Introduction
p. 85-87
Texte intégral
1L’un des changements les plus significatifs dans les migrations internationales depuis la deuxième moitié du xxe siècle réside dans la proportion croissante des femmes migrantes1. Aujourd’hui, la moitié de la population migrante internationale est constituée de femmes2. Ce constat se vérifie également dans les migrations internes en Chine. La migration a été traditionnellement l’affaire des hommes, ceci a toujours été vrai jusqu’à une certaine période de la réforme économique. À la fin des années 1980, dans les deux grandes métropoles chinoises, Beijing et Shanghai, respectivement 87,5 % et 70,8 % des migrants sont de sexe masculin. Ce pourcentage diminue au milieu de la décennie 1990 pour descendre à 60 %. Selon les statistiques officielles publiées en 1995, sur toute la Chine, la proportion des femmes migrantes est passée de 30 % en 1987 à 40 % en 1995 pour atteindre 50 % en cours de l’année 2009 selon une enquête effectuée dans cinq villes chinoises, Beijing, Shanghai, Shenzhen, Taiyuan et Chengdu3. La migration féminine à l’intérieur du pays devient un phénomène courant en Chine. Si dans l’ensemble de la population migrante, on compte autant d’hommes que de femmes, dans les tranches d’âge jeune, les femmes sont plus présentes4. À Shanghai, dans les années 1990, parmi les femmes migrantes, la moitié ont entre 18 et 24 ans5, et dans la tranche d’âge 20-24 ans, les femmes sont plus nombreuses que les hommes.
2Les femmes migrent de plus en plus et partent très jeunes. L’augmentation progressive de la main-d’œuvre féminine s’explique de surcroît par le développement important du secteur tertiaire en ville. Outre une forte présence de femmes migrantes dans les usines (certains secteurs recrutent plus spécifiquement une main-d’œuvre féminine très jeune comme dans des usines textiles, électroniques et de jouets), les femmes paysannes intègrent massivement les secteurs de service comme les travaux domestiques, le commerce, la restauration, la couture ou les réparations, etc.6.
3La migration au féminin semble relever également d’une logique matrimoniale7. Dans la migration féminine traditionnelle, les femmes migrent pour se marier. Ceci est encore vrai aujourd’hui. Mais nombreuses sont celles qui migrent pour gagner de l’argent, puis retournent au village pour se marier. Les jeunes filles partent à la fin du collège voire plus tôt. En entrant dans la vingtaine, à l’âge du mariage, elles rentrent au village pour fonder une famille. La stratégie de la migration féminine change en général après le mariage8. Une fois mariées, les femmes restent à la campagne au moins dans les premières années pour accomplir le devoir de procréation et d’éducation de l’enfant ou des enfants. Beaucoup de recherches convergent pour dire que dans les années 1980, une fois que les jeunes filles migrantes retournent au village et fondent un foyer, elles sont condamnées à rester dans l’espace intérieur pour les tâches ménagères ou se consacrent dorénavant aux travaux agricoles. Mais, dans la décennie 1990, le mariage et la maternité ne constituent plus d’obstacles dans le projet de la migration des femmes mariées. Dans l’Anhui, 40 % des femmes mariées regagnent la route migratoire9. La grande majorité accompagne ou rejoint leur conjoint en ville, mais certaines femmes partent parfois sans famille. Les femmes migrantes pratiquent souvent une migration à courte distance, en raison des enfants en bas âge laissés à la campagne. Leur migration est souvent temporaire, et la durée est fonction des besoins familiaux.
4Les littératures consacrées à la migration au féminin aussi bien en Chine qu’ailleurs montrent toutes qu’au cours des migrations, les femmes rencontrent plus de difficultés et subissent plus de discriminations économiques et sociales que les hommes : salaire moins élevé, temps de travail plus long et emplois précaires voire même dangereux et illégaux (comme la prostitution10). Toutefois, la migration peut avoir un effet positif. Grâce aux expériences migratoires, de nombreuses femmes accèdent à des activités économiques qui leur procurent plus de ressources économiques et sociales. L’accès à un métier en ville peut ainsi changer les relations de pouvoir entre hommes et femmes et renforcer le pouvoir de négociation des femmes dans leur ménage. Même si certaines femmes continuent à vivre selon un modèle familial classique où le mari joue le rôle principal et la femme un rôle subalterne (fuzhu fufu : le mari est principal et la femme secondaire), d’autres apprennent à s’affirmer, à devenir autonomes, voire à oser rompre ce modèle familial traditionnel.
5Dans ce chapitre, nous nous appuyons sur trois itinéraires de femmes, toutes mariées et toutes travaillant dans le secteur de service : commerce, restauration et travaux domestiques. Par la migration, ces femmes jouent un rôle actif dans la vie économique du foyer, sans doute encore complémentaire pour certaines, mais parfois même tout aussi important que les hommes. C’est au travers de la migration que ces femmes réussissent à s’assumer et à devenir autonomes, même si leur situation peut paraître fragile et les rendre vulnérables à tout moment.
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La mobilité sociale dans l’immigration
Itinéraires de réussite des enfants d’origine algérienne
Emmanuelle Santelli
2001