté scientifique.
On disposait depuis longtemps d’enquêtes sur l’élimination différentielle des enfants selon leur milieu d’origine1.
2Annie Ernaux, écrivain de grand talent, allait tout de même jusqu’à dire en 2002, au lendemain du décès de Pierre Bourdieu :
Lire dans les années 1970 Les Héritiers, La Reproduction, plus tard La Distinction, c’était – c’est toujours – ressentir un choc ontologique violent. J’emploie à dessein ce terme d’ontologique : l’être qu’on croyait être n’est plus le même, la vision qu’on avait de soi et des autres dans la société se déchire, notre place, nos goûts, rien n’est plus naturel, allant de soi dans le fonctionnement des choses apparemment les plus ordinaires de la vie2.
D’une enquête fragile à un livre au développement durable
3Ayant terminé une licence de psychologie à la Sorbonne en 1961 puis un diplôme de psychologie sociale, je m’étais inscrit en doctorat de troisième cycle sous la direction de Jean Stoetzel, puis sous celle de Raymond Aron dont je suivais les cours de sociologie. Je n’ai jamais raconté mon rôle dans cette histoire mais le cinquantenaire de ce best-seller est l’occasion de donner ma part de vérité sur l’origine d’un livre qui continue à défrayer la chronique et qui, en 2014, le fera peut-être encore.
4Après divers emplois temporaires de vacataire chez Chombart de Lauwe et Dumazedier, pendant lesquels j’avais pu mettre en pratique mes connaissances de traitement d’enquêtes et de statistiques, je frappe à la porte de Raymond Aron qui avait fondé le Centre européen de sociologie, au 10, rue Monsieur le Prince, la maison d’Auguste Comte. Je venais de suivre ses cours, ceux de Gurvitch et de Passeron, alors assistant d’Aron. Il avait reçu des crédits de vacations puis un poste de technicien CNRS3 encore disponible qu’il me proposa. N’ayant pas, à proprement parler, de travaux durables à me confier, il décida, après m’avoir demandé quelques notes de lectures d’ouvrages, de m’adresser, à l’étage au-dessous, à Pierre Bourdieu, qui, dans un premier temps, si ma mémoire quelque peu oublieuse ne me trompe, m’envoya à Denise Jodelet qui travaillait sur les usages sociaux de la photographie, mais cela ne pouvait justifier mon occupation à plein temps. C’est Jean-Claude Passeron qui eut l’idée de proposer de ressortir d’un placard les questionnaires dont un statisticien nommé Dubourg, venant de chez Lazarsfeld aux États-Unis, avait entrepris un premier traitement qui, semble-t-il, avait abouti à une analyse factorielle inexploitable.
L’enquête
5Ce livre se fonde sur des recherches que menaient ensemble Bourdieu et Passeron sur l’enseignement supérieur et auxquelles cette enquête devait apporter une confirmation par l’étude de terrain. Ces questionnaires avaient été soumis aux étudiants par leurs enseignants de sociologie et de philosophie, amis de Bourdieu et Passeron, dans les facultés de Paris et de province, ce qu’on peut considérer comme un échantillon opportun mais non aléatoire au sens statistique. L’enquête s’est donc déroulée dans des conditions qui ont mis en doute, plus tard, sa validité4. Je commençai, à leur demande, par recoder les questionnaires afin de procéder à une nouvelle analyse de ces résultats.
6Bourdieu et Passeron avaient déjà commencé à rédiger leur essai qui allait constituer une étape dans un programme plus vaste de recherches sur l’enseignement supérieur. D’autres enquêtes étaient en cours, l’une auprès de 1 500 étudiants de médecine, une autre sur des étudiants en sciences. Leur réflexion était donc déjà avancée, nourrie de la lecture de travaux antérieurs de collègues français et étrangers, Basil Bernstein pour Bourdieu, par exemple, ou Richard Hoggart pour Passeron. Mais le temps était aux enquêtes quantitatives et l’utilisation d’une analyse de centaines de questionnaires qui avaient mobilisé beaucoup d’énergie leur paraissait un élément important pour appuyer l’argumentation, Les Héritiers pouvant constituer l’approfondissement de leur conception de la culture qu’ils avaient esquissée contre celle des « mass-médiologues » ; Edgar Morin, en particulier, avait publié un an auparavant L’Esprit du temps5, ouvrage qui, à la différence des Héritiers, minimisait le rôle de l’école dans la transmission de la culture par rapport à celui des mass media.
7Yvette Delsaut, étudiante de Bourdieu à la faculté des lettres de Lille au moment de l’enquête, est devenue l’une de ses principales collaboratrices pendant de longues années. Au sujet de la passation des questionnaires, elle dit ceci :
C’est d’abord probablement par pragmatisme que leur enquête se porte principalement, au sein de leur faculté respective, sur les étudiants de philosophie et de sociologie, auxquels Bourdieu et Passeron ont directement à faire […]. La nécessité d’élargir l’échantillon, surtout en ce qui concerne la représentation des sociologues, va mobiliser un réseau qui fera de quelques-uns des enseignants dans les instituts de sociologie de province des relais pour la passation des questionnaires… [qui] vont être administrés à cette population au long de deux années universitaires […]. Je garde de ces séances de soumission collective aux différents questionnaires un souvenir un peu sombre. À Lille, l’opération s’est déroulée, en général, à l’occasion du cours le plus suivi, où l’audience était la plus nombreuse, c’est-à-dire pendant le cours de sociologie donné par Bourdieu lui-même, dans le cadre du certificat de « Morale et sociologie » : l’assistance était essentiellement constituée d’étudiants en philosophie, parmi lesquels se recrutaient les vedettes politiques, syndicales et intellectuelles de la faculté […]. Un matériel assez difficile à exploiter a ainsi été accumulé, parce qu’il s’était construit à mesure. J’ai lu dans l’article que Philippe Masson a publié dans la Revue française de sociologie, le témoignage de Michel Éliard sur le démarrage de l’exploitation de tout ce matériel au Centre de sociologie européenne : Michel Éliard était alors collaborateur technique dans ce laboratoire et j’ai tout de suite adhéré à son récit, où il apparaît que les questionnaires étaient remisés dans un placard, semi-exploités, en état de jachère pourrait-on dire… Une fois le matériel remis en chantier, il a bien fallu consolider l’échantillon ainsi isolé en le situant dans l’univers étudiant : d’où le recours au travail statistique à partir des données de l’INSEE et du BUS6 […] Il est possible que les auteurs eux-mêmes aient, dans un premier temps, douté de la portée de leur ouvrage7 […]. À Lille, nous n’avions pas été avisés du projet de publication d’un livre autour des questionnaires. La parution nous a surpris, mais plutôt au sens, je crois, où il nous paraissait singulier qu’un vrai livre ait pu sortir de nos séances de travaux pratiques. Et non seulement un vrai livre, mais un livre dont on s’est mis tout de suite à beaucoup parler8.
