Conclusion
p. 271-281
Texte intégral
1Les résultats de l'enquête, en soulignant le rôle de « l'acteur social généalogique » (Laurens, 1992), font écho aux nombreux travaux sociologiques actuels qui tentent de concilier la compréhension des trajectoires sociales avec l'analyse biographique. Dans le cas présent, cette approche méthodologique a permis de comprendre les trajectoires socioprofessionnelles d'individus, qui se caractérisent par une ascension sociale forte, tandis que leurs pères, immigrés d'Algérie, occupaient le plus souvent un emploi d'ouvrier lors de leur arrivée en France.
2Notre postulat de départ reposait sur le lien susceptible d'être établi entre les trajectoires socioprofessionnelles des individus qui ont grandi sur le territoire français et les parcours de leurs parents depuis la société d'émigration. Il s'agissait alors clairement de prendre en compte la dimension familiale qui a été peu explorée dans les travaux de « sociologie de l'immigration ». Le plus souvent, seule la dimension sociétale (école, logement, quartier, etc.) a été appréhendée sans référence aux parcours familiaux. En outre, il ne suffit pas de retenir la famille, c'est l'histoire familiale qui débute dans la société d'origine qui doit être analysée ; elle se révèlerait insuffisante si on la limitait à sa dimension française. En effet, ces personnes ne prennent pas naissance dans la société française : ces familles immigrées sont avant tout émigrées.
3Ainsi, le détour par la société d'origine a conduit à s'intéresser plus largement aux ascendants : quelles étaient les régions d'origine, les professions exercées par les grands-pères, les éventuelles mobilités, etc. Cette analyse de la situation familiale dans la société algérienne avait essentiellement pour objectif de replacer notre travail dans une dimension socio-historique. Elle a notamment contribué à souligner la diversité de situations dont les familles sont issues. Elles se distinguent en effet de différentes manières, que ce soit par leur origine urbaine, leur scolarité, les langues parlées, leur statut de notabilité... L'attention accordée à la dimension diachronique a été renforcée par la distinction que l'on peut observer entre l'effet généalogique et l'effet parental (de Singly, Thélot, 1986). La dimension longitudinale a donc permis de dévoiler l'ensemble de ces caractéristiques, mais aussi la manière dont les familles peuvent les mobiliser, s'en servir pour élaborer un projet migratoire et vivre dans la société française.
4Ainsi, la question de la mobilité sociale des individus d'origine algérienne a révélé l'importance des histoires et des mobilisations familiales au fil du parcours migratoire. Sont alors apparus les éléments qui, dans les parcours familiaux ont pu favoriser les trajectoires socioprofessionnelles des enfants. Si, bien entendu, l'ensemble des familles n'est pas pourvu des mêmes caractéristiques, ni des mêmes ressources, l'une ou l'autre a pu être déterminante ou se conjuguer pour finalement avoir un effet décisif. Il a paru d'autant plus nécessaire de les passer en revue que leur rôle est le plus souvent mésestimé, quand leur absence n'est pas tout simplement présupposée1. Pour pouvoir appréhender ces parcours sociaux et familiaux dans leurs dimensions longitudinales et à la croisée des différents espaces sociaux traversés, nous avons privilégié une approche biographique. Elle a été tout particulièrement appropriée à l'analyse des trajectoires sociales car elle permet de révéler la diversité et la multiplicité des univers sociaux à partir desquels s'expriment les processus identitaires. Cela a eu pour effet notamment de bousculer les clivages entre les différents champs de notre discipline : si les parcours de la population étudiée relèvent de la sociologie de l'immigration, ils ne se comprennent néanmoins pas sans référence aux sociologies de la famille, de la ville, du travail... Un grand nombre d'outils et de résultats provenant de ces champs, et notamment celui de la famille, se sont révélés déterminants.
5Concernant le travail de terrain, nous avons maintenu cette dimension biographique à travers une démarche quantitative, à même de repérer des régularités statistiques, des déterminants sociaux, et une démarche qualitative, afin de saisir la singularité et l'épaisseur des trajectoires individuelles et familiales. Si, aujourd'hui le débat paraît caduc entre les partisans de l'une ou de l'autre de ces approches, le mérite en revient aux nombreux travaux qui ont démontré la pertinence d'associer la démarche qualitative et quantitative2. Moins nombreux, en revanche, sont les travaux qui ont été élaborés dans l'interaction de ces deux méthodes.
