L'enrichissement des minerais... entre archéologie et histoire
p. 7-29
Note de l’auteur
Des sources écrites au terrain, les témoignages concernant les installations de préparation mécanique des minerais de fer sont pratiquement inexistants pour les périodes anciennes. Fragmentaires, souvent évocateurs, ces documents ne permettent pas de comprendre l’organisation réelle des ateliers et leurs liens avec l’hydraulique et la production. En dehors des sources contemporaines, en particulier des Annales des Mines et des traités miniers du XIXe siècle, les installations de lavage sont surtout connues à travers le traitement des minerais polymétalliques.
Texte intégral
Ce territoire étant sans contredit le plus riche du département en minerai de fer en grains... Qu'il serait impossible de fixer l'époque éloignée de l'entier épuisement de ce territoire (…)1
1Le fer est un des éléments le plus abondant parmi ceux qui composent la Terre : il représente 5 % du poids de l’écorce terrestre et entre dans la composition de nombreux minéraux. Dans l’histoire des civilisations, l’acquisition du métal constitue une étape décisive par sa répercussion dans l’amélioration des outils, des armes, du bâti et de son rôle dans la mise en place des sociétés et des pouvoirs.
2De l’extraction des matières premières jusqu’à la fabrication et l’utilisation de l’outil fini, la somme des techniques et des compétences, qui se sont accumulées aux différentes époques, reste difficilement mesurable. L’impact des occupations minières et métallurgiques sur les paysages est souvent exceptionnel et durable. Il en est ainsi des machines, des usines, des habitats, des réseaux de transports... mais aussi pour toutes les périodes, des déchets comme les stériles, les boues, les scories... Parfois les seuls témoins encore visibles de ces activités artisanales ou industrielles et de l’abondance des productions qu’ils ont pu générer. L’analyse et l’interprétation de ces marqueurs tout comme celles des empreintes laissées dans le sol permettent de démontrer l’importance des progrès techniques mis en œuvre pour améliorer la production dans les différentes phases d’activités.
Origines de cette étude et mise en place d'une problématique spécifique à la préparation mécanique des minerais
3Depuis plus d’une vingtaine d’années, et avec le soutien du Ministère de la Culture, sur les avis du Conseil National de la Recherche Archéologique (CNRA), la recherche sur le thème des mines et de la métallurgie de réduction a fait des avancées considérables en France. Cependant, elle ne s’est pas développée de manière homogène et certains secteurs d’étude restaient à privilégier, c’est le cas, en particulier, de la préparation mécanique des minerais de fer.
4A la charnière de l’extraction et de la métallurgie (fig. 1), cette étape pourtant essentielle du processus sidérurgique est restée jusqu’ici peu connue, voire totalement méconnue notamment du point de vue archéologique. Cette étude, qui a fait l'objet d'une thèse soutenue en 2003 (Morin-Hamon, 2003), entend combler en partie cette lacune.
5Dans la plupart des sources écrites dépouillées qui abordent le thème de l’enrichissement des minerais, les auteurs s’intéressent surtout aux minerais non-ferreux en particulier l’or, l’argent, le cuivre et l’étain. Cet intérêt prévaut de l’Antiquité jusque dans la première moitié du XVIe siècle, période à laquelle commencent à se répandre les techniques métallurgiques de réduction indirecte (haut fourneau).
6Hormis les découvertes réalisées au cours d’opérations préventives de grande envergure (Daveau et Goustard, 2000, pp. 15-36), avec notamment la mise au jour de bas fourneaux et de fours de grillage de minerais de fer, ce constat reste valable pour la recherche archéologique. Les fouilles archéologiques programmées concernent le plus souvent des vestiges associés à des mines exploitant des minerais polymétalliques comme : les ateliers de préparation mécanique du minerai de cuivre de Cabrières (Hérault) (Ambert, Barge, Bourhis et Espérou, 1984, pp. 89-88), les ateliers de lavage de minerai d’argent en Alsace (Haut-Rhin) (Bohly, Fluck 1990 ; Grandemange, 1994, pp. 77-96), les ateliers de lavage de minerai de cuivre de Château-Lambert (Haute-Saône) (Morin, 1992), les ateliers de préparation de minerai de plomb argentifère de l’Argentières-la-Bessée (Hautes-Alpes) (Ancel, 1993, pp. 57-93), ceux de Brandes en Oisans (Isère) (Bailly-Maître, 1994, pp. 21-44), les ateliers de préparation mécanique dans les aurières du Limousin (Vienne) (Cauuet et Tollon, 1999, pp. 185-198), ou bien encore ceux de minerai de cuivre à Saint-Véran (Hautes Alpes), (Barge, 1997, pp. 101-102).
7Pour donner à ce domaine de recherche la place qu’il occupe dans la chaîne opératoire de la sidérurgie, il apparaît nécessaire de dresser au préalable un inventaire diachronique des connaissances. La rareté des sources écrites spécifiques à la préparation des minerais de fer, pour les périodes antérieures à l’époque moderne, conduit à élargir la recherche à travers la documentation concernant les minerais polymétalliques.
8Pour connaître un modèle technique, il faut s’attarder à le comparer à des systèmes voisins. L’histoire comparative permet de reconstituer les parcours des techniques propres à leur champ d’application, leur chronologie, leur utilisation, leur perfectionnement ou bien encore leur diffusion. Elle ouvre des perspectives qui permettent de mieux appréhender les systèmes, la diversité des modèles et leur usage. Une vision globale des pratiques de préparation mécanique des minerais doit conduire à mieux cerner celles de minerais de fer dans laquelle s’insère par exemple l’étude des machines utilisées. Comme tout chercheur, l’archéologue des techniques doit beaucoup butiner et faire appel à de nombreuses sources souvent polymorphes.
9Cette enquête inédite a abouti à tracer un certain nombre de repères historiques, mais aussi à apporter des précisions sur l’implantation des ateliers, sur les stratégies de concentration de l’eau, sur l’outillage et les gestes des ouvriers, de manière à effectuer des comparaisons indispensables à l’interprétation des vestiges. L’analyse de certains sites a rendu ainsi légitime l’extension des recherches au domaine fonctionnel.
10Dans le même temps, le dépouillement systématique des sources à partir de la deuxième moitié du XVIe siècle pour le secteur d’étude choisi et les prospections au sol ont permis la localisation des ateliers de traitement et l’établissement d’un corpus. Les relevés topographiques des vestiges apportent, quant à eux, des éléments essentiels pour comprendre l’organisation interne des ateliers. Leur interprétation marque un point d’étape essentiel dans les recherches car s’esquisse derrière elle une meilleure perception de la fonction des différents vestiges, mais aussi du type d’exploitation du territoire dans lequel ils s’insèrent.
11Ces données significatives convergent toutes dans le même sens. L’exploitation finale des résultats obtenus autorise désormais à préciser certains concepts de la chaîne opératoire sidérurgique.
12Pour cette double approche, à la fois par les textes et le terrain, la Franche-Comté et en particulier le département de la Haute-Saône offrait un champ d’étude privilégié. En effet, ce territoire fut, à partir du XVe siècle une grande région productrice de fer. A la veille de la Révolution, il était au second rang dans le Royaume pour la production du fer. Un bilan envoyé par l’Intendant du Royaume au Bureau du Commerce en mai 1789 faisait état de 52 fourneaux, 43 forges, 79 martinets, 3 fileries, 8 tireries (Archives Nationales, [cité désormais AN] F12 680). Au cours du XIXe siècle, il se disputait la première place avec la Haute-Marne (Blanc, 1843, pp. 196-199) (fig. 2 et 3).
13Dans le département de la Haute-Saône, la métallurgie a bénéficié d’une étude associée à un inventaire des Monuments Historiques liés à la métallurgie dans le Val de Saône (Belhoste, Claerr-Roussel, Lassus, Philippe, Vion-Delphin, 1994). L’importance du patrimoine métallurgique soulignée dans ces recherches, suppose l’existence d'ateliers liés à la préparation mécanique des minerais de fer, qui ont également laissé leurs empreintes dans le paysage et dans les textes.
14Des travaux de terrain engagés dès 1995 ont permis de localiser les premiers vestiges d’installations de lavage du minerai pisolithique, que la plupart des descriptions mentionnent comme temporaires. En 1996, l’étude du site de Bellevesvre sur la commune d’Etrelles-et-la-Montbleuse (Haute-Saône) a constitué une première approche de la problématique (Morin-Hamon, 1996).
15Au cœur du Val de Saône qui a vu se développer très tôt l’ordre cistercien autour des abbayes de La Charité, Theuley et Cherlieu (Haute-Saône), les prospections au sol ont mis en évidence de nombreux sites de lavages de minerai de fer pisolithique.
16Défricher à la fois l’histoire et l’évolution technologique d’un processus nécessite des outils d’investigations appropriés. Dans cette perspective, nous avons privilégié la référence au terrain, en portant un intérêt particulier au modelé anthropique résultant de cette industrie, c’est-à-dire aux déchets (Morin-Hamon, Morin, 2006, pp. 223-235). Dès 1996, les résultats de ces premières recherches font l’objet de présentations auprès des chercheurs, qui travaillaient sur les thèmes de la métallurgie de réduction du fer.
17Pour autant, la compréhension des phénomènes qui ont abouti à la mise en place des installations de préparation des minerais de fer se situe bien au cœur de la problématique métallurgique, à l’interface des processus d’extraction et de réduction. Il s’agit d’une étape incontournable tantôt rattachée à l’extraction, tantôt à la métallurgie, mais qui n’en constitue pas moins une industrie à part entière, comme le soulignaient déjà les ingénieurs des Mines du XIXe siècle.
18L’existence d’ateliers de préparation du minerai est intimement liée à la présence de sites d’extraction et de réduction. A partir des éléments constitutifs du territoire (géologie, hydrologie...), il s’agit de montrer dans quels contextes et selon quelles logiques se sont implantés et organisés ces ateliers.
19Loin de pouvoir répondre à toutes les interrogations, ce travail entend ouvrir de nouvelles orientations et poser des jalons sur des programmes de recherche en devenir.
20Les différentes phases de préparation mécanique du minerai de fer et leur évolution technologique sont abordées alternativement par les textes et à partir d’exemples archéologiques issus des prospections. Ne disposant d’aucun référentiel dans un domaine d’étude aussi spécialisé que novateur, nous avons été amenés à adapter des outils et des méthodes d’investigation spécifiques au fur et à mesure de l’exploration de nouveaux sites et de l’évolution des découvertes.
21Les hypothèses avancées relèvent de deux catégories d’explications : la première retient la fonction même des sites et renvoie à leur intégration au sein d’un processus ; la seconde est davantage diachronique et présume une évolution technique, par conséquent fonctionnelle en relation avec une évolution économique. Elle pose le problème de la gestion des ressources minières et de celui de l’eau.
22A partir des observations de terrain, il s’agit aussi d’identifier les vestiges abandonnés par ces activités, principalement ceux qui sont liés au lavage : d’en analyser les composantes, de débrouiller les imbrications morpho-structurelles dans les paysages miniers et, si possible, d’en hiérarchiser les caractéristiques et d’en définir la fonction. De la même façon, il convient de décrire et d’expliquer les différentes techniques développées au cours de ce processus et d’étudier le rôle fondamental de l’eau.
23Une question transversale majeure parcourt cette étude. Comment dissocier la part des facteurs naturels et le rôle des stratégies dans la dynamique d’implantation des ateliers ? Les problèmes taphonomiques, bien que différents selon les sites, sont particulièrement accentués à l’exception toutefois des zones boisées. Pour ce travail, il convenait de disposer d’une gamme importante et variée d’exemples à diverses échelles d’occupation de l’espace.