8Le succès de librairie fut, en effet, exceptionnel pour un ouvrage universitaire. Philippe Masson, professeur de sociologie à l’université de Nantes, présente ainsi ce best-seller auquel il a consacré deux articles importants :
En décembre 1995, la revue Sciences Humaines présentait sous sa rubrique « les classiques », un compte rendu du livre de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les Héritiers, indiquant qu’il s’agissait là d’une étude qui « faisait date » dans l’histoire de la sociologie. De fait, les manuels qui présentent un panorama de la sociologie de l’éducation, voire de l’ensemble de la sociologie française, évoquent fréquemment cet ouvrage (ainsi que La Reproduction des mêmes auteurs) pour caractériser le point de vue de ceux-ci sur l’institution scolaire ou pour retracer l’histoire de la sociologie de l’éducation depuis la Seconde Guerre mondiale. Ce livre est aussi devenu une référence « obligée » pour qui souhaite analyser, d’un point de vue sociologique, les étudiants. Le titre du livre, publié en 1964, est d’ailleurs souvent utilisé pour désigner une catégorie d’étudiants spécifique des années 1960. Il est un des premiers comptes rendus de recherche empirique en sociologie qui se soit largement vendu : à 100 000 exemplaires depuis sa publication ; et il continue à se vendre aussi bien qu’un livre récent dans la même discipline, puisqu’en effet, les Éditions de Minuit en ont vendu 1 450 exemplaires en 2000, 1 490 en 2001 et 5 300 en 2002, année du décès de Pierre Bourdieu9.
9À quoi attribuer un tel succès ? Bien sûr à la culture et au talent d’écriture de Bourdieu et Passeron qui ont donné à ce livre un contenu largement plus riche que les résultats d’enquête, un livre qui présentait d’une manière nouvelle et percutante le problème de la démocratisation et de ses limites dans l’enseignement supérieur et qui, dans la conjoncture des années 1960, a trouvé immédiatement un large écho chez les étudiants et les enseignants, succès renforcé en 1967-1968 par l’utilisation qu’en ont faite des syndicalistes étudiants d’une tendance dite « critique » de la Fédération générale des étudiants de lettres10 (FGEL-UNEF) pour étayer leur critique de la culture, qualifiée de bourgeoise, et d’une pédagogie basée sur les cours magistraux11.
Héritage, culture et instruction
10Que contenait cet ouvrage de 190 pages pour avoir connu un succès inhabituel pour une publication sociologique ?
11Le chapitre i est intitulé « Le choix des élus ». S’appuyant sur des statistiques nationales qui montraient que les « chances12 » d’accéder à l’enseignement supérieur allaient de moins d’une chance sur cent pour les fils d’ouvriers agricoles à près de 70 % pour les fils d’industriels et à plus de 80 % pour les fils de membres des professions libérales, Bourdieu et Passeron écrivent : « Cette statistique montre à l’évidence que le système scolaire opère objectivement une élimination d’autant plus totale que l’on va vers les classes les plus défavorisées13. »
12La formule « opère objectivement une élimination » désigne un résultat qui, des Héritiers à La Reproduction, va être attribué au fonctionnement de l’école, à la culture qu’elle transmet, même si l’origine sociale des étudiants agissant essentiellement sur leurs conditions d’existence est bien la variable principale de l’étude, comme l’indique ce passage du début du livre :
De tous les facteurs de différenciation, l’origine sociale est sans doute celui dont l’influence s’exerce le plus fortement sur le milieu étudiant […]. Définissant des chances, des conditions de vie ou de travail tout à fait différentes, l’origine sociale est, de tous les déterminants, le seul qui étende son influence à tous les domaines et à tous les niveaux de l’expérience des étudiants, et en premier lieu aux conditions d’existence. L’habitat et le type de vie quotidienne qui lui est associé, le montant des ressources et leur répartition entre les différents postes budgétaires, l’intensité et la modalité du sentiment de dépendance, variable selon l’origine des ressources comme la nature de l’expérience et les valeurs associées à leur acquisition, dépendent directement et fortement de l’origine sociale en même temps qu’ils en relaient l’efficacité14.
13On ne peut, me semble-t-il, que souscrire à ce passage et en déduire qu’il était urgent que les pouvoirs publics améliorent les conditions de scolarisation et d’accès à l’enseignement supérieur, incluant les mesures permettant aux étudiants d’origine modeste de mener à bien leurs études, en particulier grâce aux bourses. Or, la politique scolaire et universitaire du régime gaulliste amorcée dès 1959 s’engageait sur une tout autre voie comme on va le voir plus loin. Cette politique visait à freiner un développement de la scolarisation en cours depuis 1945 qui se manifestait par une croissance de l’enseignement secondaire et supérieur dont les effectifs furent multipliés par trois entre 1944-1945 et 1964. Les restrictions budgétaires commencèrent pour l’école publique dès le début de la Ve République alors que, dans le même temps, l’enseignement privé était l’objet de toutes les attentions. Cette politique allait pénaliser les familles ouvrières et freiner la démocratisation.
14Bourdieu et Passeron écrivent : « Les obstacles économiques ne suffisent pas à expliquer que les taux de “mortalité scolaire” puissent différer autant selon les classes sociales15. » Sans doute, mais ces conditions économiques des familles semblent mentionnées seulement comme un fond de tableau, les politiques scolaires n’étant pas prises en compte ou se trouvant reléguées comme secondaires, au profit d’une argumentation fondée sur le rôle déterminant de la transmission d’un « capital culturel » favorable aux élèves de familles bourgeoises. Les élèves et les étudiants d’origine ouvrière ou paysanne, ne bénéficiant pas de cet héritage, privés du code permettant de déchiffrer la signification d’une culture qui n’est pas la leur, puisqu’elle a été produite et transmise de génération en génération à l’intérieur de la bourgeoisie, seraient du même coup promis à une élimination précoce. La culture scolaire n’aurait que les dehors de l’universalité alors qu’elle est caractérisée comme une culture de classe :
C’est pourquoi il n’est pas meilleure façon de servir le système en croyant le combattre que d’imputer aux seules inégalités économiques ou à une volonté politique toutes les inégalités devant l’École. Le système d’éducation peut en effet assurer la perpétuation du privilège par le seul jeu de sa logique propre […] puisqu’il suffit de laisser agir ces facteurs, de l’école maternelle à l’enseignement supérieur, pour assurer la perpétuation du privilège social16.
15Bourdieu précise :
C’est ainsi que les mécanismes qui assurent l’élimination des enfants des classes inférieures et moyennes agiraient presque aussi efficacement (mais plus discrètement) dans le cas où une politique systématique de bourses ou d’allocations d’études rendrait formellement égaux devant l’École les sujets de toutes les classes sociales […] Bref, l’efficacité des facteurs sociaux d’inégalité est telle que l’égalisation des moyens économiques pourrait être réalisée sans que le système universitaire cesse pour autant de consacrer les inégalités par la transformation du privilège social en don ou en mérite individuel. Mieux, l’égalité formelle des chances étant réalisée, l’École pourrait mettre toutes les apparences de la légitimité au service de la légitimation des privilèges17.
