Chapitre quatre. Institutionnaliser les petites rave-parties ?
p. 79-96
Texte intégral
1En matière de rave-parties de petite taille, la politique du ministère de l’Intérieur depuis 2002 témoigne à la fois d’une indéniable continuité et de revirements importants. Il nous faut d’abord revenir sur le régime de déclaration préalable en vigueur depuis 2002 et sur ses conséquences concrètes qui ont longtemps rendu très difficile, voire impossible, la tenue de petites fêtes légales. Les réticences des administrations déconcentrées de l’État et des collectivités locales expliquent très largement le nombre infime de rave-parties organisées dans le cadre du décret, en comparaison de l’explosion de fêtes du début des années 2000. Cependant, les dernières instructions du ministère de l’Intérieur tendent plutôt à favoriser ces événements de petite taille, finalement bien plus simples à gérer que les rassemblements de masse.
I. RETOUR SUR LE RÉGIME DE DÉCLARATION PRÉALABLE
2Il convient d’abord de rappeler que le décret de 2002 prévoit un régime de déclaration préalable pour toute rave au-delà de deux cent cinquante personnes. Sur un plan strictement juridique, il s’avère que « le fameux décret de mai 2002 est d’une application très délicate puisque c’est un texte extrêmement précis et détaillé. Ce qui me fait dire que ce n’est pas un bon texte. Une règle de droit, normalement, c’est quelque chose de très simple, de général, qui s’applique à un grand nombre de situations bien caractérisées », explique ainsi l’avocat Stéphane Lallement1.
3De fait, le régime de déclaration préalable se révèle être bien davantage un régime d’autorisation préalable, comme le soutient le juriste Jean-Christophe Videlin ; l’objectif latent est de « contraindre l’organisateur à négocier avec le préfet »2. C’est également ce qu’affirme Emmanuelle Mignon, alors conseiller juridique au ministère de l’Intérieur : « la loi LSQ de 2001 et le décret du 3 mai 2002 se présentent en apparence comme un dispositif ouvert et équilibré qui permet d’interdire les manifestations de ceux qui ne jouent pas le jeu et d’autoriser les manifestations de ceux qui jouent le jeu. En réalité, ce sont deux textes qui permettent surtout d’interdire (…). Dans la pratique, les Free-parties sont (…) tellement impopulaires que, dès qu’il y a déclaration, il y a interdiction (…). Je ne peux pas croire un instant que les concepteurs de la loi ignoraient que le jeu était pipé »3. Le chef du bureau Prévention et protection sociales de la DLPAJ du ministère confirme en ces termes4 :
« Il faut bien le dire, quand on l’analyse un peu plus loin, ce système ressemble à un système d’autorisation, parce qu’il faut que vous puissiez démontrer que vous organisez une manifestation en toute sécurité ; et si tel ou tel point paraît faible dans votre organisation, vous devez en justifier, et si vous n’en justifiez pas suffisamment, on vous interdira d’organiser votre rassemblement festif ».
4Autrement dit, avec ce régime de déclaration préalable, la moindre faille dans le dispositif est susceptible d’invalider le projet. De plus, l’appréciation des critères à remplir en matière de sécurité laisse une marge importante d’interprétation, si bien qu’une interdiction peut facilement être prononcée. Si les orientations des pouvoirs publics sont répressives, il est donc juridiquement assez simple d’empêcher la tenue de rave-parties.
5Dans la même optique, il convient de préciser que l’on a affaire à une politique globale qui cible toutes les petites raves, que celles-ci se situent au-delà du seuil ou non. À côté de la répression des événements illégaux, analysée supra, les petites raves de moins de deux cent cinquante personnes (jusqu’en mars 2006) ont longtemps fait l’objet d’une surveillance sévère, comme l’indique ce colonel de gendarmerie5 :
« L’organisateur nous montre le papier sur lequel le propriétaire du champ autorise la tenue d’un anniversaire – en général c’est ça, soirée anniversaire ; à ce moment-là, ça rentre dans les clous. Bon, ça va durer une nuit, parce que ce genre d’activité ne dure qu’une nuit, c’est des petites raves très courtes ; on fait des contrôles anti-alcoolémie à la sortie et ça s’arrête là. Par contre, on a quand même « marqué à la culotte » les organisateurs. Parce qu’ils ont bien vu qu’on les a identifiés, on a vérifié qu’ils étaient dans les clous, ils sont dans les clous, on laisse faire ; par contre, ça n’empêche pas d’envoyer un message fort en disant : là OK, c’est bien, mais les plus grosses, dans le département, on n’autorise pas. Donc ça participe aussi de la dissuasion ».
6La tolérance vis-à-vis des petits dépassements du seuil du nombre de participants, évoquée plus haut, est donc toute relative et plutôt récente ; la pression exercée sur les organisateurs de petits rassemblements a donc été très forte pendant plusieurs années.
II. LES PETITES RAVE-PARTIES ORGANISÉES DANS LE CADRE DU DÉCRET : UN PHÉNOMÈNE MARGINAL
7Les petites rave-parties organisées dans le cadre du décret apparaissent ainsi comme un phénomène marginal. On avait déjà noté la diminution très importante des rassemblements clandestins de taille modeste depuis 2002 ; force est de constater que cette tendance ne s’est pas traduite par un phénomène d’institutionnalisation des rave-parties, loin s’en faut. On n’est pas dans un système de « vases communicants ».