24L’étude de ces vestiges suscite de nombreuses interrogations au moment de l’interprétation et entraîne un va-et-vient constant entre les textes, les innovations et les réajustements technologiques, les prescriptions des ingénieurs des Mines ou bien encore l’évolution de la législation en matière d’environnement par exemple :
Comment reconnaître et identifier ces sites dans le paysage ?
Comment interpréter les structures retrouvées ?
Quelle était l’organisation interne de ces ateliers ?
Quels étaient la vocation et le fonctionnement des structures retrouvées ?
Quelles sont les liaisons entre chacune de ces structures ?
Quelles technologies et innovations ont été mises en œuvre dans ces ateliers ?
Les connaissances en matière de préparation mécanique : une double approche historique et archéologique
25Devant la rareté et la dispersion des archives ayant trait à la préparation des minerais de fer et en particulier de son enrichissement par le lavage, le dépouillement des sources a pris en compte jusqu’au XVIe siècle toutes les mentions évoquant le lavage. Elles sont rares et concernent le plus souvent les minerais comme l’or, l’argent ou l’étain.
26Les mentions sur le traitement des minerais et en particulier les minerais de fer dans les rapports de fouilles sont exceptionnelles.
27L’objectif est donc d’établir un panorama des connaissances le plus large possible destiné à situer cette étude au plan historique et préciser un certain nombre de paramètres notamment au niveau des techniques utilisées. Cette étape est indispensable pour la lecture des témoins laissés au sol dont aucune archive ne fait référence.
28Pour la période antique, il s’agit davantage d’un sondage réalisé à partir de quelques études et références établies par les historiens et chercheurs contemporains sur le thème des mines (Ramin, 1977, p. 111 et Domergue, 1980, pp. 500-503).
29Certains textes originaux ont été étudiés à partir de leur traduction et interprétation ; plusieurs ouvrages ont été consultés à la Bibliothèque de l’École Française d’Athènes et à la Bibliothèque municipale de Besançon.
30En dehors d’une recherche sur les textes antiques, l’étude de la documentation sur les ateliers de préparation mécanique des minerais de fer, pour les périodes suivantes, se fonde sur des dépouillements d’ordre archivistique, iconographique et bibliographique. Elle a consisté à inventorier les principaux fonds bibliographiques parisiens : l’École des Mines, la Bibliothèque Nationale, le Conservatoire National des Arts et Métiers, la Bibliothèque de l’Institut, la Bibliothèque Forney, et certains fonds régionaux de l’Est de la France (Franche-Comté, Lorraine, Champagne-Ardenne...). Des recherches spécifiques ont été réalisées à la Bibliothèque du Musée du fer de Nancy.
31Dénominateur commun à tous ces travaux, l’attention des auteurs se porte, presque systématiquement, sur les minerais non-ferreux, (fig. 4) Cette constante souligne un manque perceptible d’intérêt pour le fer et les productions sidérurgiques jugées plus banales et pourtant omniprésentes (artisanat, agriculture, armement). Le fer présente peut-être un intérêt moindre car n’ayant pas l’attrait des métaux monétaires ou destinés à l’orfèvrerie.
32Il faut attendre les publications de la fin du XVIIIe siècle et surtout du premier tiers du XIXe siècle pour trouver des éléments spécifiques à la sidérurgie, comme les traités métallurgiques, les revues du Journal des Mines et des Annales des Mines. Dans ces ouvrages spécialisés rédigés par des auteurs travaillant dans la sidérurgie et non plus des humanistes, on perçoit leurs interrogations et leur souci constant d’améliorer la production et la qualité du fer. Cependant peu de pages sont consacrées proportionnellement au thème de l’enrichissement des minerais et souvent les éléments sont dispersés. Pour obtenir des informations plus fécondes, il faut mener des recherches croisées dans un grand nombre de traités. Au cours du XIXe siècle, l’obligation faite aux exploitants de recycler les eaux issues du lavage des minerais de fer, fait apparaître dans les archives de nombreux rapports et comptes-rendus de visites de la part des ingénieurs des Mines. Cette documentation, parfois complétée de plans et de coupes, sera utilisée tout au long de ce travail.
L'apport des sources écrites et de l'iconographie
L’Antiquité
33L’exploitation de l’or, du cuivre, de l’étain et de l’argent... a été vecteur d’innovations techniques très tôt dans l’Antiquité, certainement impulsées par des inventeurs de génie comme l’architecte Vitruve (Perrault, 1673, pp. 291-299). En Espagne, le lavage de l’or s’effectuait en plein air et nécessitait un important approvisionnement en eau claire. Le lavage est défectueux si la rivière charrie de la boue dans son cours ; cette matière terreuse s’appelle urium (...) (Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, XXXIII, 21, 10). Les ateliers de lavage bénéficiaient d’une organisation hydraulique raisonnée utilisant les ressources locales disponibles. La maîtrise de l’hydraulique et en particulier la domestication des cours d’eau favorisait l’implantation d’aménagements soigneusement élaborés par une main d’œuvre abondante (esclaves) certainement dirigée par des architectes de talent. On creuse des canaux pour l’écoulement du torrent – on les appelle agogae (conduits) ; on les garnit de bruyère en ménageant des paliers. La bruyère est un arbuste semblable au romarin ; il est pubescent et retient l’or. Les côtés des canaux sont clos de planches, et pour franchir les ravins on construit des conduites aériennes (Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, XXXIII, 21,11). Les déchets issus de ces opérations parfois complexes ont contribué à façonner les paysages. Ainsi la terre s’écoule et se déverse dans la mer ; la montagne émiettée se dissout ; et de cette façon l’Espagne a déjà fait avancer ses rivages loin dans la mer. (Les déchets) que, dans le premier procédé, on extrait au prix d’un travail immense, afin qu’ils n’obstruent pas les puits, sont, dans cette méthode — ci, évacués par l’eau (...). La bruyère est séchée, brûlée, et sa cendre est lavée sur un lit de mottes d’herbe, pour que l’or s’y dépose (Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, XXXIII, 21, 11, 12). Un trait important dans la description du paysage minier a marqué les auteurs : la prédominance des ateliers de préparation mécanique et leur impact sur l’environnement.
34(...) Ils rendent ainsi les paillettes brillantes et, soit par des puits qu’ils creusent, soit par d’autres moyens variés de leur invention, ils recueillent l’or en lavant le sable. Aujourd’hui, ces laveries d’or sont plus nombreuses que les mines (Strabon, Géographie, IV, 2, 8). La technique du lavage est largement utilisée en prospection pour évaluer les concentrations. Les chercheurs d’or commencent par enlever le segutilum ; on appelle ainsi la matière qui indique sa présence. C’est un lit de sable qu’on lave, et le résidu permet la conjecture (...) (Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, XXXIII, 21, 1). Le lavage – pour l’argent, l’étain et l’or blanc – se situe à proximité ou dans les cours d’eau. Il est réalisé au moyen de tamis à mains et de râbles. (...) En revanche, chez les Artabres, qui sont le dernier peuple de la Lusitanie vers le Nord-ouest, la terre fleurirait littéralement de paillettes d’argent, d’étain et d’or blanc, c’est-à-dire un or mêlé d’argent, et ce serait cette terre que charrient les cours d’eau. Les femmes la raclent à la houe et la lavent ensuite dans des tamis tressés en corbeille (Strabon, Géographie, III, 2, 9). Le tri était associé au lavage ; (...) En réalité nous savons qu’on en trouve en Lusitanie et en Galice, à ras du sol, dans une terre sablonneuse de couleur noire, qu’on ne peut reconnaître qu’à son poids. Il se présente aussi sous forme de petits graviers, surtout dans le lit des torrents desséchés. Les ouvriers métallurgiques lavent ces sables et fondent le dépôt dans des fourneaux. On en trouve aussi dans les mines d’or qu’on appelle alutiae : en faisant passer un courant d’eau, on dégage des graviers noirs légèrement tachetés de blanc qui ont le même poids que l’or et qui, pour cette raison, restent avec l’or au fond des paniers où on le recueille ; puis on les sépare dans des fourneaux où ils fondent et donnent le plomb blanc (plumbum album) (Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, XXXIV, 47, 16).
35Les ouvriers travaillant sur ces chantiers, essentiellement des esclaves, participent à une véritable ruée vers l’or sur le pourtour du bassin méditerranéen. En dehors du lavage, d’autres techniques sont associées, qui utilisent des outils de fer : (...) Parmi ceux qui ont été désignés pour cette vie infortunée, les plus robustes physiquement entaillent la roche qui contient le marbre à l’aide de marteaux de fer, appliquant à cette tâche non de l’habileté, mais de la force pure, et ils taillent des galeries souterraines au travers de la roche, non en ligne droite, mais selon la direction du filon de la roche brillante (...). Alors, ceux qui sont âgés de plus de trente ans, leur prenant une quantité déterminées de ces fragments et les broient dans des mortiers de pierre (fig.5) avec des pilons de fer jusqu’à ce qu’ils les aient réduits à la dimension d’une lentille. Ensuite, ils passent la pierre ainsi réduite aux femmes ainsi qu’aux hommes les plus âgés, qui la mettent sur des meules alignées en grand nombre et qui, se plaçant à deux ou trois à la barre, moulent jusqu’à ce qu’ils aient réduit la quantité donnée à la finesse de la farine. (Diodore de Sicile, III, 13, 2) (fig. 6). Des tables de lavage servent à retirer les parties les plus fines : (...) En dernier lieu, prenant la pierre ainsi réduite en farine, les spécialistes mènent le travail à son achèvement définitif : sur une planche légèrement inclinée, ils malaxent le marbre pilé en y versant de l’eau ; alors, se dissolvant sous l’effet de l’eau, la matière terreuse coule vers le bas suivant l’inclinaison de la planche, tandis que la matière aurifère reste sur le bois à cause de son poids. Ils répètent plusieurs fois l’opération, au début en essuyant légèrement avec des éponges souples, grâce auxquelles ils enlèvent ce qui est mou et terreux, jusqu’à ce que les paillettes restent pures (Diodore de Sicile, III, 14, 2).
36L’utilisation de paniers ou de peaux sert au criblage : (...) On dit aussi que les torrents, chez eux, charrient de l’or et que ces barbares le recueillent au moyen d’auges percées de trous et de peaux à long poils. De cet usage proviendrait le mythe de la toison d’or (...) (Strabon, Géographie, XI, 2, 18). L’outillage, où la batée semble avoir toute sa place, reste pour le moins rudimentaire : (...) Quant à l’exploitation (de l’or) dans les cours d’eau, elle consiste en un dragage du lit, suivi d’un lavage du sable dans des auges placées à proximité. Ou bien on creuse un puits et la terre qu’on en retire est soumise au lavage (Strabon, Géographie, III 2, 8). Cependant il est toujours associé à des aménagements hydrauliques d’ampleur qui ne sont pas sans conséquences sur les sources d’approvisionnement en eau : (...) La Doire les aidait dans la plus large mesure à travailler ce métal (or) en alimentant les laveries. C’est pourquoi, divisant son cours pour amener l’eau dans des canaux en de nombreux endroits, ils finissaient par vider complètement le lit principal (Strabon, Géographie, IV, 6, 7). Dans le traitement de l’or, le concassage occupe une place importante et intervient à différents stades parfois avant et après le lavage : (...) La matière extraite est pilée, rincée, grillée, et moulue. La poudre produite par la meule s’appelle scudes (...) (Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, XXXIII, 21, 4). Le schéma opératoire rappelle la démarche utilisée pour le fer pisolithique : (...) Les pépites argentifères roulées par les rivières étaient d’abord pilonnées et suspendues dans l’eau au moyen de cribles. Puis on pilonnait une deuxième fois le dépôt demeuré dans le crible. A la troisième fois, on pilonnait ce même dépôt tout en le filtrant à grande eau. On attendait le cinquième dépôt pour procéder à la fonte, et, une fois opérée la séparation du plomb, on obtenait enfin l’argent pur (Strabon, Géographie, III, 2, 10). Le minerai, une fois enrichi, était broyé avant la réduction. Dans sa description de l'Ile d’Elbe, Diodore explique que les minerais de cette île étaient broyés, puis fondus dans des fourneaux (Pelet, 1970, pp. 398-410).