16Qu’il faille ajouter aux inégalités économiques le niveau culturel des familles qui lui est directement lié pour rendre compte des différences scolaires, cela n’est guère contestable, mais que (deuxième citation) Bourdieu précise que le développement des bourses18 ne changerait rien à la situation, c’est affirmer sans preuves et nier l’importance de politiques scolaires antérieures qui, en aidant les familles populaires par les bourses d’études, ont contribué à faire avancer l’égalité des droits et se sont traduites, d’abord par le développement du primaire supérieur depuis la IIIe République, puis par une démocratisation de l’enseignement secondaire.
17Le chapitre ii, « Jeux sérieux et jeux du sérieux », traite de la condition étudiante, des comportements en cours et hors de l’université, de leurs pratiques culturelles, des conditions d’existence, tout cela mis en relation avec la classe sociale d’origine. Si, disent les auteurs, la pratique universitaire tend à produire une certaine unité du milieu étudiant, cela ne suffit pas à affirmer l’existence « d’un groupe intégré ou d’une condition professionnelle ».
Ainsi, le degré d’adhésion au jeu intellectuel et aux valeurs qu’il engage n’est jamais indépendant de l’origine sociale. Sous le nom de « sérieux » se dissimulent donc deux façons de vivre la condition étudiante. L’une est caractéristique surtout des étudiants d’origine bourgeoise qui font de leurs études une expérience où n’entrent pas de problèmes plus sérieux que ceux qu’ils y introduisent. L’autre exprime l’inquiétude de l’avenir propre à des étudiants venus des couches sociales les plus éloignées de la culture scolaire et condamnées à la vivre irréellement19.
18Mes conditions personnelles d’étudiant me faisaient adhérer spontanément à cette analyse, à la différence de ce qui précédait. Le dernier chapitre, très court sans doute parce qu’il annonce ce qui sera développé dans la conclusion, c’est-à-dire la critique de l’école républicaine, de la pédagogie universitaire, contient aussi une analyse des différences entre les garçons et les filles dans leur rapport aux études et à l’avenir professionnel, qui constitue, là aussi, l’une des raisons du succès du livre. Mais, les orientations de la politique scolaire de la période n’étant pas prises en compte et les conditions économiques des familles se voyant reléguées au second plan, c’est dans le rapport à la culture que les auteurs vont donc chercher l’explication des inégalités de réussite, dans la possession plus ou moins grande de capital culturel familial (niveau culturel du père et de la mère, possession d’une bibliothèque, activités culturelles, voyages à l’étranger, etc.), l’école organisant, de manière systématique, la reproduction de la domination des « héritiers » au sein de l’Université. La réussite scolaire serait, pour les héritiers, essentiellement le produit de l’intériorisation de la culture des élites, d’une culture qualifiée de bourgeoise et de norme du jugement universitaire.
19La transposition du concept de capital du domaine de l’économie à celui de la culture pose problème, particulièrement en ce qui concerne sa transmission héréditaire. Bourdieu qui a étudié l’héritage chez les paysans béarnais sait que la culture ne se transmet pas comme des hectares de terre. Que l’enfant né dans une famille bourgeoise puisse bénéficier de la culture de ses parents, des biens culturels qu’ils possèdent, de l’accès aux institutions et aux productions culturelles, aux arts, etc., tout cela est indéniable et constitue un avantage certain pour être de plain-pied dans l’univers de l’école mais cela n’entraîne pas pour autant une transmission de connaissances que les parents ont eux-mêmes acquises par l’instruction et qu’ils conservent en propriété personnelle. Le niveau d’instruction et de culture des parents donne évidemment des avantages pour la réussite à l’école mais ne transmet pas les savoirs qu’il faut acquérir de toute façon. Tout élève qui veut réussir doit s’astreindre aux apprentissages dans les diverses matières du programme scolaire. On peut avoir tous les moyens de se cultiver à la maison et ne pas être très disposé aux études, voire même être un cancre. Inversement, un élève ne disposant pas de ces moyens pourra se révéler particulièrement doué. Accorder une telle importance à l’héritage culturel aboutit donc à masquer les raisons pour lesquelles il y a si peu (et de moins en moins) de fils et filles d’ouvriers dans les grandes écoles et dans les universités. À l’inverse, l’amélioration des conditions économiques des familles, de leur connaissance plus ou moins grande des possibilités de scolarisation au-delà de la période obligatoire, des circonstances favorables telles que celles de l’intervention d’un maître, de la politique scolaire du moment, bourses d’études ou non, l’augmentation des postes et des salaires des enseignants, montreraient que de nombreux élèves d’origine sociale modeste qui ont les capacités nécessaires peuvent parvenir jusqu’aux niveaux les plus élevés de la réussite comme l’histoire scolaire de la IIIe République l’a montré. Il n’y a pas équivalence entre acquis culturels familiaux ou non et réussite scolaire. Le sociologue Bernard Lahire20 l’a bien montré, il peut y avoir réussite scolaire pour des enfants dont les parents cumulent les handicaps. Parmi les cas qu’il a étudiés, celui de Souyla est particulièrement parlant : sa réussite scolaire est excellente alors que ses parents sont analphabètes, habitent en banlieue et ont eu onze enfants. À l’inverse, il montre le cas d’un enfant en échec scolaire alors qu’il est socialisé dans une famille à « bon capital scolaire ». Nous avons tous des exemples similaires. Ainsi, le 2 janvier 2013, Jean-Claude Carrière racontait, sur France Inter, son enfance en milieu rural, l’absence totale de culture à la maison, pas de livres, pas d’images aux murs, peu de connaissances du monde extérieur. Or, malgré ce handicap, il a eu une scolarité brillante jusqu’en classe préparatoire d’un grand lycée parisien, puis une belle carrière d’écrivain et de scénariste.
20Bien évidemment on ne peut opposer quelques cas au phénomène global de l’inégalité sociale devant l’accès à l’enseignement supérieur. Précisons cependant que Bernard Lahire a établi de nombreux « portraits familiaux », très fouillés, dont l’analyse ne rejette pas la notion de capital culturel mais en limite la pertinence. La focalisation sur le capital culturel qui est au centre de l’analyse des Héritiers, non seulement ne permet pas d’expliquer pourquoi ce ne sont là que des exceptions, au début des années 1960, mais, dans une mesure différente, encore aujourd’hui, elle fait porter à l’école des responsabilités qui sont en dehors d’elle et en amont. L’école est le lieu déterminant de l’instruction qui permet de s’approprier les acquis culturels de l’humanité, dont la culture dite « bourgeoise » est une étape et le contenu en est le progrès scientifique et littéraire, etc., même si cette culture s’est développée dans une société de classes. L’école républicaine a, dans sa période de développement, facilité et élargi l’accès à ces connaissances. Si, depuis des décennies, l’égalité des droits et les conditions d’accès se sont fort dégradées, ce n’est pas l’école et ses enseignants qui en sont responsables, mais le système capitaliste qui, dans sa régression généralisée, détruit la culture et tous les acquis de la civilisation.
