Synthèse
p. 79-82
Texte intégral
1L’objectif de cette étude était de faire le point sur la recherche en matière d’enseignement de la lecture et d’en dégager les pistes les plus prometteuses pour améliorer l’apprentissage initial. Il s’agit d’un panorama, large il est vrai, mais non exhaustif. C’est à partir de grandes revues scientifiques et d’articles envoyés par des experts de tous les États membres que l’analyse a été menée.
2La présentation choisie répond à un souci d’ordre pratique : apporter des réponses autant que possible claires et précises aux personnes concernées directement ou indirectement par l’apprentissage de la lecture. Autrement dit, il s’agissait de chercher une ou des réponse(s) à la question principale : quelles perspectives d’instruction la recherche peut-elle apporter aux hommes de terrain, confrontés chaque jour aux enfants en situation d’apprentissage, et aux autorités éducatives responsables des programmes de cours et de la formation des enseignants ?
3À maintes reprises, on a mis en avant l’écart existant entre l’émergence des problèmes propres à l’apprentissage et la mise en place de solutions acceptables et efficaces dans la pratique quotidienne de toute classe. Trop souvent, à partir de résultats d’expériences ponctuelles menées en dehors du contexte scolaire, des conseils ou des implications pédagogiques sont présentés comme la solution à un type de problème particulier. Dans ce genre d’études, les problèmes sont tellement isolés et décontextualisés que des conclusions méthodologiques ne peuvent être généralisées. Actuellement, il faut donc avouer que les méthodes préconisées pour l’instruction de la lecture sont fondées sur quelques connaissances et beaucoup d’intuitions. Il est urgent et nécessaire de distinguer clairement, dans chaque méthode, la part de connaissances et celle d’intuitions, afin d’éviter de donner à celles-ci un statut scientifique immuable.
4Il conviendrait sans doute de définir une politique de recherche au niveau européen. Celle-ci devrait faire une place aux différents types d’études.
Des recherches fondamentales doivent continuer à contribuer à la compréhension des mécanismes psychologiques de la lecture.
L’approche comparative devrait permettre de saisir le rôle joué par la diversité des langues, car il n’est pas assuré que les difficultés rencontrées par les petits espagnols soient identiques à celles que doivent rencontrer les petits suédois.
Une place importante devrait être réservée aux études sur l’enseignement de la lecture.
5Ce faisant, on favoriserait le développement d’un faisceau de recherches aux méthodologies complémentaires, et, par voie de conséquence, on contribuerait à accroître la validité écologique des connaissances disponibles, voire à améliorer l’articulation des savoirs théoriques et pratiques.
6Quels domaines ont été couverts par notre étude ? Quelles contributions apporte chacun de ces domaines à l’instruction de la lecture ?
7Les modèles de la lecture experte ont permis de dépasser la conception de la lecture comme simple déchiffrage. On s’accorde maintenant pour considérer la lecture comme un ensemble de processus perceptifs et cognitifs permettant de dépasser la vision, longtemps dichotomique, de l’apprentissage du code, d’un côté, et l’apprentissage par le sens, d’un autre côté. Ainsi, en référence à la définition de l’acte lexique, il est important d’envisager les situations de lecture comme des processus de résolution de problèmes où existe une interaction entre toutes les habiletés mises en œuvre par le lecteur : les microprocessus (reconnaissance de mots, utilisation des correspondances graphophonétiques), les macroprocessus (identification des idées principales et utilisation de la structure du texte), les processus d’intégration (utilisation des référents, des connecteurs et des inférences), les processus d’élaboration (prédictions, lien avec les connaissances, imagerie mentale, raisonnement) et les processus métacognitifs (identification de la perte de compréhension et réparation de cette perte).
8Apprendre à lire, c’est donc apprendre à intégrer ces différentes compétences pour découvrir un texte nouveau.
9Or, les recherches scientifiques se sont centrées trop souvent sur l’une ou l’autre habileté en ignorant leur interaction. Ainsi, longtemps les modèles développementaux décrivant l’acquisition de la lecture ont envisagé une succession « naturelle » de stades, identique pour tous les enfants, quelle que soit la méthode d’enseignement utilisée. Des recherches ont cependant mis en évidence l’existence de différences individuelles dans le recours à l’une ou l’autre procédure de lecture que ce soit le déchiffrage, la mémorisation de mots entiers ou l’utilisation du contexte. Il a même été montré que les enfants utilisent, préférentiellement, non pas l’une ou l’autre procédure, mais des stratégies qui garantissent une lecture significative. Le terme-stratégie » n’est plus restrictif ; il inclut le choix de plusieurs procédures : l’enfant se sert du contexte et de ses connaissances des correspondances pour résoudre un problème.