37La cueillette des minerais à la surface du sol n’avait d’autre nécessité que d’effectuer une première sélection des minéralisations à traiter. Cette activité est à rapprocher du ramassage à fleur de terre des minerais d’altération. (...) Ceux qui s’occupent de ce genre de travail recueillent les mottes de terre qui contiennent de ces paillettes (d’or), les broient ou les raclent, et, après les avoir lavées afin d’en détacher le sable, portent les fragments d’or au fourneau pour les fondre (Diodore de Sicile, V, 27).
38Les tâches liées à la préparation mécanique étaient attribuées tantôt aux ouvriers qui extrayaient le minerai, tantôt à ceux qui le réduisaient. Au regard des installations retrouvées en Grèce sur le Laurion (fig. 7) ou en Espagne, il semble bien que ces travaux incombaient à des ouvriers spécialisés. Sur ce point, les textes sont souvent contradictoires : (...) Les ouvriers métallurgistes lavent ces sables et fondent le dépôt dans des fourneaux (Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, XXXIV, 47, 16).
39L’étude des textes antiques apporte surtout des informations fragmentaires sur la préparation mécanique des minerais polymétalliques. A notre connaissance, il n’existe pas de mention spécifique sur le lavage des minerais de fer et en particulier des altérités ferrugineuses.
La période médiévale
40Pour la période médiévale, la préparation mécanique, comme les techniques minières, échappent souvent à la documentation. C’est une constatation de fait pour les sources médiévales en particulier dans l’Est de la France à l’exception toutefois des manuscrits issus des ordres monastiques.
41Les chartreux se sont intéressés très tôt à la métallurgie en Franche-Comté puisqu’un forneal et un laveteal sont mentionnés dès 1213, puis en 1301 et en 1304, à Chaux-du-Dombief (Jura) sur le versant sud-ouest du vallon du Dombief où affleurent des calcaires à oolithes ferrugineuses (Archives Départementales du Jura, [cité désormais A.D.J.] 26 H XLII). L’atelier de lavage jouxte le fourneau (Mordefroid, 1991, p. 76).
42Le lavage était déjà source de nuisances. Des procès entre exploitants et riverains vont parfois nourrir les archives.
43Ainsi en 1312, on apprend que descorz fut mebuz en jugement devant le bailli de Langres par Longuay et le procureur de l’évêque de Langres, au nom des mineurs de la Chaume ne travaillant pas pour le compte des religieux. Il s’agissait de savoir si les cisterciens avaient le droit (...) de croter et de quérir la mine par tou lou finaige de la Chaume si cum li autre mineour..., dou laver à la Chaume, danqui tenir faorge..., dou traire la mine ou finaige de la Chaume et dou mener, laver et cuire à la maldière de Dancevoi toutes foiz qu’il lour plaisoit (...) (Chauvin, 1991, p. 104).
44En 1349 le bailli de Jussey (Haute-Saône) obtempérant à la comtesse de Bourgogne qui conteste aux cisterciens de Theuley (Haute-Saône) le droit d’extraire et de traiter le minerai du mont de Noroy et du Pouligny confisque les outils des moines. (...) L’exploitation du minerai de fer de part et d’autre de la grange des Craies au mont de Noroy et au Pouligny est attestée en 1349 mais s’effectue très certainement depuis le XIIIe siècle.(...) (ADHS H 287).
45Dans une transcription d’un rapport présenté vers 1450 à Jean de Visen, receveur général de Bourgogne et au célèbre sculpteur Jean de la Huerta, concessionnaire des mines d’argent des Duché et Comté de Bourgogne, on assiste à une minutieuse description des travaux à effectuer pour l’extraction et le traitement du minerai d’argent. Ce travail est dû à Lambert Pieron, expert (Archives Départementales de Côte d'Or [cité désormais ADCO] B 1 1199). Pourtant ce type de document reste rare. Sa transcription est difficile à résumer.
46(...) Item, quant au broyage de la mine, le mieux serait de la broyer bien délié et d’abord de gratter (ou émonder) jusqu’au mortiel (jusqu'à l'obtention d'un minerai épuré avec une idée de décantation) la pieure (la première) pierre et la masse crayeuse qui la recouvre, et sur toutes les mines, là où la masse crayeuse pend et se trouve contenue avec le minerai ; ce conseil avisé permettra de bien inspecter la mine, avant de la recuire, et les laveurs y trouveront moins d’ordure (et de gris) et pourront en laver davantage.
47Item, sur le fait du lavage de votre minerai, il est utile, pour écourter le lavage, de faire le gros du travail en premier lieu dans un bac que j’ai fait et j’ai trouvé son canal très bien, ayant sur un côté le chenal qui amène les eaux dans les fosses de (depuis) la veine, lequel bac a quatre pieds de large et sept pieds de long, et je n’ai rien éliminé des autres lavages ; un râble de fer long de huit ou neuf pieds (permet d'en extraire la matière) ; au bout du bac, j’ai fait une fosse profonde d’un pied, de la largeur du bac, maçonnée de planches, et les regreez (pour la masse de minerai) se reprennent bien par le moyen de ce lavage que je ferai, ou un autre qui saurait le faire et comme le fait le contrôleur Hugnin, comme d’autres, j’y ai lavé dans le temps de 4 ou 5 heures environ 60 t. (tombereaux) de minerai qui pourraient revenir au lavage (sur une table) bien au ⅓, soit 20 livres, nettes de quoi il y avait bien la moitié de regreez, (la masse de minerai) qui avaient été lavés au plateau (table de lavage) 12 fois, et l’autre minerai était grossièrement moulu, et on aurait pu le faire mieux délié (épuré), mais je le fis pour essayer de tous points, et par ce moyen on peut parfaitement percevoir et trouver un raccourci pour les laveurs au plateau (table de lavage), qui mettraient au net le dit minerai en peu de temps après le dégrossissage du laveur au bac, mais que le laveur, avec son râble de fer de trenche, (briser) bien son ouvrage et l’amasse bien au bord du bac, grâce à une fourche en forme de petite dague attachée aux planches du bac sans retourner sans arrêt son ouvrage (...).
48C’est également dans les traités d’amodiation ou de concession, que peuvent se retrouver parfois des mentions de lavage. Ainsi, le 10 juin 1466, Jean Robin de Malicorne dit Jean Patouillard, ferrier, se fait concéder en accensement perpétuel une ferrière au Saut de la Boille (Jura), sur le Hérisson, par l’abbé cistercien de Balerne. Le nouveau censitaire s’établit ainsi sur la force motrice, à proximité d’un combustible abondant et d’affleurements de minerai de fer, ici en surface sous forme de grains.
49(...) Le ferrier peut charrier et laver les mines partout bon lui semblera dans les limites du fief ; mais doit satisfaire celui ou ceux sur qui lesdits lavements et chatoiements seront faits sans pour cela encourir l’amende (...) (ADJ 16 H 23 et 7F 39).
50Dans les domaines d’études locales pointues, comme l’explique Claudie Amado (Amado, 1977, pp. 125-144), les textes sont silencieux sur le travail des mineurs, les techniques employées, le minerai et les modes d’exploitation. Cependant, ils sont relativement prolixes en ce qui concerne certaines seigneuries, pour les droits de répartition du sous-sol, celui d’exploiter les mines et les obligations des exploitants. Pour le fer, Jacques Bousquet (Bousquet, 1977, pp. 107-124) est encore plus sceptique ; il souligne la rareté des textes. (...) Nous avons retrouvé quelques textes et c’est une chance exceptionnelle, mais si épars, si difficiles à lier. (...) C’est seulement le fait du hasard ou de l’apparition d’un type de documentation : cartulaires, registres de notaires (...).
51Les sources qui concernent la période médiévale mettent l’accent sur les métaux monétaires. Les textes descriptifs sur les techniques employées sont rares. Les recherches en cours dans certains fonds monastiques comme les chartreux pourraient contribuer à élargir les connaissances.
Le XVIe siècle
52Le lavage des minerais de fer est attesté au tout début du XVIe siècle dans les sources de la Chartreuse ardennoise de Mont-Dieu qui possédait une forge. (...) du temps de Dom Henry, prieur vers l’an 1518, et estoit la dite forge ung des principaux revenus du Mont-Dieu. (...) On en droit la mine es fonseaux qui sont entre le Correrie et Nocieve, au-dessus du pré hanot ; on la portoit laver au ruisseau du lavoir (...) (Bouchayer, 1927, p. 122).
53Dans un extrait de son poème sur les forges de Vandœuvre, à l’est de Troyes, Nicolas Bourbon (Bourbon, 1837, pp. 137-148) présente l’activité de lavage. Il observe que le minerai doit subir, dans certains cas, un étonnage pour être fragmenté avant d’être lavé puis transporté vers le fourneau. (...) Enfin il faut faire subir à tout minerai l’opération accoutumée du lavage ; s’il est trop gros et trop mélangé on le place sur des charbons pour le faire cuire, puis, quand on l’a réduit en petits morceaux, on le lave dans un cours d’eau disposé à cet effet ; ensuite on le transporte au pied du fourneau à l’entrée.
54Biringuccio dans son célèbre traité (Biringuccio, 1540) souligne l’importance du tri des mines extraites pour ne retenir que les meilleures et attire l’attention sur la qualification des personnels chargés de ce travail. (...) Toutes les mines, encores quelles soyent parfaictes en leur quallité, doyvent estre cogneuës des practiciens estant experimentez, et ayans cognoissance des metaux, afin qu’en la preparation ils ayent pouvoir de separer les bonnes mines des mauvaises. Selon Biringuccio, les minerais doivent subir trois opérations : le décantage par lavage dans de larges coupes de bois, l’apport d’adjuvants de chimie naturelle, le recours à la fusion des minerais, le tout réalisé par des ouvriers expérimentés. L’auteur résume ici l’attention particulière portée sur ces traitements au milieu du XVIe siècle, et sans doute déjà bien avant cette période.
55Avec son contemporain Agricola (Agricola, 1556), le premier pour la péninsule Italienne et le second pour les régions germaniques, ce sont de véritables encyclopédistes, voyageurs, hommes de terrain et authentiques chroniqueurs, qui vérifient leurs connaissances théoriques sur les carreaux de mines, les bâtiments industriels, les installations hydrauliques... Leurs écrits apportent un éclairage exceptionnel sur les techniques utilisées à cette époque.
56Le grillage, pour fragmenter la mine, est également souligné par Biringuccio. (...) Mais quand par fortune, les chercheurs rencontrent les mines aigres et sauvages, ou pour les fondre, ou pour les essayer, ils les remettent deux ou trois fois au feu, et après les arrousent d’eau fort abondamment, les brisent et lavent pour les purger de la terre, avec laquelle on les à tirez (...).
