Chapitre 6. La participation de la famille : son rôle dans les trajectoires des entrepreneurs
p. 253-262
Texte intégral
1Il s'agit à présent d'analyser l'une des caractéristiques des trajectoires des entrepreneurs : la participation des membres de la famille et en particulier celle des frères et sœurs au sein de l'entreprise créée. Au regard des résultats précédents, on est amené à comparer les deux populations. Et une distinction fondamentale apparaît entre elles : pour les cadres, l'effort de la famille s'est concentré sur le parcours scolaire (cf. § 2, IIIe partie), tandis que pour les entrepreneurs, la famille intervient lors du passage à l'activité entrepreneuriale.
2Ainsi, une grande partie des entrepreneurs mobilise l'aide, le soutien ou la participation ponctuelle de quelques frères et sœurs, au cours de leur activité. Il faut toutefois préciser qu'ils occupent le plus souvent un statut subalterne dans la mesure où les entrepreneurs sont majoritairement des aînés de fratrie, leur position d'aîné confère donc une certaine autorité. Deuxièmement, créant leur entreprise ils font preuve de compétences, de savoir-faire, à l'inverse de leurs collatéraux qui sont généralement moins qualifiés et qui deviennent alors des employés. En outre, il faut noter la prédominance de ces liens fraternels sur le lien conjugal. Si dans quelques cas l'épouse est associée à l'entreprise, le plus souvent, les liens du sang priment sur les liens d'alliance. Il arrive même que les belles-sœurs soient tenues à l'écart de l'entreprise familiale pendant plusieurs années, avant d'y être associées progressivement, une fois la confiance établie. L'entreprise n'est donc généralement pas une histoire de couple, à l'inverse de ce qui se produit dans de nombreux commerces français. C'est la famille, entendue au sens de la filiation, qui fait majoritairement partie de l'entreprise et qui contribue à son fonctionnement.
Des frères et sœurs « associés » à l'activité
3Sur l'ensemble des individus indépendants, la moitié déclare qu'au moins un membre de sa famille travaille dans son entreprise. La majorité de ces personnes sont déclarées et elles sont généralement salariées en tant que main-d'œuvre ou dans une position de subordonné (par exemple secrétaire). Deux cas de figure co-existent : soit elles sont employées à temps complet parce qu'elles étaient sans emploi ou qu'elles préfèrent cette situation à une autre jugée plus précaire, moins satisfaisante ; soit elles travaillent à temps partiel en fonction du temps dont elles disposent et/ou des besoins de l'activité (il se peut parfois qu'elles occupent une fonction dans l'entreprise en plus d'une autre activité salariée).
4Il faut tout de même préciser que la grande majorité des salariés employés par les indépendants (cela concerne aussi les professions libérales qui, pour la moitié d'entre eux, emploient des salariés) sont des employés avec qui aucun lien familial n'existe. Parmi les indépendants qui ont des salariés, entre 7 et 8 personnes travaillent en moyenne au sein de l'entreprise.
5En plus du travail salarié de quelques membres de la famille, il existe d'autres formes de participation, plus ou moins régulières, plus ou moins rémunérées, mais qui contribuent au fonctionnement de l'entreprise. Ce travail fourni par des personnes de la famille est, à ce titre, sous-estimé. D'une part, ce travail peut ne pas être déclaré, on préfère donc ne pas le mentionner, d'autant plus s'il est ponctuel. D'autre part, l'économie domestique, invisible et souterraine, comme la définit A. Pitrou (1992), est toujours plus importante que ce qui est révélé. Car ce travail, pourtant effectif, est associé aux pratiques de solidarité familiale, ce qui tend à occulter le lien économique.
6Les aides apportées sont liées à des compétences particulières et/ou à la disponibilité des frères et sœurs. Ces aides sont d'autant plus sollicitées que l'entreprise est récente ou en extension. Les entrepreneurs préfèrent alors compter sur leurs frères et sœurs plutôt que d'employer du personnel, par manque de revenus ou d'incertitude quant à l'expansion de l'activité1. C'est le cas par exemple d'une personne qui a ouvert un restaurant et qui a été secondée par ses sœurs déclarées, en début de questionnaire, « mères au foyer » ou travaillant partiellement. Celles-ci l'ont aidé, au moins au démarrage, pour faire le ménage, s'occuper de l'approvisionnement et préparer les repas.
