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De l’armée à la migration : un Jeune ouvrier au Zhejiang

p. 63-74


Texte intégral

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Photo 3 – L'usine où travaille Wang Yanghong

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Carte 3 – Itinéraire de Wang Yanghong

WANG Yanghong, 23 ans et célibataire
1982 :
– Naissance à Quzhou au Zhejiang
2000-2002 :
– Militaire au Zhejiang
2002 -2005 :
– Agent de sécurité dans un supermarché à Hangzhou
– Agent de sécurité dans une école à Hangzhou
– Agent de sécurité dans une société américaine à Hangzhou
– Part chercher du travail à Qinhuangdao dans le Shandong
– Ouvrier dans une usine de meubles à Ningbo au Zhejiang
2005 :
– Ouvrier dans une entreprise sino-étrangère à Hangzhou

1Au printemps 2005, nous avons effectué une série d’entretiens avec des ouvriers migrants dans une usine à la banlieue de Hangzhou, capitale de la province du Zhejiang. C’était à l’origine une entreprise d’État. Dans les années 1990, comme toutes les entreprises d’État, elle a connu la réforme et a été privatisée par la suite. En 2001, elle est devenue une société à capitaux mixtes (joint venture). Quelques années plus tard, cette entreprise a été rachetée par une société américaine.

2À l’époque de nos entretiens, l’entreprise est encore une société sino-française. Elle emploie 370 personnes. Dans cette usine, les ouvriers ont deux statuts différents : les employés permanents (hetonggong : ouvriers sous contrat), ceux ayant un hukou local et salariés de l’ancienne usine d’État avant le changement de propriété ; et les employés temporaires (linshigong : ouvriers temporaires), tous migrants, recrutés par l’intermédiaire d’une agence privée d’intérim. Ils travaillent pour la plupart dans un entrepôt d’emballages. Le travail consiste à préparer des sacs de 50 kg de fibre de verre et à les charger ensuite dans un camion à l’aide d’un robot. Cette catégorie d’employés, environ 60 % des ouvriers de l’usine, assure un travail pénible et ces salariés ne sont pas considérés comme employés de plein droit dans l’entreprise.

3Les ouvriers permanents sont payés au mois avec un salaire fixe, alors que les ouvriers migrants sont payés à la journée : 25 yuans par jour pour huit heures de travail. Ce qui fait un salaire de 575 yuans par mois pour 23 journées de travail. Ils pourraient espérer, chaque mois, 50 yuans de plus pour l’assiduité au travail. Avec les heures supplémentaires payées à 4,7 yuans de l’heure, ces ouvriers migrants peuvent ainsi optimiser une rémunération entre 700 et 800 yuans par mois, tandis que les ouvriers permanents, pour les mêmes postes de travail, touchent 1 000 yuans par mois. Les migrants se plaignent des inégalités de rémunérations et de la pénibilité du travail : démangeaisons à cause du contact avec la fibre de verre, poussière dans l’entrepôt et équipements de protection insuffisants ou obsolètes. Les ouvriers migrants dont le statut est dans une situation d’infériorité se plient aux politiques discriminatoires. Quelques ouvriers nous disent : « L’entreprise marche bien, elle doit faire beaucoup de bénéfices. Nous ne cherchons pas l’égalité avec les ouvriers sous contrat, mais juste une petite augmentation de salaire ». Les revendications de ces travailleurs restent timides et individuelles, car à l’usine, aucune organisation sociale (syndicat, association) n’existe pour être leur porte-parole.