8Dans une certaine mesure, on peut même considérer que le décret de 2002 est resté quasiment lettre morte ; dans certains départements, le régime de déclaration préalable semble tout simplement ne pas avoir été utilisé par les organisateurs de raves (hormis pour les teknivals), comme l’indique ce colonel de gendarmerie6 :
« Est-ce que les organisateurs ont utilisé le dispositif de déclaration préalable pour des manifestations au-delà du seuil ?
– Oui, pour les teknivals. Mais sinon, non, en tout cas pas dans le Morbihan. En 2005 et 2006, j’ai pas remarqué autre chose que des soirées anniversaire, autorisées ou pas, parce que des fois, c’était des occupations sauvages de terrain, en fait il n’y avait pas d’autorisation du propriétaire ; ou alors, la préparation des deux grands teknivals hiver et été de l’année (…).
Au niveau national, j’ai pas l’impression… à partir du moment où on a étendu le phénomène à des soirées de cinq cent personnes autorisées sans formalisme, en fait on a eu un développement des soirées de cinq cent personnes, et après on a eu des opérations sauvages non déclarées (…). Le niveau intermédiaire, en dépit de l’objectif de la loi, je ne l’ai pas identifié ».
9Même si l’on dispose de peu d’éléments statistiques, il est possible d’affirmer que le nombre de petites raves organisées dans le cadre du décret est très faible. Un an après le décret, le ministère de l’Intérieur évaluait à une dizaine le nombre de fêtes autorisées7. Quelques années plus tard, la situation a peu évolué : les chiffres fournis par la Gendarmerie Nationale montrent ainsi que seules quarante-trois raves ont bénéficié d’une autorisation en 2006 (sans que l’on sache d’ailleurs si celles-ci se situent au-dessus du seuil ou pas). Néanmoins, les différentes sources concordent : d’un côté, les organisateurs rencontrent de grandes difficultés pour se conformer aux conditions du décret ; de l’autre, les préfectures et les élus locaux se montrent extrêmement réticents lorsqu’il s’agit d’organiser une rave-party sur le territoire dont ils ont la charge.
III. LES RÉTICENCES DES PRÉFECTURES ET DES ÉLUS LOCAUX
10Dans le décret de 2002, les préfectures de département apparaissent comme l’interlocuteur central des organisateurs de raves. Dans une circulaire du 24 juillet 2002, le ministère de l’Intérieur précise le dispositif et les conditions d’application du décret : chaque préfecture doit désigner un correspondant, qui sera bientôt qualifié de médiateur8. Ce conseiller pour la sécurité au ministère explique son rôle9 :
« Ce qu’on souhaite, c’est qu’il y ait dans chaque département (…) un médiateur, un « faciliteur » de relations entre ces organisateurs et l’ensemble des interlocuteurs habituels, qui peuvent être les forces de police, les élus, etc. (…). Et il s’agit là de rapprocher les différentes parties. C’est pour amener les organisateurs à avoir un certain nombre de critères qui permettent un déroulement qui ne génère pas de troubles, de risques particuliers ; et que les gens qui les accueillent, a fortiori, n’en ressentent pas des nuisances ou des désordres (…).
Le médiateur est là pour montrer que l’État ne se désintéresse pas de la question ; il ne faut pas forcément déboucher sur des situations de blocage, d’opposition ou d’hostilité dès lors qu’un certain nombre d’engagements sont pris et qu’on sait qu’ils seront respectés. A contrario, s’il y a des risques évidents (par exemple des risques d’incendie), ou si on sait que l’événement va se dérouler dans une zone qui ne permet pas l’accès des secours, à ce moment-là, le préfet est en mesure de prendre une mesure d’interdiction (…).
Il s’agit d’essayer de permettre à ces manifestations de petite et de moyenne ampleur de se dérouler, dès lors que pour les petites, un minimum, un socle de garanties sont apportées par les organisateurs, et d’engagements fermes : il faut qu’on les connaisse, qu’on sache à qui on a affaire, qu’on s’assure qu’ils ont bien l’accord du propriétaire, que certaines précautions seront prises. La force publique ne se désintéressera pas et se montrera présente sans être forcément insistante s’il n’y a pas matière à. Mais c’est ni de l’hostilité ou de l’opposition, ni un encouragement ; c’est permettre à ces phénomènes, ces manifestations de se dérouler dès lors qu’un certain nombre de garanties sont apportées, et qu’il n’en résulte pas des nuisances ou des risques inacceptables, pas tolérables. Ce travail de dialogue est important ».
11De manière générale, on peut considérer que les préfectures se sont montrées pour le moins réservées, voire parfois totalement hostiles, face aux projets d’organisation de rave-parties qui leur étaient soumis (ce qui est clairement sous-entendu dans l’extrait d’entretien). Cette attitude s’explique assez facilement pour la période qui suit immédiatement le décret de 2002 : les consignes de fermeté sont strictes, la répression des raves illégales est la tendance dominante, voire exclusive.