Les réserves de Bourdieu et de Passeron eux-mêmes
21Dans cette lettre, remise par Passeron à l’occasion d’un colloque à Vienne, à Georg Lukacs, Bourdieu écrit :
Il s’agit d’un essai fait à partir d’enquêtes empiriques qui ne prétend pas à une vraie rigueur de méthode, mais plutôt, de tâtonnements par lesquels nous cherchons une méthodologie de sociologie de la connaissance et de la culture qui permette d’intégrer les techniques empiriques de recherche. Vous jugerez donc avec indulgence cet ouvrage qui n’est pas encore caractéristique de la sociologie telle que nous voulons finalement la pratiquer21.
22Dans la publication des résultats de l’enquête, tableaux et statistiques, Bourdieu et Passeron avaient d’ailleurs, dès l’introduction, souligné fortement ces limites :
Ces enquêtes n’ayant pas porté sur des échantillons aléatoires ou raisonnés, il faut interpréter les tendances qu’elles décèlent avec prudence. Pour des raisons de commodité et d’économie, les professeurs de sociologie qui ont collaboré à l’enquête ont, dans tous les cas, administré tests et questionnaires à leurs étudiants préparant les licences de philosophie et de sociologie.
23Cette réserve les honore mais la suite est moins prudente :
Certaines, en toute hypothèse, pour ces ensembles réels que constituent les étudiants en sociologie et philosophie, les conclusions qui se dégagent de ces recherches valent probablement et tendanciellement pour l’ensemble des étudiants en lettres et en sciences humaines22.
24C’est sans doute aller vite en besogne dans la mesure où, à partir d’un échantillon – dont on vient de voir les limites – d’étudiants de deux disciplines, de philosophie et de psychologie, il est discutable de tirer ainsi des conclusions pour tous les étudiants de toutes les disciplines de lettres et sciences humaines. D’autre part, laisser entendre par le titre du livre que les étudiants étaient, au début des années 1960, essentiellement des fils et filles d’origine bourgeoise, c’est ne pas tenir compte de leur répartition réelle selon l’origine sociale telle qu’on peut la lire dans le tableau 1.8 des pages 136-137 : on dénombrait, en 1961-1962, 211 879 étudiants pour l’ensemble des facultés, toutes disciplines confondues. Si on additionne patrons de l’industrie et du commerce avec professions libérales et cadres supérieurs, nous avons 46,5 % d’étudiants, ce qui ne constitue pas la majorité. Parmi les étudiants des autres catégories sociales, il y avait certainement un pourcentage non négligeable de boursiers. En revanche, si on se réfère au tableau II à la page 20 sur l’origine sociale des élèves des grandes écoles, la situation est différente : 57 % contre 33 %.
La réception des Héritiers, les critiques de sociologues de l’école
25Cet essai a cependant suscité immédiatement l’intérêt des sociologues de l’éducation, et cet intérêt était en même temps très réservé. Viviane Isambert-Jamati, figure majeure de cette spécialité, en fit un important compte rendu, dès 1964, dans lequel elle souligne en particulier le décalage entre les résultats d’enquête et leur analyse :
Il ne nous semble pas que les résultats empiriques aient beaucoup contribué à convaincre leurs auteurs eux-mêmes de la justesse de leur intuition. Leurs propositions ne sortent pas d’une analyse des résultats, mais sont « illustrés » par certaines distributions. […] Le fait qu’aucune hypothèse ne soit infirmée par les résultats tend à faire penser qu’on ne visait pas très sérieusement à tester des hypothèses23.
26Le jugement est sévère mais, comme on vient de le voir, cette critique était admise par les auteurs eux-mêmes. Viviane Isambert est revenue sur Les Héritiers, quarante ans après, dans une contribution dans laquelle elle retrace l’histoire de la sociologie de l’éducation avant les années 1960, soulignant à la fin que « Les Héritiers apportèrent une richesse et une cohérence d’interprétation qui a fait leur nouveauté, leur rapport et leur succès ».
27Mais elle concluait en nuançant son jugement :
Aujourd’hui, il est vrai, on ne peut plus lire Les Héritiers comme si La Reproduction n’avait pas suivi […]. Mais on peut retenir que d’un côté, chez les sociologues français extérieurs à l’orbite de Bourdieu-Passeron (ceux du moins avec qui j’avais des échanges), les grandes lignes de l’interprétation intéressaient, mais ne bouleversaient pas les façons de voir, et que de l’autre, d’après ma reconstitution personnelle, ils en minimisaient le côté percutant24…
28Appréciation plus réservée que la précédente. En revanche, Jean-René Tréanton, collègue de Bourdieu en sociologie à Lille, consacra une rude critique à un examen très précis de l’enquête, de son traitement statistique, notant que les étudiants d’origine bourgeoise sont surreprésentés dans les effectifs des enquêtés et que les auteurs négligent la dimension historique. Tréanton refusait d’admettre qu’il « existe une forte liaison entre la pratique ou les connaissances culturelles et la familiarité des sujets avec l’univers scolaire ce qui donnerait un fort avantage aux étudiants venant de familles aisées25 ».
29Plus récemment, Louis Gruel, dans Pierre Bourdieu illusionniste26, a formulé probablement la critique la plus sévère de la méthodologie de l’enquête et de son interprétation. Selon ce chercheur en sciences sociales, spécialiste du milieu étudiant, c’est de l’ordre de l’esbroufe. Les deux critiques essentielles concernent le fait que l’enquête se limite aux étudiants de philosophie et de sociologie et que la primauté est accordée à l’héritage culturel dans la réussite scolaire sans se donner les moyens de la prouver :
Il devrait aller de soi que si les auteurs des Héritiers souhaitaient sérieusement soumettre à un contrôle empirique l’hypothèse selon laquelle le « subtil capital culturel » spécifiquement transmis par les familles bourgeoises détermine de façon décisive les chances d’accès à l’enseignement supérieur, ils n’auraient pas dû se satisfaire d’enregistrements des compétences culturelles d’étudiants de philosophie ou de sociologie. Ils auraient dû enquêter là où l’accès à l’enseignement supérieur se décide, donc en amont de l’université27.
30Remarques, à mon sens, très pertinentes. Sa critique est appuyée sur les travaux d’Alain Girard qui, se basant sur des statistiques nationales de 1950 à 1954, écrivait : « La véritable orientation se fait non pas au moment du passage dans l’enseignement supérieur, mais bien plus tôt. C’est vers 11 ans que se dessine presque tout l’avenir des enfants, au moment de l’entrée dans les classes de 6e des lycées et collèges, et des cours complémentaires28. »
31L’examen d’entrée en 6e a été supprimé officiellement en 1959 par le décret Berthoin mais les cours complémentaires ont perduré jusqu’en 1967 ; les étudiants des Héritiers sont donc de cette période d’orientation scolaire où les enfants d’agriculteurs ou d’ouvriers non qualifiés avaient une chance sur quatre d’entrer en 6e 1, section dans laquelle il était hautement préférable de se trouver pour accéder ensuite au second cycle de l’enseignement secondaire puis au supérieur, les enfants d’ouvriers qualifiés et de contremaîtres ayant une chance sur trois29.