10D’autres travaux, de type cognitif, se sont intéressés plus précisément au rôle de la conscience phonologique dans l’apprentissage de la lecture. Si, pour certains auteurs, cette capacité à manipuler les unités phonémiques de la parole est une conséquence de l’acquisition de la lecture, d’autres tentent d’étayer l’hypothèse d’une relation plutôt causale : les problèmes de conscience phonémique seraient la cause des problèmes d’apprentissage de la lecture. La conscience phonologique ne peut cependant pas être considérée comme un prérequis à la lecture. Si certains n’hésitent pas à recommander un entraînement à cette habilité pour augmenter les compétences des enfants en matière de lecture, la majorité recommande d’intégrer cet entraînement à l’apprentissage de la lecture en tant que tel.
11Ainsi, il est important de faire la distinction entre la capacité de manipuler le langage oral et l’aptitude à utiliser cette capacité dans le processus de lecture. Posséder une bonne conscience phonologique n’en garantit pas l’usage.
12Si l’enseignant guide l’enfant en rappelant le but de la lecture, en lui proposant diverses stratégies (connaissances des correspondances lettres-sons, utilisation du contexte...), il pourra l’aider à rechercher du sens et à résoudre ses difficultés. Cette manière d’envisager l’apprentissage de la lecture est en lien direct avec le modèle de compréhension propre au lecteur expert.
13Cependant, bien avant le début de l’apprentissage, des différences entre enfants existent dans leur niveau de conceptualisation de la langue écrite, et il est nécessaire de les prendre en compte. Selon leur expérience vécue, des enfants se retrouveront dans la même classe en début d’apprentissage, avec des niveaux différents de conception sur la langue écrite. Pourtant, ces différences sont le plus souvent ignorées dans les méthodes mises en place en début d’apprentissage. De plus, nous avons tendance à fonctionner selon notre logique d’adulte. Or, elle est loin de correspondre à celle de l’enfant. La lettre, le son, notions si simples pour l’adulte, sont totalement étrangères pour l’enfant. Cela dit, celui-ci n’attend pas d’entrer à l’école et de recevoir un enseignement pour se faire une idée sur l’écrit : il l’organise à sa façon.
14Les enseignants ont également tendance à négliger les connaissances des enfants à propos des fonctions et des buts de la lecture. Ils font comme si les enfants savaient à quoi sert la lecture, comme s’ils connaissaient le but de l’apprentissage. Avant et pendant l’instruction, il importe de multiplier les occasions de prendre conscience des différentes fonctions de la lecture. À partir de ces occasions, l’enfant pourra donner du sens à l’acte de lire, se définir des buts ou des projets de lecture. Il est important, à ce propos, de choisir des textes variés et significatifs.
15À plusieurs reprises, les différences entre enfants ont été mises en évidence. Au regard des domaines analysés au long de ce travail, il s’avère que l’enseignement de la lecture ne peut plus être conçu comme un ensemble de leçons définies pour un groupe d’enfants ayant les mêmes compétences.
16Au-delà du choix méthodologique, des aspects plus pratiques comme le contexte social d’apprentissage peuvent être pris en compte. Ainsi, il peut être opportun à certains moments de l’instruction et pour certaines tâches de regrouper les enfants selon des modalités diverses : groupes homogènes ou hétérogènes, pour un apprentissage coopératif ou plutôt un enseignement stratégique. Par exemple, les enfants autonomes du point de vue de la lecture peuvent être orientés vers des tâches spécifiques (jeux de lecture, applications, activités de lecture fonctionnelle...), pendant que l’enseignant s’occupe d’enfants qui ont besoin de plus de temps. Cette organisation permet à la fois de favoriser les échanges entre les enfants et de donner, à tous, le temps nécessaire pour apprendre. Cela peut être aussi une bonne occasion de chercher une solution aux difficultés rencontrées, ou plus simplement d’échanger des points de vue sur les intérêts et les représentations de chacun.
17Enfin, les différences individuelles peuvent éventuellement être « traitées » par le biais familial. Sensibiliser les parents à l’apprentissage de la lecture ne peut être que bénéfique pour, les enfants : que ce soit sous la forme de réunions d’information, de visites de classes, de conférences, d’emprunt familial de livres à la bibliothèque de l’école, de participation concrète à des projets d’école ou de classe, etc. La lecture, si elle s’apprend et se travaille dans un contexte scolaire, a un ancrage social et familial important.
Auteurs
Service de pédagogie expérimentale. Université de Liège
Service de pédagogie expérimentale. Université de Liège
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