Les techniques de préparation des minerais
p. 63-69
Texte intégral
Le travail des mines consiste au tirage, à la séparation des corps ou substances nuisibles, et à l'addition des matières convenables à la fusion que l'on appelle fondants.
Courtivron et Bouchu, 1761-1762.
1Les principes généraux de la préparation mécanique, présentés dans cette partie, ont été empruntés aux définitions et à la terminologie basée principalement sur des notions développées au XIXe siècle, en particulier dans les traités miniers ou les rapports des ingénieurs des Mines.
Principes généraux
2La préparation d'un minerai est une opération intermédiaire subordonnée et soumise aux exigences des procédés métallurgiques choisis et aux conditions physiques du produit naturel hétérogène comme le livre un gisement minier (Roux-Brahic, 1922, pp. 2-8).
3L’extraction minière ne peut résoudre à elle seule le tri initial de la matière minérale. Agricola effectuait déjà ce constat : Comme la plupart du temps, la nature a l’habitude de former du métal impur et mélangé à des terres, des pierres et des sucs concrets, il est nécessaire de séparer, autant qu’on le peut, les minerais métalliques de ces matières fossiles avant de les fondre (Agricola, 1556, livre huit, p. 215).
4Le vocabulaire employé pour désigner le processus intermédiaire entre l'extraction et la réduction est varié : minéralurgie, préparation mécanique, séparation, enrichissement, concentration. Cette terminologie doit être précisée.
5L'enrichissement des minerais, qui consiste à les traiter pour les rendre utiles (Littré, 1872), puise son savoir-faire aux origines de l'exploitation des ressources minérales. Dès l'Antiquité, les sources écrites décrivent pour l'or, l'argent, le cuivre ou l'étain des techniques de traitement.
6La séparation des minéraux utiles de leur gangue a pour effet d’élever la teneur du tout-venant au point d’obtenir un produit riche, sinon pur. Cette transformation ne modifie généralement pas la nature chimique de la substance minérale extraite du gisement minier.
7Un essai de définition de la préparation mécanique des minerais est donné par Haton de la Goupillière, ingénieur des Mines, dans son Cours d'exploitation des mines (Haton de la Goupillière, 1885, pp. 675-676). Il distingue en effet la première partie des manipulations que doit subir le minerai, de celles qui succéderont et qui constituent selon lui la métallurgie proprement dite. Cette dernière science dit-il emploie comme agent principal, la chaleur, tandis que l'ensemble qui va nous occuper fait uniquement appel aux forces mécaniques.
8Roux-Brahic précise et conforte cette différence en insistant sur la notion chimique du corps minéral : La préparation mécanique des minerais métalliques pierreux comprend l'ensemble des manipulations et des procédés qui ont pour but la transformation du tout-venant, sortant de la mine, en produits métallurgiques ou marchands, sans modifier la nature chimique de la substance minérale extraite du gîte minier.
9Parfois, on grille certains sulfures pour les transformer en corps paramagnétiques, cela se fait dans des cas tout à fait exceptionnels ; on calcine aussi certains carbonates, tels que les calamines et la sidérose, cela dans le seul but d'en déterminer le poids et d'économiser sur les frais de transport. A part ces cas forts rares, les opérations de la préparation mécanique des minerais ne font subir à ceux-ci aucune transformation chimique (Roux-Brahic, 1922, pp. 2-9).
10Monnet insiste sur la notion de concentration qualitative du produit. On peut parler aussi d'un processus d'enrichissement : (...) l'art de préparer les mines consiste donc à les savoir rassembler, et à les séparer de leur roche, et de les réduire d'un grand volume dans un petit (...) (Monnet, 1773, p. 266).
11Les techniques de préparation mécanique sont aussi conditionnées par la nature et la morphologie des minerais : (...) Il est bon auparavant de considérer les différents états sous lesquels la nature nous présente les mines. Nous trouvons, d'après cette considération, que nous pouvons diviser les mines en trois qualités différentes ; 1 ° massives, c'est à dire pures et rassemblées en masse ; 2° répandues en morceaux plus ou moins gros dans la roche. 3 °. en parties finement dispersées et comme confondues dans la roche (...) (Monnet, 1773, p. 267).