4Ce qui sépare les ouvriers temporaires des ouvriers sous contrat ne concerne pas seulement les rémunérations. Ce système d’embauche relativement courant représente un gain important pour l’entreprise, puisqu’elle ne cotise pas pour la protection sociale des ouvriers migrants. Ces derniers ne peuvent bénéficier des assurances que l’entreprise propose à ses propres employés : assurance maladie, assurance vieillesse et contribution patronale au logement (san baoxian : trois assurances). Ils ne peuvent prétendre ni aux congés payés, ni à l’augmentation de salaire à l’ancienneté. Compte tenu de leur statut temporaire, l’entreprise peut les renvoyer à tout moment, sans préavis, ni justification. Quant à l’agence d’intérim, elle ne couvre pas non plus tous les ouvriers migrants pour la protection sociale, car un bon nombre d’entre eux ne souhaite pas cotiser. La protection sociale en faveur des migrants mise en application dans les années 2000 est en réalité différente de celle des urbains. Les migrants ne bénéficient pas d’assurance chômage, ni d’assurance pour la maternité, ni de couverture sociale en cas de maladie non liée à l’exercice de la profession. Ils ont seulement droit à un complément pour la retraite1. Par conséquent, les migrants ne souhaitent pas signer de contrat de travail, lequel est considéré plus comme une contrainte qu’un avantage, car ils souhaitent pouvoir changer de travail dès qu’ils trouvent de meilleures rémunérations ailleurs.

Qu’est-ce que vous avez fait après vos études ?

Je n’ai pas terminé le lycée. À vrai dire, dans mon enfance, je rêvais de devenir militaire ou chauffeur de poids lourd. C’était une sorte de vocation. Quand j’étais au lycée, l’armée est venue recruter dans notre région. J’ai posé ma candidature. J’ai été pris. Normalement je devais partir dans le nord, mais ma famille ne voulait pas que j’aille là-bas, parce que le climat est rude. Par le réseau de connaissances de ma famille (guanxi : les relations), j’ai pu rester dans le Zhejiang. J’ai été affecté dans l’armée de sécurité (xingjing budui) pendant deux ans. C’est une armée spéciale qui est fortement liée à la police (gonganju). L’armée au sens propre a la mission de protéger le pays contre les envahisseurs étrangers. L’armée de sécurité a plutôt une mission de sécurité intérieure, par exemple, s’il y a une inondation ou des émeutes, nous intervenons. Nous devons être prêts pour tout événement.

Autrefois on faisait quatre ans de service militaire volontaire. Maintenant c’est deux ans. Ceux qui sont promus cadres peuvent rester dans l’armée à vie. En fait, j’aurais pu rester au bout de deux ans. Mais dans le monde actuel, les riches écrasent les pauvres et les gens au pouvoir écrasent les gens ordinaires (laobaixing : les personnes portant les 100 noms de famille les plus courants). Pour être honnête, je me suis très bien conduit dans l’armée. Je devais y rester. Mais les autorités centrales de Pékin ont téléphoné pour imposer à notre régiment de garder les gens de leurs connaissances. Comme il y avait un quota à respecter, l’armée ne pouvait pas garder tout le monde. Le pouvoir local n’osait pas contredire les autorités de Pékin. Par conséquent, nous avons été plusieurs à quitter l’armée dans cette situation là. J’ai su que je devrais quitter l’armée la veille du départ seulement, parce que tout le monde pensait que je ne serais pas concerné par les départs. Bien sûr, j’ai été très déçu, parce qu’on m’a toujours dit que je pouvais rester dans l’armée. Je pensais que l’armée me convenait bien. Je l’aimais beaucoup.

Bon, qu’est-ce que j’ai fait dans l’armée ? Comment dire ? Pour parler simplement, c’était des entraînements physiques. Je ne peux pas dire que je protégeais la patrie. C’est un trop grand mot, j’exagère. Mais comme militaire, mon devoir était de servir le pays. Bon, avec le recul, je pense que ça a été une dure épreuve pour moi. C’était un départ à contrecœur. C’était en 2002, j’avais 20 ans.

Qu’avez-vous fait après l’armée de sécurité ?