6Pour notre part, nous avons tenté de croiser et combiner le travail d'enquête par questionnaire et par entretien, à travers un va-et-vient systématique et continuel entre les deux méthodes auprès des mêmes individus. C'est donc moins l'utilisation des deux méthodes d'investigation qui paraît devoir être relevée que la comparaison qu'il a été possible d'établir entre les réponses obtenues par les deux méthodes, c'est-à-dire la manière dont chacun rend compte de son parcours, de sa représentation de la réalité sociale, et qui peuvent différer, s'opposer ou se compléter selon le mode d'enquête adopté. L'articulation entre l'approche quantitative et qualitative au sein de ce dispositif d'enquête a ainsi permis d'étayer, de préciser et de compléter les résultats produits par chacune des méthodes ; parfois aussi grâce aux contradictions qu'il a permis de relever. La démarche adoptée au fil de la recherche, qui a permis de combiner les dimensions longitudinale et transversale des parcours individuels et familiaux, a révélé des résultats qui seraient restés inaperçus dans une perspective centrée sur les parcours d'intégration. Nous allons brièvement résumer les acquis principaux de la recherche.
7Il faut avant cela préciser que notre démarche ne se comprend pas sans références aux transformations qui affectent la discipline sociologique. Elle s'inscrit en effet dans un questionnement qui est au centre des débats méthodologiques actuels et qui atteste d'un tournant dans la pensée sociologique (dans la manière de redéfinir les outils d'enquête et les modes d'analyse). Il s'agit notamment des questions et des réflexions ayant trait au sens des récits et des actions individuelles, en d'autres termes, les travaux qui développent des analyses centrées sur l'individu, les trajectoires, les interactions... Le vécu des individus n'est dès lors plus appréhendé comme étant le résultat des déterminismes sociaux ou des actions individuelles, il émerge des multiples processus de socialisation qui influent tout autant qu'ils ouvrent le champ des possibles de chacun. La dimension biographique occupe dès lors une place centrale, comprise également dans sa dimension lignagère.
8C'est à partir de cette double dimension (biographique et intergénérationnelle) que l'on est en mesure de saisir comment la population étudiée a vécu au sein de la société française des processus de socialisation qui viennent conforter ou, au contraire, se confronter aux multiples expériences socialisatrices vécues au sein de la famille, de l'École, des relations de voisinage, etc. Par la suite, les trajectoires socio-professionnelles se sont construites dans la rencontre ou la juxtaposition de ces différents mondes sociaux qui peuvent déterminer des parcours autant que constituer le terreau à partir duquel des choix s'expriment, des projets ou des stratégies s'élaborent.
9À l'instar de M. Gribaudi (1987), il nous paraît nécessaire, pour étudier un phénomène qui a partie liée avec la mobilité, de s'interroger sur le passé et le milieu précédent pour comprendre dans quelle mesure ils agissent sur les choix opérés au cours des cheminements sociaux. Dès lors, on admet que leur manière de vivre, de s'installer, de se projeter, d'élever leurs enfants dans la société d'immigration a probablement à voir avec le contexte et le projet migratoire. Considérer l'immigration et l'histoire qui en découle comme un élément indissociable, permet de comprendre pourquoi des interviewés ont décrit, dès les premiers instants des entretiens, les raisons politiques qui ont conduit leur père à émigrer, le statut de leur grand-père, paysan, qui était propriétaire de sa terre, de cet autre qui était commerçant, la situation de leur mère scolarisée en langue française en Algérie... Les maintes relations qu'entretiennent les enfants d'immigrés avec la société d'accueil apparaissent alors déterminées3 par les relations antérieures qu'ont entretenu leurs parents avec l'histoire migratoire qui les a conduits en France.
10Nous avons donc cherché dans un premier temps à reconstruire les itinéraires familiaux en Algérie. Ils se distinguent les uns des autres de multiples manières : que ce soit au sujet des origines géographiques, des professions et/ou statuts de notabilité des grands-parents, de la scolarité des parents, du contexte démographique ou des raisons qui ont conduit à l'élaboration du projet migratoire. Concernant le premier point, il apparaît qu'un tiers des enquêtés a au moins l'un de ses parents qui a grandi en ville, et le plus souvent la mère. Les conséquences seront nombreuses en termes de socialisation : le parent concerné aura pu être scolarisé, de nombreux contacts auront été établis avec la population et les valeurs françaises, ses parents auront pu avoir accès à des professions plus variées et qualifiées, etc. Les expériences qui découlent de la vie citadine auront donc toute leur importance lors de la migration. Ainsi, si l'origine rurale reste majoritaire, elle a été relativisée, sous l'effet notamment de la diversité des régions d'origine et des distinctions entre les lignées maternelles et paternelles.