12Les méthodes de préparation s'appliquent différemment, selon que l'on a affaire à des minerais polymétalliques ou des minerais ferreux. Si les techniques utilisées permettent de séparer les minéraux utiles de leur gangue et de les séparer entre eux (Encyclopédie des Sciences et Techniques, 1977), l'existence d'un procédé de séparation est souvent déterminante pour la mise en valeur d'un gisement, particulièrement dans le cas des minerais complexes (plomb, zinc, argent...). Les ateliers utilisent de nombreuses machines qui toutes ont leur fonction propre dans une chaîne opératoire relativement complexe.
13La préparation mécanique des minerais polymétalliques distingue deux étapes successives, qui s'effectuent dans des ateliers spécifiques :
14- La partie de l'usine dans laquelle la roche est brisée en morceaux de dimension appropriée à l'étape suivante est appelée atelier de préparation mécanique ou de comminution. Elle comprend généralement les opérations suivantes : le cassage, le concassage ou broyage, la classification. Cette dernière opération a pour but de séparer les particules et de les classer en différentes catégories. Il s'agit d'une opération granulométrique.
15- L'atelier de concentration où s'opère la séparation ; celleci utilise les différences de propriétés physiques, mécaniques et physico-chimiques des minéraux et de la gangue, afin de les séparer. Les opérations minéralurgiques se terminent généralement par un conditionnement du minerai concentré.
16Selon Roux-Brahix, la comminution comporte trois genres d'opérations, qui devront se répéter sur des fragments de même grosseur.
17- Le triage, dont le but est de mettre à part trois produits :
un produit choisi définitif, appelé produit marchand, bon à fondre, minerai de fonderie ;
un produit inutilisable : stérile, résidus de traitement ;
un produit barré, c'est-à-dire complexe contenant des parcelles des divers constituants du tout-venant, produit appelé mixte midlings.
18- Le broyage du produit barré ou mixte
19- Le calibrage du résidu broyé : le résidu de broyage dûment calibré est soumis, à son tour, au triage, qui en donne les catégories (a), (b) et (c). Le produit (c) repasse par les opérations de broyage et de calibrage et ainsi de suite.
20Roux-Brahic distingue trois ateliers qui s'appliquent essentiellement aux minerais polymétalliques :
21l'atelier de travail des gros traités au concasseur qui élabore des fragments supérieurs à 20 ou 30 mm ;
22l'atelier de travail des grenailles et des sables qui traite tous les fragments inférieurs à 20 mm au moyen d'un broyeur ;
23l'atelier de travail des fines et des boues qui travaille les particules hétérogènes les plus ténues de 0 à 1 millimètre de grosseur. L'outil séparateur caractéristique de cet atelier est la table qui désigne un grand nombre d'appareils qui utilisent l'eau.
Comment se succèdent les différentes étapes de la minéralurgie des minerais de fer ?
24Le minerai de fer se présente le plus souvent mélangé à d'autres sédiments ou minéraux, dont il faut le séparer. Si l'on porte dans le fourneau de la mine chargée de ces matières hétérogènes, on perd l'action du feu la plus vive qui se porte d'abord autour des grains de mine, qu'elle ne peut délier qu'après avoir calciné la terre qui en formait l'enveloppe (Robert, 1757).
25Les procédés techniques mis en œuvre dépendent donc de la nature du minerai, de sa gangue et de sa complexité. Aux XVIIIe et XIXe siècles, les traités de métallurgie distinguent les minerais de fer en catégories suivant leur morphologie, la présence de stériles ou l'existence de substances annexes.
26Les minerais de fer extraits de la terre sont le plus souvent en masses ou en fragments. Les masses rarement pures sont mélangées aux matières de la gangue et les fragments souillés de différentes terres. Il faut séparer la gangue avec le marteau et les terres par le lavage (Hassenfratz, 1812).
