Introduction
p. 181-183
Texte intégral
1Cette dernière partie s’intéresse tout particulièrement aux parcours des migrants entrepreneurs. Dans le passage de l’économie planifiée à l’économie de marché, la mise en place du nouveau système économique – la responsabilité familiale à la campagne – et la disparition progressive de l’emploi à vie en ville, incitent les Chinois à mobiliser toutes leurs ressources pour mener leur propre existence. Les slogans « Se lancer dans les affaires » (xiahai : se jeter à la mer) et « Pour qu’une partie de la population s’enrichisse d’abord »(rang yibufen ren xian fuqilai) encouragent les citadins comme les ruraux à devenir maîtres de leur propre destin. Depuis la deuxième moitié des années 1980, une idéologie entrepreneuriale domine la société chinoise1. Tout le monde veut devenir son propre patron (dang laoban), car l’image de l’entrepreneur est associée non seulement à la réussite économique, mais aussi à l’ascension sociale voire politique. Dans la réalité, les entrepreneurs présentent des profils bien différents. Ils peuvent être patrons sans employés ou employeurs avec quelques salariés (getihu : entrepreneur individuel), ou dirigeants d’entreprise d’une certaine taille (qiyejia : entrepreneur2). Ces patrons peuvent être des paysans ayant créé un atelier familial à la campagne, des commerçants de la rue, des chômeurs convertis, ou d’anciens responsables d’entreprises d’État devenus patrons industriels. Par conséquent, les entrepreneurs ne constituent pas un groupe social homogène et ne sortent pas toujours vainqueurs de la réforme.
2Les trois entrepreneurs que nous présentons ici sont tous issus du milieu rural. Tous ont connu la migration avec des trajectoires différentes. Comme nous l’avons évoqué dans l’introduction, dans les campagnes chinoises, le nouveau système d’organisation, la responsabilité familiale (jiating chengbao zerenzhi), établi au début des années 1980 permet à une partie de la population rurale de se convertir vers d’autres types activités économiques, notamment vers l’industrie. On observe dès lors une forte expansion industrielle dans les campagnes chinoises : une industrie basée principalement sur un bon nombre de petits ateliers familiaux, notamment dans les régions de tradition artisanale : Jiangsu, Zhejiang et Guangdong. Le développement industriel du Zhejiang est fondé principalement sur les entreprises familiales privées. Le Zhejiang a été une des premières provinces de Chine à voir apparaître des ateliers familiaux au début des années 1980. Certains de ces ateliers ont évolué pour devenir des entreprises rurales, voire de grandes entreprises de fabrication aujourd’hui. Dans la province du Jiangsu, l’expansion industrielle s’est plutôt fondée sur les entreprises rurales collectives. Ce modèle, né à Sunan (le sud du Jiangsu), s’est ensuite étendu à d’autres régions de la Chine. Il a connu un important succès dans la décennie qui a suivi la réforme économique3.
3C’est dans ce contexte politique et économique que de nombreux paysans s’engagent dans les activités entrepreneuriales. Les migrants présentés dans ce chapitre sont devenus entrepreneurs à travers des parcours migratoires au cours desquels ils ont développé leur capacité à gérer des situations d’incertitude économique, à créer des liens forts et des liens faibles fondés sur des relations de confiance, des solidarités d’origine familiale ou géographique (tongxiang). Cependant, les activités entrepreneuriales ne les conduisent pas tous à la réussite. Certains connaissent des succès mais peuvent retomber dans la précarité, et d’autres ont pu s’en sortir pour devenir dirigeants d’une entreprise prospère.
4Un couple de cordonniers s’engage très tôt dans les activités industrielles artisanales à la campagne et circule entre leur province d’origine, le Jiangsu et des provinces voisines ou lointaines. Le cordonnier est tantôt ouvrier d’usine, tantôt responsable d’atelier et tantôt son propre patron dans un marché. La trajectoire de ce couple est en dents de scie, entremêlée de réussites et d’échecs : elle illustre des expériences de beaucoup de petits entrepreneurs. Le deuxième entrepreneur originaire du Jiangxi présente une migration rurale-rurale. À la différence de la majorité des migrants qui se ruent vers les régions développées, il a choisi comme destination un ancien district rural devenu une nouvelle localité urbaine : Yiwu. Son premier passage en usine comme ouvrier lui a permis d’acquérir un certain capital économique et un savoir-faire. Il s’est ensuite lancé dans le commerce, puis dans la production industrielle. Aujourd’hui, il dirige une entreprise de 400 personnes et devient en même temps un modèle de réussite des migrants. Le dernier entrepreneur illustre un tout autre type de migration. Il s’agit d’une migration pendulaire et temporaire pour une activité artisanale, un mode de déplacement traditionnel dans la province du Zhejiang : le colportage. Le retour au village devient définitif lorsqu’il cumule suffisamment de ressources pour monter ses propres affaires. Aujourd’hui, cet ancien artisan colporteur est à la tête d’une société cotée en bourse et il est devenu une personnalité publique dans sa ville natale.
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La mobilité sociale dans l’immigration
Itinéraires de réussite des enfants d’origine algérienne
Emmanuelle Santelli
2001