12Cependant, le ministère de l’Intérieur modifie rapidement sa doctrine : même si les événements illégaux demeurent une cible prioritaire, il s’agit aussi d’encourager la sortie de la clandestinité, de créer les conditions d’une institutionnalisation du mouvement techno free, et donc de favoriser les organisateurs qui s’engagent dans des démarches légales. Or, cette évolution cruciale de la position du ministère a peu été suivie d’effets. Il apparaît donc clairement que les préfectures n’ont pas ou peu appliqué ces consignes d’« ouverture ».
13La question de la mise en œuvre d’une politique publique est un problème classique de la sociologie de l’administration : les réticences des services déconcentrés de l’État vis-à-vis d’instructions ministérielles s’observent dans de très nombreux secteurs. Il reste néanmoins à mettre au jour les raisons de ces comportements de « freinage » dans le cas qui nous occupe. Le chef du bureau Prévention et protection sociales de la DLPAJ du ministère estime par exemple10 :
« Comment expliquer les réticences des préfets face aux rave-parties ?
– C’est sûr que personne ne voit arriver ça avec joie. Une manifestation comme ça sur un week-end, vous allez passer des nuits blanches. Il va falloir être au téléphone en permanence, surveiller les dérives, faire un travail en amont si vous êtes prévenu suffisamment tôt, avec les pompiers, les gendarmes, la Croix Rouge, Médecins du Monde… Ça va vous demander des tas de réunions et de préparatifs, et de mise sous pression des services. Donc c’est sûr que c’est une charge supplémentaire pour n’importe quelle préfecture ».
14Le caractère atypique de ce genre d’événements ne favorise certainement pas leur prise en compte par les préfectures. Mais il ne suffit pas à expliquer une forme d’hostilité vis-à-vis de ce mouvement.
L’exemple de l’Ile-de-France
15En Ile-de-France, région fortement urbanisée, il existe néanmoins des départements largement ruraux susceptibles d’accueillir des rave-parties comme la Seine-et-Marne (77). La région a longtemps été à la pointe du mouvement techno, et au début des années 2000, les rave-parties y étaient très nombreuses11. L’expérience du médiateur rave-party de ce département, en fonction de 2002 à 2005, apparaît dès lors particulièrement utile pour comprendre le déclin des raves légales (non commerciales) dans la région : aucune rave organisée dans le cadre du décret n’a pu y avoir lieu. Il explique ainsi12 :
« Il a fallu un peu plus de trois ans pour que je rencontre le préfet (…). J’ai vraiment été en situation de tampon, voire de tamponneur, entre les organisateurs, le ministère et la préfecture. C’était assez intéressant, et en même temps, par moments, un peu difficile, un peu pénible. Un peu pénible, parce qu’en fait, je ne me suis pas senti un seul instant accompagné par la préfecture. J’ai plutôt senti… je servais de réceptacle pour les organisateurs (…).
On a eu des rendez-vous avec les gens de la DDE, des rendez-vous très sympathiques, mais qui n’ont vraiment donné rien derrière ; et ça, j’ai mis quelque temps à m’en rendre compte, et à comprendre assez rapidement qu’effectivement, c’était tout à fait symbolique d’une non-volonté du préfet, ne serait-ce que de trouver un petit terrain qui permette l’organisation d’une petite rave ; en plus, nous, les demandes, c’était trois mille personnes ; c’est pas le teknival de Bourges ou Marigny (…).
Je pense qu’en gros, la préfecture avait envie de quelqu’un d’un peu plan-plan, qui laisse un peu filer le truc, ils se sont un peu plantés de cheval (…).
Ce qui m’a toujours assez agacé, c’est que la Seine-et-Marne, c’est quand même la moitié de l’Ile-de-France en superficie, on a quand même des friches industrielles et des friches agricoles un peu partout qui ne servent à rien, personne n’a eu le courage d’y aller ».
16Cet extrait d’entretien fait déjà apparaître plusieurs éléments. Tout d’abord, même s’il est désigné par le préfet, le médiateur peut très bien être « mis à l’écart » par ce dernier. De plus, les réticences des préfectures sont d’autant plus dures et longues à surmonter qu’elles ne sont pas énoncées clairement : faire traîner les dossiers, donner des réponses évasives, autant de techniques classiques d’une administration qui souhaite freiner l’application d’une nouvelle politique publique.
17D’autres facteurs de blocage peuvent également être évoqués, tels la présence sur le territoire concerné d’hommes politiques importants farouchement opposés à la tenue d’une rave-party :
« J’ai fini par comprendre au bout d’un moment, et on me l’a fait comprendre aussi : si en Seine-et-Marne, très peu de choses ont pu se faire, c’est aussi notamment parce qu’on a beaucoup de ministres qui sont d’origine un peu rurale (…), comme Christian Jacob à Provins, qui lui s’est opposé de manière extrêmement radicale à l’organisation de rave-parties, même si c’est pas chez lui, même si c’est pas son territoire ; il s’est donné une vision extrêmement large au niveau de la Seine-et-Marne, interdisant même les rave-parties dans l’ensemble du territoire seine-et-marnais ».