27Maître de forge éclairé, Grignon s’appuie sur son expérience pour décrire les différents de minerai et leurs contraintes : (...) Nous avons en général deux espèces de minerais de fer : l'une en masses compactes dites mines grosses, l’autre en grains plus ou moins gros, dites mines menues ou minettes. Les mines grosses, en pierres ou en roches, sont ou pures ou sulfureuses, ou quartzeuses, ou spathiques ou terreuses : les mines pures, c’est-à-dire qui ne contiennent rien au-delà de la substance métallique, n'ont besoin pour être admises au fourneau, que d’être brisées, au sortir de la minière, en morceaux. Il est nécessaire de griller, concasser et laver les minerais sulfureux ou mélangés à d'autres substances. Les mines grosses, purement terreuses c'est-à-dire qui sont enveloppées et qui renferment dans leurs cavités des parties terreuses, n'ont besoin que des dernières opérations sans être grillées. Les mines menues ou minettes sont en grains globuleux ou déprimés, détachés ou en masse, agglutinés par un peu de spath ou empâtés dans des terres ; les filons ou les amas de ces mines sont environnés ou traversés par des lits de sable, de glaise, de pétrifications ou de castine dont la séparation ne peut se faire que par un lavage approprié. Il est aussi une espèce de minerai qui est composé de mines grosses et de mines menues réunies, plus ou moins mélangées de matières hétérogènes (...) (Grignon, 1807).
28Les minerais de fer pisolithiques offrent en général une structure binaire composée d'oxydes de fer cimentés par de l'argile ou du sable qui forment une gangue plus ou moins dure. La minéralurgie des ferreux consiste à obtenir en grande quantité, avec un maximum d'économie, un minerai le plus pur, destiné à la réduction. Pour parvenir à un produit fini ou concentré, on fait subir des préparations, appropriées aux minerais, destinées soit à les enrichir en les séparant, soit à les rendre plus poreux pour faciliter leur réduction. Ces préparations sont de deux sortes : mécaniques ou chimiques.
29Les préparations mécaniques comprennent le cassage ou bocardage, le triage et le lavage. Les préparations chimiques englobent la macération naturelle, la macération artificielle ou grillage, et l'assortiment des minerais. Il n'y avait rien de très rigoureux dans l'ordre suivant lequel ces préparations devaient se succéder. Elles dépendaient, en fait, de la nature de la mine, des transports et des ressources sur le lieu d'exploitation.
30Dans la mise en valeur d'une mine, l'installation d’ateliers de préparation mécanique est une composante économique essentielle. Un directeur des mines, qui ne connaît point assez la minéralogie et la manière d'être des mines dans les roches, et un “bocardier” ignorant, causent immanquablement la ruine de l'exploitation, puisque c'est de là qu'en dépend tout le profit (...) (Monnet, 1773).
31Chaque opération de traitement est donc effectuée au moyen d'ateliers, de techniques et d'appareils adaptés.
32En effet, il serait ruineux de fondre ensemble les minerais stériles et les bons ; toutes les dépenses seraient perdues, car ce qui découle des terres et des pierres produit des scories pauvres et inutiles et les concrétions empêchent la fusion du métal qui se perd.
33Cette opération recouvre une notion économique dont la préoccupation se retrouve chez Roux-Brahic (1922) : la préparation mécanique n’a pas d’autre but que d’augmenter la valeur vénale du tout-venant, dont elle supprime en majeure partie la gangue et réduit énormément le poids. Cependant, l'ingénieur chargé de concevoir et de diriger un atelier devait veiller à éviter que l'enrichissement ne soit trop onéreux et qu'il soit suffisant. Pour éviter ces deux écueils, il convient de tenir compte de l'état physique du minerai sorti de la mine : nature de la gangue, présence ou non de plusieurs minéraux, consistance du minerai.
34La nature de l'atelier dépend de toutes ces caractéristiques. Mais, il faut aussi prendre en considération les procédés métallurgiques que doivent subir ces produits enrichis.