Normalement selon les règles, après l’armée, je devais retourner chez moi à la campagne pour chercher du travail. Mais avant de quitter l’armée, une chaîne de supermarché est venue recruter des agents de sécurité parmi les militaires qui allaient partir. Le responsable de notre régiment m’a recommandé. J’ai donc commencé à travailler à Hangzhou. Nous avons été formés pendant trois mois. Chaque établissement a ses propres règles de sécurité, c’est très différent. Tout ce que nous avons appris à l’armée n’a rien à voir avec ce supermarché. J’ai tout appris à nouveau. Il n’y a rien à faire. Nous sommes une centaine, la plupart viennent de l’armée de partout. Comme je suis embauché par ce supermarché, je dois apprendre ses règles. Dans ce supermarché, notre travail est d’attraper des voleurs. C’est un nouveau supermarché qui appartient à une grande chaîne. Mais il y avait quelque chose de néfaste dans ce supermarché. Le jour de l’ouverture, il y avait une coupure de courant ; le deuxième jour, il y avait une fuite d’eau sur le toit. Ce supermarché était déficitaire au bout de quelques mois. Ils ne voulaient plus investir. Dans la région, il y a déjà quelques supermarchés de la même chaîne. Ils ont été obligés de nous licencier au bout de six mois. Normalement, nous avions un contrat de deux ans.

Lors du recrutement, ils ont promis un salaire de 1 200 yuans par mois. C’est un salaire très moyen pour un agent de sécurité dans un supermarché. En réalité, on travaille 6 heures et demie par jour, à l’entrée du supermarché, toute la journée. Ce salaire d’un agent de sécurité n’est pas élevé dans une ville comme Hangzhou, une ville touristique, qui n’est quand même pas une ville sous-développée.

Que faisiez-vous toute la journée, il n’y avait pas beaucoup de voleurs ?

Si, il y en a, même beaucoup. Pour attraper des voleurs, nous avons quatre principes à respecter : il faut suivre le suspect soi-même ; le voir prendre un article de ses propres yeux ; le voir mettre l’article dans son sac et le voir sortir sans payer. C’est seulement dans ce contexte-là que nous devons l’interpeller avec politesse et l’emmener au bureau de sécurité du magasin. Par exemple, je dois lui dire : « Bonjour monsieur, n’avez-vous pas oublié de passer à la caisse ? Pourriez-vous vérifier si vous avez oublié de payer ? » S’il dit non, nous essayons de l’emmener au bureau tout en restant très aimables. Ensuite, on peut le faire payer une amende. S’il refuse, nous appelons le commissariat de police du quartier. Donc pour arriver à notre but, il faut avoir une attitude irréprochable ; à vrai dire, nous devons piéger les voleurs. Une fois j’ai vu une femme d’une trentaine d’années bien habillée, avec des vêtements de grandes marques. Elle a pris un article cosmétique qui ne valait pas grand-chose. Je l’ai vue sortir sans régler et je suis allé lui demander. Elle m’a dit : « Oui, c’est vrai, je n’ai pas payé. Alors, vous voulez que je paie combien ? ». Elle a ouvert son porte-monnaie et a sorti un billet de 100 yuans et me demande : « Cela vous suffit ? ». Moi, je ne pouvais pas prendre son argent. Je l’ai conduite au bureau de sécurité. Elle a sorti tous les billets de son porte-monnaie et nous a demandé : « Tous ces billets vous suffisent-ils ? » Oh, c’était quelqu’un de très riche. Elle faisait ça pour s’amuser. C’était une provocation. Finalement, nous lui avons demandé de payer le prix de l’article et nous l’avons laissée partir. Il n’y a rien à faire avec ces gens-là. Ils viennent se défouler en quelque sorte.

Après le supermarché, qu’avez-vous fait ?