11Les professions exercées par les grands-pères reflètent également une grande diversité et la prédominance du statut d'indépendant parmi les grands-pères paternels. Ils sont notamment propriétaires de la terre qu'ils exploitent. Les grands-parents maternels, moins souvent agriculteurs, peuvent disposer d'autres statuts qui leur confèrent des responsabilités sociales. Quelle que soit la lignée considérée, les ouvriers agricoles sont très minoritaires.
12Concernant la scolarité dans la société algérienne, la norme était la très faible scolarisation des indigènes à l'heure coloniale. En comparaison de cette situation, les parents apparaissent proportionnellement sur-scolarisés. Plus d'un quart des enquêtés déclarent qu'au moins l'un de leurs parents a obtenu le certificat de fin d'études. Les incidences seront fortes et elles interviendront à différents niveaux pour faciliter et encourager la scolarité des enfants, en vue notamment de l'obtention des diplômes qui permettent une ascension sociale.
13À la lecture du contexte dans lequel s'est prise la décision d'émigrer, il apparaît que des raisons démographiques ont également incité au départ : le fait pour le père d'être l'aîné de la fratrie paraît décisif. Si ce rang de naissance procure de nombreux avantages, il est aussi source d'obligations familiales. Des pères ont alors cherché à s'en extraire en émigrant. En tant qu'aîné, ils ont pu être dans l'obligation d'émigrer, pour subvenir aux besoins de la famille, suite au décès du chef de famille par exemple. Les événements familiaux peuvent être aussi la cause du départ, parce qu'ils initient une première rupture dans l'ordre familial, ils rendent possible l'émigration.
14En filigrane apparaît remise en cause la suprématie du contexte économique pour expliquer l'émigration. Si cette raison est la première évoquée, à juste titre, on a vu à quel point elle se combine le plus souvent avec d'autres raisons, d'ordre politique, familial, personnel. Au-delà de la quête des revenus monétaires que procure le travail salarié en France, il apparaît indéniable qu'à l'occasion de la migration sont projetées d'autres aspirations, et notamment celle d'une ascension sociale. À travers la migration des parents est amorcée la mobilité sociale des enfants.
15Mais cette dernière prendra des formes différentes en fonction des ressources, des mobilisations, des opportunités qui vont se constituer et s'exprimer au cours de l'installation dans la société française. Là aussi, les parcours des parents se trouvent fortement différenciés, du fait notamment de ce qui les distingue dans la société algérienne. Nous avons tout particulièrement porté notre attention sur le parcours résidentiel de la famille, son réseau relationnel et les trajectoires professionnelles des pères dans la société française. Concernant le premier point, si les familles ont globalement subi des conditions de logements épouvantables à leur arrivée, il faut tout de même noter qu'elles n'ont pas toutes vécu dans les mêmes espaces résidentiels et qu'elles n'y sont pas restées le même nombre d'années. Quelques-unes ont par exemple passé quelques années dans un logement HLM avant d'accéder à la propriété, tandis que d'autres habitent dans un quartier de logements sociaux depuis les années soixante-dix. De plus, au sein d'un même quartier, les familles ont pu avoir chacune une expérience de l'espace urbain spécifique, des modes de sociabilité très différents. Ainsi d'une famille à l'autre, les conséquences peuvent être fortes en termes d'éducation des enfants, des modes de relations entre les parents et des possibilités de nouer des relations de sociabilité avec l'extérieur.
16Parmi le réseau relationnel, il faut noter le rôle joué par les voisins et tout particulièrement entre femmes. On a vu à quel point ces voisin(e)s servent d'intermédiaire entre la famille et la société d'installation. Le degré d'hétérogénéité sociale et culturelle de ces relations est également un indice des ressources dont disposent ces parents (capacité à s'exprimer en français, à s'ouvrir sur/à la société d'accueil, à entretenir des relations dans un univers social différent, etc.).
17Au niveau professionnel, les pères ont très majoritairement occupé un emploi d'ouvrier à leur arrivée. À cela rien de surprenant. En revanche, lorsqu'on prête attention aux emplois occupés au moment de l'enquête, une majorité de pères connaissent une mobilité intra-générationnelle : soit ils ont amélioré de manière sensible leur qualification à l'intérieur de la profession ouvrière, soit ils ont eu accès à une plus grande diversité de professions (employés et commerçants notamment). Ces changements auront bien entendu de nombreuses répercussions dans l'univers familial. C'est à partir de ces cheminements familiaux que se sont construites les trajectoires sociales de leurs enfants.