32Passeron avait un avis plus nuancé que Bourdieu sur la démocratisation. Parlant des similitudes de leur trajectoire de mobilité sociale, il écrit :
Issu du même cursus scolaire que Bourdieu je croyais un peu plus que lui aux vertus à la fois démocratiques et intellectuelles de la formation scolaire ; j’attendais avant tout de l’enquête sociologique sur les modalités de la sélection scolaire qu’elle éclaircisse les voies d’une réforme de l’École qui rapprocherait sa réalité sociologique de son idéal proclamé ; non qu’elle serve à y trouver le bouc émissaire de tous les maux de la société30.
33Revenant en 2005 sur Les Héritiers, il prenait un peu de distance avec ces analyses en s’appuyant sur son expérience personnelle de la séparation entre primaire supérieur et lycée :
Liée professionnellement et idéologiquement à l’école primaire dont les instituteurs tentaient de garder « les meilleurs élèves » dans leur mouvance culturelle, cette deuxième école31 – qui ne sera absorbée qu’artificiellement dans celle des lycées et collèges par des réformes institutionnelles, plus administratives que pédagogiques, qui s’opéreront dans les années 60 – faisait valoir par un autre personnel enseignant, à destination d’autres couches sociales, sa vocation d’ascenseur social à petite vitesse […] Pour l’adolescence des « héritiers » et de quelques « boursiers », c’était une préparation toute naturelle à l’entrée dans la bourgeoisie, petite, moyenne ou grande ; et pour l’autre adolescence, une résignation tout aussi naturelle, sinon à reprendre le travail ouvrier, rural ou artisanal de leurs parents, du moins à s’identifier au projet réaliste d’accéder rapidement aux professions subalternes ou intermédiaires. Ce fut ma première expérience d’une « injustice sociale », pour moi incompréhensible alors, puisque je reconnaissais, comme condisciples de la même école primaire ou anciens copains de jeux dans la cour voisine, la plupart de ceux à qui ni familles ni enseignants n’avaient proposé de tenter l’examen d’entrée en 6e, alors que beaucoup me semblaient le « mériter » intellectuellement autant que moi ; je ne voyais d’autre explication à mon privilège de trajet scolaire qu’un hasard de transmission culturelle : le goût de la lecture associé au désir de réussir à l’école que m’avait transmis, sans que je les choisisse, ma mère institutrice32.
34Simple manque d’information ou de sollicitation de la part des parents et des enseignants ? C’est oublier quelque peu l’histoire de l’école33. Notons pour le moment que la promotion sociale ne passait pas uniquement par l’entrée en 6e. Ces élèves du primaire supérieur avaient la possibilité de tenter l’entrée à l’école normale ou dans l’enseignement technique. Invité par la section de sociologie de l’ENS-LSH de Lyon en 2003, Passeron, répondant aux questions des élèves et doctorants, évoquait sa rupture avec Bourdieu en prenant aussi ses distances avec La Reproduction :
Pour revenir sur la divergence Bourdieu-Passeron, elle date de 1972. Le dernier ouvrage que nous avons travaillé et publié ensemble, c’est La Reproduction, un peu après Les Héritiers. Bien que nous ayons conservé en gros les mêmes constatations ou analyses fonctionnalistes de sociologie de l’éducation et de la culture, nous avons divergé sur un certain nombre de points sur lesquels je ne m’étendrai pas34.
35Mais Bourdieu lui-même s’est fait son propre critique. L’expérience pratique de la recherche l’oblige à reconnaître, juste après la parution des Héritiers le rôle déterminant de l’école dans l’accès au savoir. À partir des résultats de l’enquête sur les musées, il dit ceci à l’occasion du colloque d’Arras en 1965 : « L’existence d’une liaison aussi forte entre l’instruction et la fréquentation des musées montre que l’école peut seule créer (ou développer, selon les cas) l’aspiration à la culture, même la moins scolaire35. »
36En relisant plus tard Les Héritiers, je me disais que j’avais eu, à cette époque, une chance inouïe d’avoir fait, grâce à des bourses, des études supérieures à la Sorbonne ; mais je me disais aussi que, tout en ayant bénéficié de circonstances particulières, je le devais à mon travail, à une intelligence normale et surtout aux acquis sociaux arrachés à la Libération qui permettaient d’avoir dans les années 1950-1960 des bourses de très bon niveau dont mes frères et sœurs auraient pu aussi bénéficier s’ils n’avaient pas terminé leur scolarité avant 1945. Aussi, à cette thèse de l’héritage j’opposerai volontiers l’analyse suivante de Jacques Muglioni36 :
Un préjugé dont l’apparente modernité cache mal les racines anciennes voudrait que l’abstraction soit la tentation d’un enseignement qui ne tient pas compte de la réalité psychologique de l’enfant et de son milieu habituel. Cela signifie-t-il qu’une pédagogie avertie doit avant tout s’attacher à entériner un état de choses ? La psychologie sait tout sur l’enfant, sauf qu’il veut grandir. Quant à la sociologie de l’éducation, elle tend à faire croire qu’il faut avoir des ancêtres, être né dans la culture et son petit monde ésotérique. Car la culture ne serait pas ce qu’on pourrait acquérir par l’étude, mais comme un berceau. Et quiconque n’y aurait pas été bercé ne pourrait raisonnablement y prétendre. Maurras n’aurait pas dit mieux […] Les superstitions pédagogiques qui voudraient enfermer l’enfant dans le faux concret de l’imagerie environnante, ce principal obstacle à l’instruction, auront rendu éclatant ce qu’au vrai on a toujours su, à savoir que l’abstraction est libératrice37.
Des Héritiers aux Zones d’éducation prioritaires (ZEP)
37L’école, par ses jugements formellement égaux, ne ferait donc que procéder au choix des élus. La Révolution française a eu beau proclamer l’égalité en droits, c’est-à-dire l’égalité formelle, le droit de tenter sa chance, cela n’a rien changé, pas plus, semble nous dire Bourdieu, que les lois scolaires de la IIIe République qui ont pourtant achevé de mettre fin au travail des enfants, en instaurant l’obligation scolaire. Les jeux seraient faits à la naissance. Fallait-il donc alors une autre révolution pour réaliser l’égalité réelle ? Sans aucun doute, mais est-ce ce qui est proposé dans Les Héritiers ? S’agit-il d’abolir la division de la société en classes qui est au fondement de toutes les inégalités ? Certes non ! On aurait pu cependant s’y attendre de la part de Bourdieu qui se réfère constamment à Marx.
38Ce qui a, semble-t-il, été le moins aperçu dans ce livre, en tout cas le moins commenté, c’est la conclusion des Héritiers. Elle définit ce que devrait être une « pédagogie rationnelle », une pédagogie différente adaptée à des élèves différents. Puisque les élèves sont inégaux, il faut les enseigner de manière inégale. Cette conclusion commence par qualifier de postulat l’égalité formelle des droits alors qu’elle est une conquête de la Révolution française par l’abolition des ordres de l’Ancien Régime :
La cécité aux inégalités sociales condamne et autorise à expliquer toutes les inégalités, particulièrement en matière de réussite scolaire, comme inégalités naturelles, inégalités de dons. Pareille attitude est dans la logique d’un système qui, reposant sur le postulat de l’égalité formelle de tous les enseignés, condition de son fonctionnement, ne peut que reconnaître d’autres inégalités que celles qui tiennent aux dons individuels. Qu’il s’agisse de l’enseignement proprement dit ou de la sélection, le professeur ne connaît que des enseignés égaux en droits et en devoirs38.