7La forte implication des membres de la famille dans l'entreprise laisse à penser que les individus qui parviennent à avoir leur propre activité se doivent d'y associer leurs proches. Cette association est également justifiée par les intéressés eux-mêmes qui mettent en avant l'un des principes élémentaires du « management » : l'intéressement du personnel. Les membres de la famille sont en effet au plus haut point intéressés par le bon fonctionnement mais aussi la prospérité de l'entreprise. Il s'agit en effet de la prospérité de leur famille, et par extension de la leur. Ainsi, employer des frères et sœurs correspond à un double souci : le premier est de pallier la précarité de l'emploi des frères et sœurs sans emploi ou dans une situation précaire, le second est de créer un environnement professionnel plus convivial, fonctionnant sur un mode relationnel familier qui offre d'importantes garanties. C'est par exemple ce qu'a proposé l'une des experts-comptables rencontrées à l'une de ses sœurs au moment où elle a décidé d'ouvrir son cabinet. La sœurs en question a donc quitté l'entreprise où elle était secrétaire pour remplir cette fonction dans l'entreprise créée par sa sœurs aînée. Cette dernière bénéficie ainsi du soutien d'une personne de confiance qui devient plus qu'une secrétaire. De son côté, la sœurs employée se voit confier de plus grandes responsabilités et se sent associée au succès de l'entreprise.
« Cela évite un recrutement, ça... comment dire ? Ça permet d'avoir quelqu'un en qui vous avez confiance... d'être secondé, je pense que c'est surtout pour ça et puis bon on faisait le même métier [activités professionnelles complémentaires] donc on ne pouvait qu'être comme ça. »
8L'activité professionnelle peut être aussi l'affaire de toute la famille, bien que ce cas soit plus rare. Nous avons en particulier rencontré une famille où les commerces possédés ont été hérités du père. Sur un total de sept enfants, seuls un frère et une sœurs (qui ont également une activité indépendante) n'en font pas partie. Un des frères (le second) est désigné comme étant le responsable (car il s'est imposé lors de la négociation des prêts avec l'organisme bancaire). Dans la mesure où ces commerces ont été hérités, chacun se sent partie prenante de cette « aventure » entrepreneuriale que le père a initiée. Les enfants cherchent aujourd'hui à accroître ce patrimoine commercial. C'est en particulier visible au niveau d'un des commerces, une boucherie dans laquelle ils développent une activité de production de produits « hallal ». Cette démarche est dans la continuité de celle qui fut engagée par le père, en cela ils sont les « héritiers ». Ils adoptent la même démarche que celle de leur père qui visait l'investissement, l'innovation et l'accroissement des richesses. En revanche ils ont un comportement qui diffère sur un point : ils désirent « profiter » des conditions de vie que leur offre leur situation professionnelle2, ce que le père s'est toujours refusé de faire, préférant tout consacrer à son labeur. L'un des fils l'exprime en ces termes :
« C'est ça qui est intéressant, c'est qu'on voit le réel changement de mentalité, la mentalité d’Algérie c'est travailler, travailler, avec la nouvelle génération, nous on s'est... moi je le dis, on s'est francisé, c'est-à-dire qu'on prend du temps, on a des loisirs, on s'amuse un peu quand même [...] on épargne mais pas à 100 %.[...] C'est mon père qui nous a frayé le chemin parce que sans lui je ne crois pas qu'on s'en sortirait vraiment [...] quand il a acheté ses deux commerces c'était pour nous, il avait un petit peu l'instinct paternel, il a vraiment aidé ses enfants, il a pensé à l'avenir, il nous a donné une situation stable [...] il faut persévérer, c'est ce qu'on fera parce que garder un commerce pendant toute une vie ça ne vaut pas le coup, il faut essayer de s'agrandir, ça marche comme ça, nous c'est notre père qui nous a enseigné ça. »
9La famille peut également apporter un soutien financier. En effet, si les emprunts principaux sont contractés auprès des organismes financiers, les emprunts complémentaires le sont généralement auprès de la famille. Cet appui est d'autant plus important qu'il repose sur la confiance et le soutien moral qui sous-tendent l'aide financière. L'une des rares femmes qui appartient au groupe des entrepreneurs en témoigne.