18Ces trajectoires se sont élaborées progressivement depuis l'école et à travers ces différentes étapes : lors de leur entrée sur le marché du travail, au cours d'une éventuelle mobilité professionnelle, face aux choix qui s'offrent à eux (par exemple celui de nationalité) et des nouvelles formes d'engagement, notamment vers des associations économiques. Il est indéniable que la première distinction entre les cadres et les entrepreneurs repose sur le parcours scolaire : tandis que les premiers ont généralement poursuivi dans études dans le cycle supérieur, les seconds ont en majorité suivi des études techniques dans le secondaire. En revanche, on peut remarquer que les diplômes ont généralement été obtenus suite à des études relativement courtes et dans des filières « professionnalisantes ». En effet, parmi la population étudiée (toutes professions confondues), un grand nombre de difficultés familiales, et notamment financières, ont entravé leur scolarité. Ces frustrations scolaires ont notamment été compensées par la reprise d'études en cours de vie active.
19Le parcours professionnel des enfants se caractérise également par une mobilité intra-générationnelle : les entrepreneurs sont en fait le plus souvent d'anciens ouvriers qui ont décidé de créer leur activité généralement après un licenciement économique. Les cadres, quant à eux, ont poursuivi leur ascension professionnelle grâce aux promotions liées à leur expérience et/ou aux diplômes acquis en cours d'emploi. Les réseaux relationnels, les modes d'engagement ou l'horizon des possibles à partir desquels s'opèrent les décisions sont également déterminés par leur cheminement social et familial qui, en retour, contribue à expliquer leur position socioprofessionnelle.
20L'analyse approfondie de ces parcours familiaux, au cours de l'histoire migratoire, nous invite en effet à considérer les éléments à partir desquels la mobilité sociale s'est enclenchée. Nous remarquons tout d'abord qu'un grand nombre d'individus a bénéficié du soutien, des aides et des ressources de leurs parents (et proches) pour accomplir leur trajectoire professionnelle, quoique de manière distincte entre les deux sous-populations. En effet, on note une distinction fondamentale entre les cadres et les entrepreneurs : pour les premiers, l'effort de la famille s'est concentré sur l'école, l'encouragement et le soutien pour l'obtention des diplômes permettant l'accès aux professions de cadre. Pour les entrepreneurs, la famille est intervenue ultérieurement en apportant sa contribution lors du passage à l'activité entrepreneuriale. Ainsi, dans le cas des cadres, l'incidence de la famille a été prépondérante avant le parcours professionnel, à travers les ressources dont elle disposait, tandis que pour les entrepreneurs, le rôle de la famille intervient durant le passage à l'activité indépendante, en se mobilisant pour son fonctionnement et sa prospérité. Ce ne sont donc pas les mêmes mobilisations, ni les mêmes transmissions familiales qui interviennent au cours de ces trajectoires individuelles car leurs histoires sont fortement différenciées. Pour schématiser, une opposition semble se dessiner entre les familles qui ont un comportement « capitaliste » et celles qui adoptent un comportement « patrimonial ».
21Dans le cas des entrepreneurs, le comportement « capitaliste » vise à mobiliser les ressources de la famille et de la communauté (les ressources familiales, le réseau relationnel, le capital économique...) en vue d'accroître le capital de l'individu et de sa famille (le capital économique, le capital symbolique, le capital financier, y compris en Algérie). Pour les cadres, le comportement « patrimonial » de la famille a consisté à transmettre aux enfants ce dont elle disposait (capital de notabilité, capital scolaire, aspirations à la promotion sociale) et qui devait trouver une concrétisation par l'intermédiaire de l'institution scolaire.
22Ainsi, alors que de prime abord, presque tous ces individus ont une même origine ouvrière dans la société d'immigration, on note de nombreuses distinctions dans le parcours accompli en France et aussi en Algérie, qui expliquent a posteriori les distinctions professionnelles. La même condition sociale d'un groupe (dans ce cas d'origine immigrée), présenté a priori comme étant relativement uniforme, ne présage donc pas de l'homogénéité des pratiques et des univers de chacun : ils expriment, à l'inverse, des attitudes et des propensions individuelles assez diversifiées selon leur histoire familiale et migratoire. Chacun est alors en mesure d'interpréter et de se réapproprier cette histoire au cours de son propre parcours social. L'analyse biographique, en tant qu'outil méthodologique, permet d'appréhender, à partir de l'expérience de chacun, et de sa représentation, la diversité, la complexité et la singularité des trajectoires sociales.
