Introduction
p. 39-41
Texte intégral
1Trente années de mouvement migratoire se sont écoulées depuis la réforme économique. La population migrante connaît en conséquence des mutations. On distingue aujourd’hui deux générations de migrants. La première est née avant ou dans les années 1970, tandis que la nouvelle génération (xin shengdai : la nouvelle génération ou nong erdai : la deuxième génération des paysans) désigne celle née depuis les années 1980. Aujourd’hui, les migrants de la deuxième génération représenteraient 60 % de la population migrante en Chine1. Si pour les migrants de la première génération, la migration était souvent conçue comme un projet de famille, aujourd’hui, pour les jeunes, elle semble plus un projet individuel.
2Dans la première génération, bien qu’ils ne vivent pas tous dans une grande pauvreté, bon nombre de paysans quittent la campagne pour des raisons essentiellement économiques. De nombreux paysans choisissent la migration en vue d’améliorer leur niveau de vie, et parfois pour réaliser des projets précis : éducation des enfants, préparation d’un mariage, construction d’une maison ou remboursement de dettes. Ils décident de partir en ville, parce qu’ils possèdent malgré tout un certain capital économique et social qui leur permet de se déplacer et de gagner beaucoup plus d’argent et beaucoup plus vite en milieu urbain2. Autrement dit, leur départ n’est pas conçu comme une migration définitive. Au contraire, beaucoup comptent revenir un jour à la campagne.
3En revanche, chez les migrants de la nouvelle génération, l’attachement à la terre et au village d’origine est moins important. Beaucoup quittent la campagne après la scolarité obligatoire, à la fin du collège, sans forcément avoir de projet familial, et quelquefois sans accord de la famille. Les difficultés financières ne constituent plus vraiment le motif principal de leur départ. En revanche, le manque de perspective professionnelle à la campagne, l’envie de découvrir un autre monde (kankan waimian de shijie : voir le monde extérieur) et l’aspiration à un épanouissement personnel (xunqiu geren fazhan : rechercher le développement personnel) sont souvent cités comme principales raisons de la migration.
4Mais quelle que soit la génération, les migrants sont confrontés aux mêmes difficultés en arrivant en ville. Certains utilisent des savoir-faire liés à des activités pratiquées dans les provinces d’origine, et d’autres les acquièrent au cours de la migration. Avec les mouvements de migration de plus en plus intenses, les villes chinoises sont traversées par des processus de ségrégation urbaine et de discrimination économique et sociale. En arrivant en ville, ces migrants jeunes et moins jeunes mobilisent sans cesse leurs compétences et leurs ressources diverses en quête d’une subsistance ; ils cherchent ensuite une éventuelle réussite économique. Malgré tous leurs efforts, ils se heurtent en permanence aux barrières infranchissables liées à leur statut rural. En conséquence, les migrants ne peuvent s’appuyer que sur leurs propres réseaux sociaux : la famille et les connaissances du village (tongxiang : les personnes de la même origine géographique) pour s’approprier un espace dans la société urbaine. Ayant accès principalement à des segments du marché de l’emploi peu qualifiés, la plupart du temps, les migrants s’insèrent dans des activités informelles et se font parfois exploiter. La migration peut ainsi plonger dans la pauvreté les migrants peu dotés en capital social, culturel et économique et aggraver les inégalités sociales3.
5Dans ce chapitre, nous croiserons quatre récits de vie de migrants originaires de provinces diverses et de générations différentes. Deux familles de migrants se joignent au premier mouvement migratoire, dès les années 1980, et témoignent, par leurs propres expériences, des transformations économiques et sociales de la Chine depuis sa réforme économique. Si la famille des marchands de légumes semble s’intégrer à Shanghai, cette intégration s’avère impossible pour la famille de l’ancien pisciculteur. Parallèlement, les récits des deux jeunes migrants montrent des parcours migratoires tout autant sinueux pour la nouvelle génération. Comme beaucoup de jeunes migrants, ils ont rêvé d’une vie meilleure dans un autre monde. Pourtant, les quelques années d’expérience de la migration leur ont laissé des sentiments plus qu’amers. Ces récits laissent transparaitre la stratégie individuelle ou familiale utilisée par ces migrants pour trouver un espace d’opportunité. Ils montrent aussi comment circulent ces hommes et ces femmes et leur capacité à combiner des ressources sociales et économiques. Ils témoignent enfin des contraintes et des discriminations subies par ces migrants invisibles dans la société urbaine.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La mobilité sociale dans l’immigration
Itinéraires de réussite des enfants d’origine algérienne
Emmanuelle Santelli
2001