Le cassage
35Pour être soumis au feu, les minerais doivent être préparés dans l'état le plus pur possible, afin d'écarter de leurs masses des corps étrangers qui absorberaient vainement une partie de la chaleur (Grignon, 1807, p. 149).
36Quand les fragments de minerais de fer sont trop gros pour être fondus, ils sont divisés en petites parties. Le cassage à bras d'homme (Dumord, 1876, p. 67) se pratiquait ordinairement à la sortie de la mine, quand il ne pouvait se faire à l'intérieur. Cette opération concernait surtout le minerai en roche et le minerai sidérolithique. Le minerai en roche se trouve en gros fragments et quelquefois en blocs si considérables qu’ils fournissent jusqu’à 400 et même 500 quintaux métriques de mine pure. Leur poids empêche de les élever au jour sans les diviser, et leur dureté est telle, que ce travail ne peut se faire avec le pic. Des essais faits pour les faire sauter à la poudre n’ont pas réussi, sans doute parce que les ouvriers ne connaissaient pas ce genre de travail et que le minerai a effectivement une grande dureté.
37Depuis quelque temps, le garde mine fait employer le feu pour les rendre moins résistants en les fendillant, ce qui permet ensuite au mineur de les diviser avec ses instruments ordinaires. On consomme jusqu’à quatre et même six cordes de bois pour l’exploitation de ces blocs.
38Le minerai en roche n’est pas conduit au lavoir avant de le fondre, on le passe simplement au bocard à eau ou on le casse à la main et il subit dans cette opération un déchet d’un septième provenant de terres adhérentes (L'ingénieur des Mines du département de la Moselle Drouot suite à la visite du 10 septembre 1833 aux minières d'Aumetz et d'Audun-leTiche de l'Ingénieur en Chef Voltz des Mines des 8e et 9e Arrondissements, ADHS Série S).
39Pour le cassage à la main, on brisait les plus gros morceaux avec une masse en fer, et l'on plaçait ensuite les fragments qui en résultaient sur un bloc de pierre dure ou de fonte, pour le diviser de nouveau avec un marteau plus ou moins gros (Hassenfratz, 1812). On brisait aussi les morceaux de minerai avec des marteaux à manche long et flexible, analogue à ceux dont se servaient les cantonniers. (Dumord, 1876) Ce travail était complété par le triage à la main ; ces deux opérations se pratiquaient souvent simultanément.
40Pour les minerais à gangues dures, on opérait le cassage à l'aide d'appareils plus puissants que le simple marteau, comme le moulin à pilons ou bocard, qui a donné le nom de bocardage à cette opération. Celui-ci s'effectuait alors le plus souvent dans l'usine, où étaient installées la plupart des machines motrices ou bien à proximité des sites d’extraction disposant de cours d’eau réguliers.
41Les minerais propres étaient simplement bocardés, ceux qui se présentaient en rognons empâtés d'argiles étaient bocardés puis lavés ; dans certaines installations un patouillet était associé au bocard. On pouvait aussi briser la mine avec de petits martinets mus par l'eau (Manson, 1804, p. 34) : le marteau était ordinairement en fonte ; il tombait sur une grande masse de métal, entourée de planches en forme d'auge, dans laquelle on jetait le minerai (Hassenfratz, 1812). Cependant, le martinet et le bocard écrasant le minerai de fer, le triage devenait plus difficile (Karsten, 1824, p. 346). En effet, la mine ne devait pas être cassée en trop petits morceaux, pour ne pas nuire à la réduction ; (...) parce que dans le haut fourneau elle (la mine) coulait au travers des charbons, ni trop gros afin d’éviter de grands intervalles par où la flamme pouvait facilement remonter en haut de la charge avant d'agir dans le bas du fourneau. Pour calibrer les trop gros morceaux de mines, des claies en gros fils de fer étaient installées dans les forges, afin d’éviter qu'ils ne passent (Manson, 1804, p. 35). L'opération de cassage s'effectuait sur du minerai dont la valeur se reconnaissait immédiatement. Elle pouvait se faire aussi après les opérations de grillage.