39Un enseignant de la République devrait-il faire autrement, donc rompre avec ce qui conditionne le fonctionnement démocratique de l’école ? Oui, selon cette conclusion :
Bref, bien qu’il contredise la justice réelle en soumettant aux mêmes épreuves et aux mêmes critères des sujets fondamentalement inégaux, le procédé de sélection qui ne prend en compte que les performances mesurées au critère scolaire, toutes choses égales d’ailleurs, est le seul qui convienne à un système dont la fonction est de produire des sujets sélectionnés et comparables. Mais rien dans la logique du système ne s’oppose à ce que l’on introduise la considération des inégalités réelles dans l’enseignement proprement dit39.
40On pourrait comprendre que Bourdieu propose que les instituteurs continuent à apporter une aide particulière aux élèves ayant moins de capacités que d’autres, ce qu’ils ont généralement fait, tout en favorisant la poursuite d’études pour les meilleurs au-delà de l’obligation légale, comme ce fut le cas avec le développement des cours complémentaires. Dans ce cas, on ne peut qu’être d’accord et souhaiter que les moyens leur soient donnés pour abaisser le nombre d’élèves par classe par exemple, mais ce n’est pas le sens de cette remarque. Bourdieu voit d’ailleurs, dans le comportement des parents, une légitimation des tendances de l’école à éliminer :
Quand une mère d’élève dit de son fils, et souvent devant lui, qu’« il n’est pas bon en français », elle se fait complice de trois ordres d’influences défavorables : en premier lieu, ignorant que les résultats de son fils sont directement fonction de l’atmosphère culturelle de la famille, elle transforme en destin individuel ce qui n’est que le produit d’une éducation et qui peut encore être corrigé, au moins partiellement, par une action éducative ; en second lieu, faute d’information sur les choses de l’École, faute parfois d’avoir rien à opposer à l’autorité des maîtres, elle tire d’un simple résultat scolaire des conclusions prématurées et définitives ; enfin, en donnant sa sanction à ce type de jugement, elle renforce l’enfant dans le sentiment d’être tel ou tel par nature40.
41Cet élève, bien qu’on ne connaisse ni son âge ni sa classe, a dû apprendre à lire et à écrire à peu près correctement, sauf manque important d’aptitudes, car les méthodes nouvelles d’apprentissage n’avaient pas encore fait leurs ravages. Si, comme c’est sans doute le cas, il lit peu à la maison faute de livres et d’incitation, il aura des difficultés en français, ce qui n’a rien d’étonnant. Il n’en reste pas moins que tout fils ou fille d’ouvrier ou de paysan trouve dans l’école, quoique dans des conditions dégradées pour beaucoup aujourd’hui, d’abord les conditions d’apprentissage et, du même coup, la possibilité d’acquérir les éléments culturels qu’il n’a pas eus dans sa famille. Et, si leurs capacités le permettent et si les conditions de scolarisation étaient bonnes partout, le temps perdu peut être rattrapé. Mais, si Bourdieu et Passeron reconnaissent que l’école peut partiellement compenser le manque de culture familiale, c’est à condition que le comportement pédagogique des enseignants change. Il faudrait donc enseigner autrement :
Une pédagogie réellement rationnelle devrait se fonder sur l’analyse des coûts relatifs des différentes formes d’enseignement (cours, travaux pratiques, séminaires, groupes de travail) et des divers types d’action pédagogique du professeur (depuis le simple conseil technique jusqu’à la direction effective de travaux d’étudiants) ; elle devrait prendre en compte le contenu de l’enseignement ou les fins professionnelles de la formation, et, envisageant les divers types de rapports pédagogiques, elle ne devrait pas oublier leur rendement différentiel selon l’origine sociale des étudiants. En toute hypothèse, elle est subordonnée à la connaissance que l’on se donnera de l’inégalité culturelle socialement conditionnée et à la décision de la réduire41.
42S’il s’agissait effectivement de réduire les effets de l’inégalité sociale, on s’attendrait à ce que ces propositions concernent, en priorité, les élèves du primaire et du secondaire car, à l’université, non seulement les fils d’origine populaire sont peu nombreux au début des années 1960, mais ces survivants de la sélection sont parmi ceux qui ont les meilleurs résultats, comme le montrent certains tableaux des Héritiers. Comment comprendre ? En fait, selon Bourdieu, le problème serait ailleurs que dans une demande à l’État de mettre en œuvre les moyens nécessaires en enseignants. Ce sont les habitudes pédagogiques des enseignants qui sont en cause :
Par exemple, de toutes les fonctions professorales, la plus régulièrement oubliée, tant de certains professeurs qui ne se soucient guère de ce surcroît de labeur sans charme et sans prestige que de certains étudiants qui y verraient sans doute un renforcement de l’asservissement où ils se sentent tenus, est sans doute l’organisation continue de l’exercice comme activité orientée vers l’acquisition aussi complète et aussi rapide que possible des techniques matérielles et intellectuelles du travail intellectuel42.
43Ainsi, Bourdieu rend les enseignants responsables de la non-réussite de certains de leurs élèves, accusation lourde de conséquences dont on verra qu’elle servira les démolisseurs de l’école publique. Les théoriciens de la nouvelle pédagogie à la Meirieu, qui ont préconisé d’ériger l’élève au statut d’« auto-apprenant », ont leur propre responsabilité, considérable, dans la dégradation des conditions d’apprentissage43. Mais celle de sociologues de l’éducation, Bourdieu inclus, en préconisant des pratiques scolaires inégales pour des élèves inégaux, n’est pas moindre. Cette pédagogie différenciée (ou « rationnelle » dans Les Héritiers) inspirée de réformes appliquées aux États-Unis, au Canada et en Grande-Bretagne avec des résultats pour le moins discutables a été mise en œuvre en France à partir de 1982 par le ministre socialiste Savary dans les ZEP (Zones d’éducation prioritaire) et elle n’a fait qu’accentuer un processus de ghettoïsation urbaine. Or, cette discrimination positive est en germe dans la conclusion des Héritiers et dans l’article cité plus haut. Passeron lui-même reconnaît cette filiation entre Les Héritiers et la création des ZEP :
Nous nous sommes ainsi trouvés, en ces années 1960, travailler à une sociologie appliquée lorsque nous formulions, dans la conclusion des Héritiers, modeste projet réformiste d’une « pédagogie rationnelle » d’inspiration sociologique qui, à terme, a d’ailleurs exercé une petite influence sur la réflexion et les mœurs pédagogiques : la création des ZEP par exemple, dans les années 198044.