Je n’aimais pas le travail d’agent de sécurité. Après ce premier travail au supermarché, j’ai été de nouveau agent de sécurité dans une école. Malgré tout, je devais vivre et je n’avais pas le choix. Si quelqu’un a du talent, il n’a pas besoin d’aller chercher du travail, c’est les autres qui viennent le supplier de travailler pour eux. Moi, je dois chercher du travail. Mais, les agents de sécurité de cette école appartenaient à une compagnie de sécurité. Il fallait encore suivre une formation dans cette société, parce que leurs règles étaient encore différentes de ce que nous avions appris auparavant. Quelques collègues, anciens militaires aussi et moi, nous ne voulions pas suivre cette formation, parce que nous avons été militaires et nous avons déjà eu une formation solide. Je suis donc parti et je suis allé dans une société américaine. Je devais m’habiller en costume et cravate. C’était encore un poste de sécurité. C’est par des amis de l’armée que j’ai trouvé ce travail. Dans l’armée, je me suis fait beaucoup d’amis. Ils sont partout maintenant et on s’entraide. Je n’étais pas du tout content de ce travail. Le salaire était trop bas, entre 600 et 700 yuans par mois. Ce n’est pas juste. Beaucoup de gens pensent que le poste de sécurité est un travail confortable. En fait, un agent de sécurité dans une usine a beaucoup de responsabilités. On doit surveiller et enregistrer toutes les entrées. S’il arrive quelque chose, c’est ma responsabilité. Quand on n’a pas de diplôme élevé, on ne peut pas faire grand chose. J’ai travaillé pendant quelques mois, la fête du printemps est arrivée. Je suis rentré chez moi, et après la fête, je n’y suis pas retourné.

Oh, je dois vous raconter une autre expérience. Vraiment, j’ai vécu pas mal d’expériences. En fait, après le supermarché, je suis allé à Qinhuangdao avec un copain de l’armée. Nous voulions aller là-bas voir un ancien camarade de l’armée. En fait, c’est celui-ci qui m’avait téléphoné pour nous proposer un travail dans un grand hôtel à Qinhuangdao, soit comme agent de sécurité soit comme serveur. Il m’a dit que je pourrais gagner 1 500 yuans par mois là-bas. J’y ai cru, parce qu’on se connaît depuis longtemps. Mais en fait, c’était de l’arnaque. Nous sommes arrivés à Qinhuangdao. À notre arrivée, j’avais des doutes. Le copain m’avait dit que c’était un travail dans un grand hôtel ; mais nous, nous sommes logés dans une pièce avec une dizaine de personnes. J’ai demandé à ce copain où était le grand hôtel. Il a dit : « Pourquoi tu te presses ? Prends une douche et on va manger. » Nous avons passé la première nuit dans cette pièce par terre. Je me suis dit qu’une pièce sans lit ne pouvait pas être un grand hôtel. Je me suis rendu compte que quelqu’un nous surveillait tout le temps. Je voulais partir ; mais ils ont essayé de nous en empêcher.

Quelles sont les activités de cette société ?

En fait, c’est une société de vente directe à domicile (chuanxiao : la vente en réseau2). Ces sociétés n’ont pas d’activité. Elles gagnent de l’argent avec les adhésions de leurs membres. Pour faire entrer des membres, elles disent qu’elles ont une usine ou des produits à vendre. Mais moi, je me suis renseigné. Personne n’a vu de marchandises ni de machines. Ces sociétés ne produisent rien et ne vendent rien. Elles font venir des gens et les font payer. En quelque sorte, c’est une société de la mafia. Ils s’amusent tout le temps. Si nous acceptons de travailler pour eux, il faut payer 2 450 yuans comme frais d’adhésion (ruhang : entrer dans le métier). Il y a plusieurs catégories dans la société : des grands représentants (da daili : grand représentant) et petits représentants (xiao daili : petit représentant) etc. Chaque fois qu’une nouvelle personne arrive, les dirigeants partagent les frais d’adhésion. Ils nous font suivre des cours pour nous apprendre ce métier. Sans me vanter, j’étais assez intelligent pour comprendre leur truc. Pour faire ce genre de travail, quand on est un petit représentant, même si on fait venir quelqu’un, on peut gagner entre 100 et 200 yuans dans le meilleur des cas. Mais je n’ai rien dit sur le moment, car c’était gênant de le dire devant le copain qui nous avait fait venir. C’était une société récente sans beaucoup de capitaux en banque. Si c’était une société solide, je pouvais encore investir et gagner de l’argent. Mais il y a beaucoup de gens au-dessus de moi, quelques centaines, je pense. Même si je faisais venir quelqu’un, je ne pouvais pas gagner beaucoup d’argent. C’est inintéressant.