42Le terme de concassage (fig. 73) était réservé pour la préparation des minerais polymétalliques ; ces minerais de type complexe demandaient un broyage, parfois très menu, pour en extraire un maximum de fines particules (Thibaud, 1827, p. 194).
43Un bocard se compose d'un jeu de pilons, soulevés alternativement par des cames disposées en hélice sur un arbre mû par une roue hydraulique. Les pilons, accouplés par six ou huit, se meuvent dans une auge en fonte où l'on dépose le minerai à briser. Le minerai, entraîné par un courant d'eau continu, subit l'action des pilons. Les fragments obtenus s'échappent à travers une grille à barreaux en fer dont l'écartement sert à régler l'état de division auquel on veut transformer le produit (Flachat, Barrault et Petet, pp. 193-194).
44L'invention du bocard serait attribuée à un certain Sigismund de Maltiz qui aurait établit le premier, ce type de machine à Altenberg1 en 1507 afin d'éviter le cassage manuel (Monnet, 1773, p. 299). Il s'agissait de traiter du minerai polymétallique (fig. 74 et 75).
Le triage
45L'opération de triage a pour but de séparer les matières stériles des matières à fondre. Première opération effectuée sur le minerai, elle évitait l'extraction et le transport de matières sans utilité. Il était avantageux d'effectuer à l'intérieur même de la mine, un premier classement sommaire en blocs de minerais et en tout-venant stérile qui pouvaient être utilisés pour fermer des chantiers, soutenir le toit des galeries ou murailler des parois fragiles. En général, ce travail se poursuivait près de la minière (Manson, 1804, pp. 34-35), elle se faisait à la main sur les haldes et consistait à séparer les unes des autres les diverses substances minérales d'après la grosseur des morceaux en les subdivisant en diverses classes selon la nature des substances contenues. Pour affiner le tri, on pouvait utiliser des cribles et un courant d'eau (Borgnis, 1819, pp. 2-3).
46Le triage mécanique ou criblage était fréquemment utilisé pour les minerais polymétalliques (fig. 76). Pour les minerais de fer, le triage manuel s'appliquait principalement aux minerais en roche. Lorsque la gangue était trop adhérente, on la brisait au marteau. Le tri constituait la première des opérations de préparation mécanique. Elle était assimilée à la séparation des stériles et des impuretés dans le tout venant provenant de l'extraction. Le tri pouvait être manuel et portait le nom de scheidage ; il se faisait à l'aide de tables de triage.
47Il pouvait être mécanique et s'appelait alors klaubage ou sortage. On utilisait alors des tables de klaubage : On donne le nom de triage à l'opération par laquelle on sépare le minerai des substances étrangères qu'il contient, lorsque cette opération peut être faite par des moyens mécaniques (Hassenfratz, 1812, pp. 147-148).
48Certains minéraux hétérogènes mêlés avec les minerais pouvaient précipiter leur fusion ou la ralentir ; il fallait nécessairement les purifier par la macération naturelle ou artificielle. Cette opération facilitait également la fragmentation des mines.
La macération
La macération naturelle
49La macération naturelle consiste à disposer le minerai extrait sur le sol en couches de faible épaisseur et à le laisser durant un temps assez long exposé à l'air : On laisse le minerai brut exposé à l'air pendant un an au moins, pour qu'il fuse, en ayant soin d'écraser de temps en temps avec une masse les morceaux de calcaires qui ne tombent pas naturellement en poussière. Ensuite on le passe à la claie pour séparer de la poussière les morceaux de calcaires qu'on met au rebut, parce qu'ils sont généralement peu riches. Il résulte de cette préparation un nouveau déchet d'un cinquième environ ; et le minerai qui en provient est propre à la fusion sans qu'on le soumette au lavage. Cette opération convient particulièrement à des minerais à gangues schisteuses qui se délitent et se divisent naturellement sous l'influence des variations atmosphériques. L'exposition des minerais aux agents naturels est fréquemment soulignée pour la limonite du Jura : Le minerai brut est exposé à l'air, concassé et lavé comme le minerai de Métabief, et il rend aussi 30 pour cent environ de minerai propre à la fusion (Thirria, 1836, tome X). Dans le Berry, où l'on exploitait du minerai de fer en grains similaire à celui de Haute-Saône, on extrayait généralement le minerai à ciel ouvert pendant l'été, et on l'accumulait sur le bord des excavations, où l'action des agents atmosphériques délitait l'argile. Au printemps suivant, lorsque les excavations étaient remplies d'eau, on y lavait le minerai (Laboulaye, 1874).