« Vous m'aviez dit que votre sœurs est associée [juridiquement], est-ce que c'est important que la famille puisse apporter une aide ?
- Ah oui ! Complètement parce que ce sont des rapports qui sont proches, je veux dire des rapports avec un banquier ou une personne étrangère c'est différent des rapports familiaux, en plus c’est vrai qu'on est très proche les uns des autres, c'est un bon soutien financier et tout ce qu'on veut, enfin c'est un très bon soutien [...] il n'y a pas de formalités, il n'y a rien à expliquer en fait... j'ai besoin de ça pour ça et puis ça se fait ou ça se fait pas, par exemple pour donner des sous ! Oui c'est un soutien moral et financier. »
10Quelques entrepreneurs ont également créé une deuxième activité pour y employer des frères et sœurs. Ils ont pu aussi les aider à développer leur propre activité indépendante. C'est le cas par exemple d'un commerçant de fruits et légumes qui, avant d'ouvrir son commerce, était forain. Il a donc laissé sa place sur les marchés à ses frères. Et, après avoir fait son expérience dans le commerce, il a aidé deux d'entre eux à ouvrir leur propre commerce. Aujourd'hui les cinq frères ont chacun une activité indépendante, trois ont une activité commerçante et deux une activité artisanale.
11Dans le cas suivant, le jeune frère gère l'un des quatre commerces (restauration rapide) du frère aîné, suite à son licenciement économique de l'entreprise où il était technicien en informatique. Le souci d'ouvrir de nouveaux commerces afin de développer l'activité est aussi lié à la volonté d'assurer un emploi à tous les membres de la famille désireux d'y participer. C'est ainsi que l'on assiste à de véritables stratégies visant l'accumulation de capitaux afin d'accroître le patrimoine dans lequel pourront prendre place les membres de la famille (notamment les frères et sœurs qui arrivent en âge d'entrer sur le marché du travail ou qui n'ont plus d'emploi).
« Plus on s'agrandit plus on veut développer des emplois, c'est pour ça qu’on essaie de trouver des affaires [...] on essaie tout le temps d'avoir un autre commerce, on essaie tout le temps parce qu'on sait que la famille va s'agrandir. [...] Nous dans la famille c'est le projet qu'on a en tête, là on se pose des questions, on va peut-être monter une entreprise, on a déjà commencé à acheter du capital fixe, c'est-à-dire des machines tout ça et on est parti pour faire une petite société. »
12Ces liens familiaux constituent une ressource indispensable. En effet, cette mobilisation familiale rend possible l'entreprise, elle contribue à son développement et témoigne du projet familial d'ascension sociale. La participation, plus ou moins partielle et formelle des membres de la famille, marque aussi la réussite du projet migratoire : assurer l'insertion économique et sociale de la famille en terre d'immigration.
13De plus, cette expérience est parfois mobilisée par les autres frères et sœurs au cours de leurs trajectoires respectives : ils pourront chercher à acquérir à leur tour ce statut socioprofessionnel, à se faire aider pour y parvenir ou à trouver une place dans l'entreprise « familiale ». Par exemple, l'un des fils aînés d'une fratrie de quinze enfants est le seul à avoir poursuivi des études supérieures, il est aujourd'hui expert-comptable. Pour tenter de pallier les difficultés d'emploi de ses frères, il a créé une société d'import-export en Algérie, où l'un des frères, installé dans le pays d'origine, gère une partie de la société. Au fur et à mesure de son développement, d'autres frères pourront y prendre part. Ce sont par conséquent des savoir-faire, des réseaux qui sont ainsi transmis, dévoilant à quel point l'économie familiale et les parcours professionnels sont liés. La fratrie devient alors le lieu où s'expérimentent les liens familiaux et économiques. L'analyse de J.H. Dechaux (1990, p. 89) à propos du rôle de la famille dans la recherche d'emploi s'applique à la mobilisation familiale au sein de l'entreprise :
« Le marché du travail n'est pas un vaste espace indifférencié mais plutôt un enjeu dans lequel interviennent des stratégies familiales et territoriales. [...] La parenté est un moyen d'accès aux autres, un instrument de création de liens sociaux, là où l'individu seul risquerait d'être désarmé. Si elle parvient à jouer un rôle d’insertion, c'est en raison de sa forte dimension collective que, a priori, ne possèdent pas d'autres réseaux. »
14Il existe bien entendu quelques cas où l'entreprise « familiale » n'a pas fonctionné. Quelques frères et sœurs ont par exemple refusé la proposition d'emploi de leur aîné, par volonté probablement de s'extraire du milieu familial ou de ne pas en dépendre. Car c'est un système qui possède également ses contraintes.