J’ai décidé de partir. Si je partais en laissant 2 450 yuans, c’était une grande perte pour moi. Avec cet argent, je pouvais trouver un autre travail, je peux même faire du commerce. J’ai discuté avec le copain qui était venu avec moi. Nous avons décidé de récupérer notre argent, puis de nous enfuir. Mais nous étions suivis tout le temps. La nuit, si on se levait pour aller aux toilettes, on était suivi par quelqu’un. Ils utilisaient aussi la méthode de séduction pour retenir les gens. Nous sommes restés pendant presque une semaine. Un jour nous avons voulu sortir. Il y avait deux personnes qui nous accompagnaient, dont le copain qui nous a fait venir. Même si j’ai un niveau d’études peu élevé, je peux comprendre la situation. Nous avons fait exprès de nous arrêter pour fumer. Avec quelques mots, j’ai fait comprendre à mon copain comment nous enfuir. Nous sommes allés d’abord dans le sens inverse de la gare et puis après un détour, nous sommes arrivés à la gare. Là nous avons annoncé à ceux qui nous suivaient que nous voulions partir. Le copain qui nous avait fait venir nous a demandé quand nous souhaitions revenir. Je lui ai dit : « Alors, penses-tu que nous reviendrons ? Comment peux-tu nous faire des choses pareilles ? Qu’est-ce que tu as fait de notre amitié ? » Le copain nous a avoué : « Quand je t’ai téléphoné pour vous proposer ce travail, j’avais envie de te dire la vérité. Mais si j’avais dit la vérité, vous ne seriez pas venus. » Je lui ai dit : « Même si je suis venu ici, penses-tu que j’accepte de rester pour un travail pareil ? » Je ne voulais pas trop lui en vouloir. Quoi qu’il en soit, c’était un ami, même si j’avais le sentiment d’être trahi. Nous avons réussi à prendre le train pour rentrer. De toute façon, ils ne pouvaient rien faire si nous voulions partir. S’ils voulaient la bagarre, nous n’avions pas peur. Nous avions fait l’armée et nous étions bien entraînés. J’avais le sentiment d’être trompé par un frère ou un ami. Heureusement, nous avons pu nous échapper.

Je connais un autre copain de l’armée. Son cousin a eu la même mésaventure que nous. Il est allé à Shenzhen. Il a refusé de faire ce travail. Il s’est fait enfermer. Moi, je ne comprends pas. Pourquoi est-il si bête ? Il a toujours la possibilité de s’enfuir. Mais apparemment il ne peut pas prendre la fuite. Il est enfermé dans une pièce. Même pour les repas, il ne peut pas quitter la pièce. Qu’on le veuille ou non, il faut payer d’abord 3 000 yuans, puis encore quelques milliers puis encore et encore. Même si tu paies, on ne te laisse pas partir. C’est de l’enlèvement. Nous avons eu de la chance de pouvoir partir.

Au début, mes parents ne voulaient pas que je parte pour Qinhuangdao, mais je ne les ai pas écoutés. En fait, avant cette histoire, un autre copain m’avait proposé de le rejoindre dans le Guangdong. Il m’avait proposé un travail dans une usine électronique. Il m’a parlé d’un travail sur ordinateur, tout était automatique et il n’y avait rien à faire. Il suffisait d’appuyer sur un bouton. Avec le recul, heureusement que je ne suis pas allé dans le Guangdong. Si ça se trouve, c’était le même genre d’histoire. J’aurais eu plus de mal à m’en sortir, car dans le Guangdong, c’est beaucoup plus dangereux.

Après cette expérience, qu’avez-vous fait ?