50Ce procédé opère souvent des réactions favorables aux minerais pour leurs traitements futurs. Les minerais carbonatés magnésiens perdent ainsi leur acide carbonique et une portion du carbonate de magnésie qui est entraînée par l'humidité à l'état de bicarbonate (Flachat, Barrault et Petet, 1842, p. 193). Les minerais pyriteux se dépouillent à la longue d'une partie du soufre qu'ils renferment.
51La macération naturelle n'exigeant aucun combustible pourrait paraître plus économique que le grillage. En fait, elle était longue et coûteuse. Elle exigeait des terrains relativement vastes pour étendre le minerai, ainsi qu'une main-d'œuvre importante pour l'étaler et le remanier. Pendant un temps de stockage relativement long, le minerai n'était d'aucun rapport (Dumord, 1876, p. 70).
52Pour toutes ces raisons, on lui substituait la macération artificielle dont les effets, favorables à la réduction, sont identiques sous plusieurs aspects.
La macération artificielle ou grillage
53Le grillage consistait à chauffer au rouge sans fusion les minerais de fer, pour les débarrasser des matières volatiles qu'ils renferment, principalement de l'eau, de l'acide carbonique, du soufre..., les rendre plus friables et plus poreux de sorte que la réduction en soit facilitée et la qualité du produit améliorée.
54Jordan (fin XIXe siècle), dans ses cours manuscrits sur la métallurgie, parle de calcination, lorsqu'on applique la chaleur au minerai de fer pour en faire échapper les matières gazeuses ou pour le rendre plus friable, il conserve le terme de grillage pour toutes les autres techniques d'oxydation. En 1775, Luchet fait une distinction entre la calcination et le grillage : calciner la mine, c’est en faire évaporer le soufre, l'arsenic, ou l'antimoine ; mais la griller avant de la mettre au bocard, c'est pour attendrir le rocher, afin que les parties du minerai s'en détachentplus aisément (Luchet, 1779, p. 207).
55Le grillage convient spécialement aux minerais en roche, dont il facilite la division, aux minerais pyriteux, auxquels il enlève du soufre et aux minerais carbonatés, qu'il désagrège et dépouille de l’acide carbonique et des matières bitumeuses (Dumord, 1876, pp. 69-79). Agricola précise le rôle du grillage : Le minerai est grillé pour deux raisons : soit pour que de dur il devienne plus mou et facilement friable, qu'il puisse être brisé avec d'autres marteaux ou des pilons, et puisse ainsi fondre ; soit pour que les matières grasses, telles que le soufre, bitume, orpiment, réalgar, puissent brûler. On rencontre souvent le soufre dans les minerais métalliques, et d'une façon générale il est très nuisible pour les métaux, sauf pour l'or. Il est plus mauvais que tout pour le fer (Agricola, 1556, livre huit, p. 219).
56Lorsque le minerai est peu compact, qu'il ne contient pas de soufre et ne renferme que des substances étrangères susceptibles de se dégager à une température peu élevée, il est inutile de le griller par avance, car ces substances s'évaporent quand le minerai se trouve dans la partie supérieure du haut fourneau. Il est le plus souvent inutile de griller les minerais de types pisolithiques, c'est donc un de leurs avantages sur les autres minerais.
57Le minerai était grillé soit à l'air libre en tas ou entre des murs, en stalles, soit dans des fours (fig. 77).