23Alors que le modèle républicain d'intégration sous-tend l'idée d'absorption, à travers la préférence pour l'intégration individuelle qui implicitement souligne la rupture entre les générations et avec la communauté d'origine, notre travail a consisté au contraire à (dé)montrer les processus de socialisation perceptibles dans une approche intergénérationnelle des parcours sociaux. Dans cette perspective, les trajectoires sociales apparaissent étroitement liées à l'histoire familiale. Autrement dit, la façon dont les individus se meuvent dans l'espace social est appréhendée d'une part en référence aux parcours de la génération précédente (y compris au sein de la société d'émigration) et d'autre part à partir de ce qui est vécu, à leur niveau, sous l'effet des expériences socialisatrices.
24Il ne s'agit pas non plus de considérer l'ascension sociale réalisée entre les deux générations comme l'expression d'une formidable volonté individuelle. En effet, bien souvent, l'explication de la réussite des individus d'origine algérienne paraît résider dans l'alternative suivante : la réussite est soit le produit du self made man, soit le résultat de l'intégration républicaine. Nous considérons pour notre part que, si ces deux éléments peuvent intervenir, ils sont aussi largement insuffisants pour rendre compte de la mobilité sociale car ils excluent le lien familial. C'est pourtant lui qui, parce qu'il est actualisé et concrétisé par le biais d'aspirations, de mobilisations et de ressources transmises, va être à son tour l'objet de réappropriation, d'interprétation et de transformation au cours des parcours individuels. Dès lors, l'intérêt à accorder à ces histoires et à ces transmissions familiales est grand et plus fécond que de considérer les trajectoires professionnelles « réussies » comme étant le résultat du mérite individuel et/ou de l'efficacité du modèle républicain d'intégration.
25À travers cette recherche, nous avons aussi tenté de contribuer aux nombreux travaux qui traitent de la mobilité sociale. Mais plutôt que d'établir des comparaisons statistiques entre les positions occupées par les deux membres de la famille retenus (généralement le père et le fils), nous avons choisi d'appréhender cette question en lien avec les transmissions intergénérationnelles et les histoires familiales4. Il s'agissait avant tout de porter le regard sur les processus de socialisation qui, au fil du parcours biographique, permettent de comprendre la trajectoire socioprofessionnelle de chacun.
26Il ne s'agit donc pas d'interpréter les trajectoires sociales à l'aune des seules caractéristiques familiales mais bien d'intégrer ces dernières à une analyse qui prend en considération les différents processus de socialisation, et plus encore leur articulation, afin de rendre compte des manières de prendre place dans la société. Les trajectoires sociales apparaissent dès lors comme étant le résultat des socialisations successives et superposées qui s'expriment en des termes différents d'une génération à l'autre mais aussi d'un individu à l'autre selon la confrontation, la négociation, l'accumulation des expériences, des transmissions, des aspirations... et ce, parce que chacun est à la fois produit et acteur de son histoire familiale. Les parcours individuels portent alors les marques de cette histoire dans les multiples domaines de la vie sociale où ils s'expriment.
Notes de bas de page
1 Comme c'est le cas par exemple pour les mères qui ont eu une activité salariée, ce qui a pu favoriser l'entrée dans la vie active de leurs filles. Cela ne veut pas dire, a contrario, que toutes les mères ont eu une activité professionnelle et/ou que toutes ont favorisé le parcours scolaire puis professionnel de leurs filles, certaines s'y sont opposées farouchement, ce sont alors parfois les pères qui l'ont autorisé.
2 Nous pensons notamment aux articles de F. Battagliola, I. Bertaux-Wiame, M. Ferrand, F. Imbert (1993) et de F. Weber (1995).
3 Au sens où le définissent D. Bertaux et I. Bertaux-Wiame (1988) : « L'idée, somme toute évidente, qu'une trajectoire de vie peut être déterminée bien plus facilement par la transmission d'une ressource que par l'imposition d'une contrainte dorme au concept de détermination un contenu tout à fait nouveau. »
4 En fonction des résultats du débat qui anime actuellement la communauté de chercheurs sur la pertinence de poursuivre ou non des travaux en tenant compte de la nationalité d'origine, nous espérons avoir la possibilité de poursuivre d'autres investigations ; l'un des prolongements pourrait être d'appliquer les mêmes hypothèses de travail à une enquête statistique réalisée à partir d'un échantillon représentatif au niveau national et auprès d'une population tous groupes socioprofessionnels confondus.
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La mobilité sociale dans l’immigration
Itinéraires de réussite des enfants d’origine algérienne
Emmanuelle Santelli
2001