57Dans son livre au chapitre II, il apporte aussi des précisions sur l’importance du lavage (...) Et à cela il leur sera facile de pouvoir attaindre, rompant ou taillant la pierre, et la despouillant de la terre, afin que la mine qu’on cherche ne soit abreuvée de l’odeur des autres qui pourraient estre contraires à sa nature. Et finablement est de besoing pour luy aider de la ietter dans la flamme du feu. Et puis l’avoir esteinte, lauée et nettoyée, le plus qu’il sera possible, la faudra accompagner des choses que vous cognoistrez luy estre plus nuisantes pour la faire, auquel vous la voulez employer ; pour ce que les mines sans les mettre en fonte, n’auroient non plus d’effet et vertu que pierres inutiles (...).
58Agricola confère surtout un support illustré aux indications de son contemporain. Au travers de nombreuses planches, il met en valeur des exemples de provinces germaniques, d’Europe Centrale ou de pays méditerranéen... Essentiel, son ouvrage de Re Metallica (Agricola, 1556) apporte une richesse encyclopédique et iconographique inégalée pour visualiser les dispositifs de lavage et les gestes des ouvriers. Dans son Livre VIII concernant la préparation mécanique des minerais polymétalliques, l’auteur expose ainsi plusieurs dizaines de systèmes de lavage et d’adduction d’eau. (fig. 8). C’est peut-être là ce qui fait l’importance de son apport à l’histoire des techniques. Car les supports en bois de ces installations multiformes ont le plus souvent disparu. L’iconographie encyclopédique occupe une place privilégiée dans cet ouvrage monumental ; l’auteur tient à illustrer très précisément le fonctionnement de ces ateliers et de ces machines. Les techniques représentées sont calquées sur des installations visitées au cours de nombreux voyages. Les dessins sont souvent accompagnés de symboles alphabétiques désignant les différentes composantes des ateliers et renvoyant aux explications du texte.
59Les représentations réalistes d’ateliers sont suffisamment rares pour ne pas citer le précieux manuscrit réalisé par Heinrich Gross : La rouge myne de Sainct Nicolas de la Croix. Vers 1530, ce peintre alsacien illustre avec une rare précision les différentes activités de la mine d’argent de la Croix aux Mines dans un recueil de dessins à l’encre noire et rehaussés à l’aquarelle. Cet ouvrage que Heinrich Gross exécuta sur une commande du Duc Antoine de Lorraine est conservé à l’École des Beaux Arts de Paris (Inventaire E.B.A. no M 11). Il comporte 25 feuillets dessinés recto verso. A l’exception de la première illustration, la maison de Kointz, dont la moitié droite manque, les dessins sont continus d’un feuillet à l’autre. Chaque image mesure en moyenne 31,7 cm de hauteur et 41,5 cm de largeur.
60L’intérêt de l’iconographie réalisée avec talent réside dans la représentation minutieuse des ateliers et des ouvriers au travail y compris à l’intérieur de la mine. La description des techniques de préparation mécanique des minerais frappe par son réalisme. Les fragments bruts de minerai et de gangue mêlés sont directement cassés à la masse par les rompeurs de mines. (fig. 9). Le minerai est séparé de la roche, puis lavé dans des cuves trouées. Les roches inutilisées sont évacuées à la brouette sur une décharge. Les schaideurs sont des ouvriers qui trient le minerai en le cassant sur une enclume. Les morceaux riches en minerai sont stockés à droite, les déchets sont emmenés vers la halde dans une brouette. Le minerai une fois trié, est broyé par les pilleurs dans les bocards : un ruisseau fait tourner une roue qui entraîne un système de pilons, barres verticales qui montent et retombent sur le minerai pour le réduire en morceaux plus petits. Un ouvrier, le passeur, tamise le produit obtenu dans une claie d’osier inclinée.
61Le minerai est lavé sur des planches à l’aide de râbles, sortes de raclettes à long manche. Les laveurs le remuent constamment jusqu’à ce que la terre soit éliminée, (fig. 10). Des personnages entretiennent les canalisations d’eau qui alimentent en permanence les différents ateliers. Les cloweresses (de clower : éplucher) sont toutes des femmes. Elles sélectionnent les meilleurs morceaux de minerai. Les missenaires sasseurs trient les parties riches de la poudre de minerai qui a été récupérée sur un tamis à mailles serrées appelé sas. Originaires de Meissen en Saxe, ces ouvriers sont réputés pour leurs compétences ; ils se reconnaissent à leur habit traditionnel. En dessinant les mineurs au travail, H. Gross livre une représentation très fidèle de l’organisation spatiale d’ateliers de lavage. Ces images sont d’un grand intérêt pour comprendre et identifier les traces encore visibles au sol des sites étudiés mais aussi pour appréhender la gestuelle des artisans ouvriers de l’époque. Canaux mais aussi bacs de lavage confectionnés en planches procèdent d’une organisation structurée où l’hydraulique joue un rôle prépondérant. Le recueil de la Rouge myne de Saint Nicolas est l’un des rares documents iconographiques complets qui nous est livré sur la totalité du processus d’enrichissement du minerai d’argent.
62Avec la Renaissance, le XVIe siècle voit se multiplier les mentions de lavage. (...) Le terme de lavé prend beaucoup d’importance, car moins le minerai est propre, plus il en faut pour cuire. Cela explique la multiplication des lavoirs dans les baux du XVIe siècle, en particulier lors de la création du site de Châteauvillain (Haute-Marne) (trois lavoirs sont prévus, un doit être rompu), et la juxtaposition de la création des lavoirs dans les amodiations de furtraite (ADCO, 13 H 7 1670 et AN 300 AP II461, 1527.
63Avec la parution des premiers traités encyclopédiques, comme l’ouvrage monumental d’Agricola : de Re Metallica ou encore le manuscrit d’Heinrich Gross, les connaissances sur les techniques de lavage des minerais se précisent, même si, là encore, est mise en avant la préparation des minerais comme l'or, l'argent, le cuivre, l'étain... L’iconographie féconde et de plus en plus détaillée tient une place de choix ce qui permet de mieux comprendre le fonctionnement des ateliers et d’en saisir l’organisation. Elle précise les aspects novateurs de certaines inventions, la pertinence de leurs applications à la minéralurgie en général.
Les ateliers de lavage aux XVIIe et XVIIIe siècles
64De nombreux auteurs : Löhneyss (1617), Monnet (1773), Jars (1774), de Dietrich (1786), Dolomieu (1797), Lefroy (1797), Duhamel (1789) marquent par leurs écrits sur la métallurgie les XVIIe et XVIIIe siècles. Grands voyageurs, humanistes pour la plupart, ils vont puiser leurs sources directement sur les sites, en particulier à l’étranger en Angleterre, en Hongrie, en Suède, en Norvège, en Ecosse et surtout dans les provinces germaniques.
65À cette époque, les filons des massifs hercyniens d’Europe Centrale font l’objet d’une intense exploitation minière. Les provinces germaniques : Alpes autrichiennes (Schwaz), Saxe, Bohême, Harz (Allemagne Centrale) concentrent d’importants districts miniers, véritables pôles économiques et centres d’innovations. La fin de la Guerre de Trente Ans marque en Europe la reprise de nombreux gisements. La majeure partie des auteurs s’inspire alors d’une technologie germanique très en avance et prépondérante surtout dans les domaines de la préparation des minerais polymétalliques.
66L’époque moderne voit ainsi la multiplication des descriptions de processus ou de machines. Les aménagements hydrauliques nécessaires à l’alimentation d’ateliers de plus en plus nombreux sont largement cités. Le bocard, répandu au XVIe siècle, se perfectionne et s’utilise en série ou associé à d’autres machines.
67Dans l’usine d’Orval (Luxembourg) les ateliers présentent leur forme définitive en 1691 : (...) Trois ruisseaux et plusieurs étangs concentraient ainsi leurs eaux vers l’étang principal. Ils actionnaient également deux bocards à quatre montants d’un côté, et un autre bocard vers l’ouest. (...) Ce minerai dit “de prairie’’ était commun partout (...) (Grégoire, 1991, pp. 132-134). C’est à cette époque qu’apparaît le patouillet dont l’utilisation se généralisera au XIXe siècle pour le lavage des minerais de fer pisolithique. Antoine Grimoald Monnet en présente une description détaillée, rehaussée par un dessin ; il s’agit d’un patouillet à roue horizontale, certainement l’ancêtre du patouillet à roue verticale (fig. 11). Sa monographie est, pour l’instant, la première mention de cette machine dans les textes. Cette dernière était utilisée en Hesse à Frankemberg.
68(...) Nous terminerons cet ouvrage par la description d’une machine curieuse, ou espèce de patouillard, dont on se sert à Frankemberg en Hesse pour laver la mine. Comme elle peut servir pour d’autres espèces de mines que celle à laquelle elle semble être destinée, nous croyons devoir la présenter ici. Elle consiste en une grande cuve, large, dans laquelle tourne une croix dentée, au moyen d’une lanterne qui s’engrène aux dents d’une roue mue par une grande roue à auget. Cette machine exige (...) un bas et un haut, à peu près comme nos moulins. La roue à auget à dix-huit pieds de haut, et la roue d’engrange neuf. Cette dernière est pourvue de soixante et douze dents : la lanterne a un pied et demi de haut et douze liteaux pour l’engrenage : la cuve a douze pieds de largeur, sur trois à quatre pieds de hauteur ; elle est bien cerclée et bien appropriée, de manière que l’eau n’en sorte pas. L’axe de la lanterne se prolonge jusque dans la cuve. Cette extrémité prend la croix qui y est assujettie sur un support en (e), au moyen d’une forte virole à écrou. Les dents de cette croix, qui doivent être faites en fer, doivent être assez longues pour aller jusqu’au fond de la cuve. On conçoit que la mine friable jetée dans cette cuve, doit être brisée et écrasée par ces dents. Mais comme on n’est pas toujours dans le cas de faire aller cette machine avec la même quantité de mine, on dispose les choses de telle manière, qu’on puisse élever et baisser cette croix à volonté. C’est au moyen de la pièce de bois (d) sur laquelle porte l’axe de cette lanterne par en bas. Cette pièce va, dans un sens un peu oblique, se joindre de l’autre côté à une autre pièce : mais celle sur laquelle elle porte en (f) est mobile par un côté ; en sorte qu’au moyen d’une chaîne de fer (h) qui s’attache à cette pièce, on baisse ou on lève la lanterne et la croix, en faisant agir le levier (i), muni de deux grands poids. On se sert d’une trémie (q) qu’on appuie sur la cuve pour y faire passer la mine. Cette trémie, qui est considérablement grande, est entretenue, c’est-à-dire, garnie de mine par un ouvrier, tandis qu’un autre gouverne la quantité qui doit en entrer dans la cuve ; c’est au moyen d’un gros tampon (s) à queue, avec lequel l’ouvrier bouche ou débouche l’ouverture par où les mines s’éboulent dans la cuve. L’eau est amenée dans cette cuve du canal (r) par un tuyau (m). Cette cuve a deux sorties pour les eaux, une en (p), par où ce qu’il y a de plus léger, c’est-à-dire les terres non métalliques, est entraîné ; l’autre ouverture (o), placée sur le fond de la cuve, sert à décharger les parties de mines qu’entraîne l’eau : cette ouverture se ferme et ne s’ouvre que lorsque les parties de mines sont dépouillées de leur terre superflue ; ce que l’on connaît lorsque l’eau qui sort par l’ouverture supérieure n’est plus trouble : alors on débouche cette ouverture et la mine est entraînée dans un fossé (n), d’où ensuite elle est enlevée pour être triée. On conçoit qu’il est nécessaire que cette cuve ait un peu de pente vers le côté de cette ouverture, afin d’aider à la sortie des parties métalliques. Quoique les mines qui ont donné occasion à l’établissement de cette machine soient des espèces de schiste cuivreux, friables, dans lesquels on démêle différentes parties et qu’on sépare par ce moyen, il est aisé de voir néanmoins que cette machine peut être employée pour laver d’autres mines friables et surtout nos mines de fer en grains. (...) (Monnet, 1773).