58La meule ou le tas était la méthode la plus simple. Le grillage en tas consistait à disposer le minerai en couches alternatives de combustibles et de minerais. Le combustible pouvait être du bois, du charbon de bois ou de la houille. Au fur et à mesure que le tas s'élevait, on réduisait l'épaisseur du combustible et l'on augmentait celle du minerai car la partie supérieure était directement chauffée par les gaz des couches sous-jacentes. La meule était parfois recouverte par du fraisil (poussière de charbon de bois). Le grillage en tas présentait de nombreux inconvénients en particulier des pertes de chaleurs importantes.
59La délimitation de l'espace de grillage permettait de limiter les pertes. Deux murs parallèles de briques ou de pierres permettaient d'améliorer la combustion en confinant la chaleur. Il s'agit du grillage en stalles ou en cases le plus souvent adossé contre un versant.
60Au cours du XIXe siècle, les fours à cuves remplaceront progressivement ces deux types d'installations. Le diamètre des premiers fours à cuve circulaire variait de 1,5 m à 3 m à la base. La hauteur variait de 2,5 m à 10 m. On employait des cuves à partie inférieure rétrécie en vue de contrarier la tendance du courant gazeux à cheminer contre les parois. La partie inférieure était munie d'ouvertures destinées à l'enlèvement du minerai grillé. La marche de ces fours était donc continue. Ce dispositif permettait d'économiser du combustible. Les fours de grillage se plaçaient toujours dans le voisinage des hauts fourneaux (Flachat, Barrault et Petet, 1842, p. 193).
61A Bienno, en Italie du nord, les fouilles récentes ont permis de repérer de nombreux fours de grillage associés à l'exploitation minière. Les fours de grillage sont construits en pierre locale et adossés à flanc de montagne ; ils jalonnent les exploitations minières et sont systématiquement installés aux débouchés des chantiers de dépilage (Morin, 1998, pp. 49-60).
62D'autres type de structures ont été récemment mis en évidence à Vert-Saint-Denis (Seine et Marne) lieu-dit les Fourneaux au cours d'une importante fouille de sauvetage. Quatre-vingts foyers ont été mis au jour à proximité des aires de réduction. Les foyers sont aménagés dans des cuvettes de plan ovale ou circulaire aux dimensions constantes : 0,60 m de diamètre et 0,20 à 0,40 m de profondeur. Quelques indices de tri préliminaire accompagnent cette activité de calcination (Daveau et Goustard, 2000, pp. 15-36).
63Au Creusot, le minerai de fer hydraté en grains de type, limonite, était également grillé. L'objet du grillage était non seulement d'expulser les substances volatiles, mais encore de fendiller le minerai, afin de rendre la préparation mécanique plus facile (Lame et Thirria, 1820, pp. 591-592). Agricola relève également cette étape dans le grillage : Très souvent aussi on verse de l'eau sur le minerai rouge, et encore chaud, pour le rendre plus tendre et plus facilement friable car, comme la force du feu a desséché l'humidité du minerai, l'eau le brise plus facilement quand il est encore chaud, comme la pierre calcaire (Agricola, 1556, livre huit, p. 221). Ce procédé est signalé au XIXe siècle pour les minerais de fer de l'Ariège, Il convient de les (les minerais) étonner et de les exposer à l'air pendant quelques mois (François, 1843, pp. 255-256).
64Étonner le minerai consistait donc à le jeter subitement dans l'eau une fois chauffé au rouge. On facilitait ainsi sa désagrégation et on lui donnait une texture fissurée et fendillée.
65Pour que le grillage soit efficace, il fallait qu'il s'opère avec une certaine lenteur ; la température devait s'élever graduellement, et la chaleur devait être suffisante pour griller le minerai dans toutes ses parties, en évitant de provoquer la fusion qui risquait de l'agglutiner.