15Quelques épouses ont également eu un rôle de premier plan (assistante, gérante), mais le plus souvent elles occupent des tâches subalternes. Parmi les autres membres de la famille qui interviennent, les mères vont par exemple « donner un coup de main » pour faire le ménage. Dans quelques cas, elles gèrent aussi la « caisse » familiale. Quelques pères sont également associés à l'entreprise notamment lorsqu'ils disposent d'une compétence particulière. C'est le cas de ce père, tailleur en Algérie, qui aide son fils à confectionner des coussins qui sont ensuite vendus sur les marchés. L'une des sœurs a également suivi un cap couture afin de participer à l'entreprise familiale.
Des entrepreneurs « héritiers »
16L'implication des frères et sœurs dans l'entreprise souligne la dimension familiale de la démarche entrepreneuriale et pose par extension la question des héritages professionnels. L'engagement de la génération suivante dans ce projet professionnel est-il lié à un héritage familial ? L'analyse intergénérationnelle permet de distinguer d'une part la transmission d'un savoir-faire possédé par les pères ou les grands-pères, que ce soit en Algérie ou en France et, d'autre part, la transmission d'un projet qui n'a pu être réalisé par le père. Il pourra alors être réapproprié par son fils, notamment le fils aîné ; ce qui explique l'importance du rang de naissance dans la fratrie3.
Des savoir-faire transmis
17Il n'y a pas héritage à proprement parler d'un fonds de commerce ou d'un statut professionnel, dans le sens où les activités exercées par chacun sont différentes ou effectuées avec des moyens différents. En revanche, une relative transmission des pratiques et des savoirs nécessaires au fonctionnement d'un commerce est constatée entre les générations. C'est le cas de cet homme qui a un commerce de fruits et légumes et dont le père avait aussi, en Algérie, un commerce prospère. Il appartenait également à une famille aisée. Aujourd'hui, alors que leurs activités professionnelles recouvrent de nombreuses ressemblances, cet entrepreneur considère qu'il a dû tout apprendre par lui-même. Dans son discours, un lien apparaît pourtant entre le fait que pour s'en sortir le commerce constitue un moyen efficace et que son père était également commerçant en Algérie. Dès lors, on a du mal à croire que ce père et ce fils n'ont jamais échangé au sujet de leurs commerces respectifs, des pratiques commerciales, etc., alors qu'ils entretiennent des relations très régulières et chaleureuses.
18Il semble que les quarante années passées par son père à l'usine, tout particulièrement pénibles, alors que sa situation antérieure était très confortable, ont contribué à occulter cette transmission. Le commerce est donc présenté comme la solution pour ne pas subir la même situation que son père, devenir ouvrier. Mais le fait que le père ait eu un autre statut social a contribué à lui fournir d'autres références, d'autres aspirations en termes de trajectoire professionnelle même si, effectivement, il n'y a pas eu de transmissions directes. En ce sens, il a le sentiment, légitime, d'avoir dû se débrouiller seul pour y parvenir. On ne peut pourtant que constater que la profession initiale du père, ainsi que celle de ses demi-frères restés en Algérie et d'autres membres de la famille (commerçants, chefs d'entreprise), a contribué à lui ouvrir son horizon professionnel.
19La situation de cette femme est encore différente. Après l'obtention d'un diplôme de pharmacie, elle exercera quelques années son métier, avant de devenir agent immobilier. Elle précise alors qu'elle avait l'expérience de cette pratique par le biais de ses parents qui eux-mêmes étaient propriétaires de plusieurs logements qu'ils géraient. Par ailleurs, cette personne précise qu'elle était devenue « pharmacienne parce que papa ne l'était pas ! ». La pratique professionnelle actuelle, même si elle est exercée avec des moyens fort différents, est perçue comme une sorte de prolongement à une activité débutée et maîtrisée par les parents. Tout son parcours, du reste, ressemble à une réappropriation de ce que les parents n'avaient pas (diplôme) ou avaient débuté (acquisition et revente de logements). Avec les moyens qui sont les siens (études supérieures, parcours réalisé en France, revenus élevés, etc.), elle poursuit d'une certaine manière le parcours de ses parents.