18Face à ce constat, le médiateur a décidé de communiquer sur les réticences préfectorales : il a organisé une conférence de presse avec un membre de Sound-system en 2003 pour dénoncer l’attitude hostile de la préfecture, de façon à mettre celle-ci devant ses responsabilités. Le médiateur a également organisé en 2005 des rencontres publiques entre les différents acteurs concernés, c’est-à-dire les Sound-systems locaux, des élus locaux, des membres de la préfecture et du ministère de l’Intérieur, des responsables d’associations de prévention des risques, etc. Un projet de rave-party a même été sur le point d’aboutir, mais finalement, l’événement n’a pas eu lieu :
« On a un Sound-system qui repère un ancien aérodrome à la Ferté-Gauchet, à l’est du département, près de Provins (…), géré par la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC). Le site est bien : trois à quatre hectares, un sol très dur (en cas de pluie, ils ne risquaient pas de s’enliser), dégagé de tout obstacle, la première habitation est à un kilomètre et demi (les organisateurs étaient prêts à payer une nuit d’hôtel pour les habitants) ; les bâtiments administratifs sont clôturés par des sapins, du grillage, et des barbelés ; et il n’y a plus de réserves de kérosène, donc pas de risques d’incendie. C’est un aérodrome entretenu parce qu’en cas d’incendie à Orly ou Roissy, il sert de délestage. Malheureusement, la préfecture avait un ancien rapport sur ce site, qui datait sans doute de sa réhabilitation. Les photos de l’époque montrent des herbes folles, des carcasses d’avion… Et quand le Sound-system a fait cette demande de rave-party, ils ont ressorti ce rapport-là. Moi j’étais emmerdé, parce que j’avais les photos du Sound-system, l’herbe fait trois centimètres. Dans le rapport de la préfecture, l’herbe fait un mètre cinquante.
C’est là où il y a un problème d’honnêteté, c’est pas terrible en termes d’image de la société qu’on a : ils ont fait croire au Sound-system que c’était la DGAC qui leur avait envoyé le dossier. Les Sound-systems ont appelé la DGAC qui a dit : « on a les dossiers à jour, on n’a jamais transmis ça, on n’a pas eu de demande de dossier sur ce terrain de la part de la préfecture de Seine-et-Marne ». C’est quand même incroyable !
Le son me dit : « on n’ira pas, on s’engage à ne pas y aller. Par contre, il y a des mecs sur internet qui s’excitent et qui menacent de poser un petit son. Pour faire chier. Parce que la Seine-et-Marne, ils en ont marre, etc. ». J’appelle les RG pour prévenir de cette possibilité. Faisons gaffe. C’est pas mon intérêt qu’il y ait du sauvage qui se pointe : là, on repart pour au moins dix ans.
Ils ont fait très fort : août 1944 : cent gendarmes réquisitionnés, avec une trentaine d’agriculteurs, les tracteurs et les herses en travers de la route. Pas un seul teufeur à moins de trente kilomètres à la ronde. Les mecs ont fait un coup de bluff. C’est quand même incroyable. Il faut imaginer l’impact dans la population ! Des agriculteurs avec des herses au milieu des routes ! C’est pas arrivé depuis la Libération (…) ! Je trouve ça hallucinant ! Je trouve même ça grave. Le rôle de la gendarmerie, c’est de protéger les citoyens, c’est pas de les transformer en super-héros !
Ce qui me choque profondément là-dedans, c’est que plein de circuits ne jouent pas le jeu. La Seine-et-Marne, dès qu’on leur propose d’accueillir le Tour de France, ils sont champions du monde ; dès qu’on leur parle de rave-party, ils sont vraiment les derniers de la liste. Dans notre société, on n’est pas là que pour accueillir des choses qui nous font plaisir ! Il y a des populations, des publics qui ont besoin de s’exprimer ! Je trouve ça scandaleux d’être dans une situation comme ça. Et il suffit de pas grand chose, d’un terrain de trois à cinq hectares, et que le préfet dise oui ».
19Plusieurs leçons peuvent être tirées de ce cas précis. Tout d’abord, la bonne volonté évidente du médiateur, qui accompagne ici les demandes des Sound-systems, tout en vérifiant leur conformité aux critères de sécurité, pèse peu face à la position de refus de la préfecture. De plus, celle-ci semble avoir des difficultés à justifier son attitude, comme le montre l’utilisation de méthodes peu conventionnelles. Enfin, l’effet NIMBY peut être provoqué par les autorités politiques, qui « montent » ici la population contre les raveurs.