Le lavage
66Le lavage s'applique en général à tous les minerais empâtés de sable et d'argile. Il s'agit d'une opération à la fois simple et difficile à mettre en œuvre dès lors qu'elle concerne des minerais binaires ou des minerais complexes (fig. 78 et 79). Agricola aborde la technique de manière exhaustive en montrant de nombreux exemples. Il existe sept méthodes de lavage communes à plusieurs minerais. On les lave en effet soit dans une auge simple, soit dans une auge divisée par des planchettes, soit dans une auge en pente, soit dans un grand bassin ou dans un petit lavoir, soit encore sur une table couverte de toiles ou dans un tamis fin. Les autres méthodes de lavage sont propres à chaque métal ou bien s’ajoutent aux méthodes de broyage du minerai, mouillé par des pilons (Agricola, 1556, livre huit, pp. 239-240).
67Dans le cas particulier des minerais de fer sédimentaires de type pisolithique, constitués d'un composé métallique incrusté dans une masse argileuse (gangue), des minerais que l'on peut qualifier de binaires, (Roux-Brahic, 1922, p. 265) le procédé de préparation consistait à mettre à part le minerai proprement dit et à se débarrasser de sa gangue ou stérile. Pour ce type de minerai, on utilisait le lavage, processus de séparation primaire qui s’effectuait sous l'action d'un fluide : l'eau. Les vitesses de sédimentation dans un fluide permettent de séparer des classes de particules en fonction de leur entraînement ou par le fluide en mouvement.
68Parfois limitée à une classification par granulométrie, cette préparation consistait le plus souvent à purifier le minerai par élimination de la gangue stérile. La suppression des constituants stériles permettait d'obtenir un produit plus riche en minéraux utiles et plus concentré. Lorsque la proportion de terre n'était pas trop importante, que l'argile n'était pas trop adhérente, ni trop dure, le lavage consistait à brasser le minerai dans des auges en bois enfoncées dans le sol, où l'on faisait affluer de l'eau.
69Après un brassage énergique, l'argile légère et à l'état de poussière impalpable, se mettait en suspension dans l'eau (on parle de lévigation), pour être finalement entraînée par le liquide lors de son écoulement.
70Pour des raisons d'économie, c'est une opération qu'il était avantageux de faire le plus près possible des zones d'extraction : (...) C'est un usage généralement établi, de disposer les mines sur le lieu même où est l'exploitation. Pour cela, on y a toujours les bocards, les laveries, et tout ce qui est nécessaire pour ce travail. C'est par un motif d'économie, que cet usage s'est établi ; car s’il fallait transporter au loin les mines (c'est-à-dire le minerai), souvent mêlées à beaucoup de roches, les dépenses seraient ruineuses (Roux-Brahic, 1922, p. 266).
L'assortiment
71L'assortiment des minerais de fer consistait à mélanger, dans des proportions convenables des minerais de nature différente avant de les traiter dans le haut fourneau. Cette préparation avait principalement pour but d'améliorer la qualité des produits et de réduire les frais de fabrication.
72Ce mélange permettait d'utiliser des minerais trop pauvres pour être traités seuls. Les maîtres de forges les employaient alors comme fondants ; le fer qu'ils contenaient s'ajoutant à celui du minerai principal : ils permettaient de réaliser une certaine économie. Le travail d'assortiment des minerais de fer et des fondants s'effectuait en général au moment du chargement de la cuve du fourneau.
73Il paraissait important dans cette partie de préciser la terminologie des différents processus de préparation mécanique et d’en donner les principales définitions avant d’aborder les études de terrain. Trois orientations semblent se dégager du discours des ingénieurs des Mines du XVIIe siècle au tout début du XXe siècle. Il y a ceux qui rattachent le traitement du minerai à la métallurgie de réduction, ceux qui associent étroitement extraction et minéralurgie et enfin ceux qui définissent la préparation mécanique comme une activité industrielle à part entière. La nature des minerais semble bien être ici à l’origine de ces différentes positions.
Notes de bas de page
1 Extrémité nord-est de la partie allemande de l'Erzgebirge dans le Land Saxe, au sud de Dresde
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