20Ainsi ces entrepreneurs bénéficient concrètement et directement de l'expérience paternelle qui est transmise sous forme de savoir-faire, de capitaux mais aussi de réseaux. Celle-ci est donc déterminante. En ce sens, cette expérience constitue un héritage très valorisé, même s'il faut noter que les enfants bénéficient également de moyens qui leur sont propres (scolarisation dans la société française, comportements et dispositions qui se sont construits dans cette interaction familiale et sociale). C'est d'ailleurs à partir de ces processus de socialisation que sont réinterprétées les pratiques transmises par leur père. En ce sens, il y a héritage. Il faut aussi signaler que, dans quelques cas, les grands-pères étaient également commerçants en Algérie.
Le projet des pères réalisé par les enfants
21Dans ce cas de figure, les entrepreneurs sont porteurs d'une ambition paternelle reportée sur eux. Devenir indépendant, posséder une activité commerciale ou artisanale, répond au désir de leurs pères qui auraient souhaité « ne plus dépendre d'un patron ». Ces pères n'ont généralement pas eu une activité commerçante en Algérie, mais le grand-père a pu, lui, être indépendant (le plus souvent exploitant agricole), le père travaillait alors dans l'exploitation familiale. Ces pères ont donc perdu dans l'émigration ce statut. Pour que leurs fils ne subissent pas le même sort, ils ont tenté de leur transmettre leur projet, « devenir son propre patron », à défaut d'y être parvenus eux-mêmes. Les moyens pour réaliser cette ambition sont fort différents d'une génération à l'autre (diplômes, pratiques et références liées à la socialisation dans la société française, etc.). Ainsi les descendants sont tout particulièrement disposés à réussir là où le père n'a pas pu réaliser ses ambitions. Ils maîtrisent d'une part les instruments nécessaires et d'autre part ils sont les héritiers d'un projet dont les aînés perçoivent tout particulièrement l'acuité. Ils illustrent ce que d'autres sociologues ont démontré4 : la possibilité, une fois acquis un certain nombre de capitaux qui faisaient défaut à leurs parents, de réussir à réaliser l'ambition familiale. Aboutir à ce projet signifie la réussite de la migration qui n'avait pu véritablement avoir lieu avec les parents : les enfants, eux, sont parvenus à s'extraire de la condition ouvrière, et certains à avoir leur propre activité, signe d'une incontestable réussite socio-professionelle.
22Aussi l'héritage familial a pu être lourd : les enfants doivent être à la hauteur des espérances de leurs parents. Ils sont investis d'une mission qui leur donne d'autant plus de place au sein de la famille qu'ils ont su la réaliser. Mais eux-mêmes, le plus souvent, ne peuvent réaliser tout de suite ce projet, accéder à une activité indépendante. Ils le réalisent progressivement ou lorsque une « opportunité » leur en fournit l'occasion, notamment au cours d'une période de chômage (cf. § 2, IVe partie).
23Ces exemples témoignent aussi de l'existence de trajectoires de contre-mobilité, notamment lorsque les pères et/ou les grands-pères avaient également une activité indépendante en Algérie. Les descendants parviennent ainsi à reconquérir une position sociale perdue dans l'immigration.
Notes de bas de page
1 Il faut ajouter que parmi les indépendants qui possèdent leur entreprise en association, la plupart ont pour associés juridiques un frère ou une sœur, voire plusieurs.
2 À titre d'exemple, les frères et sœurs ont fait ensemble un voyage aux États-Unis pendant plusieurs semaines, allant jusqu'à Las Vegas jouer au casino. De même, chacun d'eux peut prendre deux demi-journées par semaine, ce qui est fort éloigné du mode de vie très frugal du père.
3 B. Zarca (1993, 1995a, 1995b) a par exemple consacré de nombreux travaux à la transmission des activités indépendantes et leur répartition au sein de la fratrie selon le sexe et le rang de naissance.
4 Nous pensons notamment au travail de Z. Zeroulou (1985) et à celui de J.P. Laurens (1995).
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La mobilité sociale dans l’immigration
Itinéraires de réussite des enfants d’origine algérienne
Emmanuelle Santelli
2001