69Le patouillet est plébiscité par les maîtres de forges en charges d’exploitation de mines et de minières de fer dans l’Est de la France. Le minerai de fer pisolithique est soigneusement lavé suivant un processus et des machines bien rodées.
70De Dietrich profite de sa visite à Roppe (Territoire de Belfort aujourd’hui) pour effectuer la première description d’un patouillet à roue verticale destiné au lavage du minerai de fer. Il participe ainsi à la diffusion de cette innovation majeure pour le traitement des minerais de fer au moment où les hauts fourneaux rivalisent de capacité et de puissance.
71(...) Les fermiers de Belfort ont rétabli, près des mines de Roppe, un étang, au moyen duquel ils lavent leur terre à mine avec un patouillet mu par une roue à augets, et dont l’arbre est armé dans toute sa circonférence, et sur une partie de sa longueur, de barres de fer saillantes d’environ dix-huit à vingt pouces. Une rigole de bois, assez forte, introduit l’eau dans un caisson, au milieu duquel l’arbre tourne. Cet arbre entre dans le caisson par une entaille, qui laisse en même temps une issue à l’eau.
72Celle-ci, chargée de la terre que détache le patouillet, tombe dans un conduit de bois, qui la dirige vers un petit canal fait en terre, d’où elle va se rendre, dans une ancienne fouille en carrière, pour y déposer son limon ; de cette manière elle ne souille pas les prés, et ce dépôt comble successivement les vieux travaux. Lorsque le patouillet a suffisamment détaché la terre, on rebouche un trou fait au bas et au-devant du caisson. La mine, qui a subi l’action du patouillet, tombe par ce trou dans la caisse inférieure, où elle reçoit un nouveau lavage ; et de là elle est portée dans les tamis, où elle est lavée pour une dernière fois. L’eau du caisson inférieur est également conduite par un fossé dans le même ancien travail, d’où ces eaux ne sortent que lorsqu’elles débordent ; mais alors elles sont limpides et ont déposé tout leur limon martial, de manière qu’elles ne peuvent plus nuire aux terrains. En revanche le Baron de Dietrich ne présente aucune figure illustrant cette description (de Dietrich, 1789, pp. 45-47).
73L’iconographie de plus en plus précise et soignée met en relief les méthodes de lavage des minerais de fer dans le célèbre traité de Bouchu et Courtivron (Courtivron et Bouchu, 1761-1762). Les illustrations en noir et blanc, accompagnées de textes, présentent le fonctionnement d’un patouillet à roue en soulignant les étapes successives pour un lavage efficace. Elles montrent de manière inédite la gestuelle des ouvriers spécialisés dans le lavage, l’organisation et l’environnement sur ces ateliers de même que le petit outillage utilisé. L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (Diderot et d'Alembert, 1777), loin d’être exhaustive sur l’ensemble des techniques minières, expose un certain nombre de machines et techniques en usage pour traiter les minerais d’altération : le patouillet à roue hydraulique, les lavoirs à bras installés en batterie le long d’un cours d’eau, le bocard et l’égrappoir sont parfaitement décrits et représentés en état de marche ou en éclaté avec différents ustensiles. L’ensemble des dessins est richement soutenu par un texte qui permet au lecteur de mieux se représenter ces installations.
74En 1757, Robert, maître de forge à Ruffecq dans l’Angoumois, met au point un lavoir économique établi à la forge de Ruffecq, Verrieres et Champlorieres, révolutionnaire pour l’époque et qui porte son nom (Robert, 1757). Dans son mémoire, il expose son fonctionnement. Son travail sera couronné par l’Académie de Besançon, (fig. 12). (...) Dans les forges à fer on lave la mine ou dans une roue foncée en tout sens de planches percées, dans laquelle il y a quelques barres de fer, et qu’une eau courante fait tourner, ou en la remuant avec un râble de fer dans un lavoir creusé en terre et foncé de planches, au travers duquel passe un petit ruisseau, ou enfin en la mettant dans des chaudrons percés qu’on remue par secousses dans une eau courante.
75Nota. Pour contribuer à la pureté de la fonte et faciliter la fusion des mines, il est essentiel de faire casser au moins celle dont la grosseur est au-dessus d’un petit œuf de pigeon ; et il faut les laver avant et après quelles sont cassées ; avant, afin de développer le grain de sa terre grasse que les coups de marteaux confondraient avec les particules de fer, d’où il serait presque impossible de les retirer ; après, afin de purifier la mine de la terre qui se trouve ordinairement dans l’intérieur des gros grains. Je ne parle point ici de la façon dépurer la mine, en la grillant au feu : elle est trop opposée à l’économie des matières combustibles, qui est l’objet actuel de mes recherches, pour ne la pas rejeter.
76Ce lavoir est posé dans un bassin foncé de bois, qui a un écoulement pour évacuer l’eau sale les sables et terres grasses qui passent au travers de la fonçure du lavoir (...). A chaque lavoir il y a un homme qui, armé d’un râble de fer percé de huit trous, remue la mine à force de bras, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que le grain ; et il n’y a point de terre qui ne cède au frottement du fer contre le fer ; ces deux hommes avec deux couleurs, donnent tous les jours plus de mine propre, que trois chaudrons percés qui occuperaient cinq manœuvres.
77Nota. L’eau qui vient par le canal (...), entre dam le premier lavoir, par-dessus la planche (...) ce qui favorise le frottement de la mine, que l’eau courante change plus souvent de place, que si elle y entrait par cascade ».
78A la page 24, de son mémoire, il décrit un deuxième lavoir ; (...) Le second lavoir en effet est enterré, foncé de bois ; on y retient l’eau avec une petite pelle ; l’ouvrier par conséquent y lave à tâtons : quand on lève cette pelle, pour évacuer l’eau bourbeuse, elle entraîne avec elle quantité de mines, et il en reste toujours de mal propre. Mon lavoir est supporté en l’air, à portée de l’ouvrier ; il est foncé de feuilles de fer percées : l’eau a une force directe en sortant du canal ; elle s’échappe, ou par les trous des feuilles de fer, ou à la faveur de l’entaille des planches de séparation. Dans ce lavoir, l’ouvrier se trouve maître de porter ses forces où elles sont nécessaires en voyant d’un moment à l’autre la matière qui les occupe. La roue verticale, mue par un courant d’eau, mériterait sans doute la préférence, mais elle présente des inconvénients inévitables : on ne peut en construire une dont le frottement intérieur change sans cesse de place les pelotes de mine qui s’attacheraient nécessairement sur les parties en bois de la machine ; les petits trous, faits pour l’entrée et la sortie de l’eau, seront fermés pour la plupart par les terres grasses, qui, dans leur adhésion, n’auront plus qu’un mouvement commun avec la roue. Si on n’avait à laver que des mines sablonneuses, la machine serait excellente ; elle opérerait plus vite, et à moins de frais : mais les mines grasses sont trop communes dans le royaume, pour adopter la roue verticale ; elles ont besoin d’être décrassées dans un lavoir gouverné par une puissance motrice, intelligente, qui sache désunir à propos les parties de mines collées les unes aux autres.
79Par mines grasses, Robert évoque les minerais pisolithiques intégrés dans une gangue argileuse plastique difficile à évacuer. C’est le cas des formations superficielles datées du Plio-Pleistocène des plateaux de Gy (Haute-Saône) et surtout des remplissages karstiques où la séparation des pisolithes constituait un réel casse-tête pour les laveurs de mine. L’auteur penche pour le mode manuel, différent du mode automatique représenté par le patouillet. En réalité le mode opératoire pouvait ne pas dissocier les deux mécanismes. Associés souvent au patouillet, les lavoirs à bras permettaient de dégrossir une première charge de boue en opérant directement et de manière sélective sur les éléments indésirables avant de procéder au rinçage.
80On assiste en fait au développement des machines hydrauliques parallèlement ou en association avec les installations manuelles. L’accroissement des volumes à laver sur un même cours d’eau poussera ainsi les maîtres de forges à concilier les différentes techniques non sans faire usage de toutes les astuces et calculs pour optimiser les résultats.
81Les XVIIe et XVIIIe siècles voient donc apparaître de nouvelles machines de lavage comme le patouillet avec le développement de l’énergie hydraulique. Ainsi, en 1775, M. Grignon, maître de forge et correspondant de l’Académie Royale des Sciences expose un système complexe mixte composé d’un patouillet et d’un bocard installé sur le cours d’une rivière. Un chapitre complet traite de nombreuses observations sur la conduite d’un bocard et sur les problèmes liés au criblage (Grignon, 1775, pp. 149-164).
82Les Cahiers de Doléances permettent d’appréhender les nuisances causées par la sidérurgie, en particulier la destruction des forêts, le bouleversement du sol des forêts occasionné lors de l’extraction des minerais et plus encore sur la pollution des eaux des rivières causée par les boues résultant du lavage des terres à mines.
83Le développement du procédé indirect avec les hauts fourneaux et l’industrialisation de la métallurgie favorisent la multiplication des traités de sidérurgie. En 1773, Antoine Grimoald Monnet imprime le Traité d’exploitation des mines rédigé en grande partie d’après l’ouvrage publié en 1769 par le Conseil des Mines de Freiberg (Allemagne). Cet ouvrage constitue le premier traité écrit en français sur le thème des mines. Il publie en 1779 un nouveau système de minéralogie, puis en 1780 les premières parties de son Atlas minéralogique de la France qui sera achevé en 1790. L’année 1783 est marquée par un arrêt du Conseil du roi portant création de l’École des Mines. Necker, ministre des finances de Louis XVI désigne Frédéric de Dietrich comme coordinateur du Service des Mines et Usines du Royaume. En 1786, sa Description des gîtes de minerais, des forges et des salines des Pyrénées en deux volumes est le début d’un ouvrage monumental qui devait embrasser toute la France. Il est fait référence aux procédés d’enrichissement des minerais. Cet ouvrage restera malheureusement inachevé.
84La Révolution française marque la naissance du premier numéro du Journal des Mines en 1795. (...) Les produits qu’obtient l’Art des Mines sont loin d’égaler, en France, ceux de l’agriculture... Il est temps que le Génie de la Liberté mette en œuvre les trésors que la nature a tenus pour lui en réserve. A sa voix, le salpêtre est sorti de nos souterrains. Cette voix puissante va retentir jusque dans les entrailles de la terre ; les Républicains y trouveront ce que la politique des autres peuples leur refuse (Charles Coquebert). Charles Coquebert, animateur du Journal des Mines, consacre ses premières pages à un programme ambitieux visant non seulement à la description minéralogique de la France mais aussi à la description historique des mines. Il réserve son éditorial au fer et à la houille indispensables à la défense nationale. (...) Une partie du Journal retracera l’histoire des exploitations. Elle servira à faire connaître à nos descendants l’époque et les circonstances de l’ouverture et de l’abandon des fouilles et des mines. La revue devient un tremplin incontournable qui centralise les innovations. Les inventions font l’objet de publications mais aussi d’expérimentations annotées et validées. Les voyages des ingénieurs des Mines dans toute l’Europe recueillent systématiquement les informations techniques, rapportant et publiant de manière exhaustive schémas et commentaires sur les machines utilisées tant en souterrain que sur les carreaux des mines. Les descriptions d’ateliers de préparation mécanique vont se multiplier. La minéralurgie acquiert son droit de cité au côté de la minéralogie et de la transformation des métaux. Ce phénomène s’amplifiera tout au long de la période suivante au XIXe siècle.
