Préface
p. 3
Texte intégral
1Mine Claire : quel joli titre, et combien évocateur pour qui sait, parce qu’il aura lu le livre d’Hélène Morin-Hamon, le travail acharné qu’il fallait, dans les minières de l’est de la France, pour débarrasser les précieux grains de minerais de fer de la gangue d’argile dans laquelle ils étaient enrobés, pour voir enfin cette mine – au sens de minerai – apparaître clarifiée dans l’eau des lavoirs ! Tel est le sens de l’expression, et l’étude d’Hélène Morin-Hamon a consisté à montrer comment dans les paysages de ces régions, et plus particulièrement de la Haute-Saône, apparaissent aujourd’hui encore les vestiges de ces installations, qui, apparues au XVIe siècle, étaient toujours en usage dans la deuxième moitié du XIXe et comment tout cela fonctionnait.
2Et le patouillet ? Quel joli nom pour un vulgaire débourbeur, et qui fleure bon, lui aussi, le terroir ! Patouiller, c’est patauger, comme le font ces amours vendangeurs, qui, sur les mosaïques de l’Antiquité romaine tardive ou du Haut Moyen Age, foulent joyeusement de leurs pieds, dans la cuve du pressoir, les grappes de raisin, symbole du renouveau. Mais, attention ! Là s’arrête la comparaison. Les forges de Vulcain ne sont pas les pressoirs de Bacchus ! Les pisolithes, ces grains rugueux de minerai recueillis dans les horizons argileux des plateaux de l’Est, n’ont rien à voir avec les souples grains de raisin des vendanges. Pour ôter l’argile qui les couvre, il faut autre chose que les pieds tendres des putti. D’où les installations et appareils divers qu’a inventés l’esprit humain pour aider l’homme à accomplir cette tâche hautement indispensable, si l’on veut disposer d’une bonne mine, facile à réduire – au sens chimique du terme – pour en tirer du fer. Ces appareils sont de deux genres, d’abord les plus simples, les lavoirs à bras, dont les prototypes remontent à l’Antiquité gréco-latine : ceux du IVe siècle a.c., au Laurion (Grèce) étaient particulièrement perfectionnés et les appareils dont Hélène Morin-Hamon suppose avec raison qu’ils étaient utilisés en nombre dans la Haute-Saône – à Lieffrans, Renaucourt, Bellevaivre (Etrelles-et-la-Montbleuse), etc. – sont leurs héritiers ; ensuite, les fameux patouillets, dotés d’un cylindre à débourber, qui, au XIXe siècle, sont mus soit par la force hydraulique, soit par la force animale (les chevaux), enfin par la vapeur : on en verra les dessins d’époque et l’on pourra imaginer, selon les vestiges laissés sur le terrain, et selon les hypothèses d’Hélène Morin-Hamon, leur disposition et leur fonctionnement.
3Mais, dans tous les cas, le lavage des grains de minerai suppose la présence de l’eau. Et d’une eau abondante. Ruisseaux et rivières foisonnent dans la Haute-Saône, mais il faut souvent capter ces eaux et les dériver intelligemment vers les lavoirs de façon à pouvoir en disposer pour tous les usages nécessaires : laver correctement la mine certes, mais aussi, au besoin, mettre en mouvement les appareils et enfin transporter les boues jusqu’aux aires de dépôt. Or, ce sont précisément tous ces travaux d’adduction, de stockage et de distribution de l’eau qui ont laissé des traces dans le paysage. Le problème est d’interpréter ces vestiges et de tenter de les expliquer. Ce fut la raison de ma participation au jury de thèse d’Hélène Morin-Hamon et de la rédaction de cette préface, car, comment expliquer qu’un archéologue travaillant sur l’époque romaine se mêle de préfacer une étude d’archéologie industrielle. Or, il se trouve qu’au cours de mes recherches sur les mines d’or romaines du nord-ouest de l’Espagne, j’avais été confronté à ce même problème d’archéologie du paysage. Les chantiers d’exploitation romains ayant fonctionné grâce à la force hydraulique, il s’était agi pour moi de relever et d’interpréter les vestiges de ces vastes réseaux de canaux, de bassins et de chantiers d’exploitation qui avaient subsisté dans le paysage. Je dois dire que, pour moi, la tâche fut plus facile que pour Hélène Morin-Hamon, car les vestiges à étudier étaient le plus souvent imprimés dans un paysage sinon totalement dénudé, du moins facilement lisible au sol et en photographie aérienne, alors qu’Hélène Morin-Hamon a travaillé principalement sous un couvert végétal dense, celui de l’Europe continentale, et d’abord difficile, d’où l’usage de techniques sophistiquées pour révéler la réalité des structures. Que, dans ces conditions, Hélène Morin-Hamon ait pu établir des relevés suffisamment détaillés et exacts, propices à une interprétation guidée par des sources écrites précieuses (archives, ouvrages techniques, rapports d’ingénieurs, etc.) montre l’ampleur et la valeur de son travail. Car c’est sur ces documents de terrain que se fonde son étude, qui sauve de l’oubli un pan important de l’histoire industrielle de la France, entre le XVIe et le XIXe siècle. Qu’elle en soit remerciée.
Auteur
Archéologue et historien de l’Antiquité romaine
Professeur émérite des universités
Laboratoire TRACES (UMR 56 08 CNRS), université de Toulouse-Le Mirail
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Mine claire
Des paysages, des techniques et des hommes. Les techniques de préparations des minerais de fer en Franche-Comté, 1500-1850
Hélène Morin-Hamon
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