20Les Sound-systems rencontrent ainsi de nombreux obstacles pour mener à bien leurs projets : les maires et les différents services de l’État sont souvent fondamentalement opposés à ces manifestations. Le membre d’un Sound-system raconte à propos de l’Essonne (91)13 :
« On a cherché des terrains, on en a trouvé un ou deux et on a suivi la procédure. Le terrain allait bien au niveau de la sécurité, de l’éloignement pour ne pas déranger ni la circulation, ni les gens aux alentours ; on est allé voir le maire qui nous a dit : « vous êtes fous, refoutez jamais les pieds chez moi », il a sorti la carabine, « moi les gitans et les mecs comme vous c’est le fusil », sur le tracteur ; on lui a dit : « calmez-vous, tout va bien se passer ». On a contacté la préfecture qui nous dit : vous êtes des malades, laissez nous tranquilles, on a autre chose à faire ; après on est allé voir le ministère de l’Intérieur, on a dit : on a un terrain adapté, qui est sous l’autorité de l’État, il correspond parfaitement. Et ils ont fini par faire une réquisition par l’intermédiaire du préfet. Et on devait gérer la sécurité, les troubles à l’ordre public, la circulation, etc., avec le préfet en direct. D’où des réunions en préfecture (…) avec un représentant du préfet, plus des pompiers, des flics, etc., pour mettre au point la sécurité. Une fois que le fait est acquis, c’est-à-dire que le préfet s’est dégagé de ses responsabilités sur le ministère, parce qu’il y a un ordre du ministère qui lui dit vous faîtes ça ; lui se dit je vais pas sauter à cause de ça ; par contre, c’est lui qui doit faire en sorte qu’il n’y ait pas de problème. Donc après, ces réunions-là, c’est vraiment technique technique technique : c’est où on met ça, les services de secours, les issues, où est-ce qu’on place les barrages routiers, qu’est-ce qu’on met comme nombre de flics, est-ce qu’on met des CRS ou des gendarmes ou des stups’. C’est entre la négociation et le bon sens. Une fois que t’en es arrivé là, si le préfet est pas trop chiant, ça pose pas vraiment de problème. Après, il y a aussi le cas du préfet à qui on a vraiment forcé la main, qui n’a pas du tout envie de faire ça, et qui ne fait que de te faire chier. C’est emmerdant, et c’est plus dangereux pour le public. Parce que si t’arrives pas à travailler en harmonie avec le mec que t’as en face, forcément il y a des trucs qui sont mal faits, et les seuls qui peuvent en pâtir, c’est les gens s’il y a un problème. Mais une fois que c’est gagné, il n’y a pas de problème majeur.
Lors d’une réunion de préparation, il y avait le maire, les pompiers, les gendarmes, les RG, les stups’… Le maire (qui était avec son fusil sur son tracteur) commence par taper sur la table au début ; le préfet le regardait : « mais vous êtes fou ? » ; et le maire : « jamais, jamais ça se passera, je suis contre, vous entendez ! »… ; et le préfet : « monsieur, vous êtes à la préfecture, il va falloir vous détendre un peu, on en a déjà parlé »… le maire : « je suis contre ! »… etc. Et le mec d’après : « de toute façon, je pense qu’on est tous contre ici, autour de cette table » ; et après, tous les mecs autour de la table font : « oui, nous on est contre ». En gros : « vous nous faîtes chier ». Puis c’est ton tour : « bon, on va vous expliquer, il faut que vous vous calmiez, il se passe rien ! on fait juste un événement, on est juste là pour essayer que techniquement ça se passe bien ; donc descendez ! » Je sais pas ce qu’ils pensaient ? ! Ils pensaient voir des centaines de drogués en train de jeter des seringues sur les petits enfants, d’égorger des chats ? Mais à partir du moment où tu fais preuve d’un minimum de sérieux, ça se calme un petit peu.
Nous, la deuxième année, au même endroit, avec les mêmes responsables, comme la première année ça s’était bien passé, il n’y avait pas eu de problème, le maire était revenu en hurlant pareil. Donc tout le monde nous dit : de toute façon je dirai non. Même le maire : « à la limite, vous me faîtes rigoler ; mais je râlerai toujours ! ». Personne ne peut dire oui. Idem pour les élus par rapport à leurs administrés. Tout le monde est obligé de dire non. Donc la seule chose qui peut passer, c’est une manœuvre de force du ministère. Et le ministère, il n’a pas que ça à faire de recevoir des dossiers et de passer en force. Ils n’ont pas trouvé de solution qui permette de faire des trucs comme ça. La seule solution, c’est la pression de dingue sur le ministère et qu’il lâche ».
21Les Sound-systems sont souvent confrontés à une opposition de principe généralisée, chez les maires et les différents services de l’État. En outre, une expérience réussie ne garantit pas la reconduction de l’événement. Mais ce qui apparaît aussi dans l’extrait d’entretien, c’est le rôle-clef que joue l’administration centrale du ministère de l’Intérieur, y compris pour les raves de taille moyenne : sans son intervention directe auprès de la préfecture concernée, le projet n’aurait pu avoir lieu. Même s’il est difficile de généraliser, et que des situations très différentes sont possibles, le dispositif de médiation mis en place au niveau départemental semble peu efficace. Certains Sound-systems sont ainsi amenés à adresser leurs demandes à l’administration centrale du ministère pour que celui-ci fasse pression sur des préfectures peu enclines à répondre à leurs attentes. Le membre de ce Sound-system précise ainsi :
« Tous les gens qui ont organisé ça, c’était grosso modo des gens qui avaient participé aux réunions avec le ministère après la loi, et donc qui voyaient bien l’état d’esprit des mecs qu’ils avaient en face, et qui avaient aussi un contact plus ou moins direct avec les gens qui pouvaient décider, c’est-à-dire les gens du cabinet du ministre qui étaient chargés de la question.
Nous, on a réussi uniquement parce qu’on passait des coups de fils tous les deux jours à une personne au cabinet du ministre : on lui disait « la préfecture, elle nous fait chier, la préfecture, elle nous fait chier… », elle a fini par dire OK. Comme c’est elle qui avait négocié le truc avec nous, qui avait dit « OK, on va laisser cette brèche-là », ça l’a fait : c’est elle qui a appelé le préfet pour lui dire « tu te démerdes, tu leur autorises ça parce que c’est ce qu’on a dit ».