Les ateliers de lavage au XIXe siècle
85L’âge industriel voit l’apparition et la multiplication de traités miniers rédigés par des ingénieurs des Mines qui vivent passionnément leur métier au contact du terrain. En 1815, le Journal des Mines change d’appellation et prend le titre d’Annales des Mines. Soucieux d’améliorer les techniques mises en œuvre, de nombreux ingénieurs proposeront leurs inventions à l’épreuve du terrain, avant d’en signer parfois les brevets ou des articles dans les Annales des Mines et parfois même directement à travers les prescriptions rédigées à l’attention des maîtres de forges ou propriétaires de mines, de lavoirs ou d’usines à fer.
86En 1839, l’ingénieur Hennezel (Hennezel, 1839, pp. 85-90) présente une note, dans les Annales, qui expose les techniques utilisées pour laver les minerais de fer en Meuse et dans les Ardennes. Il publie notamment des statistiques économiques sur le prix de revient des ateliers de lavage. Ce dossier est assorti d’une planche détaillée décrivant un bocard et un patouillet associés. Les études de Hennezel sont très largement reprises dans le Dictionnaire des Arts et Manufactures et de l’Agriculture (Laboulaye, 1874).
87L’inspecteur divisionnaire au Corps impérial des Mines, (Hassenfratz, 1812, pp. 148-177, tome I) consacre la troisième partie de son ouvrage aux préparations que l’on fait subir aux minerais de fer. Les différentes formes de grillage des minerais occupent une partie importante de son étude.
88Parrot (Parrot, 1830, pp. 33-68), dans son article sur l’épuration des eaux chargées de boues de lavage, rapporte le témoignage d’observations réalisées sur le terrain, mais y ajoute son analyse et ses propres considérations. Avec deux autres de ses collègues, Flachat (Flachat, Barrault, Petet, 1842, pp. 986-997) rédige un traité sur la fabrication de la fonte et du fer en plusieurs parties. Il consacre six pages à la préparation mécanique en intégrant l’épuration des eaux de lavage et propose un schéma d’installation type utilisant les dispositions naturelles des thalwegs.
89En Allemagne, Karsten (1824), conseiller supérieur des mines de Prusse, édite son manuel de la métallurgie du fer, un ouvrage très complet intégrant la préparation mécanique. Cet ouvrage sera traduit en français en 1830 par J. F. Culmann. Il insiste tout particulièrement sur le grillage des minerais (Karsten, 1830,2e section, pp. 312-317).
90Drouot (1841), dans un article paru dans les Annales des Mines, décrit les lavoirs à bras disposés à proximité des mines et minières d’Avesnes ainsi que les techniques utilisées pour enrichir le minerai d’altération. Avec Voltz, ingénieur des Mines, il a étudié plus particulièrement la préparation mécanique du minerai en roche ou minerai oolithique lors de son affectation dans le département de la Moselle. Les ingénieurs vont également permettre une meilleure connaissance de la géologie des gîtes minéraux et de leur répartition régionale. C’est l’époque, où sont publiées de nombreuses statistiques géologiques et minéralogiques départementales. Thirria (1833) géologue et ingénieur des Mines dans l’Est de la France, édite ainsi une première carte géologique et minéralogique pour la Haute-Saône assortie d’un ouvrage incontournable à l’époque pour l’étude des gîtes de fer et polymétalliques. Pour le Jura c’est au tour de Résal (1864) de présenter ses travaux de synthèse.
91Tous ces études pourraient être aujourd’hui obsolètes, si elles ne contenaient pas de précieux renseignements sur les modes d’exploitations en vigueur et sur les techniques de préparation mécanique utilisées çà et là sur le carreau des mines visitées. Thirria (1836) travaille de surcroît sur la connaissance des minerais d’altération, ceux-là même qui font l’objet de cette étude en définissant leur répartition géographique et leur origine géologique. Ses articles dépassent la simple description pour analyser, voire suggérer les dispositifs les mieux adaptées au traitement de ces minerais.
92Le XIXe siècle et le début du XXe siècle voient apparaître de volumineux traités miniers. Le traité de Haton de la Goupillière (Haton de la Goupillière, 1885, pp. 675-676) en plusieurs volumes fait figure de référence. Plus qu’un traité, l’ouvrage présente une énumération systématique de toutes les machines et techniques nécessaires à l’exploitation minière. Si les explications sont synthétiques, elles ont le mérite de passer en revue l’essentiel de tout ce qui prévalait à l’époque pour mener à bien l’extraction minière. Les mines sont en pleine expansion en Europe. Les innovations traversent la plupart des exploitations. Roux-Brahic publie ainsi un important traité concernant la description de machines destinées à équiper les ateliers de préparation mécanique. Le patouillet fait partie de ces machines qui équiperont nombre de sites miniers dans la France de l'Est (Roux-Brahic, 1922). En 1901, est traduit l’ouvrage monumental de C. Schnabel (1907), conseiller supérieur des mines à Berlin et professeur de métallurgie et de chimie à l’Académie des mines de Clausthal (Harz) : Traité théorique et pratique de métallurgie pour le cuivre, le plomb, l’argent et l’or, en trois volumes abondamment illustrés, qui rapproche la métallurgie des minerais polymétalliques de leur traitement mécanique.
93La loi de 1810 et les décrets d’application favoriseront la généralisation de volumineuses études d’impacts, conséquence de la réglementation minière sur ces installations.
94Les rapports d’ingénieurs des Mines font une description minutieuse de ces machines et des aménagements qui les accompagnent. Le fer fait l’objet d’études ponctuelles, comme, chez Elie de Beaumont (de Beaumont, 1822, pp. 521-554), Frissard (1859), et Marrot (Marrot, 1828, pp. 301-326). Une intéressante description d’un patouillet bourguignon se trouve ainsi exposée dans le journal de voyage de l’étudiant Loupot (1834) à Bèze (Côte-d’Or).
951810 voit aussi à la création du Conseil des Mines et d’un texte de loi favorisant la mise en place de concessions minières mais aussi des installations liées à la minéralurgie. De véritables et volumineuses études d’impact vont être élaborées par les ingénieurs des Mines en préalable à l’installation de lavoirs ou de patouillets. Ces documents constituent une source précieuse de connaissance. Les années 1820-1850 marquent le développement en France des cartes géologiques régionales et départementales dont certaines sont publiées dans les Annales. En 1897, paraît l’ouvrage d’Ardaillon, membre de l’Ecole française d’Athènes, sur les mines du Laurion en Grèce ; il y présente de manière détaillée le fonctionnement les laveries antiques, s’appuyant sur les théories en vigueur de ses contemporains.
96Parmi les travaux de synthèse des sources écrites concernant la préparation mécanique des minerais des XVIIIe et XIXe siècles figurent les recherches entreprises par les historiens britanniques. L’ouvrage de Roger Burt (1982) fait référence en la matière. Il apporte un inventaire exhaustif des machines et techniques citées dans les ouvrages de cette époque et concerne aussi les métaux non-ferreux.
97Le XIXe siècle voit donc la multiplication des traités de minéralurgie et des publications concernant les techniques de minéralurgie. La préparation mécanique s’affirme progressivement dans le domaine des techniques. Les archives sont plus nombreuses et plus détaillées. Pourtant, si les machines et les installations sont décrites de manière générale, bien peu d’informations renseignent sur la réalité de ces implantations et sur la cohabitation de techniques concurrentes.
Les apports de l'archéologie
98Les sites de préparation mécanique qui ont fait l’objet de fouilles archéologiques sont rares. Plus rares encore sont ceux qui concernent le fer. La recherche s’est focalisée sur les ateliers de traitement des minerais complexes, parfois étudiés de manière fortuite à l’occasion de la réouverture de mines anciennes. Néanmoins l’apport de l’archéologie dans ce domaine permet d’établir des comparaisons non dénuées d’intérêt. C’est la raison pour laquelle, il nous paraît important de citer de manière chronologique les principales recherches menées dans ce domaine et illustrées par les travaux réalisés en France et en Europe occidentale.
Protohistoire
99Les fouilles réalisées dans les mines de cuivre (IVe millénaire Cal. BC) de Monte Loreto (Ligurie, nord-ouest de l’Italie) ont mis au jour une succession d’amas de déblais miniers calibrés constitués de substrat et de gangue dans lesquels on retrouve des fragments de marteaux brisés ou usagés (Maggi, 2005, pp. 281-286). D’autres amas interstratifiés contenaient un matériel plus fin et sont probablement le résultat d’un enrichissement par lavage du minerai ; datés au 04 du Chalcolithique, ils ont révélé la présence de sols temporaires constitués d’une matrice compacte de minerai, utilisés comme aire de broyage et de tamisage. A proximité du lit de la rivière proche, des citernes de formes quadrangulaires taillées dans la roche ont été découvertes.
100Des structures de traitement de minerai de cuivre datées du Chalcolithique ont été mises au jour à Roque-Fenestre (Cabrières-Hérault). Plusieurs fosses creusées dans le schiste ont dans un premier temps servi de bassins de lavage du minerai. Parmi les outils découverts figurent des maillets et des pierres à cupules (Ambert, Barge, Bourhis et Espérou, 1984, pp. 83-88).
101Une partie du macro-outillage de la Capitelle du Broum (Péret, Hérault), galets à cupules, maillets, datée du Néolithique final, était sans doute liée à l’activité minière du district de Cabrières. Certains percuteurs ont pu servir au broyage du minerai (Cert, 2005, pp. 109-115).
102La démarche des mineurs a pu être reconstituée à partir de l’étude du site minier cuprifère à Saint-Véran (Hautes-Alpes) fouillé par H. Barge (Barge, 1997, pp 101-102). Les mineurs pratiquaient dans un premier temps le concassage et le broyage du minerai et des scories de cuivre. Les éléments qui permettent d’avancer cette interprétation sont la présence d’un bloc de serpentine à proximité d’une nappe de sables verts oxydés, d’un mortier, de nombreux fragments de broyeurs et de pierres à cupules. Ce bloc était placé dans une cuvette creusée dans le substrat, mesurant entre 1,20 et 1,30 m de diamètre sur environ 0,25 m de profondeur. Appuyé contre le bord nord de la cuvette et calé par de petites plaquettes de pierre, il était incliné vers le sud-est en direction d’une canalisation creusée dans le substrat menant directement au petit ruisseau coulant à proximité immédiate du site. Le remplissage de cette cuvette était constitué d’un sédiment fin limoneux de couleur grise contenant quelques scories.
103A la mine d’or de Gros Gallet (Haute-Vienne), site fouillé par B. Cauuet, l’organisation de l’espace a pu être précisée. Dans les déblais miniers datant de La Tène ancienne et moyenne, ont été retrouvés des mortiers, des pilons, des tables de broyages, des broyons façonnés à partir de blocs de granite ou de gneiss et de galets de rivière. Dans la mine d’or des Fouilloux (Dordogne), s’ajoutaient des meules rotatives en granite. Plusieurs aires de grillage du minerai ont été également repérées à proximité. Des unités de lavage sont présentes sur le site de Gros Gallet (Haute-Vienne). Sur ces aires, aménagées à proximité immédiate des fosses d’extraction, ont été retrouvés de petits puits utilisés pour le stockage de l’eau et des tranchées creusées dans le sol en plan incliné qui aboutissaient à de petits réservoirs peu profonds (Cauuet, 1994).
104La fouille de la mine d’or du Puy des Angles en Corrèze dans le cadre d’une opération d’archéologie préventive a permis de mettre au jour un réseau de canaux et de cuvettes destinés à obtenir une concentration d’or par granulométrie (Toledo et Mur, 2002-2003, pp. 171-209).