Un ancien camarade de l’école m’a invité à Ningbo. Cela faisait longtemps que nous ne nous étions pas vus. Mais je lui ai dit : « À quoi ça sert d’aller te voir, si je ne trouve pas de travail là-bas ? » Il m’a dit : « Il n’y a pas de problème. Tu viens et tu trouveras du travail. » Donc je suis allé le voir. Au bout de quelques jours, j’ai commencé à chercher du travail et j’ai trouvé une usine de meubles. Je ne connaissais rien de ce métier. Mais c’était un travail à la chaîne. Il y avait une partie du travail qui s’effectuait sur ordinateur. J’ai appris très vite. J’ai travaillé pendant plus de six mois. Mais mes parents ne voulaient pas que je reste à Ningbo, parce que c’était loin de la famille. Eux, ils étaient à Hangzhou. Ils s’inquiétaient pour moi. Je dois écouter mes parents et leur faire plaisir. Il fallait quand même avoir de la piété filiale (xiaoshun). Donc, je suis revenu à Hangzhou. Mon père travaille dans une usine. Il m’a donné des informations : je devais passer un entretien d’embauche. J’ai d’abord réussi un examen de mathématiques, puis j’ai payé 20 yuans à l’agence intérim pour obtenir une lettre de recommandation. Avec cette lettre, je suis venu à l’entretien d’embauche à l’usine. Au début, j’ai demandé un poste de sécurité. J’ai réussi plusieurs étapes dans l’entretien de recrutement, mais à la dernière étape, la directrice n’a pas donné son accord. Elle trouvait, sans doute, des défauts chez moi, elle devait penser que je ne méritais pas ce poste. On ne peut pas entrer directement à l’usine. Il faut passer par l’agence. Tout notre salaire et les primes, c’est l’agence qui nous les donne. Nous ne signons pas de contrat avec l’usine ni avec l’agence. Nous n’avons pas de contrat. Par rapport aux ouvriers sous contrat, il y a pas mal de différences, ils ont les trois protections (assurance maladie, assurance accident de travail et contribution au logement par employeur), nous, non.

Mon travail actuel est de préparer des fils de verre pour la chaîne de production. Je préfère être ouvrier, plutôt qu’agent de sécurité, même si les fils de verre piquent la peau, ça donne des démangeaisons. Dans cette usine, beaucoup de migrants travaillent dans l’entrepôt d’emballage, c’est plus dur. Si vous entrez dans l’atelier, il y a beaucoup de poussière, il faut porter un masque. L’usine donne une blouse et les chaussures pour neuf mois et au bout de neuf mois la blouse est à nous, mais il faut payer. Pour les chaussures, ça s’use vite, c’est difficile d’attendre neuf mois.

Dans cette usine, un ouvrier migrant gagne en moyenne 700 yuans par mois. Dans toutes les usines à Hangzhou, le salaire est au moins 1 000 yuans par mois. Une prime d’assiduité est de 50 yuans par mois. Si on fait des heures supplémentaires, c’était 3 yuans par heure. Elles sont maintenant à 4,70 yuans. Personne ne veut le faire, ça ne vaut pas le coup. Nous travaillons comme les ouvriers sous contrat. Chaque mois on va chercher le salaire à l’agence. Ils affichent une liste sur le mur. Ils marquent juste le montant global. Nous ne savons pas si nous touchons une prime en plus du salaire ou si c’est une augmentation de salaire. Ce n’est pas clair. Nous faisons des remarques à l’usine. Nous avons parlé de nombreuses fois à la direction, on nous a dit de transmettre nos avis au directeur de l’usine. Nous ne pouvons que nous taire dans ce cas. Nous ne demandons pas à être traités comme les ouvriers sous contrat, mais seulement un peu mieux. Nous espérons simplement qu’ils fassent un geste. C’est une entreprise française. La France est malgré tout un pays capitaliste, c’est sans doute pour cela que le patron ne fait pas très attention aux intérêts des ouvriers. De temps en temps, on voit des Français. Je suppose qu’ils sont logés en ville. La France est loin, ils ne peuvent pas faire des allers et retours tout le temps. Ils sont sûrement dans des hôtels de quatre ou cinq étoiles.

Vous avez des projets pour l’avenir ?