Par contre, des organisations qui n’avaient eu aucun contact avec ce truc-là et qui prenaient les papiers comme on leur donnait, elles n’y arrivaient jamais.
Dans le décret, ils disaient si tu demandes une autorisation et que t’apportes tous les papiers qu’on te demande, etc., tu l’auras, en gros. Dans les faits, c’était pas ça du tout : si t’étais pas appuyé directement par le ministère, t’avais jamais rien. Et le ministère, il y a eu un moment aussi où il en a eu marre que tout le monde l’appelle toutes les cinq minutes pour demander des autorisations de rave-parties en direct alors qu’ils ont d’autres chats à fouetter (…) !
Les premières années après la mise en place de ce dispositif, il y a eu des gens qui ont essayé. Mais aujourd’hui, jamais, il ne se passe rien ; ni dans le cadre des free illégales, à part les toutes petites ; ni dans le cadre des espèces de brèches dans le système qui permettraient d’avoir une autorisation.
La preuve, c’est que nous, l’année dernière, on n’a pas réussi, notamment parce que le préfet du coin avait changé. On s’était relativement bien entendu avec l’ancien préfet de l’Essonne qui nous avait vus bosser les premières fois, et qui se rendait compte qu’on allait gérer la chose et qu’il n’aurait pas plus de problèmes que ça. Là, on est tombés sur un nouveau préfet, et le dernier truc dont il voulait s’occuper, c’était une rave, avec dix mille personnes, avec des conditions de sécurité, etc. »
22Le rôle central du ministère de l’Intérieur est confirmé en ces termes par le chef du bureau Prévention et protection sociales de la DLPAJ, qui évoque un projet de rave-party bloqué par un maire14 :
« Il nous est arrivé d’intervenir sur les petites manifestations pour qu’elles soient facilitées. On a l’exemple d’un maire, dans le sud de la France, en plein été, qui, prétextant que nous étions en période de sécheresse, de danger pour d’éventuels incendies de forêt, a du jour au lendemain pris un arrêté qui interdisait l’accès à un champ, et uniquement ce champ, et uniquement cet accès, au motif qu’il y avait des risques d’incendie. On lui a fait savoir que c’était un détournement de pouvoir, parce que prendre une décision à la sauvette, au dernier moment, qui vise tel ou tel champ, alors qu’il n’y avait pas de réflexion globale sur la totalité de sa commune pour évaluer les risques incendie, et prendre des mesures d’ensemble, non. Finalement la manifestation a pu avoir lieu, et il n’y a pas eu d’incendie ».
23Il semble donc qu’en règle générale, le sort des projets de rave-parties de taille moyenne ou modeste organisées dans le cadre du régime de déclaration préalable dépend très largement de l’existence ou non d’un lien direct entre les organisateurs et l’administration centrale du ministère de l’Intérieur. Cela ne signifie pas, bien entendu, que le dispositif n’ait pas fonctionné « comme prévu » dans certains départements. Néanmoins, les éléments quantitatifs disponibles ainsi que les nombreux témoignages relayés sur le site du Collectif des Sound-systems, par exemple, incitent bien plutôt à constater l’échec du régime de déclaration préalable.
IV. FACILITER LES PETITES RAVE-PARTIES, NOUVEL OBJECTIF PRIORITAIRE DU MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR
24Ce constat d’échec du régime de déclaration préalable pose problème au ministère de l’Intérieur. D’une certaine façon, on peut considérer que face au mouvement techno free, le ministère a successivement affiché trois objectifs prioritaires depuis 2002 :
- tout d’abord, il s’agissait de lutter contre les raves illégales ; cet objectif a été en grande partie atteint, mais il a fait apparaître d’autres problèmes ;
- ensuite, à partir de 2003, le ministère a mis en place sa politique d’encadrement des teknivals ; or, il s’avère que ces rassemblements de masse constituent aussi des sources de difficultés importantes, et il s’agit de limiter autant que possible leur public ;
- enfin, depuis 2005 environ, le ministère tente d’assouplir les conditions d’organisation des petites rave-parties, qui apparaissent comme plus faciles à gérer en raison de leur taille.
25Les blocages observés au sein des préfectures ne deviennent un problème pour l’administration centrale du ministère de l’Intérieur qu’à partir du moment où le maintien de petites raves légales semble une solution adéquate à la gestion du mouvement techno free dans son ensemble. Les instructions envoyées aux préfets sont très claires sur ce point, et montrent que les points de blocage sont bien identifiés. Le télégramme du 7 juillet 2005 indique ainsi :
« Il convient d’éviter (…) des refus quasi systématiques de « rave-parties » ou de « free-parties » ayant des effectifs de participants peu nombreux (…). Dès que les organisateurs de rassemblements de « musique techno » manifestent le souci de s’inscrire dans un cadre légal, vous engagerez avec ceux-ci un dialogue constructif ».
26Si la répression des événements illégaux n’est pas négligée, celle-ci n’est désormais d’un des versants d’une politique qui doit aussi répondre à un impératif de dialogue, comme indiqué supra. Néanmoins, si ce dialogue avec les organisateurs a bel et bien lieu au niveau de l’administration centrale du ministère de l’Intérieur, les instructions citées plus haut laissent à penser qu’il est loin d’être évident dans les départements.