105Paul Craddock note que dans les mines de cuivre d’Irlande et du Pays de Galles, certains marteaux de pierre utilisés lors de l’extraction présentaient des marques évidentes de concassage et auraient servi d’enclumes (Craddock, 1993, pp. 305-328).
106La fouille d’un atelier de préparation mécanique à proximité de la mine de cuivre de Campolungo (Bienno – Italie) a livré des pierres de concassage et des broyons en quartz ; ils accompagnent des vestiges d’occupation datés de l’Age du fer. Le lit du torrent proche de la berge semble avoir été retaillé et aménagé en contrebas de la halde du site pour laver le minerai (Morin, Tizzoni, Ancel, Kammenthaler, Oppizzi, 1998, pp. 163-183).
107Les éléments en bois d’un atelier de lavage du minerai d’or découvert à Modlesovice en Bohême du sud en 1940, publié en 1977 (Kudrnàc, 1977) sont cités dans un catalogue d’exposition de 1991 consacré à l’or des Helvètes. C’est un des rares exemples anciens de table de lavage en bois connu à ce jour et qui a permis une reconstitution. La datation de cet ensemble n’est pas confirmée et incite toutefois à la prudence (Müller et Furger, 1991, pp. 79-84).
108Un atelier de concassage – broyage du minerai d’étain a été mis au jour en 2001 sur le site de Poldark Mine en Cornouailles (Royaume-Uni). Un affleurement granitique était utilisé comme espace de préparation mécanique ; il porte la marque de 17 dépressions circulaires ou ovalaires creusées à même la roche et utilisées comme mortiers (fig. 13). Les datations (Cl4) de ce site s’échelonnent de 1800 BC à 1000 AD. Le site est actuellement classé au titre du patrimoine archéologique national (Cornish mining world héritage site).
109Les enseignements que nous livrent les fouilles de sites protohistoriques restent fragmentaires. Néanmoins, les installations de concassage sont pratiquement toutes situées à proximité immédiate des lieux d’extraction. Tri, concassage, broyage et lavage se pratiquaient dès la sortie de la mine sur des aires particulières et aménagées.
Antiquité
110Les mines d’argent du Laurion en Grèce constituent un modèle d’installation et d’organisation. Les études entreprises sur ces sites de préparation de minerai complexe ont fait l’objet de plusieurs monographies dont une synthèse est présentée dans l’ouvrage d’Ardaillon (Ardaillon, 1897) et de Conophagos (Conophagos, 1980). Sans revenir sur le détail des dispositifs mis en œuvre, les fouilles ont révélé un système de bâtiments parfaitement ordonnés autour de citernes. Les installations qui sont situées au cœur d’un impressionnant district minier traitaient les minerais de plusieurs centaines de chantiers. (...) Un criblage permettait d’abord de calibrer les minerais en deux catégories au moins, afin de les traiter dans des installations différentes ou successivement. Cette opération effectuée, le minerai était étalé sur l’aire inclinée. Sous l’action de l’eau provenant du réservoir, le stérile et les fines étaient entraînés dans le caniveau, tandis que les plus grosses particules de minerai demeuraient sur l’aire d’où elles étaient enlevées et déposées sur la plate-forme. Une deuxième opération s’effectuait dans le caniveau où le courant était moins rapide que sur l’aire inclinée, son action était plus lente mais aussi plus durable ; une partie du minerai s’arrêtait dans sa course avant le stérile ; le premier bassin permettait de retenir le reste du minerai et les plus grosses particules de stérile ; le second retenait les autres. Le contenu du premier bassin était sans doute traité à nouveau. Ardaillon pensait que, pour recueillir le minerai déposé dans le caniveau, il était nécessaire d’assécher la laverie (Ardaillon, 1897).
111Les laveries se présentaient aussi sous d’autres formes. C’est le cas des laverie hélicoïdales (fig. 13a et 13b) :
112(...) L’appareil était construit en blocs calcaires de 0,70 à 0,80 m de hauteur, disposés en un cercle de 6,15 m de diamètre. Dans ces blocs, un sluice en faible pente était ménagé, sous la forme d’une rigole de 0,25 m de largeur et de 0,12 de profondeur. Le fond de ce sluice était formé d’alvéoles successifs, de 2,70 à 3 cm de profondeur. Le minerai, plus lourd, se déposait dans les premiers, les mixtes puis le stérile dans les suivants et l’eau sortait à la fin à peu près pure ; en raison de la disposition circulaire de l’appareil, l’eau pouvait être aisément recyclée. (Mussche et Conophagos, 1973, pp. 62-66).
113Certaines de ces laveries étaient en activité à proximité immédiate des sites d’extraction dans des zones alimentées en eau par des systèmes de retenues construits dans les thalwegs (Zones Spitharopoussi – Mission Perséphone Morin-Hamon 2005).
114L’Antiquité impressionne par le foisonnement et l’organisation même des ateliers de préparation mécanique. Le Laurion constitue dans ce domaine un véritable modèle ; les laveries sont disposées en batteries ou concentrées dans des espaces entièrement spécialisés. Ce qui frappe le plus, c’est l’importance des vestiges encore existants et leur conservation qui évoquent davantage une forme quasi industrielle du traitement. Le génie grec a conçu de véritables usines de lavage, en planifiant de manière systématique la gestion des flux.
115Le concassage semble répandu sur la plupart des sites de type filonien. A Barbantes (Orense, Portugal) d’énormes galets, probablement animés par un balancier, devaient écraser le quartz aurifère sur une cavité creusée dans le granite (Domergue, 1970, pp. 255-286). Une plate-forme aménagée a révélé la présence de canaux, de bassins, et de cavités creusés à même le rocher. Ces vestiges sont interprétés comme les composants d’une installation de lavage dont l’origine du minerai reste à préciser (Domergue, 1990, pp. 502-503).
116L’existence de bocards hydrauliques semble attestée dès le Haut Empire. A Très Minas et sur le site de Jales au Portugal, ont été découverts plusieurs centaines de blocs de granite de dimensions standard portant des cavités alignées (quatre en moyenne) régulièrement disposées sur différentes faces. Ces blocs offrent une similitude quasi parfaite avec ceux qui jalonnent les ateliers de bocardage hydraulique dans le Devon (Royaume Uni) datés de l’époque médiévale (fig. 14b). De telles enclumes sont également connues dans les mines d’or d’Espagne comme à Lagos de Silva et au Pays de Galles dans les mines de Dolaucothy (Orejas, 2003). Ces bocards actionnés par l’énergie hydraulique, similaires à ceux décrits par Agricola dans son ouvrage De Re Metallica, paraissent avoir été utilisés plus largement dans les mines du monde romain en particulier dans les mines en roche (Domergue, 2008, pp. 144 – 145).
117Dans le domaine de l’outillage, des pièces de bois évidées ont été trouvées dans plusieurs sites miniers en Espagne ; il pourrait s’agir de batées.
118Les vestiges d’un complexe de lavage ont été trouvés à Coto Fortuna (Murcie, Espagne) (Luzon, 1970, pp. 221-258).
119Cette installation, aujourd’hui disparue, décrite par F. Villasante et M. Gonzalez Simancas. Elle était composée de neuf bassins alignés l’un à la suite de l’autre et séparés par des intervalles de 0,50 m (Villasante, 1913, pp. 162-164). Un mur séparait le huitième bassin du neuvième ; un autre, apparemment postérieur à l’installation, chevauchait le premier. Les cuves étaient construites en maçonnerie. Profondes de 0,65 m à 0,75 m, elles étaient constituées de deux parties : une partie postérieure, de forme circulaire (diamètre 0,75 m) en haut, elliptique en bas (grand axe 0,50 m) ; une partie antérieure, de forme rectangulaire, moins large que la précédente et longue de 1,20 m à 1,30 m. Villasante suppose qu’une planche mobile séparait les deux parties. Le long des bassins courait un canal conservé sur 15 m de longueur, relié à la partie postérieure de chaque cuve par une dérivation à l’oblique. Selon Gonzalez Simancas, il y avait de l’autre côté un second canal de moindre facture. Canaux et cuves portaient un revêtement intérieur spécifique. Deux interprétations de cet ensemble ont été publiées. Selon J. M. Luzon (Luzon, 1970, pp. 237-257), l’eau qui coulait dans le premier canal était chargée de particules de minerai en suspension ; vu de la façon dont elle entrait dans les cuves et la forme de la partie postérieure, elle acquérait un mouvement giratoire – peut-être accentué par un ouvrier muni d’une gaffe – ce qui permettait aux particules les plus lourdes de se déposer au fond ; elles passaient alors dans la partie antérieure grâce à une rainure ouverte à la base de la planche. Selon J. Ramin (Ramin, 1977, p. 111), les cuves fonctionnaient séparément ; dans chacune d’elle était lavée une quantité donnée de minerai ; la cuve une fois pleine d’eau, l’opération pouvait commencer : le mélange d’eau et de minerai devait être agité en permanence à l’aide d’une gaffe. Après un certains temps, on enlevait l’eau et on écrémait le dépôt. J. Ramin suppose que la cloison qui séparait les deux parties de la cuve était constituée de planches mobiles que l’on pouvait enlever l’une après l’autre. On ôtait donc d’abord la planche la plus haute et on faisait glisser dans la partie antérieure du réservoir les stériles qui constituaient le haut du dépôt. On pouvait alors poursuivre l’opération dans la cuve, en agitant les sédiments ; en enlevant successivement une nouvelle planche, en évacuant un peu plus de stérile, et ainsi de suite jusqu’à ce que le produit final ait été jugé suffisamment concentré. Le fait que les cuves soient disposées en alignement n’implique pas qu’elles aient fonctionné en série. Chacune d’elles devait être indépendante (Simancas, 1905-1907 in Domergue, 1990, pp. 501-502) Pour des raisons d’économie d’eau, on les avait peut-être groupées les unes à côté des autres.
120S’agit-il d’un système ingénieux ou d’une évolution proto-industrielle ?
121Dans tous les cas ce dispositif devait permettre de multiplier les volumes d’eau et par là même les quantités de minerais à traiter. Ce dispositif régulé à partir de la maîtrise des écoulements est présent dans les sites de lavage des minerais de fer d’altération étudiés.
122La laverie de Cabezo Rajado, qui traitait les minerais de plomb et d’argent près de Carthagène (Murcie en Espagne) était composée de cinq cuves en plomb (diamètre 1 m – 0,75 m de profondeur) dont le fond était plat. Elles étaient alignées à 0,50 m de distance les unes des autres, maintenues en place par un ouvrage de maçonnerie et reliées par des chenaux en plomb. Chaque cuve pesait entre 310 et 331 livres. (Anonyme, 1866 in Domergue, 1990, pp. 501-502 avec des précisions données par Cl. Domergue à partir de son Catalogue des mines II, p. 384.)
Époque médiévale
123Dans les mines d’argent de Brandes en Oisans (Isère), le tri était directement exécuté au niveau des chantiers. Les blocs de gangue stériles étaient abandonnés, sous forme d’empilements constituant des murettes le long des parois des galeries.