44Un recul de la démocratisation scolaire, amorcé à partir des années 1970, s’est accentué dans les années 1980-1990. Combinée à la mise en place de politiques scolaires décentralisatrices, d’autonomie des établissements, cette régression a entraîné de nouvelles approches du problème, l’inégalité se trouvant alors transmutée en différences culturelles que la pédagogie devrait respecter en s’y adaptant. D’où la politique des ZEP, adaptation en France de l’affirmative action développée aux États-Unis, la discrimination positive en étant une mauvaise traduction. Le programme états-unien d’affirmative action qui est d’un autre ordre a été mis en place comme réponse à la revendication des noirs pour l’égalité des droits civiques. En mars 1961, le président Kennedy lance ce programme en décrétant l’ordre exécutif qui oblige les programmes financés par le gouvernement fédéral à « prendre une action affirmative » (take affirmative action) afin de s’assurer que l’emploi ne soit pas soumis aux discriminations raciales. Le Civil Rights Act de 1964 interdisait toute discrimination en matière d’embauche ou d’admission dans les établissements scolaires sur la base de caractéristiques particulières, telles que la race, l’origine nationale, la religion ou le sexe. Ce programme a eu quelques effets positifs contre la ségrégation mais cette politique des quotas a été condamnée à partir de 1978 en Californie puis successivement dans d’autres États. En novembre 2006, 58 % des électeurs du Michigan ont voté pour la suppression des traitements préférentiels que leur État accordait aux minorités raciales, contredisant une décision de la Cour suprême des États-Unis de 2003 qui avait estimé que la faculté de droit de l’université du Michigan était fondée à accorder un avantage aux candidats noirs et hispaniques en raison de la diversité raciale qu’ils apportaient au corps étudiant. En 2007, la Cour suprême a interdit les quotas à l’entrée des écoles publiques.
45Aujourd’hui, on tend de plus en plus à utiliser une formule plus subtile que la précédente ; de donner plus à ceux qui ont moins, on passe à « donner différemment à des élèves différents » ou encore, en Belgique, on parle d’« encadrement différencié et renforcé », formules qui ont l’avantage de ne pas coûter grand-chose. Ce programme a été mis en pratique à Liverpool (Liverpool educational priority area project) et a trouvé son équivalent en France avec les ZEP. Pour les initiateurs anglais de ce projet, l’échec scolaire des enfants de quartiers dits défavorisés appelait des pratiques pédagogiques prenant en compte les caractéristiques de la communauté dans laquelle l’enfant vit. On a fait grand bruit au mois de février 1999 à propos des ZEP : « 1 000 ZEP en plus. » Dans un article publié dans le journal Le Monde du 26 février 1999, Pierre Merle, professeur de sociologie à l’IUFM de Bretagne dénonçait l’illusion que constitue cette politique scolaire, d’ailleurs sans moyens budgétaires, et les dangers de cet étiquetage qu’il proposait d’abandonner. Il écrivait :
Qu’ils soient ou non inscrits en ZEP, les bons élèves connaissent les mêmes progrès scolaires. Mais, en moyenne – plusieurs recherches, y compris du ministère, l’attestent – être scolarisé en ZEP constitue un handicap pour un élève ordinaire. Est-ce l’objectif recherché ? Davantage de ZEP : politique éducative ou facilité conjoncturelle ?
46Jean-Claude Forquin, qui présente de manière critique ce programme anglo-saxon, le résume ainsi :
En termes de contenus du curriculum, cela se traduit par une critique radicale de toute la culture scolaire traditionnelle et par des propositions complètement nouvelles, qui consistent à focaliser le travail pédagogique sur les réalités de la vie sociale immédiate, sur les problèmes, les conflits, les expériences caractéristiques du milieu urbain qui est celui où les enfants vivent et sont appelés le plus probablement à passer le reste de leur vie45.
47Cette adaptation de l’école au « milieu » constitue la négation même de l’école, et Jacques Muglioni écrivait à ce sujet :
D’une façon générale, l’école peut difficilement survivre à des spéculations tendant à fixer ses tâches d’après des situations de fait. La positivité affichée de telles spéculations est dissolvante de l’idée même d’école qui ne peut se concevoir sans un rapport d’opposition aux situations données. On ne peut s’appuyer sur l’ignorance et les préjugés pour former le savoir, ni tabler sur l’adaptation au milieu pour conduire à la liberté46.
48Ainsi, alors que Bourdieu et Passeron, boursiers de la République, poursuivaient sans nul doute une réflexion sur les conditions d’une démocratisation de l’enseignement, Les Héritiers, et en particulier la conclusion, aboutissent à un résultat inverse. Passeron, en parlant de « modeste projet réformiste », donne la vérité de cette conclusion. Au moment où des contre-réformes entraient en application (1959 et 1963), ce réformisme pédagogique contribuait à une entreprise mystificatrice de discrimination qui n’avait rien de positif. Au lieu de contribuer à une hypothétique égalisation des chances, cette sociologie remettait en question le principe de l’égalité des droits sur lequel était fondée l’école républicaine. Cette critique s’accentuera comme on va le voir dans La Reproduction.
49Bourdieu et Passeron sont devenus, avec cet essai, des phares dans la sociologie dite de l’éducation qui, jusque-là, était la spécialité dans laquelle avaient œuvré Pierre Naville et Viviane Isambert. Mais il est vrai que beaucoup de lecteurs ont vu dans ce livre brillant plus que les auteurs n’ont voulu dire. Certains sont allés jusqu’à construire la légende selon laquelle il aurait joué un rôle déclencheur de la grève générale chez les étudiants en Mai 1968. Il est vrai que des groupes d’étudiants, voulant peut-être singer la révolution culturelle chinoise de 1966, s’en sont saisis. Mais les vraies causes de 1968 sont bien évidemment ailleurs, dans les conditions de vie étudiante et dans la politique gaulliste qui a tenté, dès 1963-1964, d’instaurer une sélection à l’entrée à l’université, supprimant ainsi le baccalauréat comme premier grade universitaire, réforme qui va contribuer à mettre le feu aux poudres jusqu’au déclenchement de la grève générale étudiante de mai-juin 1968.
50Yvette Delsaut, dans l’ouvrage déjà cité, porte ce jugement :
Pour ma part, je ne peux m’empêcher de voir dans Les Héritiers l’amorce de la production que Bourdieu fera systématiquement à partir de 1995, publiant des ouvrages dépourvus de leur appareillage critique en vue d’une diffusion élargie : je pense que Bourdieu estimait qu’au vu du produit de ses recherches, ramassé sous une forme simplifiée, il fallait lui faire crédit de la démonstration complète et, en somme, lui faire confiance47.
Notes de bas de page
1 P. Bourdieu, extrait d’un entretien à Tokyo, publié dans P. Bourdieu, Interventions, op. cit., p. 73.
2 Le Monde, 6 février 2002.
3 Poste classé 1B dans l’échelle de la fonction publique, ce qui pour moi, après les bourses, signifiait une certaine aisance financière à cette époque.
4 L’ouvrage qui publie les premières analyses des résultats d’enquêtes qui sont à la base des Héritiers, porte pour titre Les Étudiants et leurs études. Il est publié la même année chez Mouton en tant que Cahier no 1 du Centre de sociologie européenne sous les noms de P. Bourdieu et J.-C. Passeron, avec la collaboration de M. Éliard.