1. Asseoir l’autorité des médiateurs
27Dans la mise en œuvre de cette politique publique vis-à-vis des petits événements musicaux, le statut des médiateurs est apparu comme insuffisamment précis. Si leur mission est clairement définie, ils n’ont pas nécessairement les moyens de l’appliquer, comme on l’a vu avec le cas de la Seine-et-Marne. C’est ce qu’explique ce conseiller pour la sécurité au ministère15 :
« Pourquoi ce déclin des petites raves, alors que le ministère de l’Intérieur poursuit l’objectif inverse ?
– On s’est aperçu que la fonction de médiateur qui est inscrite dans les textes, dans la réglementation, n’était pas toujours bien remplie, ou que c’était pas la personne idoine qui l’occupait ; ça pouvait être quelqu’un qui était assez proche des jeunes, qui comprenait plutôt ce mouvement, mais qui n’avait pas forcément la capacité d’être un faciliteur, ou de rapprocher ou de mettre en contact les parties prenantes, c’est-à-dire les organisateurs, mais aussi les élus, les propriétaires, etc. Et donc ça faisait qu’un certain nombre de raves avaient du mal à être organisées parce qu’ils avaient du mal déjà à trouver un terrain, ou à trouver des accords, etc. »
28Le profil des médiateurs semble en effet un élément important du succès ou de l’échec de cette politique. Les instructions sur ce point ont d’ailleurs connu des évolutions notables. La première circulaire qui suit le décret de 2002 indique ainsi que le correspondant préfecture « pourra appartenir à l’un des services déconcentrés de l’État. Votre choix devra, toutefois, tenir compte du caractère prioritaire des questions d’ordre public et de sécurité »16. Peu après, un télégramme du ministère de l’Intérieur envoyé aux préfets mentionne le fait que le médiateur peut être issu d’une association techno17.
29Fin 2002, la première liste de médiateurs départementaux (disponible par exemple sur le site du Collectif des Sound-systems) révèle des situations très diverses : les personnes désignées peuvent être des membres de la préfecture, mais aussi des policiers, des membres de la Direction Départementale de la Jeunesse et des Sports (DDJS), de la Fédération des Œuvres Laïques (FOL)… (et certains départements n’ont pas encore de médiateur). On peut faire l’hypothèse que leur capacité d’action est également très variable. L’appartenance au corps préfectoral peut par exemple indiquer à la fois une grande proximité avec le préfet et une distance importante vis-à-vis des organisateurs de raves ; inversement, si le médiateur est membre d’une association techno, il aura sans doute des difficultés à convaincre les services déconcentrés de l’État.
30Le ministère de l’Intérieur a donc décidé de renforcer l’autorité des médiateurs en incitant les préfets à nommer leurs directeurs de cabinet, comme l’indique le télégramme du 7 juillet 2005 :
« Pour créer localement les conditions d’un dialogue responsable et pérenne entre l’ensemble des acteurs concernés et examiner efficacement avec les organisateurs, les propriétaires de terrain, les riverains et les maires, l’ensemble des questions posées par ces événements en matière d’ordre et de sécurité publics, il est impératif que les médiateurs que vous désignez appartiennent au corps préfectoral et si possible soient vos directeurs de cabinet. Vous devez veiller à ce que les organisateurs puissent être reçus et conseillés, voire aidés en tant que de besoin, par les services de la préfecture, ainsi que les services de police et de gendarmerie nationales. Ces services doivent être sensibilisés aux présentes instructions ».
31De fait, les médiateurs sont désormais pour la plupart les directeurs de cabinet des préfets. Mais cela ne signifie pas pour autant que toutes les difficultés soient résolues.
2. Le relèvement du seuil de participants
32Afin de faciliter l’organisation de petites raves légales, le ministère de l’Intérieur a également envisagé une autre solution : dans la mesure où le régime de déclaration préalable est difficile à appliquer, il s’avère opportun de limiter cette procédure aux événements de taille moyenne, et donc de simplifier au maximum les projets de petites raves.
33Plusieurs signes indiquent une réflexion autour du seuil adéquat au régime de déclaration préalable. Par exemple, une circulaire du 14 novembre 2003 est envoyée aux préfets « pour connaître le seuil de participants à une rave-party à partir duquel ils ont rencontré des problèmes d’ordre public »18. La tolérance vis-à-vis des petits dépassements du seuil, analysée supra, va dans le même sens.
34Ainsi, un nouveau décret, paru en mars 2006, relève à cinq cent personnes le seuil de participants au-delà duquel s’applique le régime de déclaration préalable. Le chef du bureau Prévention et protection sociales de la DLPAJ du ministère de l’Intérieur commente cette modification en ces termes19 :
« C’est un signe : le ministre et le gouvernement ont exprimé leur souhait de favoriser les petites manifestations, les petits rassemblements, et de réduire au maximum les très grands rassemblements ».