124La fouille a livré de nombreux mortiers, simples pierres excavées en grès houiller, dans lesquels le minerai était concassé à l’aide de percuteurs. Les meules trouvées sur le site sont identiques aux meules des moulins à grains. Brandes possède plusieurs structures de lavage : ce sont des bassins placés soit à l’intérieur d’ateliers, soit à l’extérieur. Ces bassins étaient construits en pierres jointoyées à l’argile pour en assurer l’étanchéité. Ils pouvaient être alimentés en eau par des ouvertures pratiquées à la base du mur. Les conduites d’eau n’étaient pas matérialisées par des canalisations construites mais simplement creusées dans l’argile étanche du substrat. Des bassins de forme circulaire ont pu servir au tamisage. L’hétérogénéité de la gangue a parfois nécessité le recours à la décrépitation, opération mise en évidence par la présence de foyers. Sur le site de Brandes, le paysage est profondément marqué par la présence de haldes. (Bailly-Maître, 1994 pp. 23-27). Dans les mines de Melle (Deux-Sèvres) exploitées entre le début du VIIe siècle et l’extrême fin du Xe siècle, tri et concassage sont attestés à proximité de certains chantiers. Seize zones de concassage et de tri ont pu être repérées. (Tereygeol, 2001). Parmi le mobilier découvert dans les galeries figurent cinq tables de broyage taillées dans les stériles. Situé en limite de zone urbaine, ce site a révélé la présence de plusieurs fosses circulaires. Deux structures cohabitent et complètent le dispositif d’enrichissement : des fosses allongées et des fosses trapézoïdales dont certaines étaient reliées par un système d’adduction d’eau.
125Dans les mines de fer souterraines de Lus-la-Croix-Haute (Drôme) datées du début du XIIe siècle (Morin, 2001), le tri souterrain s’opérait directement à hauteur des chantiers. Les blocs de stériles étaient soigneusement muraillés le long des principaux axes de cheminement afin de contenir les déblais issus de l’abattage.
126Le Dartmoor (Devonshire, G.B.) constitue certainement le lieu où les recherches sur l’industrie minière ont été les plus anciennes et les plus actives et ce dès le XIXe siècle (Gerrard, 1994, pp. 173-198). L’industrie de l’étain a donné lieu à une intense activité extractive et métallurgique (Greeves, 1981a). L’extraction de l’étain à partir du lavage de dépôts sédimentaires (streamworks) s’effectuait à grande échelle depuis l’époque médiévale. Le principe consistait à séparer la cassitérite de son contexte sédimentaire : alluvial ou éluvial. Les vestiges de cette activité sont encore visibles dans le paysage de la lande : canaux d’alimentation, réservoirs et champs d’exploitation par lavage côtoient l’implantation de vestiges liés au concassage et à l’habitat des ouvriers.
127L’étain récupéré dans les installations de lavage et dans les mines en filon était transporté dans des ateliers de concassage. Les premiers bocards hydrauliques destinés à concasser la cassitérite sont attestés au début du XVe siècle. En Cornouailles, le plus ancien bocard est mentionné en 1402 à Pennenkos ; il est associé à un moulin destiné à broyer finement le minerai après concassage (Gerrard, 1986). Dans le Dartmoor, la plus ancienne référence remonte à 1504 (Ashburton Stamping Mill) (Greeves, 1981a). Les prospections ont permis de repérer une soixantaine de ces structures dans le Dartmoor dont certaines ont fait l’objet de relevés et de fouilles archéologiques (Newman, 1993, pp. 187-197).
128Il s’agit de bâtiments rectangulaires associés à une prise d’eau pour le fonctionnement de la roue hydraulique (fig. 14a). Sur le site de Gobett Tin Mill la présence de dalles de concassage (mortar stones) associée au bocard et de meules de broyage témoignent d’un dispositif complet de traitement du minerai (fig. 14b).
129L’époque médiévale reste méconnue, parce que les recherches dans cette période de l’histoire sont encore rares. Par ailleurs, les haldes ont été largement réexploitées aux époques ultérieures notamment à partir de la première moitié du XVIe siècle, détruisant nombre d’ateliers.
Périodes modernes et début de la période contemporaine
130Pour la période moderne, les fouilles de J. Grandemange sur le carreau de la mine d’argent du Samson, exploitée de 1542 à 1610, présentent une chaîne complète de bassins de lavage et de décantation alimentée par les eaux d’exhaure de la mine proche. La conservation des bois, l’abondance des vestiges constituent ici un cas relativement exceptionnel (Grandemange, 1994, pp. 80-87). C’est un système identique qui a été étudié sur le carreau de la mine de cuivre Saint Georges à Château-Lambert (Haute-Saône) par D. Morin et daté du XVIIe-XVIIIe siècle. Une succession d’ateliers alimentés par des flux d’exhaure régulés par un système d’exutoire procédait au traitement du minerai avant leur décantation. Les schlamms ont fait l’objet d’une analyse sédimentologique pour en préciser la composition et la genèse (Morin, 1992). Les haldes du carreau Saint Georges qui s’égrainent le long du versant de la Tête du Midi, depuis la source de la rivière l’Ognon, présentent des vestiges d’ateliers de préparation mécanique marqués au sol par une succession de dépressions ou de plates-formes de concassage étagées (fig. 15, 16 et 17). Il s’agit d’espaces circulaires ou subcirculaires associés parfois à des reliques de déblais plus ou moins calibrés.
131Parmi les sites de préparation mécanique étudiés, liés aux exploitations polymétalliques figurent en Alsace : la Petite Lièpvre (Neuenberg, Sainte-Marie-aux-Mines) où les fouilles ont mis en évidence la présence de structures de lavage (Bohly et Fluck, 1990, pp. 105-107). Il en est de même à Fertrupt (Altenberg, Sainte-Marie-aux-Mines).
132Dans chaque cas, les reliques de schlamms ou schlicks encore visibles ont permis d’identifier la fonction de ces structures (Fluck et Ancel, 1985).
133Il est intéressant de noter la présence de Waschalden ou champs d’épandage de résidus de lavage (cailloutis, limons argileux...) situés en fond de vallée. Ces formations qui constituent de véritables placages sédimentaires ont été mises en évidence lors de prospections géophysiques (Fluck, 1990, pp. 74-78).
134La laverie de minerai d’argent datée du XVIIIe siècle et fouillée à Pampailly (Rhône) par P. Benoît constitue déjà une petite usine (Benoit et Leclere, 1994, pp. 257-273) mesurant 20 m sur 13 m. La fouille a livré les vestiges d’un bocard actionné au moyen d’une roue hydraulique et les traces de tables de lavage. L’aire de lavage était contiguë à l’emplacement de trois martinets. Cet ensemble bâti préfigure les installations proto-industrielles qui accompagnent systématiquement les installations métallurgiques : fourneau, martinets, forges.
135Les exploitations de la Renaissance commencent à fournir des indications intéressantes. L’essor de l’archéologie minière dans l’Est de la France est sans conteste à l’origine d’explorations et de fouilles d’envergure mettant au jour des vestiges encore bien conservés. Ces recherches, ponctuelles, permettent parfois d’apporter des réponses essentielles à certaines interrogations comme l’approvisionnement en eau et l’organisation des différentes phases de traitement.
136La préparation mécanique du minerai de galène au XIXe siècle a fait l’objet d’une étude particulière par B. Ancel à partir des fouilles du site du Fournel (L’Argentières en Vallouise – Hautes-Alpes). Les prélèvements sédimentologiques réalisés en plusieurs points du site contribuent à vérifier l’exactitude des sources textuelles et à préciser la fonction des différentes espaces et machines utilisés sur le site (Marconnet, 1994). Une étude similaire a été entreprise dans le district minier de Pontgibaud (Puy-deDôme) sur une exploitation de plomb argentifère datée de l’époque moderne (Association H03, 2000).
137Entre 1805 et 1810, des patouillets à minerai de fer furent installés en bordure d’un canal sur le site de la Forge de Buffon (Côte-d’Or). La fouille de cet établissement, en 1989 par Ph. Peyre (Peyre, 1989) a mis en évidence les derniers vestiges du bac de brassage mécanique construit sur le flanc sud du patouillet proche d’un bocard. Elle a permis également de retrouver une série de canalisations couvertes destinées à évacuer les eaux provenant d’une aire de lavage constituée par des lavoirs à bras.
138L’archéologie industrielle, en France, est une discipline trop peu développée ou reconnue pour pouvoir apporter suffisamment d’informations. C’est au Royaume-Uni que les recherches sont les plus avancées dans l’analyse des sites et paysages relevant de l’industrie minéralurgique (White, 1994, pp. 61-62 ; Everson, 1995, pp. 21-28), y compris en termes d’expérimentation et de valorisation comme sur le site de Kilhope (Streeten, 1995, pp. 125-131).
139Il convient de citer enfin les fouilles menées par Lynn Willies en Angleterre (Cornouailles), sur les haldes abandonnées par les mines polymétalliques, révélant un système d’adductions et d’espaces aménagés pour le traitement des minerais. (Willies, 1998a, pp. 33-49 et 1998b, pp. 49-57).
140Le XIXe siècle marque avant tout une étape décisive dans la concentration des ateliers et dans l’industrialisation du traitement. Les innovations se succèdent et se télescopent avec les progrès de la mécanisation. L’observation du terrain, la description des vestiges visibles, l’interprétation topographique liée à la fouille apportent des renseignements pertinents sur l’organisation de l’espace minier proche de la zone d’extraction. Le rôle des haldes comme vecteurs principaux d’installation des ateliers ou de la mine comme réservoirs hydrauliques sont clairement mis en évidence.
141Les recherches développées en Eranche-Comté sur les ateliers de préparation mécanique des minerais de fer comme celles qui prévalent en Grande-Bretagne sur les minerais polymétalliques sont comparables et riches d’enseignements du point de vue méthodologique.
142Les laveries antiques du Laurion (Grèce) constituent dans ce sens un modèle ; les complexes de lavage occupent des espaces bâtis, parfaitement structurés dans le paysage minier et accompagnés d’ateliers diversifiés, intégrant l’ensemble de la chaîne opératoire. Les barrages et les imposantes citernes qui jalonnent encore le plateau et les vallons de la Lauréotique évoquent à elles seules l’importance de cette industrie, grande consommatrice d’eau (fig. 18 a et b). A l’instar des écrivains antiques comme Pline ou Diodore de Sicile, l’intérêt porté sur les métaux à valeur monétaire paraît persister encore aujourd’hui dans la recherche archéologique de terrain. Pourtant, il n’est pas certain que l’extraction du fer ait généré moins d’investissements que dans le cas des minerais polymétalliques. Nous verrons que les installations modernes peuvent tout à fait rivaliser en extension avec les ateliers décrits ci-dessus. Il est vrai que les minerais de fer sont beaucoup plus répandus à la surface du sol. Mais leur relative facilité d’extraction ne signifie pas forcément l’absence d’organisation et de maîtrise de l’espace en particulier pour le lavage. Plus faciles à cibler dans l’espace métallurgique et minier, parfois dans des haldes, les vestiges restent cependant rares et ne couvrent pas en tout cas la totalité du champs chronologique. L’étude du processus minéralurgique en général reste largement tributaire de données comparatives. En identifiant toujours plus précisément les structures liées à l’exploitation et au traitement des ressources minérales, les études aboutiront à une meilleure connaissance de ces ateliers. Au terme de ce bilan, force est de constater que le fer reste un minerai peu étudié dans son processus minéralurgique, ce qui s’explique, peut-être, par la difficulté à cerner ces vestiges aux structures fragiles et éphémères, souvent enfouies sous la masse des haldes. Certains peuvent peut-être avoir fait l’objet de reprises au XIXe siècle comme le réemploi des scories issues de la réduction directe dans les hauts fourneaux. Souvent méconnus, ils ont parfois même été confondus avec des vestiges d’habitats ou des structures tumulaires comme dans les plaines de Saône (Morin-Hamon, 1997).
Notes de bas de page
1 (Rapport de l'ingénieur des Mines sur le Territoire de la Chapelle-Saint-Quillain (Haute-Saône). 1831. Archives départementales de Haute-Saône, [cité désormais ADHS].
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