Maintenant, j’ai envie de démissionner de l’usine. J’ai envie de partir pour apprendre à conduire un camion. Ici, ce n’est pas possible de passer le permis poids lourds. Je veux rentrer au village pour apprendre la conduite. À la campagne, on peut passer le permis B. Mon père n’est pas tellement d’accord. Il dit que cela coûte trop cher. Il faut au moins rester trois mois pour passer le permis. Il faut d’abord trouver du travail, économiser de l’argent. Mon père me demande de bien faire le compte. J’ai un oncle à la campagne, il est directeur d’un bureau, mais je ne peux pas loger chez lui pendant très longtemps. J’ai aussi téléphoné à un copain pour m’aider à trouver du travail à la campagne. Mais il n’a pas le temps de s’en occuper pour l’instant. Il n’y a plus personne de la famille à la campagne. Nous sommes tous ici. Cela fait longtemps que je ne suis pas retourné au village. Notre maison est encore là. Des voisins nous disent qu’il y a une fuite d’eau dans la maison. J’ai demandé à mon père de retourner réparer la maison. Moi, je ne connais rien, je ne sais pas refaire une toiture. Je vais peut-être rentrer à la campagne pour voir, mais je dois d’abord écouter mes parents.

J’ai un grand frère qui tient un salon de coiffure à Hangzhou. Il me propose de travailler avec lui. Mais je n’aime pas ce métier. Je n’ai pas de motivation. Je connais un garçon qui travaille dans un salon de coiffure. Il ne fait que laver les cheveux. On ne le laisse pas apprendre la coupe. S’il faut passer 30 ans ou 1 000 ans à laver les cheveux, ce n’est pas intéressant. Mon frère veut me teindre les cheveux pour me faire beau. Moi, je ne veux pas. Avec les cheveux teints, personne ne voudra m’embaucher. La première impression est importante à l’entretien.

Maintenant les gens cherchent à s’enrichir par tous les moyens : le vol, le cambriolage ou le vol par séduction. Tu reçois, par exemple une invitation au restaurant, dans une boîte de nuit, puis tu te fais voler ton argent. Je me méfie beaucoup des gens. Un jour avec ma copine et une amie à elle, nous étions dans un parc. Un garçon est venu vers cette amie pour engager une conversation. Il a dit : « On peut discuter ? » Cette amie lui a répondu : « Discuter de quoi ? Je ne te connais pas. » Je suis allé vers lui pour lui demander ce qu’il voulait. Il a dit d’un air méchant : « Rien, juste pour discuter, se faire des amis. » Je lui ai dit : « Tu cherches quel genre d’amis, tu en veux maintenant ou un autre jour ? Je peux tout de suite faire venir mes amis. » Quand il a vu que je lui parlais d’un ton agressif, il a eu peur. Ils étaient plusieurs. Ce sont des migrants du Guangxi. Ils devaient penser que j’étais un bagarreur, un voyou. Un autre a dit : « Nous sommes des migrants, quand on est hors de chez soi, il faut compter sur des amis ; nous voulons juste connaître des gens. » Sur le moment, je ne pouvais pas faire autrement que d’être agressif, sinon on se ferait agresser. Je leur ai conseillé d’aller voir ailleurs.

À vrai dire, l’armée me manque beaucoup. Je regrette de l’avoir quittée. Ma mère me demande ce que l’armée m’a apporté. Je lui dis en rigolant qu’au moins je me suis fait une très bonne santé. Alors, qu’est-ce qu’elle m’a apporté ? C’est difficile à définir, peut-être l’expérience de la vie. On dit souvent à l’armée que quand on a fait l’armée, on regrette de l’avoir faite. Mais si on ne la fait pas, on le regrettera toute la vie.

Yanghong fait partie d’une vingtaine d’ouvriers migrants que nous avons interviewés dans cette usine. Ce jeune migrant a connu plusieurs parcours migratoires et la mobilité professionnelle. Il a connu une ascension sociale lors de son passage à l’armée. Mais son départ anticipé a déclenché ensuite des phases de mobilités géographiques qui se sont accompagnées d’une mobilité sociale descendante. Le travail à l’usine ne lui convient pas vraiment, il cherche à apprendre un métier, mais son projet reste encore flou.

Notes de bas de page

1 Froissart, 2005.

2 Il s’agit de la vente directe organisée en réseau hiérarchisé. La personne qui dirige le réseau a sous ses ordres des vendeurs à domicile qui lui versent une commission sur les produits vendus. Cette activité est interdite par le gouvernement.

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