35La DLPAJ a été étroitement associée à la préparation de ce nouveau décret. Les archives du service montrent que le Conseil d’État, dont certains membres se sont étonnés du fait qu’il fallait modifier un texte très récent (le décret de 2002), a finalement été convaincu par les arguments de la DLPAJ : le coût des teknivals a été évoqué, et l’idée d’une forme de municipalisation des rave-parties a été mise en avant. Ce conseiller pour la sécurité au ministère de l’Intérieur résume ainsi ses attentes vis-à-vis de la nouvelle réglementation20 :
« Donc le fait de laisser vivre à basse intensité ce phénomène, si on le permet et qu’on prend un certain nombre de précautions, ça va peut-être faire augmenter le nombre de petites raves, et en même temps, ça évitera que les gens, ceux qui sont passionnés de ce genre de rassemblements, s’ils savent que déjà, dans leur département, une ou deux fois dans l’année, ils peuvent assister à une rave, et s’ils sont très intéressés, ils peuvent aller dans le département voisin, ils n’auront peut-être pas envie de faire trois cent ou six cent kilomètres ou de prendre des risques en allant dans de grands teknivals. Donc c’est plutôt là-dessus qu’on mise (…).
C’est pour ça que chaque fois que vous avez quelqu’un qui veut organiser, il faut voir à qui on a affaire, quel est son projet, si c’est sérieux, etc. C’est pour ça qu’il ne faut pas a priori éconduire au niveau départemental, mais il faut avoir un dialogue. Certains sont dans cette logique, et à la limite, demandent des conseils pour ne pas se mettre en marge, ou pour ne pas choisir un terrain qui serait à risques, ou se laisser déborder. C’est arrivé qu’on dise « non, il est pas question que vous vous installiez dans cette zone, d’abord parce que c’est une zone qui est protégée pour des raisons environnementales, ou on est en période de risque d’incendie évident, on ne vous laissera pas vous déployer », etc. Autant, dès lors qu’il y a ce dialogue, et que les choses paraissent bien organisées, il n’y a pas de raison de les empêcher, autant s’il y a une transgression délibérée, là il y a une réponse qui est ferme et sans aucune ambiguïté. C’est vraiment au cas pas cas ».
36Le relèvement du seuil de participants au-delà duquel s’applique le régime de déclaration préalable et le renforcement de l’autorité des médiateurs vont donc dans le même sens : faciliter l’organisation de raves légales, soit en simplifiant les démarches, soit en améliorant le travail des services déconcentrés de l’État. Le chef du bureau Prévention et protection sociales de la DLPAJ du ministère de l’Intérieur fait ainsi ce constat21 :
« On a réussi, si vous voulez, à transformer quelque chose qui était vécu dans l’angoisse, dans la peur, si possible, en une manifestation positive, constructive, sur le plan local, avec une responsabilisation des uns et des autres : responsabilisation des élus, pour accepter un phénomène de société, l’accompagner ; responsabilisation aussi des acteurs et des bénéficiaires de ce genre de rassemblements, de manière à ce qu’ils puissent comprendre qu’on ne peut pas non plus faire tout et n’importe quoi sans limites. On a trouvé, quelque part, je pense, dans la méthode de travail, la solution du milieu, qui permet de parer à toutes les situations qui sont générées par ce type de rassemblements spontanés, soudains (…).
Il y a une espèce de régularisation du phénomène : ils savent qu’ils auront droit à leur teknival de dimension nationale, voire européenne ; et le reste du temps, ils peuvent faire sur le plan local de petites manifestations grâce à un assouplissement du décret et aux instructions données aux préfets. La situation devient de plus en plus satisfaisante, et permet de concilier intelligemment la liberté de se réunir, la liberté de faire la fête, et la protection légitime des droits des tiers ».
37Au terme de cette partie consacrée aux petites raves légales, et même en élargissant aux teknivals, il paraît difficile de partager un avis aussi optimiste. Certes, des espaces de dialogue et de négociations ont été créés, mais tous ne fonctionnent pas bien : si la concertation nationale est relativement institutionnalisée, les scènes départementales font apparaître une situation beaucoup plus contrastée que ne le laisse entendre l’extrait d’entretien précédent.
38Si la période la plus récente (depuis 2005) montre une attention plus grande du ministère de l’Intérieur à l’égard des conditions concrètes d’organisation des petites raves légales, l’idée d’une municipalisation de celles-ci est bien davantage un objectif à atteindre qu’une réalité avérée. Les obstacles rencontrés par les Sound-systems dans les départements sont monnaie courante, et pour un projet de petite rave-party, la tenue effective de la manifestation est plus l’exception que la norme.
Notes de bas de page
1 In Musiques et Danses en Bretagne/Trempolino, Free-parties techno. Livret à l’usage des démarches de concertation, 2007, p. 16.
2 VIDELIN Jean-Christophe, art. cité, p. 1073.
3 Citée dans POURTAU Lionel, art. cité, pp. 131-132.
4 Entretien cité.
5 Entretien cité.
6 Ibid.
7 Cf. Le Monde, 14 août 2003.
8 Télégramme du ministère de l’Intérieur du 13 septembre 2002 adressé aux préfets.
9 Entretien cité.
10 Entretien cité.
11 EPSTEIN Renaud, FONTAINE Astrid, Aller en rave, op. cit.
12 Entretien, 2006.
13 Entretien, 2007.
14 Entretien cité.
15 Entretien cité.
16 Circulaire du 24 juillet 2002.
17 Télégramme du 13 septembre 2002.
18 NOR INTD 0300111C.
19 Entretien cité.
20 Entretien cité.
21 Entretien cité.
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