5 P. Bourdieu et J.-C. Passeron, « Sociologues des mythologies et mythologies des sociologues », Les Temps modernes, no 211, décembre 1963, p. 998-1021.
6 Bureau universitaire de statistiques (et de documentation scolaire et professionnelle), organisme créé en 1933 sous le patronage d’Anatole de Monzie, devenu l’ONISEP, Office national d’information sur les enseignements et les professions, en 1970.
7 Le manuscrit a d’abord été refusé par les éditions du Rocher, puis retiré de chez Gallimard et publié aux Éditions de Minuit dans la collection « Le sens commun » dirigée par Bourdieu lui-même.
8 Y. Delsaut, « Sur Les Héritiers », dans J.-M. Chapoulie, O. Kourchid, J.-L. Robert et A.- M. Sohn (dir.), Sociologues et sociologies. La France des années 60, L’Harmattan, Paris, 2005, p. 65-78.
9 P. Masson, « La fabrication des Héritiers », Revue française de sociologie, 42-3, 2001, p. 477-507 ; et « Premières réceptions et diffusions des Héritiers » (1964-1973), Revue d’histoire des sciences humaines, 2005/2, no 13, p. 69-98. La citation est extraite du premier article, p. 70.
10 La Fédération générale des étudiants de lettres était dirigée par Jean-Louis Peninou et Marc Kravetz, leaders de ce qui s’appelait la « gauche syndicale » où se retrouvaient Serge July, Jean-Michel Bouguereau et d’autres. Au-delà de leurs différences liées soit au PSU, soit à des courants critiques de l’UEC ou à la Jeunesse étudiante chrétienne, influente dans l’UNEF à ce moment-là, ces militants se rejoignaient dans la lutte contre la guerre d’Algérie et dans la critique de l’université dite bourgeoise. Voir B. Brillant, Les Clercs de 68, PUF, Paris, 2003. L’auteur indique que, en 1963, « Des contacts s’établissent entre les animateurs de la “gauche syndicale” et les jeunes maîtres-assistants de sociologie, P. Bourdieu et J.-C. Passeron », p. 76.
11 Des étudiants de l’ENS-Ulm en ont même fait une représentation théâtrale.
12 Ce terme s’entend ici au sens statistique.
13 P. Bourdieu et J.-C. Passeron, Les Héritiers. Les étudiants et la culture, Minuit, Paris, 1964, p. 11.
14 Ibid., p. 22-24.
15 Ibid., p. 19.
16 Ibid., p. 43-44.
17 Ibid., p. 44.
18 Mais où sont passés les boursiers ? Ils disparaissent de l’analyse : détail significatif, le mot « boursier » n’existe pas dans l’index du livre, ni dans aucun des index des ouvrages ultérieurs. Le mot « héritier » non plus d’ailleurs, mais celui d’« héritage culturel » a de nombreuses occurrences, sauf dans La Reproduction. Cette question des boursiers est abordée au chap. viii (voir infra).
19 P. Bourdieu et J.-C. Passeron, Les Héritiers, op. cit., p. 78-79.
20 B. Lahire, Tableaux de familles. Heurs et malheurs scolaires en milieux populaires, Seuil, « Essais », Paris, 2012.
21 Cité par Y. Delsaut, op. cit., p. 70.
22 P. Bourdieu, J.-C. Passeron et M. Éliard, Les Étudiants et leurs études, op. cit., p. 9. Cette réserve est reprise sous une autre forme au début des Héritiers, p. 7.
23 L’Année sociologique, 1965, p. 485. Ces critiques sont recensées dans l’article de Philippe Masson : P. Masson, « Premières réceptions et diffusions des Héritiers », art. cit., p. 75-78.
24 Dans J.-M. Chapoulie, O. Kourchid, J.-L. Robert et A.-M. Sohn (dir.), op. cit., p. 79-87.
25 J.-R. Tréanton, « Poids et Mesures : Dialogue imaginaire sur l’enseignement supérieur et la mobilité sociale », Sociologie du travail, 1965-4, p. 416-422.
26 L. Gruel, Pierre Bourdieu illusionniste, Presses universitaires de Rennes, 2005.
27 Ibid., p. 35.
28 A. Girard, La Réussite sociale en France. Ses caractères, ses lois, ses effets, PUF, 1961, p. 35-36.
29 Estimation donnée par C. Baudelot et R. Establet dans L’école primaire divise. Un dossier, Maspéro, Paris, 1979.
30 J.-M. Chapoulie, O. Kourchid, J.-L. Robert et A.-M. Sohn (dir.), op. cit., p. 43.
31 Il s’agit des cours complémentaires (CC) comprenant deux années d’études après le CEP et des écoles primaires supérieures (EPS).
32 J.-C. Passeron, « Que reste-t-il des Héritiers et de La Reproduction (1964-1971) aujourd’hui ? », dans J.-M. Chapoulie, O. Kourchid, J.-L. Robert et A.-M. Sohn (dir.), op. cit., p. 44.
33 Voir chap. viii (infra).
34 P. Costey et A. Fossier, « Entretien avec Jean-Claude Passeron », Tracés. Revue de Sciences humaines, no 4, 2003, mis en ligne le 3 février 2009.
35 Darras, Le Partage des bénéfices. Expansion et inégalités en France, Minuit, Paris, « Le sens commun », 1966, communication de P. Bourdieu, « La transmission de l’héritage culturel », p. 410.
36 Professeur de philosophie qui fut président du jury d’agrégation.
37 J. Muglioni, « Quelle école pour l’enseignement philosophique ? », Philosophie, école, même combat, Colloque philosophique de Sèvres, PUF, 1984, p. 29.
38 P. Bourdieu et J.-C. Passeron, Les Héritiers, op. cit., Conclusion, p. 103.
39 Ibid., p. 106.
40 Ibid., p. 109.
41 Ibid., p. 112.
42 Id.
43 Les ouvrages décrivant ces dérives sont nombreux. Voir en particulier L. Lurçat, La Destruction de l’enseignement élémentaire et ses penseurs, F.-X. de Guibert, Paris, 2004 ; M. Le Bris, Et vos enfants ne sauront pas lire, ni compter. La faillite obstinée de l’école française, Stock, Paris, 2004.
44 J.-C. Passeron, « Le sociologue en politique et vice versa : enquêtes sociologiques et réformes pédagogiques dans les années 1960 », dans J. Bouveresse et D. Roche, La Liberté par la connaissance. Pierre Bourdieu (1930-2002), Odile Jacob, Paris, 2004, p. 23.
45 J.-C. Forquin, École et culture, le point de vue des sociologues britanniques, De Boeck, Bruxelles, 1996, p. 146.
46 Postface à Philosophie, École, même combat, op. cit., p. 172.
47 Y. Delsaut, « Sur Les Héritiers », op. cit., p. 77-78.
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La mobilité sociale dans l’immigration
Itinéraires de réussite des enfants d’origine algérienne
Emmanuelle Santelli
2001